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Dossier : 2000-998(IT)G

ENTRE :

WILLIAM H. LOYENS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Harry P. Loyens (2000-999(IT)G) les 29, 30 et 31 octobre 2002 à London (Ontario)

Devant : L'honorable juge Diane Campbell

Comparutions

Avocats de l'appelant :

Me Keith M. Trussler et Me Rebecca Krasnor

Avocats de l'intimée :

Me Richard Gobeil, Me Roger Leclaire et

Me Nicolas Simard

_______________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1993 est accueilli avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d'avril 2003.

« Diane Campbell »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mars 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


Dossier : 2000-999(IT)G

ENTRE :

HARRY P. LOYENS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de William H. Loyens (2000-998(IT)G) les 29, 30 et 31 octobre 2002 à London (Ontario)

Devant : L'honorable juge Diane Campbell

Comparutions

Avocats de l'appelant :

Me Keith M. Trussler et Me Rebecca Krasnor

Avocats de l'intimée :

Me Richard Gobeil, Me Roger Leclaire et

Me Nicolas Simard

_______________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1993 est accueilli avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d'avril 2003.

« Diane Campbell »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mars 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


Référence : 2003CCI214

Date : 20030404

Dossiers : 2000-998(IT)G

2000-999(IT)G

ENTRE :

WILLIAM H. LOYENS,

HARRY P. LOYENS,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

Introduction

[1]      Il s'agit d'appels interjetés à l'encontre de cotisations établies à l'égard des deux appelants pour l'année d'imposition 1993. Ces appels ont été entendus sur preuve commune.

[2]      Les appelants, Harry Loyens ( « Harry » ) et William Loyens ( « William » ), exercent l'activité qui consiste à construire et à vendre des biens immeubles. Le présent appel découle d'une série d'ententes datées du 30 novembre 1993 (les « ententes » ). Ces ententes visent à valider la vente de droits de propriété appartenant aux appelants à l'égard d'un bien immeuble (l' « exploitation agricole Harrison » ) à une société à dénomination numérique qu'exploitait Eugene Drewlo à titre de propriétaire. Il était nécessaire de conclure une série d'ententes plutôt qu'une entente unique pour utiliser les pertes subies dans le cadre de l'exploitation d'une société, la Lobro Stables, dont les appelants étaient propriétaires.

[3]      L'intimée met en doute la validité de ces ententes. En particulier, l'intimée soutient que la preuve révèle que les appelants ont vendu l'exploitation agricole Harrison à Eugene Drewlo, le 8 mars 1993. Si la preuve appuie cette allégation, alors les appelants n'auraient eu aucun droit à vendre à l'égard de l'exploitation agricole Harrison le 30 novembre 1993 et, conséquemment, les ententes constitueraient un trompe-l'oeil.

[4]      Subsidiairement, l'intimée soutient que, si la date réelle de la vente est le 30 novembre 1993, alors lesdites ententes qui ont prétendument été conclues à cette fin n'ont pas eu pour effet de réaliser des économies d'impôt, et ce, pour deux raisons. D'abord, les ententes prétendument conclues en vue de valider un transfert libre d'impôt en vertu de l'article 85 n'ont pas été validement exécutées pour le motif qu'un bien immobilier à porter à l'inventaire n'est pas un bien admissible. Ensuite, la règle générale anti-évitement ( « RGAÉ » ) s'applique, rendant ainsi les appelants inadmissibles à un avantage fiscal quelconque que les ententes datées du 30 novembre 1993 auraient pu leur conférer.

Questions en litige

[5]      Les présents appels soulèvent quatre questions en litige. Trois d'entre elles sont communes aux deux appels qu'ont interjetés Harry et William, tandis que la quatrième question relative à la renonciation n'est pertinente qu'à l'appel qu'a interjeté Harry. Les questions en litige sont les suivantes :

(1)     La date d'entrée en vigueur de la vente du bien Harrison est-elle le 8 mars 1993 ou le 30 novembre 1993?

(2)     Si la date d'entrée en vigueur de la vente est le 30 novembre 1993, le transfert libre d'impôt de la participation dans la société de personnes Varna à la société Lobro Stables est-il valide suivant l'application des paragraphes 85(1) et 85(1.1) de la Loi?

(3)     La règle générale anti-évitement, prévue à l'article 245 de la Loi, s'applique-t-elle?

(4)     La renonciation qu'a reçue l'ADRC au nom de Harry est-elle une renonciation valide et effective?

Les faits

[6]      William a commencé à construire des maisons en 1959. Quant à Harry, il s'est lancé dans l'aménagement de terrain vers 1980, lorsque l'entreprise qu'il dirigeait, la Walloy Excavating Company Limited (l'entreprise « Walloy » ), a décidé d'ajouter une corde à son arc et d'offrir des services d'aménagement de terrain. L'entreprise Walloy fournissait également des services d'excavation et de fabrication de béton prêt à l'emploi. Harry et William détenaient chacun 25 p. 100 des actions de l'entreprise Walloy en association avec un autre particulier Bill Wasko, qui, pour sa part, en détenait 50 p. 100. Bill Wasko avait également des intérêts dans une entreprise faisant affaire sous le nom de Ardshell Limited (l'entreprise « Ardshell » ). L'entreprise Ardshell avait fait l'acquisition d'une parcelle de terrain en vue de l'aménager ( « l'aménagement Rosecliffe » ), mais elle était aux prises avec des difficultés financières. Conséquemment, l'entreprise Walloy a fait l'acquisition de l'entreprise Ardshell et elle en est devenue l'actionnaire à part entière. Eugene Drewlo s'est dit intéressé à devenir un partenaire de l'entreprise Ardshell. L'entreprise Walloy avait des relations avec M. Drewlo parce qu'elle lui fournissait du béton prêt à l'emploi pour la construction d'immeubles d'habitation. En fin de compte, M. Drewlo a acquis 50 p. 100 des actions de l'entreprise Ardshell par l'entremise de sa société, la Drewlo Holdings Ltd. Les deux sociétés actionnaires de l'entreprise Ardshell étaient alors l'entreprise Walloy et la société Drewlo Holdings. L'aménagement Rosecliffe a généré des profits, et l'entreprise Ardshell a pris part à plusieurs autres projets d'aménagement.

[7]      Les appelants ainsi que Bill Wasko ont acquis, en parts égales, environ cent acres d'une valeur de 100 000 $ dans le canton de London vers la fin des années 60 ou au début des années 70 aux fins d'aménagement. Ce bien était le bien Harrison. Le terrain n'a pas été aménagé immédiatement, mais a servi à cultiver du foin. Les appelants avaient un penchant particulier pour ce bien. Ils ont indiqué que s'ils avaient eu les moyens financiers, ils auraient acheté cette exploitation agricole sans Bill Wasko. Les parts égales à l'égard de ce bien étaient différentes du partage des actions que chacune des parties détenait dans l'entreprise Walloy.

[8]      Eugene Drewlo, dont la société Drewlo Holdings était devenue actionnaire à 50 p. 100 de l'entreprise Ardshell, était également propriétaire de l'exploitation agricole attenante à l'ouest du bien Harrison. Il a fait une offre pour l'exploitation agricole Harrison, mais les appelants n'étaient pas intéressés à vendre toute l'exploitation agricole. Après des négociations, ils ont convenu de vendre la moitié de l'exploitation agricole pour un prix d'environ 400 000 $.

[9]      722973 Ontario Limited (la société « 722973 » ) a été constituée en personne morale pour agir à titre de fiduciaire détenant les droits de propriété des propriétaires du bien Harrison. Les actions que détenait la société 722973, et qui reflètent la propriété bénéficiaire du bien Harrison, étaient réparties de la façon suivante :

William Loyens

16,7 %

Harry Loyens

16,7 %

William Wasko

16,7 %

Drewlo Holdings Inc.

50 %

[10]     Pendant ces années, Harry et M. Drewlo dirigeaient tous deux l'entreprise Ardshell dans le cadre de ses projets d'aménagement de terrain. L'un de ses projets, l'aménagement Hunt Club, a été mis en oeuvre mais non sans difficultés. Il avait été acquis pour un prix de 16 500 000 $ mais on faisait face à des problèmes de rentrée de fonds. À cette époque, l'un des biens situé dans la ville de London et pouvant éventuellement devenir l'un des plus lucratifs a été mis en vente. Les appelants ont estimé que ce bien, s'il était aménagé, pourrait permettre de compenser les difficultés financières qu'ils éprouvaient avec l'aménagement Hunt Club. L'université avait mis ce bien en vente par voie de soumission. Étant donné que l'entreprise Ardshell était aux prises avec des difficultés financières, celle-ci n'a pas été en mesure de trouver la somme nécessaire de 1 000 000 $ à titre de dépôt requis devant accompagner la soumission. La banque a indiqué aux actionnaires qu'il était impossible de prendre les dispositions nécessaires en vue de leur accorder un prêt en raison du délai trop court pour déposer la soumission et leur a proposé d'utiliser la marge de crédit de M. Drewlo. Immédiatement après la rencontre avec leur banquier, M. Drewlo, M. Wasko et les deux appelants ont discuté, au bureau de leur avocat, au sujet d'un emprunt de 1 000 000 $ auprès de M. Drewlo. Ils s'étaient réunis au bureau de l'avocat en vue d'exécuter un acte de transfert à l'égard d'un certain nombre de lots qui avaient été vendus. Ils ont donc utilisé la salle de conférence du cabinet d'avocat pour discuter à ce sujet, mais en l'absence de leur avocat. Selon le témoignage des appelants, M. Drewlo a accepté de prêter les fonds nécessaires parce qu'il [TRADUCTION] « voulait lui aussi acquérir ce bien » . Au cours de cette rencontre, qui a eu lieu le 8 mars 1993, trois chèques ont été rédigés dont la somme totale de 1 000 000 $ a été puisée dans le compte bancaire de la société Drewlo Holdings Inc. Bill Wasko, Harry et William ont chacun perçu un chèque au montant de 333 333 $. M. Drewlo a exigé une garantie, et il a été convenu que le bien relatif à l'exploitation agricole Harrison servirait de garantie en échange de ces prêts. Après avoir conclu cette entente, il a donc été possible de présenter une soumission. La preuve a révélé que l'on avait hésité à mettre ce bien en garantie parce qu'il valait plus de 1 000 000 $. Toutefois, les appelants ont déclaré qu'ils avaient prévu de rembourser le prêt que leur avait accordé M. Drewlo, étant donné que le terrain qu'avait mis en vente l'université valait [TRADUCTION] « une fortune » . Même si leur soumission était rejetée, le dépôt devant accompagner la soumission serait rapidement remboursé. Lorsqu'il a décrit en quoi consistait l'entente, William a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « [...] si nous ne lui (M. Drewlo) remboursions pas le prêt dans un délai de six mois, le terrain lui appartenait [...] et nous avons conclu cette entente par une poignée de main. » Il a été entendu que l'entente serait en vigueur pour une durée d'environ six mois. Selon les appelants, étant donné qu'ils ont contracté personnellement ce prêt et qu'ils ont fourni une garantie valant peut-être entre 1 000 000 $ et 2 000 000 $, ils ont convenu que le prêt en question accordé aux appelants et à M. Wasko serait un prêt au montant de 1 000 000 $, soit un montant suffisant pour couvrir la part que verserait l'entreprise Walloy, au montant de 500 000 $, à titre de dépôt devant accompagner la soumission que l'entreprise Ardshell prévoyait présenter. Chacun des appelants ainsi que M. Wasko ont perçu un chèque au montant de 333 333 $ qu'ils ont endossé et encaissé à la Banque de Nouvelle-Écosse le 8 mars 1993. Sur chaque chèque figurait, au coin inférieur gauche, la note suivante :

[traduction]

Objet : Vente de la société 722923 Ont. Ltd.

[11]     Selon ce que William a été en mesure de se rappeler, Harry avait rédigé les chèques avant que M. Drewlo ne les signe, et le montant y avait été imprimé mécaniquement. Il a déclaré qu'il n'avait pas vu la note susmentionnée apposée dans le coin inférieur gauche de chaque chèque et qu'il n'en reconnaissait pas l'écriture. Il a également déclaré que ces notes ne figuraient pas sur les chèques lorsqu'il les a vus au cabinet d'avocat avant leur dépôt et que, si elles y avaient été apposées, il aurait posé des questions à ce sujet. Harry a déposé le chèque de William pour lui. Par la suite, lorsqu'il a été mis au courant de ces notes figurant sur les chèques, il a questionné Harry, M. Wasko, M. Drewlo ainsi que son directeur de banque à ce sujet.

[12]     Harry a confirmé qu'il avait rédigé les trois chèques, à l'exception des montants y figurant qui ont été apposés au tampon à l'aide d'une machine à chèque. Il a déclaré que M. Drewlo avait signé les chèques en sa présence et en présence de son frère et de M. Wasko. Quand il a affirmé que ces notes ne figuraient pas sur les chèques lorsqu'il les avait eus en sa possession, il a déclaré ceci : [TRADUCTION] « Si ces notes avaient étaient apposées sur les chèques, je ne les aurais pas encaissés. »

[13]     Le témoignage de M. Drewlo appuie le témoignage des appelants. Lorsqu'on lui a demandé comment ces notes avaient pu apparaître sur les chèques, il a répondu ceci : [TRADUCTION] « Je l'ignore puisque je n'en ai été mis au courant que lorsqu'on m'en a parlé. »

[14]     Chacun des chèques délivrés aux appelants a été déposé dans leur compte de chèques personnel. Chacun des appelants a déposé le même jour la somme de 175 000 $ dans le compte de l'entreprise Walloy pour un montant total de 350 000 $ afin de compenser leurs obligations à l'égard de l'entreprise Ardshell. À la suite de cette opération, chacun de leurs comptes personnels présentait un solde de 158 333 $.

