Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2002-410(CPP)

ENTRE :

URANIUM CITY HOSPITAL,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Uranium City Hospital (2002-411(EI)) le 13 mars 2003 à Saskatoon (Saskatchewan)

Devant : L'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocats de l'appelante :

Me John R. Beckman

Me T. Petrescue

Avocat de l'intimé :

Me Lyle Bouvier

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 27e jour de juin 2003.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2004.

Louise-Marie LeBlanc, traductrice


Dossier : 2002-411(EI)

ENTRE :

URANIUM CITY HOSPITAL,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Uranium City Hospital (2002-410(CPP)) le 13 mars 2003 à Saskatoon (Saskatchewan)

Devant : L'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocats de l'appelante :

Me John R. Beckman

Me Michael T. Petrescue

Avocat de l'intimé :

Me Lyle Bouvier

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 27e jour de juin 2003.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2004.

Louise-Marie LeBlanc, traductrice


Référence : 2003CCI439

Date : 20030627

Dossiers : 2002-410(CPP)

2002-411(EI)

ENTRE :

URANIUM CITY HOSPITAL,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]      L'appelante a interjeté appel à l'encontre de deux décisions du ministre du Revenu national (le « ministre » ) datées du 23 octobre 2001. Le ministre a conclu que Joanne Chisan (Mme Chisan ou la travailleuse) occupait un emploi assurable et ouvrant droit à pension lorsqu'elle travaillait pour Uranium City Hospital (Hospital ou payeuse) pendant les périodes allant du 21 août 2000 au 4 septembre 2000, du 30 octobre 2000 au 13 novembre 2000, du 30 janvier 2001 au 13 février 2001 et du 30 avril 2001 au 14 mai 2001. Les décisions ont été prises en vertu des dispositions pertinentes de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) et du Régime de pensions du Canada (le « Régime » ), respectivement.

[2]      À la demande des avocats, les deux appels ont été entendus ensemble.

[3]      Andrew Cebryk a témoigné qu'il habitait à Lanigan, en Saskatchewan, et qu'il était directeur général à temps partiel de Hospital situé à Uranium City, en Saskatchewan. Il a fait ses études à la University of Saskatchewan et à l'Université d'Ottawa et a obtenu un certificat en administration des soins de santé. Il a commencé sa carrière en gestion des soins de santé en 1972 au Lanigan Hospital où il était directeur général et plus tard, il a occupé le même poste auprès du Living Sky Health District. Il a pris sa retraite en 1998 puis est retourné au travail en août 1999 lorsqu'il a accepté un poste de directeur général à temps partiel à Hospital. À ce moment-là, cinq infirmières avaient démissionné et il avait été impossible de trouver des remplaçants. Par conséquent, Hospital avait décidé d'engager des infirmières aux termes d'un contrat d'entreprise et avait obtenu l'approbation du Saskatchewan Union of Nurses (SUN) avant de prendre cette mesure. Pendant la période où l'on manquait d'infirmières, on avait interrompu les services aux hospitalisés, mais on avait maintenu les services de consultation externe et les services d'urgence. Les patients nécessitant des soins médicaux supplémentaires et/ou d'autres formes de soins avaient été transférés par transport aérien (medevac) dans des hôpitaux situés dans le sud.

[4]      Au cours du contre-interrogatoire, Andrew Cebryk a déclaré qu'on exploitait présentement Hospital aux termes d'un décret, et le ministre de la Santé avait désigné des membres de différentes collectivités comme membres du Conseil d'administration. M. Cebryk recevait sa rémunération de Hospital même s'il avait été recruté par le ministère provincial de la Santé.

