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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 98-793(IT)G

ENTRE :

THOMAS WHEALY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Robert Siskind (98-794(IT)G) les 2 et 3 juin 2003, à Edmonton (Alberta).

Devant : L'honorable juge M.A. Mogan

Comparutions :

Avocate de l'appelant :

Me Cheryl Gibson

Avocat de l'intimée :

Me Dan Misutka

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels formés à l'égard des cotisations relatives à l'impôt établies sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1987, 1988, 1989, 1993, 1995 et 1996 sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juin 2004.

« M.A. Mogan »

Juge Mogan

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 98-794(IT)G

ENTRE :

ROBERT SISKIND,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Thomas Whealy (98-793(IT)G) les 2 et 3 juin 2003, à Edmonton (Alberta).

Devant : L'honorable juge M.A. Mogan

Comparutions :

Avocate de l'appelant :

Me Cheryl Gibson

Avocat de l'intimée :

Me Dan Misutka

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels formés à l'égard des cotisations relatives à l'impôt établies sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1987, 1988, 1989, 1990, 1991 et 1994 sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juin 2004.

« M.A. Mogan »

Juge Mogan

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2004CCI377

Date : 20040608

Dossier : 98-793(IT)G

98-794(IT)G

ENTRE :

THOMAS WHEALY et ROBERT SISKIND,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Mogan

[1]      Les appels interjetés dans les affaires Thomas Whealy c. La Reine (dossier de la Cour numéro 98-793) et Robert Siskind c. La Reine (dossier de la Cour numéro 98-794) ont été entendus ensemble sur preuve commune. Par souci de commodité, je désignerai les appelants par leurs noms de famille, soit « M. Whealy » et « M. Siskind » , respectivement. En ce qui concerne M. Whealy, les années d'imposition visées par l'appel sont 1987, 1988, 1989, 1993, 1995 et 1996. Pour M. Siskind, les années d'imposition visées par l'appel sont 1987, 1988, 1989, 1990, 1991 et 1994. Les appelants font valoir qu'en 1988, ils ont acquis une participation dans une société de personnes et que, pendant toutes les années pertinentes postérieures à 1988, ils ont exploité une entreprise par le truchement de cette société. Pour chacune des années d'imposition en cause, au moins un des appelants a déduit dans le calcul du revenu (ou du revenu imposable, selon le cas) une somme désignée comme sa part des pertes subies par la société de personnes.

[2]      Par des avis de nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national a refusé la déduction de toutes les sommes réclamées par les appelants à titre de parts des pertes subies par la société de personnes. M. Whealy et M. Siskind ont interjeté appel de ces nouvelles cotisations auprès de la Cour. Les appels soulèvent un certain nombre de questions. Le principal point en litige semble celui de savoir si l'organisation qui est censée avoir attribué les pertes au prorata aux appelants était bien une société de personnes. La plupart des opérations en cause ont eu lieu en 1988 et sont complexes.

Les faits

[3]      Les parties ont versé au dossier, à titre de pièce A-1, un recueil de documents (35 onglets, mais l'onglet 8 est vierge), étant entendu que l'authenticité des documents est admise. L'authenticité des documents réunis dans le recueil n'a donc pas à être prouvée, mais l'une ou l'autre des parties peut contester l'exactitude de n'importe quelle déclaration ou montant se trouvant dans un document, ou l'admissibilité d'un document donné.

[4]      M. Siskind et M. Whealy vivent tous deux à London (Ontario). M. Siskind est né en 1942 et M. Whealy en 1941. Ils se sont rencontrés à la University of Western Ontario vers 1960. À l'audience, ils se sont tous deux décrits comme des promoteurs immobiliers. M. Siskind est devenu avocat et a exercé le droit à London pendant environ 15 ans, de 1967 à 1982. Une grande partie de sa pratique visait le droit commercial et l'immobilier et il a donc commencé à faire de la promotion immobilière parallèlement à sa pratique du droit. En 1982, il a abandonné la pratique du droit pour se consacrer à plein temps à la promotion immobilière. M. Whealy a obtenu deux diplômes de la University of Western Ontario (un baccalauréat ès arts et une maîtrise ès arts). Il s'est ensuite rendu à Chicago, où il a travaillé dans le domaine de la promotion immobilière. En 1972, M. Whealy est retourné à London et s'est joint à M. Siskind pour faire de la promotion immobilière. Ils ont commencé par des maisons en rangée, mais se sont par la suite intéressés à la conception, à la construction et à la gestion d'immeubles commerciaux, d'immeubles de bureaux, d'immeubles d'habitation en copropriété et de quelques établissements hôteliers.

[5]      Marvin Weisler, chirurgien urologue, vit à Edmonton (Alberta). M. Siskind est marié avec la soeur du Dr Weisler; ils sont donc beaux-frères. Le père du Dr Weisler était propriétaire de certains placements immobiliers et, lorsque sa santé a commencé à décliner vers le milieu des années 70, le Dr Weisler a dû prendre la relève et prendre part à la gestion des biens immobiliers. À cette époque, il a également commencé à travailler avec MM. Siskind et Whealy dans d'autres projets immobiliers. En 1982, M. Siskind, M. Whealy et M. Weisler travaillaient ensemble dans le cadre d'une société de personnes ou d'une coentreprise informelle pour promouvoir divers projets immobiliers. M. Siskind a déclaré que chacun assumait des tâches différentes : M. Siskind se chargeait de trouver les propriétés et de prendre les arrangements relatifs à leur acquisition et au zonage. M. Whealy était responsable de la construction. M. Weisler s'occupait des questions financières et travaillait avec les experts-comptables externes. Ils (MM. Siskind, Whealy et Weisler) avaient souvent d'autres associés participant à un ou plusieurs projets immobiliers.

