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Dossier : 2005-580(EI)

ENTRE :

3588718 CANADA INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

DARREN DUBROVSKY,

GARY DUBROVSKY,

FAYGIE DUBROVSKY,

intervenants.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 29 juin 2005, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable S.J. Savoie, Juge suppléant

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Alain Savoie

Avocate de l'intimé :

Me Susan Shaughnessy

Représentant des intervenants :

Alain Savoie

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision rendue par le Ministre est annulée selon les motifs de jugements ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 4e jour d'octobre 2005.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


Référence : 2005CCI628

Date : 20051004

Dossier : 2005-580(EI)

ENTRE :

3588718 CANADA INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

DARREN DUBROVSKY,

GARY DUBROVSKY,

FAYGIE DUBROVSKY,

intervenants.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Savoie

[1]      Cet appel a été entendu à Montréal (Québec) le 29 juin 2005.

[2]      Le 30 décembre 2003 l'appelante demandait au ministre du Revenu national (le « Ministre » ) de statuer sur la question de savoir si Earl, Darren, Gary et Faygie Dubrovsky, les travailleurs avaient exercé un emploi assurable lorsqu'à son service du 1er janvier au 8 octobre 2003, la période en litige.

[3]      Le 5 novembre 2004 le Ministre a informé l'appelante de sa décision selon laquelle les travailleurs Darren, Faygie et Gary occupaient un emploi assurable durant la période en litige. De plus le Ministre a décidé que Earl n'occupait pas un emploi assurable durant ladite période.

[4]      Cet appel porte sur la décision du Ministre concernant l'emploi de Darren, Faygie et Gary.

[5]      En rendant sa décision, le Ministre s'est appuyé sur les faits présumés suivants :

a)          l'appelante a été constituée en société le 3 juin 1999; (admis)

b)          l'appelante exploitait une manufacture de bijoux; (admis)

c)          l'appelante embauchait habituellement une vingtaine d'employés à plein temps et de 30 à 36 employés lors des périodes de pointe; (admis)

d)          Darren, Gary et Faygie Dubrovsky travaillaient pour l'appelante; (admis)

e)          les travailleurs oeuvraient à la place d'affaires de l'appelante ou sur la route; (nié)

f)           les travailleurs travaillaient à l'année longue pour l'appelante; (admis)

g)          les travailleurs avaient une rémunération hebdomadaire fixe; (admis)

h)          les travailleurs étaient rémunérés par chèque à toutes les deux semaines; (admis)

i)           les travailleurs n'avaient aucune dépense à encourir dans l'exercice de leurs fonctions; (nié)

j)           les travailleurs n'avaient aucun risque financier dans l'exécution de leurs tâches pour l'appelante; (nié)

k)          tout le matériel et l'équipement dont se servaient les travailleurs appartenaient à l'appelante; (nié)

l)           les tâches des travailleurs étaient intégrées aux activités de l'appelante; (admis)

DARREN DUBROVSKY

m)         Darren Dubrovsky était à l'emploi de l'appelante depuis 1999; (admis)

n)          Darren Dubrovsky était directeur du service des ventes et des finances; (nié)

o)          les tâches de Darren Dubrovsky consistaient à s'occuper du marketing, des relations avec les fournisseurs et de diverses responsabilités aux finances; (admis avec précisions)

p)          Darren Dubrovsky travaillait entre 40 et 70 heures par semaine; (nié)

q)          Darren Dubrovsky bénéficiait d'une automobile fournie par l'appelante; (admis)

r)           en 2003, Darren Dubrovsky était rémunéré 59 300 $; (admis)

s)          Darren Dubrovsky était payé par chèque à toutes les deux semaines; (admis)

t)           Darren Dubrovsky fournissait des rapports écrits et verbaux régulièrement à l'appelante; (nié)

FAYGIE DUBROVSKY

u)          Faygie Dubrovsky était à l'emploi de l'appelante depuis 1999; (admis)

v)          Faygie Dubrovsky était responsable du service de comptabilité de l'appelante; (nié)

w)         les tâches de Faygie Dubrovsky consistaient à diriger et à superviser 3 commis à la comptabilité; (admis avec précisions)

x)          Faygie Dubrovsky travaillait entre 20 et 55 heures par semaine; (nié)

y)          en 2003, Faygie Dubrovsky était rémunérée 36 456 $; (admis)

z)          Faygie Dubrovsky était payée par chèque à toutes les deux semaines; (admis)

aa)        Faygie Dubrovsky fournissait des rapports écrits et verbaux régulièrement à l'appelante; (nié)

