Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier : 2002‑2632(IT)G

ENTRE :

JACQUES LEDUC,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu à Ottawa (Ontario), le 18 juin 2004.

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Bernard G. Roach

 

Avocats de l'intimée :

Me Peter Kremer, c.r.

Me Marlyse Dumel

____________________________________________________________________

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2000 est rejeté, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de février 2005.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de mars 2006.

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Référence : 2005CCI96

Date : 20050201

Dossier : 2002‑2632(IT)G

ENTRE :

JACQUES LEDUC,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Lamarre

 

[1]     Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre »), en application de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « LIR »), qui a refusé la déduction de frais juridiques d'un montant de 140 000 $ que l'appelant avait effectuée au titre d'une dépense d'entreprise dans le calcul de son revenu pour son année d'imposition 2000.

 

[2]     Les faits qui ont donné lieu au présent appel sont en partie résumés dans l'exposé admis des faits que les parties ont déposé conjointement. Ces faits sont énoncés comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

1.         L'appelant, un avocat qui exerce sa profession à Cornwall (Ontario), a produit sa déclaration de revenus pour l'année 2000 et a déduit des frais juridiques d'un montant de 140 000 $ au titre de dépenses d'entreprise.

 

2.         L'appelant a versé un montant de 40 000 $ au cabinet d'avocats Edelson and Associates et un montant de 100 000 $ au cabinet d'avocats Skurka Pringle pour le défendre dans un procès engagé devant la Cour supérieure de l'Ontario à l'égard d'un acte d'accusation comprenant six chefs d'exploitation sexuelle, un chef de contacts sexuels et un chef d'offre de services sexuels moyennant rétribution. L'acte d'accusation concernait trois plaignants, dont l'un avait 12 ans seulement lorsque la présumée exploitation sexuelle a commencé. Les accusations ont été portées à la suite d'une enquête criminelle menée par la PPO [la Police provinciale de l'Ontario] au sujet d'une présumée « bande de pédophiles » dans la région de Cornwall.

 

3.         Le ministre a refusé la déduction des frais juridiques.

 

4.         Le 24 juillet 2003, la Cour d'appel de l'Ontario a infirmé la décision rendue par la Cour supérieure le 1er mars 2001 qui avait suspendu l'acte d'accusation et elle a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Une copie de l'arrêt rendu par la Cour d'appel est jointe à l'appendice « A » [R. v. Leduc, 66 O.R. (3d) 1 (Cour d'appel de l'Ontario)]. Une demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été rejetée, le 12 janvier 2004, sans que des motifs soient énoncés. Dans la mesure où ces faits sont pertinents dans le présent appel, les parties admettent l'exposé des faits figurant dans la décision de la Cour d'appel.

 

[3]     L'appelant a en outre témoigné. Selon ce témoignage, l'appelant est devenu membre du barreau de l'Ontario en 1978; il exerce sa profession à Cornwall en tant qu'avocat généraliste, notamment dans les domaines du droit immobilier, des successions, du droit des sociétés et du droit commercial. L'appelant a été accusé des infractions criminelles susmentionnées aux mois de juin et de juillet 1998. Au mois de mars 1999, il a reçu du Barreau du Haut‑Canada (le « BHC ») une lettre libellée comme suit (pièce A‑1) :

 

[TRADUCTION]

 

Le Barreau a été informé que vous avez été accusé d'infractions criminelles, à savoir agression sexuelle, contacts sexuels, incitation à des contacts sexuels, exploitation sexuelle au moyen de touchers, exploitation sexuelle par incitation à des touchers et tentative visant à obtenir des services sexuels d'un mineur moyennant rétribution.

 

Je crois comprendre qu'une enquête préliminaire concernant certaines de ces infractions doit commencer le 8 avril 1999 et que vous devez également comparaître pour la première fois devant la Cour à l'égard des nouvelles accusations le 8 avril 1999.

 

Un dossier a été ouvert au sein du service de la vérification et des enquêtes et j'ai été autorisé à suivre l'affaire pendant l'instance judiciaire.