[6]      À l'été 1988, leurs experts-comptables (Coopers & Lybrand) ont communiqué avec M. Weisler pour l'informer d'une proposition touchant la réalisation d'une perte au titre de l'aliénation d'un terrain et d'un immeuble situés au Texas, et la répartition de cette perte entre les associés de la société de personnes qui était propriétaire du terrain et de l'immeuble. La proposition est exposée de manière générale dans une lettre datée du 19 août 1988 adressée à M. Weisler. Voir l'onglet 4 de la pièce A-1. M. Weisler a alors présenté la proposition à M. Siskind et à M. Whealy, et ils ont tous les trois décidé de participer au projet à parts égales. M. Weisler a également fait part de la proposition à deux autres personnes à Edmonton (Jean Pare et son fils Grant Lovig), lesquelles ont elles aussi décidé de participer. Voir les onglets 5 et 6 de la pièce A-1.

[7]      Comme ces cinq résidents du Canada (M. Siskind, M. Whealy, M. Weisler, M. Lovig et Mme Pare) ont choisi de tirer parti de la proposition visant le terrain et l'immeuble situés au Texas, une série d'opérations ont eu lieu dans cet État le 12 septembre 1988 afin de donner effet à la proposition. Ces opérations sont exposées à l'onglet 7(1) de la pièce A-1, où se trouve aussi un calendrier des signatures énumérant 15 documents devant être signés dans un ordre préétabli entre 22 h 56 et 23 h 39. Les documents sont tous reproduits à l'onglet 7, mais peuvent se résumer en un certain nombre de faits sur lesquels s'entendent les parties. Les faits énoncés aux paragraphes 8 à 10 ci-dessous ont été admis dans les actes de procédure ou dans la demande d'aveux de l'appelant ou encore sont tirés des documents joints à titre de pièce A-1.

[8]      Vers le 30 janvier 1986, Preston Court Venture ( « PCV » ), Preston Court Associates ( « PCA » ) et Preston Partners ( « Preston-P » ) ont conclu un contrat de société en commandite établissant une société dénommée Preston/Lovers, Ltd. (l' « ancienne société » ). L'ancienne société était composée d'entités texanes constituées sous le régime de la Limited Partnership Act du Texas (voir l'onglet 1 de la pièce A-1). Peu après sa constitution, l'ancienne société a acquis certains terrains et améliorations situés dans le comté de Dallas, au Texas (les « actifs immobiliers » ). Entre la date de l'achat des actifs immobiliers et le 12 septembre 1988, le marché immobilier à Dallas a connu une baisse et la valeur des actifs immobiliers a diminué.

[9]      Les opérations suivantes ont eu lieu le 12 septembre 1988 dans l'ordre mentionné ci-dessous :

a)                 PCV, PCA et Preston-P ont convenu de modifier leur contrat de société initial afin de convertir certaines participations à titre de commanditaires dans l'ancienne société, acquises par PCV de PCA et de Preston-P, en des participations à titre de commandités;

b)                 PCV a signé un billet s'élevant à 6 500 000 $US en faveur de l'ancienne société;

c)                 l'ancienne société a conclu avec Preston/Lovers-I, Ltd. (la « nouvelle société » ) une convention d'option par laquelle la nouvelle société s'est vu consentir une option d'achat de certains biens de l'ancienne société;

d)                 l'ancienne société et la nouvelle société ont conclu une deuxième convention d'option. Suivant cette convention, si la nouvelle société exerçait son option d'acheter certains biens de l'ancienne société, celle-ci bénéficiait alors d'une option distincte lui permettant d'acheter de la nouvelle société certains terrains et certaines améliorations au plus tard le 30 septembre 1990 pour la somme de 25 000 000 $US;

Remarque : Les faits exposés aux alinéas e) à l) inclusivement sont admis par l'intimée sous réserve de la condition suivante : l'intimée reconnaît que les opérations énoncées aux alinéas e) à l) inclusivement ont eu lieu, mais nie que MM. Siskind et Whealy et les autres cessionnaires soient devenus associés dans l'ancienne société parce que, selon elle, MM. Siskind et Whealy et les autres cessionnaires n'exploitaient pas une entreprise en société le 12 septembre 1988 ou à une date postérieure.

e)                 en contrepartie d'une somme de 112 342 $US, PCV a vendu et cédé 49,98 p. 100 de sa participation à titre de commandité dans l'ancienne société à M. Siskind, à M. Whealy et aux autres cessionnaires dans les proportions suivantes :

Marvin Weisler                 8,00 %

Robert Siskind                 8,00 %

Thomas Whealy               8,00 %

Grant Lovig                     6,50 %

Jean Pare                        19,48 %

TOTAL                         49,98 %

f)                  le contrat de société relatif à l'ancienne société a été modifié de façon à ce qu'il fasse état de la vente et de la cession à Marvin Weisler, à M. Siskind, à M. Whealy, à Grant Lovig et à Jean Pare d'une portion de la participation de PCV à titre de commandité dans l'ancienne société;

g)                 en contrepartie d'une somme de 112 274 $US, PCV a vendu et cédé 49,95 p. 100 de sa participation à titre de commandité dans l'ancienne société à M. Siskind, à M. Whealy et aux autres cessionnaires dans les proportions suivantes :

Marvin Weisler                 7,99 %

Robert Siskind                 7,99 %

Thomas Whealy               7,99 %

Grant Lovig                     6,49 %

Jean Pare                        19,49 %

TOTAL                         49,95 %

h)                 le contrat de société relatif à l'ancienne société a été modifié de façon à ce qu'il fasse état de la vente et de la cession à Marvin Weisler, à M. Siskind, à M. Whealy, à Grant Lovig et à Jean Pare d'une portion de la participation de PCV à titre de commandité dans l'ancienne société;

i)                  PCV a vendu et cédé aux cessionnaires sa participation de 0,05 p. 100 à titre de commandité dans l'ancienne société; PCA a vendu et cédé aux cessionnaires sa participation de 0,01 p. 100 à titre de commanditaire dans l'ancienne société; et Preston-P a vendu et cédé aux cessionnaires sa participation de 0,01 p. 100 à titre de commanditaire dans l'ancienne société, de la façon suivante :