[15]     L'offre qu'a soumise l'entreprise Ardshell était la plus élevée. Cependant, lorsque l'université a changé d'avis, celle-ci n'a pas immédiatement retourné le dépôt de un million de dollars. Lorsque le dépôt a finalement été retourné, au lieu de rembourser M. Drewlo, les appelants ont déposé leur part dans le compte de l'entreprise Ardshell afin de compenser le découvert bancaire et de réduire le niveau d'endettement.

[16]     Selon les appelants, à l'automne 1993, Eugene Drewlo a exigé soit qu'on lui rembourse le prêt qu'il avait accordé, soit qu'on procède au transfert du bien Harrison. Les appelants ne pouvaient le payer. Ils ont donc communiqué avec leur comptable, Bill Hill, pour qu'il procède au transfert du bien à M. Drewlo. Selon les appelants, la vente du bien Harrison a eu lieu le 30 novembre 1993. Quant à l'intimée, elle soutient que la vente a eu lieu le 8 mars 1993, lorsque M. Drewlo a délivré des chèques à chacun des appelants ainsi qu'à M. Wasko.

Première question en litige :        La date d'entrée en vigueur de la vente du bien Harrison est-elle le 8 mars 1993 ou le 30 novembre 1993?

[17]     Les parties ne s'entendent pas sur la date de disposition du bien Harrison. Les appelants soutiennent que la date de disposition du bien est le 30 novembre 1993 tandis que l'intimée soutient que c'est le 8 mars 1993. Si la preuve démontre que la date de disposition est en fait le 8 mars 1993, alors la vente datée du 30 novembre 1993 est un trompe-l'oeil.

Position des appelants

[18]     Les ententes datées du 30 novembre 1993 ne sont pas un trompe-l'oeil, parce qu'il y avait absence totale de fraude, ce qui constitue le point central de la théorie du trompe-l'oeil. Le plan fiscal qu'a conçu M. Hill ne trompe pas. Les documents datés du 30 novembre 1993 ne représentaient rien d'autre que ce qu'ils étaient censés être.

[19]     Les appelants n'ont pas renoncé à leur droit à l'égard du bien le 8 mars 1993 parce que seuls des événements particuliers peuvent entraîner une telle extinction de ce droit (Shepp c. La Reine, C.C.I., no 96-541(IT)G, 22 janvier 1999 (99 DTC 510)). Aucune preuve ne démontre l'existence d'un engagement ferme ou ayant force exécutoire relativement à l'achat dudit bien avant le 30 novembre 1993. Rien n'indique non plus que des modifications quelconques ont été apportées à la possession, à l'usage ou au risque associé au droit de propriété au sens où on l'entend dans l'arrêt Johnson et al. v. The Queen, 99 DTC 603 (C.C.I.).

[20]     La Loi relative aux preuves littérales, L.R.O. 1990, chap. S 19, exige des documents écrits qui justifient la vente d'un bien immobilier. Ainsi selon la jurisprudence, les notes figurant sur les chèques et sur lesquelles l'intimée s'est fondée sont insuffisantes pour appuyer son allégation selon laquelle la date de disposition du bien était le 8 mars 1993.

Position de l'intimée

[21]     La transaction datée du 8 mars 1993 consistait en fait en la vente, à M. Drewlo des actions de la société 722973 que détenaient les appelants et M. Wasko pour un montant total de 1 500 000 $, ce qui comprenait la prise en charge du prêt hypothécaire de 500 000 $. Cela représente l'opération et la relation réelles qui existaient entre les parties.

[22]     La vente réelle du bien Harrison a eu lieu le 8 mars 1993, comme en font foi les trois chèques qu'a délivrés la société Drewlo Holdings à chacun des appelants et à William Wasko, chacun au montant de 333 333 $, les copies sur microfiche qu'a fournies la Banque, le registre des actions et les résolutions des directeurs qui s'y rattachent, ainsi que les livres comptables de la société Drewlo Holdings.

[23]     Le fait que les appelants ont accepté et endossé les chèques prouve que la vente a eu lieu le 8 mars 1993, notamment parce qu'une note a été rédigée dans le coin inférieur gauche de chaque chèque, note qui indiquait ceci : [TRADUCTION] « Vente de la société 722973 Ont. Ltd. » Ces chèques ainsi que les autres documents sur lesquels s'est fondée l'intimée montrent que la vente a eu lieu le 8 mars 1993 et équivalent à un « accord des volontés » conclu entre les parties. De plus, sur les copies de ces chèques qu'a fournies la banque sur microfiche apparaît cette même note.

[24]     Les faits n'appuient pas l'allégation selon laquelle l'entreprise Ardshell avait besoin de ces fonds pour financer une soumission de 1 000 000 $ à l'égard d'un bien parce que chacun des chèques délivré au montant de 333 333 $ a été déposé dans le compte bancaire personnel de chaque appelant et, le même jour, les appelants ont ensuite déposé une somme de 175 000 $ dans le compte de l'entreprise Walloy pour un montant total de 350 000 $. Les sommes prêtées aux appelants et les besoins de liquidités de l'entreprise Ardshell ne correspondent pas à leur part proportionnelle de la dette de la société. Les actionnaires de l'entreprise Ardshell, soit l'entreprise Walloy et la société Drewlo Holdings, ont été dans l'obligation d'injecter des sommes égales, c.-à-d. 500 000 $ chacune. Toutefois, l'entreprise Walloy a injecté la somme de 700 000 $.

[25]     Le registre des actions et les résolutions de la société 722973 ne font aucune mention de la société de personnes Varna ou de la société Lobro Stables. De plus, les registres comptables de la société Drewlo Holdings contenaient une écriture originale qui classait la somme de 1 000 000 $ versée aux appelants et à M. Wasko à titre d'investissement. Le 30 novembre, une écriture de correction a été inscrite afin de supprimer la somme de 1 000 000 $ à titre d'investissement et de la réinscrire dans les comptes débiteurs. Cette correction que l'on a apportée correspond au reclassement délibéré d'une somme inscrite à titre d'investissement en un compte débiteur. Les ententes datées du 30 novembre 1993 consistaient en fait en une planification fiscale à laquelle on a procédé après coup.   

Analyse

[26]     Une définition du « trompe-l'oeil » est donnée dans l'affaire Stubart Investments Limited c. Canada, [1984] 1 R.C.S. 536 (84 DTC 6305). Dans cette décision, la Cour fait référence aux paramètres d'une opération trompe-l'oeil au paragraphe 50 où elle cite un extrait de l'affaire Snook v. London & West Riding Investments, Ltd., [1967] 1 All E.R. 518, à la page 528, dans laquelle le juge a conclu qu'il n'y avait pas de trompe-l'oeil parce que les parties n'avaient rien fait :

[TRADUCTION] [...] dans l'intention de faire croire à des tiers ou à la cour qu'ils créent entre les parties des obligations et droits légaux différents des obligations et droits légaux réels (s'il en est) que les parties ont l'intention de créer.

[27]     La date de disposition du bien Harrison déterminera en bout de ligne s'il y a eu une opération fictive dans l'affaire en l'espèce. L'existence d'un trompe-l'oeil était un élément essentiel pour l'intimée. Celle-ci a fait valoir que les opérations datées du 30 novembre 1993 ne représentaient pas la relation réelle qui existait entre les parties et qu'elles étaient en fait un trompe-l'oeil. Dans l'affaire Shell Canada Ltée c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 622 ([1999] 4 C.T.C. 313) la Cour, au paragraphe 39, a fait référence aux relations juridiques établies lorsqu'une opération est un trompe-l'oeil :

            Notre Cour a statué à maintes reprises que les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous-tend l'opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle-ci :    Bronfman Trust, précité, aux pp. 52 et 53, le juge en chef Dickson; Tennant, précité, au par. 26, le juge Iacobucci. Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe-l'oeil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale.    Une nouvelle qualification n'est possible que lorsque la désignation de l'opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables :    Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 21, le juge Bastarache.

[28]     Avant d'examiner la preuve documentaire, il serait utile de résumer les témoignages qu'ont présentés les deux appelants et M. Drewlo lorsqu'on leur a demandé d'expliquer les événements qui se sont produits en mars et en novembre. Au cours de leur preuve verbale, les deux appelants et Eugene Drewlo ont confirmé qu'ils avaient établi une relation d'affaires dans le cadre de laquelle M. Drewlo avait acquis, dans une proportion de 50 p. 100, des droits dans l'entreprise Ardshell. Quant à l'autre 50 p. 100 des droits, c'est l'entreprise Walloy Excavating qui le détenait. L'entreprise Ardshell a terminé avec succès la construction d'un aménagement appelé Rosecliffe. Cependant, en mars 1993, l'un des autres projets d'aménagement, soit l'aménagement Hunt Club, a entraîné des difficultés financières. Lorsqu'un bien potentiellement lucratif au moyen d'une vente par appel d'offres, l'entreprise Ardshell a voulu soumissionner, mais celle-ci ne disposait pas du dépôt de 1 000 000 $ nécessaire devant accompagner la soumission. La banque a indiqué aux appelants, à M. Drewlo et à M. Wasko qu'il était impossible de prendre les dispositions nécessaires en vue de leur accorder un prêt de 1 000 000 $ en raison du délai trop court pour déposer la soumission et leur a proposé d'utiliser la marge de crédit de M. Drewlo.

[29]     Au cours de leur témoignage, les appelants et M. Drewlo ont tous confirmé que ce sont ces faits qui ont servi de toile de fond à l'opération du 8 mars 1993. Lorsque ces derniers ont quitté la banque, ils se sont rendus au cabinet de leur avocat où ils ont conclu l'accord. Étant donné que l'entreprise Ardshell était aux prises avec des difficultés financières, M. Drewlo a accepté d'accorder un prêt de 1 000 000 $ à Harry, à William et à M. Wasko. Ce prêt devait servir à couvrir la part du dépôt de l'entreprise Walloy, soit la moitié, ainsi que leur part des autres dettes qu'avait contractées l'entreprise Ardshell. M. Drewlo a demandé que le bien Harrison serve de garantie. La preuve a confirmé que, lorsque les parties ont accepté les modalités relatives au prêt et à la garantie, M. Drewlo a libellé trois chèques chacun au montant de 333 333 $ payables à l'ordre de Harry, de William et de M. Wasko. L'entreprise Ardshell a été le soumissionnaire retenu, mais le vendeur a annulé l'offre. Une partie du prêt accordé à chacun des appelants a servi à réduire le niveau d'endettement de l'entreprise Ardshell de manière à ce qu'ils ne puissent rembourser M. Drewlo. Finalement, M. Drewlo a exigé que le prêt lui soit remboursé et, étant donné que les parties en étaient dans l'incapacité, le reste du bien Harrison a été cédé à l'une des sociétés de M. Drewlo conformément aux modalités énoncées dans la note de M. Hill.

[30]     Je me pencherai maintenant sur les éléments de preuve documentaire qui comprend ce qui suit :

          1)        les ententes datées du 30 novembre 1993;

          2)        les chèques datés du 8 mars 1993;

          3)        les écritures comptables;

          4)        les rajustements des intérêts;

          5)        les résolutions de l'entreprise.

Pour comprendre les ententes conclues le 30 novembre 1993, il est essentiel d'examiner la note qu'a rédigée M. Hill à l'intention de l'avocat (pièce A-1, onglet 30). J'ai ci-dessous reproduit en totalité la note en question :

[traduction]

BILL et HARRY LOYENS

_________

1.        Actuellement, Bill et Harry Loyens, en association avec Bill Wasko, détiennent 50 p. 100 des actions d'une exploitation agricole désignée sous le nom de l'exploitation agricole Harrison. Chacun détient le tiers des droits qui correspondent à la moitié, soit 50 p. 100, des actions de la société 722973 Ontario Limited, étant donné qu'une société nu-fiduciaire détient 50 p. 100 du bien en fiducie au nom de ces particuliers, l'autre 50 p. 100 étant détenu en fiducie au nom de la société Drewlo Holdings Inc.

2.          Bill et Harry Loyens souhaitent transférer leurs intérêts à une société de personnes appelée Varna Elevators. Présentement, ils sont les seuls associés et chacun d'eux a une participation de 50 p. 100 dans la société. Ils ne veulent que transférer leur intérêt bénéficiaire, puisque la société 722973 Ontario Limited continuera à posséder un titre légal.

La juste valeur marchande du bien est évaluée à 500 000 $ chacun et un prêt de 166 667 $ est à rembourser (soit 333 333 $ au total). Bill et Harry ainsi que la société de personnes choisiront d'appliquer le paragraphe 97(2), et chacune des parties opteront pour le transfert du prêt de 166 667 $ aux fins d'impôt. La contrepartie pour le transfert consistera en la prise en charge de la dette s'élevant à 166 667 $ et en un crédit au compte de capital des associés au montant de 333 333 $. Nous vous saurions gré de bien vouloir préparer les documents de transfert nécessaires.

