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Dossier : 2004-4053(EI)

ENTRE :

MARKUS JAGGI,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

_______________________________________________________________

Appel entendu le 17 février 2005, à Sherbrooke (Québec).

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Marc-André Martel

Avocate de l'intimé :

Me Anne Poirier

_______________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national est modifiée en ce que le travail de l'appelant, Markus Jaggi, lors de la période allant du 30 juin au 5 décembre 2003 pour le compte et le bénéfice de la ferme familiale, propriété de ses parents n'était pas exclu des emplois assurables à cause du lien de dépendance, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mars 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2005CCI166

Date : 20050310

Dossier : 2004-4053(EI)

ENTRE :

MARKUS JAGGI,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit de l'appel d'une décision en date du 21 septembre 2004 par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a conclu que le travail exécuté par Markus Jaggi lors de la période allant du 30 juin au 5 décembre 2003 pour le compte et le bénéfice de la ferme familiale, propriété de ses parents, était exclu des emplois assurables à cause du lien de dépendance.

[2]      Les faits tenus pour acquis pour soutenir la décision ont été énumérés dans la réponse à l'avis d'appel. Il se lisent comme suit :

5.      L'appelant et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu car :

a)          Mme Hanna Kunz Jaggi et M. Werner Jaggi (les payeurs) exploitaient une ferme laitière sous la raison sociale de « Ferme Seeblick enr. » ;

b)          les payeurs étaient les seuls propriétaires de l'entreprise;

c)          les payeurs sont les parents de l'appelant;

d)          l'appelant est lié aux payeurs.

6.      Le ministre a déterminé que l'appelant et le payeur avaient un lien de dépendance entre eux dans le cadre de l'emploi. En effet, le ministre a été convaincu qu'il était raisonnable de conclure que l'appelant et le payeur n'auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

a)          les payeurs exploitaient une ferme laitière de 150 têtes et faisaient diverses cultures pour nourrir leur troupeau;

b)          l'appelant rendait régulièrement des services sur la ferme familiale depuis 1988;

c)          lorsqu'il était aux études, il rendait des services les soirs et durant les fins de semaine;

d)          l'appelant a terminé ses études en 2002 et aurait alors été embauché comme journalier sur la ferme des payeurs;

e)          l'appelant n'a été inscrit au registre des salaires des payeurs qu'à partir du 30 juin 2003;

f)           dans sa déclaration d'impôt de 2002, l'appelant a déclaré 7 800 $ de revenus d'agriculture;

g)          les principales tâches de l'appelant consistaient à faire la traite des vaches, matin et soir, et l'entretien mécanique de tous les appareils de ferme et à participer aux travaux dans les champs;

h)          l'appelant prétend que, durant la période en litige, il travaillait 7 jours par semaine pour un total de 60 à 70 heures par semaine et ce sans compilation de ses heures réellement travaillées;

i)           durant la période en litige, l'appelant résidait chez ses parents (les payeurs) sans payer de pension;

j)           durant la période en litige de 23 semaines, l'appelant prétend qu'il recevait une rémunération hebdomadaire nette de 250 $ alors que, pour toute la période, il n'a reçu des payeurs que 3 chèques pour un total de 2 500 $, soit l'équivalent de 10 semaines de salaires;

k)          l'appelant a été inscrit au registre des salaires des payeurs jusqu'au 5 décembre 2003 alors que les payeurs avaient vendu les animaux de la ferme le 31 octobre et qu'il n'y avait plus de travail sur la ferme après la vente des animaux;

l)           en novembre 2003, l'appelant s'est rendu en Suisse avec ses parents durant 3 semaines alors qu'il était toujours inscrit au registre des salaires des payeurs;

m)         avant la période en litige, l'appelant rendait des services aux payeurs;

n)          la période prétendument travaillée par l'appelant ne coïncide pas avec la période pendant laquelle il a réellement travaillé.

[3]      Pour satisfaire au fardeau de la preuve qui lui incombait, l'appelant a fait témoigner sa mère et le comptable de l'entreprise. Les faits mentionnés aux alinéas a), b), c) et d) du paragraphe 5, ainsi qu'aux alinéas a) à i), k), l) et m) du paragraphe 6, se sont avérés exacts et conformes à la preuve.

