Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2003CCI40

Date : 20030211

Dossier : 2002-1614(IT)I

ENTRE :

JACQUELINE MOTKOSKI,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement à l'audience à

Edmonton (Alberta) le 7 janvier 2003.)

Le juge Miller

[1]      Jacqueline Motkoski a interjeté appel contre la cotisation établie à l'égard de son année d'imposition 2000. Elle l'a fait sous le régime de la procédure informelle. Elle a déduit à titre de frais médicaux en vertu de l'alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu un montant de 8 179 $ relativement à l'installation de planchers de bois franc. La Couronne a refusé la déduction parce qu'il ne s'agirait pas de frais médicaux admissibles suivant ledit alinéa.

[2]      Madame Motkoski a témoigné que son fils de quatre ans, Lucas, avait eu de nombreuses otites en 2000. On a diagnostiqué chez lui des allergies et de l'asthme graves. Une lettre du médecin de Lucas le décrit comme une personne hautement allergique et asthmatique. Mme Motkoski était également préoccupée par le développement du langage chez Lucas et l'a fait examiner par un orthophoniste, qui a décelé un léger retard dans l'emploi du vocabulaire par l'enfant. Le docteur Carr, le médecin de Mme Motkoski, a fait plusieurs recommandations à M. et Mme Motkoski, notamment celles d'éloigner leurs animaux de compagnie et d'éliminer leurs tapis. Ils ont suivi tous les conseils du médecin et ont remplacé des tapis relativement neufs par des planchers en bois franc, recouvert leurs meubles et déménagé leurs animaux de compagnie. Ils ont également acheté un filtre à haute efficacité et un déshumidificateur. L'installation des planchers en bois franc a coûté 8 179 $, et ce coût n'est pas contesté.

[3]      Mme Motkoski a indiqué qu'il serait difficile pour Lucas de participer à des activités normales s'il ne prenait pas des médicaments et s'il ne vivait pas dans un environnement sain. Il est capable de se déplacer et il interagit avec d'autres enfants.

[4]      M. et Mme Motkoski ont brièvement évoqué la possibilité que l'installation de planchers de bois franc puisse tomber dans le champ d'application de l'alinéa 118.2(2)m) de la Loi, mais ils n'ont pas insisté, et avec raison. Des rénovations ne sauraient être considérées comme un dispositif ou un équipement au sens de cet alinéa. En fait, c'est essentiellement sur l'alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi que M. et Mme Motkoski fondent leur position, et je vais lire un extrait de cet alinéa.

[...] pour les frais raisonnables afférents à des rénovations ou transformations apportées à l'habitation du particulier, de son époux ou conjoint de fait ou d'une personne à charge visée à l'alinéa a) - ne jouissant pas d'un développement physique normal ou ayant un handicap moteur grave et prolongé - pour lui permettre d'avoir accès à son habitation, de s'y déplacer ou d'y accomplir les tâches de la vie quotidienne; [...]

[5]      Donc, il existe quatre critères à remplir pour que les frais relatifs aux planchers de bois franc soient considérés comme des frais médicaux admissibles. Premièrement, les frais doivent être raisonnables. Deuxièmement, les frais doivent concerner des rénovations ou des transformations apportées à une habitation. Troisièmement, l'habitation doit être le logement de quelqu'un qui (a) soit ne jouit pas d'un développement physique normal, (b) soit a un handicap moteur grave et prolongé. Quatrièmement, les frais doivent avoir été engagés pour permettre au patient d'avoir accès à son habitation ou de s'y déplacer ou y accomplir les tâches de la vie quotidienne.

[6]      Il n'est pas contesté que les frais en cause se rapportent à des rénovations. La Couronne soutient cependant que les trois autres critères n'ont pas été remplis par l'appelante. Premièrement, le patient, Lucas, n'est pas une personne qui ne jouit pas d'un développement physique normal et il n'a pas un handicap moteur grave et prolongé. Deuxièmement, les rénovations n'ont pas permis à Lucas d'accomplir les tâches de la vie quotidienne, mais ont tout simplement accru son bien-être. Troisièmement, les frais n'étaient pas raisonnables, puisqu'une autre solution, comme la pose de linoléum, aurait coûté bien moins cher.

