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Référence : 2006CCI199

Date : 20060718

Dossier : 2004-3072(IT)I

ENTRE :

YOUSSEF DRIDI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement à l'audience le 6 février 2006 à Québec (Québec) et modifiés pour plus de clarté et de précision.)

Le juge Archambault

[1]      Monsieur Youssef Dridi interjette appel de cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard des années d'imposition 2000, 2001 et 2002 (période pertinente). Le ministre a inclus dans le revenu de monsieur Dridi des revenus non déclarés qu'il a calculés selon la méthode de l'avoir net. Les montants inclus, après redressement à l'étape de l'opposition, s'élèvent à 8 483 $ pour l'année 2000, à 24 086 $ pour l'année 2001 et à 7 782 $ pour l'année 2002.

[2]      Au début de l'audience, les faits suivants ont été admis par monsieur Dridi, à savoir ceux exposés aux alinéas 7 a), b), c) et f) de la réponse à l'avis d'appel :

a)          Au cours des années en litige, l'appelant exploitait une entreprise de taxi;

b)          Lors de la production de ses déclarations de revenus, l'appelant a déclaré des revenus d'entreprise nets de 4 296 $ pour l'année d'imposition 2000, de 2 420 $ pour l'année d'imposition 2001 et de 12 460 $ pour l'année d'imposition 2002;

c)          Les déclarations de revenus de l'appelant pour les années d'imposition en litige ont fait l'objet d'une vérification de la part du ministre du revenu national;

[...]

f)           Les dépenses relatives au coût de la vie ont été établies par la vérification en fonction des données fournies par le représentant de l'appelant.

[3]      Afin d'écourter les débats et compte tenu de la non-pertinence de la question, il a été convenu que la Cour n'avait pas à décider du statut - salarié ou entrepreneur - de monsieur Dridi pour la période pertinente. Seul le montant des revenus est en litige, et pour trancher cette question, la Cour doit déterminer si monsieur Dridi avait droit à ce que soit déduit dans le calcul de l'écart établi par la méthode de l'avoir net pour l'année 2000 un montant de 7 000 $ au titre d'un don qu'il aurait reçu en août 2000 de sa soeur, une Tunisienne, lors de sa visite au Québec. L'autre question en litige porte sur les pénalités, soit celles relatives à la production tardive des déclarations de revenus et celles imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) en raison d'un faux énoncé dans une déclaration de revenus fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

Contexte factuel

[4]      Monsieur Dridi a étudié en informatique dans un collège d'enseignement général et professionnel, communément appelé cégep, au cours des années 1980. Il est retourné au cégep en 1997 pour faire des études dans le domaine du commerce international.

[5]      Parmi les emplois qu'il a occupés après ses études, monsieur Dridi a mentionné notamment un travail de contrôleur de l'approvisionnement sur la base militaire de Valcartier dans les années de 1989 à 1992. Il a aussi été propriétaire d'un café en 1985 et 1986, et à nouveau de 1993 à 1996. Parmi ses tâches en tant que propriétaire de café, il y avait la production de déclarations de TPS et de TVQ. Il a indiqué également qu'il avait utilisé les services d'un comptable pour la production de ses déclarations de revenus.

[6]      Monsieur Dridi a dit avoir commencé à conduire un taxi en 1997. Selon son souvenir, il l'aurait fait à longueur d'année de 1998 à 2002, sauf au mois de décembre 2002, puisqu'il était alors parti en Tunisie pour se marier. Par contre, la preuve révèle que sa mémoire lui a fait défaut pour l'année d'imposition 2000, puisque monsieur Dridi a déclaré des prestations d'assurance-emploi de 5 780 $ dans sa déclaration de revenus pour cette année. Lorsque je lui ai demandé d'estimer pour quelle période ces prestations lui avaient été versées, il a indiqué que c'était probablement pour six mois.

[7]      Pour l'aider à produire ses déclarations de revenus pour la période pertinente, monsieur Dridi a utilisé les services d'une comptable. Il ignorait si elle était membre d'un ordre professionnel mais, selon toute vraisemblance, il s'agissait plutôt d'une comptable ordinaire. Le nom de cette personne apparaît dans chacune des déclarations de revenus de monsieur Dridi produites pour la période pertinente (pièce I-1). Il a affirmé qu'il avait remis à la comptable, dans une enveloppe, tous les documents et toutes les pièces justificatives qu'il détenait. Il s'est fié à elle et pour la production de ses déclarations et pour leur exactitude.

