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Dossier : 2003‑2532(IT)I

ENTRE :

STUART BIRD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appels entendus le 22 juin 2005, à Ottawa (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions

 

Représentant de l’appelant :

K. E. Koshy

 

 

Représentant de l’intimée :

Andrew MacSkimming

(stagiaire en droit)

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels contre les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 1998 et 1999 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la valeur des avantages pour l’actionnaire devant être incluse dans le revenu de l’appelant doit être réduite de 5 702 $ pour 1998 et de 6 733 $ pour 1999.

 

       L’appel contre la cotisation établie en vertu de la Loi pour l’année d’imposition 2000 est annulé.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2005.

 

 

 

 

« Lucie Lamarre »

La juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de décembre 2005.

Marc Doyon, traducteur

 

 


 

 

 

 

Référence : 2005CCI744

Date : 20051129

Dossier : 2003‑2532(IT)I

ENTRE :

STUART BIRD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANCAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]   Les appels sont interjetés contre des cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition de l’appelant 1998, 1999 et 2000.

 

[2]   Au départ, l’appelant a retiré son appel pour l’année d’imposition 2000, car il n’avait pas déposé d’avis d’opposition relativement à cette année‑là comme l’exige le paragraphe 169(1) de la Loi pour qu’un avis d’appel soit valablement déposé.

 

[3]   En établissant à l’égard de l’appelant les cotisations pour les années d’imposition 1998 et 1999, le ministre a, entre autres choses, ajouté au revenu de l’appelant des montants de 21 526 $ et 14 048 $ comme avantages pour l’actionnaire selon le paragraphe 15(1) de la Loi. Ces « avantages pour l’actionnaire » correspondent d’après le ministre à des frais personnels de l’appelant qui ont été pris en charge par Renova Corporation Inc. (« Renova »), dont l’appelant est le propriétaire, le président et le seul actionnaire. Ces frais sont détaillés à l’annexe A, reproduite ci‑après, de la réponse à l’avis d’appel :

 

[TRADUCTION]

 

ANNEXE A

 

AVANTAGE D’ACTIONNAIRE FAISANT L’OBJET D’UNE COTISATION – FRAIS PERSONNELS

 

SELON LES AVIS DE COTISATION EN DATE DU 6 JUIN 2003

 

FRAIS

1998

1999

2000

De véhicule à moteur

  1 225 $

  1 355 $

    448 $

De repas et de représentation

  4 726 $

  2 725 $

 2 156 $

De déplacement

  3 274 $

  2 030 $

         0

De fournitures de bureau

     538 $

     687 $

         0

De kilométrage

  4 393 $

  5 750 $

 5 459 $

De stationnement

  1 309 $

     983 $

    950 $

D’acquisitions

  6 061 $

     518 $

         0

Total

21 526 $

14 048 $

 9 013 $

 

[4]     Mme Rajashree Narayan, vérificatrice à l’Agence des douanes et du revenu du Canada (« ADRC »), a témoigné afin d’expliquer pourquoi les montants correspondant aux frais susmentionnés ont été inclus dans le revenu de l’appelant comme avantages conférés à l’actionnaire.

 

[5]     Concernant les frais de véhicule à moteur ainsi que les frais de repas et de représentation, ces frais déduits par Renova comme dépenses d’entreprise ont été considérés par l’ADRC comme des frais personnels de l’appelant. Les frais de véhicule à moteur représentaient des frais de kilométrage et de stationnement engagés surtout lorsque l’appelant se déplaçait pour rencontrer son fils, sa fille et sa conjointe à divers restaurants et à des cinémas (100 $ de billets de cinéma pour trois ans). Ces rencontres avaient lieu trois ou quatre fois par semaine et parfois plus souvent. Plus de 50 % des frais de repas et de représentation déduits par Renova étaient liés aux rencontres de la famille. Ces frais étaient indiqués dans les livres de Renova comme se rapportant à des « réunions d’administrateur », bien que l’appelant soit le seul administrateur de la société.

 

[6]     Dans les livres de la société, un crédit a été inscrit au compte de prêt à l’actionnaire à l’égard de ces frais. En réduisant ce compte, la société réduisait des montants qu’elle avait indiqués dans ses livres comme lui étant dus par l’appelant (l’actionnaire).