[5]      Joanne Chisan a témoigné qu'elle est infirmière autorisée (inf. aut.) et qu'elle habite à Saskatoon, en Saskatchewan. Elle a reçu son diplôme en 1984 du Wascana Institute à Regina et, après avoir travaillé dans cette ville pendant un an, elle a déménagé à Saskatoon où elle a travaillé onze ans au Royal University Hospital (RUH). Plus tard, elle a commencé à travailler pour l'unité des ambulances aériennes exploitée par le ministère de la Santé. Dans les deux cas, elle avait été embauchée à titre d'employée et était membre du SUN. Pendant qu'elle travaillait à l'unité des ambulances aériennes, elle a appris que l'appelante cherchait à combler des postes d' « infirmières à contrat » , qui seraient prêtes à fournir des soins infirmiers à Uranium City dans le nord de la Saskatchewan, une petite collectivité isolée seulement accessible par transport aérien. Le taux de rémunération offert par Hospital était plus élevé que le taux de rémunération quotidien applicable à son salaire annuel régulier. Le 29 novembre 1999, Mme Chisan a signé un contrat, la pièce A-2, avec Hospital par lequel elle acceptait de fournir des soins infirmiers selon un système de rotation, soit pour une période de deux semaines chaque fois qu'elle s'y rendait. Selon ce contrat, elle était embauchée à titre de travailleuse professionnelle autonome. Toutefois, ce premier contrat ne couvrait que la période allant du 29 novembre au 10 décembre 1999. Après cette période, les parties avaient utilisé l'addenda A annexé au contrat après la dernière page afin de prolonger le contrat d'une période à une autre. Aux termes de son contrat, elle a travaillé à Hospital du 29 novembre au 10 décembre 1999, puis elle a repris son emploi régulier au RUH à Saskatoon. Elle a effectué une autre rotation à Hospital entre le 24 avril et le 8 mai 2000 et est retournée à Uranium City entre le 21 août et le 4 septembre 2000 et ensuite du 30 octobre au 13 novembre 2000. Chaque fois qu'elle avait terminé la période de deux semaines, elle retournait à son emploi régulier au RUH. En 2001, elle a travaillé à Hospital du 30 janvier au 13 février et du 30 avril au 14 mai. D'autres périodes de deux semaines avaient été prévues, mais Mme Chisan a déclaré qu'elle avait dû annuler son engagement en raison d'une maladie grave pour laquelle elle avait été hospitalisée pendant deux mois. En 2002, elle a accepté une autre affectation de deux semaines à Hospital, mais elle est tombée malade en raison d'une réaction à certains médicaments et il a fallu la ramener de Uranium City à Saskatoon par MEDEVAC. Par conséquent, on ne lui a pas versé le reste de sa rémunération quotidienne tel qu'elle était établie dans le contrat conclu avec Hospital, et il n'y avait pas eu d'autre compensation financière à venir. Mme Chisan a déclaré qu'elle pouvait fournir ses services à Hospital de façon périodique parce qu'elle avait pu profiter de l'avantage des horaires variables qu'offrait le RUH afin de faciliter les périodes pendant lesquelles l'appelante avait besoin de ses services. Au début, on a établi la rémunération pour les services à 400 $ par jour, y compris une allocation pour deux jours de déplacement, soit l'aller-retour de Uranium City, et Hospital payait aussi les billets d'avion, les repas et les frais de déplacement pour se rendre à l'aéroport et en revenir. Mme Chisan a fait référence à la clause 5.0 intitulée « Indemnisation » , selon laquelle elle (à titre d'entrepreneure) avait accepté d'indemniser Hospital de toute réclamation, demande ou cause d'action de toute nature qui pourrait être présentée à Hospital relativement à tout geste posé ou toute omission de sa part dans le cadre de la prestation de ses services aux termes de leur entente. Conformément à la clause 6.0 dudit contrat, elle avait accepté de ne pas confier ou transférer son travail ou ses services à une autre personne sans le consentement préalable écrit de Hospital. Mme Chisan a déclaré que lorsqu'elle accomplissait ses tâches générales d'infirmière à Hospital pendant ses périodes de deux semaines, personne d'autres que les médecins traitants ne supervisaient son travail. Elle était logée à l'hôpital et y prenait ses repas puisqu'il n'y avait pas d'hôtel ni de cafés à Uranium City. Elle a indiqué qu'elle déclarait le revenu provenant des services fournis à Hospital à titre de travailleuse autonome. Elle gagnait des revenus supplémentaires en effectuant des examens médicaux pour des entreprises d'assurance et en vendant des produits Avon. Ces revenus étaient également inscrits dans la catégorie des revenus d'entreprise desquels elle déduisait les dépenses liées à son bureau à domicile attribuables à la production de ce revenu. Mme Chisan a déclaré qu'avant d'accepter de fournir ses services à Hospital, elle avait confirmé auprès du SUN que son assurance responsabilité civile professionnelle de l'époque était suffisante et pourrait s'appliquer aux services de soins infirmiers fournis aux termes de son entente contractuelle avec Hospital. Elle a ajouté qu'en plus des cotisations syndicales, elle devait payer des droits de permis annuels qui comprenaient la prime d'assurance responsabilité civile.

[6]      Au cours du contre-interrogatoire par l'avocat de l'intimé, on a renvoyé Joanne Chisan au Questionnaire, pièce R-1, qu'elle avait rempli le 8 octobre 2001. Elle reconnaît que sa mémoire des événements aurait été meilleure à cette époque. Au sous-paragraphe 9b) du document, en réponse à la question [traduction] « Qui vous supervisait? » , elle avait répondu [traduction] « L'infirmière-chef et/ou les médecins » . Mme Chisan a déclaré que Lisa Clark occupait le poste d'infirmière-chef et qu'elle travaillait également aux termes d'un contrat rotatif selon lequel elle travaillait deux semaines suivies de deux semaines où elle ne travaillait pas. Au sous-paragraphe 4c) dudit Questionnaire, Mme Chisan a indiqué que le taux quotidien de 400 $ avait été établi par le Conseil d'administration. Elle a déclaré qu'elle était en attente tous les jours 24 heures sur 24 lorsqu'elle était à Uranium City, mais qu'elle pouvait prendre du temps pour besoins personnels pendant la journée. Il y avait en tout temps deux infirmières travaillant avec l'équipe de trois médecins qui habitaient Uranium City. Elle reconnaît que l'appelante fournissait tous les outils et l'équipement nécessaires. Quant à ses revenus, elle a inscrit trois différentes sources de revenu dans sa déclaration de revenus pour les années pertinentes, y compris des montants provenant d'un emploi, des montants versés pour des examens médicaux et d'autres sommes provenant de la vente de produits Avon.   