[8]      Après la vérification du ministre, a affirmé monsieur Dridi, il a perdu confiance dans cette comptable, surtout après avoir constaté qu'elle ne désirait pas témoigner à l'audience. Il faut mentionner que la vérification du ministre a débuté au cours du mois de mai 2003, à un moment où la déclaration pour l'année 2002 n'avait pas encore été produite. Le ministre souligne que les revenus déclarés pour 2002 sont beaucoup plus élevés que ceux pour les années 2000 et 2001. En effet, les revenus nets déclarés par monsieur Dridi provenant de l'exploitation du taxi s'élevaient à 4 296 $ pour l'année 2000 (auquel montant il a ajouté 5 780 $ de prestations d'assurance-emploi), à 2 420 $ en 2001, et à 12 460 $ en 2002.

[9]      Il faut aussi mentionner que les trois déclarations de revenus ont été produites tardivement, selon le cachet apparaissant à la dernière page de chacune des déclarations produites sous la cote I-1. La déclaration pour l'année 2000 a été produite en juillet 2001, celle de 2001, le 16 mai 2002, et celle de 2002, le 13 juin 2003.

[10]     Lors de sa plaidoirie, l'avocate de monsieur Dridi a soutenu que celui-ci avait déclaré tous les revenus qu'il avait gagnés. À l'appui de cette prétention, elle a mentionné le fait que monsieur Dridi avait remis à sa comptable tous ses documents et qu'il s'était fié à elle pour l'exactitude des revenus déclarés. J'aimerais mentionner tout de suite que cette preuve est loin d'être suffisante pour un contribuable qui a le fardeau d'établir que les revenus estimés par le ministre sont erronés. Il aurait fallu que la preuve faite par monsieur Dridi soit beaucoup plus convaincante et probante quant à l'inexactitude des chiffres établis par la méthode de l'avoir net. J'aimerais rappeler ici les propos que je tenais dans Léger c. La Reine, 2001 DTC 471, aux pages 473 et 474 :

[13]       Tout d'abord, il faut traiter du fardeau de la preuve qui incombe à monsieur Léger dans ses appels. Mon collègue le juge Tardif a eu l'occasion de traiter du fardeau de la preuve dans une affaire soulevant, comme c'est le cas ici, la question de l'application de la méthode de l'avoir net.

[14]       Dans l'affaire Bastille c. Sa Majesté la Reine, 99 DTC 431, ([1999] 4 C.T.C. 2155), il écrit aux paragraphes 5 et suivants :

[5]         Il m'apparaît important de rappeler qu'en cette matière, le fardeau de la preuve incombe aux appelants, à l'exception toutefois de la question des pénalités où le fardeau de preuve est imputable à l'intimée.

[6]         Une cotisation établie en vertu de la formule AVOIR NET ne peut jamais découler de la rigueur mathématique souhaitée et souhaitable en matière de cotisation. Il y a généralement une certaine partie d'arbitraire provenant de la détermination de la valeur des composantes. Le Tribunal doit décider de la raisonnabilité de cet arbitraire.

[7]         Le recours à ce procédé n'est d'ailleurs pas la règle. Il constitue en quelque sorte une exception utilisée dans les situations où le contribuable n'a pas en sa possession toutes les informations, documents et pièces justificatives pour permettre une vérification plus conforme aux règles de l'art et surtout plus précise quant au résultat.

[8]         Les assises ou fondements des calculs élaborés dans le cadre d'un avoir net sont tributaires en très grande partie des informations transmises par le contribuable faisant l'objet de la vérification.

[9]         La qualité, la vraisemblance, la raisonnabilité des informations ont donc une importance absolument fondamentale.

