Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2002‑1946(EI)

2002‑1947(CPP)

ENTRE :

TED GRZYMSKI,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Crystal Beach Optical Inc. (2002‑2043(EI) et 2002‑2044(CPP)), à Toronto (Ontario), le 14 avril 2004.

 

Devant : L’honorable juge A.A. Sarchuk

 

Comparutions :

Représentant de l’appelant :

M. Richard Torok

Avocat de l’intimé :

Me John Grant

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

Les appels interjetés conformément au paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi et à l’article 28 du Régime de pensions du Canada sont accueillis; la décision que le ministre du Revenu national a rendue à la suite de l’appel porté devant lui en vertu de l’article 91 de la Loi et la décision que le ministre a rendue à la suite d’une demande présentée devant lui en vertu de l’article 27.1 du Régime sont annulées compte tenu du fait que l’appelant n’exerçait pas un emploi assurable ouvrant droit à pension auprès de Crystal Beach Optical Inc. pendant la période allant du 1er janvier 2000 au 28 février 2001 au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi et de l’alinéa 6(1)a) du Régime.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2005.

 

 

« A.A. Sarchuk »

Juge Sarchuk

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de novembre 2005.

 

Sara Tasset


 

 

Dossiers : 2002‑2043(EI)

2002‑2044(CPP)

ENTRE :

CRYSTAL BEACH OPTICAL INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Ted Grzymski

(2002‑1946(EI) et 2002‑1947(CPP)), à Toronto (Ontario), le 14 avril 2004.

 

Devant : L’honorable juge A.A. Sarchuk

 

Comparutions :

Avocate de l’appelante :

Me Susan L. Crawford

Avocat de l’intimé :

Me John Grant

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

Les appels interjetés conformément au paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi et à l’article 28 du Régime de pensions du Canada sont accueillis; la décision que le ministre du Revenu national a rendue à la suite de l’appel porté devant lui en vertu de l’article 92 de la Loi et la décision que le ministre a rendue à la suite d’une demande présentée devant lui en vertu de l’article 27.1 du Régime sont annulées compte tenu du fait que Ted Grzymski n’exerçait pas un emploi assurable ouvrant droit à pension auprès de l’appelante pendant la période allant du 1er janvier 2000 au 28 février 2001 au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi et de l’alinéa 6(1)a) du Régime.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2005.

 

 

« A.A. Sarchuk »

Juge Sarchuk

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de novembre 2005.

 

Sara Tasset


 

 

 

Référence : 2005CCI189

Date : 20050316

Dossiers : 2002‑1946(EI), 2002‑1947(CPP)

2002‑2043(EI), 2002‑2044(CPP)

ENTRE :

TED GRZYMSKI et

CRYSTAL BEACH OPTICAL INC.,

appelants,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Sarchuk

 

[1]     Par un avis d’évaluation daté du 16 août 2001, Crystal Beach Optical Inc. (« Crystal Beach ») a été évaluée par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi et du Régime de pensions du Canada pour avoir omis de verser des cotisations d’un montant de 1 550,72 $ et de 210,03 $ au titre de l’assurance‑emploi à l’égard de Ted Grzymski et d’Elizabeth Orfei et pour les intérêts y afférents pour la période allant du 1er janvier 2000 au 28 février 2001, ainsi que pour des cotisations de 1 786,08 $ et de 273,38 $ au titre du RPC et des intérêts y afférents pour la même période. Crystal Beach et M. Grzymski ont déposé des avis d’appel par suite de cette évaluation. Mme Orfei n’a pas interjeté appel et elle n’a pas cherché à agir comme intervenante. La Cour est uniquement saisie de la question de savoir si M. Grzymski et Mme Orfei étaient des employés de Crystal Beach ou s’ils étaient des entrepreneurs indépendants.

 

Les faits

 