GARY DUBROVSKY

bb)        Gary Dubrovsky était à l'emploi de l'appelante depuis 1999; (admis)

cc)        Gary Dubrovsky était directeur des opérations; (nié)

dd)        les tâches de Gary Dubrovsky consistaient à gérer les opérations de production de l'appelante ainsi que des ressources humaines; (admis)

ee)        Gary Dubrovsky travaillait entre 40 et 70 heures par semaine; (nié)

ff)          Gary Dubrovsky bénéficiait d'une automobile fournie par l'appelante; (admis)

gg)        En 2003, Gary Dubrovsky était rémunéré 59 084 $; (admis)

hh)        Gary Dubrovsky était payé par chèque à toutes les deux semaines; (admis)

ii)          Gary Dubrovsky fournissait des rapports écrits et verbaux régulièrement à l'appelante; (nié)

[6]      L'appelante et chacun des travailleurs sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu car :

a)          les actionnaires de l'appelante qui détenaient des actions avec droit de vote étaient :

                        Eldubro Holdings Inc.                33,3% des actions

                        Dubro Holdings Inc.                              33,3% des actions

                        TN Princess Holdings Inc.                     33,3% des actions

            (admis)

b)          l'actionnaire unique de Eldubro Holdings Inc. est Darren Dubrovsky,

            l'actionnaire unique de Dubro Holdings Inc. est Earl Dubrovsky,

            l'actionnaire unique de TN Holdings Inc. est Gary Dubrovsky;

            (admis avec précisions)

c)          Earl Dubrovsky est le père de Darren et de Gary Dubrovsky, Faygie est la conjointe de Earl Dubrovsky et la mère de Darren et Gary Dubrovsky; (admis)

d)          Darren et Gary Dubrovsky font partie d'un groupe lié qui contrôlait l'appelante. (admis)

e)          Faygie Dubrovsky est liée à un membre d'un groupe lié qui contrôlait l'appelante. (admis)

[7]      Le Ministre a déterminé aussi que l'appelante était réputée ne pas avoir de lien de dépendance avec chacun des travailleurs dans le cadre de leur emploi car il a été convaincu qu'il était raisonnable de conclure que l'appelante et chacun des travailleurs auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

a)          l'appelante avait une vie corporative active; (ignoré)

b)          le conseil d'administration de l'appelante se réunissait régulièrement pour discuter, planifier et revoir les opérations de l'appelante; (nié)

c)          Earl Dubrovsky travaillait pour l'appelante comme consultant 20 heures par semaine et il participait pleinement aux décisions du conseil d'administration de l'appelante; (nié)

d)          selon l'Institut de la statistique du Québec, le salaire d'un professionnel en approvisionnement variait entre 46 907 $ et 62 203 $ et celui d'un professionnel en gestion financière variait entre 47 013 $ et 62 334 $; (ignoré)

e)          selon les statistiques de Ressources humaines Canada pour la région de Montréal, le salaire d'un directeur financier variait entre 32 750 $ et 82 250 $, celui d'un directeur des achats variait entre 30 250 $ et 74 750 $, celui d'un superviseur des commis finances variait entre 22 500 $ et 53 250 $; (ignoré)

f)           le salaire des travailleurs était raisonnable compte tenu des salaires de l'industrie et des années d'ancienneté de chacun; (nié)

g)          les travailleurs avaient des emplois permanents pour une entreprise qui était exploitée à l'année longue et leurs tâches étaient directement liées aux activités de l'appelante; (admis)

h)          la période d'emploi de chaque travailleur concordait avec les activités de l'appelante; (admis)

i)           les modalités, la durée, la nature et l'importance du travail de chacun des travailleurs étaient raisonnables. (nié)