Cessionnaire

Participation à titre de commandité

Participation à titre de commanditaire

Marvin Weisler

0,01 %

0,00 %

Robert Siskind

0,01 %

0,00 %

Thomas Whealy

0,01 %

0,00 %

Grant Lovig

0,01 %

0,00 %

Jean Pare

0,01 %

0,00 %

386853 Alberta Ltd.

0,00 %

0,02 %

TOTAL

0,05 %

0,02 %

j)                  le contrat de société relatif à l'ancienne société a été modifié de façon à ce qu'il fasse état de la vente et de la cession des participations dans la société mentionnées à l'alinéa i) ci-dessus;

k)                 l'ancienne société a acheté de PRI Producing Inc., de PRI Gas Transmission Inc. et de Hiawatha Oil Company, Inc. les droits pétroliers et gaziers suivants pour la somme de 25 000 $US : un droit dans le puits Ellis no 1-35 à Oklahoma et un droit dans les puits Campbell no A-2-41 et no A-1-41 au Texas;

l)                  la nouvelle société a exercé son option d'achat de certains biens de l'ancienne société, y compris des actifs immobiliers.

[10]     En septembre 1988, la valeur de Park City Towers totalisait 6 050 000 $US (1 550 000 $ pour le terrain et 4 500 000 $ pour l'immeuble). Les onglets 9 et 29 de la pièce A-1 consistent respectivement en une copie des déclarations de revenus de M. Siskind et de M. Whealy pour l'année 1988. Chacune des déclarations comprend une copie des états financiers de l'ancienne société pour l'exercice allant du 1er janvier au 30 septembre 1988. Le bilan fait état de sommes comparables au 31 décembre 1987. Selon le bilan, l'ancienne société avait des immobilisations (terrain et immeuble) ayant une valeur comptable de 19 478 358 $ au 31 décembre 1987, mais aucune immobilisation au 30 septembre 1988. Le seul actif de l'ancienne société au 30 septembre 1988 consistait en des [TRADUCTION] « avoirs pétroliers et gaziers » d'une valeur comptable de 32 463 $US. Suivant d'autres parties des états financiers, l'ancienne société a subi une perte finale de 9 287 504 $ à la disposition de son immeuble et une perte de 3 760 042 $ à la disposition de son terrain.

[11]     Si des avoirs pétroliers et gaziers d'une valeur comptable de 32 463 $US constituaient le seul actif de l'ancienne société au 30 septembre 1988, j'arrive à la conclusion que ces avoirs consistaient en le puits Ellis en Oklahoma et les puits Campbell au Texas (susmentionnés à l'alinéa 9k), bien qu'il ne semble pas y avoir de preuve directe sur ce point. M. Siskind a déclaré qu'il avait déjà eu recours à d'autres abris fiscaux (des films, par exemple), mais qu'il ne s'était jamais senti à l'aise avec ces autres abris parce qu'ils ne visaient aucun bien durable. Il préférait le mécanisme offert par l'ancienne société parce que les puits produisant du gaz constituaient des biens durables. Si les puits de gaz étaient à l'origine du sentiment de sécurité qu'éprouvait M. Siskind, ce dernier leur accordait peu d'attention et ne connaissait pas grand-chose à leur sujet entre 1988 et 2000. Cela vaut également pour M. Whealy. Comme c'est le Dr Weisler qui avait présenté l'idée d'acquérir des pertes au titre de biens réels situés au Texas à M. Siskind et à M. Whealy, c'est lui qui a agi comme personne-ressource en ce qui touche les puits de gaz.

[12]     Les revenus tirés des puits étaient envoyés au Dr Weisler, à Edmonton. Vers 1997, ce dernier a transféré la responsabilité liée aux puits à Grant Lovig qui, à son tour, en a chargé M. Siskind vers 2000. Les onglets 17 à 22 de la pièce A-1 consistent en des relevés mensuels, pris au hasard entre les mois de juillet 2001 et octobre 2002, que la CIBC envoyait à l'ancienne société (aux soins de Grant Lovig, à Edmonton). Ces relevés font état de diverses sommes déposées à titre de revenus tirés des puits ainsi que d'un paiement (onglet 20) visant des honoraires d'avocat. Peu d'éléments de preuve ont été présentés au sujet des puits Campbell et, en particulier, sur la question de savoir si ces puits produisaient un quelconque revenu. M. Siskind a déclaré que les puits Campbell [TRADUCTION] « causaient certains problèmes et avaient été vendus pendant que M. Lovig en avait la responsabilité » (voir la page 68 de la transcription). L'onglet 25 de la pièce A-1 consiste en une lettre datée du 19 septembre 2002 par laquelle Grant Lovig (au nom de l'ancienne société) cédait sa participation dans un puits Campbell pour la somme de 1 000 $US.

[13]     Les parties ne se sont pas entendues sur la réelle quote-part dans le puits Ellis et les puits Campbell acquise par l'ancienne société, mais la pièce A-4 est une copie d'un rapport sur l'historique de l'équilibrage du gaz pour le mois de décembre 2002 établi par une personne uniquement désignée comme « Samson » , rapport qui a cependant été préparé le 27 mars 2003. La pièce A-4 fait mention d'un puits Ellis et, dans les deux colonnes de gauche, fait état du « No du propriétaire » et de la « Participation de concessionnaire » . J'ai tiré les renseignements suivants de la pièce A-4 afin de montrer l'importance de la participation de concessionnaire de l'ancienne société en regard des deux personnes qui paraissent posséder les deux plus importantes participations de concessionnaire :


No du propriétaire

Participation de concessionnaire

Droits actuels

-

Samson

0,68710680

1 229

643508

Keystone Company

0,10000000

179

010609

Preston/Lovers, Ltd.

