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Dossier : 2003-1914(EI)

ENTRE :

LE CHAT RAYÉ INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

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Appel entendu le 19 janvier 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Alain Savoie

Avocate de l'intimé :

Me Julie David

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JUGEMENT

          L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est accordé et la décision du ministre du Revenu national est infirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'avril, 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


Référence : 2004CCI309

Date : 20040420

Dossier : 2003-1914(EI)

ENTRE :

LE CHAT RAYÉ INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ), voulant que pour la période du 26 août 2001 au 27 août 2002, monsieur Benjamin Beauregard ait exercé un emploi assurable auprès de l'appelante au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[2]      Les faits sur lesquels le Ministre s'est appuyé pour rendre sa décision sont décrits au paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) et se lisent comme suit :

a)          L'appelante exploitait une entreprise de conception visuelle.

b)          L'appelante offrait à ses clients un service clé en main, soit de la conception visuelle à la livraison du décor.

c)          L'appelante obtenait des contrats et embauchait, à partir d'une banque personnelle, les travailleurs requis pour exécuter les contrats obtenus.

d)          M. Jean Petit était l'unique actionnaire de l'appelante.

e)          Durant la période en litige, l'appelante a embauché le travailleur pour faire du transport, montage et démontage de décors.

f)           L'appelante communiquait au travailleur l'adresse de l'atelier où il devait se rendre et le travailleur suivant les directives de l'appelante dans l'ordre suivant :

-           Il se rendait à la firme de location choisie par l'appelante pour y cueillir le camion.

-           Il se rendait à l'endroit où se trouvait le décor.

-           Il chargeait le décor dans le camion à l'aide de M. Jean Petit ou d'un autre travailleur de l'appelante.

-           Il livrait le décor à l'endroit indiqué par l'appelante.

-           Il vidait le camion de son contenu.

-           Il montait le décor si demandé par l'appelante.

-           Il retournait le camion à la firme de location.

g)          Le travailleur était rémunéré à l'heure, 15 $ au début et 18 $ à la fin de la période, selon les heures réellement travaillées à la fin de chaque contrat ou mandat.

h)          Durant la période en litige, le travailleur a accumulé 260 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 4 093 $ auprès de l'appelante.

[3]      Au début de l'audience, le représentant de l'appelante a informé la Cour que les alinéas 6a), 6b), 6d), 6e) et 6g) étaient admis, que les alinéas 6c) et 6f) étaient niés tels que rédigés.

[4]      Monsieur Jean Petit, le président de l'appelante a témoigné. Relativement à l'énoncé de l'alinéa 6d) de la Réponse, il a spécifié qu'il détenait toutes les actions votantes de la société mais que ses deux fils détenaient aussi des actions, mais non votantes.

[5]      Monsieur Petit a expliqué que l'appelante exerce les activités d'un directeur artistique depuis 1995, année où monsieur Petit a perdu son emploi de décorateur auprès de Télé-Québec. L'appelante offre les services de conception d'un décor. Elle peut le faire exécuter et en faire le montage. Le démontage du décor fait aussi partie de ses services.

[6]      La société n'a pas d'employés permanents. Monsieur Petit dit qu'il s'agit d'un monde de pigistes. Selon les besoins du contrat relatif à un décor, monsieur Petit forme les équipes. Il s'agit d'un travail plutôt saisonnier, les temps les plus occupés étant la saison estivale, l'automne et le mois de janvier.

[7]      Les clients principaux de la société sont Videotron et Canal Vox. Elle a aussi quelques petites sociétés de production.

[8]      Généralement, c'est monsieur Petit qui fait la conception et la supervision des différentes étapes qui mènent au montage d'un décor.

[9]      Il produit comme pièce A-1, une facture de l'appelante à Canal Vox pour la production « Les Fêtes Enchantées » . On y voit les coûts reliés à l'achat de produits décoratifs, aux services des personnes oeuvrant à l'assistance, à la recherche et à la réalisation et à la main d'oeuvre requise pour le montage.

[10]     Monsieur Petit explique que pour obtenir un contrat il faut en premier lieu avoir fait un dessin ou une maquette et prévoir un budget. Quand le contrat est accordé, il faut s'assurer de la disponibilité des gens. Il faut procéder à l'achat des produits de décoration ou encore demander à un atelier d'exécuter certains des éléments du décor. Quand ces éléments sont complétés, il faut en prendre la livraison, les transporter et monter le décor sur place.