3.          Après avoir procédé au transfert, tel que nous l'avons exposé brièvement au paragraphe 2) ci-dessus, Harry Loyens transférera sa participation dans la société de personnes Varna Elevators à la société Lobro Stables (1991) Ltd. La contrepartie pour le transfert consistera en la délivrance d'actions spéciales de la catégorie A dont la valeur de rachat équivaut à la juste valeur marchande de la participation dans la société. Les parties acceptent que le transfert fasse l'objet des dispositions prévues à l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu et conviennent que le montant choisi soit égal au prix de base ajusté de la participation de Harry Loyens dans la société dont il reste à fixer le montant. Le capital libéré des actions spéciales devrait se limiter au montant découlant du choix.

            Remarque :

            Nous croyons qu'il sera nécessaire de créer une catégorie d'actions spéciales dans la société Lobro. À cet égard, nous proposons les caractéristiques suivantes :

1)          sans droit de vote, rachetables au gré du porteur;

            2)          avec valeur de rachat de 100 $ par action;

3)           dividendes non cumulatifs au taux de 6 p. 100 de la valeur de rachat. Nous vous saurions gré de bien vouloir préparer les documents de transfert nécessaires.

4.          Bill Loyens transférera ensuite sa participation dans la société Varna Elevator à la société Lobro Stables (1991) Ltd. La contrepartie des montants visés par choix, etc., sera la même que celle énoncée au paragraphe 3.

5.          Dans le cadre de ces procédures, le titre bénéficiaire à l'égard du bien relatif à l'exploitation agricole Harrison que détenaient anciennement Bill et Harry Loyens a été transféré à la société Lobro Stables (1991) Ltd.

6.          La société Lobro Stables (1991) Ltd. et Bill Wasko vendront ensuite leur droit à l'égard de l'exploitation agricole Harrison à la société 643288 Ontario Ltd. Le prix de vente est de 1 500 000 $ dont la contrepartie consiste en la prise en charge de la dette de 500 000 $ ainsi qu'en un effet à payer à la société Lobro Stables (1991) Ltd. au montant de 666 667 $ et à Bill Wasko au montant de 333 333 $. Cette vente doit être conclue le 30 novembre. Nous vous saurions gré de bien vouloir rédiger la convention habituelle de rachat de parts d'associés.

7.          La société Drewlo Holdings a déjà avancé à Bill, à Harry et à Bill Wasko un montant de 333 333 $. Nous proposons de traiter ces avances au titre d'un prêt accordé pendant la période comptable. Après la conclusion de la vente dans six [...], les parties concernées devraient convenir que tous les effets à payer soient annulés par déduction.   

8.          Nous transférerons les effets que doivent payer Bill et Harry à la société Lobro en réduisant leurs prêts aux actionnaires dans cette société.

643288 Ontario Limited

1.          Comme il est énoncé au paragraphe 6 de la note des Loyen, cette société fera l'acquisition de l'exploitation agricole Harrison (à 50 p. 100) au prix de 1 500 000 $.

2.          Les procédures de compensation à l'égard des effets à payer donnent lieu à un paiement de 1 000 000 $ que versera M. Drewlo à la société 643288. De plus, M. Drewlo assumera la responsabilité du prêt bancaire de 500 000 $ augmentant ainsi le paiement à 1 500 000 $. Ces dispositions doivent être considérées comme étant un remboursement de la somme de 1 500 000 $ qu'effectue M. Drewlo à l'égard du prêt que lui a accordé la société 643288. Nous vous saurions gré de bien vouloir rédiger un acte de reconnaissance à cet égard que signeront les représentants de la société Drewlo Holdings Inc. et de la société 643288.

Vous pouvez me joindre à l'hôtel Le Reine Élizabeth à Montréal au numéro de téléphone (514) 861-3511, chambre 1646.

Je prendrai régulièrement mes messages.

Enfin, nous sommes désolés de devoir exercer une telle contrainte de temps et nous vous prions d'agréer l'expression de nos sentiments distingués.

W. J. Hill*mh

[31]     Avant le 30 novembre 1993, la société 722973 était le propriétaire inscrit du bien Harrison dont elle détenait le titre en tant que nu-fiduciaire au nom des actionnaires. Selon la note qu'a rédigée M. Hill, les appelants, en vertu d'une entente datée du 30 novembre 1993, ont transféré leur droit de propriété à l'égard du bien Harrison correspondant à 16,7 p. 100 à leur société de personnes Varna Elevators ( « la société de personnes Varna » ). Les appelants étaient partenaires à part égale dans la société de personnes Varna. Ce transfert a été effectué en vertu du paragraphe 97(2) de la Loi. La contrepartie totale qu'a reçue chaque appelant consistait en une prise en charge des dettes s'élevant à 166 667 $ et en une participation dans la société de 333 333 $ pour une contrepartie totale de 500 000 $ à chaque appelant. Chacun d'eux a déclaré un revenu d'entreprise imposable de 133 333 $. Ici encore, la société 722973 a agi à titre de nu-fiduciaire de la société de personnes Varna en ce qui a trait à son droit de propriété à l'égard du bien Harrison.

[32]     Par la suite, soit le même jour, chaque appelant, en vertu d'un document distinct daté du 30 novembre 1993, a transféré sa participation dans la société de personnes Varna à la société Lobro Stables (1991) Ltd. ( « la société Lobro Stables » ). Ces transferts ont également été effectués conformément à la note datée du mois novembre qu'a rédigée M. Hill. Les appelants ont effectué le choix prévu à l'article 85 de la Loi aux fins de disposition de leur participation dans la société Varna en qualité d'associés à la société Lobro Stables. Les choix indiqués dans le formulaire T2057 précisaient une juste valeur marchande de chaque participation dans la société au 30 novembre 1993 de 281 000 $. La contrepartie qu'a reçue chaque appelant a été versée sous forme d'une attribution et d'une émission de 2 180 actions spéciales de la catégorie A. Sous réserve du choix prévu à l'article 85, le montant du transfert convenu était de 1 $. Étant donné que le prix de base de la société de personnes Varna était négatif, chaque appelant a déclaré, dans son formulaire T1, pour l'année 1993, un gain en capital de 24 136 $.

[33]     Postérieurement à la disposition à la société Lobro Stables et, à cette même date, celle-ci, en vertu d'une entente datée du 30 novembre 1993, a vendu le droit de propriété qu'elle détenait alors à l'égard du bien Harrison à une société affiliée à la société Drewlo Holdings, faisant affaire sous la dénomination numérique de 643288 Ontario Limited ( « société « 643288 » ). La société Lobro Stables, au moment du transfert à la société 643288, détenait les deux tiers du droit de propriété équivalent à un pourcentage de 50 p. 100 à l'égard du bien Harrison, tandis que William Wasko en détenait le tiers. Ici encore, la société 722973 a agi à titre de nu-fiduciaire détenant alors le droit de propriété à l'égard du bien au nom de la société 643288. La contrepartie totale qu'a versée la société 643288 à la société Lobro et à M. Wasko totalisait la somme de 1 500 000 $ et consistait en la prise en charge d'un prêt hypothécaire de 500 000 $ et en un effet à payer à la société Lobro Stables au montant de 666 667 $ et à M. Wasko au montant de 333 333 $. À la disposition du bien, la société Lobro Stables a déclaré un bénéfice pour son exercice se terminant le 31 mars 1994. Étant donné qu'elle avait subi des pertes au cours des années précédentes, l'impôt à payer sur les bénéfices de la société a été réduit à 6 $.

[34]     Conformément à la note de M. Hill, le bien Harrison a alors été transféré à la société 643288, une société affiliée à la société Drewlo Holdings.

[35]     Je ne crois pas que ces opérations étaient factices ou qu'elles ont été fabriquées de toute pièce. Les relations juridiques qui existaient entre les parties et leur réalité commerciale étaient tout à fait légitimes. Les documents reflètent d'ailleurs ces relations qui existaient. Aucune preuve ne révèle qu'ils ont été antidatés. La forme qu'ils revêtaient le 30 novembre 1993 reflétait les conseils juridiques et comptables que les parties ont tenté d'obtenir. À mon avis, pour parvenir à une toute autre conclusion, il s'avérerait nécessaire de rejeter les témoignages qu'ont présentés les deux appelants, William Drewlo et Bill Hill, témoignages qui étaient tous cohérents et qui n'ont pas été contredits. Les témoignages des deux appelants, corroborés par celui de M. Drewlo, ont fourni une explication cohérente et plausible du contexte dans lequel sont survenus les événements du 8 mars 1993 et du 30 novembre 1993. Après avoir examiné les témoignages qu'ont présentés Harry, William et M. Drewlo, je ne suis tout simplement pas disposée à rejeter les témoignages de ces trois personnes ni celui de leur comptable.

[36]     En ce qui concerne les notes qui ont été inscrites sur les chèques datés du 8 mars 1993, les témoignages qu'ont présentés les appelants et M. Drewlo étaient tout à fait cohérents. Les chèques datés du 8 mars 1993 ont résulté du désir mutuel de ces trois personnes ainsi que de M. Wasko de trouver rapidement la somme nécessaire pour soumissionner l'achat d'un bien à aménager. Les trois chèques en question ont été rédigés au cabinet de leur avocat après que M. Drewlo a accepté de consentir un prêt aux appelants et à M. Wasko.

[37]     Les deux appelants ainsi que M. Drewlo ont fait valoir avec force que la note suivante : « Objet : Vente de la société 722973 Ont. Ltd. » apparaissant dans le coin inférieur gauche de chaque chèque n'avait pas été inscrite au moment de la signature des chèques au cabinet de leur avocat et qu'elle n'y figurait pas non plus au moment du dépôt. En ce qui concerne cette note, Harry a répondu ceci : [TRADUCTION] « Cette inscription ne figurait pas sur ce chèque le 8 mars, et ce, pendant toute la période où j'avais le chèque en ma possession. » Selon les témoignages des deux appelants et de M. Drewlo, cette note n'a pas été apposée sur les chèques lorsqu'ils ont été rédigés. Selon le témoignage de Harry, aucune note n'était inscrite sur les chèques lorsqu'il les a déposés. Toutefois, cette même note apparaît sur les copies de ces chèques sur microfiche qu'a fournies la banque. Je peux donc spéculer sur l'origine de cette note. Par exemple, il est possible qu'elle ait été ajoutée pour faire référence à la vente éventuelle de la société 722973 à M. Drewlo et à titre de garantie à l'égard du prêt, dans l'éventualité où il ne serait pas remboursé. Si tel était le cas, alors cette note ferait référence à une opération éventuelle et non à la nature réelle des opérations qui ont eu lieu le 8 mars 1993. Quelle que soit la façon dont cette note est apparue sur les chèques, je ne peux admettre que l'acceptation et la négociation de ces chèques, même avec l'inscription de cette note, constituent un contrat valide qui lie les parties aux fins de la vente du bien. Je n'admets pas les allégations de l'intimée selon lesquelles la vente a eu lieu le 8 mars 1993. Il en faut bien plus que le simple fait de passer des chèques sans aucun autre document à l'appui pour transférer un droit dans un bien immobilier. Les principales caractéristiques d'une propriété à titre de bénéficiaire sont la possession, l'utilisation et le risque (l'arrêt Johnson, précité). La date de l'opération devrait reposer sur une preuve objective (Elias c. R., 2001 DTC 5674, 2002 CAF 319). Aucune preuve ne révèle que la possession, l'usage ou le risque associé au bien a été modifié le 8 mars 1993. Ce sont les ententes datées du 30 novembre 1993 qui ont modifié ces trois attributs. Les témoignages des appelants et de M. Drewlo ne sont pas contredits. Ils ont tous les trois fourni une explication plausible des événements qui ont conduit à la délivrance des chèques datés du 8 mars 1993. Tous les trois ont également affirmé que la note en question ne figurait sur aucun des trois chèques lorsqu'ils les ont eus en leur possession. J'admets leurs témoignages puisqu'ils ne contiennent aucune contradiction. Ils étaient des hommes d'affaires résolus et prospères qui entretenaient depuis longtemps des relations d'affaires. Selon le témoignage de M. Drewlo, ils avaient souvent conclu des ententes par une poignée de main. Il n'avait pas été nécessaire à ce moment-là de faire appel aux services de conseillers fiscaux et d'avocats puisqu'il ne s'agissait strictement que d'un prêt. Ils ont estimé que, si leur soumission était retenue, ils seraient en mesure de rembourser le prêt rapidement. Lorsque l'on examine les ententes datées du 30 novembre 1993, on constate qu'ils ont rapidement communiqué avec des avocats et des comptables lorsque les appelants ont été forcés de vendre le bien Harrison à M. Drewlo. Rien, dans leur témoignage, ne laissait entendre qu'un engagement quelconque à vendre le bien le 8 mars 1993 avait été conclu. Il ne s'agissait uniquement que d'une garantie à l'égard du prêt. En fait, selon le témoignage des appelants, ces derniers ne voulaient pas réellement vendre le bien. Ils en étaient propriétaires depuis les années 70. Ils ne l'ont jamais loti et l'utilisaient principalement pour la culture du foin.

[38]     Les chèques seuls ne peuvent servir à vérifier la détermination suffisante des clauses des ententes visant les parties, la propriété et le prix. Selon les témoignages des appelants et de M. Drewlo, aucune entente verbale n'a été conclue entre eux relativement à la vente du bien en mars 1993. Après avoir examiné les événements qui se sont produits le 8 mars 1993 et le 30 novembre 1993, je ne vois aucune preuve indiquant qu'une modification quelconque ait été apportée au droit de propriété des appelants avant le 30 novembre 1993. Aucun changement relatif à la possession, à l'usage ou au risque n'a été effectué avant le 30 novembre 1993, et ce changement n'a été engagé qu'à cette date parce que les appelants étaient dans l'incapacité de rembourser M. Drewlo. Ce dernier est un témoin impartial qui n'a rien à perdre ni rien à gagner quant au résultat de l'affaire en l'espèce. Il a obtenu le bien qui, semble-t-il, a acquis une valeur assez considérable pour la simple raison que les appelants étaient incapables de le rembourser. À mon avis, les documents et les ententes reflètent exactement ce qui s'est produit.

