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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 2002-2615(IT)G

ENTRE :

TRANSOCEAN OFFSHORE LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 7 avril 2004 à Toronto (Ontario).

Devant : Mme la juge Lamarre Proulx

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Richard B. Thomas

Me Michael Friedman

Avocates de l'intimée :

Me Kathryn R. Philpott

Me Annie Paré

JUGEMENT

L'appel interjeté relativement à une cotisation établie en application de l'alinéa 212(1)d) de la partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juin 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2004CCI454

Date : 20040625

Dossier : 2002-2615(IT)G

ENTRE :

TRANSOCEAN OFFSHORE LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Il s'agit d'un appel visant une cotisation établie sous le régime de la partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et, plus précisément, en application de l'alinéa 212(1)d) de la Loi.

[2]      La question en litige est celle de savoir si la somme de 40 000 000 $US versée à l'appelante a été payée au titre ou en paiement intégral ou partiel du loyer ou d'un paiement semblable.

[3]      Au début de l'audition du présent appel, les parties ont produit un exposé conjoint des faits, lequel est ainsi rédigé :

          [TRADUCTION]

1.          L'appelante est une personne morale qui a été constituée en société aux îles Caïmans. À tous les moments pertinents, les activités de l'appelante touchaient à l'affrètement de matériel de forage en mer et à la prestation de services accessoires connexes. À tous les moments pertinents, l'appelante était résidente des îles Caïmans, et non du Canada, aux fins de l'impôt canadien.

2.          Transocean Offshore Inc. ( « TOI » ) était une personne morale constituée en société sous le régime des lois de l'État du Delaware. À tous les moments pertinents, les activités de TOI touchaient à l'affrètement de matériel de forage en mer et à la prestation de services accessoires connexes. À tous les moments pertinents, l'appelante était résidente des États-Unis, et non du Canada, aux fins de l'impôt canadien.

3.          Transocean Offshore Ventures Inc. ( « TOVI » ) est une personne morale qui a été constituée aux États-Unis. Les activités de TOVI touchaient à l'affrètement de matériel de forage en mer et à la prestation de services accessoires connexes. TOVI s'est engagée à fournir aux parties certains services mentionnés au paragraphe 7 ci-dessous.

4.          À tous les moments pertinents, l'appelante et TOVI étaient des sociétés affiliées de TOI et se trouvaient sous le contrôle indirect de TOI.

5.          À tous les moments pertinents, l'appelante était propriétaire du « Transocean Explorer » (l' « Explorer » ), une plate-forme de forage en mer semi-submersible.

Photographie du « Transocean Explorer » , dossier conjoint de documents, onglet 1.

6.          À tous les moments pertinents, l'Explorer était situé dans la mer du Nord et était loué à Marathon Oil U.K. Ltd. ( « Marathon » ).

7.          Le 15 mai 1997, Petro-Canada, en son nom et pour le compte d'un certain nombre de coentrepreneurs (collectivement, les « coentrepreneurs » ), a conclu un contrat d'affrètement coque nue avec TOI ainsi qu'un contrat de services de forage avec TOVI par lequel les coentrepreneurs se sont engagés à affréter l'Explorer et à obtenir certains services pour une période d'environ deux ans afin de mettre en oeuvre le projet Terra Nova des coentrepreneurs (collectivement, l' « affrètement » ). Le projet Terra Nova devait être réalisé au Canada, au large de la côte de Terre-Neuve.

Contrat d'affrètement coque nue entre les coentrepreneurs et TOI,

dossier conjoint des documents, onglet 2.

Contrat de services de forage entre les coentrepreneurs et TOVI,

dossier conjoint des documents, onglet 3.

8.          Il était de l'intention de TOI et de l'appelante que cette dernière mette l'Explorer à la disposition de TOI pour lui permettre de le louer aux coentrepreneurs.

9.          Suivant le contrat d'affrètement coque nue, les coentrepreneurs devaient avoir la possession, le contrôle, la maîtrise et la jouissance paisible exclusifs de l'Explorer pendant la durée de l'entente. Le contrat de services de forage prévoyait la fourniture des services, du personnel et du matériel nécessaires pour l'exploitation et l'entretien de l'Explorer (les « services de forage » ).

10.        Selon les modalités du contrat d'affrètement, les coentrepreneurs étaient tenus de verser les sommes suivantes à TOI ou à TOVI :

a)          Tarif de jour - Selon le contrat d'affrètement coque nue, les coentrepreneurs étaient tenus de payer à TOI 60 000 $US pour chaque jour où l'Explorer était réellement utilisé. La somme totale à verser selon le contrat d'affrètement coque nue pour les deux années d'affrètement s'élevait à 43 800 000 $US. Le contrat de services de forage prévoyait que les coentrepreneurs étaient tenus de payer à TOVI 45 000 $US pour chaque jour où des services de forage étaient fournis aux coentrepreneurs (collectivement, le « tarif de jour » );

Contrat d'affrètement coque nue entre les coentrepreneurs et TOI, section VII,

dossier conjoint des documents, onglet 2.

Contrat de services de forage entre les coentrepreneurs et TOVI, section VII,

dossier conjoint des documents, onglet 3.

b)          Paiements liés aux améliorations - Outre l'obligation continue d'acquitter le tarif de jour, les coentrepreneurs étaient tenus de payer pour diverses améliorations précises devant être apportées à l'Explorer (les « améliorations » ). On s'attendait initialement à ce que les améliorations coûtent environ 52 000 000 $US aux coentrepreneurs. Elles visaient à rendre l'Explorer apte à exécuter le programme de forage prévu par le contrat d'affrètement. En particulier, les améliorations devaient remplir les objectifs suivants : (i) moderniser l'Explorer; (ii) faire en sorte que l'Explorer puisse être exploité dans des conditions environnementales difficiles; et (iii) faire en sorte que l'Explorer puisse satisfaire aux normes réglementaires canadiennes plus rigoureuses.

