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Dossier : 2002-834(IT)G

ENTRE :

LOUIS SHEFF (1984) INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Louis Sheff (2002-836(IT)G) les 7 et 8 novembre 2002 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions

Avocats de l'appelante :

Me André Gauthier

Me Josée Vigeant

Avocat de l'intimée :

Me Stéphane Arcelin

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1995 est admis et la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelante pour l'année pertinente est annulée au motif que la nouvelle cotisation est prescrite.


Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de septembre 2003.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mars 2004.

Crystal Lefebvre, traductrice


Dossier : 2002-836(IT)G

ENTRE :

LOUIS SHEFF,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Louis Sheff (1984) Inc. (2002-834(IT)G) les 7 et 8 novembre 2002 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions

Avocats de l'appelant :

Me André Gauthier

Me Josée Vigeant

Avocat de l'intimée :

Me Stéphane Arcelin

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1995 est admis et la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelant pour l'année pertinente est annulée au motif que la nouvelle cotisation est prescrite.


Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de septembre 2003.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mars 2004.

Crystal Lefebvre, traductrice


Référence : 2003CCI589

Date : 20030910

Dossier : 2002-834(IT)G

ENTRE :

LOUIS SHEFF (1984) INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

2002-836(IT)G

ET ENTRE :

LOUIS SHEFF,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

[1]      Les présents appels sont interjetés à l'encontre des cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) lesquelles ajoutaient au revenu des deux appelants un montant de 22 500 $ pour l'année d'imposition 1995 et de 90 000 $ pour chacune des années d'imposition 1996, 1997 et 1998. Selon le ministre, les montants en litige ont été versés à Louis Sheff (1984) Inc. ( « LS 1984 » ) aux termes d'un contrat d'entreprise signé le 13 septembre 1985 entre Sheff, Weiser, Perelman & Associés Inc. ( « SW » ) et les appelants et ces montants sont imposables à l'égard de LS 1984 à titre de revenu en vertu de l'article 9 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Les fonds ayant été déposés dans le compte conjoint personnel du principal actionnaire de LS 1984, Louis Sheff, et de son épouse Sally, le ministre estime également que les mêmes sommes sont imposables à l'égard de Louis Sheff personnellement en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi à titre d'un avantage lui étant conféré par LS 1984.

Faits

[2]      Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits (pièce A-1) ainsi rédigé :

[traduction]

                         

1.      Selon l'entente du 13 septembre 1985 (ci-après « l'entente » ), M. Louis Sheff et sa conjointe, Mme Sally Sheff, ont vendu à leur fils, M. Allan Sheff, et à leur neveu, M. Joseph Weiser, 300 de leurs actions privilégiées et 98 de leurs actions ordinaires, ce qui constituait toutes les actions de Sheff, Weiser, Perelman & Associés Inc. qu'ils possédaient (ci-après « les actions » ).

            ∙ Tableau 7, page 2, entente du 13 septembre

2.      La vente des actions de Sheff, Weiser, Perelman & Associés Inc. (ci-après « SW » ) était le résultat de disputes et de conflits entre lui et M. Allan Sheff et M. Joseph Weiser, qui détenaient chacun un tiers des actions de SW à ce moment-là.

            ∙ Tableau 17, page 6 de la version française du jugement de la Cour supérieure du Québec

3.      L'entente stipulait, entre autres, ce qui suit :

a.     Allan Sheff et Joseph Weiser paieront à M. Louis Sheff, par chèque certifié, la somme de 120 000 $ au moment de la signature, moins toute somme retirée de SW par M. Louis Sheff ou Sally Sheff en plus de leurs salaires réguliers pendant 1985;

b.     la somme de 325 000 $ sera versée à la succession ou selon ce qu'indiquera le testament pertinent du dernier survivant, soit M. Louis Sheff ou sa conjointe, mais en aucun cas avant le 1er octobre 1995;

c.        SW paiera à Louis Sheff (1984) Inc. (ci-après « LS1984 » ) la somme de 90 000 $ par année (7 500 $ par mois à partir du 1er octobre 1985) tant que M. Louis Sheff et sa conjointe seront vivants, pour un minimum de dix années;

       ∙ Tableau 7, page 2, entente du 13 septembre 1985

4.      Au moment de la vente des actions, M. Louis Sheff était âgé de 74 ans et Mme Sally Sheff de 70 ans.

5.      Peu de temps après la signature de l'entente, d'autres disputes ont surgi entre M. Louis Sheff, M. Allan Sheff et M. Joseph Weiser.

6.      Ni LS1984 ni M. Louis Sheff n'a déclaré de montant payé ou payable en vertu de l'entente pour les années d'imposition 1985 et 1986.

7.      Le 21 mai 1986, Me Gary H. Waxman, l'avocat de M. Louis Sheff, a obtenu de Marcel Chapados, FSA, FICA, de Blondeau et compagnie, actuaires et conseillers, une évaluation de la valeur réelle (au 13 septembre 1985) des montants payables à M. Louis Sheff et à Mme Sally Sheff en vertu de l'entente. Le 13 septembre 1985, la valeur des paiements a été établie à 1 058 619 $.

Onglet 9, lettre de Marcel Chapados, FSA,FICA.

8.      Le 16 septembre 1987 ou vers cette date, le ministre a émis à M. Louis Sheff les résultats d'une évaluation de la juste valeur marchande des actions de SW. Le 13 septembre 1985 le ministre a établi la valeur marchande des actions ordinaires à 4 071 $ chacune (98 actions x 4 071 $ = 398 598 $).

Onglet 11, lettre de M. Richard et de F. Flibotte portant sur l'évaluation des actions, datée du 16 septembre 1985

Onglet 12, évaluation (en annexe) de la disposition des actions de SW

9.     Le 18 novembre 1987 ou vers cette date, M. Louis Sheff a fait parvenir une lettre au ministre dans laquelle il exprimait son désaccord relativement à l'évaluation du 16 septembre 1987. M. Louis Sheff a indiqué, dans sa lettre, qu'un actuaire autorisé avait évalué le prix d'achat à la valeur marchande à plus de 1 000 000 $.

Onglet 13, lettre de M. Louis Sheff en ce qui concerne l'évaluation des actions de SW

10. Pour l'année d'imposition 1987, M. Sheff a personnellement déclaré toutes les sommes qu'il estimait avoir reçues ou à recevoir de SW conformément aux conditions de l'entente, soit le produit de la disposition de ses actions, selon l'évaluation effectuée par les actuaires de Blondeau et compagnie, actuaires et conseillers, déclarant en conséquence un gain en capital de 869 416 $ à ce sujet.

           ∙ Onglet 1, déclaration de revenus de Louis Sheff pour l'année d'imposition 1987.

11. En raison des circonstances (dispute) entourant la transaction, le ministre a accepté de considérer 1987 comme l'année de la transaction.

12. Le 4 juillet 1991, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de Louis Sheff pour l'année d'imposition 1987 afin d'apporter des ajustements au produit de la disposition des actions à 1 345 000 $ (et, par conséquent, à ses gains en capital et à sa réserve de capital). Le montant de 1 345 000 $ constitue le total de 120 000 $, plus 325 000 $, plus 900 000 $ (c.-à-d., 90 000 $ X 10 ans).

13. Aux environs du mois de juillet 1990, à la suite du refus de M. Louis Sheff de signer une lettre à l'intention du ministre selon laquelle il rendait des services à SW, le traitement fiscal des paiements mensuels de 7 500 $ a occasionné un autre litige entre SW et LS1984. SW a cessé de verser les paiements mensuels de 7 500 $.

           ∙ Tableau 14, ébauche de lettre en ce qui concerne l'entente du 13 septembre 1985

14. Le 15 juillet 1992, par un jugement de la Cour supérieure du Québec, l'honorable juge Victor Melançon a ordonné à SW de continuer à verser à LS1984 les paiements mensuels de 7 500 $ conformément à l'entente convenue.

           Tableau 17, jugement de la Cour supérieure du Québec

15. Le 15 novembre 1993, la Cour d'appel du Québec a rejeté l'appel de SW.

           ∙ Tableau 18, jugement de la Cour d'appel du Québec

16. Le 8 janvier 1996 ou vers cette date (au cours d'une vérification des années d'imposition 1993 et 1994 de M. Louis Sheff), l'ADRC a informé par écrit LS1984 et M. Louis Sheff que les paiements mensuels de 7 500 $ (90 000 $ par année) devaient être déclarés dans les revenus de LS1984 à partir du 1er octobre 1995.

           ∙ Onglet 21, lettre de Serge Desjardins

17. Les chèques émis pour les paiements mensuels de 7 500 $ étaient faits à l'ordre de « Louis Sheff (1984) et/ou Louis Sheff et/ou Sally Sheff » . Ils ont été signés par LS1984, M. Louis Sheff et Sally Sheff et ont été déposés dans le compte bancaire conjoint de M. Louis Sheff et de Sally Sheff (ci-après le « compte bancaire » ).

           ∙ Onglet 8, exemple de chèque payable

18. À partir du 1er octobre 1985, M. Louis Sheff était l'actionnaire majoritaire, le président et l'administrateur de LS1984. Sally Sheff était une administratrice de LS1984.

19. Le premier Avis de cotisation visant LS1984, pour l'année d'imposition se terminant le 31 décembre 1995, a été émis le 3 septembre 1996.

20. Le premier Avis de cotisation, pour l'année d'imposition 1995 visant M. Louis Sheff, a été émis le 30 mai 1996.

21. Par un avis de nouvelle cotisation, le ministre a ajouté au revenu de LS1984 et de M. Louis Sheff les paiements mensuels reçus depuis le 1er octobre 1995 et déposés dans le compte bancaire conjoint de M. Louis Sheff et de sa conjointe.