 

[7]     L’ADRC a considéré en premier lieu que ces frais déduits par la société n’étaient pas raisonnables et étaient des frais personnels de l’appelant et en deuxième lieu que la société avait conféré un avantage à l’appelant en faisant en sorte que le compte de prêt à l’actionnaire soit réduit de montants correspondants.

 

[8]     En ce qui a trait aux frais de déplacement, pour 1998, ils étaient liés à une prétendue réunion annuelle d’administrateur à Orlando (Floride). Il s’agissait d’une réunion avec la famille de l’appelant. Bien que l’appelant ait dit, lors de la vérification, qu’il avait organisé cette réunion pour discuter de possibilités d’affaires et de la possibilité que son fils travaille pour la société, Mme Narayan a considéré que c’était davantage semblable à des vacances personnelles qu’à une réunion d’affaires légitime. En fait, certains des frais déduits par la société à l’égard de ce voyage se rapportaient à des visites à Universal Studios et Disney World. De plus, la société n’a pas fait d’affaires en Floride et n’avait pas projeté d’en faire. Parmi les frais de déplacement déduits, il y avait des frais concernant des billets d’avion, des passeports pour les enfants de l’appelant, du matériel de photo et le développement de pellicules photographiques.

 

[9]     Là encore, la société avait à l’égard de la plupart de ces frais inscrit un crédit au compte de prêt à l’actionnaire et avait payé quelques‑uns des frais directement sur son compte bancaire. De l’avis de l’ADRC, un avantage a été conféré à l’appelant en tant qu’actionnaire de la société.

 

[10]    Pour 1999, les frais de déplacement déduits se rapportaient à un voyage à Cuba et étaient inscrits dans les livres de la société comme étant des frais relatifs à une réunion annuelle d’administrateur.

 

[11]    L’appelant a expliqué pendant la vérification que le voyage à Cuba avait deux objectifs. Le premier avait trait à la possibilité d’y construire des immeubles pour vacanciers. Le second était lié au rôle de la société dans l’élaboration de genres de guides touristiques sur la plongée sous-marine à Cuba.

 

[12]    Mme Narayan a dit toutefois que l’appelant n’a jamais présenté d’écrits touristiques qu’il avait publiés. Aucun revenu n’a été tiré d’écrits touristiques. Aucune ébauche de manuscrit de guide touristique n’a été montrée à l’ADRC. L’appelant a été incapable de prouver que, au sujet de ses écrits touristiques, il avait contacté des journaux, des éditeurs ou des directeurs de la publication. Il n’a jamais eu de réactions de la part du gouvernement cubain à propos du projet de guide touristique. Quant à la possibilité de bâtir des immeubles pour vacanciers à Cuba, aucun bien immeuble n’a été acheté et aucune mesure sérieuse n’a été prise pour acheter quoi que ce soit là‑bas. Il n’y avait aucun plan d’entreprise en matière de promotion immobilière. Là encore, seulement quelques dépenses liées au voyage à Cuba avaient été directement payées par la société, et les autres avaient donné lieu à l’inscription d’un crédit au compte de prêt à l’actionnaire. Mme Narayan a conclu que ces frais de déplacement étaient des frais personnels de l’appelant et que la société a conféré un avantage à l’appelant en prenant ces frais en charge.

 

[13]    Pour ce qui est des fournitures de bureau, les dépenses déduites avaient été engagées pour acheter des disques compacts, des cassettes, des écouteurs et un lecteur de disques compacts. L’appelant disait à la vérificatrice qu’il avait besoin de ces articles pour minimaliser le bruit de fond chez les clients. Toutefois, il disait aussi que son travail était accompli chez lui dans une proportion de plus de 60 %. Les frais comprenaient également l’achat de livres d’histoire, d’ouvrages documentaires sur l’histoire de la guerre, d’ouvrages sur la mythologie et de romans, soit rien qui ait quoi que ce soit à voir avec l’entreprise de consultant en systèmes informatiques exploitée par Renova. Tous ces frais ont été considérés comme personnels par la vérificatrice. Comme ils avaient été enregistrés comme un crédit au compte de prêt à l’actionnaire dans les livres de la société, ils ont été considérés par l’ADRC comme un avantage qui avait été conféré à l’actionnaire.