[4]      La famille Jaggi exploitait une ferme laitière depuis plusieurs années sous la raison sociale de « Ferme Seeblick enr. » . Il s'agissait d'une ferme importante, dont la vocation était la production du lait. Étant donné l'importance de cette production, tous les membres de la famille étaient mis à contribution et collaboraient de façon très active. L'exploitation agricole regroupait près de 150 vaches laitières; elle produisait, en outre, les principaux composants de la nourriture nécessaire pour le troupeau.

[5]      Lorsque les enfants étaient plus jeunes, la famille avait recours à des employés de l'extérieur, c'est-à-dire des tiers, pour réussir à exécuter tous les travaux requis pour le bon fonctionnement de la ferme familiale. À cet égard, il a été question de la participation d'un certain monsieur Labrecque qui recevait 300 $ net par semaine et avait droit à l'utilisation sans frais d'une résidence sur les lieux. Il a également été question des difficultés rencontrées pour obtenir des travailleurs fiables et compétents.

[6]      Tous les membres de la famille Jaggi travaillaient à la ferme; à l'occasion, le travail à faire nécessitait l'embauche d'un travailleur qui n'était pas membre de la famille.

[7]      De façon générale, tous les travaux relatifs à l'entretien et à la réparation de la machinerie agricole étaient confiés à des entreprises spécialisées faisant affaires dans leur région.

[8]      L'appelant a terminé des études en mécanique; après avoir acquis les connaissances nécessaires pour assumer en grande partie le travail lié à l'entretien et à la réparation de la machinerie, ses parents ont décidé de retenir ses services d'une façon plus formelle après que monsieur Labrecque eut cessé de travailler pour la ferme.

[9]      À la fin de ses études, l'appelant disposait d'une plus grande disponibilité et de connaissances accrues très utiles et intéressantes pour la bonne marche de la ferme familiale.

[10]     La mère de l'appelant a expliqué que les travaux de la ferme étaient nombreux et très exigeants. Malgré tous les efforts, la rentabilité n'était pas au rendez-vous. Elle et son conjoint, propriétaires de la ferme, ont dû faire face à de nombreux problèmes, notamment celui de la vache folle qui a eu, semble-t-il, des effets dévastateurs sur les finances de l'exploitation au point où les propriétaires ont dû vendre leur ferme. À ce moment, l'appelant aurait soulevé la précarité de sa situation et le fait qu'il souhaitait quitter la ferme familiale afin de trouver un emploi ailleurs.

[11]     Lorsque ses parents ont pris la décision irréversible de vendre la ferme à la suite de nombreux problèmes, dont certains avaient un effet considérable sur la viabilité de la ferme, l'appelant a formellement exprimé et manifesté son intention de quitter la ferme pour travailler à l'extérieur étant donné qu'il possédait des compétences intéressantes, alors très recherchées dans cette région.

[12]     Pour retenir l'appelant, les parents auraient alors convenu d'officialiser les conditions de travail de manière à ce qu'il puisse bénéficier de conditions de travail acceptables, voire comparables à ce qu'il aurait obtenu s'il avait quitté pour travailler à l'extérieur.

[13]     À la lecture des faits tenus pour acquis, il se dégage une conclusion que l'appelant a bénéficié de conditions très particulières, manifestement façonnées par le lien de dépendance.

[14]     Je fais notamment référence aux alinéas 6 i), j), k), l), m) et n), qu'il y a lieu de reproduire pour faciliter la lecture :

6 [...]

i)           durant la période en litige, l'appelant résidait chez ses parents (les payeurs) sans payer de pension;

j)           durant la période en litige de 23 semaines, l'appelant prétend qu'il recevait une rémunération hebdomadaire nette de 250 $ alors que, pour toute la période, il n'a reçu des payeurs que 3 chèques pour un total de 2 500 $, soit l'équivalent de 10 semaines de salaires;

k)          l'appelant a été inscrit au registre des salaires des payeurs jusqu'au 5 décembre 2003 alors que les payeurs avaient vendu les animaux de la ferme le 31 octobre et qu'il n'y avait plus de travail sur la ferme après la vente des animaux;

l)           en novembre 2003, l'appelant s'est rendu en Suisse avec ses parents durant 3 semaines alors qu'il était toujours inscrit au registre des salaires des payeurs;

m)         avant la période en litige, l'appelant rendait des services aux payeurs;

n)          la période prétendument travaillée par l'appelant ne coïncide pas avec la période pendant laquelle il a réellement travaillé.