22. Le 24 février 2000, l'ADRC a émis à LS1984 un premier avis de nouvelle cotisation pour les années d'imposition 1995 à 1998.

23. Le 24 février 2000, l'ADRC a émis à M. Louis Sheff un premier avis de nouvelle cotisation pour les années d'imposition 1995 à 1998.

24. Le 24 janvier 2001, l'ADRC a émis des avis de nouvelle cotisation selon lesquels il annulait les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais il soutenait que les paiements mensuels de 7 500 $ devaient être ajoutés au revenu de LS1984.

[3]      Il vaut la peine de présenter ici l'entente du 13 septembre 1985 ( « entente de 1985 » ) signée par Allan Sheff et Joseph A. Weiser d'une part, et reconnue et acceptée par Louis Sheff, Sally Sheff, SW et LS 1984, d'autre part. On trouve une copie du document à l'onglet 7 du livre conjoint de documents (pièce I-1) et elle est ainsi rédigée :

[traduction]

ALLAN SHEFF

[...]

-et-

JOSEPH A. WEISER

[...]

Le 13 septembre 1985

M. Louis Sheff et

Mme Sally Kapustin Sheff

[...]

                       Objet : Sheff, Weiser, Perelman &

                                   Associés Inc., (la « compagnie » et

                                   Louis Sheff (1984) Inc. ( « la compagnie B » )

Monsieur et Madame,

                       La présente vise à confirmer nos discussions en ce qui concerne l'objet présenté en sous-titre ci-après énoncé. Toute offre ou contre-proposition précédente est, par la présente, expressément révoquée.

A.        Compagnie

1.                     Allan Sheff ( « A. S. » ) et Joseph Weiser ( « J. W. » ) achètent, par la présente, les trois cents (300) actions privilégiées et les quatre-vingt-dix-huit (98) actions ordinaires que détiennent présentement Louis Sheff ( « L. S. » ) et Sally Sheff ( « S. S. » ), ce qui représente la totalité des actions de la compagnie qu'ils détiennent, en contrepartie d'un paiement à L. S. au moment de la signature et par chèque certifié d'une somme de cent vingt mille dollars (120 000 $CAN) moins, le cas échéant, les sommes retirées par L. S. et/ou S. S. du compte de la compagnie en plus de leurs salaires réguliers pendant 1985.

2.                     La compagnie paiera des honoraires d'expert-conseil à Louis Sheff (1984) Inc. ( « compagnie B » ) d'une somme de quatre-vingt-dix mille dollars (90 000 $CAN) par année pendant la vie de L. S. et de S. S., mais tout au moins pour un minimum de dix (10) années à partir de la date de la signature. Cette somme sera payée en versements mensuels égaux de sept mille cinq cents dollars (7 500 $CAN) le premier jour de chaque mois, le premier paiement devant être versé le 1er octobre 1985. La responsabilité de la compagnie, à titre d'expert-conseil, se limitera à la promotion de son image.

3.                     La somme de trois cent vingt-cinq mille dollars (325 000 $CAN) sera versée à la succession (ou selon ce qu'indiquera le testament pertinent du dernier survivant, soit L. S., soit S. S.) au moment du décès du dernier survivant, soit L. S., soit S. S. Cette somme de 325 000 $CAN ne doit en aucun cas être versée avant le 1er octobre 1995, même si L. S. et S. S. sont décédés avant cette date.

B.        Compagnie B

1.                     Par la présente, A. S. et J. W. vendent toutes les actions qu'ils détiennent dans la compagnie B à L. S. et à S. S. pour la somme de cent dollar[s] (100 $CAN).

2.                     L. S. aura accès à tous les dossiers généraux qui font maintenant partie du portefeuille de la compagnie afin de lui permettre de solliciter ses clients pour la vente et les services d'une nouvelle ou d'une ancienne entreprise dans les domaines de l'assurance-vie, des régimes de pension, des régimes enregistrés d'épargne-retraite, des rentes et d'autres régimes semblables. Afin de favoriser cela, L. S. recevra, sur demande, un imprimé d'ordinateur comportant les noms, adresses et numéros de téléphone des clients de la compagnie.

3.                     A. S. et J. W. déclarent et garantissent qu'ils ne feront pas sciemment et directement concurrence à L. S. ou dans une des catégories d'entreprise mentionnées au paragraphe précédent, que ce soit par eux-mêmes ou par l'entremise de quelqu'un d'autre.

C.        Généralités

1.                     Au moment de la signature, la compagnie doit transférer à L. S., sans frais, le véhicule Oldsmobile 98 Regency 1983 qu'il conduit présentement. Par conséquent, L. S. assumera les paiements qu'il reste à verser à GMAC ainsi libérant la compagnie de toute responsabilité.

2.                     La signature aura lieu le jeudi 19 septembre 1985, à 11 h, au bureau de Gascon, Gibson, Larose, 1210, rue Sherbrooke Ouest, 5e étage, Montréal, Québec :

i)         au moment de la signature, toutes les actions vendues par la présente seront endossées et remises à la partie pertinente, et toutes les parties signeront tout document que pourraient raisonnablement exiger leurs avocats afin d'effectuer le transfert de toutes lesdites actions;

ii)        au moment de la signature :

a)       L. S. sera nommé membre du Conseil d'administration et président de la compagnie, des postes qu'il peut occuper aussi longtemps qu'il le désirera,

b)        S. S. devra démissionner à titre d'administratrice et de dirigeante de la compagnie,

c)        A. S. et J. W. démissionneront à titre d'administrateurs et de dirigeants de la compagnie B;

iii)       L. S. aura le droit d'utiliser et d'occuper le bureau de la compagnie qu'il utilise et occupe présentement et aura droit également à une allocation de sept mille cinq cents dollars (7 500 $) pour rénover son bureau;

iv)       L. S. aura accès aux services de secrétariat que nécessitent ses affaires personnelles.

3.                     Sheff, Weiser, Perelman & Associés Inc. paiera tous les honoraires d'avocat et les dépenses liées à la présente entente.

4.                     Les parties devront signer tout autre document et prendre toute action nécessaire pour donner effet à la présente entente.

                       Si les dispositions précédentes sont acceptables, veuillez l'indiquer en apposant votre signature ci-dessous.

Veuillez agréer, Monsieur et

Madame, nos

salutations distinguées.

________________________                        ____________________________

Témoin                                                             Allan Sheff

________________________                        ____________________________

Témoin                                                             Joseph A. Weiser

Accepté et adopté

ce 13e jour de septembre 1985.

________________________                        ____________________________

Témoin                                                             Louis Sheff

________________________                        ____________________________

Témoin                                                            Sally Sheff

                                                                       SHEFF, WEISER, PERELMAN &

                                                                       ASSOCIÉS INC.

________________________                        Par :_________________________

Témoin                                                            

                                                                       LOUIS SHEFF (1984) INC.

________________________                        Par :_________________________

Témoin

[4]      Il ressort de la preuve qu'en 1939, Louis Sheff a fondé une compagnie de courtage d'assurance à Montréal qui est devenue, par la suite, SW. Il s'agissait d'une entreprise familiale. Le neveu de Louis Sheff, Joseph Weiser, s'y est joint à la fin des années 60, et son fils Allan Sheff a fait de même au milieu des années 70. Au cours des années, l'entreprise a pris de l'expansion et, en 1981, Joseph Weiser et Allan Sheff ont acquis deux tiers des actions de SW à leur valeur nominale. En 1985, Louis Sheff, alors âgé de presque 75 ans, s'est laissé convaincre par les deux autres actionnaires de leur vendre l'autre tiers des actions de SW. Selon Louis Sheff, ils avaient menacé de mettre l'entreprise en faillite s'il ne leur vendait pas sa participation. Louis Eidelman, le comptable des appelants a déclaré qu'Allan Sheff et Joseph Weiser avaient menacé l'appelant qu'ils démantèleraient l'entreprise pour en ouvrir une autre ensemble si Louis Sheff ne leur vendait pas ses actions. Ce dernier a fini par accepter de vendre, et des négociations quant au prix ont suivi. Louis Sheff voulait assez d'argent pour subvenir aux besoins de son épouse, Sally Sheff, et pour assurer une retraite confortable. Allan Sheff a témoigné que lui et Joseph Weiser désiraient racheter la compagnie de Louis Sheff et lui garantir également la sécurité dont il avait besoin soit au moyen d'une pension, soit d'une allocation de retraite pour compenser le nombre d'années qu'il avait consacrées à l'entreprise. À la suite des négociations les plus difficiles, ils ont fini par s'entendre et ont signé l'entente de 1985.

[5]      Allan Sheff a établi la valeur approximative de l'ensemble de l'entreprise à 646 000 $, le tiers de cette somme étant 215 000 $ (pièce I-1, onglet 12). Ils ont fini par convenir que lui et Joseph Weiser paieraient immédiatement 120 000 $ pour l'achat des actions détenues par Louis Sheff et un montant de 325 000 $ serait versé à la succession de Louis Sheff ou de Sally Sheff au moment du décès du dernier survivant des deux, mais pas avant le 1er octobre 1995. Allan Sheff a témoigné que l'objectif des 325 000 $ consistait à laisser une succession à ses deux soeurs. Il a également été convenu, comme cela est indiqué dans l'entente de 1985, qu'un honoraire d'expert-conseil de 90 000 $ par année (payable en versements mensuels égaux de 7 500 $) serait versé à LS 1984 pendant la vie de Louis et de Sally Sheff, mais qu'en tout état de cause, pendant un minimum de dix années. SW devait verser ce montant.

