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Dossier : 2004-4421(EI)

ENTRE :

COMBINED INSURANCE COMPANY OF AMERICA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MÉLANIE DRAPEAU,

intervenante.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 6 mai 2005 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge C.H. McArthur

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Mélanie Beaulieu et Me Yves St-Cyr

Avocate de l'intimé :

Me Natalie Goulard

Pour l'intervenante :

L'intervenante elle-même

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté et la décision du ministre du revenu national relativement à l'appel porté devant lui en vertu de l'article 92 est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de septembre 2005.

"C.H. McArthur"

Juge McArthur


Référence : 2005CCI478

Date : 20050906

Dossier : 2004-4421(EI)

ENTRE :

COMBINED INSURANCE COMPANY OF AMERICA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MÉLANIE DRAPEAU,

intervenante.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge McArthur

[1]      Il s'agit d'un appel interjeté contre la décision du ministre du Revenu national du 20 septembre 2004, selon laquelle l'intervenante, Mme Mélanie Drapeau, exerçait auprès de l'appelante un emploi assurable au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance emploi (la « Loi » ) du 18 août 2003 au 16 janvier 2004. L'appelante soutient que l'intervenante n'était pas une employée occupant un emploi assurable mais était une entrepreneuse indépendante travaillant à son compte.

A.       LES FAITS

[2]      Pour arriver à la conclusion que l'intervenante occupait un emploi assurable, l'intimé s'est appuyé sur les faits suivants :

            [Traduction]

a)          l'appelante est une compagnie d'assurances qui vend plusieurs types de polices d'assurance;

b)          l'appelante fait affaire au Canada depuis 1956 et a un bureau à Boucherville (Québec);

c)          la travailleuse a été engagée par l'appelante en tant que représentante;

d)          l'appelante et la travailleuse ont signé une entente de représentation;

e)          la travailleuse devait signer cette entente pour pouvoir remplir ses fonctions auprès de l'appelante;

f)           la travailleuse ne devait utiliser que les méthodes et techniques de vente élaborées par l'appelante;

g)          l'appelante assignait à la travailleuse des tâches précises qui devaient en être accomplies à des moments déterminés;

h)          la travailleuse ne devait vendre que les produits d'assurance de l'appelante;

i)           la clientèle acquise par la travailleuse devenait la propriété de l'appelante;

j)           la travailleuse devait exécuter ses fonctions personnellement, et ne pouvait se faire remplacer;

k)          la travailleuse travaillait de 8 h à 21 h et elle suivait chaque jour, sous la supervision de l'appelante, l'horaire très strict établi par celle-ci;

l)           la travailleuse devait assister à des réunions quotidiennes des représentants;

m)         la travailleuse ne pouvait changer unilatéralement son horaire de travail;

n)          le secteur où elle devait travailler était assigné à la travailleuse chaque jour par le « gérant des ventes » ;

o)          la travailleuse devait contacter directement et prévenir le « gérant des ventes » si elle allait être absente pour cause de maladie ou pour toute autre raison;

p)          la travailleuse devait régulièrement fournir à l'appelante des rapports précis, tant écrits qu'oraux;

q)          la travailleuse recevait sa rémunération sous forme de commissions;

r)           l'appelante fixait et changeait unilatéralement le taux des commissions;

s)          la travailleuse devait satisfaire à certaines normes de rendement;

t)           l'appelante pouvait mettre fin à sa relation avec la travailleuse n'importe quand;

u)          la travailleuse utilisait sa propre voiture et en assumait les coûts d'utilisation;

v)          l'appelante fournissait à la travailleuse un bureau ainsi que les meubles, le matériel et les fournitures de bureau;

w)         le risque de perte de la travailleuse était réduit du fait que l'appelante lui fournissait régulièrement des listes de clients dont les polices d'assurance étaient à renouveler;

x)          les fonctions de la travailleuse étaient intégrées dans l'entreprise de l'appelante.

La majeure partie de ces hypothèses se sont révélées être justes lors de l'audience.

[3]      Je crois que l'appelante fait affaire selon un modèle pyramidal : un « administrateur divisionnaire » supervise une quarantaine de « gérants de district » , qui eux-mêmes supervisent des « gérants des ventes » , qui à leur tour supervisent plusieurs représentants qui exercent leurs activités à l'intérieur du territoire dont ils sont responsables. L'intervenante avait pour « gérant de district » M. Jean-Guy Saint-Laurent.

