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Dossier : 2004-925(IT)I

ENTRE :

G. WILLIAM KEITH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Appels entendus à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), le 23 novembre 2004.

Devant : L'honorable Campbell J. Miller

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Avocat de l'intimée :

Me Edward Sawa

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JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1999, 2000 et 2001 sont admis avec dépens et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, en vue d'admettre des frais pour droit d'usage réduits, compte tenu du fait que 2 605, 1 805 et 1 830 kilomètres ont été parcourus à des fins personnelles dans la Mercedes Benz 1998, en 1999, en 2000 et en 2001 respectivement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de décembre 2004.

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'août 2005.

Sara Tasset


Référence : 2004CCI793

Date : 20041207

Dossier : 2004-925(IT)I

ENTRE :

G. WILLIAM KEITH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

[1]      M. Keith interjette appel sous le régime de la procédure informelle des cotisations relatives aux années 1999, 2000 et 2001, par lesquelles le ministre du Revenu national a inclus dans son revenu des frais pour droit d'usage de 14 348 $ pour chacune de ces années. M. Keith maintient qu'il a droit à des frais pour droit d'usage réduits étant donné que le véhicule de la société était utilisé presque tout le temps à des fins commerciales.

[2]      En 1999, 2000 et 2001, M. Keith était président et propriétaire à 50 p. 100 de Conventional Holdings Ltd. ( « Conventional Holdings » ); Mme Keith détenait le reste des actions. Conventional Holdings était propriétaire de Seafood Express (PEI) Ltd. ( « Seafood Express » ), une entreprise de transport qui, pendant la période pertinente, exploitait environ quarante camions, remorques et camions frigorifiques et comptait plus de 40 chauffeurs. Seafood Express distribuait des produits de l'Île-du-Prince-Édouard (comme du homard et des pommes de terre) dans l'est des États-Unis, dans le centre du Canada et aussi loin qu'au Nevada et en Californie. Les camions rapportaient des fruits et légumes à l'Île-du-Prince-Édouard. Seafood Express m'a donné l'impression d'être une entreprise prospère florissante, et ce, dans une large mesure,grâce aux efforts personnels que M. Keith consacrait à la commercialisation et au maintien de contacts personnels avec les fournisseurs et les clients.

[3]      Seafood Express était exploitée depuis des locaux situés au 20, chemin Upton, à Charlottetown. M. Keith avait un bureau opérationnel dans ces locaux, d'où il gérait l'entreprise de Seafood Express. Ses services à cet égard étaient fournis à Seafood Express au moyen d'une entente de gestion conclue entre Conventional Holdings et Seafood Express. Pendant toute la période pertinente, M. Keith était un employé de Conventional Holdings.

[4]      En plus d'être propriétaire de la société exploitante et de fournir à celle-ci des services de gestion, Conventional Holdings s'occupait également d'immeubles; elle possédait une installation de désinfection et elle avait conclu un contrat avec Ultramar en vue de louer une propriété pour gérer un centre de carburant diesel. En 2001, elle avait également une participation dans un terrain de golf que l'on était en train d'aménager à l'Île-du-Prince-Édouard; M. Keith était membre du conseil d'administration.

[5]      M. Keith tenait un bureau à domicile pour le compte de Conventional Holdings, d'où il assurait le contrôle des finances de Conventional Holdings et de Seafood Express. Mme Keith s'occupait de la tenue de livres des deux sociétés. Les livres, registres, comptes débiteurs, comptes créditeurs, tableaux d'amortissement et autres documents étaient tous établis depuis le bureau à domicile. De toute évidence, M. Keith cherchait réellement à assurer la protection des documents concernant ses sociétés privées. De plus, dans le bureau à domicile, M. Keith avait un système informatique (GPS), de façon à être constamment au courant de l'endroit où se trouvaient tous les camions de Seafood Express. Il pouvait également rester constamment en contact avec ses chauffeurs par l'entremise du système GPS. Il a déclaré que c'était sa voie d'accès lui permettant de savoir ce qui arrivait au sein de son entreprise. On pouvait le joindre chez lui en dehors des heures de travail pour toute urgence qui pouvait survenir avec les camions, au Canada ou aux États-Unis. Comme M. Keith l'a dit, l'entreprise fonctionnait 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