[8]      La preuve a révélé que les trois travailleurs ont débuté leur emploi pour l'appelante en 1999, Darren Dubrovsky, pour sa part, en acceptant cet emploi pour l'appelante, a subi une perte de salaire d'environ 25 000,00 $ par année. Il en a été de même pour son frère Gary Dubrovsky. Quant à Faygie Dubrovsky, elle a débuté en 1999 avec un salaire de $36 000,00 $ qu'elle a choisi d'ajuster elle-même à 52 000,00 $ par année en janvier 2005. La preuve a révélé que madame Faygie Dubrovsky a reçu une offre d'emploi par l'entremise du comptable de l'appelante pour un salaire fixé entre 70 000,00 $ à 80 000,00 $ par année, un poste qu'elle a refusé. Cependant, les modalités de cet emploi n'ont pas été révélées. Tous ces travailleurs ont accepté une réduction de salaire parce qu'ils ont choisi de passer plus de temps avec leurs familles, d'exploiter leurs propres entreprises, de jouir de plus de liberté et de n'avoir aucun patron.

[9]      La preuve a établi que Darren et Gary Dubrovsky sont tous deux actionnaires de l'appelante et signataires de celle-ci. Tous les deux ont avancé des fonds à l'appelante par l'entremise de leurs marges de crédit, dont les intérêts sont payés par l'appelante. Darren Dubrovsky est président de l'appelante, Gary Dubrovsky est son vice-président et Faygie Dubrovsky est la vérificatrice et comptable de celle-ci.

[10]     Les trois travailleurs occupent un poste de gestion au sein de l'appelante. Leur horaire de travail est laissé entièrement à leur discrétion. Chacun d'eux est libre de ses allées et venues, ils rentrent au travail et s'absentent, à leur guise. Leur travail n'est aucunement supervisé. La preuve a déterminé que leur horaire de travail a été fixé selon les besoins de leur famille. Chacun d'eux a déterminé son salaire, le nombre de ses jours de congé ainsi que ses périodes de vacances qui sont parfois très longues. Aucun des travailleurs n'est tenu de fournir des rapports ou des comptes-rendus de ses activités à l'appelante.

[11]     Il a été établi que les heures de travail de Darren et de Gary Dubrovsky pouvaient varier entre 0 et 80 heures par semaine tandis que celles de Faygie Dubrovsky variaient entre 8 heures et 35 heures par semaine. Quand on leur a demandé à l'audition pourquoi ils avaient accepté de travailler pour l'appelante pour un salaire inférieur à celui qu'ils recevraient sur le marché du travail, ils ont déclaré de façon unanime qu'ils avaient opté pour une meilleure qualité de vie, une vie familiale améliorée, la possibilité d'investir leur temps et leur énergie au service d'une entreprise dont ils deviendraient éventuellement les propriétaires. C'est pourquoi, aux dires de Darren et de Gary Dubrovsky en particulier, qu'ils on accepté d'être sur appel 24 heures sur 24, sept jours par semaine, lorsqu'ils n'étaient pas en vacances à l'étranger et qu'ils ont accepté de s'occuper des urgences pendant leurs journées de congé ainsi que des autres besoins de l'appelante ou de se remplacer l'un l'autre durant leurs vacances respectives.

[12]     Chacun des travailleurs a un bureau à la maison, équipé à ses frais, où il exécute beaucoup de tâches pour le compte de l'appelante. Chacun des travailleurs possède un compte de dépenses dont il peut disposer à sa guise.

[13]     La question en litige est de savoir si les travailleurs occupaient un emploi assurable aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ). La disposition pertinente est l'alinéa 5(1)a) de la Loi, qui énonce ce qui suit :

            5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a)     un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[Je souligne]

[14]     L'article précité contient la définition du contrat assurable. C'est celui que l'on occupe en vertu d'un contrat de louage de services, c'est-à-dire un contrat de travail. Cependant, la Loi ne définit pas ce qui constitue un tel contrat. Dans l'affaire qui nous préoccupe, il n'existe aucun contrat écrit, mais, à l'audition, une preuve testimoniale a été offerte quant à l'intention des parties, qui s'est manifestée pendant la période en litige. C'est à l'analyse des faits présentés à l'audition que la Cour sera en mesure d'établir le type de contrat auquel sont liées les parties en cause.

[15]Le contrat de louage de services est une notion de droit civil que l'on trouve dans le Code civil du Québec. C'est donc en vertu des dispositions pertinentes du Code civil qu'il faudra déterminer la nature de ce contrat.

