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Dossier : 2000-317(IT)G

ENTRE :

CHAWKI CORTBAOUI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appels entendus les 12, 13 et 14 mai 2003 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Mario Proulx

Avocats de l'intimée :

Me Nathalie Lessard

Me Simon Nicolas Crépin

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JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1989 à 1995 sont rejetés, avec frais, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de septembre 2003.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


Référence : 2003CCI612

Date : 20030904

Dossier : 2000-317(IT)G

ENTRE :

CHAWKI CORTBAOUI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Il s'agit d'appels pour les années d'imposition 1989 à 1995.

[2]      Les questions en litige sont de savoir si des dons de bienfaisance faits à l'Ordre Antonien Libanais des Maronites, ou « OALM » , étaient au montant mentionné dans les reçus, si le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) était autorisé à établir de nouvelles cotisations après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour chacune des années 1989 à 1993 et si le Ministre a eu raison d'imposer des pénalités pour les années d'imposition en litige en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3]      Les faits sur lesquels le Ministre s'est fondé pour établir ses nouvelles cotisations sont décrits au paragraphe 8 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) comme suit :

a)          en produisant ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995, l'appelant a réclamé un crédit pour don de bienfaisance en rapport avec des montants de 13 500 $, 12 000 $, 12 100 $, 13 000 $, 13 000 $, 13 000 $ et 13 000 $ dont il prétend avoir fait don à l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours des années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 respectivement;

b)          l'appelant n'a pas fait de don, de quelque façon que ce soit, de ces sommes de 13 500 $, 12 000 $, 12 100 $, 13 000 $, 13 000 $, 13 000 $ et 13 000 $ en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours des années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995;

c)          l'appelant n'a pas présenté au ministre des reçus valides contenant les renseignements prescrits à l'égard des prétendus dons de 13 500 $, 12 000 $, 12 100 $, 13 000 $, 13 000 $, 13 000 $ et 13 000 $ qu'il prétend avoir effectués en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites, puisque les montants de dons qui y apparaissent sont faux;

d)          l'appelant n'a pas effectué les dons pour lesquels il réclame des crédits dans ses déclarations de revenus et a plutôt participé dans le stratagème suivant :

i)           dans certains cas, l'Ordre Antonien libanais des Maronites établissait un reçu à un contribuable indiquant un don en argent d'un montant égal à la somme que ce contribuable lui payait par chèque, tout en retournant, en espèces, à ce même contribuable une somme d'argent équivalente ou presque;

ii)          dans d'autres cas, l'Ordre Antonien libanais des Maronites établissait un reçu à un contribuable indiquant un don en argent d'un certain montant alors que ce contribuable n'avait versé aucune somme ou avait versé en espèces une somme minime par rapport au montant indiqué sur le reçu;

e)          l'Ordre Antonien libanais des Maronites et ses dirigeants ont enregistré un plaidoyer de culpabilité à l'égard d'accusations portées contre eux en vertu de l'article 239 de la Loi, relativement à ce stratagème;

f)           en produisant ses déclarations de revenus et en fournissant des renseignements sous le régime de la Loi pour les années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992 et 1993, relativement à des crédits réclamés par lui au titre de dons de bienfaisance en rapport avec les montants de 13 500 $, 12 000 $, 12 100 $, 13 000 $ et 13 000 $, l'appelant a fait une présentation erronée des faits par omission volontaire;

Pénalités

g)          c'est sciemment, ou du mois dans des circonstances équivalant à faute lourde, que l'appelant a fait un faux énoncé ou une omission en réclamant des crédits au titre de dons de bienfaisance en rapport avec les sommes de 13 500 $, 12 000 $, 12 100 $, 13 000 $, 13 000 $, 13 000 $ et 13 000 $ respectivement pour les années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995, alors qu'il n'avait fait aucun don;

h)          l'appelant ayant fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans les déclarations de revenus produites pour les années d'imposition en litige, ou ayant participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, il résulte que l'impôt que l'appelant aurait été tenu de payer, d'après les renseignements fournis dans les déclarations de revenus déposées pour ces années-là, était inférieur au montant d'impôt effectivement payable pour ces années-là de 3 458,48 $ pour 1989, de 3 183,71 $ pour 1990, de 3 272,50 $ pour 1991, de 3 505,68 $ pour 1992, de 3 452,69 pour 1993, de 3 449,59 $ pour 1994 et de 3 427,60 $ pour 1995.