[15]     Le ministre a également tenu pour acquis que l'appelant avait reçu un traitement de faveur en ne payant pas de pension.

[16]     Or, l'appelant aurait très bien pu travailler à l'extérieur et demeurer chez ses parents sans payer de pension. Il s'agit là d'un élément qui peut s'expliquer beaucoup plus par le lien de dépendance que par une contrepartie indirecte pour le travail exécuté. Il n'est pas rare que des enfants résident chez leurs parents sans payer de pension lorsqu'ils occupent un emploi à l'extérieur.

[17]     D'autre part, la preuve a démontré que lorsque les parents de l'appelant ont embauché un tiers, soit un certain monsieur Labrecque, ils lui fournissaient un logement gratuitement, réfutant ainsi l'interprétation de l'intimé.

[18]     Ces deux éléments discréditent ainsi l'importance et la pertinence de ce fait tenu pour acquis.

[19]     À l'alinéa 6 j), il est tenu pour acquis que l'appelant n'a reçu que 2 500 $, ce qui équivaut à dix semaines de travail. Il s'agit là d'une interprétation découlant de l'absence de chèques pour une partie de la période. La mère de l'appelant a affirmé que son fils avait toujours été payé, soit par chèque, soit en comptant, soit par avance, même si elle a reconnu qu'il avait pu y avoir des retards à cause de leurs problèmes financiers.

[20]     À l'alinéa 6 k), il est indiqué que les parents de l'appelant avaient vendu la ferme le 31 octobre et qu'après cette date, il n'y avait plus de travail en raison de la vente des animaux. Or, le ministre lui-même a tenu pour acquis que la description de tâches de l'appelant avait un volet mécanique dont il assumait la responsabilité; sa conclusion que la vente des animaux avait pour effet de faire disparaître totalement la raison d'être du travail de l'appelant manque donc quelque peu de rigueur.

[21]     La preuve a de plus établi que lors de l'encan, les Jaggi avaient racheté certains tracteurs et qu'ils avaient obtenu un contrat de l'acquéreur du fonds de terre un certain Mario Côté, pour s'occuper de l'entretien des lieux.

[22]     Le comptable a indiqué qu'il savait que l'on avait envoyé une facture à Mario Côté pour l'exécution de travaux, dont une partie avait été exécutée par l'appelant.

[23]     À l'alinéa 6 m), l'intimé mentionne un voyage de trois semaines, alors que l'appelant était toujours inscrit au registre des salaires.

[24]     La preuve a établi que l'appelant travaillait depuis quelques années à la ferme familiale. Est-ce que l'indemnité de congés payés de 4 % prévue par les lois provinciales équivalait à trois semaines de vacances? La preuve n'a pas permis d'obtenir la réponse. Chose certaine, l'appelant avait droit à des vacances et, durant la période de vacances, il était normal qu'il soit inscrit au registre des salaires.

[25]     À l'alinéa 6 m), l'intimé indique que l'appelant a rendu des services aux payeurs. Ce fait important n'a pas été nié. Il a été admis. Par contre, il a été utilisé hors de son contexte. En effet, la preuve a démontré que l'appelant avait, depuis plusieurs années, été associé aux travaux de la ferme, comme tous les membres de la famille. À un moment donné, pour les raisons mentionnées ci-dessus, les intéressés ont convenu de définir et de préciser de nouvelles modalités pour encadrer le travail de l'appelant, disqualifiant ainsi tant ce qui avait été fait auparavant quant à la pertinence pour l'appréciation du contrat intervenu.