[2]     George Malina (« M. Malina ») est président et propriétaire à 50 p. 100 de Crystal Beach, un magasin de vente au détail de lunettes de style boutique. Sa femme Yanna est propriétaire de Crystal Beach quant à l’autre moitié. Depuis le printemps 1997, Crystal Beach exploitait une entreprise à titre de préparateur de fournitures d’optique, plus précisément des lunettes, des lentilles et notamment des verres de contact ainsi que des produits connexes dans le quartier de Toronto appelé The Beaches. M. Malina a témoigné que sa clientèle était prête à payer un prix plus élevé pour des services spécialisés et des produits de bonne qualité. La concurrence est énorme, la marge de profit est faible et afin de faire face à la concurrence, Crystal Beach avait recours à des spécialistes pour qu’ils travaillent sur les lieux afin de fournir le meilleur service possible. Pendant la période visée par l’appel, les spécialistes comprenaient un ophtalmologue, qui travaillait au magasin une fois par semaine, un optométriste qui fournissait ses services deux fois par semaine et deux opticiens, M. Grzymski et Mme Orfei. Crystal Beach et les spécialistes concluaient chaque mois des ententes verbales qui pouvaient être renouvelées, sous réserve du droit de Crystal Beach de rompre les relations avec l’un ou l’autre d’entre eux. M. Malina a également indiqué que, tant que les services étaient rendus à la satisfaction du client, l’entente était d’une durée indéfinie. En plus de ces personnes, le personnel de Crystal Beach comprenait M. Malina et sa femme. M. Malina a témoigné que les clients qui avaient obtenu des ordonnances d’ophtalmologues ou d’optométristes se présentaient chez Crystal Beach pour faire adapter leurs lunettes et verres de contact par des opticiens. Il a fait remarquer que certaines activités, comme l’ajustement des lunettes, peuvent uniquement être accomplies par un opticien agréé et que sa femme et lui n’avaient pas les qualités requises sur le plan juridique pour fournir les services nécessaires et, plus particulièrement, qu’ils n’étaient pas autorisés à préparer et à vendre des lentilles sans qu’au moins un opticien ne soit présent.

 

[3]     Crystal Beach faisait paraître des offres d’emploi pour obtenir les services d’opticiens dans un journal local et dans le site Web de l’Ordre des opticiens de l’Ontario. M. Malina cherchait intentionnellement des opticiens qui travaillaient à leur propre compte parce que, à son avis, ils fournissaient de meilleurs services et ils étaient plus responsables. Il a eu des entrevues avec plusieurs opticiens, dont M. Grzymski, et il a finalement accepté les conditions demandées par celui‑ci. M. Malina a expressément eu recours aux services de M. Grzymski parce que celui‑ci était bien connu et qu’il avait la réputation d’être l’un des meilleurs spécialistes de l’adaptation de verres de contact à Toronto. M. Grzymski s’est engagé à travailler pour Crystal Beach trois jours par semaine, les mardi, jeudi et samedi. Quant à la rémunération, M. Malina a fait remarquer que les opticiens ne touchaient pas tous la même rémunération, qu’il était au courant des taux que les opticiens ayant autant d’expérience et de compétences que M. Grzymski s’attendaient à recevoir et qu’il avait convenu du taux demandé par M. Grzymski, soit 24 $ l’heure. Pendant la période en question, M. Grzymski a toujours soumis des factures sur lesquelles figuraient son nom commercial, le nombre d’heures effectuées et le type de services fournis; il percevait la TPS sur les montants facturés et il était rémunéré par Crystal Beach au moyen de chèques. Crystal Beach ne retenait pas de cotisations au titre des accidents du travail, de l’assurance‑emploi ou du Régime de pensions du Canada sur le montant du chèque et M. Grzymski n’était pas rémunéré s’il prenait des jours de congé pour des raisons personnelles ou pour cause de maladie. En outre, il était entendu que s’il s’absentait, M. Grzymski devait trouver un remplaçant aussi compétent que lui. M. Malina a déclaré que mises à part ces conditions, il n’avait [traduction] « rien à dire » sur la décision concernant le remplaçant.

 

[4]     Quant aux services fournis par M. Grzymski, M. Malina a expressément fait référence aux éléments suivants :

 

a)       il ne supervisait pas M. Grzymski et ne donnait pas de directives à M. Grzymski au sujet de la façon d’accomplir ses tâches; M. Grzymski ne lui faisait pas rapport; de plus, il n’y avait aucune politique de la société que M. Grzymski était tenu de suivre;

b)      M. Grzymski pouvait à son gré travailler ailleurs pendant la période où Crystal Beach avait eu recours à ses services et il a de fait fourni ses services à deux autres magasins de fournitures d’optique;

c)       M. Grzymski utilisait ses propres instruments spéciaux pour l’ensemble du travail qu’il accomplissait. Il achetait lui‑même toutes les fournitures nécessaires, comme le pistolet à souder, le butane et le pupillomètre. En outre, il n’exécutait pas toutes les tâches au magasin; en effet, certaines réparations ne pouvaient pas être effectuées à cet endroit, de sorte que M. Grzymski les effectuait dans ses propres locaux, où il avait du matériel spécial. Crystal Beach ne remboursait pas M. Grzymski des frais y afférents;

