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Dossier : 2004‑2931(EI)

ENTRE :

DAWN LOCKE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu à Calgary (Alberta), le 22 novembre 2004.

 

Devant : L’honorable D.W. Rowe, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocate de l’intimé :

Me Galina Bining

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 31e jour de janvier 2005.

 

 

 

« D.W. Rowe »

Juge Rowe

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2006.

 

Christian Laroche, LL.B.

 


 

 

 

Référence : 2005CCI86

Date : 20050131

Dossier : 2004‑2931(EI)

ENTRE :

DAWN LOCKE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Rowe

 

[1]     L’appelante (« Mme Locke ») interjette appel d’une décision par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a conclu, le 6 avril 2004, que l’emploi qu’elle avait exercé auprès de Top Notch Diesel Ltd. (le « payeur » ou « Diesel ») du 2 janvier au 31 août 2003 n’était pas un emploi assurable, conformément aux dispositions pertinentes de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »), parce que Mme Locke et le payeur étaient des personnes liées et qu’il n’était pas convaincu que le contrat de travail aurait été à peu près semblable si le payeur et l’appelante n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[2]     Mme Locke a témoigné qu’elle souscrivait à certaines hypothèses de fait énoncées comme suit au paragraphe 7 de la réponse à l’avis d’appel (la « réponse ») :

 

          [traduction]

a)                  Remy Caron contrôle la totalité des actions avec droit de vote du payeur;

 

b)                  Remy Caron est le conjoint de fait de l’appelante au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée (la « Loi »);

 

c)                  l’appelante et le payeur sont des personnes liées entre elles au sens de la Loi;

 

d)                  le payeur exploite un service mobile de mécanicien de machinerie lourde;

 

e)                  Remy Caron exécute les tâches de mécanicien de machinerie lourde pour le payeur;

 

f)                    pendant la période pertinente, l’appelante était employée en vertu d’un contrat de louage de services conclu avec le payeur;

 

h)         l’appelante consacrait à peu près 35 p. 100 de son temps à la tenue de livres, 60 p. 100 de son temps à l’élaboration du logo et des cartes d’affaires de la personne morale et 5 p. 100 de son temps à des opérations bancaires et à faire des courses pour aller chercher des pièces;

 

i)                    l’appelante touchait un salaire fixe mensuel de 2 079 $, indépendamment du nombre réel d’heures travaillées;

 

j)          Remy Caron et l’appelante avaient décidé que celle‑ci travaillerait de midi à 17 h et de 20 h à minuit, du lundi au vendredi, soit environ 45 heures par semaine;

 

l)          l’horaire de travail de l’appelante était flexible et les heures étaient basées sur les besoins et la disponibilité de Remy Caron et de l’appelante;

 

m)        les heures et les journées de travail de l’appelante n’étaient pas consignées par écrit;

 

o)         l’appelante utilisait son propre véhicule lorsqu’elle allait chercher des pièces pour le payeur;

 

p)         l’appelante ne recevait pas d’indemnité de parcours et elle n’était pas dédommagée à l’égard de l’utilisation de son véhicule;

 

u)         l’appelante avait déjà travaillé pour le payeur pendant la période allant du 19 août au 24 novembre 2001 (ci‑après appelée la « première période d’emploi »);

 

v)                  pendant la première période d’emploi, l’appelante avait été embauchée par le payeur pour s’occuper de la tenue de livres et pour aller chercher des pièces;

 

w)                l’appelante avait fait des études en biologie;

 

x)                  l’appelante n’avait pas d’expérience en matière de tenue de livres;

 

z)         l’appelante avait été rémunérée au taux horaire de dix dollars pendant la première période d’emploi.