 

Veuillez me faire savoir si vous avez retenu les services d'un avocat pour que je puisse correspondre avec lui, ou encore, veuillez me faire savoir si vous préférez que je communique directement avec vous.

 

Dans le cas où vous seriez condamné pour ces infractions ou si un verdict de culpabilité était prononcé, l'affaire serait portée devant un comité d'autorisation des instances afin d'établir si une requête sera délivrée alléguant que vous avez violé l'article 33 de la Loi sur le Barreau par suite d'un manquement professionnel ou d'une conduite indigne d'un avocat. Si le Barreau décide de prendre des mesures disciplinaires à votre encontre, je signalerai l'affaire au service de la discipline au moyen d'un mémoire d'avocat et d'un recueil de documents.

 

[4]     L'appelant a témoigné qu'il croyait comprendre que cette lettre visait à l'aviser des conséquences possibles d'une condamnation à l'égard des accusations criminelles, étant donné qu'une condamnation pourrait influer sur sa qualité de membre du BHC et sur sa capacité d'exercer sa profession en Ontario.

 

[5]     Après avoir reçu la lettre du BHC, l'appelant a retenu les services d'un criminaliste pour le défendre contre les accusations criminelles. L'appelant a affirmé qu'à ce moment‑là, il avait deux choses à l'esprit. En premier lieu, il voulait prouver qu'il n'était pas coupable de la conduite reprochée et, en second lieu, il savait que s'il était déclaré coupable de ces accusations criminelles, la chose pourrait mettre fin à sa vie professionnelle et à sa capacité de gagner un revenu, étant donné que le BHC pourrait alors décider de révoquer son permis l'autorisant à exercer le droit.

 

[6]     À ce jour, aucune procédure n'a été engagée en vertu de l'article 33 de la Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, ch. L.8, dans sa version modifiée (la « LB »). De fait, l'appelant a continué à pratiquer le droit avec succès et, en 2003, il a gagné le revenu brut le plus élevé de sa carrière. Toutefois, il importe de souligner qu'au moment où la présente audience a été tenue, le procès au fond à l'égard des accusations criminelles n'avait pas encore eu lieu.

 

[7]     Après plusieurs années de litige concernant les accusations criminelles, l'appelant a engagé des frais d'avocat élevés (le montant de 140 000 $ en question dans le présent appel) pour se défendre sur des questions procédurales dont les tribunaux judiciaires avaient été saisis.

 

[8]     L'appelant a témoigné être devenu la cible d'allégations liées à l'enquête dite « Project Truth » (dont il est fait mention dans la décision de la Cour d'appel de l'Ontario mentionnée dans l'exposé admis des faits) parce qu'il avait été en cause à titre d'avocat dans des affaires d'inconduite sexuelle. Il croit que les accusations qui ont été portées contre lui étaient attribuables à un complot quelconque.

 

La position de l'appelant

 

[9]     L'appelant fait valoir que les frais juridiques peuvent être déduits du revenu qu'il a tiré d'une entreprise. Cette position est fondée sur l'argument selon lequel, s'il ne se défendait pas contre les accusations et s'il était condamné, il perdrait son autorisation à exercer le droit. Il admet avoir également voulu prouver son innocence et éviter d'être emprisonné, mais il soutient que cette intention accessoire de continuer à pouvoir gagner un revenu est suffisante pour que la déduction soit admise.

 

La position de l'intimée

 

[10]    Le ministre affirme que, conformément à l'article 18 de la LIR, les frais ne sont pas déductibles parce qu'ils n'ont pas été engagés « en vue de tirer un revenu [d'une] entreprise » et qu'il s'agit de frais de nature personnelle.

