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Dossier : 2005‑924(IT)I

ENTRE :

ALAN BELKIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 17 août 2005, à Montréal (Québec).

 

Devant l’honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocate de l’intimée :

Suzanne Morin

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

       L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2001 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en conformité avec les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de décembre 2005.

 

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de janvier 2008

 

Danièle Laberge, LL.L.


 

 

 

 

Référence : 2005CCI785

Date : 20051207

Dossier : 2005-924(IT)I

ENTRE :

ALAN BELKIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre Proulx

 

[1]     Il s’agit d’un appel interjeté sous le régime de la procédure informelle à l’égard de l’année d’imposition 2001.

 

[2]     La question en litige porte sur le sens des termes « instrument de musique » contenus à l’alinéa 8(1)p) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») qui est rédigé comme suit :

 

8(1)      Éléments déductibles. Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

 

[…]

 

(p)        lorsque le contribuable occupe au cours de l’année un emploi de musicien et que ses conditions de travail prévoient qu’il doit fournir un instrument de musique pendant une période de l’année, le montant, à concurrence du revenu qu’il tire de cet emploi pour l’année – calculé compte non tenu du présent alinéa – égal au total des éléments suivants :

 

(i)         les dépenses qu’il effectue avant la fin de l’année pour entretenir, louer ou assurer l’instrument de musique pendant cette période, dans la mesure où ces dépenses ne sont pas déduites par ailleurs dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition,

 

(ii)        la déduction pour amortissement applicable à l’instrument de musique, pour le contribuable, autorisée par règlement;

 

[3]     L’appelant a demandé une déduction pour amortissement de 2 088 $ pour un ordinateur, à titre de dépense dans le calcul de son revenu d’emploi.

 

[4]     Pour établir la cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre ») s’est fondé sur les hypothèses de fait décrites de la façon suivante au paragraphe 6 de la Réponse à l’avis d’appel (la « Réponse ») :

 

          [traduction]

a)         L’appelant est un musicien professionnel et il occupe un emploi de professeur de musique à l’Université de Montréal (ci-après appelée l’« employeur »).

 

b)         Les fonctions relatives à son emploi incluent la recherche dans le domaine de la musique et à cet égard l’appelant oriente spécialement sa recherche sur la composition et l’interprétation de musique sur ordinateur.

 

c)         Le formulaire T2200, « Déclaration des conditions de travail », rempli par l’employeur et présenté par l’appelant, montre ce qui suit :

 

i)          Entre janvier 2001 et décembre 2001, l’appelant exécute à sa résidence certaines de ses conditions de travail;

 

ii)         l’appelant n’obtient aucun remboursement pour ses dépenses;

 

iii)         l’appelant ne reçoit aucun remboursement pour les « frais de recherche en simulation informatique »;

 

iv)        l’appelant doit fournir une partie de sa résidence et les fournitures nécessaires, pour lesquelles il n’obtiendra aucun remboursement.

 

d)         Pour faire de la recherche en simulation informatique, l’appelant a acheté un ordinateur Macintosh PC200.

 

e)         La recherche en simulation informatique à laquelle se livrait l’appelant consistait à faire des compositions et à jouer par ordinateur ses compositions.

 

f)          L’employeur, en plus d’exiger que l’appelant fournisse une partie de sa résidence pour son travail, met à la disposition de l’appelant un bureau et un ordinateur à l’Université même.

 

g)         L’ordinateur Macintosh PC200 est un ordinateur d’utilisation générale qui peut être utilisé pour d’autres fonctions comme le traitement de texte et la messagerie électronique, en plus de servir à la production et à la composition de musique.

 

h)         Le Macintosh PC200 est un ordinateur et il ne peut être considéré comme un instrument de musique.

 

[5]     L’appelant a expliqué qu’il est un compositeur et un professeur de musique à l’Université de Montréal (l’« Université »). Il travaille de façon permanente à titre de professeur à la Faculté de musique depuis 1982. En 2001, il est devenu professeur titulaire.

 

[6]     L’appelant a déclaré que, pour les cours qu’il donne en composition, en harmonie, en contrepoint et en orchestration, il est nécessaire d’utiliser un ordinateur.

 

[7]     En 1982, lorsque l’appelant a fini son doctorat à The Juilliard School à New York, il était tout à fait hors de question de faire des études sur l’utilisation des ordinateurs. Toutefois, The Juilliard School a maintenant des laboratoires pour la simulation d’orchestre par ordinateur.

 

[8]     L’appelant a déclaré que de nos jours l’utilisation d’un ordinateur est dans de nombreux cas une partie essentielle de la création musicale. On utilise aussi très souvent des ordinateurs pour reproduire des sons au théâtre et au cinéma.