[6]      M. Keith a décrit ses habitudes quotidiennes : il quittait la maison tôt le matin, allait chercher le courrier et se rendait ensuite au bureau opérationnel. Il s'occupait alors du courrier et des autres questions de gestion de l'entreprise de transport jusque vers 11 h ou 11 h 30. Il retournait déjeuner chez lui, où il travaillait à son bureau jusque vers 14 h 30 ou 15 h, mais il retournait ensuite au bureau opérationnel pour vérifier ce que faisaient les employés et accomplir les autres tâches nécessaires. Normalement, il était le dernier à quitter le bureau avant de retourner chez lui.

[7]      M. Keith effectuait également un grand nombre de voyages en dehors de l'île pour rencontrer ses clients et traiter avec les fournisseurs. Il s'absentait chaque année de 12 à 16 fois pour des voyages d'un, de deux ou de trois jours. Environ la moitié de ces voyages semblent avoir été des voyages à Moncton (Nouveau-Brunswick), et M. Keith s'est également rendu plusieurs fois à Halifax (Nouvelle-Écosse) au cours de la période de trois ans. De plus, deux de ses principaux clients avaient des établissements à l'Île-du-Prince-Édouard, par exemple à Souris, à 60 ou 70 kilomètres en voiture du bureau de Conventional Holdings.

[8]      M. Keith comptait principalement sur ce qu'il a appelé son véhicule commercial pour effectuer ses voyages d'affaires. Son véhicule commercial était une Mercedes Benz 1998 noire décapotable appartenant à Conventional Holdings, mais la voiture avait initialement été louée. M. Keith était la seule personne à conduire ce véhicule. La famille Keith (l'épouse et deux adolescents, dont un seulement était assez vieux pour conduire pendant la période pertinente) avait une Honda Acura, une grosse Mercedes Benz sedan et une moto Harley Davidson pour usage personnel. Seul M. Keith utilisait la moto; il parcourait 17 000 kilomètres sur la moto pendant l'été.

[9]      Compte tenu des fiches d'entretien, M. Keith estimait que le véhicule commercial avait effectué 13 382 kilomètres en 1999, environ 15 000 kilomètres en l'an 2000 et 16 700 kilomètres en 2001. M. Keith croyait que le véhicule commercial était utilisé dans une proportion de 95 à 98 p. 100 pour des voyages d'affaires seulement. Il a reconnu qu'il faisait peut-être parfois des courses personnelles ou qu'il utilisait parfois le véhicule à des fins personnelles lorsque sa femme l'accompagnait dans un voyage d'affaires qui pouvait également être un voyage d'agrément. Un seul voyage a expressément été reconnu à cet égard, soit un voyage en Nouvelle-Écosse, au mois de juin 1999, pour lequel 800 kilomètres seulement sur le voyage de 1 600 kilomètres avaient été déclarés à des fins commerciales. Étant donné que Mme Keith participait aux activités de l'entreprise, M. Keith a affirmé que les quelques fois où sa femme l'avait accompagné, elle avait été fort utile pour ses affaires.