 

Analyse

 

[11]    Les règles de calcul du revenu tiré d'une entreprise sont énoncées à l'article 9 de la LIR. Le revenu tiré d'une entreprise pour une année d'imposition est le bénéfice tiré de cette entreprise pour l'année. En vertu de l'article 9, le contribuable peut déduire les dépenses qui sont engagées en vue de réaliser ce bénéfice, sous réserve des restrictions énoncées dans la LIR. L'alinéa 18(1)a) renferme la restriction générale applicable aux dépenses déductibles. Les dépenses ne sont déductibles que « dans la mesure où elles ont été engagées [...] par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ». Une autre restriction est prévue à l'alinéa 18(1)h), qui interdit la déduction des « frais personnels ou de subsistance du contribuable ».

 

[12]    L'article 9 ainsi que les alinéas 18(1)a) et 18(1)h) sont rédigés comme suit :

 

ARTICLE 9 : Revenu

 

(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

 

ARTICLE 18 : Exceptions d'ordre général

 

(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

a) Restriction générale les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

 

[...]

 

h) Frais personnels ou de subsistance le montant des frais personnels ou de subsistance du contribuable – à l'exception des frais de déplacement engagés par celui‑ci dans le cadre de l'exploitation de son entreprise pendant qu'il était absent de chez lui.

 

[13]    Il s'agit ici de savoir si les frais juridiques sont déductibles du revenu professionnel de l'appelant.

 

[14]    Comme le président Thorson l'a dit dans la décision The Royal Trust Co. v. M.N.R., 57 D.T.C. 1055 (Cour de l'Échiquier du Canada), remarque qui a été citée et acceptée par le juge Iacobucci dans l'arrêt Symes c. Canada, [1993] A.C.S. no 131 (QL), [1993] 4 R.C.S. 695, aux pages 722 et 723 :

 

[TRADUCTION]

 

[...] pour savoir si un débours ou une dépense était déductible aux fins d'impôt la première étape était de déterminer si la déduction était conforme aux principes ordinaires des affaires commerciales ou aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires […] [Je souligne.]

 

[15]    Le juge Iacobucci a ajouté les commentaires suivants aux pages 723 à 725 de l'arrêt Symes, précité :

 

38              Si l'on adopte cette conception de la déductibilité, on se rend immédiatement compte que les principes bien reconnus de la pratique courante des affaires visés au par. 9(1) auraient généralement pour effet d'interdire la déduction de dépenses qui n'ont pas pour objet de gagner un revenu ou qui sont des dépenses personnelles, de la même façon que les al. 18(1)a) et h) visent expressément à interdire de telles déductions. Pour ce motif, il est artificiel de dire qu'il faut tout d'abord examiner le par. 9(1) pour déterminer si une déduction est autorisée, et que l'on peut ensuite se fonder sur le par. 18(1) pour procéder à une autre analyse […]

 

[...]

 

40              Il n'y a pas de doute que, dans certains cas, le par. 9(1) s'appliquera isolément pour l'examen de déductions conformément aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires. À cet égard, je renvoie à des arrêts, également mentionnés par le juge de première instance, dans lesquels la véritable question était de savoir si une méthode comptable particulière pouvait servir à éviter l'assujettissement à l'impôt : par exemple, Associated Investors of Canada Ltd. c. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C. de l'É. 96; Canadian General Electric Co. c. Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 3. Cependant, dans d'autres cas, comme en l'espèce, la véritable question est de savoir si une déduction est interdite par les principes bien reconnus de la pratique courante des affaires au motif que la dépense en question n'a pas été engagée en vue de tirer un revenu ou au motif que la dépense constitue des frais personnels ou des frais de subsistance. Dans ces cas, l'examen de la question confondra nécessairement le par. 9(1) et les al. 18(1)a) et h).

