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Dossier : 2004-3351(IT)I

ENTRE :

DARWIN LAUBER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 15 février 2005 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Représentant de l'appelant :

Martin A. Cundall

Avocat de l'intimée :

Me Claude Lamoureux

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

JUGEMENT

       L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2002 est rejeté, selon les motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa (Ontario) ce 16e jour de mars 2005.

« Louise Lamarre Proulx »

La juge Lamarre Proulx

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d'octobre 2005.

Joanne Robert, traductrice


Référence : 2005CCI191

Date : 20050316

Dossier : 2004-3351(IT)I

ENTRE :

DARWIN LAUBER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Cet appel concerne l'année d'imposition 2002. Les parties ont convenu que les faits n'étaient pas en litige. L'avocat de l'intimée a reconnu que les frais juridiques avaient principalement été engagés pour recouvrer des paiements en trop de pension alimentaire faits à l'ancienne épouse de l'appelant.

[2]      Le représentant de l'appelant a fait observer que, conformément à l'alinéa 56(1)c.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi), l'appelant devra indiquer le montant du remboursement des paiements de pension alimentaire dans ses déclarations de revenus des années d'imposition 2003 et 2004, à savoir 2 761 $ pour 2003 et 6 000 $ pour 2004.

[3]      Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre du Revenu national (le ministre) s'est fondé pour établir et confirmer la cotisation sont présentées au numéro 10 de la réponse à l'avis d'appel (la réponse), qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

a)          L'appelant et Mme Maral Torossian (ci-après appelée l' « ancienne épouse » ) se sont mariés le 1er septembre 1984.

b)          L'appelant et son ancienne épouse ont deux enfants, Jason, né le 2 mars 1988, et Jeffrey, né le 22 mai 1992 (ci-après appelés les « enfants » ).

c)          L'appelant et son ancienne épouse ont obtenu un jugement de divorce le 13 janvier 1994.

d)          Aux alentours du 13 janvier 1994, l'appelant a transmis au ministre une copie du consentement aux mesures provisoires et accessoires signé le 15 décembre 1993.

e)          Selon le document susmentionné :

(i)          la garde juridique des deux enfants mineurs a été confiée à l'ancienne épouse de l'appelant;

(ii)         l'appelant devait payer à son ancienne épouse, pour elle et pour leurs deux enfants mineurs, une pension alimentaire de 2 200 $ par mois, qui était payable à l'avance, le premier jour de chaque mois, et dont 1 000 $ allaient aux enfants et 1 200 $, à l'ancienne épouse, afin de couvrir leurs frais personnels et de subsistance; la pension alimentaire devait être indexée chaque année;

(iii)        les deux parties se sont entendues sur ce qui suit :

A.         l'ancienne épouse de l'appelant pouvait travailler et recevoir une rémunération sans réduction de sa pension alimentaire tant que son salaire brut était inférieur à 16 000 $ par année;

B.          l'appelant pouvait réduire la pension alimentaire au profit de son ancienne épouse de 100 $ par mois pour chaque tranche de 2 000 $ de revenu d'emploi dépassant 16 000 $ que touchait son ancienne épouse;

C.         pour l'année d'imposition 1993, chacune des deux parties devait produire une déclaration de revenus. L'ancienne épouse de l'appelant devait déclarer le revenu reçu comme pension alimentaire payée de façon consensuelle et volontaire pour elle et les deux enfants mineurs, et l'appelant avait le droit d'indiquer dans sa déclaration les paiements de pension alimentaire qu'il avait effectués.

f)           Dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 2002, l'appelant a indiqué 8 785 $ comme « autres déductions » .

g)          Dans le cadre d'un programme d'examen, le ministre a sélectionné la déclaration de revenus de 2002 de l'appelant.

h)          Le 18 juillet 2002, le ministre a envoyé une lettre à l'appelant pour lui demander des précisions sur le genre de déduction demandée, de même que des reçus et des pièces justificatives.