[4]      Dans son avis d'appel, l'appelant mentionne ce qui suit :

...

4.          L'Appelant a contribué de bonne foi à un organisme portant nom l'Ordre Antonien Libanais des Maronites, l'Appelant étant libanais d'origine et catholique pratiquant désirant ardemment venir en aide à ses compatriotes habitant toujours le Liban et étant soumis à la guerre, dans leur pays;

5.          Toutes les sommes d'argent pour lesquelles l'Appelant a réclamé crédit pour dons de bienfaisance ont bien été versées par l'Appelant à l'Ordre Antonien Libanais des Maronites, en toute libéralité, et aucune somme ne lui fut retournée, par la suite, à quelque moment que ce soit et sous quelque forme que ce soit par l'Ordre Antonien Libanais des Maronites à l'Appelant;

6.          S'il a pu survenir que l'Ordre Antonien Libanais des Maronites a pu prendre certains arrangements ayant favorisé des contribuables, lui ayant versé des dons en argent, arrangements par lesquels ces contribuables recevaient plus que les crédits correspondant à leurs dons, ce n'est aucunement le cas de l'Appelant;

7.          L'Intimé ne peut généraliser à l'égard de tous les donateurs de fonds à l'Ordre Antonien Libanais des Maronites, les arrangements particuliers que cet organisme a pu prendre à l'égard de certains, tel qu'il tente de le faire pour le cas de l'Appelant;

8.          D'ailleurs, l'Intimé refuse même de constater les preuves justificatives de paiements effectués par l'Appelant, alors qu'il n'a aucune preuve, de quelque nature que ce soit, que l'Appelant aurait bénéficié d'avantages autres que les reçus correspondant aux dons effectués;

9.          Rien dans la conduite de l'Appelant ne permet à l'Intimé d'alléguer que l'Appelant a fait « une présentation erronée des faits dans sa déclaration de revenus » ou un « faux énoncé sciemment » ;

...

[5]      Monsieur Jean-Claude Phisel, comptable agréé, a été le premier témoin de la partie appelante. Il a relaté que l'appelant a été son client de 1979 jusqu'à son départ pour le Liban en 1996. Il faisait ses déclarations d'impôt. Après 1996, il a eu affaire avec l'appelant relativement à la vente de sa maison en 1998 et pour procéder aux avis d'opposition dans les appels en cause.

[6]      Le témoin a expliqué qu'il ne connaît l'OALM que par les reçus de charité qui étaient joints à la déclaration de l'appelant. Il relate que durant l'année 1996, il y a eu des articles dans les journaux concernant certaines choses au sujet de l'OALM. Il a téléphoné à l'appelant pour lui faire part de ces problèmes et l'appelant lui aurait répondu : « Je n'ai rien à faire là-dedans. »

[7]      Il s'était souvenu des dons faits par l'appelant car ces dons faits à l'OALM frappaient l'esprit par la magnitude des dons. Il n'a pas eu d'autres clients qui ont fait des dons à l'OALM.

[8]      Le 28 janvier 1997, l'appelant a reçu une lettre de Revenu Canada lui indiquant que la totalité des dons serait refusée et qu'une pénalité serait imposée. Cette lettre remise au comptable a été déposée comme pièce A-23.

[9]      En contre-interrogatoire, le comptable indique que l'appelant a commencé à faire des dons à partir de l'année 1984. En réinterrogatoire, il indique que le revenu provenant de l'exercice de la médecine de l'appelant était de l'ordre de 150 000 $ à 200 000 $.

[10]     L'appelant a témoigné. Il est libanais et canadien. Il est né au Liban. Il est arrivé au Canada en 1970 où il a complété ses études de médecine. Il est médecin orthopédiste depuis 1975. En 1979, il a commencé à exercer à la Cité de la santé située à Laval, dans une clinique, le Centre d'orthopédie de Laval.

[11]     L'appelant a dit qu'il est de religion chrétienne maronite et qu'il fréquentait, dans les années en litige, l'église et le monastère des Maronites, situés rue Ducharme à Outremont.