d)      M. Malina a témoigné que M. Grzymski avait ses propres clients à qui il fournissait des services et qu’il facturait directement. Ces services étaient uniquement fournis à l’occasion et ils étaient habituellement fournis pendant la journée régulière de travail, mais M. Grzymski touchait néanmoins le plein taux horaire accordé par Crystal Beach;

e)       M. Grzymski avait des cartes d’affaires distinctes qui étaient en évidence dans les locaux de Crystal Beach; il n’était pas fait mention de Crystal Beach sur ces cartes;

f)       Crystal Beach n’a jamais payé les frais d’affiliation ou de licence de M. Grzymski. M. Grzymski était obligé de détenir une licence en cours de validité du Collège et de souscrire à une assurance d’indemnité professionnelle, à l’égard de laquelle il payait la prime y afférente.

 

[5]     L’appelant, M. Grzymski, est un opticien agréé. Il a reçu la formation voulue pour polir, adapter et préparer les verres correcteurs prescrits par un ophtalmologue ou par un optométriste. Pendant la période visée par l’appel, M. Grzymski fournissait ses services à trois magasins de fournitures d’optique, Crystal Beach, Josephson’s Opticians et Humberview Optical. Il était notamment chargé d’examiner les ordonnances afin de déterminer les spécifications relatives aux lentilles, de recommander les lentilles et montures de lunettes après avoir tenu compte des besoins du client et de faire au besoin tous les ajustements. M. Grzymski a témoigné qu’il allouait des journées et des heures précises à Crystal Beach, mais qu’il y avait un certain degré de souplesse dans cette entente et qu’il pouvait modifier son horaire, comme il le faisait parfois. Crystal Beach possédait quelques‑uns des instruments de base nécessaires, mais M. Grzymski préférait utiliser ses propres instruments. En outre, il y avait du matériel que Crystal Beach ne possédait pas et, si l’un de ses clients avait besoin de faire effectuer du travail spécial, M. Grzymski effectuait le travail ailleurs que dans les locaux de Crystal Beach. M. Grzymski a déclaré que cela se produisait environ 20 p. 100 du temps. Il a fait remarquer que ses [traduction] « instruments à main » coûtaient de 1 500 $ à 1 800 $ et qu’il avait chez lui du matériel additionnel d’une valeur d’environ 7 000 $ qu’il utilisait au besoin pour les travaux spéciaux. Il était personnellement tenu de payer les dépenses telles que le stationnement, les instruments de travail et le matériel ainsi que les frais engagés pour des articles personnalisés qu’il fabriquait passablement souvent pour ses propres clients et pour ceux de Crystal Beach. Les factures établies par M. Grzymski n’indiquaient pas ces dépenses additionnelles parce qu’elles faisaient partie des services offerts par celui‑ci et qu’il en était tenu compte dans le taux horaire demandé. M. Grzymski a déclaré que s’il commettait une erreur en fournissant ses services à Crystal Beach, il assumait la responsabilité en résultant et qu’il supportait les frais additionnels engagés. M. Grzymski souscrivait à sa propre assurance civile professionnelle; il payait ses propres frais de licence et aucun avantage social, congé de maladie ou congé annuel ne lui étaient accordés.

 

Arguments des appelants

 