[6]      Allan Sheff a affirmé que, peu de temps après que l'entente a été signée, son père voulait la résilier, indiquant qu'elle avait été signée sous une contrainte extrême. Néanmoins, il a indiqué que Louis Sheff, qui avait accès à un bureau sur les lieux de l'entreprise, se rendait périodiquement à ce bureau, discutait avec les clients et donnait des directives aux membres du personnel. Selon Allan Sheff, son père devait, dans la mesure où cela lui était possible, faire profiter ceux-ci de ses 50 années d'expérience dans le domaine des assurances.

[7]      Cependant, avec le temps, la situation s'est détériorée. Si je comprends bien, cela a amené SW, Allan Sheff et Joseph Weiser à demander une injonction contre Louis Sheff, en décembre 1985, afin de lui interdire de se présenter au bureau. Dans un jugement daté du 26 juin 1986, le juge Reeves de la Cour supérieure du Québec a ordonné à Louis Sheff de [TRADUCTION] « s'abstenir d'agir de façon à nuire ou à entraver le travail des employés [de SW] » . Le juge a également déclaré qu'il laissait aux dirigeants de SW le soin d'évaluer la situation et de déterminer si cela était dans leur intérêt de demeurer sur les lieux si Louis Sheff décidait de rester au bureau après une heure raisonnable. Il convient de mentionner ici les commentaires du juge Reeves énoncés avant l'ordre :

[traduction]

Dans ce contexte, la Cour [...] indiquera, en premier lieu, que la pièce R-1 [entente de 1985] demeure un contrat qui lie les parties. Il représente la loi dont les parties ont convenu, et elles doivent s'y conformer. Le contrat comporte des obligations réciproques. La Cour n'a rien à dire sur la question de savoir si le contrat est ou non exécuté. Chacune des parties a ses droits, et si cela suscite des procédures supplémentaires, il reviendra au tribunal de se prononcer sur ces questions ainsi formulées et soumises à la Cour. Naturellement, certaines questions se posent quant à savoir si des démarches ont été entreprises pour exécuter le contrat. Il ressort de la preuve qu'ils ont tenté de l'exécuter, et on espère que ces tentatives réussiront dans les meilleurs délais. Ce qui préoccupe la Cour relativement à l'injonction c'est l'intérêt, l'intérêt soutenu et continu dans l'entreprise. Cela l'emporte sur les intérêts de toutes les parties concernées par la question particulière, et cela devrait leur servir de guide.

(pièce I-1, onglet 9, page 2)

[8]      Malgré la situation amère, SW a versé, du mois d'octobre 1985 au mois de juin 1990, à LS 1984 les paiements mensuels de 7 500 $ conformément à l'entente de 1985.

[9]      En 1990, cette série de paiements (les paiements mensuels de 7 500 $) a fait l'objet d'une vérification par Revenu Canada (à présent l'Agence des douanes et du revenu du Canada). Louis Sheff estimait que ces paiements faisaient partie du produit provenant de la disposition de ses actions et, par conséquent, il a déclaré un gain en capital dans sa déclaration de revenus de 1987, fondé en partie, il semble, sur une évaluation de la valeur, à ce moment-là, de toutes les sommes à recevoir ultérieurement en vertu de l'entente de 1985. À cet égard, Louis Sheff a obtenu une évaluation de Blondeau et compagnie, actuaires et conseillers, des montants qui lui étaient payables conformément à l'entente de 1985, et la [traduction] « valeur actualisée » de tous les montants donc payables a été établie à 1 058 619 $ (pièce I-1, onglet 10). En se fondant sur cette évaluation, Louis Sheff a déclaré un gain en capital de 869 416 $ dans sa déclaration de revenus de 1987 (pièce I-1, onglet 1).

[10]     SW, maintenant sous la direction d'une génération plus jeune, voulait passer en charges les paiements mensuels de 7 500 $ à titre de salaire. Le 16 janvier 1990, Revenu Canada a demandé à Louis Sheff de signer une déclaration indiquant que les paiements mensuels de 7 500 $ lui étaient versés à titre d'honoraires d'expert-conseil et qu'ils ne devraient pas faire partie du produit provenant de la disposition des actions (pièce 1, onglet 14). Il a refusé de la signer puisqu'il n'était pas d'accord avec cette déclaration.

[11]     En fin de compte, M. Serge Clairoux, le vérificateur de Revenu Canada, a accepté de considérer le total de toutes les sommes dues à Louis Sheff, pour une période de dix années en vertu de la clause A de l'entente de 1985, comme un produit provenant de la disposition des actions. En additionnant le 120 000 $, les 325 000 $ et les 900 000 $ (90 000 $ x dix années), M. Clairoux a obtenu un total de 1 145 000 $, moins une déduction de 200 000 $ conformément au paragraphe 73(5) de la Loi (consultez l'avis de nouvelle cotisation et le rapport du vérificateur, pièce I-1, onglets 2 et 15).

[12]     Selon M. Clairoux, le chiffre de 1 345 000 $ (avant la déduction de 200 000 $) approchait la valeur de 1,2 million de dollars que Revenu Canada avait établie comme la valeur des actions de SW (voir l'évaluation de biens immobiliers effectuée en 1987 par Revenu Canada, pièce I-1, onglets 11 et 12). Louis Sheff a fini par accepter de conclure une entente et d'être imposé sur un gain en capital calculé selon une évaluation du prix de vente des actions plus élevée que ce qu'il avait déclaré auparavant (1 345 000 $ plutôt que 1 058 619 $). Par conséquent, on a établi une nouvelle cotisation pour Louis Sheff à l'égard de l'année d'imposition 1987.

[13]     Toutefois, cet arrangement (l' « accord de 1990 » ) a placé SW dans une fâcheuse situation. Si les versements annuels de 90 000 $ constituaient un capital, la compagnie ne pouvait pas les faire passer en charges à titre de salaires. Par conséquent, Revenu Canada a refusé la dépense de salaire et a ajouté un montant correspondant au prix de base rajusté des actions qu'Allan Sheff et Joseph Weiser avaient achetées de Louis Sheff (pièce I-1, onglet 23).

[14]     La vérification de Revenu Canada a envenimé la relation entre Louis Sheff et SW. Chacun accusait l'autre d'essayer de lui imposer injustement le fardeau fiscal. Le 1er juillet 1990, SW a cessé de verser le paiement mensuel de 7 500 $. Se fondant sur le fait que, dans ses rapports avec Revenu Canada, Louis Sheff avait nié avoir fourni des services à la compagnie, SW a prétendu que ce dernier a résilié leur contrat. LS 1984 a poursuivi SW afin de l'obliger à continuer de lui verser les paiements mensuels de 7 500 $. SW a contesté la poursuite et, par une demande reconventionnelle, a demandé un jugement déclaratoire visant à établir si l'entente de 1985 comportait deux contrats, à savoir un contrat lié à la vente des actions et l'autre à l'engagement de LS 1984 à titre d'expert-conseil.

[15]     En juillet 1992, le juge Melançon de la Cour supérieure du Québec a confirmé l'obligation de verser les paiements mensuels et a ordonné à SW de payer à LS 1984 les arrérages. Il a ainsi déclaré que l'entente de 1985 constituait un seul contrat dont un des éléments était l'obligation de SW de verser à LS 1984 la somme de 7 500 $ chaque mois pendant la vie de Louis Sheff et de Sally Sheff, ou jusqu'au 1er octobre 1995, s'ils devaient décéder avant cette date.

[16]     Dans son jugement, à la page 3 de la version anglaise (pièce I-1, onglet 17), le juge Melançon a mentionné ce qui suit :

[traduction]

           La pièce P-1 (entente de 1985) comporte-t-elle un ou deux contrats : c'est-à-dire, une vente d'actions et un engagement à titre d'expert-conseil?

           Dans l'affaire Bock & Tétreault Inc. vs Corporation Eagle Lumber (J.E. 88-243, publiée intégralement dans Jurisprudence en matière d'obligations et publié par Soquij aux pages 355 et suivantes), la jurisprudence a reconnu qu'un contrat de vente d'actions peut également comporter un contrat d'expert-conseil. La défenderesse, par l'intermédiaire de ses actionnaires, s'était engagée à verser à la demanderesse, à partir du 1er octobre 1985, pour une durée d'au moins dix années, la somme de 7 500 $, chaque mois. Tel que cela a déjà été déclaré, les paiements ont cessé à partir du 1er juillet 1990.

           La défenderesse prétend avoir ce droit parce que le principal et unique actionnaire de la demanderesse a prétendu ne pas lui fournir de services. Dans les faits, le soussigné est d'avis que, dans ce contexte, la fourniture de services n'est pas très importante. Ces services sont tant à caractère positif (pour promouvoir l'image de la compagnie) qu'à caractère négatif, comme l'entend M. Louis Sheff, le père et le principal et unique actionnaire de la demanderesse : c'est-à-dire, de ne pas dénoncer la compagnie défenderesse comme il l'a fait. Il convient également de noter qu'aucun élément de la preuve n'indique une demande quelconque de services, de la part de la défenderesse, relativement à la demanderesse ou à son unique actionnaire.

