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Dossier : 2003-1130(IT)I

ENTRE :

ALLAN TANNENBAUM,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appels entendus le 7 décembre 2004, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions

Représentante de l'appelant :

Mme Gloria Tannenbaum

Avocat de l'intimée :

Me Simon Petit

JUGEMENT

       Les appels interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1998 et 1999 sont accueillis, avec dépens, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour que celui-ci procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation au motif que l'appelant a le droit de déduire les dépenses effectuées dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise, à la seule condition qu'il ne lui soit pas permis de déduire le coût de l'équipement en plus de la déduction pour amortissement pour le même équipement dans une catégorie.

       Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de janvier 2005.

« G.J. Rip »

Juge Gerald J. Rip

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de juillet 2005.

Hélène Tremblay, traductrice


                                                                                          Référence : 2005CCI13

                                                                                                     Date : 20050105

Dossier : 2003-1130(IT)I

ENTRE :

ALLAN TANNENBAUM,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rip

[1]    La question en litige dans le cadre des présents appels concernant les cotisations établies pour les années 1998 et 1999 est de savoir si Allan Tannenbaum exploitait une entreprise pendant ces deux années-là et si, par conséquent, il a le droit de déduire les dépenses qu'il soutient avoir encourues dans l'exploitation de son entreprise.

[2]    Dans son témoignage, M. Tannenbaum a affirmé qu'il exploitait une entreprise de commerce de l'or, même s'il n'a jamais acheté de contrat à terme sur l'or. Il prévoyait acheter de l'or brut et, si l'or était suffisamment pur, il le ferait affiner à Montréal pour ensuite le vendre à une banque à charte de Montréal. Selon M. Tannenbaum, la clé pour obtenir de l'or de haute qualité, soit de 24 carats, était d'avoir de bons contacts dans le commerce. Il travaillait toute la journée, les fins de semaine et les jours fériés, à essayer d'acquérir des contrats. Il s'était dit : [traduction] « Je pourrais faire beaucoup d'argent » . Il a choisi l'or parce qu'il [traduction] « pensait que c'est avec l'or qu'il ferait le plus d'argent » .

[3]    Une opération qu'aurait généralement envisagé M. Tannenbaum serait que le vendeur envoie l'or à Montréal. Ensuite, Securcor, une entreprise de livraison sécuritaire, viendrait chercher l'or pour le livrer à une affinerie de Montréal. Une fois l'or sous forme de lingots, Securcor livrerait le tout au comptoir chargé du traitement des lingots d'or à la banque.

[4]    À la recherche de contrats à terme sur l'or, M. Tannenbaum s'est rendu en Europe pour rencontrer des personnes du commerce. Il a aussi téléphoné à ces personnes, y compris à des vendeurs d'or potentiels.

[5]    M. Tannenbaum a témoigné qu'il avait reçu des offres, mais que la plupart d'entre elles étaient inacceptables. Bon nombre de ces offres comportaient une condition de [traduction] « dépôt initial » et M. Tannenbaum n'était pas prêt à laisser de dépôt. De plus, les analyses des échantillons d'or qu'il a reçus ne se sont pas avérées concluantes. Dans au moins un des cas, les personnes ne [traduction] « faisaient pas l'affaire » . Dans d'autres cas, [traduction] « les règles du jeu ont changé » au cours des négociations. Selon M. Tannenbaum, chaque opération potentielle comportait ses particularités, il n'y en avait pas deux qui étaient identiques.

[6]    M. Tannenbaum a produit un ensemble de copies de télécopies (fax) qui décrivent les offres, les contre-offres et les propositions pour l'achat et la vente d'or en 1998. Les personnes qui ont présenté des offres et des propositions étaient de Toronto, des États-Unis et d'Autriche. M. Tannenbaum n'a accepté aucune de ces offres ou de ces propositions. L'avocat de l'intimée a aussi produit des copies de propositions qui n'ont jamais porté fruit. Dans un ensemble de documents produit par l'avocat de l'intimée, l'existence de l'affinerie à Montréal qui devait affiner l'or est remise en question. M. Tannenbaum soutient que l'affinerie existait bel et bien, mais que la personne qui cherchait l'affinerie ne connaissait pas assez le quartier de Montréal où elle se trouvait. L'avocat de l'intimée a affirmé qu'il ne remettait pas en question l'existence de l'affinerie.

