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Dossier : 2004-4813(EI)

ENTRE :

2945-5557 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

JEAN MELKI,

intervenant.

Appel entendu le 6 mai 2005, à Montréal (Québec), devant

l'honorable juge C.H. McArthur

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Richard Venor

Avocate de l'intimé :

Me Natalie Goulard

Avocat de l'intervenant :

Me Oliver Cabral

JUGEMENT

Au début de l'audience, le représentant de l'appelante et l'avocate de l'intimé ont consenti à jugement dans cette affaire-ci;

Et après avoir entendu les observations de l'avocat de l'intervenant;

L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est admis, et la décision du ministre relativement à l'appel porté devant lui en vertu de l'article 92 de la Loi est annulée pour le motif que Jean Melki n'exerçait pas un emploi assurable pendant la période allant du 12 septembre 2003 au 2 janvier 2004.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d'août 2005.

« C.H. McArthur »

Juge McArthur


Référence : 2005CCI546

Date : 20050825

Dossier : 2004-4813(EI)

ENTRE :

2945-5557 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

JEAN MELKI,

intervenant.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge McArthur

[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada selon laquelle Jean Melki, l'intervenant, exerçait un emploi assurable et ouvrant droit à pension pendant la période où il travaillait pour l'appelante à titre de chauffeur de taxi, soit la période allant du 12 septembre 2003 au 2 janvier 2004. L'affaire s'est déroulée en français et en anglais, et, conformément à l'article 20 de la Loi sur les langues officielles, le jugement est donc rendu simultanément dans les deux langues officielles.

[2]      Juste avant le début du procès, l'intimé a consenti à la position adoptée par l'appelante et s'est retiré de la procédure. L'intervenant, M. Melki, par l'entremise de son avocat, s'est opposé vigoureusement à la requête visant à lui refuser une audience qui a été présentée par l'avocat de l'appelante. L'appelante a adopté la position selon laquelle l'intervenant n'était pas une partie à l'action et n'avait donc pas droit à une audience, comme le ministre avait consenti à jugement. De plus, le ministre avait consenti à jugement dans le cadre d'un autre appel concernant la même appelante où les circonstances étaient semblables aux circonstances de cet appel-ci. L'appel en question a été inscrit au rôle pour audition devant moi-même immédiatement après cette audience-ci. Dans cet autre appel, le travailleur n'est pas intervenu comme dans l'appel qui nous occupe. Le ministre a changé de position en fonction de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Yellow Cab Company Limited c. M.R.N.[1].

[3]      Non sans réticences et par mesure d'équité à l'égard de l'intervenant (chauffeur de taxi), qui était représenté par son avocat, j'ai rejeté la requête de l'appelante et permis à l'intervenant de présenter ses éléments de preuve. L'avocate de l'intimé n'a pas participé à l'audience, et M. Melki et M. Benoit Jugand, pour le compte de l'appelante, ont témoigné. De façon générale, les hypothèses de fait énoncées dans la réponse à l'avis d'appel sont exactes et indiquent ce qui suit :

          [TRADUCTION]

a)          L'appelante exploite une entreprise de taxis dans la région de Montréal;

b)          L'appelante est propriétaire de neuf taxis, qu'elle loue à des chauffeurs; deux des taxis font partie d'une association de taxis et sont munis d'un poste émetteur-récepteur ainsi que d'un service de répartition; les autres taxis ont la classification A-11 et ne sont pas munis d'un poste émetteur-récepteur ou d'un service de répartition; (l'appelante n'offrait pas ce service)

c)          L'appelante détient tous les permis de taxi nécessaires délivrés par les organismes de réglementation, et ce, pour tous les véhicules.