[10]     Sur le nombre total de kilomètres parcourus par le véhicule commercial en 1999, en 2000 et en 2001, M. Keith estimait avoir effectué 2 500 kilomètres, en 1999 et en 2000, et 3 000 kilomètres en 2001, pour visiter des clients dans l'île, avoir effectué 3 360 kilomètres pour faire la navette entre les bureaux deux fois par jour et avoir effectué le reste pour des voyages d'affaires à l'extérieur de l'île. À l'appui des voyages à l'extérieur de l'île, M. Keith a principalement soumis des reçus ou des factures concernant le péage du pont et l'essence. L'agente des appels de l'Agence du revenu du Canada (l' « ARC » ) a conclu que ces documents étaient insuffisants lorsqu'il s'agissait de justifier les voyages à l'extérieur de l'île. Elle a arbitrairement estimé que M. Keith effectuait deux voyages par année pour se rendre aux établissements de clients ou de fournisseurs importants, d'où un kilométrage bien inférieur, pour les voyages d'affaires à l'extérieur de l'île, que celui que M. Keith avait estimé. Somme toute, je conclus que les documents justificatifs de M. Keith, combinés à son témoignage oral, sont plus convaincants que l'estimation rudimentaire effectuée par l'ARC, et je retiens les chiffres de M. Keith comme représentant exactement les voyages d'affaires effectués dans l'île et à l'extérieur de l'île. Le tableau ci-dessous résume l'estimation du nombre de kilomètres parcourus par M. Keith dans le véhicule commercial :

Année

1999

2000

2001

Nombre total de kilomètres

13 382

15 000

16 700

Visites de clients établis dans l'île

2 500

2 500

3 000

Visites au terrain de golf de Glasgow

1 700

Navette entre les bureaux pendant la semaine

2 400

2 400

2 400

Pendant le week-end

960

960

960

(2 voyages par jour)

Voyages d'affaires à l'extérieur de l'île

7 522

9 140

8 640

[11]     L'intimée considérait que la navette entre les bureaux était effectuée à des fins personnelles, et elle a également conclu que les reçus ne pouvaient pas justifier le nombre de voyages d'affaires dans l'île et à l'extérieur de l'île en arrivant à la conclusion selon laquelle le nombre de kilomètres parcourus n'était pas en totalité, ou presque, attribuable à l'entreprise. Le ministre a donc établi une cotisation à l'égard de la totalité des frais pour droit d'usage conformément au paragraphe 6(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[11]     Je ne suis pas d'accord avec M. Keith sur deux points en ce qui concerne ses estimations du nombre de kilomètres parcourus. En premier lieu, en ce qui concerne la navette entre les bureaux, je conclus que sur les deux voyages quotidiens entre le bureau à domicile et le bureau opérationnel, un seul représente un voyage d'affaires. M. Keith, comme tout autre employé, quittait sa résidence principale pour aller travailler le matin et il retournait chez lui à la fin de la journée. Le simple fait qu'il avait un bureau à domicile ne transforme pas cette navette quotidienne en un voyage d'affaires. Toutefois, le voyage que M. Keith effectuait au milieu de la journée pour aller de son bureau opérationnel au bureau à domicile, où il travaillait deux ou trois heures par jour, pour retourner ensuite au bureau opérationnel constitue de fait un voyage d'affaires. C'est pourquoi je désigne la moitié des 3 360 voyages quotidiens entre les bureaux comme étant de nature personnelle. En second lieu, M. Keith a reconnu que jusqu'à 5 p. 100 de ses déplacements dans le véhicule commercial pouvaient se rapporter à des courses personnelles. Je conclus donc que 5 p. 100 des voyages d'affaires dans l'île, de 2 500, 2 500 et 3 000 kilomètres en 1999, en 2000 et en 2001 étaient effectués à des fins personnelles, c'est-à-dire, que 125, 125 et 150 kilomètres étaient parcourus à de telles fins. Enfin, M. Keith a reconnu que lors d'un voyage effectué en 1999, 800 kilomètres parcourus dans le véhicule commercial se rapportaient à vrai dire à un voyage personnel. Je conclus que sur le nombre total de kilomètres parcourus par le véhicule commercial en 1999, en 2000 et en 2001, 2 605, 1 805 et 1 830 étaient parcourus à des fins personnelles. Exprimés en pourcentage, les voyages d'affaires représentent 80,5 p. 100, 88 p. 100 et 89 p. 100 du nombre total de kilomètres parcourus.