Selon le contrat d'affrètement coque nue, les coentrepreneurs devaient conserver le titre afférent à toutes les améliorations et, à la fin de l'entente, TOI devait avoir eu la possibilité d'acquérir toutes ces améliorations pour une somme équivalant à leur valeur comptable (calculée sur une période d'amortissement de huit ans conformément aux principes comptables généralement reconnus), déduction faite du coût lié à l'enlèvement, le plus rapidement possible, des améliorations apportées à l'Explorer et à la remise de celui-ci dans l'état où il se trouvait avant le début des améliorations. Si TOI choisissait de renoncer à son droit d'acheter les améliorations, les coentrepreneurs pouvaient soit renoncer à leurs droits dans les améliorations, soit enlever celles-ci et remettre l'Explorer dans son bon état initial;

Contrat d'affrètement coque nue entre les coentrepreneurs et TOI, articles 2.2 et 2.3,

dossier conjoint des documents, onglet 2.

c)          Frais de mobilisation - Enfin, les coentrepreneurs étaient tenus de payer des « frais de mobilisation » de 11 000 000 $US pour couvrir l'ensemble des coûts et dépenses liés au déplacement de l'Explorer de l'endroit où il se trouvait sur la mer du Nord au chantier naval situé au Canada, où les améliorations devaient être apportées.

Contrat d'affrètement coque nue entre les coentrepreneurs et TOI, article 2.1,

dossier conjoint des documents, onglet 2.

Tous les paiements faits par les coentrepreneurs en application du contrat d'affrètement coque nue devaient être nets d'impôt. Les coentrepreneurs avaient en outre l'obligation de rembourser à TOVI tous les impôts canadiens excédant un seuil précis levés sur les paiements effectués en application du contrat de services de forage.

Contrat d'affrètement coque nue entre les coentrepreneurs et TOI, article 7.6,

dossier conjoint des documents, onglet 2.

Contrat de services de forage entre les coentrepreneurs et TOVI, article 5.17,

dossier conjoint des documents, onglet 3.

11.        L'affrètement devait débuter dès la fin du contrat de location de l'Explorer conclu avec Marathon (le « contrat Marathon » ), mais pas avant le 31 décembre 1997 (la « date de mobilisation » ).

12.        Cependant, à la demande des coentrepreneurs, le contrat Marathon a été prolongé et n'a finalement pris fin qu'à la fin décembre 1998. Par conséquent, l'affrètement n'aurait pas pu commencer avant la fin de décembre 1998, au plus tôt.

Lettre d'entente entre Transocean Offshore (North Sea) Limited et Marathon,

datée du 28 octobre 1997, dossier conjoint des documents, onglet 4.

Lettre d'entente entre Petro-Canada et TOI,

datée du 30 octobre 1997, dossier conjoint des documents, onglet 5.

Lettre de Travis Fitts, Jr., TOI, à Greg Lever, Petro-Canada,

datée du 4 novembre 1997, dossier conjoint des documents, onglet 6.

13.        Au cours de la période suivant la signature du contrat d'affrètement, la portée et la complexité des améliorations se sont considérablement accrues. Au même moment, la disponibilité de plates-formes répondant à des spécifications plus strictes a augmenté et les tarifs de jour applicables à ce genre de plates-formes ont diminué. Les coentrepreneurs ont commencé à se préoccuper de plus en plus de l'escalade des coûts des améliorations et ils ont donc tenté de convaincre TOI de consentir soit à l'affrètement d'une plate-forme autre que l'Explorer par les coentrepreneurs, soit à la limitation de la responsabilité des coentrepreneurs au titre des améliorations. En décembre 1998, le coût prévu des améliorations avait atteint 75 000 000 $US.

14.        À la fin novembre 1998, avant la date de mobilisation, les coentrepreneurs ont informé TOI qu'ils « se trouvaient dans une situation fort inconfortable en raison des arrangements existants relatifs à l'Explorer » et que, selon eux, ces arrangements ne constituaient pas la « meilleure solution » pour les parties.

Lettre de Gary Bruce, Petro-Canada, à W. Dennis Heagney, TOI,

datée du 30 novembre 1998, dossier conjoint des documents, onglet 7.

15.        Du 3 au 21 décembre 1998, TOI (en son propre nom et en celui de ses sociétés affiliées) et les coentrepreneurs ont entamé des négociations en vue de s'entendre sur la somme que les coentrepreneurs seraient tenus de verser à TOI et à TOVI en raison de leur violation anticipée du contrat d'affrètement.

16.        Le 7 décembre 1998, les coentrepreneurs ont présenté à TOI une offre « sous réserve de tout droit » (la « première offre de règlement » ). La première offre de règlement prévoyait que les coentrepreneurs affrètent un autre navire, plus moderne, de TOI à certaines conditions précises et versent à cette dernière une somme de 30 000 000 $US et, qu'en contrepartie, TOI et TOVI consentent à libérer les coentrepreneurs de leurs obligations au titre du contrat d'affrètement.

17.        Le 11 décembre 1998, TOI a présenté une contre-offre aux coentrepreneurs (la « contre-offre » ). Suivant cette contre-proposition, les coentrepreneurs devaient payer 65 000 000 $US à TOI et consentir à affréter une autre plate-forme Transocean à certaines conditions précises tandis que TOI et TOVI consentaient à libérer les coentrepreneurs de leurs obligations au titre du contrat d'affrètement.