[4]      M. Saint-Laurent a embauché l'intervenante, et elle a été formée par le personnel de l'appelante qui s'occupe de la formation des nouveaux représentants, afin qu'elle puisse réussir l'examen de l'Autorité des marchés financiers, condition essentielle à l'exercice comme représentant en matière d'assurances au Québec. M. Saint-Laurent a été ensuite le maître de stage de l'intervenante durant la période de stage obligatoire prescrite par la Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q., ch. D-9.2.

[5]      L'intervenante a signé le 14 juillet 2003 et le 1er janvier 2004 deux « entente[s] standard d'agence de Combined » avec l'appelante (pièce A-1), ententes en vertu desquelles l'intervenante s'associait à l'appelante comme représentante travaillant « à son propre compte en qualité d'entrepreneur indépendant » . Les termes de ces ententes établissent explicitement l'existence, du moins sur le papier, d'une relation résultant d'un contrat d'entreprise plutôt que d'une relation employé-employeur résultant d'un contrat de travail.

[6]      En pratique, une fois la période de formation terminée, l'intervenante avait principalement affaire à son « gérant des ventes » , M. Sylvain Poulin, et à son « gérant de district » , M. Saint-Laurent. Lors de l'audience, M. Michel Rivest, « administrateur divisionnaire » , de l'appelante, a témoigné que la gestion des représentants était laissée aux « gérants de district » .

B. LE DROIT APPLICABLE

[7]      Dans les provinces de common law, la détermination de l'existence ou de l'absence d'une relation employé-employeur s'effectue par l'application de critères élaborés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553, et confirmé, par la Cour suprême du Canada dans 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983. En raison de la complexité des rapports économiques et contractuels, les tribunaux ont rejeté une analyse basée strictement sur la recherche d'un lien de subordination ou de l'exercice d'un pouvoir de contrôle en faveur d'un examen de la relation globale entre les parties. Dans Sagaz, le juge Major écrit, aux paragraphes 47 et 48 :

[...] La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

[8]      Cette approche multidimensionnelle présente à la fois l'avantage d'être plus souple et de permettre de tirer des conclusions qui tiennent compte de l'ensemble de la dynamique régissant la relation, et le désavantage de rendre la prévisibilité des conclusions auxquelles pourrait arriver un tribunal plus problématique en raison de la multiplicité de critères sur lesquels se fonde l'analyse.

[9]      Au Québec, province régie par les principes du droit civil, le contrat de travail est défini à l'article 2085 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, selon lequel « le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur » .

[10]     Le contrat de travail se distingue du contrat d'entreprise ou de service, soit « [...] celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer » (article 2098). L'article 2099 prévoit que « l'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution » .

[11]     Ainsi, la subordination ou l'exercice d'un pouvoir de contrôle constitue un facteur plus important, voire déterminant, selon le droit québécois. La Loi sur l'assurance-emploi, qui est applicable au présent litige, est une loi fédérale. Or, depuis le 1er juin 2001, l'article 8.1 de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, exige que soit appliqué le droit privé de la province d'où provient le litige lorsque des notions de droit privé sont en jeu :

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte.

[12]     Compte tenu de ces dispositions législatives, il n'y a pas lieu d'entamer un débat sur le caractère préférable de l'approche à plusieurs critères privilégiée par Wiebe Door et Sagaz en common law. Le législateur québécois a explicitement indiqué que l'existence d'un lien de subordination entre les parties distingue le contrat de travail du contrat d'entreprise ou de service.

[13]     Je fais donc miens les propos du juge Dussault, qui, dans Lévesque c. Canada (M.R.N), [2005] A.C.I. no. 183, a écrit :

23    Dans l'affaire Sauvageau Pontiac Buick GMC ltée c. Canada, C.C.I., no. 95-1642(UI), 25 octobre 1996, [1996] A.C.I. no. 1383 (Q.L.), le juge Archambault, en se référant à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Quebec Asbestos Corp. v. Couture, [1929] S.C.R. 166, concluait, eu égard à ces définitions, que l'élément déterminant était la présence ou non d'un lien de subordination. De plus, il y retenait la définition de cette expression énoncée par le juge Pratte dans l'affaire Gallant, précitée. Au paragraphe 12 de sa décision, le juge Archambault s'exprimait dans les termes suivants:

12 Il ressort clairement de ces dispositions du C.C.Q. que le lien de subordination demeure la principale distinction entre un contrat d'entreprise (ou de service) et un contrat de travail. Quant à cette notion de lien de subordination, je crois que les commentaires du juge Pratte dans l'affaire Gallant sont toujours applicables :

Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions.