 

[14]    Concernant le kilométrage et le stationnement, ces frais étaient liés à la navette que faisait l’appelant entre son domicile et les lieux de travail des clients. Bien que l’appelant ait dit à la vérificatrice que son lieu de travail habituel était son domicile (c’est‑à‑dire que son travail était accompli chez lui dans une proportion de 60 %), la vérificatrice avait l’impression que, la plupart du temps, c’était chez les clients que l’appelant travaillait et s’acquittait de ses obligations contractuelles. C’est ce qu’elle pensait parce que, a‑t‑elle dit, l’appelant lui avait donné pour le joindre non pas son numéro de téléphone à domicile, mais un numéro de téléphone cellulaire et le numéro de téléphone du client pour qui il travaillait à l’époque de la vérification (en 2002). Elle a en outre mentionné que, dans au moins deux contrats, il était indiqué que le travail devait être exécuté sur place. Mme Narayan a également remarqué que l’appelant avait déclaré des frais de kilométrage et de stationnement pour 20 à 22 jours par mois à l’égard de divers lieux de travail de clients et qu’il avait déclaré des montants relatifs à du stationnement pendant des journées complètes à proximité des lieux de travail de clients (voir la deuxième page de la pièce A‑1). Elle a dit que l’appelant avait même occasionnellement loué une aire de stationnement au mois. Elle avait donc considéré que le lieu de travail habituel de l’appelant n’était pas son domicile et que, par conséquent, les frais déclarés à l’égard de ses déplacements entre son domicile et les lieux de travail étaient de nature personnelle. Comme un crédit relatif à ces frais était inscrit au compte de prêt à l’actionnaire (l’appelant) dans les livres de la société, elle estimait qu’un avantage avait été conféré à l’appelant en tant qu’actionnaire.

 

[15]    Enfin, les acquisitions désignent des avoirs personnels qui ont été transférés par l’appelant à sa société. Ces éléments d’actif étaient des livres non liés au travail de consultant en logiciels, ainsi que des objets décoratifs, une chaîne stéréo et une caméra (voir la première page de la pièce A‑1). L’appelant disait à la vérificatrice qu’il ne rencontrait pas de clients chez lui. Elle a donc considéré que ces articles n’étaient pas utilisés en vue de gagner un revenu. Elle estimait que les romans d’espionnage et de science‑fiction représentaient des intérêts personnels de l’appelant et non un intérêt commercial légitime. L’appelant n’a publié qu’un ouvrage technique, en 1983, et n’a jamais déclaré de revenu tiré de cet ouvrage. Il a par ailleurs établi des documents qu’il a présentés lors de conférences qui ont été enregistrées sur cédéroms (voir la pièce R‑1), mais il n’a rien publié dans des revues ou ailleurs. Comme le coût de tous les articles susmentionnés a été inscrit comme un crédit au compte de prêt à l’actionnaire dans les livres de la société, l’ADRC a considéré qu’il s’agissait d’un avantage qui avait été conféré par la société à l’appelant en tant qu’actionnaire.

 

[16]    Au procès, l’appelant a décrit son bureau à domicile comme étant l’endroit où il écrivait et où il établissait des propositions pour des contrats. En octobre 1998, il a emménagé dans une maison à Woodlawn (Ontario), où il avait une grande salle d’informatique (18 pi x 28 pi) avec six ordinateurs, quatre imprimantes, un scanneur, une table d’ordinateur et un classeur ainsi que divers systèmes d’exploitation. Il avait en outre une salle de conférence (8 pi x 12 pi), qui n’était jamais utilisée, un bureau pour l’administration de l’entreprise (8 pi x 12 pi) et une aire d’assemblage (8 pi x 12 pi). Au total, environ 750 pieds carrés de sa maison étaient utilisés comme de l’espace de bureau. Tous les registres de la société étaient tenus à cet endroit, où était également envoyé le courrier à l’intention de la société.