18.        Enfin, le 21 décembre 1998, à la suite d'autres négociations entre TOI, TOVI et les coentrepreneurs, Petro-Canada, en son nom et en celui des coentrepreneurs, a signé un acte de règlement et de libération (l' « acte de règlement » ) avec l'appelante, TOI et TOVI selon lequel les coentrepreneurs étaient libérés de leurs obligations au titre du contrat d'affrètement. Les coentrepreneurs se sont engagés à payer 40 000 000 $US à l'appelante à titre de contrepartie entière et définitive pour la résiliation volontaire du contrat d'affrètement. Les coentrepreneurs étaient en outre tenus de payer à TOVI la somme de 1 931 868,18 $US pour couvrir les dépenses engagées par l'équipe chargée des améliorations.

Acte de règlement entre les coentrepreneurs, TOI, TOVI et l'appelante,

daté du 21 décembre 1998, dossier conjoint des documents, onglet 8.

Communiqué de presse de TOI, daté du 22 décembre 1998, dossier conjoint des documents, onglet 9.

19.        La mobilisation de l'Explorer, prévue à l'article 2.1 de la section II du contrat d'affrètement coque nue, n'a jamais eu lieu.

20.        Après la signature de l'acte de règlement, les coentrepreneurs ont fait un nouvel appel d'offres pour des plates-formes de forage devant être utilisées dans le cadre du projet Terra Nova. TOI a présenté une soumission, mais celle-ci n'a finalement pas été retenue.

21.        Entre la fin du contrat Marathon et aujourd'hui, l'Explorer est demeuré inutilisé au Royaume-Uni et n'a pas été affrété par une autre partie.

22.        Lorsqu'ils ont effectué le paiement prévu par le règlement, les coentrepreneurs ont retenu une somme équivalant à 25 p. 100 du paiement ou à 10 000 000 $US (15 260 000 $CAN), pour la verser à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ).

23.        Le 1er février 1999, l'appelante a présenté à l'ADRC une demande de remboursement visant la retenue de 15 260 000 $CAN versée à cette dernière.

Demande de remboursement à l'ADRC, datée du 1er février 1999,

dossier conjoint des documents, onglet 10.

24.        Le 17 juillet 2000, l'ADRC a établi un avis de cotisation (la « cotisation » ) à l'égard de l'appelante, par lequel elle refusait le remboursement demandé parce que cette dernière, suivant la partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), était assujettie à l'impôt pour le paiement versé au titre du règlement.

Avis de cotisation à l'égard de l'appelante - Cotisation no 1385191, datée du 17 juillet 2000, dossier conjoint des documents, onglet 11.

25.        L'appelante a dûment déposé un avis d'opposition à l'égard de la cotisation.

Avis d'opposition de l'appelante, daté du 10 octobre 2000,

dossier conjoint des documents, onglet 12.

26.        Le 17 avril 2002, l'ADRC a ratifié la cotisation.

Avis de ratification de la cotisation no 1385191, daté du 17 avril 2002,

dossier conjoint des documents, onglet 13.

[4]      Un dossier conjoint des documents a été déposé à titre de pièce A-1.

[5]      En résumé, le 15 mai 1997, Petro-Canada, en son nom et en celui de ses coentrepreneurs, a conclu un contrat d'affrètement coque nue (le « contrat d'affrètement coque nue » ) avec Transocean Offshore Inc. relativement à la plate-forme de forage en mer Transocean Explorer (onglet 2 de la pièce A-1). Il existait en outre un contrat de services de forage entre Petro-Canada et Transocean Offshore Ventures Inc. (onglet 3 de la pièce A-1).

[6]      À l'automne 1998, Petro-Canada et ses coentrepreneurs ont décidé de ne pas donner suite aux contrats. Un acte de règlement et de libération a donc été signé avec Transocean Offshore Inc., Transocean Offshore Ventures Inc. et Transocean Offshore Limited, l'appelante (onglet 8 de la pièce A-1). L'article 2 de ce document porte sur la résiliation volontaire du contrat d'affrètement coque nue. La partie pertinente de cette clause est ainsi rédigée :

[TRADUCTION ]

2.          L'affréteur doit verser à TOL, en qualité de propriétaire du Transocean Explorer et en contrepartie de la résiliation volontaire du contrat d'affrètement coque nue, par virement télégraphique effectué au plus tard à midi, heure de Toronto, le 23 décembre 1998, la somme de 40 000 000 $US, payable par un versement de 30 000 000 $US à TOL et un versement de 10 000 000 $US dans un compte de garantie bloqué tenu par [...]

[7]      L'article 3 de cette même entente précise que le contrat de services de forage est résilié en application de l'alinéa 2.2(d) de ce contrat. Cet alinéa conférait à Petro-Canada le droit de résilier le contrat s'il était mis fin au contrat d'affrètement coque nue.

[8]      Quant aux motifs à l'appui de la cotisation, une lettre datée du 17 juillet 2000 accompagnant la cotisation (les deux documents se trouvent à l'onglet 11 de la pièce A-1) mentionnait que le paiement de 40 000 000 $US était imposable suivant l'alinéa 212(1)d) de la Loi.

[9]      Aucun témoignage de vive voix n'a été présenté pour étayer le calcul de la somme de 40 000 000 $US. De même, aucune répartition de cette somme ne figure dans la preuve documentaire.

[10]     Voici le texte de la partie pertinente de l'alinéa 212(1)d) de la Loi :

212       Impôt sur le revenu de personnes non-résidentes

(1)         Toute personne non-résidente doit payer un impôt sur le revenu de 25 % sur toute somme qu'une personne résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit, ou est réputée en vertu de la partie I lui payer ou porter à son crédit, au titre ou en paiement intégral ou partiel :

[...]

d)          du loyer, de la redevance ou d'un paiement semblable, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, un paiement fait :

(i)          en vue d'utiliser, ou d'obtenir le droit d'utiliser, au Canada, des biens, inventions, appellations, brevets, marques de commerce, dessins ou modèles, plans, formules secrètes, procédés de fabrication ou toute autre chose,

[...]

mais à l'exclusion :

[...]

