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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 2002-41(GST)I

ENTRE :

547931 ALBERTA LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 31 mai 2002, à Edmonton (Alberta)

Devant : L'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

MeJames Yaskowich

Avocat de l'intimée :

MeMark Heseltine

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la nouvelle cotisation de taxe sur les produits et services établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 26 septembre 2001 et porte le numéro 10BT-117605303, pour la période allant du 1er février 1997 au 31 octobre 2000, est accueilli, sans dépens, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'utilisation personnelle que Michel Charest a faite du véhicule ne dépassait pas 3 780 kilomètres au cours de chacune de ses années d'imposition 1999 et 2000 aux fins du calcul de l'avantage lié au droit d'usage au titre du
paragraphe 6(2) et de l'alinéa 6(1)k) de la Loi de l'impôt sur le revenu et du paragraphe 173(1) de la Loi sur la taxe d'accise.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27ejour de mars 2003.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de février 2005.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2003CCI170

Date : 20030327

Dossier : 2002-41(GST)I

ENTRE :

547931 ALBERTA LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]      La question à trancher dans le présent appel, interjeté sous le régime de la procédure informelle, est celle de savoir si une camionnette munie d'une cabine allongée est, dans les circonstances de l'espèce, une automobile au sens de l'alinéa 6(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « LIR » ). Si elle l'est, l'appelante est tenue, par l'article 173 de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la « LTA » ), de verser la taxe sur les produits et services (TPS) sur le montant de l'avantage devant être ajouté au revenu de Michel Charest conformément à l'alinéa 6(1)e) de la LIR. Le terme « automobile » reçoit un sens élargi au paragraphe 248(1) de la LIR. C'est ce qui fonde la nouvelle cotisation établie pour l'appelante à l'égard de la TPS pour la période allant du 1er février 1997 au 31 octobre 2000.

[2]      Plusieurs des faits ne sont pas contestés. Michel Charest et sa femme sont les deux actionnaires de la société appelante. Monsieur Charest est son directeur général, et ses fonctions l'amènent à travailler principalement au siège social de la société, lequel se trouve au sous-sol de leur domicile à Beaumont, en Alberta. L'appelante possède deux postes d'essence, chacun doté d'un dépanneur qui est exploité conjointement avec le poste d'essence. L'un de ces postes d'essence se trouve à Spruce Grove (Alberta) et l'autre, à Leduc (Alberta). Leduc est à environ 15 minutes de route au sud de Beaumont; Spruce Grove est à environ 40 minutes à l'ouest. L'appelante fournit à M. Charest une camionnette à utiliser dans le cadre de son travail pour l'entreprise. Il a aussi le droit d'en faire une utilisation personnelle, ce qu'il fait effectivement.

[3]      Au début de l'audience de l'appel, les avocats des parties ont présenté certains faits convenus aux fins de l'instance. Tous les déplacements de M. Charest par camionnette du siège social à l'un ou l'autre des postes d'essence de la société constituent des déplacements aux fins de son emploi pour l'appelante. Monsieur Charest parcourt avec la camionnette 3 150 kilomètres par mois, dont 10 p. 100 correspond à des déplacements personnels qui n'ont rien à voir avec l'entreprise de l'appelante[1]. Le véhicule en question est une camionnette de marque GMC pourvue d'une caisse de six pieds et d'une couverture rigide pouvant être verrouillée. Ce véhicule est muni de ce qu'on appelle une cabine allongée, ce qui signifie qu'il comporte une banquette arrière en plus des sièges avant pour le conducteur et les passagers, lui permettant de transporter plus de trois personnes à la fois. L'appelante a acheté cette camionnette le 12 janvier 1998, et la fin de son exercice tombe le 31 janvier de chaque année.

[4]      La question à trancher consiste à savoir si, au cours de l'année d'imposition pendant laquelle elle a été achetée, l'utilisation faite de la camionnette était conforme à la définition suivante : « [...] la totalité, ou presque, de l'utilisation au cours de l'année d'imposition où ils sont acquis est pour le transport de marchandises, de matériel ou de passagers en vue de gagner un revenu » [2]. L'appelante avance également, à titre subsidiaire, que même si la camionnette est conforme à la définition d'une automobile, le montant de l'avantage imposable sur lequel est fondé le calcul de la TPS devrait être réduit, car l'appelante demandait à M. Charest d'utiliser la camionnette dans le cadre de son emploi, et la totalité, ou presque, de la distance parcourue par cette camionnette l'était dans le cadre de son emploi[3].