 

[3]     Le ministre a énuméré les tâches de l’appelante comme suit à l’alinéa 7g) : elle allait parfois chercher des pièces; elle s’occupait de la tenue de livres, des opérations bancaires, de l’élaboration du logo et des cartes d’affaires de la société. L’appelante a déclaré qu’elle n’avait rien à redire à cet énoncé sauf qu’elle voulait souligner que sa principale tâche consistait à élaborer pour Diesel un logo approprié qui pouvait être utilisé non seulement pour les cartes d’affaires, le papier à en‑tête et les factures, mais également pour l’annonce publicitaire figurant sur la fourgonnette de la société. Mme Locke a déclaré qu’étant donné que Remy Caron (« M. Caron ») était l’unique propriétaire de Diesel et qu’il faisait lui‑même tout le travail mécanique, il avait quelques clients principaux qui lui assuraient la majorité de son revenu, mais qu’il répondait aussi aux appels de gens qui avaient recours à son service mobile pour réparer un véhicule. Mme Locke a déclaré qu’un local à louer a été trouvé au mois de juillet 2003 pour les travaux exécutés à cet endroit, mais que jusqu’alors, la fourgonnette était le seul endroit où M. Caron effectuait son travail. Le téléphone cellulaire de M. Caron était le premier point de contact avec les clients et les appels reçus au bureau de Diesel, situé au sous‑sol de la résidence Locke‑Caron, étaient acheminés vers le téléphone cellulaire. Mme Locke n’avait donc pas à répondre aux appels des clients. Le numéro de téléphone du bureau à domicile était également utilisé pour le télécopieur et pour la connexion Internet. Mme Locke a déclaré que son salaire mensuel de 2 079 $ était basé sur un taux horaire de 12 $ pour une semaine de 40 heures. Le fils de l’appelante est né au mois de décembre 2001 et l’appelante a embauché une voisine pour s’occuper du bébé dans sa résidence située juste à côté de chez elle, de 14 h à 17 h, pendant qu’elle travaillait dans le bureau situé au sous‑sol. Mme Locke a déclaré que le soir, M. Caron était à la maison et qu’il s’occupait de l’enfant si elle avait du travail à faire. Pendant la période pertinente, Mme Locke et M. Caron vivaient à Calgary, en Alberta, près de divers fournisseurs de pièces, et M. Caron s’occupait de réparer des camions, des pelles rétrocaveuses et d’autres types de matériel, en général dotés d’un moteur diesel. L’appelante a déclaré qu’ils résidaient dans un bungalow, qui comportait une entrée arrière, que le plancher du sous‑sol était revêtu d’une moquette, que le sous‑sol était isolé et que l’aire occupée par le bureau était dotée d’un bureau, d’un ordinateur, d’une imprimante, d’un scanneur, d’un télécopieur, d’un téléphone, de classeurs ainsi que des fournitures de bureau habituelles. Les clients n’allaient pas à ce bureau. Mme Locke avait préparé un croquis, pièce A‑1, de l’aire de travail; elle ne souscrivait pas à l’hypothèse du ministre, énoncée à l’alinéa 7t) de la réponse, selon laquelle la pièce était simplement [traduction] « un grand espace ouvert sans cloisons ». Mme Locke a déclaré qu’elle n’avait pas simplement assuré elle‑même sa formation, contrairement à l’hypothèse émise par le ministre à l’alinéa 7y) de la réponse, mais qu’elle avait suivi un cours de 20 heures donné par une société afin d’apprendre à utiliser le logiciel Quickbooks en vue de s’acquitter de ses fonctions de tenue de livres et de comptabilité pour Diesel. Son certificat de fin d’études a été produit sous la cote A‑2. Mme Locke a déclaré être habituée à utiliser un ordinateur à d’autres fins, qu’elle en avait notamment utilisé un lorsqu’elle avait étudié la biologie à l’université Malaspina, à Nanaïmo, en Colombie‑Britannique, en l’an 2000 et qu’elle trouvait que le logiciel Quickbooks était convivial. Mme Locke a convenu qu’elle ne possédait pas d’expérience dans le domaine du graphisme lorsque le payeur l’avait embauchée pour la période pertinente, mais elle a affirmé avoir travaillé pour une organisation multimédias à titre bénévole afin d’acquérir certaines connaissances dans ce domaine. En outre, pendant qu’elle fréquentait l’université, elle avait créé ses propres graphiques, au besoin, pour ses propres projets de recherche. Quant aux hypothèses que le ministre a émises au sujet de l’aspect « graphisme » de l’emploi et de la prestation de services de tenue de livres, Mme Locke a déclaré souscrire aux hypothèses additionnelles suivantes, énoncées au paragraphe 7 de la réponse :

