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Dossier : 2003-2423(EI)

ENTRE :

627576 SASKATCHEWAN LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 24 mars 2004 à Prince Albert (Saskatchewan).

 

Devant : Mme la juge Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me James Sanderson

 

Avocate de l’intimé :

Mme Lynn Hintz (étudiante en droit)

Me Anne Jinnouchi

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est accueilli, et la décision du ministre est annulée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2004.

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

Traduction certifiée conforme

 

Jacques Deschênes, LL.B.


 

 

Référence : 2004CCI316

Date : 20040507

Dossier : 2003-2423(EI)

ENTRE :

627576 SASKATCHEWAN LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Sheridan

 

[1]     Il s’agit d’un appel formé à l’égard de la décision du ministre voulant que, pour la période allant du 1er mai 2001 au 31 décembre 2001, M. Timothy Longworth ait exercé un emploi assurable à titre d’employé de la société 627576 Saskatchewan Ltd., connue sous la dénomination d’Elstrom Insurance. Les parties ont reconnu qu’Elstrom Insurance et Tim Longworth étaient « liés » au sens du sous‑alinéa 251(2)b)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’il existait donc un lien de dépendance entre eux. La seule question en litige consiste à décider s’il était raisonnable pour le ministre de conclure, suivant l’alinéa 5(3)b) de la Loi sur l’assurance‑emploi, qu’Elstrom Insurance et Tim Longworth auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[2]     Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’assurance‑emploi sont énoncées ci‑dessous :

 

5.(1) Sens de « emploi assurable » – Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

[...]

 

(2) Restriction – N’est pas un emploi assurable :

 

[...]

 

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

(3) Personnes liées – Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de [la Loi de l’impôt sur le revenu], sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[3]     M. Timothy Longworth est le fils de feu M. Valray Longworth, avocat et homme d’affaires bien connu de Prince Albert. Pour plus de clarté, M. Timothy Longworth sera appelé « Tim », et son père « M. Longworth ». Entre 1979 et 2000, Tim a travaillé à diverses périodes et à divers titres dans le secteur de l’assurance. Au début de 2001, il a envisagé d’acquérir Elstrom Insurance, une agence d’assurances locale, et de se lancer lui‑même en affaires. Il a entamé des négociations avec Elstrom Insurance tout en étudiant la possibilité de s’associer avec Don Delorme, un courtier d’assurance autorisé et expérimenté qui travaillait alors pour une autre compagnie d’assurances, pour exploiter cette nouvelle entreprise. En temps voulu, Tim a demandé conseil à son père au sujet de l’entreprise projetée et notamment sur la meilleure façon de financer l’acquisition.

 

[4]     À l’époque où Tim l’a consulté, M. Longworth avait le cancer et venait juste d’apprendre que sa maladie, après une période de rémission, avait à nouveau évolué et allait probablement lui être fatale. Dans son témoignage, Tim a déclaré que son père voyait dans l’acquisition d’Elstrom Insurance une occasion de régler ses affaires en aidant son fils à consolider sa carrière, un des objectifs qu’il s’était fixé. C’est dans ce contexte que M. Longworth a conseillé à Tim d’oublier toute idée d’obtenir du financement d’un tiers et de plutôt constituer une personne morale dans laquelle lui, Tim et Don Delorme investiraient à parts égales. Ce projet s’est concrétisé et, le 1er mai 2001, Elstrom Insurance a débuté ses activités. Conformément à leur entente, M. Longworth, Tim et Don détenaient chacun 100 actions dans la société, chacun a payé un tiers du versement initial de 200 000 $ et chacun était solidairement responsable de la somme de 500 000 $ qui devait être versée à SGI pour conclure l’opération. Tim se chargeait des questions administratives et Don, des ventes d’assurance. Tim et Don recevaient chacun un salaire annuel de 50 000 $. M. Longworth ne jouait aucun rôle actif dans Elstrom Insurance et aucun salaire ne lui était versé. Il était en outre entendu qu’après une période de deux ans, la vente des actions de M. Longworth serait déclenchée et Tim et Don seraient tenus d’acheter la participation de celui‑ci dans une proportion de 50 % des actions chacun. Malheureusement, M. Longworth est décédé en février 2002, moins d’un an après le début des activités d’Elstrom Insurance.