[12]     L'appelant a expliqué que les Maronites sont la communauté chrétienne la plus importante du Liban. L'OALM aidait les Libanais en guerre civile dans leur pays.

[13]     Il affirme qu'il a entendu parler de la possibilité de faire des donations à l'OALM lors d'une réunion au sous-sol de l'église, où après la messe, les fidèles descendaient souvent pour discuter de la guerre et échanger des nouvelles du pays.

[14]     L'appelant avait de la famille restée au Liban qu'il aidait. Au sujet des dons à l'OALM, il a consulté son comptable pour savoir quelles étaient les limites fiscales. Il aurait pu donner encore plus. Il se sentait une obligation morale d'aider.

[15]     Il produit les pièces A-1 à A-22. Les pièces A-18 à A-22 sont les déclarations de revenu pour les années 1984 à 1988. En 1984, les dons de charité sont au montant de 6 205 $ dont 6 000 $ a été donné à l'OALM. En 1985, le montant des donations est de 9 100 $, dont 9 000 $ à l'OALM. Le revenu total est de 158 700 $. En 1986, le montant des donations est de 9 000 $ en totalité pour l'OALM. En 1987, le montant des donations est de 12 000 $ en totalité pour l'OALM. Le revenu total est de 172 162 $. En 1988, le montant total des donations est de 14 105 $ dont 14 000 $ à l'OALM. Le revenu total est de 195 290 $.

[16]     L'appelant a ainsi décrit son mode de donation: le dimanche, au sous-sol de l'église, il donnait son chèque au père Sleiman, ce jusqu'en 1989, ensuite ce fut le père Kamar qui fut éventuellement remplacé par le père Hage. Dans les semaines qui suivaient, le père lui donnait un reçu le dimanche au sous-sol.

[17]     Après 1995, il n'a pas fait d'autres dons à l'OALM. Il était rendu au Liban où il pratique l'orthopédie. Là-bas, au Liban, il a donné de son temps plutôt que de donner de l'argent, et cela dure jusqu'à maintenant. Il a produit comme pièce A-24 une lettre en date du 5 mai 2003. Cette lettre provient de l'Association des Jeunes de Kfar Selwan, direction du Dispensaire de bienfaisance. Cette lettre mentionne que l'appelant, originaire de cette localité, a assuré, sans arrêt depuis 1996, des consultations médicales hebdomadaires tous les jeudis au dispensaire de l'association à titre bénévole, tout en prenant à sa charge les frais de tous les médicaments dispensés. Il s'agit d'un document récent, une lettre écrite en arabe dont la traduction a été apparemment entérinée par le gouvernement libanais et par l'ambassade du Canada au Liban.

[18]     L'intimée a contesté la production de ce document parce qu'il ne faisait pas partie de la liste des documents et parce que la personne signataire n'était pas là pour être interrogée. J'en ai permis la production sous réserve. Comme ce document n'aura pas d'influence déterminante dans mon analyse de la preuve, je juge non nécessaire de trancher son admissibilité. L'appelant a tout de même expliqué en ce qui concerne le paiement des remèdes, que l'état libanais en payait une partie et que c'était la partie du patient que lui payait, ce qui selon son témoignage n'était pas très élevé. Il contribuait tout de même son temps, ce qui est bien valable.

[19]     L'appelant relate que lorsqu'il a reçu le projet de cotisation et par la suite la cotisation, il s'y est opposé. Mais il n'a posé aucune question à l'Ordre. Il trouvait que ça ne le concernait pas. Récemment, à un dîner de l'Ambassade du Canada au Liban, il a rencontré le père Sleiman. Il s'est informé de ce qui s'était passé. Le père lui a dit que l'Ordre avait décidé de passer ces malheureux événements sous silence dans le but de ne pas prolonger le scandale. Ici, après son interrogatoire préalable, il en a parlé avec le Dr F. B., un ami. Ce dernier lui a dit de ne pas s'en faire que seuls les gros donateurs avaient été poursuivis.

Le contre-interrogatoire

[20]     Un de ses collègues de travail à la clinique privée d'orthopédie était le Dr R. R. C'était également un orthopédiste. Il a pratiqué avec le Dr R. R. jusqu'en 1990, année où ce dernier a quitté la clinique.