[39]     Dans l'affaire La Reine c. Friedberg C.A.F., no A-65-89, 5 décembre 1991 (92 DTC 6031, à la page 6032), le juge Linden a déclaré ceci :

En droit fiscal, la forme a de l'importance.    Une simple intention subjective, en l'espèce comme dans d'autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d'une opération aux fins de l'impôt.

[40]     Je conclus donc que l'intention des appelants le 30 novembre 1993 correspond à ce que décrivent sans équivoque les documents. Outre les documents, la preuve appuie également la date de transfert du 30 novembre 1993. Je ne dispose d'aucun élément de preuve convaincant qui contredise ces documents ou qui révèle que les parties avaient l'intention de procéder au transfert à une autre date.

[41]     Outre les chèques, l'intimée s'est fondée sur le traitement et les écritures comptables concernant la société Drewlo Holdings (pièce A-1, onglet 25). Ces dossiers qui ont été produits le 1er février 1994 indiquent une nouvelle qualification du paiement au montant de 1 000 000 $ versé à Harry, à William et à M. Wasko au titre d'un investissement en un compte débiteur. L'intimée a fait valoir que le bilan non consolidé de la société Drewlo Holdings énonce que [TRADUCTION] « au 31 octobre 1993 » , la somme de 1 000 000 $ a été classée au titre d'un compte débiteur. Étant donné la date de production de ce document, soit 1994, il a été allégué que cette somme inscrite à titre d'investissement avait été de nouveau qualifiée au titre d'un compte débiteur.

[42]     Le juge en chef adjoint Bowman, dans l'affaire Jabs Construction Limited c. La Reine, C.C.I., no 98-827(IT)G, 24 juin 1999 (99 DTC 729), déclare ce qui suit (DTC au paragraphe 33 ) :

[...] Je ne suis pas disposé à considérer ces écritures comptables comme reflétant la véritable relation juridique entre l'appelante et la Felsen. Des écritures comptables sont censées refléter la réalité et non pas créer la réalité [...]

[43]     Le comptable a témoigné que le changement dont il est question consistait en une correction et non en une nouvelle qualification. En contre-interrogatoire, lorsqu'on lui a demandé pourquoi, au paragraphe 7 de sa note de service (pièce A-1, onglet 30) à l'intention de l'avocat Donovan, il avait employé le syntagme suivant : [TRADUCTION] « nous proposons de traiter ces avances au titre d'un prêt accordé pendant la période comptable » , il a répondu ceci :

[traduction]

Je me permettrai de prétendre, Monsieur, que vous ne savez pas de quoi vous parlez. Je n'ai pas qualifié de nouveau quoi que ce soit, et je ne l'aurais pas fait non plus. J'ai cru comprendre, selon ce que m'a dit M. Loyens, ainsi qu'à la suite des discussions avec M. Drewlo, que la somme de un million de dollars versée en mars 1993 consistait en un prêt. Si l'on m'avait dit qu'il ne s'agissait pas d'un prêt et que la vente avait eu lieu en mars 1993, je n'aurais pas rédigé cette note en novembre, ce que je sais être un fait.

[44]     M. Hill a affirmé avec véhémence qu'il a fait une écriture d'ajustement dans le journal en vue de corriger l'inscription initiale de 1 000 000 $. J'admets son témoignage selon lequel il n'a pas qualifié de nouveau les événements qui se sont déroulés le 8 mars 1993. Il a agi en fonction des discussions qu'il a eues avec les appelants et M. Drewlo, ce qui a donné naissance à la note datée du 30 novembre 1993, et j'ai n'ai aucune raison de ne pas le croire.

[45]     L'intimée s'est également fondée sur un avis de débit aux fins de rajustement pour le compte de la société Drewlo Holdings que contenait un document de la Banque de Nouvelle-Écosse daté du 2 mars 1994. Dans l'encadré relatif aux [TRADUCTION] « détails » figurant dans ce document on peut lire la formulation suivante :

                  

                   [traduction]

Annulation des charges d'intérêt imputées à l'entreprise Ardshell Limited à l'égard de la société 722973 Ontario Limited à compter du 8 mars 1993 jusqu'au 21 février 1994. Voir la pièce jointe. Il devrait s'agir de la société Drewlo Holdings Inc.

[46]     L'intimée soutient que ce document prouve que la vente de la propriété a eu lieu le 8 mars 1993 parce que la société Drewlo Holdings a payé des intérêts sur le prêt hypothécaire à compter de cette date.

[47]     M. Drewlo a témoigné qu'il n'était pas en mesure de se rappeler si une annulation des paiements d'intérêts a fait l'objet de négociations lorsque l'opération avait été conclue. L'encadré relatif aux « détails » fait référence à la société 722923. Je crois donc que le document en question renvoie au bien Harrison. De même, il semble, selon ce document bancaire, que M. Drewlo a rétroactivement pris en charge le prêt hypothécaire sur la propriété à compter du 8 mars 1993. Étant donné que le témoignage de M. Drewlo était cohérent avec ceux des appelants sur tous les autres points, j'admets son témoignage en l'espèce selon lequel les rajustements des intérêts consistaient tout simplement, comme il l'a indiqué [TRADUCTION] « en une éventuelle entente ou en une modification pouvant être apportée à l'entente » , ce qui expliquerait la nature rétroactive des rajustements des intérêts. M. Drewlo a déclaré que les intérêts n'ont jamais fait l'objet de négociations entre les parties, le 8 mars 1993. Il a déclaré ceci : [TRADUCTION] « [...] à cette époque, nous étions d'avis que [...] si nous [...] obtenions le terrain, nous aurions à conclure des ententes de toute façon » . Il est donc clair, à mon avis, que si leur soumission était retenue, ils devraient faire appel aux services d'avocats et de comptables sans tarder. Selon son témoignage, les parties revenaient souvent sur des opérations immobilières importantes qu'elles avaient conclues en vue d'y apporter des modifications. Je ne crois pas qu'il s'agissait là de négociations sortant de l'ordinaire pour ces hommes d'affaires.   

[48]     De toute évidence, selon son témoignage, M. Drewlo était intéressé à obtenir le reste des droits, dans une proportion de 50 p. 100 dans le bien Harrison. Il a indiqué que l'avantage qu'il tirait de l'acquisition du bien Harrison l'emportait sur le paiement d'intérêts quelconques. Il participait à des opérations commerciales valant plusieurs millions de dollars en association avec les appelants. À cette époque, ces derniers éprouvaient des difficultés financières, et M. Drewlo a déclaré qu'ils avaient conclu de nombreuses opérations immobilières importantes sur lesquelles ils devaient revenir à une date ultérieure en vue d'y apporter des modifications. De même, je suis d'avis que, si l'on admet l'argument selon lequel M. Drewlo aurait dû se préoccuper des intérêts cumulés sur une période de six mois, alors on doit être en mesure d'expliquer pourquoi il aurait acheté la propriété en mars sans pourtant se soucier de faire transférer ledit bien légalement avant un délai de presque neuf mois.

[49]     L'intimée a mentionné l'absence de résolutions adéquates de société le 30 novembre 1993 à l'égard des deux transferts provisoires, c'est-à-dire le transfert à la société de personnes Varna et le transfert à la société Lobro Stables. La résolution de la société 722973 qu'a adoptée le conseil d'administration, et qui confirme d'ailleurs le transfert des actions, énonce qu'il s'agit d'un transfert des appelants à la société 643266. Cette même résolution ne fait aucune mention d'un transfert à la société Varna ou à la société Lobro Stables. L'intimée a laissé entendre que la forme a de l'importance et qu'en l'espèce, ces formes étaient inadéquates, ce qui, à son avis, montre que la vente a eu lieu le 8 mars 1993. Je ne suis pas d'accord. La société 722973 n'avait aucun droit de propriété sur ledit bien. Son seul objectif était d'agir à titre de nu-fiduciaire. Le Black's Law Dictionary (septième édition) définit « bare trustee » (nu-fiduciaire) de la façon suivante :

[traduction]

Fiduciaire d'une fiducie passive. • Un nu-fiduciaire n'a pour seule obligation que de transférer la propriété au bénéficiaire.

Selon la structure de l'opération, il n'est pas nécessaire que la société de personnes Varna ou la société Lobro Stables soit incluse dans ces résolutions et transferts d'actions. La note qu'a rédigée M. Hill et qui expose brièvement les opérations datées du 30 novembre 1993 ne fait aucune mention de l'inclusion des sociétés Varna et Lobro Stables dans les résolutions de la société 722973. Elles auraient pu certainement être incluses, mais leur exclusion n'est pas fatale. La participation en actions de la société 722973 a été calculée en fonction du pourcentage du droit de propriété dans ledit bien, mais ce droit de propriété dans ledit bien est en soi indépendant de ces actions. L'obligation de la société 722973 d'agir à titre de nu-fiduciaire visait seulement à assurer un suivi de temps à autre afin de déterminer qui détenait l'intérêt bénéficiaire.

[50]     L'intimée a fait mention de plusieurs incohérences concernant les événements du 8 mars 1993. Premièrement, pourquoi les appelants ont-ils emprunté plus d'argent que la somme de 1 000 000 $ requise pour soumissionner? En fait, la somme dont avaient besoin les appelants et M. Wasko pour investir dans l'entreprise Ardshell à titre de leur part à la soumission au nom de la société Walloy (rappelons-nous que l'entreprise Walloy et l'entreprise Drewlo Holdings étaient actionnaires à part égale de l'entreprise Ardshell) s'élevait à 500 000 $. Au départ, le prêt à consentir à l'entreprise Walloy ne devait être que de 500 000 $ afin de permettre aux appelants de couvrir leur part de la soumission de 50 p. 100. Selon le témoignage de M. Drewlo, il a consenti le prêt aux appelants et à M. Wasko de manière à ce qu'ils puissent investir un certain montant dans l'entreprise Ardshell en vue de payer leur part dans la créance de cette entreprise. Il faut se rappeler qu'à cette époque, l'entreprise Ardshell a tiré certains profits d'aménagements mais qu'elle a également perdu une somme considérable dans le cadre de l'aménagement Hunt Club et qu'elle éprouvait des difficultés financières.

[51]     Deuxièmement, pourquoi l'entreprise Walloy a-t-elle injecté plus de fonds que nécessaire dans l'entreprise Ardshell? En effet, l'entreprise Walloy a déposé 700 000 $ dans le compte de l'entreprise Ardshell, soit 200 000 $, en plus de sa part de 50 p. 100 sur le dépôt de 1 000 000 $ devant accompagner la soumission. La preuve démontre que la somme excédentaire a servi à l'entreprise Walloy à payer sa part du remboursement des dettes de l'entreprise Ardshell.

[52]     Troisièmement, pourquoi les appelants et M. Wasko ont-ils chacun reçu 333 333 $ de M. Drewlo? M. Wasko détenait 50 p. 100 des actions de l'entreprise Walloy tandis que les appelants en détenaient chacun 25 p. 100. Pourquoi alors cet argent leur a-t-il été prêté à part égale? À mon avis, la réponse à cette question est simple. Ce prêt n'a pas été consenti à l'entreprise Walloy. Il s'agissait en fait d'un prêt personnel accordé à ces trois personnes, dont chacune détenait à part égale les actions du bien Harrison. Il est important de se rappeler que toutes les parties entretenaient depuis longtemps une relation d'affaires. Selon les témoignages de M. Drewlo et des appelants, ces prêts étaient personnels et visaient en partie à couvrir leur part de la soumission. Quant au reste de la somme, elle devait servir à d'autres fins, selon ce qu'ils choisiraient d'en faire.

[53]     Quatrièmement, s'agissait-il d'une simple coïncidence lorsque le même jour les appelants et M. Wasko ont obtenu un prêt de M. Drewlo au montant de 1 000 000 $, la valeur de la propriété étant de 1 500 000 $, ce qui correspond exactement au montant nécessaire pour couvrir le prêt hypothécaire de 500 000 $ à l'égard de l'exploitation plus le prêt accordé? Les appelants étaient les propriétaires du bien Harrison depuis les années 70. M. Drewlo avait fait l'acquisition d'une propriété attenante au bien Harrison et avait acheté auprès des appelants 50 p. 100 des actions de cette dernière. Ils étaient tous des hommes d'affaires astucieux investis, depuis plusieurs années, dans l'industrie de l'aménagement de terrain. L'hypothèse selon laquelle ils ignoraient peut-être la valeur du bien dont ils s'occupaient n'est tout simplement pas plausible. En fait, au cours du contre-interrogatoire, M. Drewlo a lui-même admis qu'il n'aurait pas été déçu s'il avait obtenu l'autre 50 p. 100 des actions du bien Harrison : [TRADUCTION] « Comme je l'ai mentionné, j'ai toujours été moi aussi intéressé à acquérir l'autre 50 p. 100 des actions. »

[54]     En résumé, j'admets l'explication concernant les événements du 8 mars 1993 et du 30 novembre 1993 qu'ont fournie les appelants et M. Drewlo comme plausible et crédible. Leurs témoignages sont cohérents, et celui qu'a présenté M. Hill appuie leurs explications selon lesquelles la vente a eu lieu le 30 novembre 1993. L'élément de preuve documentaire est insuffisant pour montrer que la vente a eu lieu le 8 mars 1993. À mon avis, il n'y a eu aucune supercherie lorsque les parties ont conclu les opérations du 30 novembre 1993 et, par conséquent, il n'y a, en l'espèce, aucun trompe-l'oeil. La disposition du bien Harrison a eu lieu le 30 novembre 1993, comme les appelants l'ont affirmé.

