Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2004-3354(IT)G

ENTRE :

 

MIL (INVESTMENTS) S.A.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Requête entendue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 22 février 2006.

 

Devant : l’honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Warren J.A. Mitchell, c.r.

 

Avocats de l’intimée :

Me David Jacyk

Me Robert Carvalho

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

 

          Une requête ayant été présentée par l’intimée,

 

a)       il est ordonné à l’appelante de présenter Edmond Van de Kelft, administrateur de l’appelante, à Vancouver (Colombie‑Britannique), pour la continuation de l’interrogatoire préalable relatif aux engagements qui ont été pris aux pages 46 et 47, 92, 118 et 124 à 126 de la transcription de l’interrogatoire de Jean Raymond Boulle le 18 novembre 2005, et de répondre aux questions consécutives y afférentes;

 

b)      la demande visant l’obtention d’une ordonnance enjoignant à l’appelante de fournir une copie d’un mémoire de planification est rejetée.

 

          Les dépens et frais de la présente requête sont laissés à l’appréciation du juge qui présidera l’instruction.

         

 

 

          Signé à Toronto (Ontario), ce 30e jour de mars 2006.

 

 

« J. Woods »

Juge Woods

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de juin 2007.

 

Maurice Audet, réviseur

 

 


 

 

Référence : 2006CCI208

Date : 20060330

Dossier : 2004-3354(IT)G

 

ENTRE :

MIL (INVESTMENTS) S.A.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

La juge Woods

 

[1]     Il s’agit d’une requête présentée avant l’instruction dans laquelle l’intimée sollicite des ordonnances visant l’obtention de réponses aux questions posées lors de l’interrogatoire préalable ainsi que le dépôt d’un document à la communication duquel l’appelante s’oppose en invoquant le secret professionnel.

 

[2]     L’appelante, une non‑résidente du Canada, a fait l’objet d’une cotisation en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard d’un gain en capital d’un montant de 425 853 942 $, qui a été réalisé lors de la disposition d’actions du capital‑actions de Diamond Fields Resources Inc. L’appelante demande une exonération d’impôt en vertu des dispositions de la Convention Canada‑Luxembourg en matière d’impôts sur le revenu de 1989. Le ministre a refusé d’exonérer l’appelante, en se fondant en partie sur la règle générale anti‑évitement.

 

[3]     Il n’est pas nécessaire d’énoncer en détail les faits se rapportant à l’appel. Le fondement de la cotisation est résumé dans ce passage des observations écrites de l’intimée :

 

                        [Traduction]

 

3.      L’appelante a été constituée en société dans les îles Cayman en 1993 et elle a censément mis fin à ses activités dans les îles Cayman et les a censément poursuivies au Luxembourg au mois de juillet 1995. L’intimée allègue que l’appelante a continué à exercer ses activités au Luxembourg afin de tirer parti d’un avantage conféré par un traité. L’appelante l’a fait de façon à pouvoir rapatrier dans les îles Cayman ou au Luxembourg, libre d’impôt, tout gain ou revenu tiré de sa participation (ou de celle de son dirigeant, M. Boulle) dans une société canadienne appelée Diamond Field Resources Inc.

 

4.      Jean Raymond Boulle, autrefois résident de Belize, était l’unique dirigeant de la société lorsqu’elle était une société des îles Cayman. L’appelante était encore contrôlée par M. Boulle après avoir censément poursuivi ses activités au Luxembourg. M. Boulle réside maintenant à Monaco.

 

5.      Malgré la présumée continuation des activités de l’appelante au Luxembourg, les sommes reçues par l’appelante à l’égard du gain en question ont finalement été rapatriées vers une autre société des îles Cayman constituée par M. Boulle à cette fin même. La plupart des sommes ont ensuite été versées à M. Boulle au moyen d’un dividende de la nouvelle société des îles Cayman ou elles ont été investies dans les participations que M. Boulle détenait dans des sociétés établies ailleurs qu’au Luxembourg.

 

Demande d’interrogatoires préalables additionnels

 

[4]     L’intimée sollicite une ordonnance prévoyant des interrogatoires préalables additionnels, préférablement au moyen de l’interrogatoire oral d’un administrateur de l’appelante, mais l’avocat a également soutenu que des réponses données par écrit constitueraient une solution de rechange satisfaisante[1].

 

[5]     L’appelante refuse de répondre aux questions pour le motif que des réponses complètes ont été données ou que ces questions représentent un nouveau champ d’enquête.