[7]    M. Tannenbaum ne se rappelait pas des faits concernant plusieurs des documents que lui a présentés l'avocat de l'intimée. Selon Mme Tannenbaum, semble-t-il que M. Tannenbaum a dépensé tout son capital, soit plus de 500 000 $, à essayer de faire de l'argent dans le commerce de l'or, et qu'en 2003, il a été admis à l'hôpital pour une dépression majeure. Mme Tannenbaum, professeure à la faculté de médecine de l'Université McGill, a confirmé que son mari avait de graves troubles de la mémoire et d'importants problèmes neurologiques. J'hésite donc à évaluer de façon négative le fait que M. Tannenbaum n'ait pas été en mesure de répondre aux questions qui lui ont été posées à cet égard.

[8]    Jusqu'en 1991, M. Tannenbaum était propriétaire d'une société qui fabriquait des vêtements de sport pour les hommes et les garçons, et il avait 200 employés. La société a cessé ses activités en 1991. Quelque temps après la fermeture de l'entreprise de fabrication, M. Tannenbaum et un ami de longue-date, Leon Cooper, ont démarré une entreprise dans laquelle ils servaient de représentants à l'étranger pour différents types de fabricants de la région de Montréal. Ils ont ouvert un bureau à Montréal et ont travaillé ensemble pendant environ un an. M. Cooper se souvient que M. Tannenbaum s'est intéressé presque immédiatement au commerce de l'or. Leurs fonctions étaient distinctes : M. Cooper s'efforçait de trouver des fabricants que l'entreprise pourrait représenter ; M. Tannenbaum cherchait des sources pour l'achat et la vente d'or. Bien que, selon M. Cooper, il existait un engagement d'honneur entre les deux parties à l'effet qu'ils participaient aux deux entreprises, l'association n'a duré qu'un an. M. Cooper n'était pas aussi nanti que l'était M. Tannenbaum. Il avait des [traduction] « engagements mensuels » et ne pouvait se permettre d'attendre l'obtention d'un contrat. Il [traduction] « ne pouvait pas se permettre de poursuivre » .

[9]    Dans la période où M. Cooper partageait un bureau avec M. Tannenbaum, il a bel et bien constaté que M. Tannenbaum avait reçu des offres pour vendre de l'or. De plus, M. Cooper a témoigné que M. Tannenbaum avait voyagé outre-mer pour établir des relations avec des banques et des commerçants d'or.

[10]M. Cooper était le témoin de l'intimée. Lors du contre-interrogatoire, il a corroboré le point de vue de M. Tannenbaum selon lequel [traduction] « un seul contrat était assez pour réussir » et que l'entreprise de M. Tannenbaum était fondée sur les communications et les relations avec des gens dans le commerce de l'or. L'intimée n'a pas présenté d'élément de preuve pour réfuter le fait que M. Tannenbaum croyait pouvoir faire de l'argent dans le commerce de l'or.


[11]M. Tannenbaum n'a pas obtenu de contrat depuis 1994. Il n'a tiré aucun revenu du commerce de l'or. Selon M. Tannenbaum, toutes les dépenses déduites dans ses déclarations de revenus avaient été faites dans le but de tirer un revenu d'une entreprise. Il a déduit les dépenses suivantes en 1998 et en 1999 :

1998

1999

Intérêts

     144,15 $

    117,85 $

Frais de bureau

1 335,96 $

    645,22 $

Frais judiciaires, de comptabilité et autres

     402,59 $

     402,59 $

Loyer

5 150,60 $

5 257,36 $

Voyage

3 217,19 $

4 600,18 $

Téléphone et commodités

7 178,29 $

7 233,99 $

Taxes professionnelles

     846,40 $

     846,40 $

Déduction pour amortissement

     234,29 $

     187,43 $

Total des dépenses d'entreprise

18 509,47 $

19 291,02 $

Revenu d'entreprise net (perte)

( 18 509,47 $)