[21]     Dans une réponse à un engagement lors de l'interrogatoire préalable, il avait écrit que les premières années où il avait commencé à faire des dons étaient les années 1987 et 1988, alors qu'il s'agit de l'année 1984. Il mentionne qu'il ne s'en souvenait pas.

[22]     De 1975 à 1983, il n'a pas fait de donations importantes pour soutenir la communauté au Liban. Il envoyait de l'argent à sa famille quand certains membres étaient dans le besoin, environ 3 000 $ à 4 000 $ par année. Quand il a commencé à faire des dons à l'OALM, il n'a pas cessé de donner à sa famille.

[23]     Il affirme qu'il n'a pas invité d'autres personnes à faire des dons, comme le Dr R. R. ou le docteur F. B. qui était et est son ami. L'appelant affirme ne pas savoir ce que faisait le Dr R. R. ni le Dr F. B. en ce qui concerne les donations à l'OALM. Il est possible que le Dr R. R. ait fait des donations mais il ne sait pas à quel moment ni à quel montant. Il affirme que personne ne lui a jamais mentionné la possibilité d'obtenir des reçus pour des montants plus élevés que les dons réellement faits. Il a affirmé qu'il n'avait mentionné à personne, sauf peut-être à sa femme et à son comptable, qu'il avait fait des dons à l'OALM.

[24]     Il affirme que les dates sur les chèques sont celles quand les chèques ont été faits.

Témoignages des témoins de l'intimée

[25]     Monsieur Gaétan Ouellette a témoigné pour la partie intimée. Il est retraité depuis juillet 2002. Il a travaillé de 1969 à 2002 aux enquêtes spéciales. Il a été l'enquêteur en charge du stratagème de l'OALM, mais il n'est pas responsable de chacun des dossiers des donateurs.

[26]     L'enquête a commencé par la dénonciation de madame I. M. qui était l'épouse d'un administrateur, monsieur S. B.La dénonciation était à l'effet que l'OALM faisait la vente de reçus de charité. Il y a eu une rencontre en mars 1994, où étaient présents monsieur Ouellette, madame Colette Langelier, vérificatrice et monsieur Gualimi, le comptable de madame M.

[27]     Madame Langelier a vérifié les registres de l'OALM. Elle a, par la suite, envoyé le dossier aux enquêtes spéciales à l'automne 1995.

[28]     Le 8 novembre 1995, il y a eu un mandat de perquisition exercé à l'encontre de l'OALM.

[29]     Monsieur Ouellet a produit comme pièce I-2 un cahier de 15 onglets intitulé « Documents d'enquête » . Il attire l'attention de la Cour plus particulièrement sur les documents se trouvant aux onglets 3 et 15. À l'onglet 3, se trouve la transcription d'un document informatique ayant pour titre « Biblio-Reç » . Le support informatique a été trouvé dans les bureaux de l'OALM.

[30]     Il s'agit d'un document de neuf pages sous forme de tableau. Il est indiqué à la tête des différentes colonnes : No, prénom, nom, téléphone, montant, à payer, payé, rest à p., Nôtre, via. L'enquêteur interprète le « No » comme étant le numéro du reçu, « montant » comme étant celui du reçu, « à payer » comme étant le montant qui est retourné au donateur et « Nôtre » comme étant le montant véritablement donné. Ainsi pour le reçu portant le numéro 32, j'omettrai le nom et le numéro de téléphone, le montant est de 4 000 $, le montant « à payer » est de 3 200 $ et le montant « Nôtre » est de 800 $.

[31]     Selon monsieur Ouellet, l'enquête a révélé que la façon de procéder était d'émettre des reçus à 100 p. 100 à l'encontre d'un paiement de 20 p. 100 en espèces liquides ou en chèque. Une autre façon courante de procéder pour les donateurs était d'émettre un chèque au montant total mais avec remise de 80 p. 100 en espèces liquides.

[32]     Aux onglets 4 et 5 de la pièce I-2, se trouvent les photocopies de chèques trouvés sur place qui confirment cette interprétation du document Biblio-Reç.