24         Par ailleurs, dans l'affaire D & J Driveway Inc. c. Canada, C.A.F., no. A-512-02, 27 novembre 2003, 322 N.R. 381, [2003] A.C.F. no 1784 (Q.L.), le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale affirmait que ce n'est pas parce qu'un donneur d'ouvrage peut contrôler le résultat du travail qu'il existe nécessairement une relation employé-employeur. Voici comment il s'exprimait à cet égard au paragraphe 9 du jugement :

9 Un contrat de travail requiert l'existence d'un lien de subordination entre le payeur et les salariés. La notion de contrôle est le critère déterminant qui sert à mesurer la présence ou l'étendue de ce lien. Mais comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), (1996), A.C.F. no. 1337, [1996] 207 N.R. 299, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2002 CAF 394, il ne faut pas confondre le contrôle du résultat et le contrôle du travailleur. Au paragraphe 10 de la décision, il écrit :

Rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.

25 [...] Plusieurs indices peuvent être pris en considération afin de détecter la présence ou l'absence d'un lien de subordination. Dans sa décision dans l'affaire Seitz c. Entraide populaire de Lanaudière inc., Cour du Québec (chambre civile), no. 705-22-002935-003, 16 novembre 2001, [2001] J.Q. no. 7635 (Q.L.), la juge Monique Fradette de la Cour du Québec a fourni une série d'indices pouvant permettre de déterminer s'il y a subordination ou non. Voici comment elle s'exprimait sur ce point aux paragraphes 60 à 62 du jugement :

60 La jurisprudence exige, pour qu'il y ait un contrat de travail, l'existence d'un droit de surveillance et de direction immédiate. Le simple fait qu'une personne donne des instructions générales sur la manière d'effectuer le travail, ou qu'elle se réserve un droit d'inspection et de supervision sur le travail, ne suffit pas à convertir l'entente en un contrat de travail.

61 Une série d'indices développée par la jurisprudence permet au tribunal de déterminer s'il y a présence ou non d'un lien de subordination dans la relation des parties.

62 Les indices d'encadrement sont notamment:

-            la présence obligatoire à un lieu de travail

-            le respect de l'horaire de travail

-            le contrôle des absences du salarié pour des vacances

-            la remise de rapports d'activité

-            le contrôle de la quantité et de la qualité du travail

-            l'imposition des moyens d'exécution du travail

-            le pouvoir de sanction sur les performances de l'employé

-            les retenues à la source

-            les avantages sociaux

-            le statut du salarié dans ses déclarations de revenus

-            l'exclusivité des services pour l'employeur

26                   Toutefois, j'estime que ce n'est pas parce que quelques indices appuient la conclusion qu'il existe un lien de subordination qu'il faut arrêter l'analyse. L'exercice consiste, selon la distinction établie dans le C.c.Q., à déterminer la relation globale des parties. Il s'agit donc d'établir dans quelle proportion les indices pouvant mener à la conclusion qu'il existe un lien de subordination sont prédominants par rapport aux autres.

C. ANALYSE

[14]     C'est en fonction de ces indices que j'examinerai la relation globale entre l'appelante et l'intervenante, afin de déterminer la présence ou l'absence d'un lien de subordination.

[15]     La présence obligatoire à un lieu de travail : le travail de représentant pour l'appelante s'effectuait sur le terrain, puisque le rôle d'un représentant est de vendre des polices d'assurances en faisant du porte-à-porte et d'obtenir le renouvellement de polices en vigueur en visitant les clients chez eux. L'intervenante n'était donc pas tenue de se rendre à un même lieu de travail tous les jours. Cependant, les secteurs où devait travailler l'intervenante lui étaient assignés par M. Saint-Laurent. Lors de son témoignage à l'audience, l'intervenante a déclaré qu'elle n'était pas libre de choisir elle-même ses secteurs et qu'elle devait travailler dans les rues que lui assignait M. Saint-Laurent. M. Saint-Laurent a confirmé dans son témoignage qu'il assignait à l'intervenante les rues dans lesquelles elle devait tenter de vendre les polices d'assurance de l'appelante, mais a affirmé qu'elle aurait été libre de choisir les rues dans lesquelles elle allait travailler, si elle le désirait. Quoi qu'il en soit, l'intervenante ne semble pas avoir été encouragée à choisir les secteurs où elle allait travailler.