[26]     Enfin, l'intimé allègue que la prétendue période de travail de l'appelant ne coïncide pas avec la période de travail réelle. Il s'agit là d'une interprétation tirée des faits supposés qui, d'après la preuve soumise à l'audition, ne sont ni exacts, ni pertinents.

[27]     Non seulement plusieurs faits ont été déformés en raison d'une enquête incomplète, ils ont été appréciés comme un tout et le résultat obtenu fait en sorte que la conclusion est totalement déraisonnable.

[28]     Certes, certains éléments laissent à penser que l'appelant a bénéficié de conditions de travail qui n'étaient pas totalement et absolument identiques à celles dont un tiers aurait pu bénéficier. Ces avantages ou ces désavantages n'étaient cependant pas déraisonnables eu égard au contexte très particulier du dossier - je fais notamment référence au genre d'entreprise - mais aussi au fait que l'exploitation a fait face à des problèmes sur lesquels les propriétaires n'avaient aucun contrôle.

[29]     D'entrée de jeu, il faut prendre en considération qu'une ferme est une entreprise particulière où il est essentiel que tous les membres de la famille soient mis à contribution pour l'exécution de certaines tâches qui ne font pas nécessairement partie d'un contrat de travail dans sa forme traditionnelle.

[30]     En l'espèce, la lecture des faits importants tenus pour acquis fait en sorte que le lecteur arrive à une conclusion totalement différente de celle à laquelle il devrait arriver selon la preuve soumise au tribunal.

[31]     La preuve a démontré que plusieurs faits tenus pour acquis avaient été mal interprétés et souvent amputés de leur contexte.

[32]     Les explications fournies ont été cohérentes. Quant à la vraisemblance et au caractère raisonnable, ils ont découlé des explications, mais aussi de faits incontournables très liés entre eux à savoir l'importance de la ferme, la fatigue causée par le travail et les nombreux problèmes, notamment les difficultés financières aggravées par les conséquences du problème de la vache folle, qui ont aggravé les difficultés avec la banque.

[33]     Tous les problèmes et les difficultés ont en quelque sorte forcé la famille Jaggi à vendre sa ferme. À partir de ce scénario, il était normal et surtout légitime que le fils et ses parents s'interrogent et essaient de réduire le plus possible les conséquences très pénibles de la vente.

[34]     La personne responsable du dossier, après avoir constaté certains faits qui sont, j'en conviens, généralement déterminants, a tiré des conclusions hâtives et sans fondement. Je fais notamment référence aux éléments suivants :

- 3 semaines de vacances;

- absence de chèques pour une partie de la période en litige;

- travail postérieur à la date de la vente de l'entreprise;

- pension gratuite;

- services rendus avant la période en litige.

[35]     Ses conclusions ont été très rapides, elle n'a pas pris l'initiative de poser des questions ou de pousser son travail plus loin, auquel cas elle aurait sans doute fait les mêmes constats que ceux que le tribunal a faits lors de l'audition.

[36]     Bien que la preuve ne permette pas de tirer une conclusion hors de tout doute, la prépondérance de la preuve mène néanmoins à une conclusion non conforme à celle retenue par le ministre.

[37]     En effet, je ne crois pas que la détermination soit toujours raisonnable eu égard à la preuve soumise au tribunal. Certes, cette preuve n'est pas parfaite, et certains aspects du contrat de travail étaient quelque peu façonnés par le lien de dépendance; par contre, je retiens que les parties au contrat de travail ont dû faire face à la situation très difficile de devoir vendre la ferme.

[38]     Devant un tel scénario, il était normal et légitime que l'appelant se pose des questions et veuille se protéger quant à son avenir et ce, dans le contexte qu'il transigeait avec ses parents dont l'autonomie et la liberté étaient grandement réduites par les problèmes financiers.

[39]     Je ne crois pas que toutes ces circonstances et ces particularités devaient être occultées lors de l'analyse. J'ai déjà affirmé qu'il serait totalement irréaliste de devoir conclure à la présence d'une ressemblance ou d'une similarité parfaite pour profiter de l'exception prévue par la Loi lorsqu'il y a un lien de dépendance.