[33]     À l'onglet 15 de la pièce I-2, se trouve un autre document informatique intitulé « Biblio-Avant-moi » , qui a été trouvé chez monsieur Ralph Nahas, comptable de l'OALM. Sur ce dernier document on voit le nom des donateurs, leur numéro de téléphone et le montant de la donation mais rien d'autre. Cependant, on y voit les noms de plusieurs personnes qui ont plaidé coupable ainsi que quelques noms des personnes qui ont fait des aveux. L'appelant se retrouve sur cette liste. Le numéro du reçu est 2864, le montant est 7 000 $.

[34]     Monsieur Ouellet relate que des plaintes au criminel ont été déposées à l'égard d'environ 18 donateurs dont les montants de donations étaient au total de 100 000 $ et plus, sur la période de 1989 à 1995. Les procès-verbaux de plaidoyers de culpabilité se trouvent à l'onglet 2 de la pièce I-2. Les aveux recueillis et les aveux reçus se trouvent aux onglets 10 et 11 de la pièce I-2.

[35]     Environ 1 200 contribuables ayant fait des dons à l'OALM ont été cotisés à nouveau (pièce I-15). Il y a eu de nombreux règlements entre Revenu Canada et les donateurs. Le nombre des appels à cette Cour est d'environ 95.

[36]     Monsieur B.H. qui a signé l'aveu que l'on trouve à la page 4 de l'onglet 11 de la pièce I-2 est venu témoigner. Il a confirmé ce qu'il avait mentionné dans son aveu, qui se lit comme suit :

Objet : déclaration de revenus pour l'année 1993

À qui de droit :

Je déclare que j'ai effectué pour l'année 1993 un don réel à un prêtre de l'Ordre Antonien Libanais des Maronites d'une valeur 240 $. Cependant j'ai eu un reçu d'une valeur de 1 200 $.

Je souhaite que vous pourriez me créditer le don réel (240 $) et je serai reconnaissant de votre compréhension.

Je vous prie d'agréer mes salutations distinguées.

...

[37]     La pièce I-8 est le reçu au montant de 1 200 $ obtenu par monsieur H.

[38]     Monsieur J-Y C., est venu témoigner. Il a confirmé le stratagème. Son nom paraissait au document Biblio-Reç, onglet 3 de la pièce I-2, ainsi que celui de son épouse. La pièce I-9 est le reçu obtenu par monsieur C.

[39]     Dans les aveux paraissant à l'onglet 11 de la pièce I-2, la lettre de monsieur J. G. décrit ainsi le stratagème :

Monsieur,

Suite à la conversation téléphonique que nous avons eue ce matin, je vous décris les faits comme les choses se sont passées en 1989.

En 1989, M. S. B. m'a sollicité à plusieurs reprises pour que je fasse un don à l'ordre des Maronites. J'étais très sceptique.

M. B. m'a montré un papier indiquant qu'il s'agissait d'un organisme de charité reconnu par le gouvernement fédéral et qu'il n'y avait aucun danger.

M. B. m'a convaincu en me disant que cet argent servirait à aider à la reconstruction du Liban qui était en guerre.

Je lui ai demandé si plusieurs personnes contribuaient à cet organisme de charité.

Il m'a répondu qu'il y avait beaucoup de professionnels, dont des avocats, des notaires, des médecins, etc.

Pour me convaincre, il m'a dit également que plusieurs médecins de l'hôpital Hôtel-Dieu contribuaient, dont le Dr F. B., du service de chirurgie cardiaque.

J'ai dit à M. B. que je n'avais pas d'argent car j'étais serré dans mon budget.

M. B. m'a dit d'emprunter de l'argent et que, avec le retour d'impôt, je pourrais tout rembourser et qu'il me resterait de l'argent. Ainsi, à titre d'exemple, il m'a dit que si je lui donnais 1 000 $, il me reviendrait 750 $ en argent, plus mon retour d'impôt; ainsi, cela ne me coûterait pas un sou.

Là, j'ai cédé et j'ai fait ce qu'il m'a dit pour les années 1989, 1990, 1991.

...

[40]     Madame Colette Langelier a également témoigné. Elle a déposé un document de travail exécuté au moment de la vérification qui montre les importants retraits d'argent faits lors de chaque dépôt bancaire fait par l'Ordre au cours des années sous vérification (pièce I-11).