d)          L'appelante négocie avec les chauffeurs les modalités des contrats de location des véhicules;

e)          L'appelante loue les véhicules aux chauffeurs pour un montant fixe quotidien ou hebdomadaire (environ 52 $ par jour);

f)           Les chauffeurs qui louent un véhicule pour cinq jours peuvent garder le véhicule pendant toute la semaine et l'utiliser à des fins personnelles;

g)          L'appelante paie les assurances ainsi que tous les frais de réparation et d'entretien relativement aux véhicules;

h)          Les chauffeurs doivent garder le véhicule propre et payer l'essence consommé;

i)           Pendant la période en litige, le travailleur louait un taxi de l'appelante pour un montant hebdomadaire fixe de 280 $;

j)           Le travailleur louait un véhicule qui n'était pas muni d'un poste émetteur-récepteur ou d'un service de répartition;

k)          Le travailleur et l'appelante n'ont pas conclu de contrat écrit relativement à la location du véhicule;

i)           Le taxi ne pouvait desservir que la région de Montréal (région A-11), et le travailleur devait trouver ses propres clients;

m)         Le travailleur devait exploiter lui-même le taxi; il ne pouvait pas avoir de remplaçant;

n)          Le travailleur gardait tout montant perçu et n'était pas tenu de fournir à l'appelante des registres, des rapports ou des rapports comptables relativement à l'exploitation du taxi;

o)          Le travailleur devait respecter les tarifs et les taux établis par les organismes de réglementation des taxis;

p)          Le travailleur pouvait utiliser le véhicule à des fins personnelles;

q)          Le travailleur devait exploiter lui-même le taxi et ne pouvait pas le sous-louer à un autre chauffeur;

r)           L'appelante était propriétaire du taxi à 100 % et en était le propriétaire enregistré.

[4]      L'intervenant a adopté la position selon laquelle il est réputé être un employé de l'appelante en vertu de l'alinéa 6e) du Règlement sur l'assurance-emploi (le « Règlement » ) connexe à la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) et que sa situation diffère de celle de Yellow Cab parce qu'il (M. Melki) ne pouvait pas sous-louer son taxi à un autre chauffeur.

[5]      L'intervenant invoque l'alinéa 6e) du Règlement, qui indique que les emplois exercés par une personne à titre de chauffeur de taxi sont inclus dans les emplois assurables, à moins qu'ils ne soient précisément exclus. L'appelante invoque l'exclusion prévue par l'alinéa 6e) selon laquelle l'emploi d'un chauffeur de taxi n'est pas réputé être inclus dans les emplois assurables lorsque le chauffeur est le propriétaire ou l'exploitant de l'entreprise. M. Melki était un exploitant à contrat.

[6]      L'avocat de l'appelante a présenté beaucoup d'arguments détaillés, mais je vais tout d'abord me pencher sur la position adoptée par l'intervenant ainsi que sur la question de savoir si je suis lié ou non par la décision Yellow Cab Company Ltd. c. Canada[2], comme l'a conclu le ministre.

[7]      Dans la décision Yellow Cab, la Cour d'appel fédérale a conclu que les exploitants à contrat étaient exclus de l'application des dispositions déterminantes de l'alinéa 6e) et que ces personnes n'étaient pas des employés. L'intimé estime que les faits de l'affaire en l'espèce sont semblables aux faits de l'affaire Yellow Cab et a cessé d'appuyer M. Melki, qui devait présenter alors lui-même ses arguments.

[8]      Dans l'affaire Yellow Cab, la question était entre autres de savoir si les exploitants à contrat liés à Yellow Cab étaient propriétaires ou exploitants de leur propre entreprise au sens de l'alinéa 6e) du Règlement. Le juge d'appel Sexton a répété, au nom de la majorité, les volets énumérés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire 671122 Ontario Limited c. Sagaz Industries Canada Inc.[3], où le juge Major a conclu ce qui suit :[4]

[...] La question centrale est de savoir si « la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte » .

[9]      Selon moi, la principale différence, voire la seule, entre les faits de l'affaire Yellow Cab et ceux de l'affaire qui nous occupe est que dans l'affaire Yellow Cab, les chauffeurs pouvaient déléguer leurs activités de chauffeur ou sous-louer leur taxi loué, mais M. Melki, lui, ne pouvait pas, quoique cela ne soit pas tout à fait exact. Dans l'affaire Yellow Cab, les exploitants à contrat ne pouvaient pas sous-louer le taxi sans l'approbation du propriétaire du taxi. Cela ressemble un peu à la situation dans laquelle se trouvait M. Melki. Bien que celui-ci n'ait pas le droit de sous-louer son véhicule, on peut déduire qu'il aurait pu le sous-louer avec la permission de l'appelante.