[40]     À cet égard, il m'apparaît utile de revoir certains extraits de décisions importantes en cette matière. Je fais notamment référence aux passages dans les affaires suivantes.

[41]     Tout d'abord, à l'appui de cette interprétation, il y a les propos qu'a tenus le juge Marceau lui-même en affirmant ce qui suit aux paragraphes 3 et 4 de l'arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (1999), 246 N.R. 176, no A-392-98, 28 mai 1999 (C.A.F.) :

3            Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

4            La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[Je souligne.]

[42]     Dans l'affaire PérusseC.A.F., no A-722-97, 10 mars 2000, aux paragraphes 14 et 15 on peut lire :

14             En fait, le juge agissait dans le sens que plusieurs décisions antérieures pouvaient paraître prescrire. Mais cette Cour, dans une décision récente, s'est employée à rejeter cette approche, et je me permets de citer ce que j'écrivais alors à cet égard dans les motifs soumis au nom de la Cour.

La Loi confie au ministre le soin de faire [...]

15    Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur).    La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus.    Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[Je souligne.]

[43]     Dansl'affaire Quigley Electric Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2003] A.C.F. no 1789 (QL), 2003 CAF 461, no A-47-03 le 28 novembre 2003, le juge Malone indique ce qui suit aux paragraphes 7 et 8 de ses motifs :

7           Il est également allégué que le juge a commis une erreur de droit en n'appliquant pas le critère juridique énoncé dans les arrêts Légaré (Ministre du Revenu national) (1999) 246 N.R. 176 (C.A.F.) et Pérussec. Canada (2000) 261 N.R. 150 (C.A.F.). Ce critère consiste à déterminer si, compte tenu de l'ensemble de la preuve, la décision du ministre était raisonnable.

8           Plus précisément, il est allégué que le juge a limité la portée de sa fonction de contrôle lorsque, après avoir conclu que le ministre ne disposait manifestement pas de tous les faits, il a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION] [...] Cela ne veut pas dire que, à la suite de l'examen de nouveaux renseignements, je ne peux conclure que le ministre n'avait pas, après tout, toute l'information nécessaire pour exercer son mandat, comme il l'a fait, sans mon intervention. Cela veut tout simplement dire que j'ai conclu que les nouveaux facteurs, qui n'ont pas été examinés, ne sont pas pertinents.

[Je souligne.]

[44]     Le juge Malone conclut dans cette affaire comme suit :

10         Selon mon analyse, le juge a correctement suivi l'approche retenue par la Cour dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd. [1998] 1 C.F. 187 (C.A.), notamment que la décision résultant de l'exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire prévu à l'alinéa 5(3)b) ne peut être modifiée que s'il a agi de mauvaise foi, a omis de tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes ou a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[45]     Dans Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187 (C.A.F.) la Cour d'appel fédérale s'est exprimée comme suit :

31         L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Dans l'arrêt Tignish, notre Cour a, sous la plume du juge Desjardins, J.C.A., expliqué dans les termes suivants la compétence limitée qui est conférée à la Cour de l'impôt à cette première étape de l'analyse :

Le paragraphe 7(1) de la Loi porte que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que les faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

À mon avis, la position de l'intimé est correctement exposée sur le plan du droit ...

[46]     En l'espèce, je crois que si l'appelant avait été un tiers dans un contexte à peu près semblable, il aurait pu avoir un contrat de travail dont les modalités auraient pu être comparables.

[47]     Pour ces raisons, je fais droit à l'appel en déterminant que le travail exécuté par l'appelant, lors de la période allant du 30 juin au 5 décembre 2003, satisfaisait aux exigences pour bénéficier de l'exception prévue par la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mars 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2005CCI166

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-4053(EI);

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Markus Jaggi et le MNR

LIEU DE L'AUDIENCE :

Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 17 février 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 10 mars 2005

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Marc-André Martel

Avocate de l'intimé :

Me Anne Poirier

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Avocat :

Étude :

Ville :

Me Marc-André Martel

Martel, Brassard, Doyon

Sherbrooke (Québec)

Pour l'intimé :

John H. Sims, c.r. sous-ministre de la Justice

et sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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