[16]     Le respect de l'horaire de travail : les journées de travail de l'intervenante commençaient toujours par une réunion matinale avec son « gérant des ventes » , les autres représentants, et M. Saint-Laurent. L'intervenante a témoigné que ses journées de travail étaient organisées selon un horaire rigide : il y avait d'abord des réunions obligatoires le matin afin de déterminer les objectifs de la journée et de motiver les représentants, puis une autre réunion vers midi pour faire le bilan de la matinée et préparer le travail de l'après-midi. Comme son « gérant de district » s'attendait à ce que l'intervenante assiste à ces réunions, elle n'avait pas d'autre choix que de suivre l'horaire de travail fixé par M. Saint-Laurent.

[17]     Le contrôle des absences du salarié : il est arrivé que l'intervenante manque des réunions matinales, et elle s'est aussi absentée en raison de sa grossesse. Il a été révélé lors de l'audience que l'intervenante justifiait ses absences auprès de M. Saint-Laurent en lui remettant des certificats médicaux. Bien que M. Saint-Laurent n'exigeât pas explicitement de certificats médicaux, il acceptait de les voir lorsque l'intervenante offrait de lui en présenter. L'intervenante n'aurait vraisemblablement pas demandé à son médecin de lui fournir ces certificats si elle ne se croyait pas tenue de justifier ses absences auprès de M. Saint-Laurent; et ce dernier semble s'être gardé de lui faire savoir qu'en tant que travailleuse autonome, elle n'avait pas à justifier ses absences ainsi.

[18]     La remise de rapports d'activité : l'intervenante donnait des rapports d'activité à M. Saint-Laurent afin qu'il puisse totaliser les ventes qu'elle effectuait et lui verser les commissions qui en découlaient. Ces rapports étant essentiels pour la comptabilité et pour les dossiers de l'appelante, ils ne sont pas nécessairement indicatifs d'une relation employeur-employé.

[19]     Le contrôle de la quantité et de la qualité du travail : l'intervenante fixait avec M. Saint-Laurent des objectifs quantitatifs quant aux ventes. Si elle n'atteignait pas ces objectifs, M. Saint-Laurent l'exhortait à suivre plus exactement les techniques de vente décrites dans les manuels de formation préparés par l'appelante à l'intention des représentants. En ce qui concerne la qualité du travail de l'intervenante, du moins pendant la durée de son stage obligatoire, M. Saint-Laurent, en tant que maître de stage, devait s'assurer que l'intervenante n'avait pas fait de fausses déclarations aux clients et que le consentement de ceux-ci était bien valide. À mon avis, le fait que cette obligation soit imposée par la Loi sur la distribution de produits et services financiers plutôt que par une politique interne de l'appelante importe peu : c'est le degré de contrôle exercé sur la qualité du travail qui compte.

[20]     L'imposition des moyens d'exécution du travail : c'est l'une des distinctions les plus fondamentales entre le contrat d'entreprise, en vertu duquel un entrepreneur n'a généralement qu'une obligation de résultat, et le contrat de travail, en vertu duquel l'employeur impose à l'employé une obligation de moyens, afin que celui-ci parvienne au résultat selon la méthode préconisée par son employeur. Or, la preuve a révélé que les manuels de formation de l'appelante, et M. Saint-Laurent aussi, insistaient sur l'utilisation de présentations de vente toutes faites, qui prévoyaient même des réponses aux objections et aux refus des clients. En voici un exemple (pièce I-3) :

Client :             Je ne suis pas intéressé.

Agent :             M./Mme _________, si vous aviez une machine à fabriquer de l'argent, et qu'elle vous rapportait des milliers de dollars par année, vous voudriez sûrement assurer cette machine pour seulement $ _______ par semaine? N'est-ce pas?

Client :             Oui

Agent :             Bonnes nouvelles...

            Vous êtes cette machine. Potentiellement, vous valez des milliers de dollars en revenu futur. Je crois que vous serez d'accord, qu'une machine aussi précieuse devrait être assurée... surtout lorsque la prime est aussi minime. N'est-ce pas vrai? ou Vous êtes d'accord avec ça?

Client :             Oui

Agent :             Est-ce que je peux l'écrire pour vous alors?

Client :             Oui

Agent :             Vous voulez l'unité complète, $_____ par mois ______ comme les autres, n'est-ce pas?

Ces scénarios de vente et l'importance qui leur était attribuée lors de la formation et des réunions auxquelles l'intervenante était tenue d'assister me paraissent plutôt indicatifs de l'imposition par l'appelante de moyens d'exécution du travail.