 

[6]     Les interrogatoires préalables ont commencé le 9 mars 2005; Jean Raymond Boulle a été interrogé oralement en sa qualité de représentant de l’appelante. Comme il en a été fait mention ci‑dessus, au moment pertinent, M. Boulle était propriétaire, directement ou indirectement, de toutes les actions de l’appelante.

 

[7]     Après deux jours d’interrogatoires préalables, l’avocat de l’intimée a déclaré que l’instance était [traduction] « ajournée sous réserve de ce qui pourrait survenir par suite des engagements ». Il n’est pas contesté qu’il devait être mis fin aux interrogatoires, sous réserve des questions découlant des renseignements fournis conformément aux engagements.

 

[8]     Après avoir reçu les réponses écrites aux engagements, l’avocat de l’intimée a indiqué à l’appelante qu’il n’était pas satisfait du niveau de communication et il a demandé à interroger oralement M. Boulle une autre fois. Après avoir protesté, l’appelante a convenu de mettre M. Boulle à la disposition de l’avocat pour un autre interrogatoire, qui a eu lieu le 18 novembre 2005. L’appelante a par la suite fourni des renseignements complémentaires dans une série de lettres échangées entre les avocats.

 

[9]     L’intimée n’est toujours pas satisfaite du niveau de communication et elle présente la requête ici en cause en vue d’obtenir des réponses à certaines questions non réglées. L’avocat soutient que l’appelante a restreint le droit de l’intimée à la communication en utilisant le manque de connaissance et le manque de préparation de M. Boulle quant aux interrogatoires préalables et en ayant recours à la procédure des réponses écrites à l’égard des engagements.

 

[10]    Les questions auxquelles l’intimée cherche à obtenir des réponses se rapportent à trois champs d’enquête :

 

1.     des renseignements sur le travail accompli par deux administrateurs qui travaillent au bureau de l’appelante situé au Luxembourg, et la rémunération reçue par ces administrateurs;

 

2.     des renseignements concernant l’utilisation du produit de la disposition des actions de Diamond Fields;

 

3.     des renseignements concernant un état financier d’une société connexe (Gondwana) qui a obtenu un prêt de l’appelante.

 

[11]    À l’appui de la requête, l’intimée a déposé des passages de l’interrogatoire oral de M. Boulle et des copies des lettres de rappel pertinentes échangées entre les avocats. Elle a également déposé une copie de la demande que l’appelante a présentée à la Cour en vue de faire fixer la date de l’instruction, demande à laquelle il a été donné suite avant que l’appelante ait répondu à tout engagement, tout en disant que l’affaire était prête à être instruite.

 

[12]    Les principes à appliquer en examinant les demandes présentées à la Cour pour les interrogatoires préalables additionnels ont récemment été examinés dans la décision Baxter v. The Queen, 2004 DTC 3497 (C.C.I.). Après avoir examiné un certain nombre de décisions judiciaires, le juge en chef Bowman a conclu qu’une approche libérale devait être adoptée et il a mentionné le passage suivant de la décision Bande de Montana c. R. (1999), [2000] 1 C.F. 267 (C.F. 1re inst.), paragraphe 5 :

 

L’interrogatoire préalable a pour objectif général de favoriser l’équité et l’efficacité de l’instruction en permettant à chacune des parties de se renseigner pleinement, avant l’instruction, sur la nature exacte des positions de toutes les autres parties, de façon à pouvoir définir avec précision les questions qui se posent. Il est dans l’intérêt de la justice que chaque partie soit le mieux informée au sujet des positions des autres parties afin de ne pas être défavorisée en étant surprise à l’instruction. Il est tout à fait approprié pour la Cour d’adopter une démarche libérale face à l’étendue des questions pouvant être posées au cours de l’interrogatoire préalable puisqu’une erreur qui serait commise en autorisant des questions non appropriées peut toujours être corrigée par le juge présidant l’instruction qui décide ultimement de toutes les questions ayant trait à l’admissibilité de la preuve; par ailleurs, toute erreur qui restreindrait indûment l’étendue de l’interrogatoire préalable peut mener à de graves problèmes ou même à des injustices au cours de l’instruction.