[13]     Quant aux dispositions législatives se rapportant aux frais pour droit d'usage, les passages pertinents du paragraphe 6(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoyaient ce qui suit pendant les années pertinentes :

6(2)       Pour l'application de l'alinéa (1)e), la somme qui représente les frais raisonnables pour droit d'usage d'une automobile pendant le nombre total de jours d'une année d'imposition durant lesquels l'employeur d'un contribuable ou une personne liée à l'employeur a mis l'automobile à la disposition du contribuable ou d'une personne qui lui est liée est réputée égale au montant calculé selon la formule suivante :

           A/B × [2 % × (C x D) + 2/3 × (E - F)]

A          représente le moins élevé des éléments suivants :

a)          le nombre total de kilomètres parcourus par l'automobile, autrement que dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi du contribuable, pendant le nombre de jours ci-dessus;

b)                   le montant représenté par l'élément B;

toutefois, le nombre visé à l'alinéa a) est réputé égal au montant représenté par l'élément B, sauf si l'employeur ou la personne liée à celui-ci exige du contribuable qu'il utilise l'automobile dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi et si la totalité, ou presque, de la distance parcourue par l'automobile pendant le nombre de jours ci-dessus est parcourue dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi; [...]

[14]     Le contribuable peut seulement déduire des frais pour droit d'usage réduits s'il est tenu d'utiliser la voiture dans l'accomplissement des fonctions de son emploi, et si la totalité, ou presque, de la distance parcourue est parcourue dans l'accomplissement des fonctions de l'emploi. Dans d'autres cas, par exemple, dans les décisions Keefev. R.[1], McKay v. R.[2] et Ruhl v. R.[3], il a été considéré que la règle administrative empirique selon laquelle il faut utiliser la voiture dans une proportion de 90 p. 100 à des fins commerciales pour que la totalité, ou presque, de la distance parcourue soit parcourue dans l'accomplissement des fonctions de l'emploi doit s'appliquer avec souplesse et qu'il ne s'agit pas d'une formule fixe. Les pourcentages auxquels M. Keith est arrivé sont légèrement inférieurs au seuil de 90 p. 100, mais s'il est tenu compte du fait que l'utilisation qu'il faisait du véhicule commercial dans le contexte de ce qu'il faisait pour la société, c'est-à-dire le maintien de contacts personnels avec les fournisseurs et les clients, était essentielle au succès de l'entreprise, je suis convaincu que quelques navettes peu importantes ne changent rien à la situation : la totalité, ou presque, de la distance parcourue était parcourue dans l'accomplissement des fonctions de l'emploi. Cette conclusion est étayée par le fait que M. Keith était l'unique conducteur et qu'il possédait d'autres véhicules qui servaient à des fins personnelles. De fait, pendant l'été, M. Keith passait énormément de temps sur sa moto.

[15]     Bref, M. Keith satisfait aux deux critères énoncés au paragraphe 6(2) de la Loi, de sorte qu'il est admissible à des frais pour droit d'usage réduits. J'admets donc les appels avec dépens et je défère l'affaire au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en vue d'admettre des frais pour droit d'usage réduits compte tenu du fait que 2 605, 1 805 et 1 830 kilomètres ont été parcourus à des fins personnelles dans le véhicule commercial en 1999, en l'an 2000 et en 2001.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de décembre 2004.

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'août 2005.

Sara Tasset


RÉFÉRENCE :

2004CCI793

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-925(IT)I

INTITULÉ :

G. Williams Keith et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 23 novembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable Campbell J. Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 décembre 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Avocat de l'intimée :

Me Edward Sawa

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Bruce S. Russell, c.r.

Cabinet :

McInnes Cooper

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           2003 DTC 1526.

[2]           [2001] 1 C.T.C. 2244.

[3]           [1998] G.S.T.C. 4.

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