 

[17]    L’appelant a, par l’intermédiaire de Renova, passé des contrats avec des entreprises privées et le Conseil du Trésor pour la réalisation de travail. Dans un questionnaire rempli par lui et déposé comme pièce A‑2, l’appelant indiquait, à la question 25, la proportion approximative de son travail qu’il accomplissait à son bureau à domicile. La réponse révèle que selon le contrat, l’appelant travaillait dans certains cas surtout chez lui et dans d’autres cas chez le client. Il ressort du questionnaire que c’était environ moitié‑moitié. L’appelant a expliqué en outre qu’il rédigeait toutes ses propositions chez lui.

 

[18]    D’après l’appelant, ses soumissions n’aboutissent à des contrats que 10 % du temps. Il a déclaré des frais de kilométrage et de stationnement relatifs à des cas où il avait travaillé chez le client ou avait eu à consulter des personnes et à rencontrer des clients actuels ou potentiels. L’appelant a témoigné que, lorsqu’il travaillait chez un client, on ne lui fournissait pas un bureau en particulier. À certains endroits (pour ses contrats les plus gros), on lui fournissait une table de travail, parce qu’il devait accomplir des travaux sur place relativement au système de données. Parfois, il lui fallait aussi avoir accès au terminal principal du client.

 

[19]    L’intimée a appelé Mme Dalal Esber, gestionnaire en architecture des données à Développement des ressources humaines Canada (« DRHC »). Ce témoin a dit que l’appelant avait travaillé pour ce ministère en 1999. Elle n’était pas certaine, mais ce qu’elle se rappelait, c’était que l’appelant avait à partager un bureau à DRHC au début de son contrat (pendant les deux premiers mois). Pour le plus gros du contrat d’un an, a‑t‑elle dit, l’appelant avait normalement eu un bureau à sa disposition. Elle a dit que l’appelant était généralement présent à DRHC durant les heures normales d’ouverture, du lundi au vendredi. Ce témoin a reconnu toutefois que de nombreux consultants travaillent chez eux à cause d’un manque de bureaux chez leurs clients. Elle a dit que, néanmoins, les consultants étaient sur place 75 % du temps.

 

[20]    L’appelant a témoigné qu’il était le seul employé de Renova. Son fils, concepteur de sites Web, faisait apparemment de la sous‑traitance, par l’intermédiaire de sa propre société, pour Renova. La fille de l’appelant travaillait comme rédactrice. Le fils et la fille de l’appelant ont tous deux quitté la maison à l’été 1998 pour vivre en appartement dans le centre‑ville d’Ottawa.

 

[21]    L’appelant a témoigné que la moitié de sa maison appartient à son épouse, qui est enseignante. Il a dit qu’elle peignait et nettoyait la maison et qu’elle agissait comme conseillère pour la société. Il a témoigné qu’il tenait des réunions avec ses enfants et son épouse au centre‑ville, surtout le midi, parce qu’il ne voulait pas payer de taxi pour que ses enfants se rendent à Kanata, où il vit. Il ne payait pas ses enfants pour qu’ils assistent à ces « réunions ».

 

[22]    En ce qui a trait à l’entreprise de rédaction, l’appelant a affirmé au procès qu’il publiait des livres et qu’il tirait des redevances de cette activité. Il n’a cependant rien déposé à l’appui de cette affirmation. Il n’y a aucune preuve que des redevances ont été indiquées dans les déclarations de revenu de la société.

 

Arguments des parties

 

[23]    L’appelant arguait que les frais en question étaient des frais raisonnables que sa société lui avait remboursés en sa qualité d’employé. La société n’avait pas de voiture, et son établissement était situé chez l’appelant. Selon ce dernier, il ne recevait pas d’avantages de Renova parce qu’il en était le seul actionnaire et, quoi qu’il ait été remboursé de ses frais, il s’agissait de dépenses engagées pour négocier des contrats au nom de la société en tant qu’employé de celle‑ci.

 

[24]    Il a argué que le paragraphe 15(1) de la Loi ne s’applique pas en l’espèce et que, conformément au sous‑alinéa 6(1)b)(v) de la Loi, les frais en cause ne sont pas imposables entre ses mains, car le remboursement est admissible à titre d’allocations raisonnables pour frais de déplacement reçues de son employeur par un employé relativement à la négociation de contrats pour cet employeur.