 

[traduction]

bb)       le payeur avait obtenu des soumissions pour l’élaboration du logo, le montant demandé variant de 3 000 à 4 000 $;

 

cc)       étant donné que Remy Caron s’acquittait de ses tâches de mécanicien de machinerie lourde ailleurs qu’à la maison et au bureau, l’appelante n’était pas supervisée dans l’exécution de ses tâches;

 

dd)       les lettres que l’ADRC avait reçues du payeur ne comportaient aucun logo;

 

ee)       le payeur n’a pas remplacé l’appelante lorsqu’elle a cessé de travailler pour lui après la première période d’emploi et après la période en question;

 

ff)         le ou vers le 1er septembre 2003, le payeur a retenu les services de US Multiservices Ltd. pour s’occuper de la tenue de livres sur une base régulière;

 

gg)       le payeur versait à US Multiservices Ltd. un montant mensuel de 1 605 $ pour ses services;

 

hh)       avant le 31 août 2003, US Multiservices Ltd. avait envoyé au payeur, pour ses services, une facture de 1 070 $ le 13 juin 2002 et une facture de 384,20 $ le 31 août 2003;

 

ii)         Remy Caron pouvait être appelé au travail à 3 h ou il pouvait travailler jusqu’à minuit, étant donné que l’entreprise du payeur n’était pas exploitée à des heures fixes puisqu’elle était toujours « en disponibilité »;

 

jj)         les clients du payeur n’allaient pas au bureau du payeur;

 

kk)       l’appelante pouvait s’occuper de son enfant pendant les heures de travail lorsque celui‑ci était malade;

 

ll)         l’appelante pouvait reprendre par la suite le temps qu’elle avait passé à s’occuper de son enfant;

 

mm)     le payeur avait loué un atelier du mois de juillet 2003 au mois de janvier 2004 afin de pouvoir exécuter des travaux plus importants et s’occuper de l’inspection de véhicules;

 

nn)       l’entreprise du payeur fonctionne au ralenti pendant l’hiver;

 

pp)      l’entreprise du payeur a utilisé le numéro de téléphone de la résidence jusqu’au mois de février 2004 et le numéro de téléphone a alors été annulé;

 

qq)       Remy Caron était l’unique signataire autorisé à l’égard du compte bancaire de l’entreprise du payeur;

 