[55]     L'intimée s'est fondée sur l'affaire 227287 Alberta Ltd. c. La Reine, C.C.I., no 96-1650(GST)I, 28 mai 1997 (97 DTC 1106) pour faire valoir l'assertion selon laquelle les opérations du 8 mars 1993 avaient été exécutées au complet sauf en ce qui concerne la simple formalité qui consiste à sceller les expéditions originales, alors la conclusion remonte à la date du contrat, soit le 8 mars. La mise en application de la [TRADUCTION] « théorie de la rétroactivité » doit répondre à un critère que les avocats de l'intimée n'ont ni satisfait ni approfondi. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de commenter davantage cet argument.

[56]     Pour terminer, je souhaite aborder brièvement deux points qui ont été soulevés au cours de l'audience, notamment l'admissibilité des documents sur microfiche (pièce A-1, onglet Tab 31) et l'applicabilité de la Loi relative aux preuves littérales. Aux fins du présent appel, les copies des trois chèques que la banque a fournies sur microfiche ont été admises en preuve dans le recueil de documents, bien que les avocats des appelants s'y soient opposés. Ces derniers ont soutenu que les copies sur microfiche sont peu fiables et qu'il est possible qu'elles ne soient pas complètes puisque qu'il n'existe aucune preuve concernant l'élaboration et la préparation de ces documents.

[57]     Selon ce que je comprends de la preuve concernant les procédures bancaires, les chèques originaux sont microfilmés avant qu'ils ne quittent la banque et soient expédiés à une chambre centrale de compensation. Apparemment, les chèques sont expédiés le jour même du dépôt, avant minuit.

[58]     L'admissibilité des pièces commerciales est régie par la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985 ch. C-5 (la « LPC » ).

[59]     Les chèques sur microfiche ont été admis en preuve (pièce A-1, onglets 22 à 24). On peut accorder un poids à ces copies de chèques microfilmés en s'appuyant sur les propos de J. Sopinka et coll., dans The Law of Evidence in Canada (Toronto, Butterworths 1999), qui énoncé ce qui suit à la page 18 :

[traduction]

§ 2.14 Une preuve matérielle (également appelée des éléments de preuve matériels) ne peut être produite à la cour sans qu'il n'y ait eu au préalable présentation ou, à tout le moins, admission d'une preuve testimoniale, et ce, en vue d'établir l'identité de la chose. Le degré d'authentification requis pour admettre une preuve matérielle est relativement peu élevé. Dès que la preuve est admise, c'est au juge des faits de déterminer quel poids lui accorder.

[60]     Les copies des chèques microfilmés ainsi que les photocopies de ces mêmes chèques ont été utilisées par les avocats de l'intimée afin de montrer que la note inscrite sur les chèques y figurait au moment de leur dépôt. Même si j'accordais peu de poids à ces copies microfilmées, cela n'aurait aucun effet préjudiciable à l'égard de l'une ou l'autre des parties.

[61]     Les appelants ont fait valoir que la Loi relative aux preuves littérales prévoit qu'un accord conclu concernant un intérêt foncier n'est pas réputé avoir force exécutoire par voie d'une action, sauf si cet accord est constaté par écrit et qu'il porte la signature des parties. L'intimée a soutenu que la Loi de l'impôt sur le revenu s'applique tout à fait indépendamment de la Loi relative aux preuves littérales et que celle-ci ne s'applique uniquement que lorsqu'il y a rupture de contrat ou lorsque l'une des parties veut renforcer ces droits. La Loi de l'impôt sur le revenu s'applique conjointement avec la Loi relative aux preuves littérales et non indépendamment de celle-ci. Toutefois, compte tenu des circonstances en l'espèce, il n'est pas nécessaire de mettre en application l'une ou l'autre des dispositions que prévoit la Loi relative aux preuves littérales.

Deuxième question en litige :       Si la date d'entrée en vigueur de la vente est le 30 novembre 1993, le transfert libre d'impôt de la participation dans la société de personnes Varna à la société Lobro Stables est-il valide suivant l'application des paragraphes 85(1) et 85(1.1) de la Loi?

Position des appelants

[62]     M. Stikeman, dans son analyse de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu qu'il fournie dans le document intitulé Canada Tax Service, prévoit que le transfert d'une participation dans une société ne constitue pas un transfert d'un bien immobilier à porter à l'inventaire. Par conséquent, un tel transfert ne contrevient pas à l'alinéa 85(1.1)f) de la Loi.

Position de l'intimée

[63]     Le transfert libre d'impôt de la participation à la société Lobro Stables était, sur le plan technique, vicié et invalide. La société de personnes Varna a été dissoute le 30 novembre 1993 parce que le transfert de la participation des deux associés dans la société Lobro Stables en tant que particuliers contrevient au droit relatif aux sociétés de personnes. La société Lobro ne pouvait pas être l'associée de la société Varna parce qu'il doit y avoir au moins deux associés pour constituer une société de personnes. C'est le bien Harrison qui a été transféré à la société Lobro Stables et non les participations dans la société.

Analyse

[64]     L'article 85 autorise un transfert libre d'impôt de certains types de biens à une société canadienne au prix coûtant, ce qui donne lieu à un report d'impôt à la disposition d'un bien. Cependant, seul un bien admissible peut faire partie d'un transfert libre d'impôt. Un bien admissible comprend un bien à porter à l'inventaire, mais non des biens immeubles ou un bien immeuble s'y rapportant. L'alinéa 85(1.1)f) définit un bien admissible de la façon suivante :    

« Définition de bien admissible » . Pour l'application du paragraphe (1), « bien admissible » s'entend :

[...]

f)           d'un bien à porter à l'inventaire, à l'exception d'un bien immeuble, d'un droit sur un tel bien et d'une option y afférente;

[...]

                               

[65]     Les appelants étaient des promoteurs immobiliers et s'intéressaient particulièrement à des lotissements importants. Les présents appels portent essentiellement sur le bien Harrison. Cette propriété a été qualifiée de bien à porter à l'inventaire. En règle générale, les gains tirés de la vente d'un tel bien ont pour effet d'accroître le revenu et non le gain en capital. Le comptable des appelants savait qu'ils ne pourrait pas effectuer directement un transfert libre d'impôt du bien Harrison à la société Lobro Stables en raison de la restriction prévue à l'alinéa 85(1.1)f). Cependant, il était souhaitable que ce bien soit transféré à la société Lobro Stables parce que celle-ci avait subi des pertes autres que des pertes en capital qui pouvaient servir.

[66]     Afin de contourner cette restriction prévue au paragraphe 85(1), les appelants ont étudié le paragraphe 97(2), qui, contrairement au paragraphe 85(1), ne prévoit aucune restriction semblable à l'égard d'un bien immobilier a porter à l'inventaire. Les appelants étaient associés dans la société de personnes Varna Elevators. Le bien Harrison a donc été transféré à cette société de personnes en vertu du paragraphe 97(2). Après ce transfert libre d'impôt, la participation dans la société a, par la suite, été transférée dans la société Lobro Stables.

[67]     L'intimée a déclaré que ses recherches ne lui ont pas permis de trouver une jurisprudence pertinente quelconque concernant cet aspect en particulier. Vern Krishna, auteur de l'ouvrage intitulé The Fundamentals of Canadian Income Tax (6e édition, Toronto, Carswell, 2000) émet les commentaires suivants à la page 910 :

[traduction]

11. Transfert indirect des terrains d'un inventaire

Le paragraphe 85(1) permet à un contribuable de transférer des terrains avec report d'impôt à une corporation canadienne imposable. Selon une exception importante à cette règle, le contribuable n'est pas permis de transférer des terrains d'un inventaire avec report d'impôt à une société. Il n'existe toutefois aucune interdiction de transférer des terrains d'un inventaire avec report d'impôt à une société de personnes canadienne. Par conséquent, lorsqu'un contribuable souhaite transférer les terrains d'un inventaire avec report d'impôt à une société, ce dernier peut le faire en deux étapes. D'abord, le contribuable établit une société de personnes avec l'acheteur éventuel des terrains et transfère les terrains à la société et il choisit, en vertu du paragraphe 97(2), de différer le gain sur le transfert. L'acheteur peut acquérir sa participation dans la société au moyen d'une mise de fonds constituée d'un montant d'argent symbolique. Par la suite, le vendeur peut transférer sa participation à la société acheteuse en contrepartie d'actions dont la juste valeur marchande est égale à la valeur de sa participation dans la société, et les deux parties peuvent exercer un choix à l'égard du transfert en vertu du paragraphe 85(1). Lors de l'acquisition par la société acheteuse de la participation du contribuable dans la société, la société cesse d'exister et le paragraphe 98(5) s'applique pour réputer que l'acheteur a acquis les terrains à un prix égal à leur coût indiqué pour le contribuable.

Il en découle de cet arrangement à deux étapes que la société acheteuse acquiert les terrains d'un inventaire et le contribuable évite la reconnaissance de tout gain sur le transfert de ces terrains.   

[68]     L'argument de l'intimée est bien fondé, mais à mon avis, il ne peut s'appliquer qu'à une situation où le transfert libre d'impôt de la participation dans la société à l'entreprise prévu au paragraphe 85(1) s'effectue au même moment. L'article 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l'Ontario prévoit qu'une société de personnes n'est valide que si elle possède au moins deux associés. La preuve dans l'appel en l'espèce appuie le point de vue selon lequel le transfert des participations des appelants dans la société n'a pas eu lieu simultanément. Les transferts des participations des appelants dans la société Varna à la société Lobro Stables figurent dans deux documents distincts (pièce A-1, onglets 20 et 20.1), ce qui est tout à fait différent de l'entente en vertu de laquelle chaque droit des appelants dans le bien Harrison a été transféré dans la société de personnes Varna (pièce A-1, onglet 19). Ce transfert a été exécuté à l'aide d'un seul document, ce qui, de toute évidence, appuie ma conclusion selon laquelle les transferts libres d'impôt prévus au paragraphe 85(1) des participations de chaque appelant dans la société ont été effectués un à la fois et non simultanément. À mon avis, bien que les documents portent la même date, la preuve démontre clairement et sans équivoque que les transferts ont eu lieu un à la fois, bien que ce soit, à quelques moments d'intervalle. Par exemple, je présume que William a, le premier, transféré son droit dans la société Varna à la société Lobro. Il s'est ensuivi que Harry et la société Lobro Stables sont devenus associés dans la société Varna. Par la suite, soit quelques instants plus tard, en vertu d'un accord distinct, Harry a signé un document de transfert visant à transférer sa participation dans la société à la société Lobro Stables qui a alors acquis la totalité de la participation dans la société. Le paragraphe 98(5) prévoit ce genre de situation où un associé continue d'exploiter l'entreprise de l'ancienne société de personnes lorsque l'autre associé quitte la société. Aux termes du paragraphe 98(5), l'associé qui continue d'exploiter l'entreprise de l'ancienne société de personnes acquiert les biens de cette dernière au prix de base. Selon moi, on peut facilement déduire que l'ébauche de deux documents distincts faisait, de toute évidence, partie du concept général que ce plan fiscal prévoyait refléter. Sinon, tout aurait été inclus dans une seule entente, comme c'était le cas relativement au transfert ultérieur à la société Lobro Stables. Par conséquent, les transferts libres d'impôt sont techniquement valides.

[69]     Dans les circonstances en l'espèce, les transferts libres d'impôt prévus au paragraphe 85(1) sont donc techniquement valides.

Troisième question en litige :       La règle générale anti-évitement, prévue à l'article 245 de la Loi, s'applique-t-elle?   

[70]     L'intimée a débattu de cette question de façon subsidiaire.

Position des appelants

[71]     Il est admis qu'en accédant aux pertes de la société Lobro Stables, les appelants ont bénéficié d'un avantage fiscal, une condition préalable à l'application de l'article 245. Il est également admis que, de toute évidence, il y a eu exécution d'une série d'opérations, soit les ententes du 30 novembre 1993, mais qu'il n'y a eu aucun emploi abusif des dispositions pertinentes de la Loi ni abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.

[72]     L'affaire OSFC Holdings Ltd. c. La Reine, [2002] 2 C.F. 288 (2001 DTC 5471) se distingue de l'affaire en l'espèce parce que, dans OSFC Holdings Ltd., des personnes n'ayant entre elles aucun lien de dépendance ont acheté la participation dans une société de personnes qui comportait d'importantes pertes qu'avaient subies les appelants. Les opérations visaient essentiellement à vendre ces pertes. Cependant, l'objectif principal des opérations du 30 novembre 1993 visait à vendre le bien Harrison de la manière la plus efficace sur le plan fiscal. Les avocats ont également soutenu que l'on doit examiner l'ensemble de l'opération et qu'il était incorrect de séparer ou d'isoler de façon factice diverses composantes de l'opération dans son ensemble dans le but de créer une opération d'évitement.