[6]     Sur consentement, l’avocate de Crystal Beach a présenté des observations et a soumis des décisions faisant autorité au nom des appelants. La position prise dans les deux cas était que M. Grzymski était un entrepreneur indépendant parce que, entre autres choses, le travail qu’il effectuait exigeait une licence spéciale. Aucune direction n’était assurée quant à la façon dont le travail devait être accompli et Crystal Beach n’exerçait aucune supervision. En outre, Crystal Beach ne fournissait presque aucun des instruments de travail nécessaires et ne remboursait pas M. Grzymski des frais engagés par celui‑ci; Crystal Beach n’avait aucun rôle lorsqu’il s’agissait de décider si le travail était exécuté de la façon appropriée, et elle aurait accepté un remplaçant qualifié choisi par M. Grzymski pour qu’il exerce les fonctions de ce dernier aux frais de M. Grzymski. Crystal Beach et M. Grzymski estimaient que M. Grzymski exploitait sa propre entreprise. Selon l’entente contractuelle, c’était M. Grzymski qui déterminait le taux horaire, qui décidait des jours qui lui convenaient pour travailler et il avait expressément précisé quels étaient ces jours parce qu’il devait s’occuper d’autres clients à ce moment‑là. L’avocate a fait remarquer qu’habituellement c’est l’employeur qui détermine les besoins et que l’employé doit se plier aux exigences de l’employeur. Toutefois, les modalités de l’entente étaient davantage assimilables à une relation d’affaires par opposition à une relation employeur‑employé. Il est particulièrement important de noter que M. Grzymski pouvait fournir, et fournissait, ses services à des concurrents et que Crystal Beach n’avait pas le droit de parole à ce sujet. En outre, M. Grzymski n’obtenait aucun des avantages qui sont normalement accordés aux employés, ce qui encore une fois donne à entendre qu’il exploitait sa propre entreprise plutôt que d’être un employé. De plus, M. Grzymski supportait les coûts liés aux matériaux, aux instruments de travail, à l’équipement, en plus de payer les droits de licence, les cotisations à des associations professionnelles, les honoraires comptables, les primes d’assurance, tous les frais qu’il engageait nécessairement afin de pouvoir fournir les services en question. L’avocate a fait observer que dans le contexte d’un emploi, ces frais seraient normalement, dans bien des cas, supportés par l’employeur.

 

Arguments de l’intimé

 

[7]     L’avocat de l’intimé fait valoir que l’évaluation était exacte en ce sens que les opticiens exerçaient un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi et qu’ils exerçaient un emploi ouvrant droit à pension au sens du paragraphe 6(1) du Régime de pensions du Canada. L’avocat a expressément fait mention du critère composé de quatre parties intégrantes énoncé dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R.[1], lequel a été adopté dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[2] qui, a‑t‑il dit, s’appliquait aux faits portés à la connaissance de la Cour et appuient les conclusions et évaluations du ministre.

 

[8]     Quant au contrôle, l’avocat a fait valoir que le témoignage que M. Grzymski a présenté au sujet d’un remplaçant comportait des lacunes et que sa preuve n’était pas crédible. Plus précisément, il a été allégué a) que M. Grzymski avait reconnu que les propriétaires auraient pu lui imposer des mesures disciplinaires; b) qu’aucun élément de preuve n’étaye l’assertion selon laquelle c’était M. Grzymski qui déterminait le taux de rémunération; et c) que ce n’était pas M. Grzymski qui établissait l’horaire puisque la preuve établissait, selon l’avocat, que M. Grzymski était uniquement disponible les mardi, jeudi et samedi, c’est‑à‑dire les journées où il travaillait réellement. Quant à la propriété des instruments de travail, l’avocat a avancé qu’il était clair dans l’industrie qu’un entrepreneur indépendant devait utiliser son propre pupillomètre. En outre, l’avocat a soutenu que [traduction] « l’instrument de travail le plus important [était] la fourniture des locaux dans lesquels l’entreprise [était] exploitée ». Quant aux chances de bénéfice et aux risques de perte, l’avocat a affirmé que le témoignage de M. Malina établissait que le taux horaire payé pour les services de M. Grzymski était conforme à la norme du marché. M. Grzymski ne risquait pas de subir des pertes puisqu’il pouvait uniquement accroître ses profits en effectuant des heures additionnelles s’il y en avait. Quant à l’assertion selon laquelle M. Grzymski s’occupait de ses propres clients pendant la journée normale de travail chez Crystal Beach, l’avocat a fait valoir que le fait que M. Grzymski ne pouvait pas se rappeler de cas dans lesquels cela s’était produit pendant la période pertinente donne à entendre que cela n’est jamais arrivé.

 

[9]     L’avocat de l’intimé a en outre soutenu que le payeur, c’est‑à‑dire Crystal Beach, n’était pas le client de M. Grzymski. Comme il l’a dit :

 

[traduction] Le client dans ce cas‑ci – l’argument de l’appelant serait que le client dans ce cas‑ci est en fait le payeur, c’est le client. Mais selon moi, si l’on prend du recul et si toute l’entité est considérée dans son ensemble, je crois que les clients dans ce cas‑ci, et compte tenu de ce dont je ferai mention quant aux faits, les clients dans ce cas‑ci seraient les gens qui se présentaient au magasin. Et en fait, il existe une relation employeur‑employé et les clients dont nous devrions tenir compte sont les gens qui entrent dans le magasin. Ceci dit, c’est le payeur qui fixait le prix. [...] Le payeur recrutait les clients. [...] Le payeur facturait les clients directement, il facturait les clients directement. Il n’y avait pas de facturation indépendante de ces clients. [...]