 

[13]    En ce qui concerne les questions se rapportant au premier champ d’enquête, à savoir les obligations des administrateurs, l’appelante s’oppose à un interrogatoire additionnel en affirmant qu’elle a fourni suffisamment de renseignements. Je ne suis pas d’accord avec l’appelante pour dire que la communication était suffisante. Certaines réponses données par M. Boule lors de l’interrogatoire oral et au moyen des renseignements fournis dans les lettres de rappel semblent au mieux incomplètes et au pire trompeuses.

 

[14]    Les réponses à ce champ d’enquête ont été données à trois reprises, une fois lors de l’interrogatoire oral de M. Boulle et deux fois dans les lettres de rappel. Dans chaque cas, les réponses n’étaient pas conformes aux renseignements qui avaient été fournis et dans tous les cas les renseignements fournis n’étaient pas suffisamment précis.

 

[15]    Les autres questions se rapportent aux deux derniers champs d’enquête, lesquels, selon l’appelante, sont de nouveaux champs d’enquête dans lesquels on ne peut pas se lancer à ce stade. À l’appui, l’avocat m’a référée à la décision rendue par la juge Sharlow dans l’affaire SmithKline Beecham Animal Health Inc. v. The Queen, [2002] 4 C.T.C. 93 (C.A.F.).

 

[16]    L’intimée soutient que ces questions ne sont pas de nouveaux champs d’enquête, mais qu’elles découlent de questions qui ont été posées lors de l’interrogatoire oral de M. Boulle.

 

[17]    Je ne crois pas que l’arrêt SmithKline aide l’appelante. Cet arrêt confirme qu’une partie est généralement empêchée de se lancer dans de nouveaux champs d’enquête une fois terminés les interrogatoires oraux, mais il n’y est pas question de ce qui constitue un nouveau champ d’enquête.

 

[18]    Les deux derniers champs d’enquête se rapportent généralement à l’emploi des fonds reçus par l’appelante lors de la vente des actions de Diamond Fields et ils découlent généralement des renseignements fournis en réponse aux engagements. Il aurait été préférable de poser ces questions lors de l’interrogatoire initial de M. Boulle, mais dans ce cas particulier, on ne devrait pas blâmer l’intimée pour ne pas avoir pu le faire.

 

[19]    Pour ces motifs, je conclus qu’il convient d’accorder l’ordonnance sollicitée par l’intimée.

 

[20]    Quant à la forme de l’ordonnance, je suis d’accord avec l’intimée pour dire qu’il convient d’ordonner la tenue d’un interrogatoire oral d’une autre personne. Il sera donc ordonné à l’appelante de mettre le directeur général, Edmond Van de Kelft, à la disposition de l’intimée à Vancouver pour être interrogé au sujet des trois champs d’enquête susmentionnés et pour que l’appelante réponde aux questions consécutives.

 

[21]    L’appelante a exprimé certaines préoccupations au sujet de la longueur des interrogatoires préalables et elle demande à la Cour d’imposer des restrictions précises sur la portée de tout interrogatoire additionnel. Je ne crois pas qu’il soit souhaitable de rendre cette ordonnance en ce moment, mais l’appelante pourra au besoin présenter une autre demande.

 

Demande de communication de documents

 

[22]    La deuxième question n’a rien à voir avec la première et se rapporte à la question de savoir si l’appelante doit être contrainte à communiquer un document désigné comme étant un mémoire de planification. Il n’est pas contesté que le document était assujetti au secret professionnel à un moment donné, mais l’intimée maintient que cette immunité a été perdue lorsque l’appelante y a volontairement renoncé à l’égard de documents connexes.

 

[23]    L’intimée cherche à appliquer un principe appelé « renonciation à une immunité », qui prévoit que, si une personne renonce volontairement à une immunité à l’égard d’un document, elle renonce nécessairement à cette immunité à l’égard de documents se rapportant au même objet, et ce, indépendamment de l’intention.

 

[24]    Le principe est énoncé dans l’édition H.M. Malek de l’ouvrage intitulé Phipson on Evidence, 16e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 2005), paragraphe 26‑12 :

 

[Traduction] [...] Chaque partie peut à son gré décider de renoncer à l’immunité et de la mesure dans laquelle elle y renonce. Cependant, il appartient au tribunal de tenir compte des conséquences de cette renonciation volontaire dans un cas donné. La partie qui cherche volontairement à soumettre en partie au tribunal un document ou une série de documents doit également lui soumettre le reste du document ou de la série de documents afin de se montrer équitable envers son adversaire.