[5]      L'article 173 de la LTA prévoit le versement de la TPS relativement à certains avantages accordés aux salariés qui sont imposés en vertu de dispositions spécifiques de la LIR, notamment l'alinéa 6(1)e), qui prévoit l'imposition de frais pour droit d'usage relativement aux automobiles mises à la disposition de leurs employés par les employeurs. L'article 173 indique que l'employeur est réputé avoir perçu la TPS et l'oblige à la remettre au Receveur général. Les frais pour droit d'usage en vertu de l'alinéa 6(1)e) ne s'appliquent que si une automobile a été mise à la disposition d'un employé. Ils ne s'appliquent pas à une camionnette, sauf si celle-ci est visée par la définition élargie du terme « automobile » figurant au paragraphe 248(1) de la LIR :

« automobile »

Véhicule à moteur principalement conçu ou aménagé pour transporter des particuliers sur les routes et dans les rues et comptant au maximum neuf places assises, y compris celle du conducteur, à l'exclusion des véhicules suivants :

a)          les ambulances;

b)          les véhicules à moteur acquis principalement pour servir de taxi, les autobus utilisés dans une entreprise consistant à transporter des passagers et les fourgons funéraires utilisés dans une entreprise consistant à organiser des funérailles;

c)          sauf pour l'application de l'article 6, les véhicules à moteur acquis pour être vendus ou loués dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise de vente ou de location de véhicules à moteur et les véhicules à moteur utilisés pour le transport de passagers dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise consistant à organiser des funérailles;

d)          les véhicules à moteur de type pick-up ou fourgonnette ou d'un type analogue :

(i)          comptant au maximum trois places assises, y compris celle du conducteur, et qui, au cours de l'année d'imposition où ils sont acquis, servent principalement au transport de marchandises ou de matériel en vue de gagner un revenu,

(ii)         dont la totalité, ou presque, de l'utilisation au cours de l'année d'imposition où ils sont acquis est pour le transport de marchandises, de matériel ou de passagers en vue de gagner un revenu.

"automobile" means

(a)         a motor vehicle that is designed or adapted primarily to carry individuals on highways and streets and that has a seating capacity for not more than the driver and 8 passengers,

but does not include

(b)         an ambulance,

(c)         a motor vehicle acquired primarily for use as a taxi, a bus used in a business of transporting passengers or a hearse used in the course of a business of arranging or managing funerals,

(d)         except for the purposes of section 6, a motor vehicle acquired to be sold, rented or leased in the course of carrying on a business of selling, renting or leasing motor vehicles or a motor vehicle used for the purpose of transporting passengers in the course of carrying on a business of arranging or managing funerals, and

(e)         a motor vehicle of a type commonly called a van or pick-up truck or a similar vehicle

(i)          that has a seating capacity for not more than the driver and 2 passengers and that, in the taxation year in which it is acquired, is used primarily for the transportation of goods or equipment in the course of gaining or producing income, or

(ii)         the use of which, in the taxation year in which it is acquired, is all or substantially all for the transportation of goods, equipment or passengers in the course of gaining or producing income;

L'appelante invoque le sous-alinéa d)(ii) pour exclure la camionnette de la définition.

[6]      Même si cela peut paraître étrange, la question de savoir si cette camionnette était une automobile aux fins des deux lois dépend entièrement de son utilisation au cours de la période de vingt jours pendant laquelle l'appelante en était propriétaire en janvier 1998. Cette conséquence est le résultat de l'expression « au cours de l'année d'imposition où ils sont acquis » au sous-alinéa d)(ii) de la définition. Les deux avocats ont adopté cette position lors de l'audience, et je conviens que cela découle inévitablement du libellé de la Loi.