[41]     La pièce I-11 montre qu'en 1989, les dépôts ont totalisé 845 154,23 $ et les retraits 680 369 $. En 1990, les dépôts sont au montant de 1 111 507,99 $ et les retraits 883 350 $. En 1991, dépôts : 1 337 769,96 $ et retraits : 1 152 740,89 $. En 1992, dépôts : 1 293 502,63 $ et retraits : 1 090 528 $. En 1993, dépôts : 1 169 108,60 $ et retraits : 857 340,50 $. En 1994, dépôts : 1 068 966,01 $ et retraits : 695 250 $.

[42]     Ce qui est advenu de ces retraits d'argent n'a pas pu être retracé dans aucun des registres mis à la disposition de la vérificatrice. Ni elle ni monsieur Ouellet l'enquêteur, n'ont pu mettre la main sur le registre qui était tenu à l'égard de ces retraits extrêmement importants. Il n'y avait pas de traces des liquidités.

[43]     Elle se réfère à la pièce I-10 qui contient les déclarations de renseignements des organismes de charité enregistrés et déclaration publique de renseignements de l'OALM pour les années 1984 à 1994. Ces déclarations incluent la liste totale des donateurs ainsi que les montants des donations. En 1984, (onglet 1 de la pièce I-10), il y a 64 donateurs qui ont donné pour un montant total de 131 660 $. Le 28 décembre 1984, le Dr. F. B. donne 7 500 $, le Dr R. R. et l'appelant donnent 6 000 $ chacun. Les numéros des reçus sont respectivement 002, 005 et 006. En 1985 (onglet 2 de la pièce I-10), le 30 décembre 1985, le Dr F. B., donne un montant de 17 500 $, le Dr R. R. et l'appelant donnent 9 000 $ chacun. Les numéros de reçus sont respectivement 229, 230 et 231.

[44]     En 1986, (onglet 3 de la pièce I-10), le 31 décembre 1986, le Dr R. R. et l'appelant donnent 9 000 $ chacun. Les numéros de reçu sont 224 et 225. En 1987, le 20 juillet 1987, le Dr R. R. et l'appelant donnent chacun 12 000 $. Les numéros de reçu sont 359 et 360 (onglet 4 de la pièce I-10). En 1988, le 31 décembre, l'appelant donne 14 000 $ et le Dr. R. R. donne 12 000 $. Les numéros de reçus sont 687 et 688 (onglet 5, pièce I-10).

[45]     En 1989, le Dr R. R. donne 6 000 $ en date du 9 mai 1989 et en date du 6 juin 1989, l'appelant donne un montant identique. Les numéros de reçus sont 746 et 749. Le 29 décembre 1989, le Dr R. R. et l'appelant donnent chacun 6 000 $. Les numéros de reçus sont 1006 et 1007. Le 26 octobre 1989, le Dr R. R. et l'appelant donnent 1 500 $. Les numéros de reçus sont 1074 et 1075 (onglet 6 de la pièce I-10).

[46]     Madame Langelier a revu les jours de calendrier pour vérifier si l'explication de l'appelant sur le mode de faire ses donations pouvait être exact. Or en ce qui concerne sept chèques, il n'y a pas eu de dimanche entre la date du chèque et l'endossement du chèque. Le chèque du lundi 5 juin 1989, (pièce A-4), est déposé le mardi 6 juin 1989. La pièce A-6, un chèque du lundi 16 juillet 1990, est déposé le lendemain, un mardi; pièce A-7, même chose, un chèque du lundi déposé un mardi; pièce A-8, le 11 juillet, un chèque du jeudi, qui est encaissé le jour même; pièce A-10, un chèque du jeudi qui est déposé le lendemain et même chose pour les pièces A-11 et A-12, des chèques qui ont été faits le mercredi et qui ont été encaissés avant le dimanche suivant.

Conclusion

[47]     La preuve a clairement révélé l'existence d'un stratagème par lequel l'OALM émettait des reçus de charité pour une valeur très supérieure au montant effectivement donné.

[48]     L'appelant a-t-il été une exception au stratagème? C'est ce qu'il a affirmé. La preuve qu'il a présentée est le témoignage de son comptable, son propre témoignage ainsi que les photocopies des chèques faits au plein montant des reçus de charité émis.