[4]     L’appelante affirme avoir passé environ 35 p. 100 de son temps à la tenue de livres; si ce pourcentage était appliqué à son salaire mensuel total, de 2 079 $, elle touchait donc à peu près 730 $ pour cet aspect de son emploi, alors que US Multiservices Ltd. (« Multiservices ») exigeait de Diesel un montant mensuel de 1 605 $, après le 1er septembre 2003, pour s’occuper de la tenue de livres sur une base régulière. Mme Locke a déclaré qu’en 2003, le chiffre d’affaires de Diesel avait énormément augmenté comparativement à l’année antérieure et que le travail de tenue de livres était donc plus important et prenait plus de temps, même si les déclarations relatives à la taxe sur les produits et services (la « TPS ») et les déclarations de revenus de l’entreprise étaient produites par le service de comptabilité, qui demandait 25 $ l’heure. L’appelante a produit deux notes de téléphone, les pièces A‑3 et A‑4, afin de démontrer que le compte, pièce A‑3, se rapportait au numéro d’affaires du bureau, au nom de Remy Caron, plutôt qu’au numéro de la résidence, qui commençait par 235 au lieu de 248, et que la pièce A‑4 avait été établie par la division des téléphones mobiles de Telus à l’égard d’un compte de téléphone cellulaire au nom de Diesel. Au mois de février 2004, le numéro de téléphone de l’entreprise, dans la résidence Locke‑Caron, a été annulé lorsque Diesel a mis fin à ses activités. L’appelante a déclaré que même si Diesel avait loué un local commercial au mois de juillet 2003, ce local était utilisé pour l’exécution des travaux mécaniques et que le bureau situé au sous‑sol de la résidence avait continué à être utilisé comme auparavant. En ce qui concerne le fait que Mme Locke pouvait s’occuper de son enfant tout en continuant à travailler, Mme Locke a convenu que cela était arrivé une fois, pour une période de deux jours, lorsque son fils avait eu la grippe, mais qu’habituellement, la voisine s’occupait de l’enfant pendant l’après‑midi. L’appelante a déclaré avoir travaillé comme serveuse et comme chercheuse adjointe à l’université de Calgary, ainsi que dans le domaine de la vente au détail, dans des cliniques de vétérinaires et comme manoeuvre au zoo de Calgary. Elle a déclaré s’être portée candidate à onze emplois en vue de tenter d’utiliser son diplôme de biologie, mais elle n’avait pas réussi à obtenir un emploi parce que presque tous les projets devaient être financés par le gouvernement et que le niveau approprié de soutien financier n’avait pas été fourni. L’appelante a déclaré que, pendant sa carrière, elle avait eu de nombreux emplois qui n’exigeaient pas de supervision, notamment lorsqu’elle effectuait des recherches alimentaires et qu’elle avait uniquement été obligée de faire rapport tous les trois mois, ou lorsqu’on lui avait assigné la tâche d’ouvrir et de fermer des points de vente au détail.

 

[5]     L’appelante, Dawn Locke, a été contre‑interrogée par l’avocate de l’intimé. Mme Locke a déclaré que ses tâches, dans une proportion de 60 p. 100, se rapportaient à l’élaboration d’un logo pour Diesel, notamment pour les cartes d’affaires. Elle estime qu’un montant d’environ 9 600 $ sur le salaire total gagné chez Diesel pendant la période pertinente était attribuable à cette tâche. Auparavant, elle avait obtenu un devis de 4 000 $ d’une entreprise de conception, ce montant s’appliquant uniquement au travail de production d’un dessin, mais ne comprenant pas l’impression ou l’installation du programme approprié dans l’ordinateur du payeur. L’appelante a déclaré avoir suivi le cours Quickbooks pendant qu’elle travaillait pour un bureau de placement. L’appelante n’avait pas travaillé pour Diesel avant la première période d’emploi, allant du 19 août au 24 novembre 2001, et elle a déclaré qu’elle avait accumulé un nombre suffisant d’heures assurables lorsqu’elle avait exercé des emplois antérieurs pour être admissible aux prestations de maternité accordées dans le cadre de l’assurance‑emploi (l’« AE ») avant la naissance de son enfant, à la fin du mois de décembre 2001; par la suite, elle avait cessé de travailler à l’extérieur. L’appelante a reconnu que, pendant l’hiver, l’entreprise fonctionnait au ralenti et qu’elle touchait le même salaire mensuel pendant cette période. Mme Locke a déclaré que M. Caron était appelé environ deux fois l’an pour exécuter des travaux pendant la nuit et que le profil des clients de Diesel avait changé, de sorte que même si M. Caron fournissait ses services à un moins grand nombre de clients, les travaux duraient plus longtemps. Mme Locke a déclaré que le numéro de téléphone du bureau au sous‑sol était inscrit sur les cartes d’affaires de Diesel. La société avait réalisé des recettes brutes d’environ 95 000 $ en 2003. L’appelante a déclaré avoir préparé le relevé d’emploi (le « RE »), pièce R‑1, et que M. Caron l’avait signé. Après qu’il eut été mis fin à son emploi le 31 août 2003, l’appelante a présenté une demande en vue d’obtenir des prestations de maternité et Diesel a retenu les services d’un cabinet comptable pour s’occuper des écritures courantes.