(ix)        d'un loyer en vue d'utiliser ou d'obtenir le droit d'utiliser à l'étranger tout bien corporel,

[...]

Thèse

[11]     Selon le principal argument de l'appelante, le contrat d'affrètement coque nue n'a jamais pris effet, le Transocean Explorer n'a jamais été utilisé au Canada et aucun paiement prévu par le contrat d'affrètement coque nue, y compris aucun loyer, n'est jamais devenu exigible de la part des coentrepreneurs.

[12]     Les avocats de l'appelante ont rappelé à la Cour que la cotisation de l'appelante a été établie en application de l'alinéa 212(1)d) de la Loi, qui prévoit qu'une personne non-résidente doit payer un impôt sur le revenu de 25 p. 100 sur toute somme qu'une personne résidant au Canada lui paie au titre ou en paiement intégral ou partiel du loyer ou d'un paiement semblable en vue d'utiliser un bien au Canada. Les avocats renvoient au sous-alinéa 212(1)d)(ix), lequel précise qu'un loyer en vue d'utiliser, ou d'obtenir le droit d'utiliser, à l'étranger, un bien corporel est exonéré d'impôt au Canada.

[13]     Les avocats ont contesté la décision par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ), bien que le Transocean Explorer ne se soit jamais physiquement trouvé au Canada, a imposé une retenue d'impôt de 25 p. 100 sur la somme de 40 000 000 $US en cause au motif que celle-ci était payée au titre ou en paiement intégral ou partiel du loyer en vue d'utiliser le Transocean Explorer au Canada.

[14]     Les avocats ont signalé que la question en litige n'est pas de savoir si la somme en cause serait considérée comme un revenu sous le régime de la partie I de la Loi, ce qui pourrait bien être le cas. Les avocats reconnaissent effectivement que la jurisprudence a, de façon constante, conclu que les dommages-intérêts peuvent prendre la forme d'un revenu ou de capital, selon ce qu'ils visent à remplacer.

[15]     Ils ont fait valoir que la question en litige intéresse la partie XIII de la Loi, laquelle assujettit à l'impôt les personnes non-résidentes relativement à certains genres de paiements très précis, comme les intérêts, les dividendes, le loyer et les redevances. En l'espèce, la cotisation n'est valable que si le paiement est fait au titre ou en paiement intégral ou partiel du loyer. D'après les avocats, la jurisprudence a également affirmé de façon constante que les dommages-intérêts versés pour rupture de contrat ne prennent pas la forme particulière de ce qu'ils visent à remplacer. Par conséquent, les dommages-intérêts accordés pour la résiliation d'un contrat de travail ne constituent pas une rémunération ou un avantage lié à l'emploi, et un paiement au titre d'intérêts futurs sur le remboursement anticipé d'un prêt ne constitue pas des intérêts. Les avocats ont donc soutenu que les dommages-intérêts accordés au titre de la résiliation d'un bail ne constituent pas un loyer.

[16]     À cet égard, les avocats ont renvoyé à l'arrêt The Queen v. Atkins, 76 DTC 6258, dans lequel la Cour d'appel fédérale a conclu que les dommages-intérêts versés pour congédiement injustifié ne constituaient pas un revenu d'emploi. Ils ont en outre invoqué l'arrêt Schwartz c. La Reine, 96 DTC 6103, [1996] 1 R.C.S. 254, où la Cour suprême du Canada a décidé que les dommages-intérêts au titre de l'annulation d'un contrat de travail antérieure à l'entrée en fonction étaient exonérés d'impôt. Dans les arrêts Girouard v. The Queen, 80 DTC 6205, TheQueen v. Pollock, 84 DTC 6370 et Buccini v. The Queen, 2000 DTC 6685, la Cour d'appel fédérale a confirmé que les dommages-intérêts pour congédiement injustifié ne pouvaient pas être assimilés à un revenu d'emploi.

[17]     Quant aux dommages-intérêts payés au titre d'intérêts à courir, les avocats ont renvoyé à la décision Puder v. M.N.R., 62 DTC 555, de la Commission d'appel de l'impôt, laquelle a été infirmée par la Cour de l'Échiquier, 63 DTC 1282. La Commission d'appel de l'impôt (composée de cinq membres) avait conclu que l'intérêt à courir payé relativement au solde d'un contrat de trois ans était payé au titre ou en paiement intégral ou partiel d'intérêts et devait être ajouté au revenu. Le juge Thurlow de la Cour de l'Échiquier a infirmé cette décision au motif que l'intérêt à courir n'était pas de l'intérêt. Les avocats de l'appelante ont renvoyé au passage suivant de la décision, lequel se trouve à la page 1284 :

[TRADUCTION]

On a fait valoir que l'appelant ne pouvait réclamer que deux choses aux termes de l'hypothèque : le principal et l'intérêt; que la somme en cause ne constituait pas du capital, mais s'apparentait plutôt à des intérêts et qu'il pouvait uniquement s'agir d'une somme reçue à titre d'intérêts ou au lieu d'intérêts; que cette somme aurait constitué de l'intérêt si elle avait été gagnée et que la nature de la somme, qui est un revenu, n'aurait pas changé même si elle avait été reçue sous forme de paiement forfaitaire.