[7]      Donald Stewart a témoigné qu'il avait obtenu son titre de comptable en management accrédité (CMA) après avoir obtenu un baccalauréat en commerce à la University of Saskatchewan. Depuis juin 2000, il occupait le poste de directeur des finances pour l'appelante. Afin de donner un aperçu de l'isolement de Uranium City, M. Stewart a présenté une carte géographique, la pièce A-3, sur laquelle on avait surligné en jaune trois villes, soit Stony Rapids, Black Lake et Uranium City, situées près de la frontière entre la Saskatchewan et l'Alberta. Hospital fournit également des services dans d'autres collectivités, soit Fond du Lac et Camsell Portage. La population de cette région est d'environ 3 500 habitants, mais Uranium City compte maintenant environ 150 habitants. À une époque révolue, lorsque la ville était le centre de l'extraction minière de l'uranium, la population s'élevait à environ 6 000 habitants, mais depuis le déclin de cette industrie, on ne trouve plus d'entreprises offrant des services d'hébergement, d'alimentation, de boissons ou de divertissement. Pendant les périodes pertinentes, et de nos jours, Uranium City n'est accessible que par transport aérien étant donné que l'on n'offre plus le service de barge à partir de Fort McMurray, en Alberta. Si l'on compte les arrêts dans différentes collectivités, il faut environ cinq ou six heures d'avion pour se rendre de Saskatoon à Uranium City même si le temps de vol réel n'est qu'environ deux heures. M. Stewart a déclaré qu'il était difficile de trouver des remplaçantes pour combler les postes des cinq infirmières qui avaient quitté leur emploi en soins généraux. L'appelante a annoncé les postes d'infirmières à combler, mais sans succès. Par conséquent, le Conseil de Hospital a décidé de prendre une mesure visant à susciter l'intérêt des infirmières désireuses de travailler comme entrepreneure indépendante et de fournir leurs services pour des périodes de deux semaines puisqu'on savait qu'il serait difficile de trouver des infirmières désireuses de travailler pour des périodes plus longues, sans parler du manque de commodité et de l'isolement. M. Stewart a fait référence à un rapport de vérificateur, la pièce A-4, daté du 18 août 2000 et fourni aux membres de l'Assemblée législative de la Saskatchewan. On y indique ceci à la note 1 : [traduction] « Les services aux hospitalisés fournis au Uranium City Hospital ont été interrompus à partir du 8 août 1999 en raison de la pénurie de personnel. »

[8]      L'avocat de l'intimé n'a pas procédé à un contre-interrogatoire.

[9]      L'avocat de l'appelante a fait valoir que la relation de travail entre Mme Chisan et l'appelante était quelque peu inhabituelle compte tenu de l'urgence de la situation à la suite de l'interruption de certains services après que tous les membres du personnel infirmier ont remis leur démission et que l'appelante n'arrivait pas à trouver d'employées remplaçantes pour les infirmières qui étaient parties. L'avocat a soutenu que les infirmières étaient supervisées, le cas échéant, par des médecins qui n'étaient pas des employés de l'appelante et qu'ils ne les supervisaient que si elles fournissaient des soins médicaux aux patients. De plus, l'avocat a souligné le fait que Mme Chisan pouvait déterminer quelles périodes de travail convenaient le mieux à son propre horaire de travail et qu'il existait la possibilité d'un risque lié à la responsabilité professionnelle non entièrement couvert par l'assurance qui lui était fournie à titre de membre de son syndicat. De plus, l'avocat a mis l'accent sur le risque financier auquel Mme Chisan avait dû faire face en 2002 lorsqu'elle est tombée malade pendant qu'elle travaillait à Hospital et qu'on avait dû la renvoyer chez elle par ambulance aérienne avant la fin de sa période rotative de deux semaines, perdant ainsi son revenu. L'avocat a soumis que la tendance dans les décisions récentes des tribunaux appuyait la position selon laquelle l'intention des parties devrait être respectée lorsqu'on examine le contexte des circonstances applicables à la relation de travail, et il a ajouté que l'ensemble de la preuve montrait que Mme Chisan n'était pas une employée de Hospital pendant les périodes pertinentes.