 

[6]     L’appelante a soutenu qu’elle avait accompli le travail nécessaire au profit de Diesel et que si elle avait pu trouver un emploi de biologiste, il aurait fallu que M. Caron embauche quelqu’un pour accomplir ses tâches et qu’il aurait payé le même taux horaire raisonnable, 12 $, à cette personne pour une semaine de 40 heures.

 

[7]     L’avocate de l’intimé a soutenu que la rémunération dans son ensemble était excessive, compte tenu du travail effectué, que la société qui s’occupait de la tenue de livres préparait aussi les déclarations de revenus de Diesel et qu’elle s’occupait également des travaux réguliers d’écritures sur une base mensuelle. L’avocate a fait valoir que si l’on compare la situation professionnelle de l’appelante à celle d’un employé sans lien de dépendance, il n’est pas certain qu’un étranger aurait travaillé le soir au sous‑sol de la résidence de l’employeur et qu’il n’aurait pas eu l’horaire flexible dont bénéficiait l’appelante. En ce qui concerne les courses qui étaient faites pour Diesel, l’avocate a souligné que l’appelante n’était pas dédommagée des frais de déplacement et que l’organisation matérielle du bureau du payeur ne se prêtait pas à une activité commerciale employant un travailleur sur une base commerciale ordinaire.

 

[8]     La disposition pertinente de la Loi est l’alinéa 5(3)b), qui est rédigé comme suit :

 

(3)  Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

[...]

 

b)         l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[9]     Dans l’arrêt Adolfo Elia c. Canada (Ministre du Revenu national ‑ M.R.N.), [1998] A.C.F. no 316, de la Cour d’appel fédérale en date du 3 mars 1998, le juge Pratte a dit ce qui suit à la page 2 :

 

[…] Contrairement à ce qu’a pensé le juge, il n’est pas nécessaire, pour que le juge puisse exercer ce pouvoir, qu’il soit établi que la décision du Ministre était déraisonnable ou prise de mauvaise foi eu égard à la preuve que le Ministre avait devant lui. Ce qui est nécessaire, c’est que la preuve faite devant le juge établisse que le Ministre a agi de mauvaise foi, ou de façon arbitraire ou illégale, a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou n’a pas tenu compte des faits pertinents. Alors, le juge peut substituer sa décision à celle du Ministre.

 

[10]    Dans Légaré c. Canada (Ministre du Revenu national) – M..R.N.), [1999] A.C.F. no 878, un autre arrêt de la Cour d’appel fédérale, le juge Marceau a dit ce qui suit au nom de la Cour, à la page 2 :

 

            La Cour est ici saisie de deux demandes de contrôle judiciaire portées à l’encontre de deux jugements d’un juge de la Cour canadienne de l’impôt dans des affaires reliées l’une à l’autre et entendues sur preuve commune où se soulevaient une fois de plus les difficultés d’interprétation et d’application de cette disposition d’exception du sous‑alinéa 3(2)c)(ii). Une fois de plus, en effet, car plusieurs décisions de la Cour canadienne de l’impôt et plusieurs arrêts de cette Cour se sont déjà penchés sur le sens pratique à donner à ce sous‑alinéa 3(2)c)(ii) depuis son adoption en 1990. On voit tout de suite en lisant le texte les problèmes qu’il pose par delà la pauvreté de son libellé, problèmes qui ont trait principalement à la nature du rôle attribué au ministre, à la portée de sa détermination et, par ricochet, à l’étendue du pouvoir général de révision de la Cour canadienne de l’impôt dans le cadre d’un appel sous l’égide des articles 70 et suivants de la Loi.