 

[25]    L’appelant arguait que les frais de représentation engagés à l’égard de ses enfants et de sa conjointe étaient des dépenses d’entreprise. Renova n’avait pas les moyens de payer un consultant, de sorte que, a dit l’appelant, toute la famille de ce dernier travaillait à une proposition de projet concernant l’an 2000 au nom de Renova.

 

[26]    De l’avis de l’appelant, le projet à Cuba était aussi une entreprise commerciale et c’est déraisonnable de la part de l’ADRC de faire une appréciation rétrospective des intentions commerciales de la société.

 

[27]    L’intimée arguait que l’appelant avait reçu de sa société en propriété exclusive des avantages au sens du paragraphe 15(1) de la Loi. De l’avis de l’intimée, il n’y a aucune preuve que l’appelant était un employé de Renova (c’est‑à‑dire aucune preuve que des T4 ont été délivrés, que des charges salariales ont été déclarées par la société ou que des sommes ont été retenues à la source).

 

[28]    L’intimée arguait que, même si l’appelant était un employé de Renova, la question est de savoir à quel titre il a reçu un avantage.

 

[29]    Dans la décision Minister of National Revenue v. Pillsbury Holdings Ltd., [1965] 1 R.C. de l’É. 676, citée et approuvée dans l’arrêt Canada c. Fingold (C.A.), [1998] 1 C.F. 406, [1997] A.C.F. no 1250 (QL) (C.A.F.), il a été dit qu’une société fait normalement des paiements aux actionnaires sous forme de dividendes, à moins que le paiement ne fasse partie d’une opération commerciale véritable, auquel cas ce n’est pas un avantage pour l’actionnaire en tant qu’actionnaire. Dans l’arrêt Youngman c. Canada, 90 DTC 6322, [1990] A.C.F. no 341 (QL) (C.A.F.), il a été dit qu’un actionnaire ne reçoit pas un avantage aux fins du paragraphe 15(1) si, dans les mêmes circonstances, il aurait reçu le même avantage d’une société dont il n’était pas un actionnaire.

 

[30]    L’intimée estime que l’appelant n’aurait jamais reçu les avantages en question n’eût été son statut comme seul actionnaire de la société. En effet, une société sans lien de dépendance avec l’appelant n’aurait pas conféré ces avantages à ce dernier, car les frais en cause étaient des frais personnels de l’appelant.

 

[31]    Pour ce qui est des frais de déplacement concernant le voyage à Cuba, l’intimée arguait que ces frais n’étaient pas liés à des activités exercées conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux. L’appelant ou sa société n’ont rien publié; l’appelant n’a pas contacté d’éditeurs, agents ou rédacteurs spécialisés dans les écrits touristiques, de science‑fiction ou d’espionnage et il n’a pas tiré un sou d’écrits dans ces genres. De même en est‑il de l’intérêt de l’appelant à l’égard de la promotion immobilière à Cuba. Aucune mesure n’a été prise pour acheter un bien quelconque; aucun agent n’a été engagé, et aucun bien potentiel n’a été déterminé. Dans les déclarations de revenu de la société pour 1998 et 1999 (pièces R‑2 et R‑3), aucun pourcentage du revenu n’est indiqué quant à l’une quelconque de ces activités – la seule activité commerciale de Renova indiquée étant la consultation.  

 

[32]    En ce qui a trait au kilométrage ainsi qu’au stationnement, l’intimée est d’avis que l’appelant travaillait habituellement non pas chez lui, mais chez ses clients. Le représentant de l’intimée conclut donc que les déplacements de l’appelant entre son domicile et son lieu de travail habituel correspondaient à des frais personnels (voir Daniels v. The Queen, 2004 DTC 6276 (C.A.F.)).

 

[33]    Enfin, l’intimée est d’avis que le sous‑alinéa 6(1)b)(v) de la Loi ne s’applique pas en l’espèce, car les frais de déplacement ont été engagés non pas afin de négocier des contrats pour l’employeur, mais uniquement afin d’accomplir des travaux au lieu de travail habituel de l’appelant, c’est‑à‑dire chez les clients.