[15]       Un autre de mes collègues, le juge Bowman, tenait les propos suivants dans l'affaire Ramey c. la Reine, [1993] A.C.I. no 142 (QL) ([1993] 2 C.T.C. 2119, 93 DTC 791), au paragraphe 6 :

Je ne sous-estime pas les difficultés énormes, sinon pratiquement insurmontables, auxquelles l'appelant et son avocat se heurtent dans leur tentative de contester les cotisations d'actif net établies à l'égard d'un contribuable décédé. Estimer le revenu annuel d'un contribuable à partir de la valeur de son actif net est une méthode insatisfaisante et imprécise. C'est un instrument grossier que le ministre doit utiliser en dernier ressort. Une cotisation d'actif net repose sur une comparaison de l'actif net du contribuable, à savoir la valeur de l'actif moins le passif au début d'une année, avec son actif net à la fin de l'année. À la différence ainsi obtenue, on ajoute les dépenses qu'il a engagées pendant l'année. Le montant obtenu est réputé être le revenu du contribuable, sauf preuve contraire. Ces cotisations peuvent être inexactes dans une mesure indéterminée, mais elles sont valables jusqu'à preuve de leur inexactitude. Il est quasi impossible de les contester à la pièce. La seule façon vraiment efficace de les contester est de procéder à une reconstitution complète du revenu du contribuable pour l'année. Un contribuable dont les registres comptables et le mode de déclaration de revenus sont dans un tel fouillis que la cotisation d'actif net s'impose est souvent l'artisan de son propre malheur.

[Je souligne.]

[11]     Ce sont ces principes qui doivent me guider dans les appels de monsieur Dridi. Malheureusement, la preuve présentée par ce dernier relativement à l'existence du don qu'il prétend avoir reçu au cours du mois d'août 2000 ne m'apparaît pas probante; elle soulève même bien des doutes. Tout d'abord, lorsque monsieur Dridi a été interrogé lors de la rencontre initiale avec la vérificatrice de l'intimée, il a affirmé ne pas avoir reçu de don, ni de legs, ne pas avoir gagné à la loterie, et ne pas avoir reçu d'autres prêts que ceux qui apparaissent à son bilan et dont le ministre a tenu compte dans son calcul des revenus non déclarés. Non seulement n'a-t-il pas mentionné l'existence du don lors de la rencontre initiale, mais il ne l'a pas fait non plus lors de la deuxième rencontre, au cours de laquelle la vérificatrice lui a présenté son projet de cotisation[1]. Ce n'est que deux mois plus tard et après avoir changé de comptable que monsieur Dridi a mentionné au ministre l'existence de ce don de 7 000 $.

[12]     Si on se fie au témoignage de monsieur Dridi, ce dernier détenait une partie des 7 000 $ à la fin de l'année d'imposition 2000 puisque, a-t-il dit, il a utilisé une partie de ce montant en 2000, en 2001 et en 2002. Or, il est troublant de constater que monsieur Dridi n'a pas déclaré cet élément d'actif lorsqu'on établissait son avoir net. Pour que son bilan et les calculs de l'avoir net soient complets, il aurait fallu que de l'argent en caisse y apparaisse. Aucun montant n'est toutefois indiqué au poste « argent en main » . Le seul élément de preuve corroborant la version présentée par monsieur Dridi est une prétendue déclaration écrite faite par sa soeur en Tunisie, et il n'a fourni qu'une copie de la traduction de cette déclaration. Même si cette preuve par ouï-dire peut être admissible puisqu'il s'agit ici d'appels régis par la procédure informelle et qu'en matière de procédure informelle cette Cour n'est pas liée par les règles de preuve (art. 18.15(4) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt), la valeur probante de la preuve demeure toujours une question qui est laissée à l'appréciation de la Cour. Bien évidemment, une déclaration d'un tiers faite hors de la présence de la Cour n'a pas la même valeur probante que celle d'un témoin qui s'y présente et qui est susceptible d'être contre-interrogé par l'autre partie. Mais il y a plus ici : l'original de la déclaration n'a pas été produite à l'audience et aucune signature n'apparaît sur la copie, sauf celle du traducteur tunisien. L'original aurait dû être produit pour établir que la signature s'y trouvait et la faire reconnaître par monsieur Dridi.

