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Dossier : 2002‑2806(IT)G

 

ENTRE :

CCLI (1994) INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appels entendus à Toronto (Ontario), le 8 février 2006.

 

Devant : L'honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Mes Michael E. Barrack,

Thomas B. Akin

et John Yuan

Avocats de l'intimée :

Mes Jag Gill

et John R. Shipley

 

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations fiscales établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1989, 1990 et 1993 et des nouvelles déterminations de perte faites en vertu de la Loi pour les années d'imposition 1991 et 1992 sont rejetés avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d'avril 2006.

 

« Campbell J. Miller »

Le juge Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour d'août 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2006CCI240

Date : 20050421

Dossier : 2002‑2806(IT)G

 

ENTRE :

CCLI (1994) INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     L'appelante est la société remplaçante, par fusion, de Citibank Canada Leasing Inc. (« CCLI ») et de Citibank Canada Factors Inc. CCLI exerçait des activités de crédit‑bail. Selon les principes comptables généralement reconnus, elle rendait compte des contrats de crédit‑bail en tant que type de financement plutôt qu'en tant que contrats de location‑exploitation. Toutefois, aux fins de l'impôt, elle déclarait les contrats de crédit‑bail sur une base qui était plus conforme à la notion comptable de contrat de location‑exploitation. CCLI empruntait des fonds de sa société mère, Citibank Canada, en dollars américains. Elle utilisait les fonds empruntés pour conclure avec ses clients des ententes en vue d'acquérir des éléments d'actif importants des clients et de les louer ensuite à ces clients. Elle déclarait les pertes de change subies à l'égard des sommes empruntées au titre du revenu en se fondant sur le fait qu'elle exerçait des activités de financement et que l'argent faisait partie de ses stocks. L'intimée soutient qu'aux fins de l'impôt, les gains ou pertes de change doivent être imputés au capital, étant donné que CCLI ne prêtait pas d'argent, mais qu'elle empruntait plutôt de l'argent en vue d'acquérir des immobilisations et de conclure des contrats de location. Il s'agit principalement de qualifier les gains et les pertes de change aux fins de l'impôt – à savoir s'ils sont imputables au revenu ou s'ils sont imputables au capital (la « question du taux de change »). Si je conclus que les gains et pertes de change sont imputables au capital, une seconde question se pose au sujet du montant des pertes en capital qui peuvent être déduites au cours de l'année d'imposition 1993 (la « question du solde de la perte »).

 

[2]     Le présent appel et les trois cotisations se rapportent à de nouvelles cotisations d'impôt établies par le ministre du Revenu national en vertu de la partie I de la Loi par des avis datés du 18 avril 2002 pour les exercices de CCLI ayant pris fin le 31 octobre 1989 (la « nouvelle cotisation relative à l'année 1989 ») et le 31 octobre 1990 (la « nouvelle cotisation relative à l'année 1990 ») et par un avis daté du 6 mai 2002 pour l'exercice de CCLI ayant pris fin le 31 octobre 1993 (la « nouvelle cotisation relative à l'année 1993 ») ainsi qu'aux nouvelles déterminations de perte faites par le ministre en vertu de la partie I de la Loi par des avis datés du 19 avril 2002 pour les exercices de CCLI ayant pris fin le 31 octobre 1991 (la « nouvelle détermination relative à l'année 1991 ») et le 31 octobre 1992 (la « nouvelle détermination relative à l'année 1992 »).

 

Les faits

 

[3]     Les faits ci‑après énoncés sont tirés de l'exposé conjoint des faits et des témoignages de M. Peter Wong, dirigeant de l'appelante, et de M. Ralph Selby, expert dans le domaine de la comptabilité relative au crédit‑bail.

 

[4]     CCLI est la société remplaçante, par suite d'une fusion qui a eu lieu le 1er novembre 1988, de Citibank Canada Leasing Inc. et de Citibank Leasing Canada Limited, qui étaient toutes deux des filiales à 100 p. 100 de Citibank Canada, une banque à charte canadienne régie par la Loi sur les banques[1]. Pendant la période pertinente, Citibank Canada était une filiale à 100 p. 100 de Citicorp, une société résidant aux États‑Unis. Citicorp exploitait directement ou indirectement des entreprises bancaires par l'entremise de ses nombreuses filiales mondiales.