 

Dispositions législatives pertinentes

 

[34]    Le sous‑alinéa 6(1)b)(v) se lit comme suit :

 

Éléments à inclure

 

ARTICLE 6 :

 

         (1) Éléments à inclure à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi. Sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

 

[...]

6(1)b)

b) Frais personnels ou de subsistance — les sommes qu’il a reçues au cours de l’année à titre d’allocations pour frais personnels ou de subsistance ou à titre d’allocations à toute autre fin, sauf :

 

[...]

 

(v) les allocations raisonnables pour frais de déplacement reçues de son employeur par un employé et afférentes à une période pendant laquelle son emploi était lié à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur [...]

 

Le paragraphe 15(1) se lit en partie comme suit :

 

ARTICLE 15 :

 

        (1) Avantages aux actionnaires. La valeur de l’avantage qu’une société confère, à un moment donné d’une année d’imposition, à un actionnaire ou à une personne en passe de le devenir est incluse dans le calcul du revenu de l’actionnaire pour l’année [...]

 

Analyse

 

[35]    L’objet du paragraphe 15(1) de la Loi est décrit comme suit dans la décision Pillsbury Holdings Ltd., précitée (c’est‑à‑dire l’objet de la disposition législative antérieure, soit le paragraphe 8(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148) – voir les pages 682, 683 et 684 de la version figurant dans le recueil ou les paragraphes 16, 18, 19 et 21 de la version QL :

 

            [TRADUCTION]

 

            Les distributions et paiements normaux faits par une société à un actionnaire en tant qu’actionnaire sont :

 

a)   les dividendes versés pendant que la société existe,

b)   les distributions et paiements relatifs à des réductions de capital pendant que la société existe,

c)   les distributions et paiements effectués lorsque la société est liquidée.

 

[...]

 

            [...] Bien que la disposition législative ne le dise pas expressément, il est juste d’inférer que le législateur voulait, par l’article 8, inclure les paiements, distributions, privilèges et avantages qu’une société accorde à un actionnaire par un moyen autre que celui des dividendes et dont on pourrait s’attendre qu’ils parviennent à l’actionnaire sous la forme traditionnelle des dividendes si la société et l’actionnaire n’avaient entre eux aucun lien de dépendance. [...]

 

            On peut donc s’attendre que l’alinéa c) du paragraphe (1) de l’article 8 s’applique à des cas où des privilèges ou avantages ont été conférés à un actionnaire dans des circonstances telles que l’effet équivaut essentiellement au paiement d’un dividende à l’actionnaire. [...]

 

[...]

 

            [...] certaines opérations entre des sociétés à peu d’actionnaires et ces derniers sont des mécanismes ou arrangements pour conférer des privilèges ou avantages aux actionnaires en tant qu’actionnaires; il est clair que l’alinéa c) s’applique à de telles opérations. [...] C’est une question de fait de déterminer si une opération semblant être à première vue une opération commerciale ordinaire représente un tel mécanisme ou arrangement.

 

[36]    Dans l’arrêt Servais v. The Queen, 2003 DTC 5597 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a traité du point soulevé par l’appelant en l’espèce, soit la question de savoir si un avantage accordé à quelqu’un lui a été conféré comme employé plutôt qu’en sa qualité d’actionnaire. Le juge d’appel Sharlow a dit ceci, aux paragraphes 14, 16 et 17 :

 

[14]  Bref, toute utilisation par un actionnaire d’un bien de la société peut être assujettie à un impôt en vertu du paragraphe 15(1). [...]

 

[...]

 

[16]  J’examinerai maintenant le premier argument, à savoir que M. Servais utilisait la Ford Ranger en sa qualité d’employé plutôt qu’en sa qualité d’actionnaire. [...] 