[16]Dans une publication intitulée « contrat de travail » : « Pourquoi Wiebe Door Services Ltd. ne s'applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer? » , devant être publié au cours du quatrième trimestre de 2005 par l'Association de planification fiscale et financière (APFF) et le ministère de la Justice dans le Second recueil d'études en fiscalité de la collection l'Harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil, québécois et le bijuridisme canadien, le juge Pierre Archambault de cette Cour décrit, à l'égard de toute période d'emploi postérieure au 30 mai 2001, la démarche que doivent faire les tribunaux depuis l'entrée en vigueur le 1er juin 2001 de l'article 8.1 de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. 1-21, modifié, lorsque confrontés à un litige comme celui sous étude. Voici ce que le législateur a édicté dans cet article :

Propriété et droits civils

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte.

[Je souligne]

[18]     Il convient de reproduire les dispositions pertinentes du Code civil du Québec qui serviront à déterminer l'existence d'un contrat de travail au Québec pour le distinguer du contrat d'entreprise :

Contrat de travail

2085     Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

2086     Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

Contrat d'entreprise ou de service

2098     Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099     L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant a son exécution.

[Je souligne]

[19] Les dispositions du Code civil du Québec reproduites ci-dessus établissent trois conditions essentielles à l'existence d'un contrat de travail : 1) la prestation sous forme de travail fournie par le salarié; 2) la rémunération de ce travail par l'employeur, et 3) le lien de subordination. Ce qui distingue de façon significative un contrat de service d'un contrat de travail, c'est l'existence du lien de subordination, c'est-à-dire le fait pour l'employeur d'avoir un pouvoir de direction ou de contrôle sur le travailleur.

[20]Les auteurs de doctrine se sont penchés sur la notion de « pouvoir de direction ou de contrôle » et sur son revers, le lien de subordination. Voici ce que l'auteur Robert P. Gagnon écrivait dans : « Le droit du travail du Québec, 5e éd., Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003, Cowansville (QC) :

c)      La subordination

90 - Facteur distinctif - L'élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille. C'est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d'autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d'une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d'entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C.c.Q. Ainsi, alors que l'entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l'article 2099 C.c.Q., « le libre choix des moyens d'exécution du contrat » et qu'il n'existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution » , il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l'employeur et dans le cadre établi par ce dernier.

[...]

92 - Notion - Historiquement, le droit civil a d'abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d'application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l'exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l'employeur sur l'exécution du travail de l'employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s'est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l'employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l'exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu'on reconnaîtra alors comme l'employeur, de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise.

[21]Il faut préciser que ce qui caractérise le contrat de travail, ce n'est pas le fait que la direction ou le contrôle a été exercé effectivement par l'employeur, mais le fait qu'il avait le pouvoir de l'exercer. C'est ce que la Cour d'appel fédérale a statué dans Gallant c. M.R.N., [1986] A.C.F. no 330.

[22]     Il incombe à cette Cour, qui est chargée de déterminer le type de contrat au Québec auquel sont liées les parties, de considérer et de suivre l'approche préconisée par le juge Archambault de cette Cour, dans la publication précitée, et dont il a repris le thème dans l'arrêt Vaillancourt c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2004] A.C.I. no 685 où il écrivait ce qui suit :

[15]       À mon avis, les règles régissant le contrat de travail en droit québécois ne sont pas identiques à celles de la common law et, par conséquent, il n'est pas approprié d'appliquer des décisions de common law comme les arrêts Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, 2001 CSC 59 [Pour un exposé approfondi des motifs justifiant cette conclusion, voir l'article sur Wiebe Door, précité]. Au Québec, un tribunal n'a pas d'autre choix que de conclure à l'existence ou à l'absence du lien de subordination pour décider si un contrat constitue un contrat de travail ou un contrat de service.

