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Dossier : 2001-3385(GST)G

ENTRE :

800537 ONTARIO INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu du 3 au 7 novembre 2003, du 12 au 16 janvier 2004

puis les 1er et 2 avril 2004 à London (Ontario).

Par le juge en chef adjoint D.G.H. Bowman

COMPARUTIONS

Pour l'appelante :

Me Paul G. Vogel

Me Robyn L. Marttila

Pour l'intimée :

Me Peter M. Kremer, c.r.

Me Charles M. Camirand

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de l'avis de cotisation établi en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, daté du 17 février 1999, portant le numéro 08PDM0106388 et visant la période allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1996, est rejeté avec dépens.


Signé à Toronto (Ontario), ce 21e jour de juin 2004.

« D.G.H. Bowman »

Juge Bowman

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


Référence : 2004CCI258

Date : 20040621

Dossier : 2001-3385(GST)G

ENTRE :

800537 ONTARIO INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1]      Le présent appel fait suite à une cotisation visant la période allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1996 établie en vertu des dispositions relatives à la taxe sur les produits et services de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ).

[2]      Le résumé des faits qui suit a été tiré d'un exposé conjoint des faits partiel. En dehors de ce document, de nombreux faits sont contestés.

[3]      L'appelante exploitait une concession automobile à Cambridge, en Ontario, sous la dénomination Acura West ( « AW » ). En 1995 et en 1996, M. Gregory Leon était le président-directeur général et détenait 50 % des actions de l'entreprise. Inscrite au titre de la taxe sur les produits et services (TPS) en 1990, Acura West était tenue de produire des déclarations de TPS chaque mois.

[4]      En 1995 et en 1996, AW a vendu des véhicules à deux sociétés américaines, soit à Auto Enterprises Inc. ( « AE » ), de Clawson, au Michigan, et à World Imports USA Inc. ( « WI » ). AW a vendu 108 (ou 104) véhicules à AE. Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si quatre véhicules ont été vendus directement à AE par AW ou bien s'ils lui ont été vendus indirectement, par l'entremise d'une chaîne d'entreprises canadiennes. Je traiterai de ces quatre transactions (les transactions « Nordren » ) plus loin dans les présents motifs. AW a vendu 18 véhicules à WI.

[5]      WI est établie dans l'État de New York et importe des véhicules du Canada afin de les revendre aux États-Unis et en Europe. Son président est M. Claus Lukner. M. Leon faisait aussi affaire avec un autre représentant de WI, M. Jake Sydorowicz.

[6]      AE est un concessionnaire automobile qui importe depuis 18 ans des véhicules du Canada afin de les revendre aux États-Unis. L'entreprise est détenue et exploitée par Bill Luther et Phil Trupiano, responsables des achats et de l'administration, respectivement.

[7]      M. Leon a rencontré MM. Lukner et Sydorowicz de WI à une vente aux enchères de véhicules qui a eu lieu à Toronto en 1994; les deux hommes se sont dits intéressés à acheter des véhicules d'AW, particulièrement des véhicules loisir travail qui étaient en grande demande aux États-Unis. M. Sydorowicz a présenté M. Leon à AE et a dit que cette dernière pourrait acheter un plus grand nombre de véhicules d'AW que WI.

[8]      Les véhicules vendus aux acheteurs américains étaient difficiles à trouver aux États-Unis mais pas au Canada. En outre, les prix étaient plus avantageux au Canada. Les fabricants canadiens de véhicules imposaient des restrictions à leurs concessionnaires pour les empêcher de vendre aux États-Unis. Les ventes étaient donc conclues par des intermédiaires comme AW dans le but de contourner ces restrictions.

[9]      M. Leon négociait le prix de vente des véhicules par téléphone et par télécopieur. Une fois le prix convenu, il achetait le véhicule.

[10]     Les paragraphes 15, 16, 17 et 18 de l'exposé conjoint des faits sont rédigés comme suit (les notes sont omises) :

[TRADUCTION]

15.     Une fois que les parties s'étaient entendues sur le prix de vente, M. Leon remplissait à la main deux formulaires de vente préimprimés en trois exemplaires d'Acura West. Sur le premier, il inscrivait les mots «      EXPORTATION VERS LES ÉTATS-UNIS » dans la case intitulée « TPS sur le sous-total » (le « formulaire d'exportation » ). Sur le deuxième formulaire de vente, il inscrivait un montant dans la case intitulée « TPS sur le sous-total » (le « formulaire avec TPS » ). Par exemple, les deux formulaires remplis relativement à la vente d'une camionnette 4X4 Ford F-350 1997 portant le numéro d'identification du véhicule 1FTJW36F7VEA18067, joints à l'annexe A des présents motifs, comportent les renseignements suivants :

Formulaire d'exportation vers les États-Unis

Formulaire

avec TPS

Prix de vente total

      40 862,50 $

          38 185,00 $

Frais d'administration

             65,00 $

                 65,00 $

Sous-total

                        

      40 927,50 $       

                            

          38 250,00 $

TPS sur le sous-total

Exportation vers les États-Unis

            2 677,50 $

Montant exigible

      40 927,50 $

          40 927,50 $

Montant final exigible

                        

      40 927,50 $

          40 927,50 $

                                                                

16.     En plus des montants relatifs au prix de vente, M. Leon a inscrit les mêmes renseignements de base sur les deux formulaires :

a)       nom, adresse, numéro de téléphone et numéro d'inscription aux fins de la TPS du concessionnaire (préimprimés);

b)     nom et adresse de l'acheteur aux États-Unis;

c)      année, marque, modèle, numéro de série, couleur et, dans certains cas, kilométrage du véhicule;

17.     Dans la case d'acceptation du vendeur sur le formulaire d'exportation :

a)         M. Leon a apposé la date et sa signature en tant que représentant d'Acura West;

b)       le numéro de concessionnaire et le numéro d'enregistrement d'Acura West ont été consignés.

18.      Sur le formulaire avec TPS, M. Leon a apposé l'estampille « Acura West, 759 Wonderland Road North » dans la case d'acceptation du vendeur.

Deux factures sont reproduites à l'annexe A de l'exposé conjoint des faits à titre d'exemple, une d'elles comprend la TPS et l'autre pas. Les factures se présentent de la façon suivante :


[11]     Il est bien établi que l'exportation de véhicules du Canada à l'intention d'acheteurs aux États-Unis constitue une fourniture détaxée. L'exportateur canadien n'a aucune obligation de percevoir la TPS auprès des acheteurs étrangers. S'il le fait, ces derniers ont le droit de demander un remboursement de la taxe payée. Pour des raisons que j'exposerai en détail ci-dessous, il est tout aussi clair à mon avis qu'un vendeur canadien qui effectue une fourniture détaxée à un acheteur étranger mais qui perçoit quand même la TPS auprès de cet acheteur est tenu de remettre le montant de TPS perçu au gouvernement du Canada.

[12]     La question précise qu'il faut trancher en l'espèce est de savoir si c'est le formulaire d'exportation, comme l'affirme l'appelante, ou le formulaire avec TPS, comme le soutient le ministre, qui représente le contrat de vente. La controverse est mise en lumière par les différences entre les déclarations d'AW et celles des acheteurs américains qui sont reproduites aux paragraphes 19 à 23 de l'exposé conjoint des faits.

[TRADUCTION]

19.     M. Leon a avisé l'ADRC qu'il avait rempli le formulaire avec TPS à la demande des acheteurs américains en vue de faciliter l'importation des véhicules et d'éviter les retards à la frontière canado-américaine, et que les Douanes américaines pouvaient mettre des véhicules en fourrière pour une période pouvant aller jusqu'à 90 jours s'il manquait des documents indiquant la TPS exigible. En fait, le formulaire avec TPS n'a pas été nécessaire aux fins du dédouanement. (Voir les paragraphes 25 à 30.)

20.     M. Leon a télécopié une copie du formulaire avec TPS aux acheteurs américains. Il a avisé l'ADRC qu'il avait transmis les copies jaunes du formulaire d'exportation et la copie blanche du formulaire avec TPS à World Imports et à Auto Enterprises et qu'il avait mis la preuve de propriété, la garantie, le manuel d'entretien et les clés dans les véhicules lorsqu'ils ont été expédiés. La première copie blanche et la copie rose du formulaire d'exportation ont été versées dans les registres commerciaux d'Acura West. Les copies jaune et rose du formulaire avec TPS ont été conservées dans le bureau de M. Leon.

