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Dossier : 2001-3459(GST)I

ENTRE :

FRED YAKIMISHYN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 30 mai 2002 à Hamilton (Ontario) ainsi que les 29 et 31 janvier 2003 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge C. H. McArthur

Comparutions

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Catherine Letellier de St-Just

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation de taxe sur les produits et services établie en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 25 mars 1999 et porte le numéro 56064, est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'avril 2003.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de mars 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


Référence : 2003CCI255

Date : 20030414

Dossier : 2001-3459(GST)I

ENTRE :

FRED YAKIMISHYN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge McArthur

[1]      Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l'égard de l'appelant en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise pour le motif que la société Lualco Ltd. (la « société » ) a omis de verser la taxe sur les produits et services qui s'élève à 69 533,67 $ ainsi que des pénalités et des intérêts aux montants de 3 375,53 $ et de 3 592,53 $, respectivement. L'appelant a choisi d'interjeter appel devant la Cour selon la procédure informelle, comprenant clairement, ce faisant, la limitation monétaire.

[2]      L'audition du présent appel a débuté le 30 mai 2002. Ayant soulevé des préoccupations quant à savoir si l'appelant comprenait bien la question en litige, j'ai ajourné l'audience afin de lui permettre d'obtenir une assistance judiciaire et pour que son appel soit entendu immédiatement après celui de Luigi Domenico Marzetti, numéro du dossier de la Cour no 2001-3502(GST)G. L'appel de M. Marzetti a été interjeté selon la procédure générale, mais M. Yakimishyn a préféré poursuivre selon la procédure informelle. Un consentement à jugement a été produit dans le cadre de l'appel de M. Marzetti le 27 janvier 2003.

[3]      L'appelant a demandé un autre ajournement en vue d'obtenir les services d'un conseiller juridique. Parce qu'il avait eu la possibilité de le faire depuis le mois de juin 2002, sa demande d'ajournement a été refusée. Le 29 janvier 2003, il était donc disposé à procéder de sa propre initiative. Il avait expliqué précédemment qu'il avait eu, par le passé, de mauvaises expériences avec des avocats. La Cour a donc procédé à la tenue de l'audience.

[4]      L'appelant possède une onzième année de scolarité, et il a exercé un emploi de contremaître dans l'industrie de la construction pendant de nombreuses années avant 1981. En 1981, il est devenu actionnaire et directeur de la société et, en 1985, il détenait 50 p. 100 des actions émises, tandis que M. Marzetti détenait la part restante des actions, soit 50 p. 100. La société exploitait une entreprise qui fournissait de l'acier ainsi que des services d'installation ou de modification d'équipement dans les usines. Elle a entrepris la construction de sa propre usine à Brampton, en Ontario, en 1988, projet qui a donné lieu à un dépassement des coûts considérable.

[5]      Vers la fin de 1989, la société a commencé à retarder les versements à Revenu Canada. La situation a empiré en raison du ralentissement économique au début des années 1990. Il semble que la société éprouvait des difficultés relativement au versement de la TPS depuis l'entrée en vigueur de ces dispositions législatives en 1990. Les problèmes d'encaisse auxquels la société faisait face se sont accrus en 1991 et en 1992. Celle-ci a donc engagé M. White, un comptable agréé, à temps plein à titre de contrôleur de gestion.

[6]      Pendant toute l'année 1992, des agents de recouvrement de la TPS ont exercé des pressions sur la société pour que celle-ci paie les arrérages actifs. L'appelant et M. Marzetti ont poursuivi les activités de la société convaincus qu'elle se rétablirait éventuellement sur le plan financier. Pendant ce temps, celle-ci se servait de l'argent de la TPS non versé pour l'aider à financer ses activités. Pendant la période en cause (soit du 30 juin 1992 au 30 juin 1993), l'appelant et M. Marzetti ont tous deux continué à retirer hebdomadairement du compte de la société la somme de 1 600 $ à des fins personnelles.