[21]     Le pouvoir de sanction sur les performances de l'employé : en plus de la vente de polices d'assurance à de nouveaux clients, les représentants s'occupaient aussi du renouvellement de polices existantes. Il était plus facile d'obtenir un renouvellement que de vendre une nouvelle police, et les commissions versées par l'appelante étaient plus grosses pour les nouvelles ventes que pour les renouvellements. Cependant, les renouvellements constituaient pour l'intervenante une source de revenus, et les noms et adresses de clients dont les polices étaient à renouveler étaient fournis aux représentants par M. Saint-Laurent. S'il décidait de ne pas donner de renouvellements à un représentant en raison de la médiocrité de son rendement, cette décision avait l'effet d'une sanction économique pour le représentant. Je suis d'accord avec le procureur de l'appelante lorsqu'il fait valoir qu'une sanction purement économique devrait être distinguée d'une sanction disciplinaire. Toutefois, il n'en demeure pas moins que l'appelante disposait tout de même, envers l'intervenante, d'un pouvoir de sanction, même si la sanction ne prenait qu'une forme économique.

[22]     Les retenues à la source et les avantages sociaux : l'appelante n'effectuait pas de retenues à la source sur les sommes qu'elle versait à l'intervenante, qui ne jouissait d'aucun avantage social susceptible de révéler l'existence d'un contrat de travail.

[23]     Le statut du salarié dans ses déclarations de revenus : l'intervenante déclarait des revenus d'entreprise et, sur le conseil de M. Saint-Laurent, gardait les reçus des dépenses qu'elle effectuait dans l'exécution de ses fonctions, afin de pouvoir déduire ces dépenses de son revenu imposable. De prime abord, cela paraît difficilement compatible avec l'existence d'un contrat de travail typique, mais le fait que l'intervenante ait quand même entrepris des démarches pour obtenir des prestations d'assurance-emploi après la fin de son contrat avec l'appelante indique que sa compréhension de sa situation et du fonctionnement du régime fiscal et du système d'assurance-emploi était assez limitée.

[24]     L'exclusivité des services pour l'employeur : l'intervenante a témoigné qu'elle ne pouvait vendre que les produits d'assurance de l'appelante et ne pouvait occuper d'autre emploi. Il semble cependant que personne ne lui avait explicitement dit qu'elle ne pouvait exercer d'autre activité professionnelle. Je n'ai aucun doute quant au fait que l'intervenante croyait qu'elle ne pouvait travailler pour personne d'autre, et il semble que ni l'appelante ni M. Saint-Laurent n'ont fait d'effort particulier pour la détromper. Malgré tout, cela ne reste qu'une impression qu'avait l'intervenante, impression qui ne saurait avoir la même valeur probante qu'une interdiction explicite émanant de l'appelante.

D. CONCLUSION

[25]     À la lumière des indices énumérés plus haut, je conclus que le degré de contrôle dans la relation entre l'appelante et l'intervenante était tel qu'il y avait un lien de subordination suffisant pour qu'il existe un contrat de travail plutôt qu'un contrat d'entreprise.

[26]     Cependant, il n'est pas question en l'espèce de faire le procès du modèle selon lequel l'appelante fait affaire. Il est fort possible que la grande majorité de ses représentants travaillent en tant que travailleurs autonomes. Il est même possible que M. Saint-Laurent, qui disposait d'un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui concernait la façon dont il gérait les représentants, n'ait pas exercé le même degré de contrôle sur le travail des autres représentants qui travaillaient sous sa supervision.

[27]     Par contre, il me paraît clair que pendant la période durant laquelle l'intervenante a travaillé pour l'appelante, en étant soumise au contrôle exercé par l'appelante, elle a connu tous les désavantages du statut d'employé sans pour autant avoir eu accès aux avantages qui peuvent découler de ce statut, comme admissibilité aux prestations d'assurance-emploi.

[28]     Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de septembre 2005.

« C.H. McArthur »

Juge McArthur


RÉFÉRENCE :

2005CCI478

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-4421(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE:

Combined Insurance Company of America c. Le ministre du Revenu national et Mélanie Drapeau

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 6 mai 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable C.H. McArthur

DATE DU JUGEMENT :

Le 6 septembre 2005

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :

Me Mélanie Beaulieu et

Me Yves St-Cyr

Avocate de l'intimée :

Me Natalie Goulard

Pour l'intervenante :

L'intervenante elle-même

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats de l'appelante :

Nom :

Me Mélanie Beaulieu et

Me Yves St-Cyr

Cabinet :

Ogilvy, Renault

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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