 

Je crois comprendre que, selon l’avocat, Crystal Beach ne devrait pas être considérée comme un « client » de M. Grzymski et que les seuls clients étaient les clients de Crystal Beach à qui M. Grzymski fournissait des services à titre d’employé de Crystal Beach.

 

 

Conclusion

 

[10]    La question de savoir si une personne est « un employé ou un entrepreneur indépendant » a été examinée un certain nombre de fois au cours des dernières années et il y a eu un changement appréciable en ce qui concerne les critères à appliquer. Cette évolution a été analysée d’une façon fort approfondie dans l’arrêt Sagaz, précité, où le juge Major a dit ce qui suit :

 

46        À mon avis, aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Lord Denning a affirmé, dans l’arrêt Stevenson Jordan, précité, qu’il peut être impossible d’établir une définition précise de la distinction (p. 111) et, de la même façon, Fleming signale que [traduction] « devant les nombreuses variables des relations de travail en constante mutation, aucun critère ne semble permettre d’apporter une réponse toujours claire et acceptable » (p. 416). Je partage en outre l’opinion du juge MacGuigan lorsqu’il affirme ‑‑ en citant Atiyah, op. cit., p. 38, dans l’arrêt Wiebe Door, p. 563 ‑‑ qu’il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles :

 

 [TRADUCTION] [N]ous doutons fortement qu’il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d’identifier les contrats de louage de services [...] La meilleure chose à faire est d’étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s’appliquent pas dans tous les cas et n’ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n’est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.

 

47        Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui‑même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

48        Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[11]    Compte tenu des faits portés à la connaissance de la Cour, j’ai conclu que l’appelant Grzymski était en tout temps un entrepreneur indépendant. Premièrement, il était tout à fait libre de contrôler la façon dont il s’acquittait de ses responsabilités. Il n’était jamais supervisé, son travail n’était pas évalué, aucune formation n’était assurée. Dans ce contexte, il est également pertinent de noter que M. Grzymski, qui était titulaire d’une licence l’autorisant à adapter des verres de contact, a personnellement pris des dispositions avec l’ophtalmologue pour utiliser le matériel de celui‑ci et la salle d’examen à cette fin. M. Malina a expressément fait remarquer ce qui suit : [traduction] « Je n’ai jamais enquêté sur le genre de dispositions qu’il avait prises, mais le docteur Shustermann lui permettait d’utiliser la salle d’examen pour adapter les verres de contact »; M. Malina a en outre fait remarquer que le matériel utilisé à cette fin n’était pas celui de Crystal Beach. M. Malina a également fait remarquer que M. Grzymski avait une clientèle et qu’un grand nombre de gens préféraient traiter avec lui. Par conséquent, comme M. Malina l’a dit : [traduction] « Je rangerais ces clients en deux catégories : en premier lieu, ceux qu’il facturait lui‑même pour les verres de contact et ainsi de suite, parce que c’était ses anciens clients; et en second lieu, ceux qui avaient besoin de lunettes et qui se présentaient au magasin et traitaient avec nous, et nous facturions ces clients. »

 

[12]    Selon un certain nombre d’autres indicateurs, M. Grzymski était un entrepreneur indépendant. Premièrement, pendant la période en question, M. Grzymski avait également conclu des contrats avec deux autres préparateurs de fournitures d’optique, même s’ils étaient des concurrents de Crystal Beach, ce qui aurait été peu probable si M. Grzymski avait été un simple employé. De plus, M. Grzymski fournissait son propre matériel; en effet, Crystal Beach avait peu de matériel et ce matériel n’était absolument pas adéquat pour permettre à M. Grzymski de fournir les services nécessaires. M. Grzymski effectuait également les modifications ou réparations nécessaires, dans certains cas, avec du matériel spécialisé qu’il avait chez lui, travail qui, comme je le note, prenait environ 20 p. 100 de son temps, soit un fait qui n’a pas été contesté par l’intimé. En outre, il existait pour M. Grzymski un certain degré de risque financier; M. Grzymski devait donc souscrire à une assurance civile professionnelle, de sorte que s’il commettait une erreur en polissant, adaptant et préparant les verres correcteurs, il était responsable de ce qu’il en coûtait pour corriger l’erreur. La chose n’éliminait pas entièrement la possibilité d’un risque financier pour Crystal Beach, mais cet élément est néanmoins important lorsqu’il s’agit de déterminer « à qui appartient l’entreprise ».