[11]     Il s'agissait dans l'ensemble de contrats de courte durée.

[12]     Monsieur Benjamin Beauregard le travailleur en question dans la présente affaire travaillait dans les parties transport, montage et à l'occasion démontage. Le camion était loué par l'appelante. Monsieur Beauregard conduisait le camion. Il était habituellement accompagné d'un aide. C'était le monteur qui devait trouver son aide. Il en donnait le nom à Monsieur Petit qui pouvait le refuser s'il n'avait pas été satisfait de sa prestation dans d'autres circonstances. C'était l'appelante qui payait l'aide.

[13]     Le père de Benjamin Beauregard était monteur de décor. Son poste a été aboli en même temps que celui de monsieur Petit. Il avait trois fils. Au début, ils ont tous travaillé pour l'appelante. À la longue c'est Benjamin qui est devenu le plus disponible.

[14]     Le fils de monsieur Petit, Guillaume Petit, travaillait aussi comme monteur. S'il travaillait avec monsieur Beauregard, c'était Guillaume qui avait préséance bien que ce ne soit pas lui qui ait conduit le camion.

[15]     La pièce A-2 est une facture d'une personne qui a construit certains éléments d'un décor dans son atelier. Cette personne a été payée selon un tarif horaire.

[16]     Les pièces A-3 à A-7 sont des factures de monteurs autres que monsieur Beauregard. Elles ont été produites pour montrer que dans ce genre d'entreprise, c'est ainsi que les affaires se font, par contrat de services payé au taux horaire ou à la vacation. La pièce A-7 a aussi été produite pour montrer qu'il arrive que monsieur Petit ne connaisse pas l'aidant.

[17]     Habituellement, les monteurs ou les aides réguliers sont d'abord demandés. Mais quand ils ne sont pas disponibles, d'autres sont réservés et recrutés. Les contrats sont verbaux et pour de courte durée. Le paiement se fait le dernier jour du contrat par chèque.

[18]     Monsieur Petit informait le monteur des heures où les divers travaux de prise en charge des éléments de décor et le montage devaient se faire. Il pouvait suggérer le parcours à suivre.

[19]     Monsieur Petit était souvent présent durant le montage surtout quand il n'y avait pas de plan d'implantation du décor. Lorsque les décors étaient montés, il passait sur place pour vérifier si tout était correct.

[20]     Le monteur possédait son téléphone cellulaire ainsi que ses propres outils pour le montage, dont une drille.

[21]     Si le monteur encourt une contravention lors du transport c'est à lui de la payer.

[22]     Les monteurs n'ont pas de bureau dans les locaux de l'entreprise. On communiquait avec eux par téléphone. Aucun ne travaillait uniquement pour l'appelante.

[23]     Pour la période en litige, le travailleur a obtenu 4 000 $ à l'intérieur de quelques mois où il travaillait presque sept jours par semaine. Avant, il s'agissait de sommes d'environ 1 000 $ par année.

[24]     C'est en août 2002, que Benjamin lui a demandé de changer de statut de travailleur autonome à employé. Il désirait retourner aux études. Il travaillait également pour une autre entreprise de montage et quand il travaillait pour cette entreprise il avait le statut d'employé. Cela lui permettrait d'accumuler les heures nécessaires pour avoir droit aux prestations d'assurance-emploi.

[25]     Monsieur Robert Leprohon, agent des oppositions, a témoigné. Son témoignage n'a pas apporté de faits différents de celui de monsieur Petit. Son rapport a été produit comme pièce I-1. La pièce I-2 est la totalité des factures du travailleur pour les travaux exécutés.

[26]     Le travailleur n'est pas venu témoigner bien qu'il ait été assigné par l'intimé.