 

[25]    Phipson soutient qu’il faut appliquer restrictivement le principe de la renonciation. Voici ce qu’il dit au paragraphe 26‑29 :

 

[Traduction] Ce qui constitue « la question en litige » sera toujours une question de fait. Il faut découvrir le but de la renonciation et tenir compte de ce que l’équité exige eu égard aux circonstances. La jurisprudence montre que les tribunaux ont toujours refusé d’étendre la portée de la renonciation au‑delà de ce qui est nécessaire et que, en cas de doute, ils ont interprété d’une façon plutôt restrictive ce qui constitue « la question en litige ».

 

[26]    Le droit semble être le même au Canada. Le principe général a été décrit dans l’arrêt Bone v. Person (2000), 185 DLR (4th) 335 (C.A. Man.), paragraphe 10 :

 

[Traduction] [...] Le droit prévoit clairement qu’une partie à une instance judiciaire peut volontairement renoncer au secret professionnel sur une base restreinte, c’est‑à‑dire à l’égard d’une question particulière précise. Voir, par exemple, Power Consol. (China) Pulp Inc. v. B.C. Resources Invt. Corp., [1989] 2 W.W.R. 679, page 682 (C.A.C.‑B.). Toutefois, il faut rechercher un équilibre raisonnable, de façon que le tribunal et les autres parties ne soient pas induits en erreur. La partie qui effectue la communication ne peut pas décider à son gré de ce qui lui est favorable et de ce qui lui est défavorable. Dans la décision Transamerica Life Insurance Co. of Canada v. Canada Life Assurance Co. (1995), 46 C.P.C. (3d) 110 (C.J. Ont., Div. gén.), le juge Sharpe (tel était alors son titre) a énoncé la question comme suit, aux paragraphes 41 et 42 :

 

De toute évidence, le droit ne prévoit pas que la production d’un document tiré d’un dossier entraîne une renonciation à l’immunité se rattachant aux autres documents qui figurent au même dossier. Il faut démontrer qu’en l’absence des documents additionnels, le document produit est quelque peu trompeur. [...]

Il faut appliquer la règle relative à la renonciation s’il existe une indication qu’une partie tente d’obtenir un avantage injuste ou de donner une idée trompeuse au moyen d’une communication sélective.

 

[27]    Dans la décision Transamerica Life Insurance Co. of Canada v. The Canada Life Assurance Co. (1995), 27 O.R. (3d) 291 (C.J. Ont., Div. gén.), le juge Sharpe fait également remarquer que la règle de la renonciation doit s’appliquer restrictivement. Le passage précité au paragraphe 42 se poursuit comme suit :

 

[Traduction] [...] une partie ne devrait pas être pénalisée ou empêchée d’effectuer la communication la plus complète possible. À mon avis, une application trop facile de la règle relative à la renonciation sert uniquement à empêcher les parties à un litige d’effectuer la communication la plus complète possible.

 

[28]    Je ferai également remarquer qu’une application stricte de la règle de la renonciation est conforme à l’approche générale que les tribunaux canadiens ont adoptée à l’égard du secret professionnel : Descoteaux c. Mierwinski, [1982] 1 R.C.S. 860 et Philip Services Corp. v. Ontario Securities Commission (2005), 77 O.R. (3d) 209 (C.S. Ont.).

 

[29]    En l’espèce, l’appelante a volontairement renoncé à l’immunité dans une série de lettres échangées entre les cabinets d’avocats renfermant des avis juridiques au sujet des opérations en question. La question à trancher est de savoir s’il a également été renoncé à l’immunité à l’égard du mémoire de planification.

 

[30]    En appliquant les principes susmentionnés, il faut déterminer s’il est injuste pour l’intimée de refuser la communication du mémoire de planification. Pour répondre à cette question, il faut d’abord tenir compte des circonstances qui ont amené l’appelante à renoncer volontairement à l’immunité à l’égard des lettres échangées entre les cabinets d’avocats.

 

[31]    L’appelante a effectué la communication volontaire en réponse à une demande précise que l’Agence du revenu du Canada avait faite pendant la vérification[2]. Dans une lettre datée du 16 novembre 2000 du vérificateur de l’ARC, on a demandé les renseignements suivants à l’appelante :

 

[Traduction] Quelle est la personne qui a entamé un examen de la fiducie familiale Jean Boulle (la « FFJB »), lequel a mené à la détermination, le 14 juillet 1995, selon laquelle la FFJB avait été constituée sans avoir de fonds? Pourquoi la constitution de la FFJB a‑t‑elle été mise en question si longtemps après sa création? Veuillez fournir tous les documents se rapportant à l’examen de la FFJB par l’avocat des îles Cayman, et notamment les motifs fournis à l’avocat, aux îles Cayman, à l’appui dudit examen.