[73]     Si, en vertu du paragraphe 245(3), la RGAÉ s'applique à ces opérations, alors la politique générale qui sous-tend les dispositions et la Loi doit être claire et sans aucune ambiguïté pour prétendre qu'il a y eu abus. Les remarques qu'a faites le juge Rothstein dans la décision OSFC Holdings Ltd. précisent qu'il incombe à l'intimée d'expliquer la politique claire et sans aucune ambiguïté qui sous-tend les dispositions de la Loi, ce qui n'a tout simplement pas été fait.

Position de l'intimée

[74]     L'article 245 n'a pas pour but de faire obstacle aux opérations commerciales légitimes. Il s'applique lorsque l'objectif des opérations est l'évitement fiscal. Dans l'affaire en l'espèce, les appelants auraient dû vendre le bien Harrison directement à Eugene Drewlo ou à son agent désigné sans passer par les nombreuses étapes des opérations du 30 novembre 1993.

[75]     Contrairement à la position des appelants, l'approche à adopter pour déterminer si les opérations ont été effectuées à une fin autre que celle d'obtenir un avantage fiscal consiste à examiner les opérations qui faisaient partie de la série.

[76]     En ce qui concerne l'abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble, l'intimée a soutenu que, lorsque la politique est clairement énoncée, il n'y a pas lieu d'invoquer la preuve extrinsèque pour établir l'objet et l'esprit des dispositions de la Loi, comme l'a fait remarquer le juge Noël dans l'affaire Water's Edge Village Estate (Phase II) Ltd. c. La Reine, [2003]2 C.F. 25 ((2002) DTC 7172) (dont l'autorisation d'en appeler devant la Cour suprême du Canada a été refusée le 20 mars 2003). Ainsi, la politique qui sous-tend l'alinéa 85(1.1)f) interdit le transfert libre d'impôt d'un bien à porter à l'inventaire.

[77]     Afin de contourner cette interdiction de transférer un bien immeuble à porter à l'inventaire en vertu de l'alinéa 85(1.1)f), les appelants ont appliqué les paragraphes 97(2) et 85(1) d'une manière qui équivaut à un abus dans l'application de ces dispositions. On devrait appliquer l'article 245 afin de refuser les transferts libres d'impôt et inclure le bénéfice tiré du bien Harrison dans le revenu des appelants.

[78]     Dans l'affaire OSFC Holdings Ltd., la Cour dit que l'échange de pertes est interdite. L'affaire en l'espèce est semblable à la décision OSFC Holdings Ltd. en ce sens que l'échange de pertes est interchangeable avec le partage des profits. Les appelants ont transféré le bénéfice tiré de la vente du bien Harrison à leur société en vue d'utiliser les pertes qu'avait subies cette dernière. Il s'agit là d'un abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble.

Analyse

[79]     Plusieurs décisions qu'a rendues la Cour d'appel fédérale ont permis d'établir le cadre d'analyse à l'intérieur duquel s'applique la RGAÉ, notamment les décisions OSFC Holdings Ltd. et Water's Edge Village Estate (Phase II) Ltd., précitées, et plus récemment, la décision Novopharm Limitée c. La Reine, 2003 CAF 112. La décision Novopharm, bien qu'elle porte sur l'ancien paragraphe 245(1), a clairement établi que l'approche adoptée dans l'affaire Canada c. Fording Coal Ltd., [1996] 1 C.F 518 est celle qui doit s'appliquer et que c'est également cette approche que la Cour a adoptée dans l'affaire Canada c. Mara Properties Ltd., [1995] 2 C.F. 433. Pour l'application de l'article 245, la Cour doit se poser les questions suivantes :

(1)       Y avait-il une série d'opérations aux termes de l'article 245, et le cas échéant, quelles opérations faisaient partie de la série?

(2)       Les opérations du 30 novembre 1993 ont-elles permis aux appelants d'obtenir un avantage fiscal?

(3)       Si tel est le cas, peut-on raisonnablement conclure que les opérations avaient un but autre que celui d'obtenir un avantage fiscal?

(4)       Sinon, les opérations ont-elles entraîné un abus dans l'application de la l'article 245 ou de toutes autres dispositions de la Loi lue dans son ensemble?

[80]     Les avocats des appelants ont reconnu les deux premiers facteurs. D'abord la série d'opérations qui a eu lieu le 30 novembre 1993 a consisté, pour les appelants, à transférer le bien Harrison dans la société de personnes Varna, à transférer ce même bien de la société Varna à la société Lobro Stables puis à le transférer de la société Lobro Stables à la société 643288. Ensuite, les opérations du 30 novembre 1993 ont permis aux appelants d'utiliser les pertes de la société Lobro Stables, entraînant ainsi un avantage fiscal.

Objectif principal

[81]     Puisque les opérations ont entraîné un avantage fiscal, la Cour doit déterminer quel était l'objectif principal de l'opération ou des opérations faisant partie de la série. Si l'objectif principal visait à obtenir un avantage fiscal, alors il s'agissait d'une opération d'évitement.

[82]     Les avocats de l'intimée font valoir que chacune des opérations faisant partie de la série doit être analysée, et que, si l'objectif principal de l'une ou l'autre de ces opérations faisant partie de la série visait à obtenir un avantage fiscal, alors on doit conclure qu'il se fonde d'une opération d'évitement aux termes du paragraphe 245(3). L'intimée se fonde sur les propos du juge dans l'affaire OSFC Holdings Ltd., qui, au paragraphe 45, déclare ce qui suit :

Une fois qu'il est reconnu qu'une série d'opérations a donné lieu à un avantage fiscal, on peut conclure que toute opération faisant partie de la série est une opération d'évitement. La question qui se pose alors est de déterminer l'objet principal de chaque opération faisant partie de la série. L'opération dont l'objet principal est d'obtenir l'avantage fiscal est une opération d'évitement.

[83]     Les avocats des appelants soutiennent que la Cour devrait examiner la série d'opérations dans son ensemble afin de déterminer l'objet principal de ces opérations. Les appelants ont renvoyé la Cour à l'affaire Canada c. Canadien Pacifique Ltée (C.A.), [2002] 3 C.F. 170 (2001 FCA 398) pour appuyer l'assertion selon laquelle la série d'opérations du 30 novembre 1993 doit être examinée dans son ensemble. Au paragraphe 27 de cette décision, la Cour cite des décisions qu'a rendues la Cour canadienne de l'impôt de la façon suivante :

Les opérations qui composent, selon l'intimée, la série sont, lorsque envisagées objectivement, inextricablement liées comme des éléments d'un processus visant principalement à produire le capital emprunté dont l'appelante avait besoin à des fins commerciales. Le capital a été obtenu et il a ainsi été utilisé. Aucune des opérations faisant partie de la série ne peut être considérée comme ayant été organisée pour un objet qui diffère de l'objectif global de la série. La preuve ne soutient tout simplement pas la position de l'intimée. En conséquence, aucune des opérations que l'intimée invoque ne constituait une opération d'évitement au sens du paragraphe 245(3).

[84]     Cette citation extraite de la décision Canadien Pacifique Ltée consiste en une décision fondée sur les faits de cette affaire et non en une assertion générale. Après avoir lu cette décision, je conclus qu'une opération faisant partie d'une série d'opérations ne peut être davantage divisée en éléments distincts pour conclure que l'un de ces éléments constitue une opération d'évitement.

[85]     Manifestement, selon l'approche dont il est fait mention dans l'affaire Fording et que la Cour a adoptée dans l'affaire Novopharm, il faut tenir compte de l'ensemble des opérations liées entre elles qui composent la série et non seulement l'opération qui a donné lieu à un avantage fiscal.    

[86]     Dans l'affaire en l'espèce, trois opérations ont eu lieu le 30 novembre 1993. Selon l'affaire OSFC Holdings Ltd., il est nécessaire d'analyser l'objet principal de toutes les opérations pertinentes faisant partie de la série. Ainsi, pour déterminer l'objet principal de chacune des opérations, on doit s'appuyer sur les faits au moment où l'opération a eu lieu. Le juge Rothstein, dans l'affaire OSFC Holdings Ltd., a déclaré ceci au paragraphe 46 :

            Le membre de phrase « il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour » au paragraphe 245(3) indique que le critère de l'objet principal est un critère objectif. Par conséquent, l'accent sera mis sur les faits et les circonstances pertinentes et non sur les déclarations d'intention. Il est également évident que l'objet principal doit être déterminé au moment où les opérations en question ont été effectuées. Il ne s'agit pas d'une évaluation rétrospective, qui tiendrait compte de faits et de circonstances survenus après que les opérations ont été effectuées.

[87]     La voie la plus directe pour transférer le bien Harrison aurait été le transfert du droit des appelants à M. Drewlo. Après avoir conclu l'entente, ces derniers ont communiqué avec leur conseiller fiscal qui a établi les étapes nécessaires pour procéder au transfert du bien de manière à ce qu'ils puissent utiliser les pertes que la société Lobro Stables avait accumulées. Selon les deux appelants, ils ont tout simplement soumis cette affaire à M. Hill, afin qu'il leur fournisse des conseils en matière de fiscalité, comme ils l'ont probablement fait à de nombreuses reprises par le passé en tant que promoteurs immobiliers. M. Drewlo voulait la propriété et il était disposé à prendre toutes les dispositions nécessaires qu'avait recommandées M. Hill, dans la mesure où ces dispositions ne lui seraient pas défavorables.

[88]     Selon le témoignage et la note de M. Hill (pièce A-1, onglet 30) dans lesquels il expose brièvement les démarches à suivre pour procéder au transfert du bien le 30 novembre 1993, il était clair que l'opération entraînerait un avantage fiscal si les appelants pouvaient utiliser les pertes de la société Lobro Stables. Ces pertes avaient été cumulées de façon légitime. Cependant, il était impossible de les utiliser directement en raison de l'interdiction de procéder à un transfert libre d'impôt d'un bien immobilier à porter à l'inventaire à une société prévue à l'alinéa 85(1.1)f). Toutefois, si la société de personnes Varna pouvait servir, alors les appelants, aux termes du paragraphe 97(2), pourraient transférer leur droit sur ledit bien dans leur société de personnes. Ils seraient ensuite libres de transférer les participations dans la société (ce qui comprenait le bien Harrison) à la société Lobro, puisque la Loi ne prévoit aucune interdiction semblable de transférer des participations dans une société. La société de personnes Varna ainsi que la société Lobro Stables qui existaient à cette époque ont été intégrées dans les opérations du 30 novembre 1993 afin de faciliter l'obtention de l'avantage fiscal prévu aux articles pertinents de la Loi. De toute évidence, le contenu de la note dont il est question ainsi que le témoignage de M. Hill appuient ce fait.   

[89]     Je conclus donc que l'objet principal de chacune de ces opérations du 30 novembre 1993 dans leur ensemble visait à obtenir un avantage fiscal.

Abus

[90]     Aux termes du paragraphe 245(4), sont exclues des opérations prévues au paragraphe 245(2) les opérations qui n'entraînent pas « directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble » . Puisque le critère en l'espèce est un critère objectif, ce sont les faits pertinents dont il faut tenir compte et non l'intention du contribuable.

[91]     Quelles sont les dispositions qui ont fait l'objet d'un abus? Les dispositions en cause sont celles prévues aux paragraphes 97(2) et 85(1). L'article 85 autorise le transfert libre d'impôt de certains types de biens vers une société au prix coûtant. L'application de cette disposition donne lieu à un report d'impôt lors de la disposition du bien. Cependant, l'article est strictement contrôlé. Seul un bien admissible peut être visé par un choix prévu au paragraphe 85(1). Les biens admissibles sont énoncés à l'alinéa 85(1.1)f). Le paragraphe 97(2) diffère surtout de façon importante parce qu'il ne prévoit aucune interdiction semblable, et parce qu'un bien immeuble à porter à l'inventaire est un bien admissible à un transfert libre d'impôt en vertu du paragraphe 97(2), main non en vertu du paragraphe 85(1).

[92]     Le comptable des appelants a été en mesure de transférer indirectement le bien immeuble à porter à l'inventaire, soit le bien Harrison, à la société Lobro Stables étant donné que les appelants n'étaient pas en mesure de le faire directement. En intégrant la société de personnes Varna et en appliquant le paragraphe 97(2), les appelants ont pu utiliser les pertes de la société Lobro Stables afin de compenser le bénéfice tiré de la vente du bien Harrison.

[93]     Pour déterminer s'il y a eu abus, la première étape consiste à établir la politique qui sous-tend la disposition. L'abus dépend de l'objet et de l'esprit des dispositions particulières, notamment les articles 97 et 85. Dans l'affaire en l'espèce, l'opinion des appelants et celle de l'intimée, quant à savoir quelle est la politique qui sous-tend l'alinéa 85(1.1)f), divergent.

[94]     L'intimée soutient que les appelants ont appliqué le paragraphe 97(2) en vue de contourner la définition de bien admissible prévue à l'alinéa 85(1.1)f), ce qui donne lieu à un abus dans l'application de ces articles puisque ce faisant, les appelants ont pu annuler un gain qui, autrement, aurait été inclus dans leur revenu.

[95]     Quant aux appelants, ils soutiennent qu'il n'y a eu aucun abus puisqu'ils n'ont pas contrevenu à la politique qui sous-tend la restriction relative à un bien immobilier à porter à l'inventaire et qui vise à empêcher un négociant à l'égard d'un bien immobilier de convertir un revenu en gains en capital en procédant au transfert d'un bien dans une société et de vendre ensuite des actions de la société.

[96]     L'intimée a résumé l'effet des dispositions sans tenter de préciser la politique qui sous-tend ces articles. Ce résumé consiste tout simplement en une répétition des articles sans qu'il ne fournisse de lignes directrices concernant la politique sous-jacente des dispositions.