[13]     Cette déclaration ne constituait toutefois qu'un des moyens de preuve qui étaient disponibles pour monsieur Dridi. Il y avait bien d'autres façons d'établir l'existence du don de 7 000 $. Malheureusement pour lui, il n'a présenté aucun autre élément de preuve pouvant attester de l'existence de ce don fait en sa faveur. Ainsi, il n'y a aucune trace du dépôt de cette somme dans un compte bancaire, dépôt qui pourrait constituer, à tout le moins, une preuve circonstancielle de la réception du don. Il est vrai que, comme l'a dit monsieur Dridi lors de son témoignage, il n'y a pas d'obligation au Canada de déposer l'argent que l'on reçoit dans un compte bancaire. Monsieur Dridi avait toute latitude pour garder la somme en question chez lui. Le problème que pose une telle conduite, c'est que, quand il est nécessaire de faire la preuve de l'existence d'un don, on se trouve privé d'un moyen de preuve. En outre, monsieur Dridi n'a pas assigné de témoins oculaires du versement de la somme de 7 000 $.

[14]     Le seul témoignage de monsieur Dridi n'est pas suffisant, et ce, en raison de la conduite de celui-ci lors de la vérification du ministre, conduite qui soulève bien des doutes quant à sa crédibilité. Faute de preuve corroborante, je n'ai pas été convaincu selon la prépondérance des probabilités que monsieur Dridi a reçu le don en cause. D'ailleurs, ce qu'a dit monsieur Dridi pour expliquer le fait de ne pas avoir déposé le montant du don dans une institution financièreparaît quelque peu curieux. Il a fait référence à des caractéristiques culturelles de la communauté à laquelle il appartient pour justifier sa conduite. Or, je dois mentionner que les gens de cette communauté ne sont pas les seuls à agir ainsi. Il y a bien des Québécois de souche qui font la même chose. À une certaine époque - et je ne serais pas surpris que cela soit le cas encore aujourd'hui - les gens déposaient leurs économies dans un « bas de laine » . De toute façon, peu importe la motivation et les traits culturels dont il peut s'agir, le fait qu'une personne ne dépose pas à la banque son argent la prive d'un moyen de preuve.

[15]     Un autre fait soulève un certain doute quant à la crédibilité de monsieur Dridi. Il a indiqué qu'il avait obtenu un prêt de 20 000 $ en 2002 pour acquitter en entier le prix d'achat de sa résidence située sur l'avenue du Mont-Thabor. Il avait d'abord essuyé le refus de la caisse populaire; par contre, il a réussi à obtenir un prêt de la Banque de Montréal en refinancant le prêt garanti par une hypothèque grevant un immeuble locatif qu'il possédait sur la Côte d'Abraham. Lorsqu'on analyse les fluctuations du passif de monsieur Dridi à son bilan, on constate que le montant de ce prêt hypothécaire s'élève à 55 296 $ en 1999, à 53 636 $ en 2000 et à 51 229 $ en 2001; si on tient compte des 49 555 $ qui apparaissent au bilan comme étant le solde impayé au 31 décembre 2002 et qui, prétend monsieur Dridi, se rapportent à la fois à la propriété de la Côte d'Abraham et à celle de l'avenue du Mont-Thabor, on remarque que le montant de cette dette a diminué annuellement d'environ 2 000 $. Il est peu probable que monsieur Dridi ait pu financer à même ses propres fonds le prix d'achat de 20 000 $. Si on accepte sa version des faits, il faudrait comprendre qu'il a remboursé, en plus des 2 000 $ versés chaque année, une somme de 20 000 $ avant la fin de l'année 2002. Ainsi, dans un cas comme dans l'autre, il y aurait eu un débours important qui a été fait à même des fonds dont on ne connaît pas la source et qui auraient servi à acheter la résidence personnelle de l'appelant.

[16]     Il n'y a aucune pièce justificative, aucun document bancaire qui puisse appuyer la version de monsieur Dridi. La mémoire peut nous jouer de bien mauvais tours. On peut croire qu'on a fait un versement de 20 000 $ et oublier tout à fait les circonstances dans lesquelles il a été fait. Un bel exemple d'une telle situation est lorsque monsieur Dridi a affirmé qu'il avait travaillé durant toute l'année en 2000, alors que, selon toute vraisemblance, il n'a travaillé que durant six mois. Durant les six autres, il aurait reçu des prestations d'assurance-emploi.