0,05405270

97

J'en conclus que, de façon approximative, la participation de Samson dans le puits Ellis est de 68,71 p. 100, celle de Keystone Company est de 10 p. 100 et celle de l'ancienne société est de 5,4 p. 100. Ma conclusion est étayée par la colonne intitulée « Droits actuels » parce que les droits de Samson (1 229) sont environ sept fois supérieurs à ceux de Keystone (179) et que ceux de l'ancienne société (97) correspondent à un peu plus de la moitié de ceux de Keystone. Suivant la pièce A-4, 35 personnes possèdent des « participations de concessionnaire » dans le puits Ellis. Si on exclut Samson (68,71 p. 100) et Keystone (10 p. 100), il ne reste que 21,29 p. 100 des participations à répartir entre les 33 autres participants. Il n'est donc pas étonnant que la participation de l'ancienne société ne soit que de 5,4 p. 100.

[14]     La pièce A-2 consiste en un tableau élaboré par PriceWaterhouseCoopers en vue de l'audience. Il fait état des gains nets que la société a tirés de ses activités pétrolières et gazières de 1989 à 2002, à l'exception des sommes visant 1994, année pour laquelle aucun document n'est disponible. Ce tableau fait état de gains nets de 17 124 $CAN pour la période du 30 septembre 1989 au 30 septembre 2002 (à l'exclusion de l'année 1994). Les résultats pour cinq des années visées par le rapport sont négatifs tandis que ceux des autres huit années sont positifs. Pour neuf des années visées par le rapport, les montants nets (positifs ou négatifs) sont inférieurs à 1 400 $CAN; pour trois de ces années, les montants nets (positifs ou négatifs) totalisent entre 1 400 $ et 2 700 $CAN; et, pour 2001, le montant net des gains s'élève à 11 211 $CAN. À la lumière de la pièce A-2, je conclus que 65 p. 100 du montant de 17 124 $ représentant les gains nets a été reçu pendant la seule année 2001.

[15]     Les tableaux à l'appui joints à la pièce A-2 montrent les revenus et les dépenses liés aux activités pétrolières et gazières. Au cours de certaines années, les dépenses ont excédé les revenus, mais aucun élément de preuve ne permet d'établir que l'ancienne société a jamais été tenue de verser un apport en espèces pour l'exploitation du puits Ellis ou des puits Campbell après le paiement du coût initial de 25 000 $US en septembre 1988. J'en déduis que les contributions au titre des dépenses payables par le détenteur d'une participation de cessionnaire minoritaire dans ces puits ont été différées et déduites des revenus futurs. M. Siskind a mentionné que les revenus nets s'accumulaient dans un compte bancaire à Edmonton et qu'il se souvenait que vers 1997 ou 1998 ils ont été distribués entre lui-même, M. Whealy, M. Weisler, M. Lovig et Mme Pare.

[16]     MM. Siskind, Whealy et Weisler ont chacun supporté un coût de 106 561 $ pour acquérir des participations dans l'ancienne société. Ce coût a été établi de la façon suivante (onglet 28 de la pièce A-1) :

Weisler

Siskind

Whealy

Total

Monnaie américaine

Achat de participation

(433 846 x 48,01 %)

69 429,82 $

69 429,82 $

69 429,82 $

208 289,46 $

Johnson Bromberg

(27 760,12 x 48,01 %)

4 442,47

4 442,48

4 442,48

13 327,43

Don A. Tipton, Inc.

1 738,48

1 738,47

1 738,47

5 215,42

Total

75 610,77

75 610,77

75 610,77

226 832,31

Converti à un taux de 1,2168

92 003,18

92 003,18

92 003,18

276 009,54

Monnaie canadienne

Thorsteinsson, Mitchell

(31 347,39 x 48,01 %)

5 016,63

5 016,63

5 016,62

15 049,88

Thorsteinsson, Mitchell

2 874,71

2 874,71

2 874,71

8 624,13

Coopers & Lybrand

6 000,00

6 000,00

6 000,00

18 000,00

Cruikshank (estimation)

500,00

500,00

500,00

1 500,00

Réserve

de caisse

166,67

166,66

166,67

500,00

Total

14 558,01

14 558,00

14 558,00

43 674,01

Total

monnaie canadienne

106 561,19 $

106 561,18 $

106 561,18 $

319 683,55 $

[17]     L'onglet 13 de la pièce A-1 consiste en une lettre datée du 29 septembre 1988 que John Gregory, du cabinet d'avocats Thorsteinsson, a envoyée au Dr Weisler. Comme ce document est court, je le reproduis en entier :

[TRADUCTION]

Objet : Preston/Lovers, Ltd.

            Veuillez trouver sous pli des copies de l'analyse des mouvements de trésorerie touchant les avoirs miniers acquis par Preston/Lovers, Ltd. Ces avoirs miniers consistent en des participations dans deux puits reconnus pour produire du gaz, l'un étant situé au Texas et l'autre en Oklahoma. Selon les prévisions, cette acquisition devrait être rentable dans quatre ans et demi environ.

            J'ai écrit à Plains Resources pour leur demander de vous faire parvenir votre part des revenus nets d'exploitation à vos bureaux. Une copie de la lettre que j'ai adressée à Plains Resources est jointe à la présente.

            Je vous prie de recevoir mes salutations distinguées.

MM. Siskind, Whealy et Weisler conviennent tous que le passage [TRADUCTION] « [...] devrait être rentable dans un peu plus de quatre ans et demi environ » vise le coût des puits (25 000 $) et non le coût qu'ils ont supporté (106 561 $ chacun) pour acheter les participations dans l'ancienne société. La pièce A-2 montre que les gains nets tirés des puits pendant la période de 14 ans allant de 1989 à 2002 totalisent 17 124 $CAN. La période de récupération de quatre ans et demi était certainement optimiste. M. Siskind a expliqué que les gains nets auraient été plus élevés si le Dr Weisler ou Grant Lovig avait signé une entente de commercialisation qui aurait apparemment été laissée de côté soit au début de l'entreprise (1988/1989), soit pendant les années 90. La preuve relative à cette entente de commercialisation est vague, et je ne puis établir dans quelle mesure (le cas échéant) elle aurait permis d'augmenter les gains nets tirés des puits.