 

[9]     Il a reconnu, comme cela est mentionné dans la Réponse, que l’Université a ses propres ordinateurs. Toutefois, l’appelant, s’il n’avait pas son propre ordinateur à la maison, serait incapable d’enseigner puisqu’il ne pourrait pas enseigner ce qu’il ne pratique pas.

 

[10]    En 2001, l’appelant avait un seul ordinateur. Il l’utilisait pour d’autres fins que la musique. Il a maintenant plusieurs ordinateurs, dont deux ne sont utilisés que pour la composition ou la création de musique.

 

[11]    L’appelant a expliqué que l’enseignement est un élément important des fonctions d’un professeur d’université, mais qu’un professeur doit également consacrer une portion importante de son temps à la recherche qui, dans son cas, est axée sur la composition et l’orchestration par ordinateur.

 

[12]    L’appelant a déposé comme pièce A‑1 une liste de ses publications depuis 1988, à savoir :

 

·        « From Unchained Melody to 76 Trombones », un article paru dans le magazine Keyboard.

·        « Orchestration, Perception, and Musical Time », un article paru dans le Computer Music Journal.

·        « Midi Chamber Music », un article paru dans Musicworks.

·        « L’usage de l’ordinateur dans l’enseignement musical », un article paru dans la Revue de l’éducation musicale au Québec.

·        « Music Notation Software », un article paru dans le Computer Music Journal.

 

[13]    L’appelant agit également comme conseiller auprès de sociétés qui produisent des logiciels de musique. Il considère cette activité comme une partie de l’élément recherche de son travail à l’Université.

 

[14]    Il a écrit un texte en direct intitulé « Improving Orchestral Simulation through Musical Knowledge ». Ce texte a été déposé par l’avocate de l’intimée en tant que partie de la pièce I-2. On peut y lire ce qui suit :

 

          [traduction]

La simulation de l’orchestre par ordinateur a maintenant atteint un nouveau stade : la mémoire de force brute et la vitesse de traitement sont maintenant appropriées pour un travail de grande qualité. Cependant, comme la qualité, la variété et la dimension des bibliothèques d’échantillonnage disponibles augmentent, les limites principales sont d’ordre musical :

 

·   manque d’habileté pour choisir et contrôler les nombreux sons disponibles

·   connaissance inadéquate à l’égard des instruments acoustiques

·   connaissance inadéquate à l’égard de l’exécution musicale

·   manque de facilité pour utiliser des interfaces de contrôle suffisamment précises

 

[…]

 

 

Simulation orchestrale

 

Des récents développements en technologie informatique ont rendu possible une simulation passablement réaliste d’un orchestre. Une telle simulation est très courante pour la musique de film et peut être utilisée comme un outil pédagogique valable étant donné qu’il est très rare qu’un étudiant ait un accès suffisant à de véritables ensembles nécessaires pour expérimenter toutes les idées. En outre, la simulation permet d’apprendre plus facilement à la suite des erreurs commises qu’il serait possible de le faire avec un véritable ensemble, dans lequel le travail très fin de reconstitution et d’impression des partitions corrigées rend impossible l’essai immédiat de différentes versions.

 

Arguments

 

[15]    L’appelant a déclaré qu’il ne pouvait exercer ses activités d’enseignement, de publication et de consultation portant sur la composition et l’orchestration de musique sans avoir son ordinateur.

 

[16]    L’appelant a soutenu que des professionnels du domaine de la musique qui créent des trames sonores de films ou produisent de la musique électroacoustique utilisent des ordinateurs pour effectuer leur travail.

 

[17]    Certains sons ne peuvent être produits qu’en utilisant un ordinateur. Un ordinateur utilisé à des fins musicales est différent d’un ordinateur utilisé pour faire du traitement de texte. L’ordinateur peut créer des sons. Il peut faire à des fins musicales ce qu’un ordinateur ne peut faire pour des œuvres littéraires.

 

[18]    De nombreux logiciels actuellement utilisés remplacent des synthétiseurs. De nos jours, les synthétiseurs sont de moins en moins utilisés étant donné qu’ils prennent la forme de logiciels installés dans un ordinateur.

 

[19]    L’avocate de l’intimée a déclaré qu’il s’agissait essentiellement d’une question d’interprétation de la Loi.

 

[20]    L’avocate a renvoyé à l’ouvrage de Pierre‑André Côté, Interprétation des lois, 3éd., (Thémis, 1999), et plus particulièrement à la page 330 :

 

[…]

 

Comme on présume que l’auteur de la loi entend être compris des justiciables […], la loi est réputée être rédigée selon les règles de la langue en usage dans la population.

 

En particulier, il faut présumer que le législateur entend les mots dans le même sens que le justiciable, que « monsieur tout le monde ». […]

 

[21]    L’avocate a en outre renvoyé au paragraphe 12 de l’arrêt Shaklee Canada Inc. c. Canada, [1995] A.C.F. no 1670 (QL), de la Cour d’appel fédérale.