[17]     Un autre fait troublant est que monsieur Dridi n'a jamais fourni de données concernant son coût de la vie, même si la vérificatrice du ministre le lui avait demandé. Il s'est contenté d'attendre que la vérificatrice en fasse une estimation en se fondant en grande partie sur les données de Statistique Canada et en partie sur certains renseignements apparaissant dans les déclarations de revenus de monsieur Dridi, à savoir les états des loyers de biens immeubles; après cela, il s'est contenté d'attaquer les chiffres utilisés par le ministre en déclarant, par exemple, qu'il ne buvait et ne fumait pas et qu'il fallait éliminer ce poste de dépenses. Pour qu'on puisse accorder une déduction de 7 000 $ dans le calcul de l'écart révélé par la méthode de l'avoir net, il faut être convaincu que cette méthode a été appliquée selon les règles de l'art, de la façon la plus complète et précise possible. Tous les actifs que pouvait posséder monsieur Dridi et toutes ses dépenses reliées au coût de la vie devaient être indiquées au ministre aux fins des calculs faits selon cette méthode. Le fait de ne pas avoir déclaré des sommes qu'il avait en caisse soulève de sérieux doutes quant à savoir si les calculs du ministre sont complets. On ne peut pas permettre la déduction de certains montants dans le calcul des écarts sans savoir si tous les montants qui devaient être inclus s'y trouvent. Ici, on sait que certains actifs sont absents du bilan de monsieur Dridi et que celui-ci n'a pas fourni de données quant à son coût de la vie. Celui estimé par le ministre est de 228 $ par mois.

[18]     Pour tous ces motifs, je conclus que la preuve présentée par monsieur Dridi quant à l'existence du don de 7 000 $ est insuffisante. Je n'ai pas été convaincu selon la prépondérance des probabilités que monsieur Dridi a reçu ce don, et même s'il l'avait reçu, je ne serais pas en mesure de lui accorder une déduction. Monsieur Dridi a été « l'artisan de son propre malheur » .

[19]     Reste la question des pénalités. À ma connaissance, la Cour n'a aucune compétence pour annuler, en vertu d'un principe quelconque d'équité, une pénalité pour production tardive. C'est pour cela que j'ai demandé à l'avocate de monsieur Dridi si elle connaissait des décisions jurisprudentielles qui reconnaissent une telle compétence à la Cour; elle non plus n'en connaissait aucune. Cette Cour a comme tâche de s'assurer que les cotisations du ministre sont établies conformément aux dispositions législatives pertinentes. Dans la mesure où ces dispositions ont été respectées, la Cour ne peut pas intervenir. Par contre, le par. 220(3.1) de la Loi accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire d'annuler des pénalités et des intérêts. Ainsi, le ministre peut renoncer à des intérêts ou annuler des pénalités si, par exemple, il a induit en erreur un contribuable. Comme les déclarations de revenus de monsieur Dridi ont été produites en retard, les pénalités pour production tardive sont justifiées.

[20]     En ce qui a trait à la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi, je citerai les propos du juge Strayer dans l'arrêt Venne c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (C.F. 1re inst.), [1984] A.C.F. no 314 (QL), qui est l'arrêt classique en la matière. Il mentionne à la page 11 de 14 du texte QL cité par l'avocat de l'intimée :

Je suis arrivé à la conclusion suivante, à savoir que la défenderesse n'avait pas suffisamment prouvé que les présentations erronées avaient été faites « sciemment » par le demandeur dans ses déclarations de revenus pour les années en cause. Je devrais faire remarquer ici, puisque [...] c'est pertinent à toute la question de l'application des peines en vertu du paragraphe 163(2) qu'il semble y avoir un certain élément de subjectivité admis dans la jurisprudence pour évaluer si le contribuable avait connaissance du caractère erroné des présentations dans les déclarations ou s'il a commis une faute lourde: [...]

[...] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi.

[Je souligne.]