 

[13]    En se fondant sur le fait que pendant la période en question M. Grzymski s’était vu obligé de trouver un remplaçant une seule fois, lorsqu’il s’est marié, l’intimé a contesté la crédibilité de M. Grzymski lorsque celui‑ci affirmait que, selon l’entente qu’il avait conclue avec Crystal Beach, il était tenu de trouver au besoin un remplaçant à ses propres frais. Le fait qu’il ne s’est pas avéré nécessaire de trouver un remplaçant plus souvent ne prouve rien. Rien ne permet de rejeter le témoignage de M. Malina sur ce point, et je ferai remarquer que ce témoignage était compatible avec celui de M. Grzymski. L’intimé conteste également le témoignage de M. Grzymski en alléguant que son soi‑disant horaire reflétait le fait que les jours où il travaillait étaient les seuls jours que Crystal Beach lui avait offerts. Or, cela n’est pas exact. M. Grzymski a témoigné qu’il était uniquement disponible trois jours par semaine, les mardi, jeudi et samedi, étant donné que les autres jours étaient consacrés à deux compagnies de fournitures d’optique avec qui il avait des contrats à ce moment‑là. Le témoignage de M. Grzymski est corroboré par M. Malina, qui a déclaré que parce qu’elle voulait obtenir les services de M. Grzymski, Crystal Beach avait accepté l’horaire proposé par celui‑ci. L’avocat de l’intimé a également insisté sur le taux horaire et il a soutenu qu’il s’agissait en fait du taux habituel accepté par Crystal Beach. Or, selon MM. Malina et Grzymski, il ne s’agissait pas [traduction] d’« un taux négocié », mais comme l’a dit M. Grzymski, il s’agissait [traduction] d’« un taux approprié à exiger pour [s]on expertise » et ce taux était comparable à celui qu’il exigeait de ses autres clients. Le témoignage de M. Malina étaye la conclusion selon laquelle Crystal Beach avait accepté les conditions établies par M. Grzymski. Une autre question soulevée par l’avocat de l’intimé se rapportait au fait que les services que M. Grzymski fournissait étaient fournis à la clientèle de Crystal Beach. Il semble, somme toute, selon la preuve présentée par M. Malina et par M. Grzymski, qu’il soit plus exact de dire que M. Grzymski fournissait un service à Crystal Beach plutôt que de fournir un service aux clients de Crystal Beach.

 

[14]    J’ai examiné tous les facteurs ainsi que les observations présentées par les avocats et je suis arrivé à la conclusion selon laquelle M. Grzymski était de fait un entrepreneur indépendant et qu’il existait fort peu d’éléments de preuve à l’appui de la position prise par l’intimé, à savoir qu’il s’agissait d’une relation employeur‑employé.

 

[15]    Comme il en a ci‑dessus été fait mention, Elisabeth Orfei n’était pas présente à l’instruction. Les quelques éléments de preuve mis à la disposition de la Cour provenaient uniquement de M. Malina. Mme Orfei, qui, selon M. Malina, était à la semi‑retraite, était une opticienne. Elle avait été embauchée pour fournir ses services une journée par semaine. M. Malina a fait remarquer que Mme Orfei ne possédait pas les mêmes compétences que M. Grzymski, qu’elle ne pouvait pas faire des travaux de soudure et qu’elle [traduction] « ne pouvait réellement pas faire un grand nombre de choses que M. Grzymski était capable de faire ». En outre, Mme Orfei ne pouvait pas adapter des verres de contact. Par conséquent, son contrat était fondé sur un taux horaire beaucoup moins élevé. De plus, Mme Orfei ne possédait pas son propre matériel ou son propre pupillomètre; elle n’utilisait pas la salle d’examen parce qu’elle ne s’occupait pas de l’adaptation des verres de contact et qu’elle ne pouvait pas le faire; elle accomplissait toutes ses tâches au bureau de Crystal Beach. La totalité de la preuve, en ce qui concerne le statut de Mme Orfei, est bien loin d’établir qu’elle était un entrepreneur indépendant. Par conséquent, l’appel interjeté par Crystal Beach, pour ce qui est de Mme Orfei, est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2005.

 

 

 

« A.A. Sarchuk »

Juge Sarchuk

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de novembre 2005.

 

Sara Tasset



[1]           87 DTC 5025.

[2]           [2001] 2 R.C.S. 983.

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