[97]     Les avocats de l'intimée soutiennent que les dispositions pertinentes en l'espèce sont tellement claires qu'aucune aide extérieure ou preuve extrinsèque n'est requise. Les avocats soutiennent également que l'alinéa 85(1.1)f) reflètent suffisamment l'objet et l'esprit de la Loi, notamment lorsqu'il prévoit qu'un bien immobilier à porter à l'inventaire ne peut faire l'objet d'un transfert libre d'impôt.

[98]     Le juge Rothstein dans l'affaire OSFC Holdings Ltd. énonce clairement que le rôle de la Cour consiste à cerner une politique pertinente, claire et sans aucune ambiguïté. Il poursuit en déclarant qu'une Cour ne peut conclure qu'il y a eu abus si le législateur n'a pas fait preuve de clarté et d'absence d'ambiguïté à l'égard de la politique générale qu'il envisageait. Au paragraphe 68 de ses motifs du jugement, il déclare ceci :

La détermination de la politique générale pertinente est une question d'interprétation. Dès lors, il incombe en fin de compte à la Cour de le faire. À cette étape de l'analyse, aucun fardeau ne pèse sur l'une ou l'autre des parties. Toutefois, dans une perspective pratique, le ministre doit faire beaucoup plus que de citer simplement le texte du paragraphe 245(4), et d'alléguer qu'il y a eu abus. Le ministre doit énoncer la politique générale en mentionnant les dispositions de la Loi ou les moyens extrinsèques sur lesquels il s'appuie. Sinon, il place le contribuable et la Cour dans la position difficile d'essayer de deviner la politique pertinente en cause. Tenter de déterminer la politique générale qui sous-tend une disposition particulière ou une loi lue, dans son ensemble, dans le cas d'une loi aussi complexe que la Loi de l'impôt sur le revenu est une tâche difficile, surtout lorsque l'opération en question est conforme à la lettre de la Loi. Par conséquent, la Cour a besoin de l'aide des parties pour lui permettre de tirer la bonne conclusion. Néanmoins, avec ou sans cette aide, la Cour doit tenter de déterminer la politique générale pertinente. Évidemment, à l'étape suivante, dès lors que la politique générale a été déterminée, il incombera au contribuable de prouver les faits nécessaires pour réfuter les présomptions du ministre selon lesquelles l'opération d'évitement en question donne lieu à un abus.

[99]     L'intimée a cité l'affaire Water's Edge Village Estates (Phase II) Ltd. pour appuyer son argument selon lequel, si les dispositions révèlent clairement la politique qui les sous-tend, alors aucune preuve extrinsèque n'est requise. L'intimée s'est appuyée sur les commentaires qu'a émis le juge Noël au paragraphe 48 et qui sont ainsi rédigés :

D'ailleurs, l'objet et l'esprit des dispositions applicables sont tellement limpides que je me suis demandé, lors de l'instruction du présent appel, si c'était à bon droit que le juge de la Cour de l'impôt avait conclu - et que le ministre avait concédé que, lorsqu'on l'interprétait en faisant abstraction de l'article 245, la Loi permettait à Klink de déduire la perte finale. Il existe un certain nombre de décisions dans lesquelles, dans un contexte qui offre certaines ressemblances avec la présente espèce, la Cour a donné au libellé de la Loi un sens distinct en raison de l'objet et de l'esprit de la Loi (voir les décisions Lea-Don, précitée, Allied Farm Equipment Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1972] C.F. 263 (C.A.); Oceanspan Carriers Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 171 (C.A.); et Holiday Luggage Mfg. Co. c. Canada, [1987] 2 C.F. 249 (1re inst.)). Dans toutes ces décisions, la Cour a, en se fondant sur l'économie de la Loi ou sur son objet et son esprit, refusé d'étendre l'application de la Loi à des personnes qui n'étaient pas légalement assujetties à l'impôt.

[100] Bien que ces remarques semblent appuyer l'argument de l'intimée selon lequel, dans certaines situations, une preuve extrinsèque n'est pas requise, le juge Noël, en faisant cette déclaration, s'est fondé sur des faits qui n'étaient pas visés par cette disposition. Il a examiné les objectifs du système de l'ADRC dans leur ensemble avant de déterminer quelle était la politique. Je n'admets pas que ces remarques visaient à formuler une déclaration générale pouvant annuler l'approche du juge Rothstein dans l'affaire OSFC Holdings Ltd. Dans l'affaire en l'espèce, je ne crois pas que la politique est aussi limpide que le prétend l'intimée et, dans un tel cas, les avocats de l'intimée sont tenus de renvoyer la Cour à des éléments matériels qui pourraient m'aider à déterminer quelle est la politique qui sous-tend ces dispositions.

[101] Puisque l'intimée ne m'a fourni qu'une reformulation de ce que les dispositions énoncent, je pourrais simplement conclure qu'il n'y a pas eu d'abus. Cependant, les avocats des appelants m'ont renvoyé à des éléments matériels externes pour m'aider à établir la politique.

[102] On m'a notamment renvoyé à un commentaire qu'ont émis M. Krishna et M. Stikeman en vue d'appuyer leur assertion selon laquelle la politique qui sous-tend l'alinéa 85(1.1)f) vise à empêcher un négociant à l'égard d'un bien immeuble de convertir un revenu en gains en capital. Ainsi V. Krishna, dans l'ouvrage intitulé Krishna's The Fundamentals of Canadian Income Tax (6e édition), à la page 940 explique ce qui suit :

                   [traduction]

                   (a) Inventaire

L'exclusion des biens immeubles à porter à l'inventaire comme biens admissibles vise à empêcher un négociant d'un bien immeuble de convertir un revenu d'entreprise en gains en capital en vendant ledit bien à porter à l'inventaire à une société puis de vendre les actions de la société en vue de réaliser un gain en capital. De toute façon, la conversion d'un revenu d'entreprise en un gain en capital échouerait probablement. Cependant, le paragraphe 85(1) souligne cette certitude en prévoyant une interdiction absolue de procéder au transfert libre d'impôt d'un bien immeuble à porter à l'inventaire.

            La distinction qui existe entre une immobilisation et un bien à porter à l'inventaire dépend de l'intention du contribuable qui dispose du bien. Par conséquent, il peut être difficile de déterminer avec certitude si les biens immeubles sont admissibles à un transfert libre d'impôt aux termes du paragraphe 85(1). Étant donné que la qualification de gains immobiliers dépend des circonstances de fait relatives à la propriété, il n'est pas possible d'obtenir une décision anticipée auprès de l'ADRC quant au statut du bien. En cas de doutes, il peut être préférable de ne pas transférer le bien immeuble qui pourrait ultérieurement être considéré au titre d'un bien à porter à l'inventaire.

M. Stikeman, dans son analyse de l'alinéa 85(1.1)f) qu'il fournit dans le document intitulé Canada Tax Service, explique ce qui suit :

[traduction]

On estimait probablement que l'exclusion des biens immeubles était requise en vue d'empêcher un négociant de biens immeubles de transférer un bien à porter à l'inventaire à une société en vertu du paragraphe 85(1) et de vendre, par la suite, les actions de cette société, ce qui pourrait, de façon efficace, permettre la conversion d'un revenu en un gain en capital. Cependant, selon la jurisprudence, dans de telles circonstances, la vente d'actions aurait pour effet de générer un revenu et non un gain en capital et, qui plus est, pourrait donner lieu à une récupération de la déduction pour amortissement réclamée à l'égard du bien immeuble visé. Voir Fraser v. Minister of National Revenue, [1964] C.T.C. 372, Belle-Isle c. Ministre du Revenu national, [1966] R.C.S. 354 ((1966) C.T.C. 85); Gibson Brothers Industries Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1972] C.F. 501 ((1972) C.T.C. 221 (C.F. 1re inst.)); Burgess et al v. MNR, [1973] C.T.C. 59 et Dumas c. Ministre du Revenu national, [1989] 2 C.F. 58 ([1989] 1 C.T.C. 52) (voir également le commentaire au chapitre 9 intitulé « Real Estate Profits Realized through the Sale of Shares » ( « bénéfices immobiliers tirés de la vente d'actions » ). Dans certaines affaires susmentionnées, on peut laisser entendre que le transfert d'actions, dans de telles circonstances, peut essentiellement consister en un transfert de biens immeubles à porter à l'inventaire et que, par conséquent, il s'agit de biens inadmissibles en vertu du paragraphe 85(1). Voir aussi le commentaire portant sur l'article 54.2. (C'est moi qui souligne.)

[103] Ainsi, ces deux commentaires conviennent que l'objectif de la restriction relative aux biens immeubles à porter à l'inventaire prévue au paragraphe 85(1) vise à empêcher un négociant de biens immeubles de convertir un revenu en des gains en capital. Selon les faits qui m'ont été présentés, la planification fiscale visait-elle à convertir un revenu d'entreprise en des gains en capital? De toute évidence, ce n'est pas ce qui s'est produit dans l'affaire en l'espèce. Le transfert à la société de personnes Varna, tout comme le transfert de la participation dans la société à la société Lobro Stables, a donné lieu au report d'un revenu d'entreprise imposable. De même, en bout de ligne, lors de la disposition du bien par la société Lobro Stables à la société 643288, le revenu tiré a été déclaré à titre de revenu d'entreprise. D'ailleurs, les déclarations de revenus ainsi que le témoignage de M. Hill le démontrent. Dans l'affaire en l'espèce, il n'y a eu aucune conversion d'un revenu d'entreprise en des gains en capital. Il me semble que ce point de vue est davantage cohérent avec les objectifs de la politique qui sous-tend les dispositions de la Loi.

[104] Hormis l'absence d'une preuve extrinsèque quelconque ou les éléments matériels que l'intimée m'a présentés, j'admets ces commentaires qui établissent quelle est la politique qui sous-tend ces dispositions de la Loi. Si la politique avait été limpide, on n'aurait pas recueilli ces commentaires qu'ont formulés M. Stikeman et M. Krishna. L'affirmation la plus éloquente est la suivante : si la politique était aussi limpide qu'on le prétendait, alors cette même interdiction aurait pu facilement être incluse dans le paragraphe 97(2), ce qui n'a pas été fait.

[105] A-t-on contrevenu à la politique susmentionnée? La politique qui sous-tend l'alinéa 85(1.1)f) vise à empêcher un négociant de biens immeubles de convertir un revenu en gains en capital. Ainsi, les faits laissent-ils entendre que les appelants ont contrevenu à cette politique? Non, ils n'y ont pas contrevenu. Toutes les sommes tirées du bien Harrison ont été déclarées à titre de revenu à chaque étape des procédures. Il n'y a eu aucun abus dans l'application des dispositions parce que les appelants n'ont pas contrevenu à la politique visant à empêcher la conversion d'un revenu en gains en capital.

[106] Lorsque l'on examine les faits en particulier, ils laissent entendre qu'il n'y a eu aucun abus dans l'application des dispositions de la Loi. L'objectif de l'exclusion d'un terrain d'un inventaire selon la définition de « bien admissible » au paragraphe 85(1.1) vise à empêcher un contribuable de convertir en des gains en capital ce qui autrement serait un revenu en appliquant le paragraphe 85(1). Dans l'affaire en l'espèce, le gain tiré de la vente du bien Harrison a été déclaré à titre de revenu et non à titre de gain en capital. Par conséquent, la politique qui sous-tend les dispositions de la Loi n'a pas été enfreinte et, comme corollaire, il n'y a eu aucun abus.

[107] Dans le cadre de mon analyse de la RGAÉ, la dernière question consiste à savoir s'il y a eu abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.

[108] Selon la position de l'intimée, le système fiscal canadien est fondé sur le calcul de l'impôt pour chaque contribuable de façon distincte. La politique de la Loi interdit le partage du revenu (selon Mersey Docks & Harbour Board v. Lucas, (1882-83) 8 A.C. 891 (H.L.) et Woodward's Pension Society v. M.N.R., 59 DTC 1253 à la page 1261 et confirmé par 62 DTC 1002). Les avocats se sont ensuite fondés sur les propos du juge Rothstein dans l'affaire OSFC Holdings Ltd. selon lesquels la politique générale qui sous-tend la Loi interdit l'échange de pertes entre sociétés, sous réserve de certaines exceptions. L'intimée a fait valoir que, peu importe s'il s'agit d'une perte ou d'un bénéfice, il n'existe aucune différence entre les deux. Les avocats ont alors combiné ces assertions pour faire valoir que le terme « perte » est interchangeable avec le terme « bénéfice » et ont déduit qu'un échange de bénéfices est par conséquent interdit en vertu de la Loi.

[109] Quant aux avocats des appelants, ils ont soutenu que la décision OSFC Holdings Ltd. se distingue de l'affaire en l'espèce pour le motif que les appelants n'ont liquidé aucune perte.