[7]      Que signifient les mots « la totalité, ou presque » ( « all or substantially all » )? Je souscris à l'argument de l'avocat de l'intimée selon lequel l'expression doit être lue dans son intégralité : « la totalité, ou presque » , à mon avis, veut dire plus que « presque la totalité » . De même, l'expression « all or substantially all » dans la version anglaise de la LIR évoque une utilisation tout juste moindre que l'utilisation totale. Maître Yaskowich a raison d'affirmer que le ministre du Revenu national utilise depuis des années le pourcentage de 90 p. 100 comme règle empirique lorsqu'il établit des cotisations. Ses fonctionnaires ont sans doute besoin d'une directive informelle afin de préserver une certaine uniformité. En outre, il est utile pour les contribuables et pour ceux qui les conseillent de pouvoir compter sur une certaine prévisibilité. Il n'en reste pas moins vrai que si le législateur avait voulu que la règle des 90 p. 100 soit utilisée, ou tout autre pourcentage déterminé, il l'aurait dit dans la loi au lieu d'utiliser ce qui est de toute évidence, comme l'a indiqué le juge Bowman dans l'affaire Ruhl c. La Reine,[4] des termes qui « se prêtent à diverses interprétations » . Le législateur voulait sans doute permettre une certaine souplesse afin d'éviter les situations iniques pouvant découler de légères déviations dans l'utilisation prévue d'un véhicule dans des circonstances imprévues si l'on ne permettait aucune exception à la règle selon laquelle « la totalité » ( « all » ) de l'utilisation doit être à des fins admissibles. Toutefois, à mon avis, le législateur voulait clairement que l'exception à l'alinéa d)(ii) prévoyant l'exclusion d'une camionnette à cabine allongée de la définition d'une automobile ne s'applique qu'aux véhicules acquis et utilisés en vue de leur utilisation à temps plein comme moyen de transporter des marchandises, du matériel ou des passagers, mais sous réserve de l'exception qu'une utilisation non admissible minime pendant l'année de l'acquisition n'aurait pas pour effet d'annuler l'exception pour le reste de la durée utile du véhicule. Je ne pense pas que cette interprétation de l'exception soit nécessairement incompatible avec l'approche adoptée par le juge Bowman (tel était alors son titre) dans l'affaire Ruhl. Quoique le juge Bowman ait déterminé que le camion avait été utilisé jusqu'à 20 p. 100 du temps sans qu'il y ait de marchandise ou de matériel à bord, le fondement de sa décision d'exclure le véhicule de la définition était que le motif de l'acquisition du camion, et l'utilisation qui en avait effectivement été faite, était le transport de marchandises et de matériel[5]. Il faut noter que, dans ce cas, le camion n'avait jamais été utilisé à des fins qui ne constituaient pas un aspect essentiel de l'exploitation de la ferme. Cette approche est également justifiée par la décision du juge Sobier dans l'affaire Myshak c. La Reine[6].

[8]      Monsieur Charest et les gérants des deux postes d'essence de l'appelante ont témoigné au procès. Selon le témoignage de M. Charest, il s'occupait normalement de ses tâches administratives le matin, dans son bureau au sous-sol de sa maison, et il parlait au téléphone tous les matins avec les gérants des postes d'essence. Au cours de ces conversations, ils lui ont souvent demandé d'acheter et de leur amener des articles d'inventaire spécifiques dont ils avaient besoin avant que leurs fournisseurs ordinaires ne livrent la commande suivante. Ces articles pouvaient être aussi bien de l'antigel que des croustilles, selon les besoins à ce moment-là, et ce pouvait être pour l'un des magasins ou les deux. Plus tard durant la journée, quand il visitait les postes d'essence, il allait à un ou plusieurs magasins ou fournisseurs afin d'acheter les articles demandés par les gérants, et il les amenait avec lui dans la camionnette au dépanneur qu'il visitait. Il a également témoigné que puisque le dépanneur de Leduc ne disposait que d'un espace d'entreposage très réduit, il entreposait des articles au magasin de Spruce Grove pour ensuite les emporter par camionnette à Leduc selon les besoins. D'après son témoignage, il n'avait pas d'horaire fixe pour ses différentes tâches quotidiennes, y compris ses visites aux postes d'essence. S'il était urgent pour lui de passer chercher et de livrer certains articles, il le faisait plus tôt que d'habitude. Il a dit à un moment donné qu'il transportait des articles d'inventaire du dépanneur de Spruce Grove au dépanneur de Leduc tous les jours; à un autre moment, il a dit qu'il lui arrivait de ne pas visiter le magasin de Spruce Grove pendant deux ou trois jours. Il travaillait six jours par semaine et un dimanche sur deux. Je suis convaincu par le témoignage de M. Charest qu'il se rendait aux deux postes d'essence la plupart des jours, et qu'il s'arrêtait la plupart des jours en chemin chez un ou plusieurs détaillants ou grossistes pour acheter un ou plusieurs articles qui manquaient aux dépanneurs et que les gérants lui avaient demandé d'amener avec lui lors de leur conversation téléphonique du matin. J'accepte également le témoignage de M. Charest selon lequel il gardait constamment un certain nombre de boîtes d'huile à l'arrière de sa camionnette.