[Je souligne.]

 

[32]    L’enquête du vérificateur découlait de renseignements que lui avait fournis l’avocat de l’appelante, Thorsteinssons, au sujet de la fiducie que M. Boulle avait constituée dans les îles Cayman et qui, croyait‑on, était l’unique actionnaire de l’appelante. Le cabinet Thorsteinssons avait informé le vérificateur que la fiducie avait été examinée par un cabinet d’avocats des îles Cayman, le droit de ce ressort régissant la fiducie, et qu’il avait été conclu que la fiducie n’était pas valide parce qu’elle n’avait pas été constituée d’une façon appropriée[3].

 

[33]    Le cabinet Thorsteinssons a répondu à la demande du vérificateur par une lettre datée du 15 décembre 2000. Il a répondu que l’examen de la fiducie avait été entamé en raison de l’obligation de diligence raisonnable parce que l’actionnaire de l’appelante devait approuver le maintien envisagé de l’appelante au Luxembourg. Le cabinet faisait en outre savoir qu’il avait découvert certaines questions concernant la validité de la fiducie et qu’un avis juridique avait été demandé à un cabinet d’avocats, du nom de Maples et Calder, aux îles Cayman.

 

[34]    Le cabinet Thorsteinssons a également remis au vérificateur de l’ARC, comme celui‑ci l’avait demandé, une copie de la lettre renfermant les instructions qu’il avait données au cabinet Maples et Calder ainsi que deux lettres renfermant des avis du cabinet d’avocats étranger. Dans la lettre d’accompagnement envoyée au vérificateur de l’ARC, le cabinet Thorsteinssons reconnaissait que l’appelante renonçait à l’immunité au sujet de ces documents et il faisait expressément savoir que la renonciation ne s’appliquait pas aux autres documents en sa possession[4].

 

[35]    Il ressort des éléments mis à ma disposition que le vérificateur de l’ARC tentait de comprendre pourquoi la validité de la fiducie faisait l’objet d’un examen dans le cadre de la planification des opérations envisagées. Il est également manifeste que l’appelante a volontairement renoncé à l’immunité à l’égard des lettres échangées entre les cabinets d’avocats afin d’aider à dissiper toute préoccupation que le vérificateur pouvait avoir au sujet de cet aspect des opérations.

 

[36]    Qu’est-ce que le mémoire de planification a à voir avec tout cela? Le document ne m’a pas été remis, mais le dossier de la requête semble montrer que le mémoire de planification a été préparé par le cabinet Thorsteinssons dans le cadre des opérations qui font l’objet du présent appel.

 

[37]    Le mémoire de planification entre en jeu parce que, dans les lettres qui ont été communiquées au vérificateur de l’ARC, le cabinet Maples et Calder a non seulement exprimé un avis au sujet de la validité de la fiducie, mais il a en outre fourni un avis juridique au sujet des opérations envisagées, dont il était question dans le mémoire de planification.

 

[38]    L’intimée soutient que l’appelante ne devrait pas pouvoir communiquer cet avis sans également communiquer le mémoire de planification sur lequel l’avis est fondé.

 

[39]    Je conclus qu’il n’est pas inéquitable de refuser la communication du mémoire de planification. En premier lieu et avant tout, l’appelante n’a pas remis au vérificateur de l’ARC les lettres échangées entre les cabinets d’avocats pour que le vérificateur puisse comprendre l’avis juridique concernant les opérations envisagées. Il ressort clairement de la lettre que le cabinet Thorsteinssons a envoyée au vérificateur que la communication des lettres visait uniquement à fournir des renseignements au sujet de la validité de la fiducie.

 

[40]    L’avis juridique concernant les opérations envisagées a été communiqué au vérificateur uniquement parce qu’il s’adonnait à figurer dans ces lettres. Il ressort clairement de la lettre par laquelle le cabinet Thorsteinssons donnait des instructions au cabinet Maples et Calder que Thorsteinssons demandait un avis au sujet de deux questions distinctes n’ayant rien à voir l’une avec l’autre – la validité de la fiducie et la question de savoir si la fiducie avait des incidences défavorables sur les opérations envisagées. L’avis concernant cette dernière question a été communiqué parce qu’il était exprimé dans la même lettre, mais l’enquête du vérificateur de l’ARC ne s’y rapportait pas.