 

[5]     Citibank Canada effectue la plupart des aspects des opérations bancaires au Canada, mais avant 1992, les dispositions applicables de la Loi sur les banques interdisaient à Citibank Canada d'exercer ses activités de financement au moyen du crédit‑bail et de conventions de vente conditionnelle, sauf par l'entremise d'une filiale. La Loi sur les banques interdisait également à Citibank Canada de détenir plus de 10 p. 100 des actions avec droit de vote d'une société qui exerçait des activités de crédit‑bail, à moins qu'une telle société ne soit admissible à titre de « société de crédit‑bail », selon la définition de la Loi sur les banques.

 

[6]     Le Règlement sur le crédit‑bail financier pris en vertu de la Loi sur les banques imposait de nombreuses restrictions à la conduite des activités exercées par une société de crédit‑bail d'une banque. En particulier, certaines restrictions précises du Règlement étaient les suivantes :

 

a)         les activités de la filiale doivent comprendre « l'emprunt de fonds en vue du financement des activités de la société de crédit‑bail »;

 

b)         la valeur résiduelle estimative totale de tous les biens loués ne doit pas dépasser 10 p. 100 du coût d'acquisition total des biens (et la valeur résiduelle estimative de tout bien ne doit pas dépasser 20 p. 100 du coût d'acquisition du bien);

 

c)         au moins 80 p. 100 de l'actif doit être constitué de sommes à recevoir aux termes de contrats de crédit‑bail ou de vente conditionnelle;

 

d)         les contrats de crédit‑bail et de vente conditionnelle doivent avoir été conclus dans le but de faire crédit à l'emprunteur;

 

e)         les biens particuliers doivent être choisis par l'emprunteur et doivent être acquis à la demande de l'emprunteur;

 

f)          chaque contrat de crédit‑bail doit donner un rendement qui permette de compenser l'investissement et la société de crédit‑bail ne doit assumer aucune responsabilité, de sorte que l'emprunteur doit être responsable de l'assurance et de l'entretien;

 

g)         la filiale doit disposer de tout bien ou accorder une décharge dans un délai précis après l'échéance ou le défaut;

 

h)         dans chaque contrat de crédit‑bail ou de vente conditionnelle détenu par elle, la société de crédit‑bail ne doit assumer aucune responsabilité quant au fonctionnement, à l'installation, à la promotion, à l'entretien, au nettoyage ou à la réparation des biens visés par le contrat.

 

[7]     Monsieur Wong a confirmé que CCLI concluait des contrats de crédit‑bail avec des sociétés clientes conformément au règlement sur le crédit‑bail. Il a décrit le contrat de crédit‑bail comme un prêt garanti par lequel le prêteur acquiert le titre afférent aux éléments d'actif et loue ensuite ces éléments d'actif au client. Il a témoigné que CCLI ne prenait jamais possession de l'équipement, mais qu'elle considérait cet équipement comme un bien donné en garantie. Il a reconnu que l'acquisition du titre de propriété visait entre autres à permettre de demander la déduction pour amortissement. De fait, le financement au moyen d'un contrat direct de crédit‑bail était la seule activité de CCLI.

 

[8]     L'article 3065.09 du Manuel de l'Institut canadien des comptables agréés classifie le contrat de crédit‑bail comme suit :

 

Lorsque, aux termes d'un bail, pratiquement tous les avantages et les risques inhérents à la propriété du bien loué sont transférés du bailleur au preneur, ce bail doit être comptabilisé comme un contrat de location‑acquisition par le preneur et comme un contrat de location‑vente ou de location‑financement par le bailleur.

 

[9]     Au cours de ses activités, CCLI a conclu des contrats de location avec des personnes sans lien de dépendance pour des articles à prix élevé; les contrats stipulaient souvent que les versements devaient être effectués par le preneur à bail en dollars américains ou dans une autre devise étrangère. CCLI empruntait des fonds de Citibank Canada en vue d'acquérir les éléments d'actif loués. Les fonds empruntés étaient en dollars américains, de façon à correspondre à la devise dans laquelle la suite de paiements était effectuée aux termes d'un contrat donné.