[27]     Le représentant de l'appelante s'est référé à une décision que j'ai rendue dans Skylink Aviation Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), [2001] A.C.I. no 223 (Q.L.) et une décision de la Cour d'appel fédérale dans Vulcain Alarme Inc. c. Canada (Ministre du revenu national), [1999] A.C.F. no 749 (Q.L.). De cette dernière, il a notamment cité le paragraphe 18 :

18         Avec respect, nous ne croyons pas que ces faits soient déterminants quant à l'analyse du risque de perte ou de l'expectative de profit de M. Blouin et sa société.    Bien que les revenus de M. Blouin étaient calculés sur une base horaire, le nombre d'heures de travail était déterminé par le nombre de feuilles de services qu'il recevait de la demanderesse.    Il n'y avait donc aucun revenu garanti pour M. Blouin et sa société.    Contrairement aux techniciens oeuvrant comme employés à l'interne chez la demanderesse et dont la rémunération hebdomadaire était constante, les revenus de M. Blouin fluctuaient selon les appels de service.    De fait, vers la fin de son contrat avec la demanderesse, M. Blouin ne faisait plus que l'équivalent de 40 heures par mois car il recevait peu de feuilles de service

[28]     L'avocate de l'intimé à fait valoir que le contrôle n'a pas à être exercé. Ce qui importe dans la relation employeur-employé, c'est le pouvoir de contrôler.

[29]     Je me réfère à la décision de la Cour d'appel fédérale dans D & J Driveway Inc. c. Canada, [2003] A.C.F. no 1784 Q.L.). Il s'agissait de livreurs de camions. Je me réfère aux paragraphes 7, 9 et 15 de cette décision :

7           Les livreurs n'ont ni feu ni lieu chez la demanderesse. Leurs services sont retenus et fournis sur appel. Ils sont tout à fait libres de refuser l'offre qui leur est faite de conduire un camion, par exemple, à Halifax, Québec ou Montréal. Les livraisons se font à partir de Saint-Jacques, au Nouveau-Brunswick. Les livreurs reçoivent un montant fixe déterminé en fonction de la distance à parcourir.

...

9           Un contrat de travail requiert l'existence d'un lien de subordination entre le payeur et les salariés. La notion de contrôle est le critère déterminant qui sert à mesurer la présence ou l'étendue de ce lien. Mais comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.F. no. 1337, (1996), 207 N.R. 299, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 1454, 2002 FCA 394, il ne faut pas confondre le contrôle du résultat et le contrôle du travailleur. Au paragraphe 10 de la décision, il écrit :

Rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.

...

15         Nous croyons qu'il est légalement erroné de conclure à l'existence d'un lien de subordination et, en conséquence, à l'existence d'un contrat de travail, lorsque la relation entre les parties consiste en des appels sporadiques aux services de personnes qui ne sont aucunement tenues de les pourvoir et peuvent les refuser à leur guise. Conclure en pareille situation à l'existence d'un contrat de travail n'est pas non plus sans conséquences pratiques sérieuses et onéreuses pour un payeur surtout que, plus souvent qu'autrement, une telle conclusion et la cotisation qui s'ensuit pour les charges sociales, telles l'impôt sur le revenu, l'assurance-emploi et le régime de pension, que le payeur doit débourser ont un effet rétroactif. Le payeur est redevable non seulement de sa quote-part, mais, avec droit de récupération, de celle que le salarié n'a pas versée.

[30]     Dans des circonstances de travail où la distinction entre le contrat de travail et d'entreprise est difficile à déterminer, l'enseignement récent de la Cour d'appel fédérale est que l'on doit s'attarder à l'intention commune des parties comme dans tout contrat. Ici, l'intention commune des parties était qu'il s'agissait d'un contrat d'entreprise. À la fin de la période en question, le travailleur a demandé à l'appelante d'avoir le statut d'employé, ce que l'appelante a refusé.

[31]     Le choix de l'appelante de procéder par contrat d'entreprise plutôt que contrat de travail s'est fait en fonction des exigences économiques et fonctionnelles relatives à son exploitation. Il ne s'agit pas d'un maquillage d'un contrat de travail en contrat d'entreprise. À l'instar des livreurs dans l'affaire D & J Driveway Inc. (ci-dessus), le travailleur n'avait ni feu ni lieu chez l'appelante. Il s'agissait de relations contractuelles sporadiques. Il s'agissait d'un contrôle du résultat et non d'un lien de subordination. Le travailleur était libre de refuser toute demande de travail. Il fournissait ses propres outils.

[33]     L'appel est accordé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'avril, 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


RÉFÉRENCE :

2004CCI309

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1914(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Le Chat Rayé Inc. et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 19 janvier 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :

le 20 avril 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Alain Savoie (représentant)

Pour l'intimée :

Me Julie David

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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