[9]      Les gérants des deux postes d'essence, Mme Spinks et M. Lagacé, ont confirmé le témoignage de M. Charest, du moins dans la mesure de ce qu'ils pouvaient savoir, comme les conversations matinales par téléphone avec M. Charest et ses visites aux postes d'essence, le fait qu'il achetait des articles d'inventaire et les apportait à leur demande, ainsi que les transferts de stock de Spruce Grove à Leduc. Toutefois, ils n'avaient de connaissance personnelle que des activités de M. Charest qui les touchaient directement et que de son utilisation de la camionnette aux moments où il venait effectivement visiter les postes d'essence. Ils ne pouvaient témoigner au sujet des autres occasions où M. Charest utilisait la camionnette à des fins personnelles ou à des fins d'entreprise.

[10]     Monsieur Charest a admis qu'il avait utilisé la camionnette pour se rendre à des réunions et pour visiter d'autres magasins et postes d'essence afin de comparer leurs prix à ceux de l'appelante. Il ne pouvait donner de précisions sur ces utilisations, sauf pour dire qu'il rencontrait son comptable trois ou quatre fois par année, un représentant de la société pétrolière une fois par mois et les membres d'un groupement d'achat de temps à autre. D'après lui, les déplacements en vue de comparer les prix étaient généralement combinés à la visite d'un magasin ou d'un fournisseur afin d'acheter des articles, ou avaient lieu en chemin vers l'un des postes d'essence. Certaines de ces utilisations n'étaient certainement pas liées à l'achat ou au transport de marchandises ou de matériel, mais il est impossible d'en déterminer le nombre.

[11]     La pièce A-1 consiste en une liasse de reçus provenant des dossiers de l'appelante concernant différents achats effectués par M. Charest pour la société pendant la période allant du 12 janvier au 31 janvier 1998. La pièce A-2 consiste en un tableau faisant état de ces achats en fonction de leur date, de même que d'autres tableaux du même genre pour le reste de 1998. Ceux-ci montrent que M. Charest avait effectivement effectué des achats à différents magasins et fournisseurs pendant seize[7] jours sur les vingt en janvier 1998 où l'appelante était propriétaire de la camionnette, et avec une fréquence similaire pendant le reste de l'année. Bien entendu, ils ne permettent pas de savoir si M. Charest utilisait la camionnette à d'autres fins en janvier 1998 ou par la suite.