[10]     L'avocat de l'intimé a fait valoir que dans un récent arrêt de la Cour suprême du Canada, on avait clarifié l'état du droit à ce sujet. L'avocat a fait référence à la preuve de supervision et de contrôle dans le sens que la travailleuse relevait des médecins et qu'elle travaillait dans un milieu hospitalier où il y avait une infirmière-chef. En raison de la nature des services fournis, l'avocat a admis que le critère des outils et de l'équipement n'était pas pertinent, mais il a soumis que compte tenu de tous les autres facteurs, la travailleuse fournissait ses services à l'appelante non à titre d'entrepreneure indépendante, mais à titre d'employée à temps partiel travaillant pendant des périodes précises irrégulières.

[11]      Dans un récent arrêt, 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983(Sagaz) la Cour suprême du Canada a traité une affaire de responsabilité du fait d'autrui et au cours de l'examen de différentes questions en litige pertinentes, la Cour a dû examiner également la définition d'un entrepreneur indépendant. La décision de la Cour a été rendue par le juge Major qui a examiné l'évolution de la jurisprudence en ce qui concerne l'importance de la différence entre un employé et un entrepreneur indépendant en ce qu'elle a trait à son incidence sur la question de responsabilité du fait d'autrui. Après avoir fait référence aux motifs du juge d'appel MacGuigan dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, ([1986] 2 C.T.C. 200), à la référence que l'on y trouve au critère d'organisation de lord Denning ainsi qu'à la synthèse du juge Cooke dans la décision Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, le juge Major a déclaré ceci aux paragraphes 45 à 48 inclusivement de son jugement :

Enfin, un critère se rapportant à l'entreprise elle-même est apparu. Flannigan, [...] [ « Enterprise control: The servant-independent contractor distinction » (1987), 37 U.T.L.J. 25, à la page 29] énonce le [TRADUCTION] « critère de l'entreprise » selon lequel l'employeur doit être tenu responsable du fait d'autrui pour les raisons suivantes : (1) il contrôle les activités du travailleur, (2) il est en mesure de réduire les risques de perte, (3) il tire profit des activités du travailleur, (4) le coût véritable d'un bien ou d'un service devrait être assumé par l'entreprise qui l'offre. Pour Flannigan, chaque justification a trait à la régulation du risque pris par l'employeur, et le contrôle est donc toujours l'élément crucial puisque c'est la capacité de contrôler l'entreprise qui permet à l'employeur de prendre des risques. Le juge La Forest a lui aussi formulé un « critère du risque de l'entreprise » dans l'opinion dissidente qu'il a exposée relativement au pourvoi incident dans l'arrêt London Drugs. Il a écrit, à la p. 339, que « [l]a responsabilité du fait d'autrui a pour fonction plus générale de transférer à l'entreprise elle-même les risques créés par l'activité à laquelle se livrent ses mandataires. »

À mon avis, aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Lord Denning a affirmé, dans l'arrêt Stevenson Jordan, [...] ([1952] 1 The Times L.R. 101)] qu'il peut être impossible d'établir une définition précise de la distinction (p. 111) et, de la même façon, Fleming signale que [traduction] « devant les nombreuses variables des relations de travail en constante mutation, aucun critère ne semble permettre d'apporter une réponse toujours claire et acceptable » (p. 416). Je partage en outre l'opinion du juge MacGuigan lorsqu'il affirme -- en citant Atiyah, [...] [Vicarious Liability in the Law of Torts, Londres, Butterworths, 1967], p. 38, dans l'arrêt Wiebe Door, p. 563 -- qu'il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles :

[TRADUCTION]    [N]ous doutons fortement qu'il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d'identifier les contrats de louage de services [...] La meilleure chose à faire est d'étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s'appliquent pas dans tous les cas et n'ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n'est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.

Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

[12]     Je vais examiner les faits en fonction des critères établis dans le jugement du juge Major dans l'affaire Sagaz.

Degré de contrôle

[13]     La travailleuse devait suivre les ordres des médecins traitant des patients à l'hôpital, mais ils n'étaient pas des employés de l'appelante, et la preuve ne montre pas qu'ils avaient été embauchés afin d'exercer une supervision plus importante sur la travailleuse ou sur les autres infirmières. En général, les infirmières ont une obligation professionnelle d'obéir aux ordres des médecins, et cela n'indique pas un contrôle dans le sens ordinaire, en l'absence de circonstances propres à une structure hiérarchique normalement associée à une relation employeur-employé. La travailleuse était un professionnel chevronné et très consciente de ses tâches et ses responsabilités. Il y avait une infirmière-chef dans le sens qu'il y avait quelqu'un vers qui la travailleuse pouvait se tourner au besoin.