[7]      M. White a témoigné au nom de l'intimée. Conséquemment aux nombreux efforts qu'avaient déployés les agents de recouvrement de Revenu Canada pour percevoir les sommes dues, il a libellé un chèque de la société à Revenu Canada au montant de 60 000 $ à la fin du mois de décembre 1992 qu'il a remis à l'appelant et à M. Marzetti pour qu'ils le signent. Il a déclaré que l'appelant ne lui avait jamais remis le chèque en question. Ce dernier n'a pas été en mesure de se souvenir de cet incident, mais il a déclaré que si un tel chèque avait été émis, il leur aurait été retourné avec la mention « sans provision » . M. White a indiqué qu'il vérifiait quotidiennement les transactions dans le compte bancaire et qu'au cours d'une ou de plusieurs périodes le chèque aurait pu être encaissé. C'est l'appelant qui a décidé, vers la fin de 1992 et au début de 1993, d'utiliser les fonds disponibles de la société à d'autres fins. M. Marzetti assumait ses responsabilités en dehors du bureau, tandis que l'appelant était surtout responsable de l'administration et de la gestion financière des affaires de la société.

[8]      Au cours de son témoignage, l'appelant s'est essentiellement attardé sur les efforts qu'il a déployés en 1993 après avoir perdu le contrôle de la société. C'est d'ailleurs cette insistance qui m'a amené à soulever certaines préoccupations au moment de débuter l'audition du présent appel le 30 mai. L'appelant m'a demandé que la pièce A-3 (une liasse de documents) soit déposée en preuve parce qu'elle exposait les faits pertinents et les efforts qu'il avait déployés en matière de diligence raisonnable. Les événements et les faits qui y sont exposés ont eu lieu en 1993, bien que 90 p. 100 du montant réclamé représente les sommes qui n'ont pas été versées en 1992.    

[9]      À mon avis, l'appelant a témoigné avec honnêteté. Il a admis qu'il était au courant de l'omission de verser la TPS. Il a déclaré qu'ils jonglaient avec les paiements et qu'ils se démenaient pour maintenir la société à flot. La feuille de paye des employés était leur priorité. En 1990, la banque a annulé leur marge de crédit. De toute évidence, l'appelante a traversé une période très difficile en 1992 et en 1993. On a de nouveau renvoyé la Cour à la pièce A-3 dans laquelle l'appelant décrit en détail les difficultés auxquelles la société a fait face en 1993. Il admet qu'il a reçu des appels téléphoniques ainsi que des lettres du bureau de recouvrement de Revenu Canada. En mars ou en avril 1993, il s'est présenté au bureau de la TPS en vue d'obtenir une prolongation du délai pour payer. Je crois que, selon l'appelant, son argument le plus solide consiste à dire que la TPS aurait pu être versée en totalité si les personnes suivantes avaient fait preuve de prudence ou si elles avaient été plus raisonnables en 1993 et en 1994, notamment M. Marzetti, la banque CIBC, la banque de la société, la firme A. Farbert & Associates, le receveur ainsi que l'avocat de la société.

Analyse

[10]     La société était tenue de verser la TPS, en vertu du paragraphe 228(2) de la Loi sur la taxe d'accise, et a omis de verser la somme de 69 533 $ pendant la période du mois de juin 1992 au mois de juin 1993. Le ministre a établi une cotisation à l'égard de l'appelant en vertu du paragraphe 323(1). L'appelant était un directeur de la société pendant toute la période pertinente. Selon la défense qu'a présentée l'appelant, il s'est conformé aux dispositions du paragraphe 323(3) qui est ainsi formulé :

