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Dossier : 2003-2796(EI)

ENTRE :

BARRIE MACHINE TOOL MANUFACTURING INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MIRCEA ANDREI URSU,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Barrie Machine Tool Manufacturing Inc. (2003-2797(CPP)) à Toronto (Ontario), le 17 février 2004.

Devant : L'honorable T. O'Connor

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

M. Michael Hough

Avocate de l'intimé :

Me Ruth Dick

Pour l'intervenant :

L'intervenant lui-même

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JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée conformément aux motifs de jugement ci-joints.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de juin 2004.

                « T. O'Connor »                

Juge O'Connor

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de janvier 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


Référence : 2004CCI467

Date : 20040629

Dossiers : 2003-2796(EI)

2003-2797(CPP)

ENTRE :

BARRIE MACHINE TOOL MANUFACTURING INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MIRCEA ANDREI URSU,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge O'Connor

[1]      Dans ces appels, il s'agit de savoir si, pendant la période allant du 27 mai au 20 novembre 2002, il existait un contrat de louage de services ou un contrat d'entrepreneur indépendant entre Barrie Machine Tool Manufacturing Inc. (le « payeur » ) et la société de personnes appelée Behr Solutions (le « travailleur » ). Dans le premier cas, le travailleur serait admissible à des prestations d'emploi au titre de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi (la LAE) et aux prestations du Régime de pensions du Canada en application de l'alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada (le « RPC » ).

[2]      La société de personnes était composée de l'intervenant, Mircea Andrei Ursu, et de sa femme. L'intervenant s'occupait des concepts du design et des designs complets pour divers clients. Sa femme était un bailleur de fonds.

[3]      Comme l'avocate de l'intimé l'a affirmé, la relation dans son ensemble doit être examinée compte tenu des critères bien connus du contrôle, de la propriété des instruments de travail, des chances de profit et risques de perte et de l'intégration (c'est-à-dire la question de savoir à qui appartenait l'entreprise) ainsi que de tout autre facteur pertinent.

[4]      Pour trancher la question, il ne suffit pas de substituer mon opinion à celle du ministre du Revenu national (le « ministre » ); il faut faire preuve d'une certaine retenue à l'égard de la décision du ministre. Les principes applicables ont été élaborés par la Cour fédérale du Canada dans les arrêts ci-après mentionnés. Dans l'arrêt Légaré c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878, la Cour a eu l'occasion d'examiner la question. Au paragraphe 4 des motifs prononcés par les juges Marceau, Desjardins et Noël, figurent les remarques suivantes :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire.    L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés.    Et la détermination du ministre n'est pas sans appel.    La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés.    La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre.    Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[5]      De plus, dans l'arrêt Pérusse c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.),[2000] A.C.F. no 310, le juge Marceau a dit ce qui suit au paragraphe 14 :

En fait, le juge agissait dans le sens que plusieurs décisions antérieures pouvaient paraître prescrire. Mais cette Cour, dans une décision récente, s'est employée à rejeter cette approche, et je me permets de citer ce que j'écrivais alors à cet égard dans les motifs soumis au nom de la Cour.

Puis, au paragraphe 15, le juge a ajouté ce qui suit :

Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner.    Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur).    La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus.    Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[6]      J'ai conclu que les faits ci-après énoncés sont particulièrement importants aux fins du règlement de la question :

1. M. Hough, qui a témoigné pour le payeur, a confirmé que l'intervenant avait été un employé régulier du payeur pendant la période allant du 2 octobre 2000 au mois de novembre 2001 et que des retenues avaient été effectuées au titre de l'assurance-emploi, du RPC et du régime des accidents du travail ainsi qu'au titre de l'impôt sur le revenu, et ce, jusqu'à ce que l'intervenant soit licencié par suite d'une pénurie de travail.

2. M. Hough a en outre témoigné qu'au début de l'année 2002, l'intervenant avait établi une [TRADUCTION] « compagnie » appelée Behr Solutions et qu'il avait convenu avec l'intervenant d'avoir recours à cette compagnie, qui était en fait une société de personnes.

3. M. Hough a également déclaré qu'il avait eu une rencontre avec l'intervenant et qu'il avait convenu d'avoir recours à sa « compagnie » à titre de sous-traitant, et ce, immédiatement; il a déclaré que, compte tenu des travaux en cours, le payeur avait suffisamment de travail pour la « compagnie » pour une période d'au moins trois mois. L'intervenant a fixé son tarif horaire à 35 $. M. Hough a convenu que le travailleur pouvait travailler depuis son bureau à domicile ou dans le bureau du payeur. M. Hough a informé l'intervenant que ses factures seraient payées comme toute autre facture, à savoir sur la base « net dans 30 jours » et il lui a suggéré de facturer le payeur toutes les semaines. En outre, même si M. Hough avait uniquement l'intention d'avoir recours à Behr Solutions pour une période de trois mois, l'entente a duré plus longtemps que ce qui était initialement prévu parce qu'il y avait un plus grand nombre de projets à exécuter.