À mon avis, cette prétention n'est pas fondée. Elle ne tient pas compte du fait que l'appelant jouissait d'autres droits que celui au remboursement du principal et des intérêts au moment où la libération a été demandée, ni du fait que la somme en cause n'a jamais été gagnée à titre d'intérêts. Selon moi, l'intérêt consiste pour l'essentiel en une compensation pour l'utilisation ou la possession d'une somme d'argent pendant une certaine période (voir Riches v. Westminster Bank, [1947] A.C. 390). Or, cet élément est absent en l'espèce. La somme en cause n'a pas été payée ou reçue relativement à l'utilisation ou à la possession du capital pendant la période de quinze mois environ au cours de laquelle l'hypothèque était en vigueur. Elle n'a pas non plus été payée ou reçue relativement à l'utilisation du principal pendant le reste de la période de trois ans prévue par l'hypothèque puisque, pendant toute cette période, l'appelant détenait son capital et en avait probablement aussi l'usage, tandis que le débiteur hypothécaire n'avait ni l'un ni l'autre. Bien que qualifiée d'intérêts, la somme ne constituait donc pas véritablement des intérêts et, comme il ne s'agissait pas d'intérêts, je ne crois pas qu'on puisse considérer qu'elle a été « reçu[e] à titre d'intérêts » au sens de l'alinéa 6(1)b). À cet égard, l'affaire ressemble à celle qu'il m'a été donné d'examiner dans la décision R. G. Huston c. M.R.N., [1962] R.C. de l'É. 69 [61 DTC 1233], et j'adhère à l'opinion qui y est émise. De même, à mon sens, il est légitime de considérer que la somme a été reçue « à compte ou au lieu de paiement, ou en acquittement d'intérêts » au sens de l'alinéa 6(1)b). En effet, aucune partie de la somme n'a jamais été accumulée à titre d'intérêts et aucune partie n'a jamais été payée au titre ou en paiement d'une quelconque somme accumulée à titre d'intérêts.

[18]     Les avocats de l'appelante ont terminé en affirmant que, dans le même ordre d'idées, les paiements de loyer non échus ne peuvent être assimilés à des paiements de loyer lorsque le matériel loué n'a pas encore commencé à être utilisé. En conséquence, les sommes en cause n'ont pas été versées au titre ou en paiement intégral ou partiel du loyer ou d'un paiement semblable.

[19]     Quant à l'avocate de l'intimée, elle a soutenu qu'il ressort de la jurisprudence en matière d'impôt sur le revenu que les paiements versés à titre de dommages-intérêts en cas de résiliation ou de rupture d'un contrat de location sont souvent qualifiés de paiements au titre du loyer. La première affaire invoquée à l'appui de cette argument est Grader v. M.N.R., 62 DTC 1070 (C. de l'É.). La Cour de l'Échiquier devait se demander si les sommes payées au moment de la résiliation d'un bail constituaient un revenu. Selon l'appelant dans cette affaire, la somme qu'il avait reçue constituait une rentrée de capital puisqu'il s'agissait d'une indemnité pour une perte en capital. La Cour a toutefois décidé que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, les paiements reçus par l'appelant devaient être considérés, entre ses mains, comme du loyer perçu ou des paiements au titre du loyer, ou encore comme des sommes s'apparentant au profit occasionnel tiré d'un bien, et donc assimilées à un revenu plutôt qu'à des sommes imputables au capital.

[20]     L'avocate a renvoyé à la décision Berlin Motels Limited v. M.N.R., 73 DTC 137, de la Commission de révision de l'impôt. Dans cette affaire, un contrat de location conclu entre l'appelant, le locateur, et Mileyan Hotels Limited, la locataire, prévoyait que cette dernière devait déposer 75 000 $ auprès d'un fiduciaire à titre de garantie en cas de défaut dans le paiement du loyer. Après un certain temps, la locataire a effectivement fait défaut, et la somme a été saisie par l'appelant. Le ministre a soutenu que la somme avait été reçue en règlement de l'engagement du garant de payer le loyer en cas de défaut de la part de la locataire et qu'il s'agissait du loyer ou d'une somme payée au titre du loyer. Par ailleurs, on a allégué pour le compte de l'appelant que les activités de ce dernier ne consistaient habituellement pas en la location de biens, que l'appelant avait loué une entreprise à titre d'entreprise en exploitation et que la somme en cause avait été reçue à titre de dommages-intérêts fixés à l'avance pour la détérioration des immobilisations de l'entreprise. La Commission est arrivée à la conclusion que la somme de 75 000 $ reçue par l'appelant ne tenait pas lieu de dommages-intérêts fixés à l'avance découlant de la détérioration d'immobilisations, mais qu'il s'agissait plutôt d'un paiement reçu au titre du loyer.

[21]     L'avocate a également renvoyé à la décision Monart Corporation v. M.N.R., 67 DTC 5181 (C. de l'É.), dans laquelle l'appelante a accepté 75 000 $ pour résilier un bail avant son expiration. La question était celle de savoir si ce paiement constituait du capital ou un revenu. La Cour a conclu dans l'extrait suivant, à la page 5186, que le paiement était de la nature d'un revenu :

[TRADUCTION]

[...] puisque la somme de 75 000 $ a été payée à l'appelante [...] au titre de loyer futur relativement aux lieux transportés à bail [...] et qu'elle avait en outre la nature d'un profit tiré d'un bien ou d'une entreprise de l'appelante.

[22]     En ce qui concerne l'argument selon lequel aucune obligation de faire des paiements ne découlait du contrat d'affrètement coque nue, l'avocate de l'intimée en l'espèce a prétendu que les obligations avaient pris naissance au moment de la signature du contrat. En effet, rien n'aurait justifié le paiement de dommages-intérêts en l'absence d'obligation. Les dommages-intérêts sont versés relativement à des sommes qui seraient devenues exigibles dans l'avenir.

[23]     L'avocate de l'intimée a mentionné que l'arrêt Atkins, précité, et les décisions dans lesquelles les cours ont appliqué la ratio decidendi de cet arrêt n'ont aucune application en l'espèce. Les principes énoncés dans ces décisions ne s'appliquent que dans le contexte de contrats de travail et non aux contrats commerciaux en général. Ils constituent une exception à la règle générale voulant que les dommages-intérêts soient imposables. Le fait que les principes qui se dégagent de la série de décisions fondées sur l'arrêt Atkins ne sont pas pertinents au regard des contrats commerciaux ordinaires a été signalé par le juge Strayer dans la décision Zygocki v. The Queen, 84 DTC 6283 (C.F. 1re inst.). S'appuyant sur la remarque incidente faite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Jack Cewe Ltd. c. Jorgenson, [1980] 1 R.C.S. 812, 80 DTC 6233, le juge Strayer a conclu que le paiement reçu par le demandeur en application d'un règlement constituait un revenu tiré d'une entreprise.