[18]     À l'onglet 7 de la pièce A-1 se trouve une liste des documents (le calendrier des signatures plus 18 autres documents) déposés au moment des signatures au Texas le 12 septembre 1988. Le calendrier des signatures a été préétabli de façon rigoureuse de 22 h 56 à 23 h 39 pour la signature et la livraison des 15 documents qui y sont énumérés. Le document numéro 15, qui s'intitule « Contrat de vente et d'achat » , intéresse l'achat, par l'ancienne société, de certaines participations dans des puits de gaz situés en Oklahoma et au Texas au prix de 25 000 $. Je présume que cette somme est exprimée en monnaie américaine puisque l'ensemble de l'opération a eu lieu au Texas avec trois vendeurs américains et un acheteur américain. À l'onglet 28 de la pièce A-1 (coût des participations de l'ancienne société), les dollars américains sont convertis en dollars canadiens suivant un taux de 1,2168. Si on applique ce même taux au coût des puits (25 000 $), on arrive à un coût de 30 420 $CAN. Les gains nets de 17 124 $CAN mentionnés dans la pièce A-2 pour la période allant de 1989 à 2002 montrent qu'après 14 ans, les appelants avaient recouvré moins de 60 p. 100 du coût des puits.

[19]     Je vais tenter de résumer les conséquences produites par les opérations qui ont eu lieu au Texas le 12 septembre 1988 en utilisant les noms abrégés des parties que j'ai employés aux paragraphes 8 et 9 plus haut :

a)        les associés initiaux (PCV, PCA et Preston-P) de l'ancienne société ont formé une seconde société en commandite texane dénommée « Preston/Lovers-I, Ltd. » , également appelée la « nouvelle société » ;

b)       l'ancienne société a acheté le puits Ellis (en Oklahoma) et les puits Campbell (au Texas) pour une somme de 25 000 $US;

c)        l'ancienne société a consenti à la nouvelle société une option lui permettant d'acheter tous les éléments d'actif de l'ancienne société (à l'exception des puits de gaz Ellis et Campbell) pour une somme équivalant aux dettes et obligations de l'ancienne société (estimées à au moins 11 170 000 $);

d)       la nouvelle société a consenti à l'ancienne société une option (conditionnelle à ce que la nouvelle société exerce l'option mentionnée à l'alinéa c) ci-dessus) lui permettant de racheter les mêmes éléments d'actif pour la somme de 25 000 000 $US au plus tard le 30 septembre 1990;

e)        M. Siskind, M. Whealy, M. Weisler, M. Lovig et Mme Pare (les « Canadiens » ) ont acheté de PCV, de PCA et de Preston-P toutes leurs participations dans l'ancienne société pour une somme d'environ 225 000 $US;

f)        la nouvelle société a exercé son option d'achat relative à tous les éléments d'actif de l'ancienne société, à l'exception des puits de gaz Ellis et Campbell;

g)        à minuit le 12 septembre 1988, les seuls éléments d'actif que possédait l'ancienne société étaient les puits de gaz Ellis et Campbell, et les seuls associés de l'ancienne société étaient les cinq Canadiens visés à l'alinéa e) ci-dessus;

h)        le 30 septembre 1988, l'ancienne société avait subi les pertes suivantes, lesquelles sont toutes exprimées en monnaie américaine :

-          une perte d'exploitation de 1 203 936 $ pour la période allant du 1er janvier au 30 septembre 1988;

-          une perte en capital de 3 760 042 $ par suite de la vente du terrain;

-          une perte finale de 9 287 504 $ par suite de la vente de l'immeuble.

i)         l'ancienne société n'a pas, au cours des 24 mois suivants, exercé son option de rachat (pour 25 000 000 $ au plus tard le 30 septembre 1990) des éléments d'actif qui ont été vendus à la nouvelle société le 12 septembre 1988.

Analyse

[20]     Pour 1988 et les années subséquentes, l'ancienne société a réparti certaines portions de ses pertes entre ses associés canadiens; et ces associés ont déduit leur quote-part de ces pertes dans le calcul du revenu ou du revenu imposable, selon le cas. Revenu Canada (tel qu'il était alors désigné) a refusé la déduction des pertes en question, et les appelants se sont adressés aux tribunaux pour interjeter appel de ces refus.

[21]     La principale question en litige est celle de savoir si l'ancienne société a continué d'exister en tant que société sous le régime du droit canadien après le 12 septembre 1988. Les appelants avancent comme argument fondamental que l'ancienne société, par le truchement de ses participations dans les puits de gaz Ellis et Campbell, vend du gaz naturel et exploite donc une entreprise. L'argument fondamental de l'intimée consiste plutôt à soutenir que l'ancienne société, même si elle était propriétaire de participations minimes dans deux puits de gaz, n'exploitait pas une entreprise; et les appelants (MM. Siskind et Whealy) n'exploitaient pas une entreprise en vue de tirer un bénéfice de participations aussi peu importantes.

[22]     Pour les raisons exposées plus loin, j'accepte l'argument de l'intimée et j'arrive à la conclusion (i) que l'ancienne société n'exploitait aucune entreprise après le 12 septembre 1988; et (ii) que les appelants n'exploitaient pas une entreprise en vue de tirer un bénéfice des participations négligeables dans deux puits de gaz achetées par l'ancienne société.

[23]     Les avocats des deux parties ont invoqué les arrêts de la Cour suprême du Canada rendus dans Backmanc. La Reine, [2001] 1 R.C.S. 367, 2001 DTC 5149, et Spire Freezers Ltd. et al c. La Reine, [2001] 1 R.C.S. 391, 2001 DTC 5158. Les deux décisions ont été rendues à l'unanimité et prononcées le 1er mars 2001. Dans l'arrêt Backman, les juges Iacobucci et Bastarache, rédigeant l'opinion de la Cour, ont mentionné au paragraphe 18 que la société de personnes comporte trois éléments essentiels : (1) une entreprise, (2) exploitée en commun, (3) en vue de réaliser un bénéfice. Les faits de l'affaire Backman sont analogues à ceux dont je suis saisi dans les appels de M. Siskind et de M. Whealy :

(i)       En 1985, une société en commandite texane ( « Commons » ) a acheté un terrain et y a construit un immeuble d'habitation ( « appartements Dallas » ).