 

            Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu’apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n’ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut‑être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

 

            La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L’expression utilisée introduit une sorte d’élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu’il s’agit sans doute d’un pouvoir dont l’exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n’est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l’impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n’est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c’est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

 

[11]    Quant à la rémunération versée à l’appelante, le montant de 12 $ l’heure n’est pas déraisonnable. Toutefois, il est évident que le ministre se préoccupait du temps qu’il fallait pour accomplir le travail disponible et du fait qu’aucun logo réalisable n’avait été produit par l’appelante pendant qu’elle exerçait son emploi. L’appelante a fourni au ministre une estimation selon laquelle elle passait environ 35 p. 100 de son temps à la tenue de livres et cette estimation avait été adoptée en tant qu’hypothèse de fait. Après que l’appelante eut pris son congé de maternité, le payeur a retenu les services d’une firme qui s’occupait de tenue de livres et de comptabilité, ce qui lui coûtait 1 605 $ par mois. Toutefois, avant le dernier jour d’emploi de l’appelante, le 31 août 2003, Multiservices avait présenté à Diesel pour ses services une facture au montant de 1 454,20 $ à l’égard de la période allant du 13 juin au 31 août 2003, même si l’appelante accomplissait encore sa part de travail de tenue de livres. Pendant la première période d’emploi, l’appelante gagnait dix dollars l’heure.

 

[12]    En ce qui concerne les modalités de l’emploi, la position du ministre était que l’appelante touchait un salaire mensuel même s’il y avait des périodes pendant lesquelles la charge de travail était faible. Le ministre a également tenu compte du fait que l’appelante pouvait travailler pendant la fin de semaine ou le soir, selon ses propres besoins et ceux de son conjoint, qui était l’unique propriétaire du payeur. Le ministre considérait le bureau situé au sous‑sol de la résidence Locke‑Caron comme un local se prêtant davantage à être utilisé comme local commercial complémentaire plutôt que comme principal bureau d’une entreprise. Le ministre a tenu compte du fait que l’appelante n’avait pas d’expérience dans le domaine du graphisme et qu’elle n’avait pas démontré que ses efforts avaient abouti à un produit fini. Le ministre a également supposé que le travail aurait pu être accompli à moindre coût par une firme professionnelle se spécialisant dans ce genre de travail. L’appelante a témoigné qu’elle connaissait l’utilisation de graphiques par suite de ses études universitaires et qu’elle avait acquis une certaine expérience dans ce domaine lorsqu’elle avait travaillé comme bénévole pour une société multimédias. Le ministre a également tenu compte du fait que l’appelante n’avait pas été remplacée lorsque sa première période d’emploi avait pris fin, le 24 novembre 2001, avant que son fils naisse le mois suivant. Le ministre a également tenu compte du fait que les clients de Diesel n’allaient pas au bureau à domicile et qu’un local pour l’atelier avait été loué au mois de juillet 2003 afin de permettre à la société d’exécuter de plus gros travaux et de s’occuper de l’inspection de véhicules. L’appelante a réfuté avec succès l’hypothèse selon laquelle le numéro de téléphone de la résidence Locke‑Caron était celui que le payeur avait utilisé jusqu’au mois de février 2004, en établissant qu’une autre ligne était utilisée dans le bureau situé au sous‑sol pour le téléphone, le télécopieur et la connexion Internet et qu’il y avait un téléphone cellulaire vers lequel les appels étaient acheminés depuis le bureau. L’appelante a témoigné qu’elle n’utilisait pas souvent son véhicule afin d’aller faire des courses pour Diesel et qu’elle estimait que le coût y afférent était inclus dans son salaire mensuel.

 

[13]    En ce qui concerne la durée, la nature et l’importance du travail accompli, le ministre a tenu compte du fait qu’avant de commencer à travailler pour Diesel pendant les deux périodes d’emploi, l’appelante avait été enceinte et que sa seule source de revenu depuis l’année 2001, indépendamment des prestations d’AE, provenait de Diesel. L’appelante a déclaré ne pas avoir su qu’elle était enceinte lorsqu’elle avait commencé à travailler pour Diesel le 2 janvier 2003 et que son bébé était né le 12 septembre, plus de huit mois plus tard. L’orientation générale de plusieurs des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé semblait avancer la position selon laquelle la nature du travail accompli se prêtait davantage à un emploi à temps partiel ou au recours à une entité indépendante comme Multiservices.