[16]       L'approche qu'il faut suivre est celle adoptée notamment par le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale [Voir également Sauvé c. Canada, [1995] A.C.F. no 1378 (Q.L.), Lagacé c. Canada, [1994] A.C.F. no 885 (Q.L.) (C.A.F.), confirmant une décision de la Cour canadienne de l'impôt, [1991] T.C.J. No. 945 (Q.L.) et Charbonneau c. Canada, [1996] A.C.F. no 1337 (Q.L.). Il faut toutefois mentionner que la Cour d'appel fédérale dans D & J Driveway et Charbonneau n'a pas écarté explicitement l'application de Wiebe Door], qui, dans l'affaire D & J Driveway Inc. c. Canada, (2003), 322 N.R. 381, 2003 CAF 453, a conclu à l'absence d'un contrat de travail en se fondant sur les dispositions du Code civil et, en particulier, en constatant l'absence d'un lien de subordination, lien qui constitue « la caractéristique essentielle du contrat de travail » [Par. 16 de la décision].

[23]     En l'espèce, existerait-il un lien de subordination entre les travailleurs et l'appelante nous permettant de conclure à la présence d'un contrat de travail? Dans l'exercice du mandat qui consiste à déterminer la présence ou l'absence d'un lien de subordination, plusieurs indices peuvent être pris en considération. La jurisprudence en a développé une série qui seront utiles dans cet exercice, dont les suivants :

          1)        la présence obligatoire à un lieu de travail;

          2)        le respect de l'horaire de travail;

          3)        le contrôle des absences du salarié pour des vacances;

          4)        la remise de rapports d'activité;

          5)        le contrôle de la quantité et de la qualité du travail;

          6)        l'imposition des moyens d'exécution du travail;

          7)        le pouvoir de sanction sur les performances de l'employé;

          8)        les retenues à la source;

          9)        les avantages sociaux;

          10)      le statut du salarié dans ses déclarations de revenus;

          11)      l'exclusivité des services pour l'employeur.

[24]     Une mise en garde s'impose, toutefois, puisque ce n'est pas parce que quelques indices appuient la conclusion qu'il existe un lien de subordination qu'il faut abandonner l'analyse. L'exercice consiste, selon la distinction établie dans le Code civil du Québec, à déterminer la relation globale des parties. Il s'agit donc d'établir dans quelle proportion les indices pouvant mener à la conclusion qu'il existe un lien de subordination sont prédominants par rapport aux autres.

[25]     Au terme de son analyse, le Ministre s'appuie surtout sur la théorie des « deux chapeaux » pour conclure que les travailleurs, en qualité d'actionnaires de l'appelante, ont le pouvoir de contrôle sur eux, au sens de la portée du jugement de la Cour d'appel fédérale dans Gallant, précité.

[26]     Le juge Tardif de cette Cour, dans l'arrêt Roxboro Excavation Inc. v. Canada (M.N.R.), [1999] A.C.I. no 32, dans des circonstances semblables à celles en l'espèce, a conclu que les travailleurs étaient assujettis à un lien de subordination par rapport à l'appelante. Je reproduis, ci-dessous, quelques paragraphes pertinents de ce jugement :

[27] La preuve a démontré que chacun des intervenants Théorêt disposait d'autorité et d'autonomie, ayant même carte blanche pour l'exécution du travail dont il avait la responsabilité. La preuve a aussi établi que les décisions se prenaient de façon informelle, dans la collégialité et le consensus.

[28] Y avait-il un lien de subordination entre les intervenants et la compagnie dans et pour l'exercice du travail qu'ils accomplissaient à l'intérieur de leur mission respective? Je crois que la compagnie, qui chapeautait le travail exécuté par les frères Théorêt, avait pleinement le droit et le pouvoir d'intervention. Le fait que la compagnie n'ait pas exercé ce pouvoir de contrôle et le fait que ceux qui exécutaient et réalisaient le travail ne se croient pas assujettis à un tel pouvoir de contrôle et ne se sentent pas subordonnés dans et lors de l'exécution de leur travail n'ont pas pour effet de faire disparaître, réduire ou limiter le pouvoir d'intervention.

[29] Certes certains faits, peu explicites, tel le retard au niveau des salaires pour les deux jeunes frères Théorêt, militent pour l'existence d'un traitement particulier dû à la réalité familiale. Je ne crois cependant pas que cela soit suffisant pour disqualifier les personnes concernées. Il s'agissait là d'une collaboration généreuse commandée par l'intérêt de leur qualité d'actionnaires.