[17]     En novembre 1993, la Cour d'appel du Québec a confirmé la décision du juge Melançon. Dans sa déclaration de revenus des particuliers de 1994, Louis Sheff a réclamé, à titre de perte en capital, les honoraires d'avocats engagés dans le cadre de sa poursuite contre SW devant les tribunaux québécois pour recouvrer les paiements mensuels de 7 500 $. Cependant, au cours d'une deuxième vérification par Revenu Canada en 1995 et en 1996 relativement aux années d'imposition 1993 et 1994 des appelants, M. Joseph Waxman, un des comptables agissant pour le compte de Louis Sheff à l'époque, a soutenu que les versements mensuels de 7 500 $ constituaient des honoraires d'expert-conseil et que les honoraires d'avocats engagés dans le cadre de cette affaire devraient être déductibles à titre de frais professionnels (pièce I-1, onglet 31). Compte tenu du fait que Revenu Canada avait estimé que ces paiements faisaient partie du produit de la disposition des actions, payable pendant une période de dix années se terminant le 1er octobre 1995, il a tout d'abord jugé que les honoraires d'avocat constituaient une dépense en capital non déductible (pièce I-1, onglet 20). En fin de compte, afin de régler le dossier, Revenu Canada a accepté d'admettre la moitié des honoraires d'avocat comme déduction au revenu personnel de Louis Sheff pour l'année d'imposition 1994 (pièce I-1, onglet 31). Dans son rapport, le vérificateur à l'époque a indiqué que M. Eidelman reconnaissait que les paiements mensuels de 7 500 $ devraient être imposables à titre d'honoraires d'expert-conseil à partir du 1er octobre 1995, mais, il était d'avis qu'ils devraient être imposables dans la déclaration de revenus des particuliers de Louis Sheff, parce que ces montants avaient été reçus par LS 1984 « au nom de » Louis Sheff (voir le rapport T-2020 de Revenu Canada, pièce I-1, onglet 19). En fait, au moment de son interrogatoire préalable et pendant le procès, Louis Sheff était très vague quant à la raison pour laquelle l'entente de 1985 stipulait que les paiements mensuels de 7 500 $ devaient être versés à LS 1984. Au moment de l'interrogatoire préalable, il a indiqué que LS 1984 n'avait jamais été liée aux activités de l'entreprise SW. Il a toutefois affirmé que LS 1984 avait été utilisée afin de protéger sa conjointe au cas où il décèderait. Dans la pièce I-1, onglet 35, aux pages 12 à 15, on peut lire ce qui suit :

          [traduction]

Q.       M. Sheff, il existait une entente stipulant qu'un montant de 90 000 $ devait être payé par ... à Louis Sheff (1984) Inc.?

R.       Cela est écrit dans l'entente.

Q.       Vous vous en souvenez?

R.       Oui, cela est dans l'entente.

Q.       Pourquoi ce montant était-il versé à Louis Sheff (1984) Inc.? Pourquoi ce montant devait-il être versé à Louis Sheff (1984) Inc.?

R.       Advenant mon décès, je voulais que l'argent aille à elle, je voulais la protéger.

          Me VIGEANT :

Q.       Je suis désolé, que voulez-vous dire par elle, pouvez-vous être plus précis?

R.       Mon épouse.

          Me ARCELIN :

Q.       Pourquoi les paiements étaient-ils versés par l'intermédiaire de Louis Sheff (1984) Inc.?

R.       Je ne peux vous répondre à ce sujet. Je suis resté debout des nuits entières afin d'essayer de comprendre pourquoi le nom de Louis Sheff (1984) se trouvait là puisqu'elle n'a jamais été liée d'aucune façon à l'entreprise. J'essaie toujours de comprendre comment cela est arrivé.

Q.       Alors, avez-vous participé d'une façon ... de quelque façon que ce soit à la négociation de l'entente du 13 septembre 1985?

R.       J'étais là.

Q.       Vous étiez là. Avez-vous participé à la négociation qui a mené à l'entente que vous avez signée?

R.       Je dois l'avoir fait.

Q.       Vous devez l'avoir fait.

R.       Je dois l'avoir fait.

Q.       Ainsi, vous devez y avoir participé, mais vous ne vous souvenez pas des détails?

R.       Je sais que j'étais assujetti à des pressions extrêmes.

Q.       Nous comprenons cela, M. Sheff. Nous le comprenons. Vous étiez ... on a établi une cotisation ... quoi ... D'accord, non, désolé, je vais reformuler ma question. Quand avez-vous déclaré pour la première fois les revenus, non pas les revenus ... je veux dire le produit de la disposition, le gain que vous avez réalisé relativement à la vente de ces actions? Les actions?

R.       Louis Adelman (ph) serait mieux placé pour expliquer cela que moi.

Q.       Pouvez-vous répéter cela, s'il vous plait?

R.       Louis Adelman, le comptable, serait mieux placé que moi pour expliquer cela.

[...]

Q.       Après septembre... après le 1er octobre... non, le 1er octobre 1995 ou après cette date, pourquoi ni vous ni Louis Sheff (1984) Inc. n'avez déclaré les sommes reçues par Sheff, Weiser, Perelman & Associés?

R.       Je ne vois pas, je n'arrive toujours pas à m'expliquer comment Louis Sheff Inc. s'est trouvée mêlée à tout cela. Je ne le vois pas. Je ne peux pas me souvenir de la raison pour laquelle il en est ainsi. Louis Sheff n'est pas... Inc. n'a jamais été liée à tout cela, elle ne possédait pas d'action, ne tirait pas de revenu. Ils n'y font pas partie.

[18]      Au procès, la question a été posée à Louis Sheff de la façon suivante (transcription, le 7 novembre 2002, page 63) :

[traduction]

[36]        Q. Ils l'étaient. Alors, Louis Sheff (1984) était une entreprise exploitée activement et elle était une entreprise exploitée activement qui réellement, vous exploitez une certaine entreprise d'assurance par l'entremise de la compagnie Louis Sheff (1984)?

             R. Cela est exact.

[19]     À l'expiration de la période de dix années, à savoir, à partir du 1er octobre 1985, M. Louis Sheff et son épouse, étant encore vivants, ont continué à recevoir, et reçoivent toujours, les paiements mensuels de 7 500 $. Un chèque mensuel fait à l'ordre de LS 1984 et/ou de Louis Sheff et/ou de Sally Sheff est toujours émis sur le compte de SW. Tous les chèques reçus ont été endossés par Louis Sheff pour le compte de LS 1984 et personnellement par Louis Sheff et Sally Sheff et déposés dans le compte conjoint personnel de ces derniers. Ni LS 1984 ni Louis Sheff n'a déclaré, après le 1er octobre 1995, ces paiements mensuels dans ses revenus aux fins de l'impôt. Les appelants ont obtenu des conseils juridiques en juin 1994 indiquant ce qui suit :

[traduction]

[...] Toutefois, puisque Revenu Canada a accepté d'inclure, relativement à l'année d'imposition 1987 (et aux années suivantes), les paiements annuels de 90 000 $ et le paiement forfaitaire dans le calcul du gain en capital, on pourrait soutenir que le paragraphe 4(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu empêchera Revenu Canada d'inclure ultérieurement de tels montants puisqu'ils ont déjà été inclus dans le calcul du montant du gain en capital imposable dans votre revenu pour 1987 et des années d'imposition subséquentes en utilisant la réserve. Par conséquent, nous sommes d'avis que, compte tenu de cette analyse, aucun montant que vous avez déjà inclus dans votre produit de la vente des actions de SCo ne devrait être inclus dans votre revenu éventuel.

[pièce I-1, onglet 22, page 3]

[20]     Revenu Canada n'était pas du même avis. Par lettre datée du 8 janvier 1996, il a demandé à LS 1984 d'inclure, à partir du 1er octobre 1995, les paiements dans son revenu. LS 1984 a ignoré cette demande et Revenu Canada, qui, le 1er novembre 1999, est devenu l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » )[1], a établi une nouvelle cotisation à l'égard de LS 1984 et de Louis Sheff personnellement pour inclure la somme de 22 500 $ (7 500 $ x 3 mois) dans leur revenu pour l'année 1995 et de 90 000 $ pour chacune des années d'imposition 1996, 1997 et 1998. La nouvelle cotisation de LS 1984 a été établie en tenant compte du fait que, pendant ces années, elle a reçu des honoraires d'expert-conseil qui devait être inclus dans son revenu conformément à l'article 9 de la Loi. Les mêmes montants ont été inclus dans le revenu de Louis Sheff, conformément au paragraphe 15(1) de la Loi, en tentant compte du fait que, pendant ces années, LS 1984 lui a conféré un avantage. Les parties reconnaissent que Louis Sheff est l'actionnaire majoritaire de LS 1984. Bien que le paragraphe 4 de l'Avis d'appel énonce que Louis Sheff possède 75 p. 100 des actions ordinaires de LS 1984 et que Sally Sheff possède le reste des actions ordinaires, cela n'a pas été admis par l'intimée, et aucun élément de preuve à cet égard n'a été présenté. Les appelants ont interjeté appel devant la Cour à l'encontre des nouvelles cotisations susmentionnées.

Question en litige

[21]     La principale question porte sur le traitement fiscal, à partir du mois d'octobre 1995, des paiements mensuels de 7 500 $ que les appelants ont reçus. On doit également déterminer si, en 1995, Revenu Canada était autorisé d'établir, au-delà de la période normale de nouvelle cotisation, de nouvelles cotisations à l'égard des appelants.