21.     Les acheteurs américains ont avisé l'ADRC de ce qui suit :

a)     ils ne savaient pas qu'il existait des copies jaunes du formulaire d'exportation et ne les avaient pas reçues d'Acura West ;

b)     le seul formulaire qu'ils avaient reçu était celui qui incluait la TPS;

c)     contrairement à ce qui a été mentionné ci-dessus, ils n'avaient jamais demandé à Greg Leon ni à Acura West de leur remettre quelque formulaire que ce soit aux fins de dédouanement;

22.     Les formulaires d'exportation ont été versés dans les dossiers de vente faisant partie des registres commerciaux d'Acura West. Les registres en question montrent qu'aucune TPS n'a été perçue sur les ventes aux acheteurs américains. À l'aide de ces registres, un employé d'Acura West a établi et produit des déclarations de TPS pour les périodes en cause. Acura West n'a déclaré ni remis aucun montant au titre de la TPS relativement aux véhicules vendus aux acheteurs américains.

23.     Acura West a calculé son revenu aux fins de l'impôt sur le revenu en fonction du prix de vente inscrit sur le formulaire d'exportation.

[13]      WI et AE ont réglé l'achat des véhicules au moyen d'une traite bancaire et d'un virement télégraphique, respectivement. AW a attendu de recevoir les paiements avant de remettre les véhicules aux acheteurs; ces derniers ont pris en charge le coût du transport des véhicules aux États-Unis. La plupart des véhicules vendus à WI ont été livrés par AW à un terrain en Ontario puis ont été cueillis par un voiturier public. Certains ont été cueillis devant les locaux d'AW. AE a retenu les services de Pinder Transport, un voiturier public, pour transporter les véhicules aux États-Unis.

[14]      Selon AW, le formulaire avec TPS a été rempli à la demande des acheteurs en vue de faciliter le passage des véhicules à la frontière américaine et ne représentait pas le contrat de vente entre les parties. AW soutient plutôt que c'est le formulaire d'exportation qui faisait foi de la véritable entente survenue entre les parties.

[15]      Comme il est mentionné au paragraphe 21 de l'exposé conjoint des faits, les acheteurs américains ont affirmé qu'ils n'avaient jamais reçu le formulaire d'exportation et que le seul formulaire qu'ils avaient reçu était le formulaire avec la TPS (que M. Leon appelait un « certificat frontalier » ).

[16]      Les paragraphes 25 à 34 de l'exposé conjoint des faits sont rédigés comme suit :

[TRADUCTION]

25.     Les automobiles ne font pas partie des marchandises contrôlées lorsqu'elles sont exportées du Canada; aucune documentation n'est requise et aucune vérification n'est faite par les douanes canadiennes au moment de leur exportation au Canada.

26.     Pinder Transport ne s'est pas servi et n'a pas eu besoin non des formulaires remplis par Acura West faisant état des transactions conclues avec les acheteurs américains durant le transport des véhicules. Acura West a remis les véhicules à Pinder Transport chez son concessionnaire à London, en Ontario; ils devaient être livrés à l'acheteur, Auto Enterprises, à son établissement de Clawson, au Michigan. Lorsque le transporteur, Pinder Transport, a pris possession des véhicules, il a remis à Acura West des copies des bordereaux de transport énumérant tous les véhicules par leur numéro d'identification; on y voit que les véhicules devaient être livrés à Auto Enterprises, à Clawson (Michigan). Les chauffeurs de Pinder Transport ont rempli un manifeste de transport en amont, mais ils ont reçu du courtier en douane d'Auto Enterprises tous les documents requis par les douanes américaines en vue de faciliter l'importation des véhicules aux États-Unis.

27.     Tous les véhicules ont été exportés vers les États-Unis sans subir de modifications et immédiatement après que les chauffeurs, le préposé à la vente aux enchères de Toronto ou Pinder Transport en ont pris possession ou après qu'ils leur ont été remis. Acura West ne s'est plus occupée des véhicules après la cueillette ou la remise.

28.     Auto Enterprises a eu recours aux services d'un courtier en douane pour faciliter l'importation des véhicules aux États-Unis. Le comptable d'Auto Enterprises a utilisé l'information donnée dans la case intitulée [TRADUCTION] « Différence nette » des formulaires avec TPS télécopiés en vue d'établir les factures pro forma et les garanties du ministère américain des Transports qui ont ensuite été transmises au courtier en douane lorsque les véhicules ont été expédiés. Le courtier s'est fié à ces renseignements pour établir les déclarations douanières appropriées aux États-Unis.

29.     La déclaration douanière américaine doit faire état de la valeur des marchandises importées avant taxes et être accompagnée d'une facture pro forma confirmant la valeur déclarée. Les douanes américaines ne sont pas intéressées à savoir si la TPS a été facturée ou perçue dans le cadre d'une vente effectuée par un vendeur canadien à un acheteur américain.

30.     D'autres documents exigés par les autorités du gouvernement fédéral et des États concernant l'importation de véhicules aux États-Unis ont été établis et présentés aux douanes américaines par les acheteurs américains ou en leur nom.

Demandes de remboursement de la TPS

31.     World Imports et Auto Enterprises ont rempli et produit chaque mois des demandes générales de remboursement de la taxe sur les produits et services. Les demandes visaient notamment les véhicules achetés d'Acura West entre janvier 1995 et décembre 1996; elles étaient accompagnées des copies blanches des formulaires avec TPS reçues d'Acura West. L'ADRC a accordé aux acheteurs américains des remboursements correspondant aux montants en question.

32.     World Imports et Auto Enterprises ont aussi acheté des véhicules auprès d'autres concessionnaires canadiens et reçu des factures indiquant la TPS de ces derniers. Elles ont demandé le remboursement de la TPS précisée sur ces factures. World Imports et Auto Enterprises préféraient acheter les véhicules des concessionnaires canadiens sans payer de TPS.

33.     Les acheteurs américains n'ont demandé à Acura West ni reçu de cette entreprise aucun remboursement ou crédit correspondant aux montants inscrits dans la case intitulée [TRADUCTION] « TPS sur le sous-total » .

34.     À l'appui de sa demande de remboursement pour décembre 1996, Auto Enterprises a fourni à l'ADRC une facture émanant d'un autre vendeur canadien (Nordren) relative à quatre véhicules qui, d'après les registres d'Acura West, avaient été vendus par Acura West à Auto Enterprises. Acura West a déposé un chèque d'All Star Auto qu'elle avait reçu lors de la vente de ces quatre véhicules.

[17]      Un calcul des bénéfices réalisés par AW et AE accompagne l'exposé conjoint des faits.

[18]      Ce calcul se fonde sur deux hypothèses contradictoires : selon la première, le prix indiqué sur la facture n'inclut pas la TPS. D'après la seconde hypothèse, le prix comprend la TPS. Autrement dit, selon la première hypothèse, c'est le formulaire d'exportation qui prime, tandis que selon la deuxième, c'est le formulaire avec TPS qui l'emporte.

[19]      En prenant comme exemple le formulaire reproduit plus haut, si nous tenons pour acquis que c'est le formulaire d'exportation qui prime, le prix (dont des frais d'administration de 65 $) s'élève à 40 927,50 $. Ce montant serait inclus dans le revenu d'AW et entrerait dans le calcul de son bénéfice. Il ferait également partie du assumé par l'acheteur. Si c'est le formulaire avec TPS qui prévaut, seul le montant de 38 250 $ s'ajouterait au revenu d'AW et ferait partie du coût assumé par l'acheteur.