[24]     L'avocate a fait valoir que les principes énoncés dans l'arrêt Schwartz, précité, ne s'appliquaient pas à la présente situation. Elle a soutenu que cet arrêt repose sur les définitions des termes « emploi » , « employé » et « allocation de retraite » . Selon elle, l'arrêt Schwartz ne permet pas d'affirmer que, si les obligations prévues par le contrat ne sont pas encore exécutoires, les dommages-intérêts reçus pour rupture de contrat ne prennent pas le caractère précis de sommes ou de droits obtenus en vertu d'un contrat.

[25]     D'après l'avocate de l'intimée, l'argument de l'appelante fait abstraction de la jurisprudence touchant le traitement fiscal des dommages-intérêts, traitement qui est clairement exposé dans la décision London and Thames Haven Oil Wharves, Ltd. v. Attwooll (Inspector of Taxes), [1967] 2 All E.R. 124. Les principes énoncés dans cette décision constituent de toute évidence le fondement de l'état du droit actuel.

[26]     Selon l'avocate de l'intimée, l'appelante s'est appuyée sur la décision Puder v. M.N.R., précitée, de la Cour de l'Échiquier pour affirmer que les dommages-intérêts découlant d'une rupture de contrat antérieure au moment où les obligations prévues au contrat devenaient exécutoires ne constituent pas des paiements faits au titre de ces obligations. L'avocate de l'intimée a ajouté que les principes tirés de la décision Puder ne sont pertinents que dans les cas où l'obligation porte sur le paiement d'intérêts. Or, il est de la nature fondamentale de l'intérêt que, s'il ne s'accumule pas réellement sur un principal existant, il ne peut être qualifié d'intérêt.

Conclusion

[27]     En ce qui a trait aux principes applicables à l'imposition des dommages-intérêts, je débuterai en reproduisant un extrait tiré de l'ouvrage de Hogg, Magee et Li intitulé Principlesof Canadian Income Tax Law, 4e éd., chapitre 4.7(a), pages 91 à 93 (notes de bas de page omises) :

[TRADUCTION]

4.7        Dommages-intérêts et règlements

a)          « Principe de la substitution »

Quiconque subit un préjudice causé par une autre personne peut demander un dédommagement pour a) la perte de revenu, b) les dépenses engagées, c) les biens détruits ou d) le préjudice corporel subi, ainsi que des dommages-intérêts exemplaires. À des fins fiscales, les dommages-intérêts ou le dédommagement reçus à la suite d'une décision judiciaire ou d'une entente à l'amiable peuvent être considérés comme étant payés au titre du revenu, du capital ou d'un avantage inattendu en faveur du bénéficiaire. La nature du préjudice à l'égard duquel le dédommagement est versé permet habituellement de déterminer les conséquences fiscales occasionnées par les dommages-intérêts.

Suivant le principe de la substitution, les conséquences fiscales liées aux dommages-intérêts ou aux paiements faits à la suite d'un règlement sont tributaires du traitement fiscal réservé à l'objet que le paiement vise à remplacer. Habituellement, le dédommagement versé pour la perte de revenu est imposé à titre de revenu. Par exemple, il a été conclu que le dédommagement accordé pour les honoraires d'intermédiation, un manque à gagner ou pour la perte de salaire ou de revenu était dans tous ces cas imposable à titre de revenu. Le recouvrement d'une dépense ne constitue pas un revenu, à moins que cette dépense n'ait été déduite. Le paiement versé pour des biens endommagés ou détruits est traité comme une somme reçue dans le cadre d'une vente ou d'un échange de bien. Le paiement relatif à une perte en capital est traité comme s'il avait un caractère de capital. Une rentrée de capital n'est généralement pas un revenu. Cependant, le dédommagement au titre du capital peut être imposable s'il est considéré comme un « montant en immobilisations admissible » ou s'il y a « cession » d'un « bien » dans le cadre de laquelle le paiement est fait pour éteindre un droit d'origine législative. Les dommages-intérêts relatifs à un préjudice corporel et les dommages-intérêts exemplaires sont en général exclus du revenu pour cause d'absence de source productive.

[28]     Dans l'arrêt Schwartz, précité, de la Cour suprême du Canada, l'application du principe de substitution comme fondement d'une cotisation est examinée aux pages 6114 et 6115 :

b)    Le principe de la substitution et les sources non énumérées

L'État s'appuie sur le principe établi par le lord juge Diplock dans l'arrêt London & Thames, précité, et fait valoir que la partie des dommages-intérêts reçus par M. Schwartz relativement à la perte du salaire et des options d'achat d'actions constitue un revenu tiré d'une source. Voici ce que dit le lord juge Diplock, à la p. 134 :

[TRADUCTION] Chaque fois qu'un commerçant reçoit, en vertu d'un droit, de quelqu'un d'autre, une indemnité au lieu d'une somme d'argent qui aurait été comptabilisée dans les profits réalisés au cours d'une année, dans le commerce qu'il exploitait à l'époque où il a reçu l'indemnité, il y a lieu de traiter cette indemnité pour fin d'impôt de la même manière que la somme d'argent l'aurait été si l'indemnité ne l'avait pas remplacée.