i)           Le 19 septembre 2003, le ministre a envoyé une autre lettre à l'appelant pour lui faire savoir que les frais juridiques dont faisaient état les pièces justificatives n'étaient pas déductibles.

j)           Le 25 septembre 2003, le ministre a refusé la déduction de 8 785 $ demandée par l'appelant pour les frais juridiques engagés au cours de l'année d'imposition 2002, car aucune des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.) ch. 1, modifiée (ci-après appelée la « Loi » ) ne permettait la déduction de ces frais.

k)          Dans une lettre envoyée à la Division des appels aux alentours du 8 avril 2004, le représentant de l'appelant a expliqué que les 8 785,04 $ de frais juridiques avaient été engagés principalement pour recouvrer des paiements en trop que l'appelant avait faits à son ancienne épouse par suite de déclarations inexactes de celle-ci relativement à une ordonnance du tribunal.

l)           Une copie d'une lettre de l'avocat de l'appelant, exposant les frais juridiques, était jointe à la lettre susmentionnée.

m)         L'agent des appels de la Section des oppositions a analysé les renseignements ci-dessus et il est arrivé à la même conclusion que la Section de la vérification : les frais juridiques dont faisaient état les pièces justificatives n'étaient pas déductibles.

n)          Les hypothèses de fait présentées aux alinéas 10 k), 10 l) et 10 m) ci-dessus ont d'abord été émises par le ministre dans sa confirmation de la cotisation établie le 25 septembre 2003 pour l'année d'imposition 2002.

[4]      La lettre mentionnée à l'alinéa 10 l) de la réponse, soit une lettre de l'avocat de l'appelant datée du 29 mars 2004, se lit comme suit :

[TRADUCTION]

[...]

Cette lettre a pour objet de confirmer que les frais juridiques que vous avez engagés auprès de notre cabinet se rapportaient principalement au recouvrement de cinq ans de paiements en trop effectués en raison de déclarations inexactes de la part de Mme Torossianrelativement à une ordonnance du tribunal.

Premièrement, toutes les questions concernant la garde et les visites ont été réglées selon les recommandations d'une expertise psychojuridique, qui a été acceptée sans contestation par les deux parties; le règlement de ces questions a donc pris peu de temps. Deuxièmement, le tribunal a rejeté en entier la requête présentée par Mme Torossian pour faire augmenter le montant de sa pension alimentaire, ce qu'aucune des parties n'a contesté et qui a donc pris très peu de temps. Troisièmement, le montant révisé de la pension alimentaire pour enfants a été fixé sur la base du calcul ordinaire des pensions alimentaires pour enfants, ce qu'aucune des parties n'a contesté et qui a donc pris peu de temps. Enfin, l'essentiel des frais se rapportait au traitement de votre requête pour le recouvrement des paiements en trop que vous avez faits à Mme Torossian tous les mois pendant cinq ans conformément à une ordonnance préexistante du tribunal. Les paiements en trop découlaient directement et uniquement de déclarations inexactes faites par Mme Torossian.

[...]

[5]      Le montant des paiements en trop faits de 1998 à juin 2002 s'élève à 22 562,62 $. L'avocat de l'appelant a déposé une requête à cet égard le 6 août 2002.

[6]      Cette requête est mentionnée dans le consentement à la modification des mesures accessoires ratifié par un jugement de la Cour supérieure rendu le 2 juillet 2003. Je cite le passage pertinent de ce consentement :

[TRADUCTION]

ATTENDU QUE la requête du demandeur est datée du 30 avril 2002 et qu'elle vise la révision de la pension alimentaire pour enfants payable par le défendeur en application des lignes directrices;

Arguments

[7]      Les raisons présentées dans l'avis d'appel de l'appelant reflètent bien les arguments utilisés par le représentant de l'appelant à l'audience. Ces raisons sont les suivantes :

[TRADUCTION]

1.          Pour être déductibles, les frais juridiques doivent avoir été engagés pour tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (alinéa 18(1)a)). Il ne doit pas s'agir de frais personnels ou de subsistance (alinéa 18(1)h)).