[20]      Il est bien évident que le prix plus élevé indiqué sur le formulaire d'exportation ferait grimper le bénéfice d'AW et réduirait celui d'AE, tandis que le prix moindre figurant sur le formulaire avec TPS viendrait réduire le bénéfice d'AW et accroître celui d'AE. Les différences sont assez notables, comme on peut le constater à l'examen de l'annexe B de l'exposé conjoint des faits. Les pièces A-4 et A-5 contiennent en gros la même information, mais des renseignements y sont ajoutés. Bien que les parties soient d'accord pour l'essentiel au sujet du calcul des bénéfices, elles ne s'entendent pas sur deux points :

           a)      Le bénéfice d'AW est calculé en tenant compte de [TRADUCTION] « frais de terrain » de 150 $, un montant forfaitaire imputé à chaque véhicule afin de couvrir les frais accessoires (par exemple s'il faut faire réparer une bosse ou une égratignure). Pour l'ADRC, ces frais ne constituent pas un coût. Je n'ai pas l'intention de trancher ce point mineur ici en l'absence de toute autre preuve ou observation. Si la déduction du montant forfaitaire de 150 $ était refusée, on peut présumer que les coûts accessoires réellement supportés seraient déductibles, et l'incidence globale sur le bénéfice d'AW pourrait alors être minime.

           b)      Selon l'ADRC, les dépenses d'AE devraient être majorées d'un montant correspondant aux dépenses engagées pour le transport, le remplacement de l'odomètre (afin qu'il indique des milles et non pas des kilomètres), les droits de courtage et de douane, les frais de registre et l'assurance relative à la garantie. Les arguments de l'ADRC sont peut-être valables, mais je ne suis pas en mesure de trancher cette question sans autre preuve.

[21]     Ces désaccords ne viennent pas modifier l'ensemble du portrait que les calculs sont censés tracer. En règle générale, si l'on retient le formulaire d'exportation, le bénéfice par véhicule réalisé par AW se situe entre 1 500 $ et 3 000 ou 4 000 $ CA environ, et le bénéfice réalisé par AE entre quelques centaines de dollars et plus de 1 500 $ US; AE essuyant des pertes sur 39 véhicules. Le bénéfice moyen d'AW pour 1995 et 1996 à la lumière du formulaire d'exportation est de 2 882 $ CA, et celui d'AE, de 310 $ US.

[22]     Si l'on utilise le formulaire avec TPS, le bénéfice moyen d'AW pour 1995 et 1996 est de 684 $ CA, et celui d'AE de 1 918 $ US. Le bénéfice moyen exprimé en pourcentage pour ces mêmes années est de 8,92 % pour AW et de 0,89 % pour AE si l'on retient le formulaire d'exportation. Si l'on se fonde sur le formulaire avec TPS, ces chiffres s'établissent à 2,54 % pour AW et à 8,94 % pour AE.

[23]     Que peut-on conclure de tout cela? Si le prix de vente exigé par AW d'AE est majoré de 7 %, le bénéfice d'AW est plus élevé et celui d'AE baisse en conséquence. Si le prix est réduit de 7 % mais que la TPS est perçue, AW doit remettre la TPS au gouvernement et AE peut en demander le remboursement. Les conséquences sur leurs bénéfices respectifs sont évidentes : Les bénéfices accrus que réalise AW lorsque le formulaire d'exportation est considéré comme le contrat véritable entre les parties ont entre autres pour effet d'assujettir un montant supérieur à l'impôt sur le revenu. Ce point n'a évidemment aucune pertinence et, de toute manière, n'avait que peu d'incidence sur AW puisque celle-ci avait reporté prospectivement ses pertes en 1995 et en 1996.

[24]     L'appelante me demande de conclure de cette comparaison des bénéfices calculés en fonction des deux hypothèses qu'AW ne se serait pas livrée à l'exportation de véhicules à destination des États-Unis si elle n'avait pu en tirer que des bénéfices qu'elle considère relativement faibles auxquels on arrive si l'on retient la position de l'intimée, selon laquelle environ 7 % du montant total facturé devraient être remis au gouvernement. Je ne crois pas que cette considération soit vraiment déterminante en l'espèce. Le contenu du contrat qui lie un vendeur et un acheteur doit faire l'objet d'un consensus entre les parties. J'aurais pu tout aussi bien conclure qu'AE ou WI ne se seraient pas engagées dans une transaction qui aurait donné lieu à la marge de bénéfice assez négligeable indiquée ci-dessus résultant de la thèse avancée par l'appelante. De fait, si je compare les bénéfices d'AW et d'AE auxquels donnent lieu les deux hypothèses, qui sont exposées à l'annexe B de l'exposé conjoint des faits et aux pièces A-4 et A-5, je crois que le calcul des bénéfices réalisés par les deux parties est plus réaliste d'un point de vue commercial si l'on retient la thèse du formulaire avec TPS plutôt que celle du formulaire d'exportation. Deux raisons justifient cette conclusion. Le rendement qu'obtient AE à partir de l'hypothèse fondée sur le formulaire d'exportation (0,89 %) est trop faible et n'est donc pas réaliste. Il est clair d'après les témoignages de MM. Luther et Trupiano qu'AE visait à réaliser un bénéfice de 1 000 $ à 2 000 $ par véhicule et n'aurait pas versé le prix indiqué sur le formulaire d'exportation.

[25]     M. Paul Antony a été assigné comme témoin par l'intimée. Il a exploité une entreprise dans le cadre de laquelle il achetait des automobiles puis les exportait à destination des États-Unis. Il a déclaré que son bénéfice était d'au moins 300 à 400 $ par véhicule, mais qu'il s'établissait en moyenne autour de 750 ou 800 $ par véhicule. Voilà qui ressemble au bénéfice d'AW calculé au moyen des chiffres du formulaire avec TPS. Le bénéfice de 1 500 $ à 3 000 $ par véhicule que prétendait viser M. Leon serait tout simplement, selon M. Antony, impossible à réaliser. Autrement dit, les bénéfices que réaliserait AW si l'on se servait du formulaire avec TPS correspondent à la norme de l'industrie pour ce genre d'activité.

[26]     Je mentionnerai brièvement le témoignage des experts. Trois experts ont été assignés par l'appelante : MM. Michael Fenberg, James Hoare et Dennis DesRosiers. M. Fenberg a témoigné au sujet de la rentabilité des transactions à la fois pour les vendeurs et pour les acheteurs.

[27]     M. Hoare est comptable agréé et directeur d'un cabinet de juricomptables à London, en Ontario. Dans son témoignage, il a comparé le bénéfice brut d'AW et d'AE à la lumière des deux hypothèses de vente incluant ou non la TPS à partir de l'analyse de M. Fenberg. En outre, il a formulé des commentaires au sujet des conséquences fiscales engendrées pour AW par la vente d'automobiles à des acheteurs américains avec ou sans TPS. M. DesRosiers s'est décrit lui-même comme un analyste de l'industrie automobile. Son expertise touchait davantage le domaine économique que la comptabilité. Il a donné son opinion sur la position économique d'AW dans le commerce transfrontalier de véhicules automobiles.

[28]     À son avis, AW se trouvait dans une solide position de négociation par rapport aux acheteurs américains et pouvait viser la marge commerciale et la marge de bénéfice que M. Leon a dit vouloir obtenir. Cette conclusion n'est pas étayée par les témoignages des acheteurs américains ou de M. Antony. Essentiellement, les propos de M. DesRosiers avaient pour but de confirmer le caractère raisonnable des conclusions auxquelles étaient parvenus les experts comptables qui, quant à elles, visaient à appuyer l'affirmation de M. Leon selon laquelle le contrat véritable entre AW et les acheteurs américains n'incluait pas la TPS parce que c'est à cette condition seulement que M. Leon pouvait réaliser les bénéfices escomptés.

[29]     Je ne mets pas en doute l'expertise ni l'expérience de ces témoins, bien que j'estime qu'il soit peu réaliste de croire que les acheteurs américains accepteraient une transaction avantageant à ce point les vendeurs canadiens. Ceci étant dit, je conclus que ce genre de témoignage n'a, au mieux, qu'une pertinence limitée. Il vise à étayer l'affirmation de l'appelante concernant ses buts commerciaux qui, quant à elle, devait bonifier la thèse selon laquelle l'hypothèse voulant que la TPS ne fût pas comprise était plus vraisemblable. Ce genre de preuve ne contribue pas vraiment à faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre.