 

[16]    Par conséquent, pour être déductibles à titre de dépenses d'entreprise, les dépenses en question doivent avoir été engagées « en vue de tirer un revenu de l'entreprise » au sens de l'alinéa 18(1)a) de la LIR. L'objet d'une dépense donnée est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances (Symes, précité, à la page 736). Le juge Iacobucci a mentionné certains facteurs à examiner en répondant à une telle question. Il pourrait ainsi être pertinent d'examiner si la déduction est ordinairement acceptée à titre de dépense d'entreprise par les comptables. Cela pourrait indiquer si un type particulier de dépense est généralement reconnu comme dépense d'entreprise (Symes, précité, aux pages 736 et 737). De même, il pourrait être pertinent d'examiner si la dépense est habituellement engagée par d'autres dans une entreprise de même nature que celle du contribuable (Symes, précité, à la page 737). Il pourrait également être pertinent d'examiner si une dépense donnée aurait été engagée si le contribuable ne visait pas la production d'un revenu d'entreprise. Si de fait tel est le cas, il y a de bonnes raisons de penser que la dépense sert une fin personnelle (Symes, précité, à la page 737).

 

[17]    Il pourrait également être utile de recourir au critère des « besoins de l'entreprise ». Indépendamment de l'entreprise, le besoin existerait‑il? Si un besoin existe même en l'absence de l'activité d'entreprise, la dépense faite pour répondre au besoin est considérée traditionnellement comme une dépense personnelle (Symes, précité, aux pages 738 et 739).

 

[18]    Dans ce contexte, il est clair, à mon avis, que les frais juridiques que l'appelant a engagés afin de se défendre dans les procédures criminelles se rapportant aux accusations d'agressions sexuelles portées contre lui sont des dépenses personnelles. Ces frais ne sont pas des dépenses normalement engagées par d'autres personnes exerçant la même profession que l'appelant. Il peut également être inféré de la preuve que si l'appelant n'avait pas exercé ses activités professionnelles, il aurait néanmoins payé les frais d'avocat en vue de se défendre devant les tribunaux judiciaires contre les accusations criminelles. Ces facteurs, analysés dans le contexte des circonstances de la présente affaire, donnent à penser que les frais juridiques en question ne peuvent pas être considérés comme des dépenses d'entreprise conformément à l'article 9 ainsi qu'aux alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la LIR.

 

[19]    Toutefois, l'appelant soutient que sa capacité d'exercer sa profession d'avocat a été mise en péril par suite des accusations criminelles. De fait, en vertu de la LB, le BHC est autorisé à mener enquête sur ces questions et les sanctions qui peuvent être imposées comprennent la suspension ou la révocation du permis autorisant l'appelant à exercer sa profession[1].

 

[20]    De l'avis de l'appelant, les frais juridiques comportent un élément personnel, mais ils étaient également essentiels et nécessaires en vue de lui permettre d'exercer sa profession d'avocat dans l'avenir. L'appelant fait valoir que pour qu'une dépense soit déductible, l'intention de générer un revenu en engageant la dépense n'a pas à être la seule raison d'engager cette dépense. L'appelant s'est fondé sur l'arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire Enterprises Ludco Ltée c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082, en soutenant que si l'une des fins poursuivies par l'appelant, lorsqu'il a engagé les frais juridiques, était de préserver sa capacité de générer un revenu, cela est suffisant pour que ces dépenses soient déductibles en vertu de l'article 9 de la LIR. À son avis, l'existence d'un motif personnel n'empêche pas nécessairement la déduction de la dépense en cause. Dans l'arrêt Ludco, précité, il a été décidé qu'une fin accessoire consistant à tirer un revenu était suffisante pour satisfaire au critère de la fin poursuivie pour que les intérêts soient déductibles.

 

[21]    Je ne puis retenir l'argument de l'appelant. Premièrement, nous avons déjà vu que les frais juridiques ici en cause sont, eu égard aux circonstances particulières de l'affaire, des frais personnels. De fait, en l'absence d'une preuve contraire, il semble que, s'il n'avait pas exercé le droit, l'appelant aurait néanmoins engagé les frais juridiques en vue de se défendre devant les tribunaux contre les accusations criminelles. Par conséquent, ces dépenses ne sont pas déductibles, conformément à l'alinéa 18(1)h) de la LIR. Le critère de la fin poursuivie qui a été analysé dans l'arrêt Ludco, précité, ne s'applique pas dans le cadre de l'alinéa 18(1)h).