 

[17]  Quoi qu’il en soit, il semble que si le juge de la Cour de l’impôt avait conclu que M. Servais était autorisé à utiliser la Ford Ranger uniquement parce qu’il était un employé, le résultat serait simplement que l’avantage imposable aurait été assujetti à l’impôt en vertu de l’article 6 de la Loi de l’impôt sur le revenu plutôt qu’en vertu de l’article 15. Les plaidoiries qui ont été présentées devant la Cour de l’impôt n’étaient pas incluses dans le dossier, mais la formation a été informée que, dans ses plaidoiries, la Couronne avait invoqué l’article 6 à titre de fondement subsidiaire à l’appui de la cotisation. À mon avis, l’analyse se rapportant à l’article 15 s’appliquerait également à l’article 6. Par conséquent, un employé qui retire un avantage personnel, en sa qualité d’employé, de l’utilisation d’un véhicule à moteur appartenant à son employeur serait assujetti à l’impôt en vertu de l’article 6. Si le véhicule à moteur est visé par la définition du mot « automobile », la valeur de l’avantage doit être déterminée à titre de frais pour droit d’usage en vertu de l’alinéa 6(1)e). Dans tous les autres cas, la valeur de l’avantage doit être déterminée compte tenu des principes énoncés dans la jurisprudence.

 

[37]    Dans l’arrêt Youngman, précité, le juge d’appel Pratte a résumé les principes régissant l’application du paragraphe 15(1), comme suit (à la page 6325 des DTC) :

 

         Il est maintenant bien établi que l’alinéa 15(1)c) ne s’applique que lorsqu’un actionnaire a reçu, à titre d’actionnaire, un avantage d’une société. [...] Un actionnaire ne reçoit aucun avantage aux termes de l’alinéa 15(1)c) si, dans les mêmes circonstances, il aurait reçu le même avantage d’une société dont il n’est pas actionnaire.

 

[38]    Je conviens avec le représentant de l’intimée que, à l’exception des frais de kilométrage et des frais de stationnement, tous les frais déclarés (de véhicule à moteur, de repas et de représentation, de déplacement, de fournitures de bureau, d’acquisitions) étaient des frais personnels de l’appelant et ne lui auraient pas été remboursés par une société dont il n’aurait pas été un actionnaire. Les frais de véhicule à moteur ainsi que les frais de repas et de représentations étaient liés à des rencontres de la famille. La preuve a révélé que le fils travaillait par l’intermédiaire de sa propre société, que la fille, une rédactrice, ne jouait pas vraiment un rôle dans l’entreprise de l’appelant et que la conjointe de ce dernier était enseignante. L’appelant ne m’a pas convaincue que ces réunions familiales se tenaient à des fins d’entreprise. À part l’appelant lui‑même, personne n’a témoigné pour la partie appelante, et la preuve n’indique pas que Renova a rémunéré la conjointe et la fille de l’appelant ou leur a sous‑traité du travail. Pour ce qui est du fils de l’appelant, il ressort du questionnaire déposé comme pièce A‑2 que c’est seulement en 2000‑2001 qu’il a commencé à travailler en sous‑traitance pour Renova. Aucun autre élément de preuve n’indique qu’il a travaillé pour la société de l’appelant durant la période en cause. 

 

[39]    En ce qui touche les frais de déplacement, pour 1998, ils étaient liés à un voyage familial en Floride. Des affaires n’y ont pas été faites. Il s’agissait à mon avis d’une escapade de nature personnelle.

 

[40]    Pour 1999, les frais de déplacement étaient liés à un voyage à Cuba. L’appelant ne m’a pas convaincue que lui ou sa société entendaient exercer une activité à but lucratif dans ce pays. Il n’y a, du moins, aucune preuve étayant l’existence d’une telle intention. En fait, je ne suis pas convaincue que l’intention prédominante de l’appelant ou de Renova était de tirer un bénéfice d’activités d’écriture ou d’achat de biens à Cuba ou que ces activités étaient exercées conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux (voir l’arrêt Stewart c.  Canada, [2002] 2 R.C.S.  645, [2002] A.C.S. no 46 (QL), au paragraphe 54). Je suis d’avis que ce voyage était de nature personnelle et qu’il n’était pas lié à des activités exercées de façon commerciale.

 

[41]    En ce qui concerne les fournitures de bureau et les acquisitions, la preuve révélait que, dans le deuxième cas, il s’agissait d’objets personnels non liés à l’entreprise de la société (comme de la musique et des livres dans des domaines n’ayant rien à voir avec l’entreprise de consultation de la société). L’appelant a en outre reconnu qu’il ne recevait jamais de clients à son bureau à domicile.