[30]     Avant de passer aux autres questions relatives à la preuve, je m'attarderai sur quelques points qui devraient être réglés à cette étape-ci. Il est clair que l'appelante a fourni aux acheteurs américains le formulaire avec TPS indiquant un prix de vente moindre auquel la TPS était ajoutée de manière à ce que le total corresponde au prix d'achat figurant sur le formulaire d'exportation. Les acheteurs se sont servi des formulaires avec TPS afin de demander au gouvernement du Canada un remboursement de la TPS indiquée sur les factures; de toute évidence, le gouvernement du Canada s'est fié à ces montants pour accorder les remboursements. Il me semble que cette situation aurait pu carrément justifier qu'on invoque la préclusion : une déclaration de fait émanant d'une personne qui a servi de fondement et de motivation aux actes posés par une autre personne à son détriment. Les définitions traditionnelles de la préclusion fondée sur la conduite sont trop bien connues pour que je doive les répéter ici. Il est cependant tout aussi bien établi, que la préclusion doit être invoquée expressément (voir Odgers, On High Court Pleading and Practice, 23e édition, p. 229). Aucune mention de préclusion n'a été faite durant les plaidoiries, de sorte que je laisse cet aspect de côté.

[31]     Les parties ont convenu que les points suivants doivent être tranchés :

a)         En déterminant le montant de la taxe nette à payer en vertu de l'article 225 de la Loi, Acura West a-t-elle omis d'inclure les montants perçus au titre de la TPS à l'égard des véhicules qu'elle a vendus à World Imports et à Auto Enterprises? Pour régler cette question, il faut déterminer si Acura West a facturé un montant au titre de la TPS aux acheteurs américains en l'incluant dans le prix de vente total des véhicules qu'elle leur a vendus en 1995 et en 1996. Autrement dit, les parties conviennent que les transactions en litige sont détaxées ou non taxables.

b)        Si la Cour détermine que la réponse à cette question est affirmative, Acura West était-elle obligée de remettre les montants même s'il s'agissait de fournitures détaxées? Les parties conviennent que les montants n'ont pas été déclarés ni remis au ministre comme l'exigent les articles 225 et 228 de la Loi.

c)         Si la Cour répond à l'une ou l'autre question par la négative, les parties conviennent que le présent appel devrait être accueilli.

d)        L'imposition de pénalités et d'intérêts en vertu de l'article 280 et l'imposition des pénalités prévues à l'article 285 de la Loi étaient-elles justifiées dans les circonstances?

[32]     La thèse de l'appelante sur le premier point est la suivante : puisqu'il est reconnu que les fournitures en cause étaient détaxées, peu importe que les ententes survenues entre AW et les acheteurs américains comprenaient la TPS ou non, il n'y avait aucune taxe « payable » qui devait être incluse dans la taxe nette exigible d'AW en vertu de l'article 225 de la Loi. Par conséquent, le ministre n'avait pas le pouvoir d'établir une cotisation en application de l'article 296. L'avocat de l'appelante a présenté le même argument au début du procès. J'ai refusé de l'examiner à une étape aussi préliminaire, mais j'ai informé l'avocat qu'il pouvait le soulever à nouveau une fois toutes les preuves produites.

[33]     Le paragraphe 225(1) est rédigé comme suit en anglais et en français :

225.(1) Net tax - Subject to this Subdivision, the net tax for a particular reporting period of a person is the positive or negative amount determined by the formula

A - B

where

A     is the total of

             (a) all amounts that became collectible and all other amounts collected by the person in the particular reporting period as or on account of tax under Division II, and

              (b) all amounts that are required under this Part to be added in determining the net tax of the person for the particular reporting period; and

B     is the total of

             (a) all amounts each of which is an input tax credit for the particular reporting period or a preceding reporting period of the person claimed by the person in the return under this Division filed by the person for the particular reporting period, and

             (b) all amounts each of which is an amount that may be deducted by the person under this Part in determining the net tax of the person for the particular reporting period and that is claimed by the person in the return under this Division filed by the person for the particular reporting period.

225.(1) Taxe nette - Sous réserve des autres dispositions de la présente sous-section, la taxe nette pour une période de déclaration donnée d'une personne correspond au montant, positif ou négatif, obtenu par la formule suivante    :

A - B

où    :

A    représente le total des montants suivants    :

            a) les montants devenus percevables et les autres montants perçus par la personne au cours de la période donnée au titre de la taxe prévue à la section II;

            b) les montants à ajouter aux termes de la présente partie dans le calcul de la taxe nette de la personne pour la période donnée;

B    le total des montants suivants    :

            a) l'ensemble des montants dont chacun représente un crédit de taxe sur les intrants pour la période donnée ou une période de déclaration antérieure de la personne, que celle-ci a demandé dans la déclaration produite en application de la présente section pour la période donnée;

            b) l'ensemble des montants dont chacun représente un montant que la personne peut déduire en application de la présente partie dans le calcul de sa taxe nette pour la période donnée et qu'elle a indiqué dans la déclaration produite en application de la présente section pour cette période.

Le paragraphe 296(1) dispose ce qui suit en anglais et en français :

296.(1) Assessments - The Minister may assess

      

(a) the net tax of a person under Division V for a reporting period of the person,

       (b) any tax payable by a person under Division II, IV or IV.1,

      

(c) any penalty or interest payable by a person under this Part,

       (d) any amount payable by a person under any of paragraphs 228(2.1)(b) and (2.3)(d) and section 230.1, and

       (e) any amount which a person is liable to pay or remit under subsection 177(1.1) or Subdivision a or b.1 of Division VII,

and may reassess or make an additional assessment of tax, net tax, penalty, interest or an amount referred to in paragraph (d) or (e).

296.(1) Cotisation - Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire pour déterminer    :

      a) la taxe nette d'une personne, prévue à la section V, pour une période de déclaration;

      b) la taxe payable par une personne en application des sections II, IV ou IV.1;

      c) les pénalités et intérêts payables par une personne en application de la présente partie;

      d) un montant payable par une personne en application des alinéas 228(2.1)b) ou (2.3)d) ou de l'article 230.1;

      e) un montant qu'une personne est tenue de payer ou de verser en vertu du paragraphe 177(1.1) ou des sous-sections a ou b.1 de la section VII.

[34]     L'avocat a présenté son argumentation comme suit. Selon le paragraphe 165(1), l'acquéreur d'une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer une taxe. Selon le paragraphe 165(3), le taux de la taxe sur une fourniture détaxée est nul. En vertu du paragraphe 221(1), une personne qui effectue une fourniture taxable doit percevoir la taxe payable par l'acquéreur. Selon le paragraphe 123(1), la « taxe » correspond à la « taxe payable » en vertu de la partie IX de la Loi. L'article 296 (repris plus haut) autorise le ministre à établir un avis de cotisation pour la « taxe payable » seulement. Les autres montants peuvent donner lieu à une action par le ministre devant la Cour fédérale.

[35]     L'avocat fait valoir en outre que, si l'obligation de verser et de percevoir la taxe est limitée à la « taxe payable » , alors, quand il n'y a aucune taxe payable parce que la fourniture est détaxée, il n'y a aucune obligation de perception ou de remise.

[36]     L'avocat cite plusieurs arrêts de notre Cour afin d'étayer sa position. Dans Ladas c. La Reine ([2000] A.C.I. no 499), notre Cour a statué qu'il n'y avait aucune obligation d'imposer la TPS sur des marchandises détaxées. Je suis d'accord. Dans Pro-Ex Trading Co. c. La Reine (Pro-Ex Trading Co. v. Canada, [2001], A.C.I. no 598), notre Cour a conclu que, si aucune TPS n'est payable, il n'y a aucune obligation de la remettre même si les registres des parties indiquent que la TPS a été payée. Dans cette affaire, toutefois, il n'y avait aucune fourniture, taxable ou non, car il s'agissait d'une garantie de remboursement de prêts.