[12]     D'après ce que je comprends, le principal argument de l'appelante est que je devrais déduire de la lecture des pièces A-1 et A-2 que 85 p. 100 de l'utilisation de la camionnette par M. Charest à des fins d'entreprise en janvier 1998 visait le transport de marchandises, parce qu'il transportait des marchandises (y compris la paye) pendant dix-sept des vingt jours où l'appelante possédait le véhicule au cours de ce mois-là. Cela représente 85 p. 100 de 90 p. 100, soit 76,5 p. 100 de l'utilisation totale. Tout en plaidant que la détermination de ce qui constitue « la totalité ou presque » ne pourrait se cantonner à un exercice arithmétique, Me Yaskowich souligne le fait que, depuis longtemps, le ministre utilise le pourcentage de 90 p. 100 comme règle administrative à cette fin, et qu'à certains moments, la Cour a déterminé que même une proportion de 85 p. 100 suffisait à remplir cette exigence. Bien entendu, cette analyse est incertaine dans le meilleur des cas. Il semble probable que pendant l'une ou plusieurs des journées où aucune marchandise n'était achetée, la camionnette n'était pas utilisée du tout; il n'y a aucune preuve que M. Charest l'utilisait sept jours par semaine, quoiqu'il soit possible que ce soit le cas. Il n'y avait non plus aucune preuve claire que M. Charest n'utilisait jamais la camionnette à des fins d'entreprise autres que le transport de marchandises les jours où il est établi aux dossiers qu'il avait acheté des marchandises. D'après son témoignage, il est clair qu'il n'avait aucun souvenir spécifique lui permettant de témoigner à ce sujet. Il n'a pas choisi de tenir un journal de son utilisation de la camionnette afin d'y noter l'utilisation personnelle, l'utilisation commerciale liée au transport de marchandises, ou l'utilisation commerciale à d'autres fins. Lors de son témoignage, son avocat lui a demandé d'estimer la ventilation de l'utilisation du véhicule à des fins d'entreprise pour le transport de marchandises et pour d'autres fins, mais la question a été retirée sans réponse. Je ne trouve aucune preuve quant à l'utilisation de la camionnette en janvier 1998 qui me permettrait de dire avec certitude quelle proportion de cette utilisation concerne le transport de marchandises ou de matériel.

[13]     L'avocat a présenté des éléments de preuve concernant l'utilisation de la camionnette par M. Charest en général, m'invitant à en déduire qu'elle était utilisée la totalité du temps ou presque pour transporter des marchandises aux magasins de l'appelante, puis d'en déduire que cela devait être également le cas en janvier 1998. Toutefois, comme je l'ai dit, la preuve n'est pas certaine, et je ne suis pas convaincu de pouvoir en tirer une telle conclusion. L'avocat de l'intimée a prétendu que M. Charest n'était pas un témoin entièrement sincère. L'avocat de l'appelante a argumenté qu'on ne pouvait mettre en doute sa franchise et sa sincérité. D'après moi, il n'a pas témoigné de façon délibérément mensongère, mais une bonne partie de son témoignage était imprécis parce qu'il ne se souvenait tout simplement pas de tous les détails de ce qu'il avait fait au cours des années précédentes, et dans ces circonstances il a choisi de présenter sa preuve dans ce qu'il considérait être la lumière la plus favorable à la cause de l'appelante. Cette preuve n'est pas suffisamment certaine et je n'ai pas suffisamment confiance en elle pour en tirer des conclusions quant à la période pertinente de vingt jours en janvier 1998.

[14]     J'ai des observations à faire sur deux arguments avancés par l'avocat de l'appelante. La première, c'est que quand M. Charest quittait le siège social à son domicile, se rendait à un commerce afin d'acheter des articles d'inventaire pour ses magasins, puis allait à l'un de ceux-ci ou aux deux pour y déposer les marchandises, et qu'il rencontrait également les gérants et inspectait les magasins, le trajet tout entier devrait être considéré comme ayant pour objectif de transporter des marchandises. Il en serait également ainsi s'il allait acheter des fournitures pour les magasins et en profitait pour passer devant d'autres postes d'essence ou pour visiter d'autres magasins afin de vérifier leurs prix, ou s'il allait à une réunion et en profitait pour passer prendre des marchandises qu'il livrait subséquemment aux magasins. De ce point de vue, d'après l'avocat de l'appelante, la quasi-totalité des déplacements effectués à bord de la camionnette à des fins d'entreprise mettait en jeu le transport de marchandises et visait donc cette fin. Même si j'accepte cet argument à titre d'hypothèse, je ne pense pas que la preuve de l'appelante permette de conclure que M. Charest n'ait effectué que l'utilisation non admissible minime permise par l'exception à l'alinéa d)(ii). À mon avis, il serait très rare qu'un employé qui utilise beaucoup un véhicule à des fins personnelles puisse prouver que la totalité ou presque de l'utilisation de ce véhicule visait le transport de marchandises, de matériel ou de passagers.