[7]      L'appelante prétend avoir satisfait aux trois critères. En ce qui concerne le premier critère, elle invoque la décision du juge Hershfield dans l'affaire Russell c. Canada[1] pour soutenir qu'une personne asthmatique peut être considérée comme ne jouissant pas d'un développement physique normal. Dans les mots du juge Hershfield, qui parlait d'un enfant atteint d'asthme[2] :

Le système respiratoire de Michael n'a pas atteint le niveau de maturité nécessaire. Michael est incapable de mener des activités normales en raison d'une imperfection physique.

À l'égard du deuxième critère, l'appelante affirme que le milieu créé par elle et son mari a manifestement aidé Lucas à mener des activités normales. Pour ce qui est du troisième critère, elle soutient que les frais étaient raisonnables, car il ne serait pas raisonnable d'exiger que la superficie totale du rez-de-chaussée soit couverte de linoléum.

[8]      La Couronne a également traité de la question du handicap grave et prolongé, faisant valoir que ce n'est pas de cela qu'il s'agit dans le cas de Lucas et qu'en outre, ce dont il était question n'était pas de lui donner de la mobilité. J'en conviens. Ce n'est pas le cas que Lucas souffrait d'un handicap moteur grave et prolongé. En l'espèce, il s'agit plutôt de savoir si, en premier lieu, un enfant atteint d'asthme grave ne jouit pas d'un développement physique normal, et en deuxième lieu, si les rénovations ont permis à Lucas d'accomplir chez lui les tâches de la vie quotidienne.

[9]      Commençant donc par la question du développement physique normal, je souscris à l'observation suivante du juge Hershfield dans l'affaire Russell[3]:

Je n'ai pu trouver aucune définition médicale ou juridique de l'expression « développement physique normal » . On peut dire à mon avis que le sens qu'on souhaitait donner à cette expression n'est pas défini avec certitude, tant sur le plan juridique que sur le plan médical, et que, par conséquent, il y a lieu de lui donner un sens large et libéral fondé sur l'usage courant que l'on fait des termes qui forment l'expression et sur le sens qu'on lui prête habituellement.

Ce commentaire concorde avec la ligne directrice, à laquelle s'est référé le juge Hershfield, donnée dans l'affaire Coté c. Canada[4], à savoir[5] :

[...] Bien qu'il y ait des dispositions précisant ce que sont des frais médicaux, la Cour est tenue d'interpréter cette loi de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[10]     Alors, de ce large point de vue, est-il possible de conclure que Lucas ne jouissait pas d'un développement physique normal? Je n'ai pas de preuve médicale sur la question de savoir si l'asthme grave empêche un développement physique normal. Par contre, j'ai de l'information fournie par M. et Mme Motkoski et provenant d'un groupe d'organismes, dont l'Association pulmonaire canadienne, où l'on trouve l'énoncé suivant :

          [TRADUCTION]

         

[...] les asthmatiques ont une affection chronique dans laquelle les muqueuses des voies aériennes des poumons deviennent enflammées et hypersensibles à certains déclencheurs.

Pour le non-spécialiste en médecine, cela ressemble certainement à un problème physique. Il semble qu'on ignore pourquoi certains enfants sont plus gravement atteints de cette affection que d'autres, du moins c'est ce qui ressort de la documentation qui m'a été présentée. Toutefois, exprimant les choses dans des termes de non-spécialiste en médecine, je suis disposé à convenir que les voies aériennes de l'enfant très asthmatique se sont développées de façon différente de celles d'un enfant non asthmatique. Puisque c'est une affection chronique, il doit y avoir quelque chose de toujours présent dans les voies aériennes des poumons qui fait que les poumons sont constamment agressés. De là à conclure que cet état de choses a un effet sur le développement des voies aériennes des poumons il n'y a pas bien loin. Je n'ai pas besoin d'un expert en médecine pour définir de façon plus précise l'expression « développement physique normal » . Je conclus que Lucas, à titre d'enfant atteint d'asthme grave, ne jouit pas d'un développement physique normal parce que ses poumons ne fonctionnent pas comme ils le devraient, et ce, de façon chronique.