[10]     Compte tenu de tous les autres facteurs, cette éventuelle différence ne pèse pas lourd dans ma décision. Je ne doute aucunement que les critères de la propriété des instruments de travail et des risques de perte et des chances de bénéfice[5] permettent de déterminer que l'intervenant (l'exploitant à contrat) a fourni ses services « en tant que personne travaillant à son compte » [6].

[11]     M. Melke a loué son véhicule pour un montant hebdomadaire fixe. Il pouvait garder le véhicule pendant toute la semaine et l'utiliser à des fins personnelles ou professionnelles. Il payait l'essence. En vertu du Règlement sur le transport par taxi de la ville de Montréal, il devait s'assurer que le véhicule était propre. Son taxi n'était pas muni d'un poste avec émetteur-récepteur ou d'un service de répartition. Toutefois, comme il devait exploiter le taxi dans la région de Montréal, il conduisait le véhicule sans restrictions imposées par l'appelante et devait trouver ses propres clients. Il gardait tous les montants qu'il percevait et n'était pas tenu de fournir à l'appelante des registres, des rapports ou des rapports comptables relativement à son exploitation du taxi. Il conduisait son taxi loué où, quand et de la façon dont il voulait. Le contrôle exercé par le propriétaire du taxi dans l'affaire Yellow Cab était beaucoup plus grand que le contrôle exercé par l'appelante dans ce cas-ci.

[12]     Dans l'affaire Yellow Cab, les exploitants à contrat étaient :

[25]       [...] tenus de se conformer à tous les ordres ou à toutes les directives qui leur sont adressés au sujet des services de répartition et de l'exploitation générale des taxis; ils sont tenus de conduire diligemment le taxi sur une base continue et doivent utiliser les services de comptabilité et d'approvisionnement en carburant de Yellow Cab. Yellow Cab peut ordonner la suspension ou le renvoi de chauffeurs qui contreviennent aux règles ou aux règlements de la compagnie ou aux règles ou aux règlements de toute municipalité ou autre organisme de réglementation. Seuls l'exploitant à contrat ou un chauffeur agréé par Yellow Cab peuvent conduire le taxi. Ces faits tendent à établir l'existence d'un degré de contrôle de la part de Yellow Cab suffisant pour montrer que les exploitants à contrat étaient des employés.

Code civil du Québec

[13]     Dans l'affaire Lévesque c. Le Ministre du revenue national[7] et Nicole St-Jules, le juge Dussault a conclu qu'il faut tenir compte des définitions tirées du Code civil du Québec (le « Code civil » ) au moment de déterminer s'il y avait présence ou non d'un contrat de louage de services ou d'un contrant de service pour un travailleur dans la province de Québec. Il a jugé que le facteur dominant est la question de savoir s'il y a présence ou non d'un lien de subordination. Il donne ensuite les critères suivants visant à aider à déterminer s'il y a présence ou non un lien de subordination [8] :

[60]       La jurisprudence exige, pour qu'il y ait un contrat de travail, l'existence d'un droit de surveillance et de direction immédiate. Le simple fait qu'une personne donne des instructions générales sur la manière d'effectuer le travail, ou qu'elle se réserve un droit d'inspection et de supervision sur le travail, ne suffit pas à convertir l'entente en un contrat de travail.

[61]       Une série d'indices développée par la jurisprudence permet au tribunal de déterminer s'il y a présence ou non d'un lien de subordination dans la relation des parties.

[62]       Les indices d'encadrement sont notamment :

                    -            la présence obligatoire à un lieu de travail;

                    -            le respect de l'horaire de travail;

                    -            le contrôle des absences du salarié pour des vacances;

                    -            la remise de rapports d'activité;

                    -            le contrôle de la quantité et de la qualité du travail;

                    -            l'imposition des moyens d'exécution du travail;

                    -            le pouvoir de sanction sur les performances de l'employé;

                    -            les retenues à la source;

                    -            les avantages sociaux;

                    -            le statut du salarié dans ses déclarations de revenus;

                    -            l'exclusivité des services pour l'employeur.