[21]     Bien évidemment, le fardeau de la preuve revient au ministre d'établir le bien-fondé de sa pénalité, c'est-à-dire de démontrer que monsieur Dridi a fait un faux énoncé sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Une remarque préliminaire s'impose. S'il est vrai qu'il s'agit d'une question pénale, il ne s'agit pas pour autant d'une question criminelle. Si tel avait été le cas, le fardeau de la preuve du ministre aurait été beaucoup plus lourd, soit celui d'une preuve hors de tout doute raisonnable. En matière de pénalité administrative, le fardeau de la preuve du ministre est d'établir les faits pertinents selon la prépondérance des probabilités. Ici, il s'agit pour la Cour de déterminer si monsieur Dridi a sciemment fait un faux énoncé, ou s'il y a eu négligence correspondant à une action délibérée ou à une indifférence au respect de la Loi.

[22]     Il m'est arrivé à plusieurs reprises d'annuler des pénalités imposées par le ministre lorsqu'il y avait cotisation établie selon la méthode de l'avoir net, notamment dans des cas où les revenus attribués au contribuable pouvaient être ceux d'un autre contribuable. Dans Sophie St-Pierre c. Sa Majesté la Reine (1999-4239(IT)G), un jugement inédit, la contribuable avait fait l'objet d'une cotisation alors que son mari était peut-être impliqué dans le trafic de drogues. Elle n'avait pas réussi à s'acquitter de sa tâche de démontrer que le montant de revenus non déclarés établi par le ministre dans la cotisation était erroné. Toutefois, dans cette affaire-là, je n'avais pas été convaincu par la preuve du ministre que la contribuable avait fait un faux énoncé, puisque ces revenus auraient pu être ceux de son mari. Dans l'affaire Dowling c. Canada, [1996] A.C.I. no 301 (QL), 96 DTC 1250, on avait argué, comme moyen de défense, qu'il y avait des gains de « jeu » . La juge Lamarre a accepté cet argument et a conclu que l'écart n'était pas « si grand qu'il ne puisse s'expliquer en partie par les activités de jeu de l'appelant » (QL, par. 113; DTC, p. 1263). Ainsi, lorsqu'il y a possibilité que les revenus puissent être attribuables à un autre contribuable ou que les sommes en question ne constituent pas du revenu aux fins fiscales, il peut arriver effectivement que le ministre échoue dans sa tentative d'établir qu'un contribuable a sciemment fait un faux énoncé dans sa déclaration de revenus ou a fait un tel énoncé dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[23]     Ici, je conclus que l'intimée a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les revenus révélés par les écarts de l'avoir net constituent des revenus aux fins de la Loi et que ces revenus sont ceux de monsieur Dridi.

[24]     Un des éléments de preuve qui m'a amené à conclure ainsi est le chiffre d'affaires de monsieur Dridi que j'ai trouvé dans une analyse de dossier de la Caisse populaire Desjardins en date du 15 mars 2001 (pièce I-3). Cette analyse concerne une demande de financement de monsieur Dridi pour l'achat d'un permis de taxi. On indique sur la feuille accompagnant l'analyse un revenu brut annuel de 69 600 $ et un revenu net annuel de 4 658 $[2]. Monsieur Dridi a été incapable d'expliquer d'où venait ce dernier chiffre. À mon avis, la caisse populaire ne l'a pourtant pas inventé, et il est fort probable qu'il a été fourni par monsieur Dridi lui-même. Ce dernier a indiqué lors de son témoignage que sa part représentait 40 % des revenus bruts lorsqu'il gagnait des revenus de taxi à pourcentage et que cet arrangement était moins payant que d'être propriétaire du taxi. D'ailleurs, c'est vraisemblablement pour cette raison qu'il a fait, à nouveau, l'acquisition d'un permis de taxi, après avoir vendu son premier permis et l'immeuble locatif de la Côte d'Abraham. Si ce n'était pas plus payant, pourquoi avoir acquis un autre permis de taxi?