 

[42]    Je considère donc que c’était des frais personnels qui ont été imputés à Renova. A été conféré à l’appelant, en tant que seul actionnaire de cette société, un avantage, au sens du paragraphe 15(1) de la Loi, dont la valeur devait être incluse dans le revenu de l’appelant pour les années d’imposition en cause. Il est évident que, si l’appelant n’avait pas été actionnaire de la société, de tels frais n’auraient pas été remboursés. De plus, même si l’appelant était un employé de Renova, comme la Cour d’appel fédérale a dit dans l’arrêt Servais, précité, la même analyse s’applique à un employé qui, en tant qu’employé, reçoit un avantage personnel de son employeur. S’il n’était pas assujetti à de l’impôt en vertu de l’article 15, il le serait en vertu de l’article 6 de la Loi.

 

[43]    Pour ce qui est des frais de kilométrage et de stationnement, toutefois, l’appelant m’a convaincue que son bureau à domicile était son lieu de travail habituel. L’espace de travail occupait une grande partie de la maison de l’appelant. Tous les registres de la société étaient conservés à cet endroit, et telle était l’adresse des bureaux de la société. L’appelant a témoigné qu’il établissait toutes ses propositions à son bureau à domicile et que seulement 10 % de ces propositions aboutissaient à des contrats effectifs pour Renova. La pièce A‑2 montre qu’environ la moitié des contrats exigeaient que l’appelant travaille chez le client. Par ailleurs, il travaillait chez lui. Même Mme Esber, de DRHC, a témoigné que de nombreux consultants travaillent chez eux.

 

[44]    En fait, il ressort de la deuxième page de la pièce A‑2 que l’appelant passait plus de jours chez le client quand il travaillait à des contrats exigeant qu’il travaille moins à domicile. Je ne considère toutefois pas que le fait qu’un consultant ait eu à travailler chez un client soit une raison pour dire que le lieu de travail habituel de ce consultant n’est pas le bureau à domicile. Dans l’arrêt Daniels v. The Queen, 2004 DTC 6276 (C.A.F.), il a été reconnu que, lorsqu’une personne a deux lieux de travail et que les déplacements correspondant aux déductions de frais étaient des déplacements d’un lieu de travail à l’autre, de tels frais n’étaient pas personnels mais étaient des frais engagés dans l’exercice des fonctions de cette personne (voir  Campbell et al. v. The Queen, 2003 DTC 420 (C.C.I.)).

 

[45]    Je considère donc que les frais de kilométrage et de stationnement s’élevant à 5 702 $ (4 393 $ + 1 309 $) pour 1998 et à 6 733 $ (5 750 $ + 983 $) pour 1999 n’étaient pas des frais personnels mais avaient été engagés en vue de tirer un revenu d’une entreprise. L’appelant n’a pas reçu un avantage en tant qu’actionnaire au sens du paragraphe 15(1) en étant remboursé de ces frais par la société. De plus, l’intimée n’arguait pas que les montants correspondant à ces frais devraient être inclus dans le revenu de l’appelant en tant qu’allocations imposables reçues dans l’exercice de son emploi, conformément à l’article 6 de la Loi. En fait, l’intimée contestait même le fait que l’appelant était un employé de Renova et, de toute façon, aucune preuve à l’appui de ce point de vue n’a été présentée à la Cour.

 

[46]    Par conséquent, les appels seront admis, sans frais, et les cotisations seront déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la valeur des avantages pour l’actionnaire devant être incluse dans le revenu de l’appelant doit être réduite de 5 702 $ pour 1998 et de 6 733 $ pour 1999.

 

[47]    L’appel contre la cotisation pour l’année d’imposition 2000 est annulé.

 

       Signé à Ottawa (Ontario), ce 29e jour de novembre 2005.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

La juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de décembre 2005.

Marc Doyon, traducteur

 


RÉFÉRENCE :                                  2005CCI744

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2003-2532(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              STUART BIRD c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 22 juin 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 29 novembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

K. E. Koshy

 

Représentant de l’intimée :

Andrew MacSkimming (stagiaire en droit)

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Étude :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

 

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