[14]     Je n'ai aucun doute que les critères relatifs au contrôle permettent de tirer la conclusion que M. Melke n'était pas un employé. Dans la décision Yellow Cab, la Cour a conclu que le degré de contrôle permet de privilégier la position que les exploitants étaient des employés principalement parce que les exploitants à contrat étaient tenus de se conformer aux ordres et aux directives touchant le système de répartition et l'exploitation générale des taxis. M. Melke n'était pas lié par la plupart des exigences suivantes qui ont été énoncées par le juge d'appel Sexton [9] :

[...] les exploitants à contrat sont tenus de se conformer à tous les ordres ou à toutes les directives qui leur sont adressés au sujet des services de répartition et de l'exploitation générale des taxis; ils sont tenus de conduire diligemment le taxi sur une base continue et doivent utiliser les services de comptabilité et d'approvisionnement en carburant de Yellow Cab. Yellow Cab peut ordonner la suspension ou le renvoi de chauffeurs qui contreviennent aux règles ou aux règlements de la compagnie ou aux règles ou aux règlements de toute municipalité ou autre organisme de réglementation.

Malgré ces contrôles, la Cour d'appel fédérale a conclu que les exploitants à contrat n'étaient pas des employés.

[15]     Pour ce qui est des critères, bien que le Code civile semble se limiter à l'application du critère du contrôle, les critères généraux relatifs au contrôle énoncés dans la décision Seitz, précitée, semblent englober tous les critères énoncés dans la décision Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N.[10]. Je vais m'arrêter brièvement aux critères énoncés dans la décision Seitz. Selon moi, M. Melke n'était pas tenu de se présenter au travail et n'avait pas d'horaire de travail précis. Il n'y avait aucun contrôle des absences de M. Melke pour des vacances et celui-ci ne relevait pas de l'appelante, qui avait très peu de contrôle sur la façon dont M. Melke conduisait ou sur les heures de travail de M. Melke. Celui-ci avait beaucoup d'expérience en tant que chauffeur de taxi, et c'était lui qui décidait qui il conduisait, le moment où il offrait ses services, la façon dont il conduisait et l'endroit où il voulait travailler. Il s'occupait lui-même de son revenu et de ses versements. Les services de chauffeur qu'il fournissait étaient pour son propre compte. De toute évidence, il devait payer la location du véhicule, qui comprenait les réparations et les assurances. Je conclus que M. Melke n'était pas un employé, mais plutôt un entrepreneur indépendant et, par conséquent, comme il est exploitant à contrat, il était exclu de l'application des dispositions déterminantes de l'alinéa 6e).

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d'août 2005.

« C.H. McArthur »

Juge McArthur


RÉFÉRENCE :

2005CCI546

NO DU DOSSIER :

2004-4813(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

2945-5557 Québec Inc. et

Le ministre du Revenu national et

Jean Melki

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :

6 mai 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge C.H. McArthur

DATE DU JUGEMENT :

le 25 août 2005

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelante :

Richard Venor

Avocate de l'intimée :

Me Natalie Goulard

Représentant de l'intervenant :

Oliver Cabral

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

s.o.

Cabinet :

s.o.

Pour l'intervenant :

Nom :

Oliver Cabral

Cabinet :

Saint-Aubin & Associés

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           2002 CAF 294.

[2]           2002 CAF 294

[3]           [2001] A.C.S. no 61.

[4]           précité, au paragraphe 23.

[5]           Invoqués dans l'affaire Sagaz, mais tirés de la décision de la Cour d'appel fédérale dans la décision Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553.

[6]           La question centrale invoquée par le juge Major dans l'affaire Sagaz.

[7]           2005CCI248.

[8]           Tirés de la décision Seitz c. Entraide populaire de Lanaudière inc., Cour du Québec (chambre civile) no 705-22-002935-003, 16 novembre 2001, [2001] J.Q. No. 7635 (Q.L.), la juge Monique Fradette de la Cour du Québec.

[9]           Paragraphe 25 de la décision Yellow Cab Company Ltd.

[10]          [1986] 3 C.F. 553.

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