(ii)       Au mois d'août 1988, le coût des appartements Dallas excédait largement la juste valeur marchande.

(iii)      Le 29 août 1988, M. Backman et d'autres contribuables canadiens ont acquis 99,97 p. 100 des participations dans la société Commons.

(iv)      Commons a vendu les appartements Dallas à ses associés américains initiaux et réalisé une perte importante par suite de la vente.

(v)      Commons a acheté une petite participation dans un bien relatif au pétrole et au gaz ainsi qu'un immeuble en copropriété au Montana.

(vi)      Pour 1988 et les années subséquentes, M. Backman et les autres contribuables canadiens ont déduit leurs parts des pertes subies par Commons en raison de l'aliénation des appartements Dallas.

(vii)     La déduction des pertes a été refusée et M. Backman a interjeté appel.

[24]     L'appel de M. Backman à la Cour canadienne de l'impôt a été rejeté (97 DTC 1468). Son appel subséquent à la Cour d'appel fédérale a aussi été rejeté (99 DTC 5602). Enfin, son appel à la Cour suprême du Canada a également été rejeté (2001 DTC 5149). Le juge Rip de la Cour canadienne de l'impôt a déclaré ce qui suit à la page 1482 :

Toutes les opérations étaient déterminées à l'avance : les Canadiens acquerraient l'ensemble d'habitations de Dallas, cette acquisition étant assortie d'une option détenue par une société composée des anciens commanditaires de Commons et du nouveau commandité. L'option permettait à la nouvelle société en commandite d'acquérir de nouveau le bien à un prix qui occasionnerait des pertes inhérentes à l'ensemble d'habitations de Dallas. Les Canadiens ont détenu un intérêt dans le bien pendant moins de deux heures. [...]

Suivant le calendrier des signatures (pièce A-1, onglet 7, sous-onglet 1), les appelants (MM. Siskind et Whealy) n'ont détenu une participation dans les actifs immobiliers de l'ancienne société situés à Dallas que pendant 38 minutes, soit de 23 h à 23 h 38 le 12 septembre 1988. Les appelants ont reconnu pendant l'instruction qu'ils n'avaient jamais eu l'intention de détenir les actifs immobiliers situés à Dallas, lesquels avaient appartenu à l'ancienne société depuis sa formation. Par conséquent, j'estime que les appelants n'étaient pas des associés de l'ancienne société en ce qui touche l'appartenance à cette dernière, d'actifs immobiliers situés à Dallas.

[25]     L'élément central de la thèse des appelants est le suivant : l'ancienne société a continué d'exploiter une entreprise après le 12 septembre 1988 car elle était propriétaire de participations dans les deux puits de gaz. Saisi d'un argument semblable dans l'arrêt Backman, la Cour suprême du Canada a déclaré aux paragraphes 29 et 30 :

[29]       L'appelant soutient que l'achat de la participation directe dans un bien relatif au pétrole et au gaz établit l'existence d'une intention accessoire d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice. Ici encore, la preuve documentaire témoigne de l'intention de créer une société de personnes. Tout juste avant les opérations en cause dans le présent pourvoi, le contrat de société a été modifié de façon à y prévoir que l'investissement dans le domaine du pétrole et du gaz était l'un des objets de la société de personnes. Peu de temps avant le retrait prévu des associés américains, la prétendue société de personnes a effectivement acquis, au prix de 5 000 $, une participation de un pour cent dans un bien relatif au pétrole et au gaz en Alberta. Cependant, comme il a été vu plus tôt, cet élément de preuve touchant l'intention doit être soupesé avec d'autres facteurs, eu égard aux circonstances propres au bien relatif au pétrole et au gaz. Après avoir examiné ces circonstances, nous ne sommes pas convaincus que les supposés associés avaient, comme il se doit, l'intention d'exploiter une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice. Il est difficile d'accepter qu'une entreprise ait effectivement été exploitée alors qu'aucun des facteurs pertinents en ce qui concerne l'existence d'une entreprise n'étaye cette prétention. Les supposés associés ne se sont pas présentés à d'autres personnes comme étant des fournisseurs de biens ou services tirés du bien relatif au pétrole et au gaz dans lequel ils avaient un intérêt. Ils n'avaient aucune responsabilité quant à la gestion du bien. Il n'y a aucune preuve indiquant que la prétendue société de personnes ou ses représentants ont consacré plus qu'un apport symbolique au projet en temps, attention ou travail, ou qu'ils ont contracté des obligations envers d'autres personnes relativement au projet.

[30]       En outre, lorsqu'il a été interrogé à ce sujet au procès, l'appelant ne se souvenait pas du nom de la société de gestion qui exploitait le puits de pétrole et de gaz. Le seul élément de preuve d'une expectative de profit était l'assertion vague et intéressée qu'a faite l'appelant au procès et selon laquelle il escomptait un rendement annuel de 1 000 $ à 1 500 $.[...]

[26]     Il ressort de la pièce A-2 que, pendant la période de dix ans allant du 30 septembre 1989 au 30 septembre 1999, les revenus nets tirés par l'ancienne société de sa faible participation dans les deux puits n'ont totalisé que 3 283 $, somme qui correspond à l'excédent des bonnes années (6 668 $) sur les mauvaises années (-3 385 $), aucune somme n'étant disponible pour 1994. Après le 12 septembre 1988, les participations dans l'ancienne société étaient détenues dans une proportion d'environ 50 p. 100 par Jean Pare et Grant Lovig et d'environ 50 p. 100 en parts égales par MM. Siskind, Whealy et Weisler. Pendant ces dix années, la participation de 16 2/3 p. 100 de M. Siskind dans les revenus nets (3 283 $) tirés des deux puits de gaz équivalait à 547,14 $. M. Whealy se trouvait dans la même situation. MM. Siskind et Whealy ont chacun payé 106 561 $ pour acquérir une participation de 16 2/3 p. 100 dans l'ancienne société (voir l'onglet 28 de la pièce A-1). En regard de ce coût, un revenu de 547 $ tiré d'une petite participation dans deux puits de gaz sur une période de dix ans est insignifiant, minuscule et négligeable.