[110] Dans le cadre de leur argument, les avocats de l'intimée ont renvoyé la Cour aux affaires Woodward's Pension Society et Mersey Docks & Harbour Board (affaire sur laquelle s'appuie la décision Woodward's Pension Society) comme faisant autorité relativement à l'assertion selon laquelle le partage du revenu est interdit en vertu de la Loi. L'affaire Woodward's Pension Society porte sur la question de savoir si un but prédestiné visant à générer un éventuel revenu peut modifier l'assujettissement à l'impôt de ce revenu. Les deux décisions précitées portaient sur des sociétés sans but lucratif qui généraient des bénéfices en vue de distribuer leurs revenus d'une manière conforme à leurs objectifs. Les Cours ont soutenu qu'en dépit du noble destin des bénéfices, il n'en demeurait pas moins qu'il s'agissait de profits de la société sans but lucratif et, par conséquent, qu'un impôt était payable sur le revenu. Après avoir lu les affaires en question, je ne vois pas comment l'intimée peut dégager des commentaires quelconques qui appuient l'assertion selon laquelle le partage des profits est interdit. Je suis également d'avis que son interprétation de l'affaire OSFC Holdings Ltd. est viciée. De toute évidence, la décision OSFC Holdings Ltd. interdit l'échange de pertes. Toutefois, je n'étendrai pas la portée des principes énoncés dans l'affaire OSFC Holdings Ltd. concernant l'échange de pertes pour conclure que le partage des profits est interchangeable avec l'échange de pertes. Rien, dans la décision OSFC Holdings Ltd., ne fait allusion à une telle substitution. La situation de fait dans l'affaire OSFC Holdings Ltd. est tout à fait différente de celle en l'espèce. Elle porte sur des étrangers qui ont acquis des entités sur le plan fiscal ayant tiré partie de pertes qu'avaient subies d'autres entités. La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire OSFC Holdings Ltd., en concluant que l'échange de pertes entre sociétés est contraire à la politique générale de la Loi, déclare que la politique actuelle vise à permettre les remboursements ou le transfert de pertes sur une base strictement contrôlée. Notamment, au paragraphe 94 de cette décision, la Cour déclare ceci :

[...] La remboursabilité traite de manière symétrique les pertes et les bénéfices annuels. Elle améliore le traitement neutre du point de vue fiscal. La remboursabilité élimine la discrimination à l'encontre des entreprises qui font face à des risques de marché plus importants et dont les bénéfices sont plus volatiles que les entreprises qui sont dans des secteurs présentant moins de risques. Elle pourrait aussi améliorer la compétitivité et l'efficience des marchés en facilitant l'accès des entreprises aux différents secteurs d'activité, de même que leur retrait. (C'est moi qui souligne)

[111] Le partage des gains est autorisé dans une certaine mesure. D'autres éléments de preuve démontrent que le partage des profits n'est pas interchangeable avec l'échange de pertes, parce qu'elles sont actuellement traitées tout à fait différemment aux termes de la Loi.

[112] De même, d'autres sources additionnelles appuient cette conclusion. À cet égard, M. Krishna a formulé un commentaire pertinent en l'espèce. Selon lui, un transfert libre d'impôt d'un bien en vertu de l'article 85 qu'effectue un particulier à une société est, en règle générale, acceptable. En particulier, M. Krishna explique ceci :

[traduction]

7. - Article 85 : Transfert libre d'impôt à des sociétés liées

Supposons qu'un particulier possède un bien qui comporte un gain en capital non matérialisé et qu'il souhaite le vendre à un tiers. Ce même particulier est également propriétaire d'une corporation liée avec une perte en capital nette. S'il vend directement le bien à un tiers, il réalisera un gain en capital. Pour éviter ce gain, le bien est donc transféré à la corporation liée du particulier avec report de l'impôt en vertu du paragraphe 85(1). La corporation liée vend ensuite le bien au tiers et porte le gain en capital imposable qui en découle en déduction de sa perte en capital nette.

De toute évidence, une telle opération est motivée par des considérations fiscales et, en soi, constituerait une opération d'évitement. Cependant, l'ADRC ne considère pas que le transfert d'une bien à une corporation liée avec report de l'impôt contrevient à l'objet et à l'esprit de la Loi. Étant donné que le paragraphe 69(11) ne permet pas à une personne de transférer un bien à une corporation non liée avec report de l'impôt lorsqu'il est prévu que la corporation non liée vendra le bien et réduira le montant du gain en soustrayant le montant des pertes ou des déductions semblables auxquelles elle a droit, l'Agence déduit que « [...]Le paragraphe permet donc implicitement de transférer un bien à une corporation liée d'une façon qui permet de différer l'impôt. » *

L'Agence n'aborde pas la question plus générale qui consiste à savoir si le regroupement du revenu et des pertes d'un groupe corporatif lié est conforme au mécanisme général de la Loi en ce qui concerne la déclaration de bénéfices consolidés à des fins fiscales, ce qui peut laisser sous-entendre qu'en appliquant la RGAÉ, l'ADRC se préoccupera probablement moins du mécanisme général de la Loi lue dans son ensemble, mais davantage de l'abus dans l'application de dispositions législatives précises.

* IT-9, « Loss Consolidation within a Corporate Group » (Consolidation des pertes au sein d'un groupe corporatif) (le 10 février 1997)[1].

(C'est moi qui souligne.)

[113] On peut renvoyer les commentaires ci-dessus à un exemple qui figure dans le Circulaire d'information 88-2 intitulé « Disposition générale anti-évitement » -article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu auquel les appelants ont renvoyé la Cour. Ce circulaire présente l'exemple d'un particulier qui transfère un bien à une corporation liée de manière à ce que les gains tirés de la vente puisse être portés en déduction des pertes de la société :

9. - Faits

Une personne a un bien qui comporte un gain en capital non matérialisé et elle souhaite vendre ce bien à un tiers. Une corporation liée a une perte en capital nette. Au lieu de vendre le bien directement au tiers et de réaliser un gain en capital, la personne transfère le bien à la corporation liée et elle choisit, en vertu du paragraphe 85(1) de différer la reconnaissance du gain. La corporation liée vend le bien au tiers et elle réduit le gain en capital imposable qui en découle en soustrayant le montant de sa perte en capital nette.

Interprétation

Le paragraphe 69(11) ne permet pas à une personne de transférer un bien à une corporation non liée avec report de l'impôt lorsqu'il est prévu que la corporation non liée vendra le bien et réduira le montant du gain en soustrayant le montant des pertes ou des déductions semblables auxquelles elle a droit. Le paragraphe permet donc implicitement de transférer un bien à une corporation liée d'une façon qui permet de différer l'impôt. Dans les circonstances visées, un transfert de ce genre serait acceptable puisqu'il est conforme à l'esprit de la Loi.

(C'est moi qui souligne.)



      

[114] Je conclus que la règle générale qui interdit l'échange de pertes n'a aucune règle équivalente lorsqu'il s'agit du partage des bénéfices.

[115] Dans l'affaire Jabs Construction Limited c. La Reine, C.C.I., no 98-827(IT)G, 24 juin 1999 (99 DTC 729), le juge en chef adjoint Bowman qualifie l'article 245 de « sanction extrême » . Au paragraphe 48, il déclare ceci :

[...] Cela ne doit pas être utilisé de façon routinière chaque fois que le ministre est mécontent du simple fait qu'un contribuable structure une opération d'une manière fiscalement efficace ou ne structure pas une opération d'une manière qui optimalise l'impôt.

[116] De même, dans l'arrêt Geransky c. La Reine, C.C.I., no 98-2383(IT)G, 19 février 2001 (2001 DTC 243), le juge en chef adjoint Bowman déclare au paragraphe 42 :

En termes simples, le fait d'utiliser des dispositions particulières de la Loi de l'impôt sur le revenu dans le cadre d'une opération commerciale et de les appliquer conformément à leur libellé ne constitue pas un abus. [...]

[117] Ces commentaires s'appliquent également aux présents appels. Les contribuables sont libres de structurer leurs opérations d'une manière fiscalement efficace réduisant ainsi l'impôt qui, autrement, serait payable, ce que les appelants en l'espèce ont fait.

[118] Les appelants ont conclu un marché avec un partenaire commercial de longue date. Ils ont d'abord communiqué avec le bureau de leur conseiller fiscal. Ce dernier a appliqué les dispositions de la Loi en se référant à une association et à des sociétés qui existaient déjà en vue de structurer l'entente qu'ont conclue les appelants avec M. Drewlo d'une manière qui soit le plus fiscalement efficace. Les opérations étaient conformes aux pratiques commerciales usuelles et ont été effectuées pour des objets véritables (extrait de l'approbation de la Cour dans l'affaire Fording mise en application dans l'affaire Novopharm), ce qui ne constitue pas un abus dans l'application des dispositions de la Loi. Elles ont simplement été mises en application conformément à l'objet véritable pour lequel elles ont été conçues.

[119] Ce n'est que par nécessité et en dernier recours que l'on peut modifier une relation juridique légitime par l'application de l'article 245.

Quatrième question en litige :     La renonciation qu'a reçue l'ADRC au nom de Harry est-elle une renonciation valide et effective?

[120] En vertu du paragraphe 152(4) de la Loi, le délai de trois années pour établir une nouvelle cotisation à l'égard de Harry pour l'année d'imposition 1993 devait prendre fin le 1er septembre 1997. Le 12 août 1997, le vérificateur a fait parvenir une lettre à Harry lui demandant de produire une renonciation. Une copie conforme a également été envoyée à son comptable. Le 20 août 1997, la lettre originale qu'avait envoyée le vérificateur à Harry accompagnée d'une renonciation signée datée du 16 août 1997 a été renvoyée au vérificateur. Ce dernier n'a pas vérifié la signature sur la renonciation. La signature qui apparaît sur le document n'est pas celle de Harry, mais il a été admis, à l'audience, qu'il s'agissait de celle de son frère Frank. Harry n'était pas dans la province au cours de cette période. Quant à Frank, il avait auparavant travaillé pour le compte de l'entreprise Walloy pendant des années et a, à l'occasion, signé les chèques de paye des employés pendant cette période en l'absence de Harry. Le comptable s'est rappelé avoir reçu une copie de la lettre demandant que l'on produise une renonciation, mais il ne se souvient pas d'avoir discuté avec Harry à ce sujet et n'a aucune note à cet effet.   

[121] Selon les appelants, cette renonciation est invalide parce que Harry n'a pas signé le formulaire, il n'était pas dans la province à ce moment-là, il n'a jamais reçu personnellement cette lettre et il n'y a aucune preuve qui démontrerait qu'il était au courant ou qu'il avait pris connaissance de la renonciation. Son frère Frank a signé le formulaire en son nom, mais il n'était pas autorisé à le faire. Frank n'avait plus aucun pouvoir de signature depuis plusieurs années. James Atkinson, vérificateur à l'ADRC, aurait dû vérifier la signature figurant sur la renonciation puisqu'il avait en sa possession d'autres documents qu'il pouvait utiliser aux fins de comparaison. Dans l'affaire Mitchell c. La Reine, 2002 CAF 407, la Cour d'appel fédérale discute des renonciations. La décision que la Cour a rendue appuie l'opinion selon laquelle le contribuable doit être mis au courant pour qu'une renonciation soit efficace. Harry n'en était pas au courant.

[122] Selon l'intimée, la préclusion juridique empêche Harry d'alléguer que la renonciation n'est pas valide parce qu'il y est lié par la signature de Frank. Par conséquent, l'ADRC est en possession d'une renonciation valide et elle peut établir une nouvelle cotisation en dehors du délai. Le vérificateur a agi de façon appropriée en authentifiant la renonciation, et il était raisonnable que l'ARDC se fonde sur ce document. La renonciation demandée a été retournée plusieurs jours après la date de réception, et l'agent de l'ADRC n'est aucunement tenu de vérifier chaque signature. Il s'est conformé à toutes les exigences en matière de diligence raisonnable.

[123] Selon le règlement des trois premières questions en litige auquel je suis parvenue, il n'est pas nécessaire que je procède à une analyse ou que je rende une décision en ce qui concerne la renonciation. Cependant, j'aimerais formuler un bref commentaire concernant les arguments que m'ont présentés les avocats des appelants et de l'intimée. L'affaire Mitchell, à laquelle les avocats des deux parties ont renvoyé la Cour, bien qu'elle fournisse un aperçu des renonciations en général, met surtout l'accent sur les renseignements que contenait la renonciation, et la question dont la Cour était saisie consistait à déterminer si certaines lettres équivalaient à une renonciation efficace. La question en l'espèce porte sur la signature figurant sur la renonciation et non sur les renseignements que contenait le formulaire. Par conséquent, je suis d'avis que l'affaire Mitchell ne s'est pas avérée particulièrement utile.

[124] Une renonciation consiste en un accord consensuel entre le contribuable et la Couronne visant à retarder le processus d'établissement d'une cotisation et à permettre aux parties de négocier une décision relativement à la responsabilité éventuelle. Le formulaire en soi (onglet 32 de la pièce A-1) contient un paragraphe qui est ainsi rédigé :

La renonciation doit être signée par le contribuable ou son représentant légal [...]

[125] Les faits ont révélé que Harry n'a pas signé la renonciation et, à cet égard, non seulement son frère n'était pas son représentant, mais il n'était certainement pas son représentant légal ou autre.

[126] Les mesures qu'a prises M. Atkinson étaient raisonnables dans les circonstances lorsqu'il a admis la renonciation signée sans procéder à une vérification plus approfondie. Toutefois, je ne considère pas que le document en question soit une renonciation valide, notamment lorsque, dans le formulaire, il est précisément énoncé que la renonciation doit être signée par le contribuable ou par son représentant légal.

Conclusion

[127] Les appels sont admis avec dépens et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations au motif que les première et deuxième nouvelles cotisations établies pour l'année d'imposition 1993 sont annulées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d'avril 2003.

« Diane Campbell »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme,

ce 17e jour de mars 2004.

Nancy Bouchard, traductrice



[1] V. Krishna, Krishna's The Fundamentals of Canadian Income Tax, 6e édition (Toronto, Carswell, 2000), aux pages 906 et 907.

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