[15]     La deuxième observation concerne les boîtes d'huile que M. Charest conserverait en tout temps à l'arrière de la camionnette. Son témoignage m'a permis de comprendre qu'il manquait d'espace de rangement, surtout au magasin de Leduc. Il était donc utile d'avoir plusieurs boîtes d'huile à l'arrière du véhicule à tout moment afin que si l'un des magasins en avait soudainement besoin, il pourrait l'approvisionner directement. Maître Yaskowich a plaidé qu'on pouvait considérer cela comme du transport de marchandises, ce qui fait que la camionnette était constamment utilisée à cette fin, puisqu'on y transportait toujours des boîtes d'huile. Le juge Sobier a rejeté un argument similaire dans l'affaire Myshak[8], où l'on avait plaidé que puisque l'appelant avait toujours à l'arrière de son véhicule un cric et d'autres pièces de matériel de secours, celui-ci servait constamment au transport de matériel. Dans ce cas, comme dans celui-ci, il ne s'agissait pas de transporter des marchandises et du matériel, mais de les entreposer. Si l'on décidait que cette utilisation est conforme à la définition donnée dans la loi, cela reviendrait à battre en brèche l'objectif évident de la disposition. J'estime que l'appelante n'a pas réussi à me convaincre que les faits sont de nature à rendre ce véhicule conforme à l'exception prévue au sous-alinéa d)(ii) de la définition. Il s'agit donc d'une automobile aux fins de l'alinéa 6(1)e) de la LIR.

[16]     J'en viens à l'argument subsidiaire avancé par Me Yaskowich. Le paragraphe 6(2) de la LIR prévoit une réduction des frais pour droit d'usage d'une automobile si deux conditions sont remplies. L'une est que l'employeur exige de l'employé qu'il utilise l'automobile dans l'accomplissement de ses fonctions. L'intimée n'a pas nié cela. La deuxième condition est que « la totalité, ou presque » de la distance parcourue par l'automobile soit parcourue dans l'accomplissement de ces fonctions. Étant donné que la TPS est fondée sur l'avantage défini et inclus dans le revenu de M. Charest en vertu des paragraphes 6(1) et 6(2) de la LIR, la période pertinente pour le calcul est son année d'imposition, qui coïncide avec l'année civile. La cotisation de TPS de l'appelante couvre la période du 1er février 1997 au 31 octobre 2000. Compte tenu de l'entente concernant les déplacements à des fins d'entreprise et à des fins personnelles que j'ai mentionnée, de l'utilisation par le ministre du pourcentage bien connu de 90 p. 100 aux fins du paragraphe 6(2) et du fait que l'avocat du ministre ne s'est pas opposé à l'argument subsidiaire dans ses observations écrites, une nouvelle cotisation devrait être établie pour l'appelante en tenant compte du fait que l'avantage lié au droit d'usage du véhicule devrait être réduit conformément au paragraphe 6(2). L'appel est
accueilli dans cette mesure uniquement. À mon avis, l'adjudication de dépens n'est pas justifiée en l'espèce.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27ejour de mars 2003.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de février 2005.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           Les avocats n'ont pas établi de lien entre ce fait et une période spécifique, aussi je présume qu'il s'agit d'une moyenne s'appliquant à janvier 1998 (au prorata) ainsi qu'à la période plus longue pendant laquelle l'appelante était propriétaire de la camionnette.

[2]              Voir le sous-alinéa d)(ii) de la définition du terme « automobile » au paragraphe 248(1) de la LIR, citée au paragraphe 5 des présents motifs.

[3]           Voir le paragraphe 6(2) de la LIR .

[4]           C.C.I., no 96-3597(GST)I, 25 novembre 1997, [1997] ACI no 1365.

[5]           Ibid.

[6]           C.C.I., no 96-3849(GST)I, 21 août 1997, [1997] ACI no 797, au paragraphe 19.

[7]           Je ne tiens pas compte du 26 janvier, date à laquelle le seul déplacement indiqué comporte la mention « paye » , ce qui, je présume, signifierait qu'on est passé prendre la paye pour la distribuer aux postes d'essence : j'estime que la paye n'est ni de la marchandise, ni du matériel.

[8]           Précitée.

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