[37]     Dans l'affaire 2955-4201 Québec Inc. v. Canada, [2002], G.S.T.C. 39), tous les éléments d'actif d'un concessionnaire automobile avaient été vendus et les intéressés avaient fait le choix prévu au paragraphe 167(1) pour faire en sorte qu'aucune TPS ne soit payable. Le prix avait compris par erreur un montant de TPS payé par le vendeur. L'acquéreur s'est ensuite prévalu d'un CTI équivalent, ou d'un remboursement. Aucune TPS n'était payable et n'avait été versée au gouvernement. Notre Cour a conclu que l'acquéreur ne pouvait se tourner vers le ministre pour réclamer l'argent versé par erreur au vendeur.

[38]     Je ne crois pas que cette décision, ni les autres arrêts invoqués par l'avocat de l'appelante, n'ait d'application directe en l'espèce. Ici, au moins selon une des deux thèses contradictoires relatives aux factures, AW a facturé de la TPS sur la vente de véhicules à des acheteurs américains, qui ont demandé et reçu des remboursements calculés en fonction des formulaires avec TPS. Le ministre a maintenant établi un avis de cotisation afin de récupérer la TPS figurant sur ces factures qu'il a remboursée aux acheteurs. Aucune des affaires précitées ne comportait de faits semblables. Si je conclus d'après les éléments de preuve que la transaction « véritable » entre AW et les acheteurs américains est celle que reflète le formulaire avec TPS (le « certificat frontalier » ), il s'ensuit qu'un montant a été perçu au titre de la taxe et qu'il doit entrer dans le calcul de la taxe nette selon la formule A - B, et la somme qui découle de ce calcul correspond à ce que le ministre est en droit de cotiser en vertu de l'article 296.

[39]     L'avocat de l'appelante prétend qu'étant donné que la « taxe » s'entend de la « taxe payable » et qu'il n'y a aucune taxe payable sur des fournitures détaxées, le montant perçu, peu importe le nom que lui donnent une des parties ou les deux, ne peut l'avoir été « au titre de la taxe » . En toute déférence, j'estime que cette interprétation est indûment technique et donne un résultat peu réaliste. Durant l'argumentation, j'ai soumis à l'avocat quelques situations de fait hypothétiques afin de déterminer où peut nous amener cette thèse. Supposons qu'un fournisseur facture par erreur de la TPS à un acheteur sur une marchandise détaxée, est-ce que le fournisseur a le droit de garder les 7 % de plus? L'acheteur peut-il demander et recevoir un remboursement en application de l'article 261 ou doit-il exercer son propre recours contre le vendeur? Si le ministre rembourse à l'acheteur la taxe qui a été perçue, peut-il cotiser le fournisseur afin de récupérer le montant perçu par erreur ou doit-il s'adresser à la Cour fédérale comme le prétend l'appelante? La deuxième question hypothétique que j'ai posée à l'avocat est celle où un fournisseur facture par erreur 9 % de TPS au lieu de 7 %. Le fournisseur peut-il alors garder l'excédent? Le ministre peut-il seulement récupérer le montant au moyen d'une action devant la Cour fédérale?

[39]     La réponse à ces questions est évidente. Des régimes de taxes sur la valeur ajoutée semblables à la TPS canadienne existent partout dans le monde. Il est certain qu'aucun n'est parfait, mais le nôtre semble fonctionner raisonnablement bien. Il est inconcevable que le régime ne s'assortisse d'aucun recours relativement simple pour régler un problème aussi fréquent que la perception d'un montant de taxe excédentaire par un fournisseur. Bref, si le fournisseur désigne un montant perçu comme étant une « taxe » , le ministre peut traiter ce montant comme une taxe aux fins de la cotisation de la taxe nette. Même s'il y avait un doute quelconque sur ce point, et je ne crois pas qu'il y en ait, je pourrais m'inspirer des mots du juge Cameron dans Trans-Canada Investment Corporation Ltd. v. M.N.R., [1953] Ex.C.R. 292 (conf. par 1956 R.C.S. 49), qui s'exprime comme suit à la p. 299 :


[Traduction]

      Je conviens qu'il est possible d'interpréter l'article comme s'il exigeait que le dividende doit avoir été reçu directement de la société payeuse. Cependant, à mon avis, une autre interprétation de cet article est possible, et elle me semble plus en harmonie avec l'intention du Parlement qui se déduit, selon moi, du libellé de l'article lui-même.

      Dans Caledonian Railway v. North British Railway, (1881) 6 A.C. 114, lord Selborne déclarait ce qui suit à la p. 122 :

       [TRADUTION]

      L'interprétation plus libérale d'une loi ne devrait pas prévaloir si elle est incompatible avec les intentions du législateur qui se déduisent de la loi et si les termes sont suffisamment souples pour permettre une autre interprétation davantage conforme à ces intentions.

      Encore une fois, dans Shannon Realties v. St. Michel, [1924] A.C. 192, la Cour a conclu que, si les termes utilisés sont ambigus, elle devrait choisir une interprétation qui sera en accord avec le bon fonctionnement du système que la loi vise à réglementer.

[40]     De même, le juge Cartwright (alors juge de la Cour suprême) s'est exprimé comme suit dans Highway Sawmills Limited v. M.N.R., [1966] R.C.S. 284, à la p. 293 :

[TRADUCTION]        

       La réponse à la question de savoir ce que constitue l'impôt payable dans des circonstances données dépend évidemment du libellé de la législation prévoyant l'impôt à payer. Lorsque le sens du libellé est difficile à établir, il peut être utile de déterminer entre deux interprétations alléguées laquelle des deux donne lieu à un résultat conforme à ce qui semble être l'objet de la législation.

[41]     À mon avis, si le formulaire avec TPS ou le « certificat frontalier » représente la véritable relation juridique entre les parties, le ministre a le pouvoir en vertu de l'article 296 de cotiser l'appelante pour la taxe nette en tenant compte des montants qui figurent au titre de la TPS sur le document, même si la transaction n'était pas taxable. Ce point de vue est compatible avec celui qui a été exprimé dans Gastown Actors' Studio Ltd. v. R., [2000] G.S.T.C. 108. Il est également compatible avec le sens clair des termes « au titre de la taxe prévue à la section II » . Il est aussi conforme à la logique, à l'intention manifeste du Parlement et au bon fonctionnement du système. La thèse suivant laquelle un fournisseur qui perçoit trop de TPS peut garder l'excédent et ne peut être obligé de le remettre que si le ministre obtient un jugement de la Cour fédérale, alors que nous avons un régime de cotisation parfaitement fonctionnel et efficient en vue de l'application de la Loi, me semble en toute déférence imposer une restriction artificielle et inutile à ce système.

[42]     Le deuxième point préliminaire a trait aux litiges en cours dans les États du Michigan et de New York. Il semble qu'à la suite des avis de cotisations en cause ici, AW ait poursuivi AE au Michigan et WI à New York. Un jury du Michigan a rendu un jugement de 317 366 $ US en faveur d'AW contre AE. Ce montant représente la taxe, les intérêts et les pénalités dont fait état l'avis de cotisation établi à l'encontre d'AW par l'ADRC.

[43]     En outre, pour ce qui est des 18 véhicules vendus par AW à WI, une action similaire a été déposée par AW contre WI; un règlement survenu entre les parties comporte le versement de 37 500 $ US par WI à AW, montant qui comprenait la TPS, les pénalités et les intérêts cotisés à l'encontre d'AW.

[44] Selon l'avocat de l'appelante, ces jugements constituent des décisions exécutoires déterminant que les contrats unissant AW et AE ou AW et WI ne comportaient pas de TPS et que la Cour canadienne de l'impôt devrait donner effet à ces décisions. Selon l'avocat, puisque ces décisions ont été rendues par une instance compétente pour rendre des décisions exécutoires à l'endroit des parties, les conséquences fiscales déterminées par notre Cour devraient être compatibles avec les jugements des tribunaux du Michigan et de New York.

[45]     Cet argument soulève une question intéressante. Les poursuites intentées par AW contre AE et WI se fondaient sur la prémisse que les dommages d'AW correspondaient à la TPS, aux intérêts et aux pénalités qu'elle a dû verser en vertu des avis de cotisation. Si AW a recouvré auprès des acheteurs américains à titre de dommages-intérêts un montant équivalant au total de ce qu'elle a dû verser à cause des avis de cotisation, pourquoi donne-t-elle suite à son appel devant notre Cour? Par contre, si AW a gain de cause ici et que les avis de cotisation sont annulés, le fondement même des actions d'AW contre les acheteurs américains n'a-t-il pas disparu? Je n'ai pas à m'interroger sur les répercussions qu'aurait une victoire devant notre Cour sur les litiges aux États-Unis, et je ne suis pas tenu non plus de trancher des thèses apparemment contradictoires.