(19 291,02 $)

[12]La rubrique des intérêts représentait les frais et les intérêts bancaires. Dans son témoignage, M. Tannenbaum a affirmé que les frais de bureau représentaient l'achat d'équipement, comme un télécopieur. Il payait des honoraires à son comptable. Il payait le loyer pour le même bureau qu'il partageait auparavant avec M. Cooper pendant l'année où il a commencé à s'intéresser au commerce de l'or. M. Tannenbaum a affirmé avoir voyagé en France et en Suisse pour rencontrer des vendeurs d'or potentiels. Il a expliqué que ses frais d'appels interurbains en Europe avaient été encourus dans le but d'établir et de conserver des relations d'affaires. Il a aussi eu à payer des taxes professionnelles à la Ville de Montréal. La déduction pour amortissement a été appliquée au coût de l'équipement de bureau[1].

[13]On a établi la cotisation de M. Tannenbaum en fonction du fait qu'il n'avait pas encouru de dépenses d'entreprise parce qu'il n'avait pas d'attente raisonnable de profit. C'est ce dont a témoigné Marc-André Paquin, un vérificateur de l'Agence du revenu du Canada. Les cotisations en question ont été envoyées le 29 avril 2000, avant que l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Stewart c. La Reine[2]soit rendu, a souligné M. Paquin. Dans l'arrêt Stewart, la Cour suprême a établi qu'une « attente raisonnable de profit » n'était pas un critère à utiliser pour déterminer si les activités menées par un contribuable étaient une source de revenu aux fins de l'article 9 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). La Cour a fourni une approche à deux volets servant à déterminer si les activités menées par le contribuable étaient une source de revenu constituée d'une entreprise : a) l'activité a-t-elle été exercée dans le but de faire un profit, ou s'agissait-il d'une démarche personnelle; b) s'il ne s'agissait pas d'une démarche personnelle, la source de revenu était-elle une entreprise. L'intention première du contribuable doit être de faire un profit et l'activité doit être menée conformément aux normes relatives d'un comportement commercial. S'il n'y a pas d'élément personnel et si l'activité est clairement commerciale, le contribuable a alors le droit de déduire ses dépenses.

[14]M. Paquin a expliqué que M. Tannenbaum n'avait pas de plan d'affaires, ni de plan de marketing, ni de croissance. De plus, M. Tannenbaum était incapable de fournir des preuves des pertes déduites. L'organisation ayant précédé l'ARC considérait les dépenses comme étant de nature personnelle : [traduction] « un rêve de faire de l'argent avec de l'or [...] il n'y avait pas d'activités commerciales » . Lors du procès, la Couronne a admis que M. Tannenbaum avait une source de revenu, mais ses dépenses n'étaient pas raisonnables (article 67 de la Loi).

[15]L'avocat de la Couronne s'est appuyé sur la décision rendue par la Cour dans l'affaire Hammill c. Canada[3], un jugement qui a fait l'objet d'un appel auprès de la Cour d'appel fédérale. Dans cette affaire, le contribuable a mis sa collection de pierres précieuses en vente par l'intermédiaire d'un tiers et a payé à ce dernier d'importantes sommes, dont des « frais à payer d'avance » , parce qu'il croyait ainsi être en mesure de vendre ses pierres et de faire un profit considérable. Le tiers lui a présenté cinq offres frauduleuses et, par la suite, les pierres ont disparu. Le tiers a été arrêté. Le ministre s'est appuyé sur l'alinéa 18(1)a) et sur l'article 67 de la Loi pour refuser les « frais d'intérêts réputés » et les pertes d'entreprise de 1 855 800 $. L'appel interjeté par M. Hammill a été rejeté. La Cour a déterminé qu'il n'y avait pas de marché de revente pour les pierres précieuses, étant donné que seuls les négociants pouvaient en disposer sur le marché. M. Hammill n'avait pas de structure commerciale ni d'activité génératrice de revenus. Ses attentes n'étaient pas raisonnables, étant donné qu'il ne pouvait pas vendre les pierres de la façon dont il s'y était pris. Son approche dépassait les erreurs de jugement. Il n'a pas agit comme un homme d'affaires avisé. Il n'a pas déposé de l'argent afin d'obtenir un profit, alors ses frais d'intérêts ont été refusés. Les déductions pour perte d'entreprise ont été déclarées déraisonnables. Elles ont donc été refusées par la Cour.