2.          Les paiements en trop découlant d'une déclaration inexacte du revenu par l'ancienne épouse de M. Lauber créaient un droit de recouvrement chaque fois qu'un tel paiement était fait. Les frais juridiques se rapportaient donc à l'exercice d'un droit existant déjà, et non pas à la création d'un droit.

3.          M. Lauber doit inclure le montant recouvré dans son revenu conformément à l'alinéa 56(1)c.2).

4.          Comme il est expliqué dans le numéro 24 des Nouvelles techniques de l'impôt sur le revenu, les frais juridiques engagés pour obtenir une pension alimentaire sont considérés comme déductibles parce qu'ils se rapportent à l'exercice d'un droit existant déjà. Le recouvrement d'un paiement en trop correspond aussi à l'exercice d'un droit préexistant; les frais s'y rapportant devraient donc être déductibles. Les observations formulées dans le numéro 24 des Nouvelles techniques de l'impôt sur le revenu découlent de la décision rendue dans l'affaire Gallien v. The Queen, 2000 DTC 2514. Dans le jugement rendu dans cette affaire, le juge cite avec approbation le raisonnement employé dans l'affaire Evans c. M.R.N. ((1960) RCS 391) qui autorise la déduction des frais juridiques engagés pour recouvrer un montant dû.

5.          La déduction des frais est conforme à la structure fondamentale de la Loi de l'impôt sur le revenu, selon laquelle seul le revenu net peut être imposé, comme il est indiqué à l'article 3. Il est manifestement inéquitable d'exiger l'inclusion d'un montant dans le revenu, mais de refuser la déduction des dépenses engagées pour produire ce revenu. La dépense a été engagée pour produire un revenu et, à tous égards, elle ne peut pas être différenciée des frais engagés pour obtenir une pension alimentaire.

6.          Pour toutes ces raisons, nous estimons que la dépense devrait être déductible.

[8]      L'avocat de l'intimée a attiré l'attention de la Cour sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Nadeau c. M.R.N. (C.A.F.), [2003] A.C.F. no 1611 (Q.L.), en particulier sur ce qui suit :

14         Une jurisprudence constante reconnaît depuis plus de 40 ans que le droit à une pension alimentaire lorsqu'établi par un tribunal est un « bien » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi et que le revenu issu d'une telle pension constitue entre les mains de la personne qui la reçoit un revenu de bien (voir en particulier les affaires Boos v. Minister of National Revenue (1961), 27 Tax A.B.C. 283; R. c. Burgess, supra; Bayer c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2304 (C.C.I.); Evans v. Minister of National Revenue, [1960] R.C.S. 391 et Sembinelli c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 378 (C.A.F.)).

15         La définition de « biens » au paragraphe 248(1) se lit comme suit :

248(1) [...]

a)          les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

[...]

17         Ce régime, tel qu'il fut appliqué par les tribunaux au cours des années fait en sorte que dans la perspective du récipiendaire, une dépense qui a comme but de donner naissance au droit à une pension alimentaire est de nature capitale et ne peut donc être déduite. Par contre, une dépense encourue pour recouvrer un montant dû en vertu d'un droit déjà existant est de nature « courante » et peut donc être déduite.

18         Inversement, les dépenses encourues par le payeur d'une pension alimentaire (soit pour empêcher qu'elle soit établie ou augmentée, ou soit pour la diminuer ou y mettre fin), ne peuvent être considérées comme ayant été encourues pour gagner un revenu et les tribunaux n'ont jamais reconnu de droit à la déduction de ces dépenses (voir, par exemple, Bayer, supra).

[...]