[46]     Je n'entends pas me servir des jugements rendus au Michigan et à New York pour trancher quoi que ce soit d'utile en l'espèce. Après la clôture des plaidoiries dans la présente affaire, l'avocat de l'appelante a informé à juste titre notre Cour que, par ordonnance judiciaire datée du 21 mai 2004, le juge Patrick J. Duggan de la Cour de district des États-Unis, district de l'Est du Michigan, division du Sud, avait fait droit à la requête présentée par AE afin de demander la tenue d'un nouveau procès. Cette ordonnance est susceptible d'être réexaminée ultérieurement. Même si le verdict rendu par le jury du Michigan était pertinent, je ne peux m'en servir comme s'il s'agissait d'une décision finale et exécutoire déterminant les droits des parties.

[47]     Le jugement de New York est tout aussi inutile, car il découle d'un règlement extrajudiciaire. Les parties vont régler une affaire pour diverses raisons, habituellement afin d'éviter les frais et l'incertitude d'un procès. Des règlements semblables ne représentent pas des décisions déterminant les droits juridiques des parties au litige.

[48]     Je pourrais m'étendre encore longtemps sur ce point, mais ce serait peu utile. L'effet d'un verdict rendu par un jury étranger sur une question que notre Cour doit trancher relève d'une autre tribune. Qu'il suffise de dire que je n'estime pas que les jugements prononcés aux États-Unis soient d'une utilité quelconque pour décider de la présente affaire.

[49]     Je me tournerai donc vers la prochaine question. Les parties ont déclaré ce qui suit dans leur exposé conjoint des faits :

[TRADUCTION]

a) Afin de déterminer la taxe nette à payer en vertu de l'article 225 de la Loi sur la taxe d'accise, est-ce qu'Acura West a omis d'inclure les montants perçus au titre de la TPS sur la vente de ses véhicules à World Imports et à Auto Enterprises? Pour trancher cette question, il faut déterminer si Acura West a facturé à ses acheteurs américains un montant quelconque au titre de la TPS qui était inclus dans le prix de vente total des véhicules vendus à ces acheteurs en 1995 et en 1996. Sinon, les parties conviennent que les transactions en litige sont détaxées ou non taxables15.

15 L'ADRC n'est pas prête à accepter cette position à l'égard des quatre véhicules « Nordren » (numéro d'identification du véhicule 18072-18075 ou VIN 43191) qu'Acura West a vendus à Oxford Dodge, à London, en Ontario. Acura West reconnaît par le truchement d'une erreur comptable que son véhicule portant le numéro d'identification du véhicule 43191, vendu à Oxford Dodge, était une fourniture taxable.

[50]     Si l'on veut emprunter des termes légèrements différents, quelle facture représente la transaction véritablement survenue entre les parties : le formulaire avec TPS ou le formulaire d'exportation? Selon le premier formulaire, la TPS est calculée sur un montant moins élevé, alors que le second formulaire ne comporte aucune TPS. Le total à payer est le même dans les deux cas.

[51]     Nous pouvons partir d'un fait solide et irréfutable : AW a fourni à AE et à WI les formulaires avec TPS. M. Leon a déclaré dans son témoignage qu'il a fourni ce formulaire (le « certificat frontalier » ) aux acheteurs dans le seul but de faciliter le passage des véhicules à la frontière et d'éviter de longs retards. On a admis que les formulaires avec TPS n'ont pas été utilisés et n'ont pas été nécessaires pour le passage à la frontière. Cette admission est étayée par le témoignage des camionneurs de Pinder Transport qui ont transporté les véhicules jusqu'aux États-Unis.

[52]     Il y a donc deux hypothèses. Selon la première, M. Leon a fourni aux acheteurs uniquement les formulaires avec TPS, à la fois un exemplaire envoyé par télécopieur et les originaux blancs envoyés par messager. AE reconnaît ce fait, même si ni M. Luther ni M. Trupiano n'ont vu les copies blanches originales en question. Les copies jaune et rose du formulaire avec TPS ont été conservées par M. Leon.

[53]     Selon la deuxième hypothèse, en plus des copies des formulaires avec TPS envoyées par télécopieur et des originaux blancs envoyés par messager, M. Leon a aussi fait parvenir aux acheteurs les copies jaunes des formulaires d'exportation dans les véhicules ainsi que les clés, la preuve de propriété, le manuel et d'autres documents.

[54]     M. Leon a précisé dans son témoignage avoir envoyé les formulaires d'exportation dans les véhicules avec la preuve de propriété et la copie blanche du formulaire avec TPS, ce que nient les témoins représentant AE et WI. En bout de ligne, je crois que la prépondérance de la preuve établit que la preuve de propriété et les originaux blancs des formulaires avec TPS ont été envoyés par messager aux acheteurs. Je ne crois pas qu'il soit prouvé que les formulaires d'exportation ont jamais été fournis aux acheteurs.

[55]     Sur les documents que possédait M. Leon figuraient des « notes de négociation » mentionnant la marge bénéficiaire de 7 % d'AW. Certaines semblent être adressées à « Bill » (probablement Bill Luther, d'AE). À cause de la façon dont elles sont rédigées, ces notes paraissent peu naturelles et fabriquées. Des exemples sont donnés au paragraphe 30 des plaidoiries écrites de l'appelante et se présentent de la façon suivante.

[Traduction]

Pièce A-3

Recueil conjoint de

documents

VIN

Page

Note

Volume IV

43560

81

« 35 663,00 + bénéfice de 7% »

46038

152

« notre coût de base convenu plus ma marge de 7 points - aucune TPS conformément à l'entente d'exportation »

47075

179

« envoyer à Bill avec notre marge convenue de 7 % »

88448

228

« Bill, 22 200 pour toi, comme coût - donne-moi mes 7 points et l'affaire est conclue »

88452

278

« Bill, on a besoin de 500 $ en plus de la marge plus 7 % pour conclure »

Volume V

93834

8

« Bill, 1 000 $ en plus pour le coût de base, puis j'ai besoin de notre bénéfice de 7 % en plus »

09571

85

« Bill, que penses-tu d'un coût de 42 500 pour toi plus mon bénéfice de 7 points? »

10404

110

« Prends le coût de base @ 2 700 de plus et ajoute la marge de bénéfice de 7 points comme convenu »

30593

155

« Bill, établis le coût de mon bord à 38 300 pour toi - plus notre marge de bénéfice convenue (7 %)

Volume VI

18074

82

« Ajoute à notre coût de 37 800 pour toi à nos 7 points habituels, à moins que tu te sentes généreux aujourd'hui? »

[56]     Si l'entente en vigueur prévoyait 7% au-dessus d'un montant quelconque, que ce soit le « coût » , la « marge » ou le « coût de base » , pourquoi répéter sans cesse les chiffres? Je trouve que ces notes servent purement l'intérêt d'AW : rien ne porte à croire qu'elles ont été télécopiées à AE, ce qui était la méthode habituellement utilisée pour négocier un prix. Aucune réponse n'est indiquée sur aucun document. MM. Luther et Trupiano nient avoir reçu ces notes. Même lorsque les notes de négociation figurent sur un document contenu dans les dossiers d'AW et que ce document se trouve aussi dans un dossier d'AE, elles n'apparaissent pas sur la copie d'AE.

[57]     Un appelant qui entreprend de prouver qu'un document qu'il a rédigé lui-même à l'intention des autorités douanières est faux doit s'acquitter d'un très lourd fardeau. On n'a jamais établi clairement si c'était les douaniers américains ou canadiens à qui on cherchait à faire croire que la TPS avait été versée. Quoi qu'il en soit, les autorités douanières n'ont pas été induites en erreur puisqu'elles n'ont pas vu les documents. Si les formulaires avec TPS ou les certificats frontaliers étaient faux, les seuls gens qui ont été trompés sont les fonctionnaires de l'ADRC qui ont versé un remboursement aux acheteurs américains. Il est, à mon sens, un peu risqué de produire deux séries de documents contradictoires puis de prétendre qu'une des deux est fausse et doit être montrée uniquement à un groupe de fonctionnaires. Il n'est pas surprenant que les personnes à qui les documents sont remis les utilisent à des fins différentes et les montrent à un groupe de fonctionnaires différents, ceux de l'ADRC, afin d'obtenir un remboursement.