Fourniture de l'équipement et/ou engagement d'assistants

[14]     Ce facteur n'est pas particulièrement pertinent. Mme Chisan fournissait son temps, ses connaissances et son dévouement à ses tâches. Toutefois, elle pouvait assigner ses tâches à une autre personne avec l'approbation écrite de l'appelante obtenue au préalable. Il ne s'agit pas d'une option, même restreinte, que permettrait un employeur lorsqu'il embauche quelqu'un à titre d'employé.

Étendue des risques financiers et responsabilité des mises de fonds et de la gestion

[15]     Les périodes pertinentes couvertes par la décision du ministre commencent le 21 août 2000 et se terminent le 14 mai 2001. Cependant, la travailleuse a commencé à fournir ses services infirmiers à l'appelante en novembre 1999 et, après s'être rétablie de sa maladie, elle est revenue au travail en 2002, mais est tombée malade de nouveau en raison d'une autre maladie. Il est clair que la travailleuse subissait aussi un risque financier pendant la période limitée couverte par la décision du ministre. En 2002, lorsqu'elle est tombée malade et qu'on a dû utiliser le transport aérien pour la conduire à un hôpital à Saskatoon, elle a perdu sa rémunération quotidienne de 400 $ pour les jours restants de la période de services convenue. Pendant toutes les périodes pertinentes, la travailleuse gérait son horaire de travail flexible au RUH et/ou à l'unité d'ambulance aérienne à titre d'employée afin d'avoir du temps disponible pendant lequel elle pourrait recevoir un taux de rémunération quotidien fixe en plus de son salaire régulier en acceptant de fournir ses services à l'appelante. Il y avait également un certain degré de risque lié à la clause d'indemnisation de son contrat avec l'appelante. Bien qu'elle ait eu une assurance responsabilité civile professionnelle en étant membre du syndicat, il existait quand même un plus grand risque de poursuite pour négligence que si elle n'avait été qu'employée du RUH ou de l'unité des ambulances aériennes exploitée par le ministère de la Santé. Lorsqu'une personne travaille comme employée, l'employeur doit assumer le fardeau des litiges, mais aux termes d'un contrat d'entreprise contenant une clause d'indemnisation, une personne peut se trouver en désaccord avec son propre assureur en raison de certaines clauses limitatives et/ou certaines conditions statutaires. Mis à part les investissements nécessaires pour remplir ses obligations professionnelles, la travailleuse n'avait pas à faire d'investissement pour respecter les conditions de son contrat avec l'appelante, et on n'attendait pas d'elle qu'elle remplisse un rôle de gestion quelconque au sein de l'établissement sanitaire.

Occasion de profit dans l'exécution de ses tâches

[16]     La travailleuse a accepté pour ses services une rémunération quotidienne de 400 $, y compris deux jours de déplacement pour se rendre à Uranium City et en revenir. L'appelante acceptait de payer les billets d'avion et les frais de déplacement conformément aux taux établis par le gouvernement provincial en vigueur pendant les différentes périodes. L'occasion de profit reposait sur la gestion efficace de son temps dans un agenda déjà chargé où Mme Chisan devait répondre aux demandes liées à un emploi à temps plein, à des contrats d'entreprise à temps partiel tels que les examens médicaux effectués pour le compte des compagnies d'assurances et la vente de produits Avon, en plus de jongler avec les demandes liées à la prestation de ses services à l'appelante sur une base rotative.

[17]     Dans la décision Ministre du Revenu national c. Emily Standing, [1992] A.C.F. no 890, le juge d'appel Stone s'est exprimé en ces termes :

[...] Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. [...]

[18]     Dans l'affaire Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (2002 DTC 6853), la Cour d'appel fédérale - après l'arrêt Sagaz - a examiné l'appel interjeté à l'encontre de l'impôt sur le revenu d'un ingénieur en mécanique se spécialisant dans l'industrie de l'aérospatiale. On a soulevé la question de savoir si cet appelant était un employé de Canadair ou un entrepreneur indépendant. L'analyse des différents facteurs dont il fallait tenir compte pour trancher cette question était fondée sur des articles pertinents du Code civil du Québec en plus de la jurisprudence applicable jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada rendre sa décision dans l'affaire Sagaz, précitée. Aux fins des présents appels, l'aspect intéressant de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Wolf vise l'importance qu'il faut accorder à l'intention des parties au moment d'établir le caractère de leur relation de travail. Ce point est important dans le sens que l'opposition inhérente aux paroles du juge d'appel Stone dans la décision Standing,précitée, a permis de rappeler aux parties qu'elles ne peuvent pas simplement donner un nom à leur relation de travail et s'attendre à ce qu'on s'y tienne à moins que l'ensemble du contexte ne le permette. Avant de conclure que la relation de travail entre l'ingénieur et Canadair constituait une relation d'entrepreneur indépendant, la juge d'appel Desjardins a présenté, au paragraphe 93, ses motifs du jugement rédigés en ces termes :