 

ANALYSE

 

[5]     En peu de mots, le ministre fait valoir que Tim était au service d’Elstrom Insurance et que son emploi pour la période allant du 1er mai 2001 au 31 décembre 2001 était assurable. Le ministre fonde sa décision sur l’hypothèse suivant laquelle certaines modalités du contrat de travail de Tim étaient identiques à celles énoncées dans le contrat de travail de Don : en particulier, Tim et Don recevaient tous deux un salaire annuel de 50 000 $, étaient tous deux fondés de pouvoir pour les besoins du compte d’affaires et avaient tous deux la possibilité d’acheter les actions de M. Longworth[1]. Don n’avait pas de lien de dépendance avec son employeur. Le ministre a avancé qu’il était raisonnable d’en conclure que Tim et Elstrom Insurance auraient conclu entre eux un contrat « à peu près semblable » s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance, ce qui satisfait au critère énoncé à l’alinéa 5(3)b) de la Loi sur l’assurance‑emploi.

 

[6]     Cela est exact à première vue. Cependant, les hypothèses sur lesquelles le ministre s’est appuyé sont incomplètes. Même s’il est vrai que les modalités susmentionnées faisaient à la fois partie du contrat de Tim et de celui de Don, l’affaire ne se termine pas là. Le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon irrégulière lorsqu’il a omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, contrairement à ce qu’exige expressément l’alinéa 5(3)b)[2]. En effet, le ministre a omis de prendre en compte les différences fondamentales de la situation dans laquelle ils ont chacun pris un emploi chez Elstrom Insurance. Don a été recruté par Tim et faisait partie du projet initial que ce dernier a présenté à son père. Don s’est joint à la nouvelle entreprise à titre d’agent d’assurances de niveau 4 expérimenté et d’opérateur qualifié de la SGI recruté auprès d’une agence d’assurance concurrente et prospère. Tim, de son côté, n’était pas autorisé à faire souscrire des assurances et devait pour ce faire satisfaire d’abord aux exigences provinciales en matière de délivrance de permis. Il n’était pas non plus un opérateur qualifié de la SGI. En mai 2001, ses compétences techniques ne dépassaient pas celles des membres du personnel les moins bien payés de la nouvelle entreprise, employés qui recevaient un salaire annuel d’environ 18 000 $ et qui pouvaient uniquement délivrer des permis d’utilisation de véhicules automobiles. En dépit de ces différences, Elstrom Insurance a conclu un contrat avec Tim par lequel elle s’engageait à lui verser 50 000 $ par année, soit le même salaire que celui offert à Don, qui était beaucoup mieux qualifié et plus expérimenté. Cette somme était plus élevée que celle que gagnait Tim avant d’acquérir Elstrom Insurance; quant à Don, cette rémunération était sensiblement moindre que le salaire de 70 000 $ à 80 000 $ qu’il recevait à titre d’employé de son ancienne agence. Au cours du contre‑interrogatoire, on a demandé à Don, en qualité de spécialiste expérimenté du domaine de l’assurance, son avis sur le salaire qu’aurait gagné une personne ayant les compétences restreintes que possédait Tim en 2001, et il a répondu qu’une telle personne n’aurait pas été embauchée à ce niveau de rémunération.

 

[7]     La seule raison pour laquelle Tim s’est trouvé dans une situation aussi favorable tenait à la relation père‑fils qui existait entre lui et le troisième investisseur, M. Longworth. Ce dernier était mourant. Tenant compte de ce fait, il a décidé d’investir dans l’avenir de son fils. En renonçant à jouer un rôle actif dans l’entreprise et à recevoir un salaire et en planifiant son propre retrait de la société, M. Longworth a placé Tim sur un pied d’égalité avec Don. N’eût été de sa relation avec M. Longworth, troisième actionnaire d’Elstrom Insurance, Tim n’aurait pas occupé la charge qu’il a exercée pendant la période allant du 1er mai 2001 au 31 décembre 2001. Compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, la Cour est convaincue qu’il n’était pas raisonnable pour le ministre de conclure qu’Elstrom Insurance et Tim auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[8]     L’appel est accueilli, et la décision du ministre est annulée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2004.

 

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jacques Deschênes, LL.B.


 

 

RÉFÉRENCE :

2004CCI316

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-2423(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

627576 Saskatchewan Ltd. et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Prince Albert (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 mars 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

Mme la juge Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 mai 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me James Sanderson

 

Avocate de l’intimé :

Mme Lynn Hintz (étudiante en droit)

Me Anne Jinnouchi

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

Me James Sanderson

 

Cabinet :

Sanderson Balicki Popescul

Prince Albert (Saskatchewan)

 

Pour l’intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 



[1] Voir la réponse à l’avis d’appel, paragraphes 11(q),(r), (w) et (ee).

[2] Légaré c. M.R.N., [1999] A.C.F. no 878 (C.A.F.).

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