 

[22]    Deuxièmement, je ne suis même pas convaincue que l'une des fins poursuivies lorsque ces frais juridiques ont été engagés était de permettre la réalisation d'un revenu. Dans l'arrêt Ludco, précité, la Cour suprême du Canada a établi que le critère applicable pour déterminer si la fin poursuivie donne ouverture à la déduction des frais d'intérêt en vertu du sous‑alinéa 20(1)c)(i) consiste à se demander si le contribuable avait, au moment de l'investissement, une expectative raisonnable de tirer un revenu. Si, comme l'a soutenu l'avocat de l'appelant, ce critère devait s'appliquer pour déterminer la fin poursuivie, les frais juridiques ici en cause ne satisfont pas selon moi au critère. De fait, l'appelant a témoigné qu'au cours de la période où les frais juridiques avaient été engagés, sa capacité de tirer un revenu de la profession d'avocat n'a pas du tout été touchée. Au contraire, il a continué à exercer sa profession avec succès. Il n'était pas nécessaire d'engager les frais juridiques afin de s'attendre à gagner un revenu, étant donné que l'appelant tirait déjà un revenu de l'exercice de sa profession.

 

[23]    En outre, la capacité de l'appelant de gagner sa vie n'était pas en danger, à mon avis, au moment où les frais juridiques ont été engagés. L'appelant lui‑même a reconnu que le BHC n'avait pas entrepris d'enquête. Il a reconnu que les effets d'une enquête menée par le BHC dans le cas où il serait déclaré coupable dans l'instance criminelle ne sont pas connus d'une façon certaine. De fait, selon la pièce A‑1, si l'appelant est déclaré coupable, l'affaire sera portée devant un comité d'autorisation des instances afin d'établir si une requête sera présentée, alléguant qu'il a contrevenu à l'article 33 de la LB. Ensuite, si le BHC décide de prendre des mesures disciplinaires à l'encontre de l'appelant, l'affaire sera renvoyée au service de la discipline. Les sanctions qui peuvent être imposées dans le cas où des mesures disciplinaires seraient prises sont énumérées au paragraphe 35(1) de la LB et n'entraînent pas nécessairement la révocation de la qualité de membre du BHC ou la radiation du membre et la suppression de son nom du tableau des procureurs. Ainsi, il serait possible qu'une ordonnance soit plutôt rendue obligeant le membre à recevoir un traitement ou des services de counseling. Il y a également d'autres formes de sanctions qui n'influent peut‑être pas sur la capacité d'un membre de tirer un revenu de l'exercice de sa profession d'avocat. Le fait qu'une déclaration de culpabilité éventuelle puisse avoir des incidences sur les activités professionnelles de l'appelant dans l'avenir est à mon avis purement hypothétique et conjectural à ce stade et, quoi qu'il en soit, trop éloigné pour justifier la déduction des frais juridiques dans l'année d'imposition en cause conformément à l'alinéa 18(1)a) de la LIR.

 

[24]    Il est possible de faire une distinction entre la présente affaire et les décisions rendues par la Cour dans les affaires Vango c. Canada, no 95‑440(IT)I, 30 juin 1995, [1995] A.C.I. no 659 (QL), et Mercille c. Canada, no 91‑2196(IT)G, 13 décembre 1999, [1999] A.C.I. no 941 (QL), qui ont été mentionnées par l'avocat de l'appelant. Dans ces affaires, les accusations auxquelles faisaient face les contribuables étaient directement liées à leur travail, en tant que conseiller en valeurs dans un cas et en tant que courtier en valeurs mobilières dans l'autre cas. Les accusations à l'égard desquelles ils avaient engagé les frais juridiques étaient directement liées à leurs fonctions. Dans l'affaire Vango, le contribuable risquait de perdre son permis. Il a été décidé dans les deux cas que les frais juridiques étaient déductibles à titre de dépenses d'emploi conformément à l'article 8 de la LIR. En l'espèce, les infractions criminelles dont l'appelant est accusé n'ont rien à voir avec l'exercice de sa profession d'avocat. Les frais juridiques que l'appelant a payés pour se défendre contre plusieurs accusations relatives à des infractions sexuelles n'étaient pas attribuables à ses activités professionnelles. Les actes à l'égard desquels une défense est élaborée ne se rapportent pas à l'entreprise de l'appelant.