[16]La décision Hammill ne m'aide pas. Aucune preuve ne m'a été présentée selon laquelle, par exemple, M. Tannenbaum n'aurait pas pu vendre son or de la façon dont il comptait le faire. Rien ne vient prouver que ses attentes n'étaient pas raisonnables ou qu'il n'agissait pas comme un homme d'affaires avisé. De fait, un certain niveau de vigilance ressort du fait qu'il insistait pour faire analyser l'or. Également, s'il doutait des gens qui offraient de lui vendre de l'or, ou s'il doutait de la proposition comme telle, il ne signait pas de contrat. Il étudiait les propositions qui lui étaient présentées. Il n'agissait pas comme l'avait fait M. Hammill dans ses relations avec des associés potentiels. M. Tannenbaum était un homme d'affaires d'expérience et il n'y a aucun doute qu'il appliquait les notions d'affaires qu'il avait acquises à son entreprise de commerce de l'or. Ce n'est pas le rôle de la Cour de remettre en question les pratiques commerciales d'une personne ou la façon dont cette personne aurait pu réduire ses dépenses par une approche différente.

[17]Dans l'arrêt Stewart, la Cour suprême a affirmé, au paragraphe 57, que si, compte tenu des circonstances, une dépense concernant une source de revenu n'est pas raisonnable, le fisc peut à ce moment-là recourir à l'article 67 de la Loi pour réduire ou même éliminer le montant de la dépense en question. Le fait que M. Tannenbaum n'a pas gagné de revenu ne l'empêche pas de déduire des dépenses. Les circonstances de son entreprise, où un seul contrat, selon lui, peut signifier la réussite, ne constituent pas la norme. La Couronne n'a pas laissé entendre que le raisonnement de M. Tannenbaum était erroné. Les dépenses encourues de façon raisonnable ne sont pas déraisonnables. Les dépenses faites par M. Tannenbaum en 1998 et en 1999 sont assez modestes, compte tenu des circonstances et de la nature de son entreprise. Ses activités n'étaient pas un passe-temps ni une démarche personnelle. Sa principale intention, même si certains peuvent considérer qu'il était téméraire ou qu'il courait des risques, était de profiter de l'achat et de la vente d'or. Il y avait un élément commercial dans les efforts déployés par M. Tannenbaum. Il devrait avoir le droit de déduire les dépenses qu'il a faites dans le cadre de l'exploitation de son entreprise.

[18]Les appels sont accueillis, avec dépens (s'il y a lieu), sous réserve seulement des montants qui auraient pu être déduits à la fois comme coût d'équipement et comme déduction pour amortissement. Il a le droit de déduire soit le coût de l'équipement ou soit l'amortissement du coût de l'équipement dans une catégorie.

       Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de janvier 2005.

« Gerald J. Rip »

Juge Gerald J. Rip

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de juillet 2005.

Hélène Tremblay, traductrice


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI13

No DE DOSSIER DE LA COUR :       2003-1130(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :               ALLAN TANNENBAUM c. LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 7 décembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        Gerald J. Rip

DATE DU JUGEMENT :                    Le 5 janvier 2005

COMPARUTIONS :

Représentante de l'appelant :

Gloria Tannenbaum

Avocat de l'intimé :

Me Simon Petit

AVOCATS INCRITS AU DOSSIER :

       Pour l'appelant :

                   Nom :                             

                   Cabinet :

       Pour l'intimée :                            Morris Rosenberg

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)



[1]               De toute évidence, on ne peut pas déduire le coût du même équipement pour lequel on a fait la déduction pour amortissement. M. Tannenbaum n'a pas expliqué cette éventuelle « double » déduction, et l'intimée n'a pas soulevé la question.

[2]               [2002] 2 R..C.S. 645, [2002] A.C.S. no. 46, 2002 DTC 6969, paragraphes 50 à 60.

[3]               2004 DTC 3271.

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