 

[14]    À coup sûr, de nombreuses entreprises emploient des travailleurs liés, comme elles peuvent à bon droit le faire, à condition que les circonstances de l’emploi satisfassent au critère imposé par l’alinéa 5(3)b) de la Loi. Le libellé de la version anglaise de cette disposition reconnaît que même si certaines personnes ont entre elles un lien de dépendance, elles peuvent traiter (deal) l’une avec l’autre dans le cadre de leur contrat de travail comme s’il n’y avait aucun lien de dépendance. La concordance n’a pas à être parfaite parce que les mots « à peu près semblable » sont employés pour modifier la nature du contrat de travail visé par l’analyse. Dans le cadre de l’analyse, on peut notamment se demander s’il est raisonnable de conclure que des étrangers auraient pris des dispositions semblables à celles qui ont été prises entre l’appelante et la société de son conjoint, eu égard aux circonstances établies par la preuve.

 

[15]    À mon avis, compte tenu de tous les faits pertinents, il n’est pas certain qu’une relation de travail semblable aurait existé à la suite de la conclusion d’un contrat de louage de services semblable avec un employé sans lien de dépendance. Il n’était pas déraisonnable de considérer le montant de la rémunération comme excessif par rapport à la charge de travail qui devait être accomplie ou qui était de fait accomplie pendant la période pertinente. La nature du travail accompli ne se prêtait pas particulièrement à une rémunération fondée sur un salaire fixe mensuel et aucune fiche de temps n’était établie pour indiquer le temps consacré à diverses tâches. Il n’est pas déraisonnable d’avoir de la difficulté à accepter que Diesel aurait versé à un employé sans lien de dépendance le même salaire mensuel, en fonction d’une semaine de 40 heures, sans que cette personne ait à rendre compte du temps passé à concevoir le logo et à fournir de temps en temps des rapports d’étape. Compte tenu de la preuve, les tâches de facturation des clients et de tenue de livres connexes ou les fonctions comptables n’étaient pas lourdes, étant donné que l’appelante utilisait le logiciel Quickbooks, que Diesel ne comptait pas beaucoup de clients en 2003 et que Multiservices préparait les déclarations de revenus nécessaires. Certaines des hypothèses sur lesquelles le ministre s’est fondé ont été réfutées ou modifiées ou encore des explications ont, dans une certaine mesure, été données, mais globalement, les hypothèses de base, lorsqu’elles sont considérées dans leur ensemble, continuent à être suffisamment intactes pour étayer la conclusion tirée par le ministre. Il ne m’incombe pas de substituer mon opinion à celle du ministre. J’ai analysé la preuve mise à ma disposition et je ne puis conclure que le ministre a agi de mauvaise foi, qu’il a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou que cette décision a été prise sans qu’il soit tenu dûment compte des faits pertinents. Je conclus que les faits sur lesquels le ministre s’est fondé ont été correctement appréciés et je conclus que la décision selon laquelle l’appelante n’exerçait pas auprès du payeur un emploi assurable était raisonnable. Malgré tout, je tiens à dire qu’à mon avis, l’appelante a toujours agi de bonne foi et qu’elle a supposé que l’emploi légitime qu’elle exerçait chez Diesel constituerait un emploi assurable au sens de la Loi.


[16]    La décision du ministre est confirmée et l’appel est rejeté.

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 31e jour de janvier 2005.

 

 

 

 

« D.W. Rowe »

Juge Rowe

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2006.

 

Christian Laroche, LL.B.


 

 

RÉFÉRENCE :

2005CCI86

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004‑2931(EI)

 

INTITULÉ :

Dawn Locke c. le M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 novembre 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable D.W. Rowe,

juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 31 janvier 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocate de l’intimé :

Me Galina Bining

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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