Tant le travail de Canadair que celui de l'appelant étaient intégrés au sens qu'ils visaient la même activité et le même objectif, à savoir la certification des aéronefs. Toutefois, compte tenu du fait que le facteur d'intégration doit être pris dans la perspective de l'employé, il est clair que cette intégration était incomplète. L'appelant était chez Canadair pour fournir une aide temporaire dans un champ limité d'expertise, à savoir le sien. Lorsque l'on répond à la question « à qui est l'entreprise? » , de ce point de vue là, l'entreprise de l'appelant est indépendante. Une fois le projet de Canadair terminé, l'appelant était éjecté en quelque sorte de son travail. Il devait en chercher un autre sur le marché et ne pouvait pas demeurer à Canadair à moins qu'un autre projet n'ait commencé.

[19]     Le juge d'appel Décary, souscrivant aux résultats, a commenté ses motifs exprimés de la façon suivante au paragraphe 115 :

    Dès le départ, je voudrais citer le tout premier paragraphe d'un article écrit par Alain Gaucher ( « A Worker's Status as Employee or Independent Contractor » dans Report of Proceedings of the Fifty First Tax Conference, 1999 Conference Report de l'Association canadienne d'études fiscales, page 33.1) :

[TRADUCTION] Dans une économie canadienne en perpétuel changement, la pertinence juridique du statut du travailleur à titre d'entrepreneur indépendant ou d'employé demeure importante. Les questions qui concernent le statut juridique auront un intérêt de plus en plus grand à mesure que les employeurs continueront à recourir à des pratiques d'embauche qui favorisent les entrepreneurs indépendants et qu'un plus grand nombre de personnes pourront entrer ou revenir dans la population active à titre d'entrepreneurs indépendants.

[20]     Aux paragraphes 117 à 120 inclusivement, le juge d'appel Décary s'est exprimé en ces termes :

Le critère consiste donc à se demander, en examinant l'ensemble de la relation entre les parties, s'il y a contrôle d'un côté et subordination de l'autre. Je dirai, avec le plus grand respect, que les tribunaux, dans leur propension à créer des catégories juridiques artificielles, ont parfois tendance à ne pas tenir compte du facteur même qui est l'essence d'une relation contractuelle, à savoir l'intention des parties. L'article 1425 du Code civil du Québec établit le principe selon lequel « on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés » . L'article 1426 du Code civil du Québec poursuit en disant : « [o]n tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages » .

Nous sommes en présence ici d'un type de travailleur qui a choisi d'offrir ses services à titre d'entrepreneur indépendant et non pas d'employé et d'un type d'entreprise qui choisit des entrepreneurs indépendants au lieu de prendre des employés. Le travailleur sacrifie délibérément sa sécurité d'emploi en échange de la liberté ([traduction] « le salaire était beaucoup plus élevé, il n'y avait pas de sécurité d'emploi, pas d'avantages sociaux comme ceux que touche l'employé, par exemple l'assurance-maladie, la retraite, des choses de ce genre » , témoignage de M. Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 24). La société qui embauchait utilise délibérément des entrepreneurs indépendants pour effectuer un certain travail à un certain moment ([traduction] « Le salaire est plus élevé avec une sécurité d'emploi moindre, parce que les consultants sont engagés pour combler les besoins lorsque l'emploi local ou la charge de travail sont anormalement élevés, ou quand l'entreprise ne veut pas engager d'autres employés et les mettre à pied ensuite. Ils engageront des consultants parce qu'ils peuvent mettre fin à leur contrat en tout temps sans avoir de responsabilités à leur égard » ibid., page 26). La société qui embauche ne traite pas ses consultants, dans son exploitation quotidienne, de la même manière qu'elle traite ses employés (voir paragraphe 68 des motifs de Mme le juge Desjardins). Toute la relation de travail commence et se maintient selon le principe voulant qu'il n'y a pas de contrôle ou de subordination.

Les contribuables peuvent organiser leurs affaires de la façon légale qu'ils désirent. Personne n'a laissé entendre que M. Wolf, Canadair ou Kirk-Mayer ne sont pas ce qu'ils disent être ou qu'ils ont arrangé leurs affaires de façon à tromper les autorités fiscales ou qui que ce soit. Lorsqu'un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu'il est exécuté comme tel, l'intention commune des parties est claire et l'examen devrait s'arrêter là. Si ce n'était pas suffisant, il suffit d'ajouter qu'en l'espèce, les circonstances dans lesquelles le contrat a été formé, l'interprétation que lui ont donnée les parties et l'usage dans l'industrie aérospatiale conduisent tous à conclure que M. Wolf n'est pas dans une position de subordination et que Canadair n'est pas dans une position de contrôle. La « question centrale » a été définie par le juge Major dans l'affaire Sagaz comme étant : « si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte » . Il est clair, à mon avis, que M. Wolf a exécuté des services professionnels à titre de personne qui travaillait pour son propre compte.