[11]     Pour l'application du deuxième critère, il s'agit d'examiner si la rénovation visait simplement le bien-être de Lucas ou si elle lui a vraiment permis d'accomplir les tâches de la vie quotidienne chez lui. L'intimée a cité certaines décisions portant sur des bains à remous pour appuyer son argument selon lequel une amélioration du bien-être n'est pas suffisante. Dans ces causes-là, toutefois, il était davantage question de la mobilité que de l'accomplissement des tâches quotidiennes. Cette dernière expression, dans le contexte de l'affaire qui nous occupe, désigne le fait d'avoir les activités d'un enfant normal de deux ou trois ans. D'après la description de Lucas que nous a donnée Mme Motkoski, je suis convaincu que son milieu et ses médicaments sont essentiels pour qu'il ait des activités normales.

[12]     Or, il est impossible de déterminer ce qui a le plus contribué à sa capacité d'avoir des activités normales, mais j'estime qu'il n'est pas nécessaire de le faire. Lucas a, autant que faire se peut, les activités d'un enfant non asthmatique, en partie grâce au milieu que ses parents ont créé pour lui. Par conséquent, il est satisfait au deuxième critère.

[13]     Alors, les dépenses sont-elles raisonnables? Si une partie quelconque de la somme de 8 179 $ se rapporte au revernissage de planchers de bois franc et non à l'installation de planchers neufs, les frais de revernissage devraient être exclus parce qu'ils ne sont pas raisonnables. La Couronne a soutenu que le linoléum, bien moins coûteux, aurait pu aussi faire l'affaire. Toutefois, on peut présumer que personne ne voudrait couvrir tout son rez-de-chaussée de linoléum. Il est raisonnable que M. et Mme Motkoski aient voulu des planchers qui soient non seulement sans danger pour Lucas, mais également agréables sur le plan esthétique. Mais même si ce qu'ils ont fait est raisonnable de ce point de vue, le caractère raisonnable ne devrait se rapporter qu'à l'avantage médical recherché comme but des rénovations, non à l'aspect esthétique. Cela ne signifie pas que la notion de frais raisonnables implique forcément le recours à la solution la plus économique. Il faut trouver un certain équilibre entre les frais médicaux raisonnables et les dépenses pour l'amélioration de la maison.

[14]     Les frais ont été engagés dans l'intérêt de Lucas, mais il aurait également été possible d'installer dans son intérêt du parquet mosaïque ou du linoléum. Un certain arbitraire est inévitable dans la détermination du caractère raisonnable des frais médicaux pour l'installation de planchers de bois franc. Je pense qu'il faut considérer l'éventail des revêtements de plancher qui pourraient convenir à des fins médicales et déterminer une dépense moyenne raisonnable. Toute dépense supérieure à cette moyenne représente plus une dépense pour l'amélioration de la maison que des frais médicaux.

[15]     La seule preuve qui m'ait été présentée à cet égard est l'affirmation de la Couronne selon laquelle le coût du linoléum aurait été entre le tiers et la moitié de celui du bois franc. M. et Mme Motkoski ont dit que l'estimation d'un tiers du coût du bois franc était trop basse. Je dirais donc qu'un autre revêtement de plancher aurait coûté environ la moitié moins cher que le bois franc, et par conséquent, en faisant la moyenne entre le coût du bois franc et celui d'un autre revêtement, on obtient une dépense raisonnable de 75 pour cent du coût du bois franc, soit environ 6 000 $, et c'est ce que je reconnais comme déductible à titre de frais médicaux.

[16]     Je veux établir clairement que cette interprétation large de l'alinéa 118.2(2)l.2) n'est pas une porte ouverte pour l'industrie de la rénovation résidentielle, mais qu'elle est fondée sur certains faits clés qui se présentent en l'espèce. Premièrement, le patient, ici Lucas, est atteint d'asthme grave. Deuxièmement, un médecin a fortement recommandé les rénovations, entre autres recommandations. Troisièmement, l'appelante a suivi toutes les recommandations du médecin. Quatrièmement, l'appelante l'a fait dès que l'affection de son fils a été diagnostiquée. Elle n'a pas tardé.

[17]     L'appel est accueilli et la cotisation est déférée au ministre pour nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelante a le droit de déduire en vertu de l'alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu des frais médicaux de 6 000 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11ejour de février 2003.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de février 2005.

Erich Klein, réviseur



[1]           [2001] ACI no 442.

[2]           Ibid., au paragraphe 25.

[3]           Ibid., au paragraphe 24.

[4]           [1996] A.C.I. no 1497, [1997] 3 C.T.C. 2607.

[5]           Ibid., au paragraphe 26.

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