[27]     La preuve présentée fait état du fait que M. Siskind ou M. Whealy (ou les deux) avaient omis, du moins pour une année, de déclarer leur minuscule part de revenus tirés de l'ancienne société. Cette omission a été corrigée par une divulgation volontaire à Revenu Canada vers l'époque où les appelants faisaient l'objet d'un interrogatoire préalable dans le cadre des présents appels. J'estime que cette omission est facilement compréhensible compte tenu des revenus négligeables tirés de l'ancienne société comparativement à l'ensemble des revenus de chacun des appelants. Il n'est pas étonnant qu'on ne puisse pas trouver de documents relatifs aux revenus tirés des deux puits de gaz pour 1994. J'arrive à la conclusion que les revenus (le cas échéant) réalisés dans une quelconque année donnée n'avaient d'importance pour aucun des appelants.

[28]     Dans l'arrêt Backman, la Cour suprême du Canada a examiné le sens de l'expression « exploiter une entreprise » au paragraphe 19 :

[19]       En droit, le sens de l'expression « exploiter une entreprise » peut varier selon le contexte dans lequel cette expression est utilisée. Dans les lois provinciales sur les sociétés en nom collectif, les mots « entreprise » ou « affaires » sont généralement définis comme visant également les « commerces, occupations et professions » . Les facteurs susceptibles d'être pertinents pour statuer sur l'existence d'une entreprise se trouvent dans les définitions juridiques existantes. L'ouvrage Black's Law Dictionary (6e éd. 1990) donne, à la p. 214, une définition simple de l'expression « carrying on trade or business » ([TRADUCTION] « exploiter une entreprise » ), savoir : [TRADUCTION] « Se présenter à autrui comme faisant la vente de biens ou services » . Une autre définition requiert la présence d'au moins trois éléments : (1) un apport sous forme de temps, d'attention et de travail; (2) le fait de contracter des obligations envers d'autres personnes; (3) l'objectif de gagner sa vie ou de réaliser un bénéfice : voir Gordon c. La Reine, [1961] R.C.S. 592, le juge Cartwright, dissident mais non sur ce point, p. 603.

Après le 12 septembre 1988, l'ancienne société ne s'est pas présentée à autrui comme faisant la vente de biens ou services. Les participations minimes dans les deux puits de gaz ne conféraient à l'ancienne société absolument aucun droit de regard dans la gestion de ces puits. La réception de revenus négligeables d'année en année (si tant est que des revenus aient été reçus) ne nécessitait pas d'apport sous forme de temps, d'attention ou de travail de la part de MM. Siskind, Whealy, Weisler, Lovig ou de Mme Pare. L'ancienne société n'a contracté aucune obligation envers d'autres personnes. Et personne ne comptait sur la très faible participation de l'ancienne société dans les deux puits de gaz pour gagner sa vie ou réaliser un bénéfice.

[29]     L'avocate des appelants s'est appuyée sur l'arrêt Spire Freezers de la Cour suprême, lequel (à l'instar de l'arrêt Backman) est analogue aux présents appels formés par MM. Siskind et Whealy :

(i)       En 1978, une société de personnes ( « HCP » ) a été formée en Californie pour réaliser un projet résidentiel d'immeuble en copropriété sur une île.

(ii)       Pour obtenir les permis requis pour le projet, HCP était tenue de construire un immeuble à logements à loyer modique (Tremont) sur l'île.

(iii)      Tremont était la propriété d'une société ( « TAC » ), laquelle appartenait entièrement à HCP.

(iv)      En 1980, il ne restait que deux associées (50/50) dans HCP, soit « BDI » et « Peninsula » , laquelle était une filiale en propriété exclusive de BDI.

(v)      En 1986, les coûts de construction du projet résidentiel d'immeuble en copropriété dépassaient sa juste valeur marchande de 10 000 000 $US.

(vi)      En 1987, Spire Freezers Ltd. ( « Spire Freezers » ) et d'autres Canadiens ont appris qu'ils avaient la possibilité d'acheter les pertes fiscales liées au projet HCP au prix de 20 cents le dollar.

(vii)     Le 30 novembre 1987, les opérations suivantes ont eu lieu :

a)        HCP a acheté Tremont de TAC pour 2 900 000 $, somme qu'elle a empruntée à BDI.

b)       HCP a vendu ses actions de TAC à BDI et a été payée par une réduction en conséquence de l'emprunt contracté auprès de BDI.

c)        Peninsula a vendu sa participation de 50 p. 100 dans HCP à Spire Freezers; BDI a vendu à cette dernière une participation de 25 p. 100 dans HCP; pendant une brève période, les associées de HCP étaient BDI et Spire Freezers; puis, BDI a vendu sa participation restante de 25 p. 100 dans HCP à un groupe de particuliers canadiens.

d)       Le prix d'achat total pour une participation de 100 p. 100 dans la société HCP s'est élevé à 34 530 000 $US, somme payée par les acquéreurs mentionnés à l'alinéa c) ci-dessus.

e)        HCP a vendu le projet résidentiel d'immeuble en copropriété à BDI pour la somme de 33 300 000 $US, subissant ainsi une perte d'exploitation de 10 400 000 $US.

(viii)    En réalité, Spire Freezers et le groupe de particuliers canadiens ont payé 1 230 000 $US pour acquérir Tremont et les pertes réalisées de 10 400 000 $US.

(ix)      Spire Freezers et les particuliers canadiens ont administré Tremont à la suite de son acquisition par HCP en novembre 1987.

(x)      Au cours de l'exercice terminé le 31 décembre 1987, la société HCP a réclamé une perte de 10 000 000 $US qu'elle a attribuée à Spire Freezers et aux associés canadiens.

(xi)      Les pertes ont été refusées par Revenu Canada.