Le Ministre a fait remarquer, à juste titre, que la Cour d'appel fédérale a adopté et appliqué ce principe dans l'arrêt Manley, précité. Dans cette affaire, le Ministre avait décidé que les dommages-intérêts versés au contribuable pour l'indemniser du défaut de toucher les honoraires de démarcheur auxquels il avait droit aux termes d'un accord commercial constituaient un bénéfice tiré d'une entreprise imposable en vertu du par. 9(1) de la Loi. Après avoir cité des extraits pertinents de l'arrêt London & Thames, le juge Mahoney affirme ceci, au nom de la Cour, à la p. 219 :

En l'espèce, l'intimé était un commerçant. Il a participé à une affaire de caractère commercial. Les dommages-intérêts pour assertion fautive de la qualité d'agent qu'il a reçus de Benjamin Levy en vertu d'un droit visaient à l'indemniser de n'avoir pas reçu des honoraires de démarcheur des actionnaires de la famille Levy. Si l'intimé avait reçu ces honoraires de démarcheur, ceux-ci auraient constitué un bénéfice tiré d'une entreprise et, aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, ils auraient dû être inclus dans le revenu du contribuable dans l'année de leur réception. Les dommages-intérêts alloués pour assertion fautive de la qualité d'agent doivent être traités de la même façon pour les fins de l'impôt sur le revenu.

En l'espèce, la Cour d'appel fédérale a appliqué ce principe et conclu que, puisqu'une partie des dommages-intérêts versés à l'appelant remplaçait le salaire et les options d'achat d'actions perdus qui, si M. Schwartz en avait bénéficié, auraient constitué un revenu d'emploi imposable aux termes du par. 5(1), ces dommages-intérêts devaient être considérés de la même manière aux fins de l'impôt, c.-à-d. comme un revenu tiré d'une charge ou d'un emploi imposable en vertu du par. 5(1) de la Loi.

La solution retenue par la Cour d'appel fédérale est incompatible avec les conclusions de l'arrêt Atkins, précité, où cette même cour a statué que de tels dommages-intérêts ne pouvaient être qualifiés de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi au sens du par. 5(1). La justesse de la conclusion tirée dans l'affaire Atkins a été confirmée en 1984 par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Pollock, précité, malgré les doutes que le juge Pigeon avait exprimés dans une opinion incidente, dans l'arrêt Jack Cewe Ltd. c. Jorgenson, [1980] 1 R.C.S. 812, aux pp. 815 et 816.

Cependant, notre Cour n'est pas appelée à se prononcer sur la justesse de l'arrêt Atkins puisque, comme je l'ai expliqué, le Ministre ne prétend pas que les sommes sont imposables à titre de revenu d'emploi, mais plutôt qu'il s'agit d'un revenu provenant d'une source non énumérée imposable en vertu de la disposition générale de l'al. 3a) de la Loi. [...]

[29]     Le principe de la substitution paraît avoir été écarté dans la décision susmentionnée parce que, selon la cotisation établie par le ministre, les sommes reçues à titre de dommages-intérêts ont été traitées non pas comme un revenu d'emploi, mais plutôt comme un revenu tiré d'une source non énumérée. La Cour a conclu que le principe de la substitution était incompatible avec les arrêts Atkins et Pollock, mais ne s'est pas prononcée sur le bien-fondé du principe ou la validité des deux décisions mentionnées. Elle a fondé sa décision sur le sens donné à l'expression « allocation de retraite » .

[30]     Je souhaite renvoyer à l'analyse faite par le juge Strayer dans la décision Zygocki, précitée, à la page 6285, en ce qui touche le traitement fiscal de sommes reçues à titre de dommages-intérêts :

Il existe une jurisprudence abondante sur la question de savoir dans quels cas les sommes reçues à titre de dommages-intérêts ou de règlement en cas de rupture ou de résiliation de contrat doivent être considérées, sur le plan fiscal, comme un revenu et dans quel cas elles doivent être traitées comme un gain en capital. Il n'est pas nécessaire de les relater tous. Un des énoncés de principes en cette de matière est celui du Lord juge Diplock dans l'arrêt London and Thames Haven Oil Wharves Ltd. v. Attwooll [1967] 2 All. E.R. 124 (C.A.), aux page 134 et 136. Il a déclaré que, lorsqu'un commerçant reçoit d'une autre personne une somme d'argent pour l'indemniser d'une autre somme qu'il n'a pas reçue et qui, s'il l'avait reçue, aurait été imputée aux bénéfices, l'indemnisation doit être considérée comme un revenu. Si, en revanche, la somme est versée à titre d'indemnité en raison de la destruction ou de la perte permanente d'un bien en capital, il faut, sur le plan fiscal, la considérer comme un gain en capital. Dans la décision Commissioners of Inland Revenue v. Fleming & Co. Machinery Ltd., [1951] 33 Tax Cases 57, à la page 63 (C.S.), lord Russell affirme essentiellement la même chose lorsqu'il déclare que si cette indemnité [TRADUCTION] « ne vise qu'à remplacer les avantages futurs auxquels on a renoncé » il faut la considérer comme un revenu. Cependant, si [TRADUCTION] « les droits et les avantages abandonnés lors de l'annulation sont tels qu'ils ont pour effet de détruire ou de paralyser sérieusement toute l'organisation permettant au bénéficiaire de réaliser des bénéfices [...] la contrepartie représente le prix de la perte ou de la paralysie d'un élément de capital » et par conséquent, l'indemnité versée au titre de ses droits constitue une recette en capital. Notre cour a appliqué des distinctions analogues (voir, par exemple, Ministre du Revenu National c. Import Motors Limited, [73 DTC 5530], [1973] CTC 719; Packer Floor Coverings Ltd. c. Sa Majesté la Reine, [82 DTC 6027], [1981] CTC 506.