[25]     Si on applique 40 % aux revenus bruts de 69 600 $, cela représente 27 840 $. Les montants qui ont été calculés par le ministre selon la méthode de l'avoir net comme revenus de monsieur Dridi provenant de l'exploitation du taxi pour 2000 s'élèvent à 17 567 $[3]. Sur ce chiffre de 17 567 $, 5 780 $ représentent des prestations d'assurance-emploi pour six mois et le solde, soit 11 787 $, représenterait des revenus tirés de l'exploitation d'un taxi pour six mois. Si on arrondit ces revenus de taxi à 12 000 $ et qu'on multiplie par deux, cela donne des revenus de taxi d'environ 24 000 $ pour 12 mois. Ce montant est, somme toute, assez proche des 27 840 $. Pour l'année 2001, le montant de revenus établi par la méthode de l'avoir net est de 29 318 $[4]. Le revenu redressé selon l'avoir net pour cette année est légèrement supérieur aux 27 840 $. Pour 2002, le revenu redressé s'élève à 25 483 $, également un chiffre tout près des 27 840 $. À mon avis, les revenus redressés selon l'avoir net sont tout à fait raisonnables et plausibles et représentent des revenus provenant de l'exploitation du taxi.

[26]     Étant convaincu selon la prépondérance des probabilités que ces écarts constituent des revenus tirés de l'exploitation du taxi, j'en viens à la conclusion que le ministre s'est déchargé de son fardeau de la preuve quant à l'application de la pénalité pour un faux énoncé. Monsieur Dridi n'est pas, comme c'était le cas dans l'affaire Venne, un contribuable peu scolarisé. Il a fait des études au cégep : d'abord dans le domaine de l'informatique, et par la suite, dans le domaine du commerce international. Pour étudier en informatique, il faut, à mon avis, posséder une très grande rigueur intellectuelle et un bon sens logique. De plus, en ce qui concerne le cours en commerce international, je ne peux imaginer qu'il n'ait pas été question de comptabilité et de finance dans ce cours. Monsieur Dridi avait également de l'expérience dans l'exploitation d'entreprises. Il a exploité une entreprise de restauration à au moins deux reprises. Il savait qu'il fallait conserver des registres, non seulement pour la bonne gestion de l'entreprise, mais également pour respecter ses obligations fiscales. À tout cela s'ajoute son expérience à la base militaire, où il a été contrôleur de l'approvisionnement. Ainsi, non seulement monsieur Dridi avait une formation collégiale qui lui permettait de bien saisir l'importance de tenir des registres dans le domaine de l'exploitation d'un taxi, mais en plus il avait de l'expérience pratique.

[27]     Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu'il savait qu'il gagnait beaucoup plus que ce qu'il déclarait. J'infère de cette situation que c'est sciemment, de façon délibérée, ou à tout le moins dans l'indifférence au respect de la Loi, qu'il a fait de faux énoncés dans ses déclarations de revenus pour les années 2000, 2001 et 2002.

[28]     Pour tous ces motifs, les appels de monsieur Dridi sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juillet 2006.

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI199

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2004-3072(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :               YOUSSEF DRIDI c. LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 6 février 2006

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                    le 6 février 2006

DÉCISION RENDUE

ORALEMENT :

le 6 février 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :

le 18 juillet 2006

COMPARUTIONS :

Avocate de l'appelant :

Me Catherine Murphy

Avocate de l'intimée :

Me Nathalie Labbé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

       Pour l'appelant :

                   Nom :                              Me Catherine Murphy

                   Cabinet :                          Barbeau & associés

                                                          Québec (Québec)

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Au bilan annexé à la réponse à l'avis d'appel, il y a un poste « coffert [sic] de sûreté » et un poste « argent en main » , mais rien n'est inscrit à ces postes. Par contre, on voit au bilan trois comptes bancaires pour son entreprise et un compte personnel.

[2]           On y trouve ce commentaire du gestionnaire du dossier : « Il est difficile de connaître les chiffres réels fait [sic] par le taxi. » (Je souligne.) De plus, le bilan de monsieur Dridi montre un coût de 42 700 $ pour le permis de taxi acquis en 2001. Comment peut-on payer un permis de taxi 42 700 $ si les revenus nets annuels ne s'élèvent qu'à 4 658 $! Comment peut-on vivre et en même temps payer une telle somme? Il est clair que ces revenus nets ne reflètent pas la réalité.

[3]           Alors que monsieur Dridi n'a déclaré que 9 084,12 $, ce qui donnait 8 483 $ de revenus non déclarés.

[4]           Dont seulement 2 420 $ avaient été déclarés.

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