[49]     Le comptable de l'appelant ne pouvait affirmer le caractère véritable des dons. Tout ce dont il a pu témoigner c'est qu'il a songé à aviser son client lorsque l'évasion fiscale a été mentionnée dans les journaux.

[50]     Ainsi que l'a fait valoir l'avocate de l'intimée, la réaction de l'appelant au téléphone de son comptable paraît révélatrice. Tout ce qu'il aurait trouvé à dire c'est que ça ne le concernait pas car il avait de bons reçus alors qu'il avait donné en tout près de 140 000 $ à cet organisme de charité.

[51]     En ce qui concerne le témoignage même de l'appelant, malheureusement, il n'est pas crédible. La description qu'il a faite du moment où il a été mis au courant des possibilités de faire des dons à l'OALM ainsi que son mode de donation ne correspondent pas à ce qui s'est réellement passé.

[52]     Il ne s'agit pas d'un oubli d'un événement passé au cours d'une année ce qui pourrait être acceptable. Il s'agit d'événements ayant pris place de 1984 à 1989 inclusivement, soit six ans. De 1984 à 1989, les reçus de l'appelant et ceux du Dr R. R. sont consécutifs, avec la même date et les mêmes montants. En 1984, année où l'appelant commence à donner à l'OALM, il est en compagnie des docteurs F. B. et R. R. Les numéros de reçus sont parmi les premiers.

[53]     Il est impossible de croire qu'il n'a pas su ce que faisaient ses amis. Il n'est pas possible de croire non plus le mode de donner qu'il a décrit à l'audience.

[54]     Il me faut aussi prendre en compte que sur la liste intitulée « Biblio avant moi » (onglet 15 de la pièce I-2), le nom de l'appelant y figure. Dans ce document, on retrouve le nom de plusieurs des bénéficiaires de reçus qui ont plaidé coupable ou encore qui ont avoué avoir participé au stratagème.

[55]     Il me faut aussi constater que l'appelant ne demande pas de compte ni fait aucune démarche auprès de l'OALM, si ce n'est bien tardivement et bien civilement lors d'une rencontre fortuite à un dîner d'ambassade. Il se trouve pourtant au Liban.

[56]     L'avocat de l'appelant s'est appuyé sur la décision du juge Tardif dans Abboud c. Canada, [2001] A.C.I. no 161 (Q.L.) qui avait accordé l'appel de médecins contribuables. Un des motifs de cette décision était que les contribuables avaient la capacité financière d'effectuer les dons. L'avocat fait valoir que le revenu de l'appelant pouvait supporter facilement le montant des donations. Il fait aussi valoir l'esprit de générosité de l'appelant. Il aidait sa famille du temps qu'il était au Canada et maintenant, il fournit une après-midi par semaine à un dispensaire. Il fait aussi valoir que ce n'est pas parce que certaines personnes se trouvant sur le tableau Biblio avant-moi ont plaidé coupable ou ont fait des aveux, qu'automatiquement, c'est la même chose pour tous les donateurs.

[57]     Les donateurs devraient alors faire la preuve qu'ils sont des exceptions au stratagème des faux reçus de charité. C'est ce qu'a tenté de faire l'appelant. Il a bien produit ses chèques et ses reçus mais il n'a pas produit ses états bancaires. De plus et surtout, ainsi que je l'ai dit ci-dessus, il n'est malheureusement pas crédible.

[58]     Je suis donc d'avis que le Ministre était bien fondé d'appliquer le paragraphe 152(4) de la Loi, parce qu'il y a eu intention, négligence ou omission volontaire de la part de l'appelant en réclamant des crédits pour dons de charité pour des montants très supérieurs aux montants effectivement payés. Le Ministre pouvait émettre des nouvelles cotisations pour les années prescrites. De plus, les pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi sont pleinement justifiées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de septembre 2003.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


RÉFÉRENCE :

2003CCI612

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2000-317(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Chawki Cortbaoui et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

les 12, 13 et 14 mai 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :

le 4 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me Mario Proulx

Pour l'intimée :

Me Nathalie Labbé

Me Simon-Nicolas Crépin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me Mario Proulx

Étude :

Gagnon, Proulx & Brunet, s.n.c.

Montréal (Québec)

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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