 

[25]    Comme le juge Rip l'a dit aux pages 10 à 12 de la décision Thiele Drywall Inc. c. Canada, no 95‑237(IT)I, 13 juin 1996, [1996] A.C.I. no 623 (QL), que les avocats de l'intimée ont mentionnée :

 

19        Par conséquent, je dois déterminer si le fait que l'appelante avait éludé l'observation de la Loi constituait un incident normal ou ordinaire de l'exploitation de son entreprise. Dans l'affirmative, les frais judiciaires que l'appelante a engagés en vue de se défendre contre l'action sont déductibles, et ce, que l'appelante soit coupable ou non; dans la négative, ils ne le sont pas. À mon avis, ils ne le sont pas.

 

20        Lorsque les tribunaux ont admis des appels en vue de permettre aux contribuables de déduire des frais judiciaires, les frais avaient été engagés conformément à des pratiques comptables et à des pratiques commerciales saines en vue de défendre les usages commerciaux des contribuables dans la conduite de leurs entreprises et de préserver les systèmes leur permettant de produire leurs revenus : Caulk et Rolland Paper, ci‑dessus. Les frais judiciaires qui avaient été engagés dans l'affaire Heininger, ci‑dessus, se rapportaient également à la façon dont le contribuable faisait des affaires. […]

 

[...]

 

23        Pour que les dépenses soient déductibles, il a été statué dans les jugements Caulk et Rolland Paper, ci‑dessus, que les activités à l'égard desquelles les dépenses ont été engagées doivent être exercées dans le cours normal des activités génératrices de revenu du contribuable.

 

24        Comme je l'ai dit dans la décision Matthews, ci‑dessus, à la p. 1268 :

 

Lorsqu'une entreprise exécute des activités dans le cours normal de ses affaires, et que le coût de ses activités est déductible dans le calcul du revenu de cette entreprise, toute dépense que l'on engage pour défendre ces activités résulte directement des activités elles‑mêmes et peut être déduite en vertu de l'alinéa 18(1)a) : voir l'arrêt La Reine c. Phyllis B. Bronfman Trust, (précité). Dans la présente espèce, les dépenses judiciaires ont été engagées dans le but de défendre une poursuite intentée contre l'appelante qui découlait directement de l'usage d'établir des états financiers dans le cours normal des activités.

 

[26]    On peut conclure à partir des décisions susmentionnées que si les activités qui ont mené aux accusations sont accomplies dans le cours normal des activités génératrices d'un revenu, toute dépense que le contribuable engage pour défendre ces activités résulte directement des activités elles‑mêmes et peut donc être déduite en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la LIR. Par conséquent, c'est l'activité qui a entraîné les accusations et son lien à l'entreprise qui déterminent la déductibilité des frais juridiques associés à la défense.

 

[27]    En outre, l'avocat de l'appelant s'est fondé sur une autre décision de la Cour suprême du Canada, 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, pour soutenir que des raisons d'ordre public ne doivent pas dicter la non‑déductibilité d'une dépense particulière. De fait, dans l'arrêt 65302 British Columbia Ltd., il a été statué qu'en l'absence d'une disposition précise contraire, les amendes ou pénalités sont déductibles si elles ont été engagées en vue de produire un revenu.

 

[28]    La présente affaire n'est pas assimilable à l'affaire 65302 British Columbia Ltd., précitée, mentionnée par l'appelant, dans laquelle le contribuable voulait déduire les paiements afférents à une taxe qu'il avait effectués dans le cadre de ses opérations journalières et où la décision de produire au‑delà du quota était une décision commerciale prise dans le but de produire un revenu.