Arguments des appelants

[22]     Les appelants n'ont pas inclus les paiements mensuels de 7 500 $ dans leurs déclarations de revenus produites depuis le 10e anniversaire de l'entente de 1985, parce qu'ils croient fermement qu'ils font partie du produit de la disposition des actions en 1985, disposition qui a été déclarée aux fins de l'impôt sur le revenu en 1987. Selon les appelants, la valeur marchande du prix d'achat des actions de SW a été calculée par un actuaire autorisé comme équivalente à plus de un million de dollars (pièce I-1, onglet 13). Selon les appelants, le produit de la disposition des actions a été calculé en tenant compte de l'élément de 90 000 $ par année (les paiements mensuels de 7 500 $), selon sa valeur à l'époque, et ce montant ne devrait pas être ajouté à leur revenu après l'expiration de la période de dix années. Leurs avocats ont soutenu qu'au moment de la nouvelle cotisation établie à l'égard des appelants en 1991, conformément à l'accord de 1990, Revenu Canada avait accepté d'inclure l'élément de 90 000 $ par année du produit de la disposition des actions de SW détenues par Louis Sheff relativement à l'année d'imposition 1987. Selon les avocats des appelants, l'accord de 1990 était complet, c'est-à-dire, Louis Sheff avait déjà payé l'impôt sur le gain en capital en tenant compte du produit de la disposition, qui équivalait, selon la valeur de l'époque, à une série de paiements indéterminée de 90 000 $. Puisque M. Sheff a déjà payé l'impôt, les efforts de Revenu Canada donnent lieu à une double imposition, laquelle n'est pas acceptable en vertu du paragraphe 248(28) (l'ancien paragraphe 4(4)) de la Loi. Selon l'accord de 1990, M. Sheff a payé plus d'impôt qu'il ne devait parce que Revenu Canada n'avait pas déduit l'inflation des dix paiements garantis de 90 000 $ ou du paiement qui sera versé lors de son décès.

[23]     Selon les avocats des appelants, Revenu Canada est donc empêché de changer d'avis et de qualifier autrement le paiement de 90 000 $ par année comme honoraires d'expert-conseil tel qu'il l'a fait relativement aux paiements versés depuis le mois d'octobre 1995. Selon eux, il ne peut pas, en même temps, traiter le 90 000 $ comme un revenu et un gain en capital. La nouvelle cotisation établie par Revenu Canada est déraisonnable, particulièrement en ce qui a trait à l'année 1995, puisqu'il a imposé les paiements mensuels de 7 500 $ à titre de gain en capital pour les neuf premiers mois de l'année mais, pour les trois derniers mois de la même année, il a imposé, à titre de revenu, les sommes provenant de la même source.

[24]     Selon l'avocat des appelants, la préclusion empêche Revenu Canada d'établir une nouvelle cotisation portant sur la même transaction pour des motifs différents de ceux que comporte l'accord de 1990 conclu avec M. Sheff. Conclure autrement permettrait à Revenu Canada de répudier l'entente, laquelle a confirmé que le produit total provenant de la vente, notamment le paiement de 90 000 $ par année, et a donné lieu à un gain en capital que M. Sheff a déclaré dans sa déclaration de revenus de 1987. M. Sheff a suivi l'entente avec précision en déclarant tous les montants qu'il a reçus de SW. Cela empêche également Revenu Canada d'établir une nouvelle cotisation au-delà du délai de prescription relatif à l'année d'imposition 1995. De plus, l'avocat des appelants a déclaré que, selon la preuve, ni M. Sheff ni LS 1984 n'avait jamais fourni de service d'experts-conseils après 1985, et il a soutenu que les appelants ne peuvent pas être imposés comme s'ils l'avaient fait.

[25]     Leur avocat a également soutenu que le montant de 90 000 $ par année ne devrait pas être déclaré à titre de gain en capital pour chacune des années dans lesquelles il avait été reçu après 1995, parce qu'il n'existe aucune disposition donnant lieu à un gain en capital relatif à ces années. En dernier lieu, il a soutenu, en se fondant sur la décision Fortino et autres c. La Reine, [1996] A.C.I. no 1457 (Q.L.), confirmée par [1999] A.C.F. no 1964 (Q.L.)[2], que subsidiairement, le montant de 90 000 $ par année reçu après 1995 pourrait être qualifié d'un paiement versé pour empêcher M. Louis Sheff de faire concurrence avec SW et qu'un tel paiement n'est pas imposable.

Arguments de l'intimée

[26]     D'autre part, l'intimée est d'avis que, même si les appelants pouvaient soutenir qu'ils n'ont pas fourni de services (ce qui, selon l'avocat de l'intimée, n'est pas le cas au vu des éléments de preuve) le montant de 90 000 $ par année est imposable entre les mains de LS 1984 depuis octobre 1995. L'avocat de l'intimée s'est fondé sur l'entente de 1985 et sur le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec obligeant SW à payer 90 000 $ par année à LS 1984. Il a avancé son argument malgré le fait que Revenu Canada avait estimé, dans le passé, que les paiements mensuels de 7 500 $ faisaient partie du produit de la disposition des actions de SW détenues par Louis Sheff. De l'avis de l'avocat de l'intimée, Revenu Canada n'est pas lié par les cotisations antérieures. L'intimée estime que les appelants ont organisé volontairement leurs affaires pour tirer un certain revenu et, par conséquent, ils devraient être liés par les conséquences fiscales qui en découlent.

[27]     L'intimée est également d'avis que le paragraphe 15(1) de la Loi s'applique et, par conséquent, le montant de 90 000 $ par année devrait être inclus dans le revenu de Louis Sheff, parce que les chèques émis à l'ordre de LS 1984 et/ou de Louis Sheff et/ou de Sally Sheff et endossés par les trois ont été déposés dans le compte conjoint personnel de Louis et de Sally Sheff. Puisque l'argent n'a pas été distribué au moyen d'un dividende, l'intimée estime que cela constitue un avantage conféré à Louis Sheff personnellement par LS 1984, et le montant total correspondant devrait être, par conséquent, inclus dans le revenu de Louis Sheff en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi.

[28]     L'intimée soutient subsidiairement que, si les paiements mensuels de 7 500 $ ne constituent pas, pour LS 1984, un revenu tiré d'une entreprise, ils en constituent un pour Louis Sheff personnellement, puisqu'ils étaient versés en contrepartie d'un certain service que ce dernier a fourni personnellement.

[29]     Subsidiairement encore, l'intimée soutient également que le montant de 90 000 $ par année devrait être inclus dans le revenu de Louis Sheff à titre d'une rente conformément à l'alinéa 56(1)d) de la Loi. Si le montant en question ne constitue pas une rente, l'avocat soutient que, même s'il n'y a pas eu de disposition depuis 1995, il devrait être imposable à titre de gain en capital conformément à l'article 40 de la Loi. Selon lui, le contrat de vente des actions était fondé sur l'éventualité d'événements futurs et incertains et, par conséquent, un gain en capital peut être inclus dans le revenu de Louis Sheff pour chacune des années qu'il a reçu le montant de 90 000 $ après le mois d'octobre 1995.

[30]     En dernier lieu, l'avocat de l'intimée fait valoir que, lors de la production de leurs déclarations de revenus pour l'année d'imposition 1995, les appelants ont fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire en vertu de l'alinéa 152(4)a) de la Loi relativement aux honoraires d'expert-conseil non déclarés provenant de SW. Il était donc tout à fait loisible à Revenu Canada d'établir une nouvelle cotisation pour l'année en question.

Analyse

[31]     Je ferai d'abord remarquer que les circonstances de la présente affaire qui se sont dévoilées depuis le début ont suscité un imbroglio où chacune des parties concernées a essayé d'interpréter, de sa propre façon, les conséquences fiscales découlant de l'accord de transaction désespéré conclu par des personnes ayant des intérêts divergents.

[32]     Je suis également d'avis que, lors de l'audience, ni M. Louis Sheff ni M. Allan Sheff ne voulait revivre les souvenirs de leur rapport acrimonieux qui existait durant les années passées, lorsqu'ils négociaient le départ de Louis Sheff à titre d'actionnaire de SW, la compagnie qu'il avait créée. Ainsi, les deux étaient vagues lorsqu'ils décrivaient comment l'entente de 1985 avait été conclue et les véritables intentions de chacune des parties lors de la rédaction de l'entente. De plus, je suis également d'avis que, bien que Joseph Weiser et Allan Sheff aient un intérêt commun pour encourager Louis Sheff de ne plus occuper le poste au sein de l'entreprise, ils se préoccupaient également de leur relation familiale avec Louis et Sally Sheff dont ils voulaient assurer un revenu viager. Allan Sheff a également témoigné que l'entente de 1985 avait été rédigée en partie pour profiter à ses deux soeurs.

[33]     Le motif de la participation de LS 1984 est également mystérieux. La raison pour laquelle ils ont décidé, en vertu de l'entente de 1985, que les paiements mensuels de 7 500 $ seraient versés à LS 1984 n'est pas évident. Allan Sheff a témoigné que cela était à la demande de son père. En revanche, lors de son interrogatoire préalable, Louis Sheff a déclaré, à plusieurs reprises, que LS 1984 n'avait jamais fourni de services à SW, ni avant ni après la conclusion de l'entente de 1985. Il a dit par contre que LS 1984 avait participé à l'entente pour protéger son épouse advenant le cas où il décéderait avant elle. Lors de l'audience, Louis Sheff a reconnu que LS 1984 était une entreprise exploitée activement et qu'il exploitait l'entreprise d'assurance par l'entremise de LS 1984.

[34]     Qui plus est, il ressort des faits, tels qu'ils ont été présentés, que ni Louis Sheff ni Revenu Canada n'a fait de distinction entre la compagnie et la personne relativement au traitement fiscal des sommes reçues ou passées en charges ayant trait à l'entente de 1985. Par conséquent, bien que l'entente stipule que les paiements mensuels de 7 500 $ devaient être versés à LS 1984, tant Revenu Canada que Louis Sheff ont traité ces montants comme un produit de la disposition des actions de SW détenues par Louis Sheff. Le gain en capital a été déclaré en 1987 dans la déclaration de revenus des particuliers de Louis Sheff. Par la suite, malgré que ce soit LS 1984 qui a poursuivi SW en Cour supérieure du Québec pour le paiement mensuel de 7 500 $, les honoraires d'avocats découlant de la poursuite ont été réclamés à titre de frais déductibles personnellement pour Louis Sheff, et la moitié d'entre eux ont été acceptés comme tels par Revenu Canada. Ce sont là des exemples de la façon dont, dès le début, cette affaire a été mal interprétée par tous ceux qui devaient s'occuper des conséquences fiscales de la transaction en litige.