[58]     J'estime que les témoignages de MM. Luther et Trupiano sont crédibles. Les deux hommes ont déclaré ne pas avoir reçu les factures où ne figurait aucune TPS. En outre, comme nous l'avons précisé plus haut, les bénéfices respectifs d'AW et d'AE me semblent plus réalistes si, selon le contrat liant les parties, les acheteurs payaient la TPS (qu'ils pouvaient se faire rembourser). Je ne crois pas qu'ils auraient conclu ces transactions avec AW en fonction du prix total indiqué sur les formulaires d'exportation que M. Leon a remis au service de comptabilité d'AW.

[59]     Quant à savoir si un acheteur américain doit payer de la TPS ou non, je trouve que le témoignage de M. Antony est très éloquent. Il y précisait ce qui suit :

[TRADUCTION]

Q.      Donc, lorsque vous vendiez des véhicules à des grossistes américains, les ventes incluaient-elles la TPS ou étaient-elles détaxées?

R.      Un ou l'autre.

Q.      Et qu'est-ce qui déterminait que la TPS soit incluse ou non?

R.      Si quelqu'un voulait nous payer la TPS, nous réduisions le prix ou notre marge, notre marge sur la voiture, parce que vous ne financez pas un remboursement de TPS. Ce que je veux dire, c'est que la TPS vous est remboursée une fois tous les mois ou tous les trimestres, selon votre fréquence de déclaration ou, j'imagine, chaque année. Si vous faites des déclarations mensuelles même et que vous exportez un grand nombre de véhicules, votre remboursement peut parfois atteindre un million de dollars par mois. Alors, plus vous avez des gens qui vous paient votre TPS, plus vous avez d'argent en retour pour acheter plus de véhicules. Par conséquent, si nous facturons de la TPS sur la voiture et que nous recevons de la TPS, nous acceptions une marge moindre. Si nous financions le remboursement de la TPS pour nous-mêmes, nous facturions en conséquence.

JUGE BOWMAN : Je vous demanderai de me réexpliquer tout ça, parce que c'est suffisamment important et que je veux m'assurer de prendre des notes exactes là-dessus. Vous parlez d'exportation, n'est-ce pas?

LE TÉMOIN : Oui.

JUGE BOWMAN : Et si quelqu'un des États-Unis -

LE TÉMOIN : Oui.

JUGE BOWMAN : - voulait vous verser de la TPS.

LE TÉMOIN : Oui.

JUGE BOWMAN : Vous leur facturiez de la TPS.

LE TÉMOIN : Mm-hmm.

JUGE BOWMAN : Et vous réduisiez alors votre marge, ce qui veut dire votre prix avant la TPS, n'est-ce pas?

LE TÉMOIN : Réduire le prix, oui, baisser notre bénéfice.

JUGE BOWMAN : Par contre, si votre client ne voulait pas payer de TPS, alors le prix était un peu plus élevé, n'est-ce pas?

LE TÉMOIN : Oui.

[60]     J'ai conclu que les factures comprenant la TPS constituaient une preuve à première vue, selon le contrat survenu entre les parties, que la TPS était facturée, et cette preuve à première vue n'a pas été réfutée.

[61]     S'il y avait eu des preuves quelconques sous forme de lettres, de documents télécopiés ou de courriels indiquant que les parties avaient convenu que le formulaire avec TPS (le « certificat frontalier » ) devait être utilisé dans le seul but de faire passer les véhicules à la frontière, j'aurais pu vraisemblablement revoir cette conclusion. Mais ce n'est pas le cas. Tous les éléments de preuve laissent croire que c'est le contraire.

[62]     Supposons pour un instant que M. Leon a effectivement envoyé le formulaire avec TPS et le formulaire d'exportation aux acheteurs américains. Il ne s'agit pas d'une conclusion que je suis prêt à accepter, sur la foi des éléments de preuve, mais admettons que je l'accepte, il faudrait quand même que je décide, selon la prépondérance des probabilités, quel document est le plus susceptible de représenter la véritable relation entre les parties. Il est certain que le formulaire avec TPS est plus favorable aux acheteurs, comme en témoignent à la fois le calcul des bénéfices et le fait que les acheteurs ont fondé leur demande de remboursement sur ce formulaire. Si la présente affaire m'était soumise en dehors de la Cour canadienne de l'impôt et que je devais simplement trancher entre les positions contradictoires d'AW, d'une part, et celle d'AE et WI, de l'autre, sans l'intervention du ministre du Revenu national, quelle serait ma décision? Tout d'abord, il n'existe aucune preuve extrinsèque claire indiquant que les parties ont convenu que le formulaire d'exportation représentait la véritable relation entre elles. En outre, les pratiques en vigueur dans l'industrie ne s'avèrent pas vraiment utiles. La TPS est parfois facturée aux acheteurs américains sur des marchandises détaxées, et parfois non. Par conséquent, si l'on peut dire que la production de deux documents contradictoires engendre une ambiguïté, je me suis demandé si, selon la règle contra proferentem, cette ambiguïté doit être résolue à l'encontre de la personne qui a établis les documents et s'en est servie. En l'espèce, c'est AW qui en est l'auteur, et il s'ensuivrait que la véritable relation contractuelle entre les parties est elle qui est indiquée dans le document avec TPS. J'ai conclu cependant que le principe contra proferentem n'est d'aucune utilité, car ni l'un ni l'autre document, pris isolément, n'est ambigu. L'incertitude surgit seulement lorsque les deux formulaires sont examinés de concert. Je serais réticent à m'appuyer sur une conclusion sur une ancienne maxime latine, contra proferentem, dans ces circonstances. Les maximes latines facilitent l'interprétation lorsque toutes les autres méthodes sont vaines, et je crois qu'il vaut mieux déterminer que la règle contra proferentem s'applique seulement si l'ambiguïté est évidente dans un seul contrat et non pas à cause de la juxtaposition de deux documents contradictoires. Je préfère que ma conclusion se fonde sur le point de vue suivant lequel, même si les deux formulaires ont été envoyés aux acheteurs, il est très peu plausible que ces derniers auraient accepté de payer le prix plus élevé, sans TPS (figurant sur le formulaire d'exportation).

[63]     Les transactions Nordren diffèrent un peu des autres, puisqu'elle soulèvent la question de savoir si AW a vendu les quatre véhicules directement à AE ou bien si les véhicules ont été vendus à une entreprise canadienne puis à AE. AW affirme que quatre camionnettes Ford F-350 ont été vendues et qu'elles lui ont été payées par AE en octobre 1997. Cette thèse de l'appelante offre l'avantage d'une relative simplicité. Encore une fois, nous avons les « certificats frontaliers » avec TPS et les « factures » (ou les formulaires d'exportation) sans TPS. Nous avons aussi une facture du fabricant dans les dossiers d'AW portant la note « Salut Bill, 41 837 avec la totalité de la marge - c'est OK, Greg » . Le même document se retrouvait dans les registres d'AE, mais sans cette note.

[64]     La position de l'intimée est plus complexe et comporte une série de transactions, dont certains sont difficiles à expliquer ou à faire cadrer avec l'ensemble des circonstances. Ces transactions incluent un paiement à AW, par All Star Auto, du prix d'achat des quatre véhicules. Quatre autres entreprises canadiennes sont impliquées : All Star Auto, Oakville Motors, Fulton Auto et Nordren Auto Sales. Personne n'a pu expliquer à ma satisfaction pourquoi ces autres entreprises canadiennes ont été impliquées ou sont intervenues. Cependant, qu'elles fassent partie ou non de la chaîne qui unit AW et AE, le résultat est le même. Si nous laissons de côté les intermédiaires afin de traiter la vente comme si elle s'était conclue directement entre AW et AE, nous avons une vente étayée par un formulaire où la TPS a été facturée mais non remise par AW au Receveur général. Si la vente s'est conclue entre AW et la première entreprise de la chaîne sans que la TPS ne soit facturée ou remise, le ministre avait le droit de cotiser AW pour la TPS.