 

[29]    En l'espèce, les accusations n'ont pas été portées dans le cadre de l'entreprise de l'appelant. Dans son témoignage, l'appelant a laissé entendre que ces accusations avaient été portées parce qu'il représentait à titre d'avocat plusieurs prêtres catholiques et le diocèse catholique local. En sa qualité d'avocat, l'appelant avait aidé à en arriver à un règlement au sujet de l'« inconduite sexuelle » d'un prêtre. De fait, il a connu une grande publicité à titre d'avocat représentant l'Église. L'appelant a laissé entendre que son rôle avait mené à un « complot » en vue d'obtenir des témoignages à son encontre.

 

[30]    Les allégations de l'appelant à ce stade sont de pures conjectures. Il n'existe aucune preuve de complot en tant que telle. Le critère tel qu'il a été énoncé dans la jurisprudence permet la déduction des frais juridiques lorsqu'il est démontré que l'activité qui a donné lieu aux accusations fait normalement partie de la production d'un revenu. Cela n'est clairement pas le cas en l'espèce.

 

[31]    Je conclus donc que l'appelant n'a pas payé les frais juridiques ici en cause en vue de tirer un revenu d'une entreprise. Ces frais étaient de nature personnelle et ils ne sont pas déductibles dans le calcul du revenu.

 

[32]    L'appel est rejeté, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de février 2005.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de mars 2006.

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


ANNEXE A

 

Loi sur le Barreau

PARTIE II

CONDUITE

 

Conduite interdite

 

Conduite interdite : membres

 

33.(1)   Un membre ne doit pas se conduire d'une façon qui constitue un manquement professionnel ou qui est indigne d'un avocat.

 

[...]

 

Requête relative à la conduite

 

34.(1) Le Barreau peut, avec l'autorisation du Comité d'autorisation des instances, demander au Comité d'audition, par voie de requête, d'établir si un membre ou un membre étudiant a contrevenu à l'article 33.

 

[...]

 

Ordonnances relatives à la conduite

 

35.(1) Sous réserve des règles de pratique et de procédure, si une requête est présentée en vertu de l'article 34 et qu'il établit que le membre ou le membre étudiant a contrevenu à l'article 33, le Comité d'audition rend une ou plusieurs des ordonnances suivantes :

 

1. Une ordonnance révoquant la qualité de membre du membre ou du membre étudiant du Barreau et, dans le cas d'un membre, le radiant en tant qu'avocat plaidant et retranchant son nom du tableau des procureurs.

 

2. Une ordonnance autorisant le membre ou le membre étudiant à démissionner du Barreau.

 

3. Une ordonnance suspendant les droits et privilèges du membre ou du membre étudiant :

 

i. pour une période déterminée,

 

ii. jusqu'à ce que les conditions que fixe le Comité d'audition soient remplies à la satisfaction du secrétaire,

 

iii. pour une période déterminée et, par la suite, jusqu'à ce que les conditions que fixe le Comité d'audition soient remplies à la satisfaction du secrétaire.

 

4. Une ordonnance infligeant au membre ou au membre étudiant une amende maximale de 10 000 $, payable au Barreau.

 

5. Une ordonnance portant que le membre ou le membre étudiant reçoive ou continue de recevoir un traitement ou des services de counseling, y compris qu'il subisse des tests permettant d'établir une dépendance à l'égard de l'alcool, des drogues ou des médicaments ou une consommation excessive de ces substances et qu'il suive tout traitement approprié, ou encore qu'il participe à d'autres programmes afin d'améliorer son état de santé.

 

6. Une ordonnance portant que le membre ou le membre étudiant participe à des programmes précis de formation juridique ou professionnelle ou à d'autres programmes afin d'améliorer sa compétence professionnelle.

 

7. Dans le cas d'un membre, une ordonnance portant qu'il ne pratique que dans des domaines précis du droit.

 

8. Dans le cas d'un membre, une ordonnance portant qu'il ne pratique que dans les circonstances suivantes :

 

i. en tant qu'employé d'un membre ou d'une autre personne qu'approuve le secrétaire,

 

ii. en tant qu'associé d'un membre qu'approuve le secrétaire et sous sa supervision,

 

iii. sous la supervision d'un membre qu'approuve le secrétaire.