[30] Je ne crois pas qu'il soit objectivement raisonnable d'exiger une rupture totale et absolue entre les responsabilités découlant du statut d'actionnaires et celles découlant du statut de travailleurs. Le cumul des deux chapeaux crée normalement, ce qui est tout à fait légitime, une plus grande tolérance, flexibilité dans les rapports découlant des deux fonctions. L'amalgamation des deux tâches génère cependant des effets qui sont souvent contraires aux exigences d'un véritable contrat de louage de services.

[31] En l'espèce, le fait que l'autorité ne semblait pas opposable aux frères Théorêt et le fait que les décisions ayant trait à la compagnie étaient prises dans le consensualisme et la collégialité n'enlevaient pas pour autant à la compagnie son autorité sur le travail exécuté par les intervenants. La preuve n'a pas démontré que la compagnie avait renoncé à son pouvoir d'intervention ou que ce droit avait été soit réduit, soit limité ou même annulé.

[27]Il faut rappeler que cette décision, portée en appel, a été confirmée par la Cour d'appel fédérale [2000] A.C.F. no 799.

[28]Cette Cour est liée par l'arrêt Roxboro, précité, et bien d'autres, dont l'énumération n'est pas nécessaire, ce qui m'amène à conclure qu'en l'espèce les indices qu'ont démontré la preuve, ont établi le lien de subordination, la composante nécessaire à tout contrat de travail.

[29]Ayant conclu que les travailleurs et l'appelante étaient liés par un contrat de travail, il reste à déterminer si leur emploi est exclu en vertu du paragraphe 5(2) de la Loi, en raison du fait qu'ils sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, de la façon décrite au paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel.

[30]Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur ce sujet :

5.(2) N'est pas un emploi assurable :

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

5.(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[31]À l'audition, l'appelante a soutenu que même si un véritable contrat de louage de services ou contrat de travail, existait entre les travailleurs et l'appelante, un contrat de travail semblable à celui de Faygie Dubrovsky, Darren Dubrovsky et Gary Dubrovsky n'aurait pas été conclu entre elle et les travailleurs si ces derniers n'avaient pas été liés à l'appelante par un lien de dépendance.

[32]L'appelante a produit une preuve dont plusieurs éléments militent en sa faveur. Certains de ceux-ci ont été ignorés par le Ministre, plusieurs n'ont pas reçu du Ministre l'importance qui leur était attribuable.

[33]Voici une liste, qualifiée par l'appelante de « non-exhaustive » et produite par celle-ci à l'audition :

1.Les trois travailleurs ont déterminé eux-mêmes leurs salaires;

2.Le salaire des trois travailleurs n'est pas relié au travail accompli pour le compte de l'appelante;

3.Le salaire des trois travailleurs est resté le même depuis le début des activités de l'appelante en 1999 alors que tous les employés ont eu droit à des augmentations de salaire périodiques;

4.Les trois travailleurs peuvent toutefois modifier leurs salaires s'ils les désirent et ce, sur la base de leurs besoins financiers personnels ou de toute autre raison qu'ils jugent appropriée;

5.Tous les employés de l'appelante ont eu droit à des bonis durant la période en litige alors que les trois travailleurs ne se sont toutefois pas accordés de bonis à eux-mêmes;

6.Le salaire reçu par les trois travailleurs durant la période en litige était inférieur à ce qu'il aurait reçu pour un travail semblable ailleurs dans leur industrie;

7.Le salaire reçu par les trois travailleurs durant la période en litige était inférieur à ce qu'il aurait dû offrir à une personne non liée à l'appelante pour occuper l'une ou l'autre de leurs trois descriptions de tâches;

8.Les trois travailleurs déterminent eux-mêmes leurs heures de travail et n'ont aucun horaire de travail à respecter contrairement aux autres travailleurs de l'appelante;

9.Les trois travailleurs déterminent eux-mêmes leurs descriptions de tâches et peuvent en déléguer certaines portions lorsqu'ils le jugent approprié contrairement aux autres travailleurs de l'appelante;

10. Les trois travailleurs ne sont aucunement supervisés par qui que ce soit dans l'exercice de leurs fonctions contrairement aux autres travailleurs de l'appelante;

11. Les heures de travail des trois travailleurs ne sont ni contrôlées ni comptabilisées contrairement aux autres travailleurs de l'appelante;