[35]     En dernier lieu, je veux souligner que Louis Sheff, qui était âgé de 91 ans au moment du procès, m'est apparu comme encore très lucide et alerte. Il a comparu avec son épouse, sans donner aucun signe de fatigue, à une audience qui a durée toute une journée.

[36]     Cela étant dit, j'essayerais maintenant de faire mon possible de tout concilier et de rendre une décision, laquelle j'espère déterminera la véritable nature des paiements en litige et de leur traitement fiscal conformément au droit.

[37]     En premier lieu, il me paraît bien évident que les paiements annuels de 90 000 $ ne faisaient pas partie du produit de la disposition des actions de SW effectuée par Louis Sheff. D'autre part, le sous-paragraphe A(1) de l'entente de 1985 fait clairement état du fait que la contrepartie de l'achat des actions consiste en un montant de 120 000 $ moins tout montant que Louis et Sally Sheff devaient à SW, et que le prix d'achat devait être payé par les acheteurs des actions, soit Allan Sheff et Joseph Weiser.

[38]     Un autre sous-paragraphe, soit le sous-paragraphe A(2), prévoit que SW (et non les acheteurs des actions) doit verser à LS 1984 (et non au vendeur des actions) un honoraire d'expert-conseil de 90 000 $ par année pendant la vie de Louis et de Sally Sheff, mais qu'en tout état de cause, pour une période minimum de dix années de la date de signature. La formulation de ce sous-paragraphe suffit à elle seule à démontrer que le paiement annuel de 90 000 $ ne représentait pas une contrepartie de la vente des actions.

[39]     En deuxième lieu, Allan Sheff avait établi la valeur approximative de l'ensemble de l'entreprise à 646 000 $, et Revenu Canada est arrivé à une valeur de 1 200 000 $ pour toutes les actions de SW (y compris 3 000 $ pour les actions privilégiées appartenant à Louis Sheff, voir la pièce A-1, onglet 12). Louis Sheff vendait un tiers de ses actions ordinaires et toutes ses actions privilégiées. Ainsi, même si l'on prend le chiffre le plus élevé, soit 1 200 000 $, on arriverait à une valeur de 402 000 $ (1/3 x 1 197 000 $ = 399 000 $ plus 3 000 $ qui donne un total de 402 000 $) pour les actions que Louis Sheff vendaient. Il est donc difficile de soutenir qu'un montant de 900 000 $ (90 000 $ par année pour dix années) était versé pour les actions en plus des 120 000 $ versés lors de la signature et des 325 000 $ payables ultérieurement. L'évaluation obtenue de Blondeau et compagnie par Louis Sheff a estimé la valeur à l'époque de tous les montants qui lui étaient payables selon l'entente de 1985, à 1 058 619 $. Elle n'a pas fourni une évaluation comme telle de la valeur des actions. Les montants payables selon l'entente de 1985 représentaient le paiement de la vente des actions et le paiement de quelque d'autre appelé « honoraires d'expert-conseil » .

[40]     À mon avis, Revenu Canada a été induit en erreur lorsqu'il a accepté d'inclure, dans le produit de la disposition des actions détenues par Louis Sheff, le montant de 900 000 $, lequel représente les paiements annuels de 90 000 $ pour une période de dix années. Cela n'aurait jamais dû être fait et, par conséquent, le montant de 900 000 $ n'aurait pas dû être inclus dans le gain en capital résultant de la vente, en 1987, des actions détenues par Louis Sheff. Revenu Canada a respecté l'accord de 1990 pendant dix années mais, à l'expiration de la période de dix années, il a établi une nouvelle cotisation à l'égard des appelants au motif que le paiement annuel de 90 000 $ constituait un revenu pour LS 1984.

[41]     Les appelants ont fait valoir que Revenu Canada est maintenant empêché d'établir, selon un motif différent, une nouvelle cotisation pour les années d'imposition subséquentes.

[42]     Dans la décision Nova Scotia Power Inc. c. La Reine, C.C.I., no 2001-347(IT)G, 25 janvier 2002 (2002 DTC 1432), mentionnée par les appelants, la question de la préclusion a été soulevée par le ministre. Le ministre soutenait qu'en raison d'une déclaration qui lui avait été faite par l'avocat du contribuable selon laquelle ce dernier était un mandataire de Sa Majesté la Reine, le contribuable était maintenant empêché de contester cette position. Cependant, la déclaration en cause était essentiellement une conclusion de droit fondée sur l'avis d'un avocat. Le juge en chef adjoint Bowman de la Cour a conclu qu'une telle déclaration ne pouvait pas donner lieu à une préclusion et lier la Cour.

[43]     Le juge en chef adjoint Bowman a traité de la question de préclusion de la façon suivante, aux paragraphes 28 et 29 des pages 1440 et 1441 :

           [28] À mon avis, de telles observations ne donnent pas lieu à une préclusion. Dans l'affaire S. Goldstein c. La Reine, C.C.I., no 94-840(IT)I, 1er mars 1995, [1995] 2 C.T.C. 2036, on a discuté en quelque détail de la question de la préclusion aux pages 10 à 12 (C.T.C. : aux pages 2045 et 2046) :

       [...]

[...] Dans l'arrêt Canadian Superior Oil Ltd. c. Paddon-Hughes Development Co. Ltd. [1970] R.C.S. 932, pp. 939-940, le juge Martland énonce comme suit les facteurs donnant lieu à une préclusion :

Les facteurs essentiels pour fonder une fin de non-recevoir sont, je pense, les suivants :

          (1) Une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d'inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite.

          (2) Une action ou une omission résultant de l'affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l'affirmation est faite.

          (3) Un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission.

         La préclusion n'est plus simplement une règle de preuve. C'est une règle de droit positif. Lord Denning en parle comme d'un « principe de justice et d'équité » [voir Moorgate Mercantile Co. Ltd. v. Twitchings, [1976] 1 B.R. 225, à la p. 241].

         On dit parfois que la préclusion n'est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n'est pas exacte et semble provenir d'une mauvaise application de terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d'autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu'elle s'applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s'est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment. La doctrine n'a aucune application lorsqu'une interprétation particulière d'une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l'État, que le sujet s'est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l'interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n'est pas approprié, non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu'aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n'a aucun rôle à jouer lorsque des questions d'interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit.

         La question de l'interprétation de l'alinéa 146(1)c) est une question de droit, et je dois la trancher conformément au droit tel que je le comprends. Je ne saurais éviter cette obligation parce que le ministère du Revenu national peut avoir adopté antérieurement une interprétation différente de celle qu'il avance maintenant. La question n'est pas de savoir si la Couronne est liée par une interprétation antérieure sur laquelle un contribuable s'est fondé. Il est plus exact de dire que les tribunaux, qui sont tenus de trancher les litiges conformément au droit, ne sont pas liés par des déclarations, opinions ou aveux relatifs au droit de la part des parties.

         L'application de la règle dans l'affaire Maritime Electric et les nombreuses autres affaires à cet effet peut avoir, dans des cas particuliers, des conséquences malheureuses pour un contribuable qui, de bonne foi, se fonde sur une interprétation ministérielle qui est par la suite modifiée. Néanmoins, il n'est pas dans l'intérêt de la justice que les tribunaux soient entravés par des interprétations erronées du droit de la part de fonctionnaires de l'État.

          [29] La déclaration en cause est essentiellement une conclusion de droit fondée sur l'avis d'un cabinet d'avocats. Un tel avis ou une telle conclusion de droit doit certes être tenu en estime, mais ne peut lier les tribunaux. Les avocats font régulièrement des déclarations aux autorités fiscales et, ce faisant, peuvent exprimer des conclusions de droit. Le fait que les autorités fiscales puissent accorder le résultat fiscal demandé par les avocats, qu'elles partagent ou non le raisonnement juridique sur lequel sont fondées les observations des avocats, ne peut donner lieu à une préclusion.

[Notes en bas de page sont omises.]

[44]      Dans la décision Cohen c. Canada, [1980] A.C.F. no 501 (Q.L.), la situation inverse s'est produite. Le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale a résumé l'affaire et a rendu sa décision de la manière suivante :

¶ 4             Le deuxième argument de l'appelant était que le Ministre ne pouvait légalement cotiser à nouveau l'appelant en considérant le gain en cause comme un revenu car il avait d'abord accepté de considérer ce profit comme un gain de capital. L'avocat de l'appelant a fait valoir que cette convention avec été faite au cours des négociations entre les représentants de l'appelant et les fonctionnaires du ministère du Revenu national au sujet des cotisations de l'appelant pour les années 1961 à 1964. D'après l'avocat l'appelant aurait accepté de ne pas en appeler de ces cotisations pour les années fiscales 1961 à 1964 étant entendu que son impôt sur le revenu pour 1965 serait calculé en considérant les gains en cause comme un gain de capital. L'avocat a prétendu que le Ministre ne pouvait rejeter cette entente, surtout après l'expiration du délai dont disposait l'appelant pour former un appel au sujet des cotisations de 1961 à 1964.

¶ 5             À mon avis le juge de première instance a à bon droit rejeté cet argument. « ... le Ministre a l'obligation, aux termes de la Loi, de fixer le montant de l'impôt exigible d'après les faits qu'il établit et en conformité de son interprétation de la loi. Il s'ensuit qu'il ne peut établir une cotisation pour un certain montant fixé afin de donner effet à un compromis... » [Voir Note 1 ci-dessous]. La convention par laquelle le Ministre accepterait de cotiser pour les fins de l'impôt sur le revenu autrement que suivant la loi serait à mon avis illicite. Il s'ensuit que même si le dossier corroborait la prétention de l'appelant lorsqu'il affirme que le Ministre a accepté de considérer le gain ici en cause comme un gain de capital, cette convention ne saurait obliger le Ministre et ne lui interdirait pas de cotiser la contribution que doit verser l'appelant conformément aux exigences de la Loi.