 

9. Dans le cas d'un membre, une ordonnance portant qu'il collabore à une inspection professionnelle de ses activités effectuée en vertu de l'article 42 et mette en oeuvre les recommandations du secrétaire.

 

10. Dans le cas d'un membre, une ordonnance portant qu'il tienne un type précis de compte en fiducie.

 

11. Dans le cas d'un membre, une ordonnance portant qu'il accepte des conditions précises de cosignature en ce qui concerne ses comptes en fiducie.

 

12. Dans le cas d'un membre, une ordonnance portant qu'il ne tienne pas de compte en fiducie dans le cadre de ses activités professionnelles sans l'autorisation du président ou d'un vice‑président du comité permanent du Conseil chargé des questions de discipline.

 

13. Dans le cas d'un membre, une ordonnance exigeant qu'il rembourse à un client tout ou partie des honoraires et des sommes que celui‑ci lui a versés ou, dans le cas d'un membre étudiant, une ordonnance exigeant qu'il verse à une personne une somme égale à tout ou partie des honoraires et des sommes qu'elle lui a versés à l'égard du travail qu'il a effectué.

 

14. Dans le cas d'un membre, une ordonnance exigeant qu'il verse au Barreau, à l'intention du Fonds d'indemnisation de la clientèle, la somme que fixe le Comité d'audition et qui n'est pas supérieure au montant total des sommes prélevées sur le Fonds par suite de la malhonnêteté du membre.

 

15. Dans le cas d'un membre, une ordonnance portant qu'il donne avis d'une ordonnance rendue aux termes du présent article aux personnes suivantes, selon ce que précise l'ordonnance :

 

i. Les associés du membre ou ses employeurs.

 

ii. Les autres membres qui travaillent pour le même cabinet ou le même employeur que le membre.

 

iii. Les clients touchés par la conduite qui est à l'origine de l'ordonnance.

 

16. Dans le cas d'un membre étudiant, une ordonnance portant qu'il donne avis d'une ordonnance rendue aux termes du présent article à son maître de stage.

 

17. Dans le cas d'un membre étudiant, une ordonnance annulant tout crédit du Cours de formation professionnelle auquel il aurait droit par ailleurs.

 

18. Une ordonnance portant que le membre ou le membre étudiant rende compte de son observation d'une ordonnance rendue aux termes du présent article et autorise les autres personnes qui participent à son traitement ou à sa supervision à faire de même.

 

19. Une ordonnance portant que le membre ou le membre étudiant soit réprimandé.

 

20. Une ordonnance portant que le membre ou le membre étudiant reçoive un avertissement.

 

21. Toute autre ordonnance que le Comité d'audition estime appropriée.

 

[...]

 

PARTIE III

INTERDICTIONS ET INFRACTIONS

 

Interdiction de pratiquer

 

50.(1)   Sous réserve d'autres dispositions législatives :

 

a)         nul, à l'exception d'un membre dont les droits et privilèges ne sont pas suspendus, ne peut agir en qualité d'avocat, ni se présenter comme tel, se faire passer pour tel ou pratiquer en cette qualité;

 

b)         nul membre provisoire ne peut agir en qualité d'avocat, ni pratiquer en cette qualité, si ce n'est dans la mesure permise par le paragraphe 28.1(3).

 

 


 

 

 

RÉFÉRENCE :

2005CCI96

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002‑2632(IT)G

 

INTITULÉ :

Jacques Leduc c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 18 juin 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 1er février 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Bernard G. Roach

 

Avocats de l'intimée :

Mes Peter Kremer, c.r., et Marlyse Dumel

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]         Les passages pertinents des paragraphes 33(1), 34(1) et 35(1) ainsi que l'article 50 de la LB sont reproduits à l'annexe A jointe aux présents motifs.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.