 

12        Toutefois, à l’instar du juge de première instance, je ne suis pas convaincu que la définition du mot aliment ait évolué, même pour les membres jeunes de la société canadienne, au point d’inclure les vitamines, les minéraux et les fibres. Certes, les premières impressions que donnent les mots ne doivent pas être retenues sans réflexion. Mais certaines impressions premières deviennent des impressions durables. Par conséquent, en l’espèce, le mot aliment tel qu’employé dans la loi ne comprend pas les produits de l’appelante.

 

[22]    L’avocate a renvoyé au Webster’s Ninth New Collegiate Dictionary, de 1985, qui définit un instrument de musique comme un dispositif utilisé pour produire de la musique et à The Canadian Oxford Dictionary, de 1998, qui le définit comme un dispositif pour produire des sons musicaux par vibration, vent et percussion. Dans Le Petit Robert, de 2002, le synthétiseur est désigné comme un instrument de musique contemporain.

 

[23]    Elle soutient que c’est le sens ordinaire des mots, à savoir le sens qu’une personne raisonnable penserait que les mots ont, qui devrait s’imposer. Elle soutient que les instruments de musique et les ordinateurs constituent deux catégories séparées et exclusives.

 

[24]    L’avocate de l’intimée a confirmé par une lettre, immédiatement après l’audition de la présente affaire, que le ministre reconnaît que l’appelant, à titre de professeur de musique, est un musicien au sens de l’alinéa 8(1)p) de la Loi.

 

Analyse et conclusion

 

[25]    Le ministre reconnaît que l’appelant, à titre de professeur de musique, occupe un emploi de musicien. Cependant, le ministre ne peut reconnaître que l’instrument de musique que l’appelant est tenu de fournir selon l’une de ses conditions de travail puisse être un ordinateur.

 

[26]    Il semble plutôt évident qu’un ordinateur ne peut être considéré comme un instrument de musique si l’on aborde l’analyse en comparant les instruments de musique traditionnels comme un piano, un violon ou une harpe avec un ordinateur.

 

[27]    Cependant, une loi peut s’appliquer à des situations qui n’existaient pas au moment de son édiction, si son objet le justifie et si sa formulation ne s’y oppose pas. Je renvoie à l’ouvrage de l’auteur Côté, précité, à la page 340 :

 

 

Dire que l’interprète doit respecter le sens que la loi avait le jour de son adoption ne signifie nullement que l’effet de la loi ne se fait sentir que sur les faits, matériels ou sociaux, qui existaient lors de son adoption. Il faut distinguer le sens d’un terme de sa portée, distinguer le concept signifié par un terme des choses (qu’on appelle parfois référents) que le concept est susceptible d’englober.

 

[...]

 

Non seulement la loi s’applique-t-elle à des faits qui n’existaient pas au moment de son adoption : elle peut également régir des phénomènes dont on ne pouvait pas, au moment de la rédaction de la loi, prévoir la survenance. Si son objet le justifie et si sa formulation ne s’y oppose pas, un texte légal peut être appliqué à des inventions survenues après son adoption. […]

 

[28]    Je crois que, afin de donner effet à l’alinéa 8(1)p) de la Loi, il faut examiner la question du point de vue d’un musicien. Quel outil un musicien utilise-t-il pour enseigner la musique, pour créer des œuvres musicales, pour reproduire des sons musicaux et même pour produire des sons qu’un instrument de musique traditionnel ne peut produire?

 

[29]    L’appelant me dit, et je le crois, qu’un ordinateur est devenu essentiel à ces fins.

 

[30]    L’utilisation d’un instrument de musique requiert normalement de l’artiste de la dextérité, de la sensation et de l’intelligence. La même affirmation n’est pas tout à fait vraie pour l’utilisation d’un ordinateur, bien qu’elle ne soit pas complètement fausse. La dextérité n’est pas requise, mais la sensation et l’intelligence le sont lorsque la création et la production de musique requièrent l’utilisation d’un ordinateur.

 

[31]    À mon avis, la preuve a démontré que les temps ont changé. Ce fait est révélé par l’évolution du type de cours offerts à The Juilliard School comme l’appelant l’a mentionné. Dans le domaine de la musique, on peut maintenant utiliser un ordinateur à des fins artistiques et créatives.

 

[32]    Je conclus que, dans le cas d’une personne qui occupe un emploi de musicien et qui doit selon ses conditions de travail fournir un ordinateur pour enseigner des matières musicales comme la composition et l’orchestration, un ordinateur est visé par le sens d’instrument de musique.

 

[33]    L’appel est par conséquent accueilli.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de décembre 2005.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de janvier 2008

 

Danièle Laberge, LL.L.


RÉFÉRENCE :                                  2005CCI785

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2005-924(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Alan Belkin et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 17 août 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 7 décembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocate de l’intimée :

Suzanne Morin

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Étude :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

 

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