_________________________________________________________________

Note 1 :     Galaway v. M.R.N. [1974] 1 C.F. 600, à la p. 602.

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[45]      En l'espèce, il n'existe pas d'affirmation ou de conduite y équivalant, de la part de Revenu Canada, qui a pour but d'inciter les appelants à adopter une certaine ligne de conduite. En fait, les appelants ont accepté l'entente de 1985 (à laquelle Revenu Canada n'était pas partie) et ont seulement déclaré l'opération dans leurs déclarations de revenus de 1987. Au cours de la vérification de l'année 1990-1991, Revenu Canada a accepté de considérer, pendant une période de dix années, le paiement annuel de 90 000 $ comme faisant partie du produit de la disposition des actions. À mon avis, cela ne constitue pas une affirmation qui a pour but d'inciter les appelants à adopter une certaine ligne de conduite. Lorsque Revenu Canada est intervenu dans l'affaire, les appelants avaient déjà pris leur décision relative à leur ligne de conduite. La question soulevée par Revenu Canada consistait tout simplement à savoir comment traiter les paiements du point de vue fiscal. La question à savoir si les paiements reçus par les appelants constituaient un revenu imposable, un gain en capital ou simplement un gain fortuit est une question de droit. L'accord de 1990 ne peut pas avoir pour effet de limiter la compétence de la Cour ou de déroger à la Loi. De nombreuses autres décisions énoncent qu'une préclusion ne peut aller à l'encontre des lois d'application générale, et la Couronne n'est pas liée par les erreurs ou omissions de ses préposés (par exemple, voir M.R.N. c. Inland Industries Ltd., [1974] R.C.S. 514 (72 DTC 6013 à la page 6017) et Gibbon c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-1667-76, 3 juin 1977 (77 DTC 5193).

[46]      Compte tenu de la jurisprudence citée ci-dessus, la doctrine de la préclusion ne s'applique pas en l'espèce. Dans la présente affaire, en croyant que la série de paiements annuels de 90 000 $ faisait partie du produit de la disposition des actions, Revenu Canada a commis une erreur, et il est loisible à la Cour de réexaminer l'affaire et de déterminer la véritable nature de ces paiements relativement aux années d'imposition qui n'étaient pas comprises dans la période de dix années couvert par l'accord de 1990.

[47]     Afin de déterminer la véritable nature des paiements mensuels de 7 500 $, je m'en remettrai donc aux facteurs qui m'ont été présentés. En premier lieu, l'entente de 1985 énonce que SW devait payer un honoraire d'expert-conseil à LS 1984. L'entente énonce également qu'à titre d'expert-conseil pour SW, sa responsabilité se limite à la promotion de son image. Louis Sheff, l'actionnaire contrôlant de LS 1984, a le droit d'utiliser et d'occuper un bureau sur les lieux de SW. Il a également été élu membre du conseil d'administration et président de SW, des postes qu'il peut occuper aussi longtemps qu'il le désirera.

[48]     En deuxième lieu, Allan Sheff a témoigné que l'objet de l'entente de 1985 est double. Lui et Joseph Weiser désiraient racheter la compagnie de Louis Sheff et ils désiraient, par l'entremise d'une pension ou d'une allocation de retraite, lui donner la sécurité dont il avait besoin pour le nombre d'années qu'il avait consacrées à SW (voir la transcription, le 7 novembre 2002, à la page 92). Il a également témoigné qu'après 1985 et lorsqu'il était en ville, Louis Sheff se présentait au bureau périodiquement, qu'il discutait avec les clients et qu'il donnait des directives aux membres du personnel. Pendant l'hiver, M. Sheff allait en Floride pour plusieurs mois. Allan Sheff a indiqué que Louis Sheff avait un bureau sur les lieux de SW jusqu'à il y a deux ou trois ans.

[49]     En troisième lieu, lors de son témoignage au procès, M. Sheff était vague et collaborait peu. Il semble qu'il a indiqué, lors de son interrogatoire préalable, que les paiements annuels de 90 000 $ devaient être versés à LS 1984 afin de protéger son épouse advenant qu'il décédait avant elle (pièce I-1, onglet 35, page 12). Il a également indiqué que ni lui ni LS 1984 n'avait fourni de services à SW après l'entente de 1985. Il existe des contradictions dans les éléments de preuve en ce qui concerne la situation antérieure à 1985, par conséquent, il n'est pas clair si des services ont été fournis par Louis Sheff personnellement ou par l'entremise de LS 1984.

[50]     En quatrième lieu, le témoignage de Louis Eidelman contredisait directement ce que Joseph Waxman, l'autre comptable de l'appelant, avait indiqué au vérificateur lors de la deuxième vérification effectuée en 1995-1996. À l'époque, M. Waxman était d'avis que les honoraires professionnels engagés par la poursuite intentée devant la Cour supérieure du Québec étaient liés à la perception des honoraires d'expert-conseil de Louis Sheff (pièce I-1, onglet 31). Cependant, M. Eidelman a indiqué, à l'audience, que les mêmes honoraires professionnels n'étaient [TRADUCTION] « pas pour percevoir les honoraires d'expert-conseil, [mais] pour percevoir les paiements continus de son gain en capital, sa disposition de biens » (voir la transcription, le 7 novembre 2002, à la page 77). M. Eidelman a également témoigné qu'il était présent à titre de conseiller professionnel pour Louis Sheff pendant les négociations qui ont abouti à l'entente de 1985. Il convient de noter qu'il était d'accord, lors de la vérification de 1995-1996, qu'à partir du mois d'octobre 1995, les paiements mensuels de 7 500 $ devaient être inclus dans le revenu de LS 1984 (pièce I-1, onglet 19).

[51]     En cinquième lieu, si je comprends bien, la demande d'injonction contre Louis Sheff a été déposée par Joseph Weiser et Allan Sheff pour l'empêcher de se présenter au bureau. La Cour supérieure du Québec a ordonné aux parties de respecter l'entente de 1985.

[52]     En sixième lieu, lorsque SW a cessé de verser les paiements en 1990, c'était LS 1984 (et non Louis Sheff personnellement) qui a poursuivi SW pour se faire payer. Après avoir entendu les témoignages, le juge Melançon était d'avis que la fourniture de services n'était pas très importante dans le cadre de la signature de l'entente de 1985, et il a ordonné que les paiements mensuels dus à LS 1984 lui soient versés conformément à l'entente.

[53]     En septième lieu, les chèques émis par SW étaient faits à l'ordre de LS 1984 et/ou de Louis Sheff et/ou de Sally Sheff endossés par les trois et déposés dans le compte conjoint personnel de Louis et de Sally Sheff.

[54]     À mon avis, en analysant l'ensemble, le paiement annuel de 90 000 $ pourrait consister en une rente versée à M. Louis Sheff payable par l'entremise de LS 1984 au sens de l'alinéa 56(1)d) de la Loi. Le terme « rente » est ainsi défini au paragraphe 248(1) :

ARTICLE 248 : [Interprétation].

4248(1)3

           (1) Définitions. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« rente » - Sont compris dans les rentes les sommes payables à intervalles réguliers plus longs ou plus courts qu'une année, en vertu d'un contrat, d'un testament, d'une fiducie ou autrement.

[55]     En fait, il serait plausible que SW ait accepté de verser à Louis Sheff une rente de retraite dans la forme d'une rente pour les services qu'il avait rendus auparavant.

[56]     Cependant, compte tenu des différentes contradictions mentionnées ci-dessus, de l'ambiguïté entourant la rédaction et la signature de l'entente de 1985 et de l'attitude subséquente des parties concernées, je crois qu'il serait plus prudent de respecter les décisions déjà rendues par deux juges de la Cour supérieure du Québec et de m'en remettre au seul document signé par toutes les parties, c'est-à-dire, l'entente de 1985. Je suis du même avis que le juge Reeves selon lequel l'entente comprend des obligations réciproques et qu'elle constitue la loi que les parties ont acceptée et qu'elles doivent respecter à tous égards.

[57]     L'entente de 1985 stipule que le paiement annuel de 90 000 $ constitue un honoraire d'expert-conseil payable à LS 1984, et que la responsabilité de LS 1984 à titre d'expert-conseil se limite à la promotion de l'image de SW. Il est donc plausible, dans le cadre des faits particuliers de la présente affaire que, compte tenu des services fournis auparavant, SW ait engagé l'obligation de payer LS 1984 pour les petits services demandés dans l'entente de 1985.

[58]     À mon avis, la preuve est insuffisante pour appuyer l'argument subsidiaire de l'appelant selon lequel le paiement annuel de 90 000 $ devrait être considéré comme un paiement versé pour empêcher Louis Sheff de faire concurrence avec SW. Puisqu'il ne constituait pas un paiement pour la disposition de biens, l'argument subsidiaire de l'intimée selon lequel il devrait être considéré, après 1985, comme un gain en capital ne tient pas non plus.

[59]     Compte tenu des circonstances, je suis d'avis qu'à l'exception de l'année d'imposition 1995 que j'aborderai plus loin, les cotisations sont bien fondées relativement à LS 1984 et le paiement annuel de 90 000 $ devait être inclus dans son revenu conformément à l'article 9 de la Loi. L'entente de 1985 a indiqué que les paiements devaient être versés à LS 1984 à titre d'honoraires d'expert-conseil; c'était LS 1984 qui a poursuivi SW pour le paiement de ces honoraires. Lors du procès, Louis Sheff a fini par reconnaître que l'entreprise d'assurance avait été exploitée auparavant par l'entremise de LS 1984. De plus, il n'existe aucune indication claire que LS 1984 agissait uniquement comme intermédiaire pour Louis Sheff.