 

[41]    Je ferai également remarquer que l’appelante a renoncé volontairement à l’immunité à l’égard des lettres échangées entre les cabinets d’avocats en réponse à une demande précise que le vérificateur de l’ARC avait faite en vue d’obtenir ces documents. Cela ne répond pas complètement à la question de la renonciation, mais je crois que c’est valable quand on se demande s’il est injuste pour l’appelante de refuser la communication du mémoire de planification. Si l’appelante avait omis de communiquer ces documents, cela aurait pu susciter d’autres préoccupations de la part de l’ARC au sujet de la validité de la fiducie.

 

[42]    L’intimée fait valoir que le mémoire de planification pourrait révéler pourquoi la validité de la fiducie faisait tout d’abord l’objet d’un tel examen. C’est bien possible, mais au vu des éléments mis à ma disposition, il n’y a rien qui le donne à entendre. À moins que l’intimée ne puisse fournir quelque fondement à l’appui de l’idée que l’appelante cache quelque chose, je ne crois pas qu’il convienne d’appliquer le principe de la renonciation, lequel est fondé sur l’équité.

 

[43]    S’il existait un doute réel au sujet de la question de savoir si l’appelante cachait quelque chose, l’intimée aurait pu me proposer d’examiner le mémoire de planification. Il existe un précédent à ce sujet dans l’un des arrêts antérieurs[5] auxquels on m’a référée, mais l’intimée ne l’a pas proposé.

 

[44]    Pour ces motifs, j’ai conclu que les faits de l’espèce ne permettent pas de conclure que le mémoire de planification devrait être communiqué.

 

Dispositif et dépens

 

[45]    Pour ces motifs, la demande que l’intimée a présentée au sujet d’interrogatoires préalables additionnels est accueillie et la demande visant la communication du mémoire de planification est rejetée.

 

[46]    L’appelante sollicite les frais de la requête sur la base avocat‑client pour le motif que l’intimée cherche sans motif légitime à obtenir la communication du mémoire de planification. L’avocat soutient qu’il ne peut exister aucune question véritable au sujet de la validité de la fiducie parce que l’intimée reconnaît qu’elle n’est pas valide.

 

[47]    À mon avis, les circonstances ne justifient pas l’adjudication des dépens sur la base avocat‑client. L’intimée veut peut‑être examiner le mémoire de planification pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la fiducie, mais la communication volontaire des lettres échangées entre les cabinets d’avocats donne lieu à une question légitime, à savoir s’il est également renoncé à l’immunité relative aux documents mentionnés dans ces lettres.

 

[48]    La question de l’adjudication des frais de la requête sera laissée à l’appréciation du juge qui présidera l’instruction.

 

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 30e jour de mars 2006.

 

 

 

 

« J. Woods »

J. Woods

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de juin 2007.

 

Maurice Audet, réviseur

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI208

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-3354(IT)G

 

INTITULÉ :                                       MIL (Investments) S.A.

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 22 février 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :     L’honorable juge Judith Woods

 

DATE DE L’ORDONANNCE :          Le 30 mars 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Warren J.A. Mitchell, c.r.

 

Avocats de l’intimée :

Me David Jacyk

Me Robert Carvalho

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Warren J.A. Mitchell, c.r.

 

                   Cabinet :                         Thorsteinssons LLP

                                                          Vancouver (Colombie-Britannique)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] L’avis de requête vise l’obtention d’ordonnances enjoignant la communication par écrit et par voie d’interrogatoire oral d’un autre représentant de l’appelante. Pendant l’audience, l’avocat de l’intimée a déclaré que l’obtention d’une seule de ces ordonnances lui conviendrait et qu’il préférerait avoir droit à un interrogatoire oral.

[2] Affidavit de Michael J. O'Keefe, c.r., pièces F et G.

[3] L’intimée ne conteste pas cette détermination.

[4] C’est l’appelante qui a droit à l’immunité, mais l’appelante est généralement liée en cas de renonciation effectuée par son avocat.

[5] Power Cons. (China) Pulp Inc. v. British Columbia Resources Investment Corp., [1989] 2 W.W.R. 679 (C.A.C.‑B.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.