34         [...] Cette solution jurisprudentielle, je le rappelle, est fonction du fait que le revenu issu d'une pension alimentaire est un revenu de bien, et qu'à ce titre, les dépenses encourues pour gagner ce revenu peuvent être déduites.

[9]      L'avocat de l'intimée a aussi attiré l'attention sur la décision de cette cour dans l'affaire Bayer c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1991] A.C.F. no 511 (Q.L.), en particulier sur ce qui suit :

L'alinéa 18(1)a) s'applique généralement dans le cas d'entreprises commerciales. Toutefois, aux termes de cet alinéa, il s'agit d'une « entreprise ou d'un bien » , et à la lumière de la cause Evans (précitée), il n'est pas nécessaire que le bien fasse partie d'une entreprise commerciale. Cependant, la dépense doit être faite en vue de tirer un revenu d'un bien, et cela signifie, selon ce que je comprends de la jurisprudence précitée, que le bien doit produire un revenu. L'époux qui fait valoir un droit à une pension alimentaire fait valoir un droit qui produit un revenu. L'époux qui exerce un droit en vue d'obtenir une ordonnance d'un tribunal pour diminuer les paiements de la pension alimentaire n'exerce pas un droit qui produit un revenu, mais plutôt un droit d'action pour diminuer le montant payé en application d'une obligation.

L'argent dépensé par l'appelant pour payer les frais judiciaires engagés a eu pour effet d'augmenter son revenu calculé selon la Section B de la Loi, mais cette augmentation ne découle pas d'un bien produisant un revenu; elle découle de la diminution d'une obligation qui n'était pas un bien produisant un revenu. Dans les circonstances, les dépenses en question n'entraient pas dans le cadre de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Il ne s'agit pas d'argent dépensé pour un bien et qui peut être déduit en vertu de cet alinéa, mais plutôt d'argent dépensé pour un bien qui, en soi, produit un revenu.

Analyse et conclusion

[10]     L'alinéa 56(1)c.2) de la Loi se lit comme suit :

56(1)     Sommes à inclure dans le revenu de l'année - Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, [est] à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

[...]

c.2)       une somme que le contribuable a reçue au cours de l'année, en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent, à titre de remboursement d'un montant déduit en application des alinéas 60b) ou c), ou de l'alinéa 60c.1) tel qu'il s'applique, dans le calcul du revenu pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure, aux ordonnances ou jugements rendus avant 1993;

[11]     Une somme reçue par un contribuable en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement à titre de remboursement d'un montant déduit en application des alinéas 60b) ou c), ou de l'alinéa 60c.1) est incluse dans le revenu conformément à l'alinéa 56(1)c.2).

[12]     Il est établi que la pension alimentaire et les remboursements de pension alimentaire doivent être inclus dans le calcul du revenu conformément à l'article 56 de la Loi. Par conséquent, le raisonnement qui s'applique à la déduction des frais juridiques engagés pour obtenir une pension alimentaire s'applique-t-il aussi à la déduction des frais engagés pour obtenir le remboursement de paiements en trop de pension alimentaire?

[13]     Il faut analyser la nature des deux paiements en question. À l'analyse, il ressort clairement que les deux paiements sont de nature très différente. La déduction d'un paiement de pension alimentaire équivaut à la déduction d'un paiement ayant un caractère de revenu, alors que la déduction du remboursement d'un paiement en trop équivaut à une déduction relative à un droit de propriété et, donc, à la déduction d'un montant ayant un caractère de capital. L'alinéa 18(1)b) de la Loi ne permet pas la déduction d'une dépense en capital, sauf dans les cas où la partie I de la Loi le permet expressément. Je n'ai pas été invitée à me pencher sur une telle exception, qui n'existe pas, que je sache.

[14]     L'appel doit donc être rejeté.

Signé à Ottawa (Ontario) ce 16e jour de mars 2005.

« Louise Lamarre Proulx »

La juge Lamarre Proulx

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d'octobre 2005.

Joanne Robert, traductrice

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