4. Behr Solutions a facturé le payeur à l'égard des services fournis pour la période allant du 23 janvier au 20 novembre 2002. M. Hough n'a jamais empêché Behr Solutions de travailler pour d'autres clients. M. Hough a terminé son témoignage en disant que, quant au payeur, [TRADUCTION] « il s'agissait clairement d'un sous-contrat fort simple conclu avec une autre "compagnie" » ; il s'opposait avec véhémence à la décision par laquelle l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ) avait conclu que, pendant la période pertinente, l'intervenant devait être considéré comme un employé.

[7]      L'intervenant a témoigné qu'au début, le contrat devait être un contrat conclu avec un entrepreneur indépendant, mais que la situation avait changé avec le temps, sans préciser toutefois en quoi et à quel moment elle avait changé.

Analyse

[8]      Je conclus d'abord que le ministre n'a pas tenu compte de tous les facteurs ou qu'il n'a pas accordé suffisamment d'importance à certains facteurs. Quant au contrôle, certains éléments étaient présents, mais M. Hough a clairement dit que l'intervenant pouvait travailler au bureau du payeur ou à domicile. En ce qui concerne la propriété des instruments de travail, l'intervenant utilisait son propre ordinateur, qui était meilleur que celui qui était dans le bureau du payeur.

[9]      L'intervenant payait ses propres frais d'automobile; l'aspect « risques de perte » et « chances de profit » milite en faveur de l'existence d'un contrat de louage de services en ce sens que le travailleur ne risquait pas de subir des pertes et qu'il touchait un montant horaire fixe de 35 $ pour son travail.

[10]     Le critère de l'intégration n'est pas concluant, mais le travailleur travaillait à deux endroits et nous savons qu'il avait au moins un autre client, Holga Star Inc. Les facteurs suivants sont également importants :

- il est fort inhabituel pour une société de personnes de travailler à titre d'employé;

- l'intervenant accomplissait énormément de travail à l'extérieur des locaux du payeur.

[11]     Le travailleur facturait son travail et il était payé en fonction des factures, ce qui est inhabituel dans le cadre d'une relation employeur-employé.

[12]     L'entente fondamentale qui avait été conclue entre les parties est une considération primordiale. Toutefois, une telle entente n'établit pas nécessairement l'existence d'une présomption et elle ne règle pas la question d'une façon définitive. Comme il a été dit dans la jurisprudence, il faut examiner la relation qui existe entre les parties dans son ensemble. Toutefois, il convient de noter l'arrêt Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.F.), dans lequel le juge Noël a dit ce qui suit :

[...] il s'agit d'un cas où la qualification que les parties ont donnée à leur relation devrait se voir accorder un grand poids [...] dans une issue serrée comme en l'espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l'intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté. [...] Comme les parties ont estimé qu'elles se trouvaient dans une relation d'entrepreneur indépendant et qu'elles ont agi d'une façon conforme à cette relation, je n'estime pas que la juge de la Cour de l'impôt avait le loisir de ne pas tenir compte de cette entente.

De plus, dans la décision Bradford v. M.N.R., 88 DTC 1661, le juge Taylor, de la Cour canadienne de l'impôt, a dit ce qui suit à la page 11 :

[TRADUCTION] Le principe général qui s'impose par suite de cet appel et des décisions récentes qui ont été mentionnées est que, dans un ensemble donné de circonstances où il existe certains aspects indiquant que la personne en cause est un « employé » , d'autres aspects indiquant qu'elle est un « entrepreneur indépendant » ainsi que d'autres aspects qui sont plutôt ambigus, l'intention et les objectifs visés par les parties, s'ils sont énoncés et convenus d'une façon claire et non équivoque, devraient constituer un facteur primordial dans la décision de la Cour. [...]

[13]     En conclusion, comme il en a été fait mention, certains éléments du critère pointent dans une direction alors que d'autres pointent dans l'autre, mais à mon avis, selon la prépondérance des probabilités, le travailleur était assujetti à un contrat d'entreprise, c'est-à-dire à un contrat d'entrepreneur indépendant.

[14]     Par conséquent, les appels sont accueillis et les décisions du ministre sont annulées.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de juin 2004.

                « T. O'Connor »                

Juge O'Connor

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de janvier 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


RÉFÉRENCE :

2004CCI467

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2003-2796(EI) et 2003-2797(CPP)

INTITULÉ :

Barrie Machine Tool Manufacturing Inc. et M.R.N. et Mircea Andrei Ursu

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 17 février 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable T. O'Connor

DATE DU JUGEMENT :

le 29 juin 2004

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelante :

M. Michael Hough

Avocate de l'intimé :

Me Ruth Dick

Pour l'intervenant :

L'intervenant lui-même

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Cabinet :

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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