[60]     En ce qui concerne les cotisations établies à l'égard de Louis Sheff, puisque les chèques ont été endossés par LS 1984 et déposés dans le compte bancaire conjoint personnel de Louis et de Sally Sheff, un avantage lui avait été conféré à titre d'actionnaire de LS 1984 au sens du paragraphe 15(1) de la Loi. Dans la décision Chopp c. Canada, [1997] A.C.F. no 1551 (Q.L.), la Cour d'appel fédérale a approuvé l'interprétation du paragraphe 15(1) donnée par le juge Mogan de la Cour, qui est reproduite ainsi au paragraphe 4 de la décision de la Cour d'appel :

¶ 4          En accueillant l'appel du contribuable, le juge Mogan de la C.C.I. a interprété le paragraphe 15(1) de la manière suivante :

[TRADUCTION]

Je pense qu'un avantage peut être conféré, au sens du paragraphe 15(1), sans qu'on ait eu l'intention de le faire ou sans que l'actionnaire ou la société en ait été véritablement informé si les circonstances sont telles que l'actionnaire ou la société aurait dû savoir qu'un avantage était ainsi conféré et n'a rien fait pour annuler cet avantage, si on n'avait pas l'intention de le donner. Je parle de sommes d'une certaine importance. Si une erreur a véritablement été commise au niveau de la tenue de livres concernant une dépense particulière, et que la somme est assez importante comparativement aux revenus de la compagnie ou à ses dépenses ou au regard du solde dans le compte de prêt d'un actionnaire, le tribunal peut conclure que l'erreur aurait dû être détectée par les employés ou les actionnaires de la société ou par les vérificateurs. Il ne faut pas encourager les actionnaires à mettre à l'épreuve les limites du paragraphe 15(1) pour ensuite faire valoir qu'ils n'avaient pas l'intention de conférer un avantage ou qu'ils n'étaient pas au courant.

[61]     Puisque l'argent a été déposé directement dans son compte bancaire, il est évident, en l'espèce, qu'un avantage a été conféré à Louis Sheff. La situation est semblable à celle dont il est question dans l'affaire Smith c. Canada, [1999] A.C.F. no 1605 (Q.L.), dans laquelle des montants qui avaient été payés à la compagnie que le contribuable individuel contrôlait ont été portés à son crédit. Ses montants ont été imposés tant entre les mains de la compagnie qu'entre ceux de la personne.

[62]     À première vue, il semble que cela est inéquitable puisque le montant imposé entre les mains de LS 1984 est le même que celui qui est imposé entre les mains de Louis Sheff. Toutefois, cela découle de ce que les parties ont convenu dans l'entente de 1985. Après tout, Louis Sheff a négocié par l'entremise de ses conseillers professionnels et, à l'époque, la décision de verser les paiements à LS 1984 doit avoir été prise de manière délibérée, notamment lorsqu'on tient compte, encore une fois, du fait que c'était LS 1984 qui a poursuit SW, cinq ans plus tard, pour percevoir les montants non payés. De plus, aucun élément de la preuve n'établit que LS 1984 a porté les paiements en charges à titre de salaire versé à Louis Sheff ou qu'elle a déclaré un dividende en faveur de Louis Sheff. Ce dernier ne peut pas maintenant résilier l'entente qu'il a accepté de signer sur l'avis de professionnels. Je fais miens les propos du juge en chef adjoint Bowman dans l'affaire Molinaro c.La Reine, C.C.I., no 96-1523(IT)G, 16 mars 1998 (98 DTC 1636) (confirmée par C.A.F. no A-237-98, 31 janvier 2000 (2000 DTC 6114)) aux paragraphes 26 et 27 ainsi rédigés :

           [26]       Dans un tout autre ordre d'idées, je trouve très anormal que, dans un cas où une personne conclut un contrat ayant force obligatoire avec une personne avec qui elle n'a aucun lien de dépendance qui compte sur le maintien d'une relation juridique, comme il est précisé dans les documents officiels, et où la première personne est informée des conséquences légales et fiscales de ce qu'elle signe, cette première personne puisse avoir le droit de répudier le contrat au détriment tant du ministre du Revenu national que de l'autre partie. Je suppose qu'en théorie on pourrait faire valoir qu'une partie à une entente peut invoquer le principe de la primauté du fond sur la forme, mais cela semble aller à contre-courant de tous les principes de moralité commerciale et, de fait, de sens commun, qu'une personne puisse, après avoir signé solennellement et officiellement des documents juridiques rédigés avec soin sur lesquels l'autre partie s'appuie, simplement tout balayer du revers de la main et déclarer : « Cette relation juridique n'est pas à mon goût. Elle ne répond pas à mes objectifs fiscaux. Par conséquent, je lui donnerai un nom différent qui me convient mieux. » Je ne peux croire que les conseillers de M. Molinaro lui auraient dit d'aller de l'avant et de signer les ententes parce qu'il était nécessaire de conclure l'affaire, tout en lui disant que ce n'était pas la véritable transaction et qu'il pouvait ne pas en tenir compte et en concevoir une autre qui faisait davantage son affaire et, chose peut-être encore plus importante, qui faisait davantage l'affaire de Bluevest.

           [27]       Je n'ai pas besoin de ressusciter l'ancienne doctrine de la préclusion du fait d'acte formaliste, bien qu'elle puisse s'appliquer en l'espèce (le contrat de travail était en fait scellé, ce qui est une condition essentielle à remplir pour pouvoir invoquer cette vénérable règle). Je préfère plutôt fonder mon raisonnement sur un principe encore plus ancien, à savoir celui voulant que comme on fait son lit - particulièrement si l'on a eu l'aide de comptables et d'avocats pour le faire - on se couche.

[63]      Compte tenu de ce qui précède et puisque l'avocat des appelants n'a pas réellement plaidé la non-application du paragraphe 15(1), je n'ai d'autre choix que de maintenir les cotisations établies à l'égard de Louis Sheff pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998. Je dois ajouter ici qu'aucun élément de preuve n'a été présenté quant à la question de savoir si Sally Sheff était également une actionnaire de LS 1984. Par conséquent, la totalité de l'avantage est conférée à Louis Sheff.

[64]      En ce qui concerne l'argument des appelants selon lequel le paragraphe 248(28) (l'ancien paragraphe 4(4)) de la Loi empêche une nouvelle cotisation lorsque le contribuable a déjà été imposé sur le même revenu d'une source particulière, ce dernier ne tient pas debout. Les paiements annuels de 90 000 $ sont récurrents, année après année, et j'ai conclu que l'entente de 1985 constituait la source des paiements laquelle précise qu'ils représentent des honoraires annuels d'expert-conseil. Le fait que Louis Sheff ait pu inclure, dans son revenu en 1987, le montant de ces paiements pendant une période de dix années à titre de gain en capital et que, comme par hasard, LS 1984 ait évité d'inclure ces mêmes montants dans son revenu, ne signifie pas que les appelants ont déjà payé l'impôt sur les paiements annuels versés après 1995. En fait, ces paiements auraient certes dû être imposés chaque année et, à mon avis, les appelants ont profité de l'accord de 1990.

[65]      Pour ce qui est de l'année d'imposition 1995 des appelants, Revenu Canada a procédé à une nouvelle cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation. En conséquence, il devait démontrer que les appelants avaient fait des présentations erronées des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire en produisant leurs déclarations, comme l'exige l'alinéa 152(4)a)(i) de la Loi. Je suis d'avis que l'intimée ne s'est pas acquittée de ce fardeau. En 1995, les appelants croyaient, même après l'expiration de la période de dix années, que le paiement annuel de 90 000 $ était inclus dans le produit de la disposition. M. Clairoux de Revenu Canada a témoigné qu'en concluant l'accord de 1990, il n'a pas tenu compte de ce qui arriverait si M. et Mme Sheff survivaient au-delà de la période de dix années. De plus, les appelants ont obtenu des conseils juridiques en 1994 selon lesquels aucun montant que Louis Sheff a déjà inclus dans le produit de la disposition des actions de SW ne devrait être inclus dans son revenu éventuel. Louis Sheff, qui était l'âme dirigeante de LS 1984, croyait donc que LS 1984 ne devait pas inclure le montant des paiements annuels dans son revenu. Il n'était pas d'accord avec la position prise par Revenu Canada en janvier 1996 selon laquelle ces montants devaient être inclus dans le revenu de LS 1984 (pièce I-1, onglet 21).

[66]      Je ne crois pas que l'on puisse dire, dans les circonstances, que les appelants ont fait des présentations erronées de faits, par négligence, inattention ou omission volontaire et que cela justifierait la nouvelle cotisation établie par Revenu Canada relativement à l'année d'imposition 1995 frappée de prescription. Après tout, puisque Revenu Canada était au courant, en 1996, qu'en concluant l'accord de 1990, un de ses vérificateurs avait adopté une approche trompeuse, il aurait pu procéder à une nouvelle cotisation plus tôt.


[67]      Pour ces motifs, les appels pour l'année d'imposition 1995 sont admis et les nouvelles cotisations établies à l'égard des appelants pour l'année pertinente sont annulées au motif qu'elles sont prescrites. Les appels visant les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de septembre 2003.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mars 2004.

Crystal Lefebvre, traductrice



[1] Par souci de simplicité, dans le cadre des présents motifs, l'ADRC sera appelé « Revenu Canada » .

[2] Voir également la décision récente Manrell c. Canada, [2003] A.C.F . no 408 (Q.L.) qui porte sur ce sujet.

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