[31]     Je tire la conclusion suivante de mon examen de la doctrine et de la jurisprudence : comme l'a affirmé l'avocate de l'intimée, la jurisprudence relative aux dommages-intérêts accordés pour rupture d'un contrat de travail et à l'intérêt non gagné (si cette jurisprudence est fondée, ce que met en doute l'arrêt Cewe, précité) sur laquelle s'appuie la thèse de l'appelante, ne s'applique pas aux ententes commerciales. Celles-ci sont plutôt régies par le principe de la substitution, que le juge Strayer a avec justesse énoncé dans la décision Zygocki susmentionnée.

[32]     Le ministre a établi une cotisation à l'égard de la totalité du montant des dommages-intérêts en cause parce que celui-ci a été versé au titre ou en paiement intégral ou partiel du loyer ou d'un paiement semblable en vue d'utiliser, ou d'obtenir le droit d'utiliser, au Canada, le Transocean Explorer, une plate-forme de forage en mer.

[33]     Dans leurs observations, les avocats de l'appelante ont fait mention des obligations autres que le paiement du loyer auxquelles le contrat d'affrètement coque nue a donné naissance, et ils ont laissé entendre que le paiement de la somme négociée de 40 000 000 $US avait permis d'éviter le paiement d'obligations qui auraient totalisé 138 666 669 $US. Ces obligations sont explicitées au paragraphe 10 de l'exposé conjoint des faits reproduit au paragraphe 3 des présents motifs. Le libellé de ces obligations me porte à croire qu'il serait difficile d'accepter le fait qu'à la suite de la rupture de l'entente, la locataire aurait été tenue de dédommager le locateur au titre d'une quelconque obligation autre que celle de payer le loyer en application de l'entente.

[34]     De toute façon, aucun élément de preuve n'a été présenté pour contredire l'hypothèse du ministre voulant que la somme de 40 000 000 $US ait été versée au titre de dommages-intérêts pour la perte de revenu de location découlant de la rupture du contrat d'affrètement coque nue. Cette hypothèse de fait semble fort raisonnable et, si on tient compte du fait que la charge de la preuve incombe à l'appelante, j'estime qu'il s'agit d'une hypothèse exacte. Cela est d'autant plus vrai à la lecture des articles 2 et 3 de l'acte de règlement et de libération(onglet 8 de la pièce A-1), auxquels il est renvoyé aux paragraphes 6 et 7 des présents motifs.

[35]     On a beaucoup insisté sur le fait que le sens de l'expression « au titre de » n'englobe pas l'expression anglaise « in lieu of » . Je ne souhaite pas m'approfondir davantage sur le sujet sauf pour ajouter que, dans le contexte de l'alinéa 212(1)d) de la Loi, le sens de cette dernière expression est compris dans la signification de la première. Je crois en outre que les dommages-intérêts compensatoires pour la rupture d'un contrat sont payés au titre ou en paiement de l'objet visé par l'entente contractuelle.

[36]     Il est intéressant de signaler que les principes relatifs à l'imposition des dommages-intérêts élaborés en Grande-Bretagne et au Canada sont également suivis aux États-Unis. Dans le United Tax Reporter, volume 3A, aux paragraphes 614.168, 614.164 et 615.171, on mentionne que le critère applicable aux sommes reçues à titre de dommages-intérêts consiste à examiner la nature de l'élément que ces dommages-intérêts visent à remplacer. La principale décision statuant sur ce point est Hort v. Com., 41-1 USTC 255, dans laquelle on énonce que pour déterminer si et dans quelle mesure une somme reçue à titre de dommages-intérêts, que ce soit à la suite d'un règlement ou d'un jugement, doit être considérée comme un revenu, il faut examiner la nature de l'élément auquel ces dommages-intérêts doivent se substituer. Par conséquent, s'il s'agit d'un substitut du loyer, les dommages-intérêts constitueront un revenu, au même titre que l'aurait été le loyer s'il avait été perçu dans le cours ordinaire des choses.

[37]     En droit américain, les mêmes principes s'appliquent, avec les mêmes résultats, à l'imposition des personnes non résidentes (voir le paragraphe 14,415.07 du volume 12 de la même collection). La décision fondamentale à cet égard est Com. v. Wodehouse, 49-1 USTC 479. Lorsqu'elle a conclu que les sommes reçues à l'avance et en entier par un auteur étranger non résident en contrepartie de droits exclusifs relatifs à un feuilleton ou à un livre aux États-Unis étaient imposables à titre de redevances, la Cour suprême a rejeté les allégations selon lesquelles (1) les sommes en cause consistaient en le produit de la vente d'un intérêt de propriété dans un droit d'auteur et (2) le paiement d'une somme forfaitaire ne constituait pas un revenu « annuel » ou « périodique » . La Cour a signalé qu'un seul paiement fait à l'avance pour couvrir l'ensemble d'une période de 28 ans visée par le droit d'auteur tombait sous le coup de la législation en matière de revenu autant, sinon davantage, que deux ou plusieurs paiements partiels faits en règlement de la même somme.

[38]     Pour conclure, j'estime que les dommages-intérêts versés à l'appelante ont été payés pour la dédommager du loyer qui lui aurait été versé aux termes du contrat d'affrètement coque nue si celui-ci n'avait pas été répudié. Conformément à la jurisprudence relative à l'imposition de montants de dommages-intérêts reçus à titre de dédommagement pour rupture de contrats commerciaux, j'arrive donc à la conclusion que l'indemnité pécuniaire en cause a été payée au titre ou en paiement partiel ou intégral du loyer ou d'un paiement semblable en vue d'utiliser, ou d'obtenir le droit d'utiliser, au Canada, un bien.

[39]     L'appel est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juin 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


RÉFÉRENCE :

2004CCI454

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-2615(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Transocean Offshore Limited c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 7 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

Mme la juge Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :

Le 25 juin 2004

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :

Me Richard B. Thomas

Me Michael Friedman

Avocates de l'intimée :

Me Kathryn R. Philpott

Me Annie Paré

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Me Richard B. Thomas

Cabinet :

McMillan Binch

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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