12. Les trois travailleurs n'ont pas de rapport à remettre à qui que ce soit au sein de l'appelante et sont autonomes dans l'exercice de leurs fonctions;

13. Les trois travailleurs peuvent faire varier leurs heures de travail à volonté et s'absenter du travail pour des raisons personnelles en tout temps et ce, indépendamment des besoins de l'appelante puisqu'il leur est alors possible de confier la bonne marche de l'entreprise au personnel en place;

14. Les trois travailleurs reçoivent leur plein salaire en cas d'absence, prolongée ou non, pour cause de maladie et ce, contrairement aux autres travailleurs de l'appelante;

15. Les trois travailleurs déterminent eux-mêmes la fréquence et la durée de leurs vacances contrairement aux autres travailleurs de l'appelante;

16. Lorsque l'entreprise est fermée à l'été (deux semaines) ou dans le temps des Fêtes (deux semaines), il est arrivé, durant la période en litige, que Darren, Gary ou Faygie Dubrovsky décident tout de même de travailler et ce, sans toucher aucune rémunération supplémentaire;

17. Messieurs Darren et Gary Dubrovsky ont tous deux consenti des prêts à l'appelante ce à quoi une personne non liée à l'appelante n'aurait vraisemblablement pas consenti;

18. Messieurs Darren et Gary Dubrovsky ont personnellement garanti la marge de crédit de l'appelante, ce à quoi une personne non liée à l'appelante n'aurait vraisemblablement pas consenti;

19. Messieurs Darren et Gary Dubrovsky peuvent travailler parfois jusqu'à 6 ou 7 jours par semaine alors qu'ils peuvent également travailler de 0 à 15 heures par semaine, le tout étant laissé à leur entière discrétion personnelle;

20. Messieurs Darren et Gary Dubrovsky se sont absentés du travail à plusieurs occasions, pour des périodes allant de un à plusieurs jours, durant la période en litige afin de pratiquer un hobby ou de vaquer à des occupations familiales; privilège qui ne serait assurément pas accordé à une personne non liée à l'entreprise;

21. Messieurs Darren et Gary Dubrovsky peuvent soumettre à l'appelante un compte de dépenses dont les modalités sont laissées entièrement à sa discrétion, ce qui ne serait sûrement pas possible pour un(e) employé(e) sans lien de dépendance avec le payeur;

22. Durant la période en litige, Madame Faygie Dubrovsky pouvait décider d'effectuer son travail à partir de sa résidence lorsqu'elle le désirait tout comme elle pouvait décider de travailler 3, 4 ou 5 jours par semaine;

23. En tant que contrôleure et directrice du personnel, Mme Faygie Dubrovsky aurait pu obtenir le double de son salaire dans une entreprise comparable et a d'ailleurs refusé une telle offre d'emploi faite par le comptable externe de l'appelante;

24. Aucune personne non liée à l'entreprise n'aurait eu ou n'aurait les mêmes responsabilités et la même liberté d'action que les trois travailleurs visés.

[34]Devant l'exercice qui la préoccupe, cette Cour est guidée dans sa tâche par la consigne énoncée par le juge Marceau, de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 où il se prononçait comme suit :

            La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[35]La règle prescrite par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Légaré, précité, et l'examen des faits, en l'espèce, m'amène à conclure que les faits supposés ou retenus par le Ministre n'ont pas été appréciés correctement, compte tenu du contexte où ils sont survenus, et la conclusion dont le Ministre était « convaincu » ne paraît plus raisonnable.

[36]Cette Cour doit donc conclure que l'appelante et les travailleurs n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable entre eux s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[37 En conséquence, l'appel est accueilli, et la décision rendue par le Ministre est annulée.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 4e jour d'octobre 2005.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI628

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2005-580(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               3588718 Canada Inc. et M.R.N. et Darren Dubrovsky, Gary Dubrovsky et Faygie Dubrovsky

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 29 juin 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable S.J. Savoie, Juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :                    le 4 octobre 2005

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelante :

Alain Savoie

Avocate de l'intimé :

Me Susan Shaughnessy

Représentant des intervenants :

Alain Savoie

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelante :

                   Nom :                             

                   Étude :                            

       Pour l'intimé :                              John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

       Pour les intervenants :                  

                   Nom :                             

                   Étude :                            

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