[30]     Lorsqu'elle a accueilli les appels interjetés par Spire Freezers Ltd. et les particuliers canadiens, la Cour suprême du Canada a établi une distinction avec l'issue différente de l'affaire Backman en faisant les observations suivantes au paragraphe 20 de l'arrêt Spire Freezers :

[20]       Toutefois, malgré les similitudes qui existent entre les opérations en l'espèce et celles de l'affaire Backman, elles présentent néanmoins certaines différences essentielles. Par exemple, relativement à la question de savoir s'il y avait exploitation d'une entreprise, il convient de souligner la différence importante qui existe entre les éléments d'actif secondaires en cause dans les affaires Backman etSpire du point de vue de l'ampleur des efforts requis des appelants et consacrés par eux sur le plan de la gestion. Dans Backman, l'élément d'actif secondaire était un intérêt de un pour cent dans un bien relatif au pétrole et au gaz, acheté pour la somme de 5 000 $ lors du transfert du contrôle de la présumée société des Américains aux Canadiens. Dans Backman, la présumée société ne disposait pas de pouvoir important relativement à la gestion de cet élément d'actif et l'acquisition de celui-ci ne constituait pas non plus la poursuite d'une entreprise existante de l'un des associés présumés. Lorsque la production a été arrêtée peu de temps après l'achat du bien, aucun autre investissement n'a été fait dans le domaine du pétrole et du gaz. Par conséquent, dans Backman, la présumée société était « une coquille vide qui n'exploit[ait] dans les faits aucune entreprise » (voir Backman, précité, par. 20). Dans la présente affaire, l'élément d'actif secondaire détenu par la société de personnes était un immeuble à logements en pleine propriété. L'entreprise de gestion immobilière se rapportant à cet élément d'actif existait déjà et a été poursuivie par les Canadiens. La gestion des appartements Tremont a demandé des efforts importants, que les appelants ont déployés et dont ils ont profité en réalisant un bénéfice. Comme l'a souligné le juge Robertson, « la société de personnes a continué pendant au moins une dizaine d'années après la vente de l'immeuble en copropriété à être propriétaire d'un bien qui générait des bénéfices, en l'occurrence l'immeuble d'habitation » .

Dans le même ordre d'idées, la Cour suprême a mentionné ce qui suit au paragraphe 33 de l'arrêt Backman :

[33]       Par contraste, les appelants dans l'affaire Spire Freezers, précitée, ont fait un investissement considérable dans une entreprise existante, qu'ils ont continué d'exploiter après avoir formé la société de personnes. Essentiellement, ils ont acquis un bien, en l'occurrence un immeuble d'habitation, qui exigeait beaucoup plus qu'un effort minimal de gestion. Les parties ont satisfait à l'exigence relative à l'objectif commun du fait qu'elles ont conclu un contrat de société valide et qu'elles ont été, quoique brièvement, propriétaires conjoints de l'immeuble d'habitation. Dans Spire Freezers, les appelants doivent avoir conclu l'opération en vue de réaliser un bénéfice, puisqu'ils avaient été informés de la possibilité de tirer un bénéfice de l'immeuble d'habitation et qu'ils entendaient clairement continuer d'exploiter cette entreprise. Dans cette affaire, les conditions d'existence d'une société de personnes étaient réunies.

[31]     À mon avis, les faits en cause dans les présents appels formés par MM. Siskind et Whealy se rapprochent davantage de ceux de l'affaire Backman que de ceux de l'affaire Spire Freezer. L'ancienne société n'avait antérieurement aucun élément d'actif ni aucune entreprise que M. Siskind, M. Whealy ou leurs partenaires d'Edmonton (M. Weisler, M. Lovig et Mme Pare) étaient tenus de gérer ou d'exploiter. L'ancienne société a été dépouillée de tous ses éléments d'actif importants le 12 septembre 1988 et s'est retrouvée avec des participations négligeables nouvellement acquises dans deux puits de gaz pour tout actif. À mon sens, le fait d'être propriétaire de ces participations minimes procède de la même passivité que le fait d'être propriétaire de quelques actions d'une société cotée en bourse de catégorie inférieure aux sociétés de premier ordre; le genre de société qui, dans une année donnée, peut ou non payer un dividende. Être propriétaire des participations négligeables dans les puits de gaz était à ce point un état passif que l'ancienne société n'a poursuivi aucune activité commerciale après le 12 septembre 1988. À partir de cette date, MM. Siskind, Whealy, Weisler, Lovig et Mme Pare étaient copropriétaires de très faibles participations dans quelques puits de gaz, mais n'étaient pas des associés relativement à ces derniers.

[32]     Aucun élément de preuve ne permet de croire que MM. Siskind ou Whealy ou leurs partenaires d'Edmonton avaient voix au chapitre pour décider quelle participation négligeable serait acquise dans les puits Ellis et Campbell ou dans tout autre puits au Texas, en Oklahoma, en Alberta, ou dans un champ de pétrole au Canada ou aux États-Unis. Rien ne permet d'affirmer que les appelants ou leurs partenaires d'Edmonton se soient jamais plaints du faible rendement des puits Ellis et Campbell. De même, il n'a pas été établi que les appelants ou leurs partenaires d'Edmonton s'intéressaient vraiment à leurs minimes participations en copropriété dans les puits Ellis et Campbell. Les appels sont rejetés. Les pleins dépens engagés jusqu'aux interrogatoires préalables sont adjugés à l'intimée, et un seul mémoire de dépens lui est accordé pour la suite.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juin 2004.

« M.A. Mogan »

Juge Mogan

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


RÉFÉRENCE :

2004CCI377

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

98-793(IT)G et 98-794(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Thomas Whealy et Robert Siskind et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :

Les 2 et 3 juin 2003

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge M.A. Mogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 8 juin 2004

COMPARUTIONS :

Avocate de l'appelant :

Me Cheryl Gibson

Avocat de l'intimée :

Me Dan Misutka

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Cheryl Gibson

Cabinet :

Fraser Milner Casgrain

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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