[65]     Je conclus donc que le ministre avait le droit de cotiser AW pour la TPS non remise figurant sur les formulaires avec TPS. Les réponses aux questions posées aux alinéas a) et b) des points en litige indiqués au paragraphe 36 de l'exposé conjoint des faits sont affirmatives dans les deux cas.

[66]     En ce qui concerne les pénalités et les intérêts prévus à l'article 280 et les pénalités infligées en vertu de l'article 285, je crois qu'ils sont justifiés. Il y a eu tromperie délibérée lorsqu'on a utilisé les certificats frontaliers dans un but et les formulaires d'exportation aux fins des déclarations de TPS. La production de ces deux formulaires contradictoires constitue à mes yeux au moins une faute lourde.

[67]     J'ai dû me pencher récemment sur les pénalités prévues à l'article 285 (Loi sur la taxe d'accise) et au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans l'affaire Orly Automobiles Inc. v. The Queen, dossier 98-431(GST)G, 4 mai 2004, et dans l'affaire Klotz v. The Queen, 2004 DTC 2236, j'ai cité la décision rendue par notre Cour dans Urpesz c. La Reine, [2001] 3 C.T.C. 2256, [2000-3574-IT-I, par. 20 et suivants] :

Il se trouve que la jurisprudence portant sur cette branche du droit est abondante. On peut débuter avec les nombreuses pages suivant le paragraphe 163(2) de la Loi dans le Canadian Tax Reporter de CCH ou le Canada Tax Service de DeBoo. Une affaire récente est celle intitulée Farm Business Consultants Inc. c. La Reine, C.A.F., no A-542-94, 18 janvier 1996 (96 DTC 6085), dans laquelle la Cour d'appel fédérale a confirmé une décision de cette cour (C.C.I., no 92-2597(IT)G, 16 septembre 1994 (95 DTC 200)). Aux pages 11, 12 et 13 (DTC: aux pages 205 et 206), cette cour a déclaré ceci :

Je suis conscient que le sous-alinéa 152(4)a)(i) a pour objet d'ouvrir les déclarations qui s'appliquent à des années frappées de prescription quand, pour toutes sortes de raisons, les éléments de revenu sont omis ou présentés de façon erronée, alors que le paragraphe 163(2) est une disposition pénale et que, si, au moment de l'appliquer, le type de conduite à laquelle est attribuable la présentation erronée des faits soulève un doute, il faudrait accorder le bénéfice du doute au contribuable. Dans l'affaire Udell v. M.N.R., 70 D.T.C. 6019, le juge Cattanach déclare ce qui suit, à la page 6025 du recueil :

[TRADUCTION]

       Il ne fait aucun doute que le paragraphe 56(2) est une disposition de nature pénale. Lorsque l'on interprète une telle disposition, il convient de tenir compte des propos inattaquables de lord Esher dans l'affaire Tuck & Sons v. Priester, (1887) 19 Q.B.D. 629 : lorsque le libellé d'une disposition de nature pénale est susceptible à la fois d'une interprétation qui mènerait à l'imposition de la pénalité prévue, et d'une autre qui n'y mènerait pas, c'est cette dernière qui prévaut. Voici ce qu'il dit à la page 638 :

Il faut interpréter cette disposition avec grand soin car elle mène à l'imposition d'une pénalité. S'il existe une interprétation raisonnable qui permettra d'éviter la pénalité dans une cause particulière, c'est celle-là qu'il faut retenir.

et, ajoute-t-il, à la page 6026 du recueil :

       Il est clair selon moi que lorsqu'il est question d'imposer un impôt ou un droit, et plus encore une pénalité, s'il existe un doute raisonnable il faut interpréter la loi de manière à accorder le bénéfice du doute à la partie à qui l'on cherche à imputer le montant en question.

       Voir aussi Holley v. M.N.R., 89 DTC 366, à la p. 369; De Graaf v. The Queen, 85 DTC 5280.

       Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller. Une conduite du genre de celle qui est envisagée au sous-alinéa 152(4)a)(i) peut, dans certaines circonstances, servir aussi de fondement à l'imposition d'une pénalité prévue au paragraphe 163(2), qui implique la pénalisation d'une conduite plus répréhensible. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien-fondé d'allégations moins sérieuses3. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité4. Je crois qu'en l'espèce, l'intimée a fait la preuve du degré de probabilité requis, et qu'au vu de la preuve produite, aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée ne peut être défendue.

_________________

3Voir Continental Insurance Co. v. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; 131 D.L.R. (3rd) 559; 25 C.P.C. 72, le juge en chef Laskin, p. 168-171; D.L.R. 562-564; C.P.C. 75-77). Bater v. Bater, [1950] 2 All E.R. 458, p. 459; Pallan et al v. M.N.R. 90 D.T.C. 1102, p. 1106; W. Tatarchuk Estate v. M.N.R., [1993] 1 C.T.C. 2440, p. 2443.

         4 Il ne s'agit pas simplement d'une extrapolation de la règle énoncée dans l'affaire Hodge's Case (1838) 2 Lewin 227; 168 E.R. 1136, qui se rapporte à des questions de nature criminelle comme celle que vise, par exemple, l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui requiert une preuve au-delà du doute raisonnable. Il s'agit simplement d'une application du principe selon lequel une pénalité ne peut être imposée que dans les cas où la preuve le justifie clairement. Si cette dernière est compatible avec, à la fois, l'état d'esprit qui justifie une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) et l'absence de cet état d'esprit - j'hésite à employer les mots innocence ou culpabilité dans ces circonstances - cela voudrait dire que la Couronne ne s'est pas acquittée du fardeau qui pesait sur ses épaules.

Deux décisions rendues par le juge Strayer dans les affaires Venne c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-815-82, 9 avril 1984 (84 DTC 6247) et De Graaf c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-5291-80, 3 mai 1985 (85 DTC 5280) m'ont été très utiles sur cette question. Aucune de ces affaires n'a été mentionnée par l'avocat.

À la page 19 (DTC: à la page 6256) de l'affaire Venne, le juge Strayer déclare ce qui suit :

       Quant à la possibilité d'une faute lourde, j'ai conclu, après hésitation, qu'elle n'a pas non plus été établie ici. La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. Je ne conclus pas à l'existence d'un tel degré de négligence en rapport avec les faux énoncés de revenus commerciaux. Certes, le contribuable n'a pas fait preuve de la prudence d'un homme raisonnable et, comme je l'ai déjà fait remarquer, il aurait au moins dû réviser ses déclarations de revenus avant de les signer. Ce faisant, un homme raisonnable, eu égard aux autres renseignements dont il disposait, aurait été amené à croire que quelque chose n'allait pas et aurait cherché à en savoir plus long auprès de son teneur de livres.

[68]     Au vu des éléments de preuve, aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée ne peut être défendue. Selon les principes énoncés dans les affaires citées dans l'extrait repris ci-dessus, je crois que l'intimée s'est acquittée du fardeau relativement lourd qui lui incombait, soit de justifier l'imposition de la pénalité prévue à l'article 285. La réponse à la question posée à l'alinéa d) du paragraphe 36 de l'exposé conjoint des faits est donc affirmative.

[69]     L'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de juin 2004.

« D.G.H. Bowman »

Juge Bowman

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


RÉFÉRENCE :

2004CCI258

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-3385(GST)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

800537 Ontario Inc. et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

London (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :

Du 3 au 7 novembre 2003; du 12 au 16 janvier 2004 ; les 1er et 2 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

Le juge en chef adjoint D.G.H. Bowman

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS DU JUGEMENT :

Le 21 juin 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Me Paul G. Vogel

Me Robyn L. Marttila

Pour l'intimée :

Me Peter M. Kremer, c.r.

Me Charles M. Camirand

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

COHEN HIGHLEY LLP

Cabinet :

11e étage - One London Place

255, avenue Queens

London (Ontario) N6A 5R8

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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