De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l'embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n'est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l'on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d'emploi, le peu d'égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité.

21]      Dans son bref jugement, le juge d'appel Noël, souscrivant aussi aux résultats, a examiné la question de l'intention des parties et ses motifs sont ainsi formulés :

J'accueillerais aussi l'appel. À mon avis, il s'agit d'un cas où la qualification que les parties ont donnée à leur relation devrait se voir accorder un grand poids. Je reconnais que la façon dont les parties décident de décrire leur relation n'est pas habituellement déterminante, en particulier lorsque les critères juridiques applicables pointent dans l'autre direction. Mais, dans une issue serrée comme en l'espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l'intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

Mon évaluation des critères juridiques applicables aux faits de l'espèce est essentiellement la même que celle de mes collègues. J'estime que leur évaluation du critère de contrôle, du critère d'intégration et de la propriété des outils n'est pas concluante, ni dans un sens ni dans l'autre. En ce qui concerne le risque financier, je conviens avec mes collègues que l'appelant, en contrepartie d'un salaire plus élevé, avait renoncé à bon nombre des prestations qui étaient hatibuellement dévolues à l'employé, y compris la sécurité d'emploi. Toutefois, je conviens avec la juge de la Cour de l'impôt que l'appelant était payé pour ses heures travaillées, quels que soient les résultats atteints, et qu'en ce sens, il ne supportait pas plus de risques qu'un employé ordinaire. Mon évaluation de l'ensemble de la relation entre les parties ne n'amène pas à une conclusion claire et c'est pourquoi, selon moi, il faut examiner la façon dont les parties voyaient leur relation.

Ce n'est pas un cas où les parties qualifiaient leur relation d'une façon telle que cela leur procure un avantage fiscal. Aucune manoeuvre frauduleuse ou aucun maquillage de quelque sorte n'est allégué. Il s'ensuit que la manière dont les parties ont pu voir leur entente doit l'emporter à moins qu'elles ne se soient trompées sur la véritable nature de leur relation. À cet égard, la preuve, lorsqu'elle est évaluée à la lumière des critères juridiques pertinents, est pour le moins neutre. Comme les parties ont estimé qu'elles se trouvaient dans une relation d'entrepreneur indépendant et qu'elles ont agi d'une façon conforme à cette relation, je n'estime pas que la juge de la Cour de l'impôt avait le loisir de ne pas tenir compte de cette entente (à comparer avec l'affaire Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.), à la page 170).

[22]     Dans l'affaire West Direct Express Ltd. v. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R.), [2003] T.C.J. No. 373, le juge suppléant Porter de la Cour canadienne de l'impôt devait trancher une affaire visant une personne fournissant des services de messagerie aux entreprises de Calgary. Au paragraphe 14 de ses motifs, le juge Porter s'est exprimé en ces termes :

                   [traduction]

Je suis également conscient qu'en raison des décisions récentes de la Cour d'appel fédérale dans les affaires Wolf c. Canada, [2002] A.C.F. no 375 et Precision Gutters Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national - M.N.R.), [2002] A.C.F. no 771, on a permis que s'établisse maintenant dans la jurisprudence un degré de latitude considérable qui permette aux experts d'être embauchés de façon à ne pas être considérés comme des employés comme on l'aurait fait auparavant. [...]

[23]     Après avoir fait référence à la citation du juge d'appel Décary dans la décision Wolf, précitée, le juge Porter a poursuivi de la manière suivante :

                   [traduction]

Ainsi, il semble à la Cour que la roue du changement s'est mise à tourner et qu'on permettra plus aisément aux parties de décider de leurs propres affaires en matière de services d'experts-conseils de façon à ce qu'elles puissent plus facilement désigner elles-mêmes la nature de leur relation de travail sans que les tribunaux ou le ministre ne puisse intervenir, c'est-à-dire se définir dans les contrats comme entrepreneur indépendant et non comme employé embauché aux termes d'un contrat de louage de services.

En fin de compte, il n'y a pas de formule établie. Tous ces facteurs ont importance individuelle et comme l'a indiqué le juge Major dans l'arrêt Sagaz (précité), l'importance de chacun repose sur les faits et les circonstances propres à chaque affaire. Beaucoup des critères peuvent être assez neutres et peuvent s'appliquer tant à une situation qu'à l'autre. Dans ce cas, il faut accorder beaucoup d'attention à l'intention des parties. C'est le travail du juge de première instance.