323(3) L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[11]     Je suis d'accord avec l'avocate de l'intimée qui fait valoir que le mot clé dans le paragraphe est « prévenir » . Pour obtenir une décision favorable à son égard, l'appelant devait démontrer qu'il s'est effectivement conformé aux exigences prévues au paragraphe. Lorsque l'appelant n'a pas été en mesure de se souvenir de l'incident, j'ai admis le témoignage de M. White selon lequel, vers le 31 décembre 1992, il avait libellé un chèque de la société de 60 000 $ payable à l'ordre de Revenu Canada et qu'il l'avait remis à M. Marzetti et à l'appelant pour qu'ils le signent. Cela aurait permis de couvrir la majeure partie de la réclamation du ministre. L'appelant a choisi de ne pas verser la TPS préférant utiliser les fonds disponibles pour payer des créanciers qui se faisaient de plus en plus menaçants. Il semblait évident que l'appelant et M. White se portaient un respect mutuel. La mémoire est souvent sélective. Le passé dont on se souvient peut ne pas toujours refléter le passé historique. Ainsi, j'admets la version des faits de M. White plutôt que celle de l'appelant.

[12]     La décision dans l'affaire en l'espèce s'appuie essentiellement sur les faits. Il ne fait aucun doute que l'appelant était un administrateur interne. À cet égard, je fais référence à l'affaire Soper c. La Reine,[1998] 1 C.F. 124 (97 DTC 5407) où le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale a déclaré ceci :

[...] La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » .

[...]

Je tiens tout d'abord à souligner qu'en adoptant cette démarche analytique, je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse. Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

[13]     Dans l'affaire Ruffo c. M.R.N., C.A.F., no A-429-97, 13 avril 2000 (CarswellNat 1570), le contribuable était président, directeur et administrateur de la société. Le contribuable a financé la société en utilisant en partie les retenues obligatoires prélevées sur les salaires des employés et qui n'avaient pas été versées à Revenu Canada. Le juge Letourneau de la Cour d'appel fédérale a déclaré ceci :

            L'obligation de l'appelant en tant qu'administrateur était de prévenir et d'empêcher l'omission de payer les sommes dues et non de la commettre ou de la perpétuer comme il l'a fait à compter de mars 1992 dans l'espoir qu'en fin de compte l'entreprise renouerait avec la rentabilité ou qu'il y aurait assez d'argent, même en cas de liquidation, pour payer tous les créanciers.

            Alors qu'un administrateur peut, au terme du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, se dégager de sa responsabilité personnelle pour les déductions impayées en démontrant qu'il a agi avec diligence, l'appelant n'a pas, dans les circonstances, fait preuve de la diligence requise.

Le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu est identique au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise.

[14]     De la même manière, dans l'affaire en l'espèce, l'appelant n'a pas empêché l'omission de verser les sommes dues et leur accumulation ni mis fin à celle-ci, et ce, dans l'espoir que la société renoue avec la rentabilité. Il ne s'agit pas d'une prévention comme l'exigent les dispositions législatives. Les fonds devant servir à payer la TPS qu'avait prélevés la société n'auraient pas dû être utilisés comme capitaux d'exploitation. L'appelant a engagé un comptable agréé compétent à temps plein, pourtant il n'a pas suivi ses conseils lorsque ce dernier lui a demandé de signer un chèque de 60 000 $ payable à l'ordre de l'ADRC.

[15]     J'ai au départ eu l'intention de rendre cette décision oralement le 31 janvier 2003. Après avoir réfléchi, j'ai demandé à l'avocate de l'intimée de formuler des allégations concernant le paragraphe 323(5) de la Loi. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

323(5) L'établissement d'une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu'il a cessé pour la dernière fois d'être administrateur.

                                  

La question dont était saisie l'intimée consistait à déterminer si l'appelant avait cessé d'être un directeur de la société lorsqu'il en avait perdu le contrôle, après que celle-ci avait procédé à une cession des biens en vertu de la Loi sur la faillite le 7 septembre 1993. La cotisation a été établie bien longtemps après les deux années suivant la cession. J'admets la position de l'intimée selon laquelle le simple fait de perdre le contrôle de la société parce que celle-ci a procédé à une cession en faillite n'est pas suffisant. (Voir La Reine c. Kalef, C.A.F., no A-11-95, 1 mars 1996 (96 DTC 6132) et Drover c. Canada, [1997] A.C.I. no 263.)

[16]     L'appel est donc rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'avril 2003.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de mars 2004.

Nancy Bouchard, traductrice

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