[24]     Comme l'indique la note 1 du rapport du vérificateur, la pièce A-4, Hospital s'est trouvé dans une situation précaire. Un décret émis en vertu de la Public Health Act (loi sur la santé publique) de la Saskatchewan avait accordé la prise de contrôle de Hospital. On a ultérieurement formé un Conseil d'administration et, en 1996, le ministre provincial du Municipal Government (affaires municipales) a transféré l'actif net de Hospital au Conseil sans contrepartie financière. En août 1999, tous les membres du personnel infirmier ont quitté leur emploi, on ne trouvait pas de remplaçants, personne ne désirait travailler selon les conditions normales applicables à une relation employeur-employé. Le directeur général de Hospital était un administrateur professionnel à la retraite qui avait accepté de relever le défi associé à ce poste, à temps partiel, tout en continuant d'habiter dans sa municipalité de Lanigan. Il se rendait à Uranium City de temps en temps, au besoin. Le directeur des finances était un comptable de Saskatoon qui exploitait sa propre entreprise. Les seuls membres permanents du personnel médical et/ou de l'administration de l'hôpital semblaient être trois médecins résidents. Toutes les autres personnes, y compris l'infirmière-chef, venaient à Uranium City par transport aérien et travaillaient pour une période de deux semaines à la fois. Certaines personnes y allaient plus souvent que d'autres, et Mme Chisan pouvait choisir les périodes où elle désirait fournir ses services. Il faut prendre garde de vouloir à tout prix faire passer un chameau dans le chas d'une aiguille, même s'il s'agit d'une pratique de longue date. Dans le contexte des présents appels, les critères auxquels fait référence le juge Major sont peu concluants. Cependant, ils m'amènent plutôt à conclure que la travailleuse était une entrepreneure indépendante même s'il n'y avait pas d'entente à cet effet. En me fondant sur la preuve, je ne trouve aucun motif pour supplanter l'intention des parties, décrite dans leur contrat, de régir leur propre relation de travail, surtout à une période au cours de laquelle il fallait faire face à des difficultés extrêmes causées par une série d'événements imprévus. Une collectivité de près de 6 000 résidants affairés et pleins de vie avait été réduite par les caprices d'une économie fondée sur des ressources spécialisées à tout juste 150 âmes hardies, se partageant une région du nord habitée avec 3 400 autres personnes vivant dans plusieurs autres petits villages isolés ou près de ces derniers et que les gens des centres urbains du sud ne peuvent atteindre que par transport aérien. Les personnes habitant cette région avaient quand même besoin du meilleur niveau de traitement médical possible dans les circonstances. La solution adoptée par le gouvernement provincial et plus tard par le Conseil de Hospital était d'utiliser une pratique commerciale selon laquelle les infirmières ne fourniraient pas leurs services à titre d'employées, mais à titre d'entrepreneures indépendantes exploitant leur propre entreprise dans ce but particulier. Il ne faut pas être un spécialiste des politiques de la Saskatchewan pour supposer que l'autorisation du syndicat des infirmiers et infirmières, SUN, en ce qui concerne ce processus d'embauche de ses membres avait dû être fondée dans une grande mesure sur un examen de la situation unique à Uranium City et la nécessité évidente de fournir des soins infirmiers aux habitants de cette région.

[25]     La travailleuse est une infirmière chevronnée. Elle recevait une rémunération à titre d'infirmière en plus du salaire provenant de son emploi. L'une de ses sources de revenu était les compagnies d'assurances qui l'embauchait pour effectuer des examens médicaux, une autre source de revenu était Hospital qui la payait pour ses services professionnels conformément aux conditions de leur contrat. Mme Chisan était prête à sacrifier ses vacances et d'autres congés accumulés pour profiter de l'occasion de mettre à profit ses connaissances dans une municipalité isolée pendant deux semaines moyennant une rémunération supérieure à son salaire régulier si l'on fait un calcul fondé sur l'échelle quotidienne. Je ne vois aucune raison de conclure que les modalités du contrat conclu entre la travailleuse et l'appelante ne correspondent pas à la réalité de leur relation de travail au point où je devrais rejeter leur entente et la remplacer par une autre définition du statut d'emploi appuyée uniquement par des facteurs peu solides et peu concluants dans le cadre d'une analyse de l'ensemble de la relation.

[26]     Les deux appels sont accueillis. Dans chaque appel, la décision du ministre datée du 23 octobre 2001 est modifiée et la conclusion est formulée de la façon suivante :

- Joanne Chisan n'occupait pas un emploi assurable ou ouvrant droit à pension lorsqu'elle travaillait pour Uranium City Hospital pendant les périodes allant du 21 août au 4 septembre 2000, du 30 octobre au 13 novembre 2000, du 30 janvier au 13 février 2001 et du 30 avril au 14 mai 2001 parce qu'elle fournissait ses services à titre d'entrepreneure indépendante.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 27e jour de juin 2003.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2004.

Louise-Marie LeBlanc, traductrice

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.