 

[10]    Pendant ses exercices 1990 et 1991, CCLI a conclu des contrats de location avec des preneurs à bail européens à l'égard de wagons et d'aéronefs (collectivement les « contrats européens ») et elle a emprunté des fonds de Citibank Canada en vue d'acquérir les éléments d'actif loués (collectivement la « dette relative aux contrats européens »), selon le tableau suivant :

 

Preneur à bail

Date

Coût d'acquisition pour le bailleur (USD)

Montant total du loyer (USD)

Nombre de versements semestriels

Prix de l'option (USD)

Deux derniers versements (USD)

Emprunt correspondant (USD)

 

Nederlandse Spoorwegen

19-12-90

115 492 549 $

265 124 662 $

26

46 197 015 $

50 169 958 $

113 182 686 $

Citicorp Leasing Nederland1

17-06-91

135 000 000 $

284 256 000 $

26

54 300 000 $

58 752 000 $

132 100 000 $

Cargolux Airlines International

20-06-91

80 000 000 $

139 105 237 $

22

31 684 625 $

34 016 917 $

77 400 000 $

Nederlandse Spoorwegen

12-07-91

105 763 831 $

221 118 658 $

26

42 305 532 $

45 445 755 $

105 000 000 $

Citicorp Leasing Nederland2

08-11-91

37 156 648 $

64 260 861 $

22

18 578 324 $

19 672 881 $

37 156 648 $

1           Sous‑loué, à des conditions à peu près similaires, à la Société nationale (Belgique).

2           Sous‑loué, à des conditions à peu près similaires, à Statens Jarnvagar (Suède).

 

[11]    Tous les contrats européens se rapportaient à des wagons, sauf pour le contrat conclu avec Cargolux Airlines International, qui se rapportait à un aéronef.

 

[12]    CCLI a acheté l'équipement sous‑jacent à chaque contrat européen de la personne à qui l'équipement devait être loué aux termes du contrat européen en cause. Les contrats européens étaient les seuls contrats de location à être conclus par CCLI pendant les années en question.

 

[13]    Les lignes directrices comptables applicables exigent que les bailleurs mettent leurs contrats de location dans l'une des catégories suivantes : contrats de location‑exploitation, contrats de location‑financement ou contrats de location‑vente. Selon ces lignes directrices, les contrats européens sont des contrats de location‑financement et CCLI enregistrait ses résultats à l'égard des contrats européens conformément aux règles comptables applicables aux contrats de location‑financement. En résumé, le contrat de location‑financement était traité, aux fins comptables, comme un prêt portant intérêt. Monsieur Selby a conclu que, pour l'application des PCGR, les contrats en question étaient des contrats de location‑financement[2].

 

[14]    La nature des règles comptables applicables aux contrats de location‑financement consiste à traiter le revenu tiré de l'activité de location comme un rendement sur les fonds investis par le bailleur dans le contrat plutôt que comme un rendement sur la location du bien sous‑jacent qui est assujetti au contrat. Ainsi, en 1990, le revenu de location intégral de 100 millions de dollars a été déclaré à titre du revenu aux fins de l'impôt, mais dans les états financiers de CCLI, un revenu de 89 millions de dollars seulement était inscrit.

 

La question du taux de change

 

[15]    Dans le calcul de son revenu tiré de l'entreprise aux fins comptables et aux fins fiscales, CCLI a inclus les gains ou pertes de change associés aux emprunts qu'elle avait utilisés pour financer ses contrats de location. À la fin de chaque exercice, CCLI reconnaissait les gains ou pertes de change courus mais non réalisés sur ces dettes par rapport à leurs valeurs comptables et, lorsque la dette était remboursée ou réglée de quelque autre façon au cours de l'exercice, CCLI comptabilisait les gains ou pertes de change y afférents par rapport à sa valeur comptable. Cette approche a entraîné l'inclusion de gains de change élevés dans le revenu de CCLI aux fins de l'impôt au cours des exercices 1988, 1989, 1990 et 1991, et des pertes de change élevées au cours des exercices 1992, 1993 et 1994.

 

[16]    Les gains et pertes de change de CCLI pour les exercices 1991, 1992 et 1993 sur la dette relative aux contrats européens étaient les suivants :

 

Gain (perte) de change associé à la dette relative aux contrats européens

 

Année d'imposition

Non réalisé

Réalisé

1991

11 041 509 $

586 075 $

1992

(50 760 845 $)

(823 520 $)

1993

(30 173 282 $)

(4 001 011 $)

 

La question du solde de la perte

 

[17]    Par suite d'une vérification effectuée par Revenu Canada au début des années 1990, le ministre a déterminé que la perte subie par CCLI en 1991 s'élevait à 5 839 551 $, comme l'indique un avis de nouvelle cotisation daté du 8 juin 1994. Le 4 mai 1995, le ministre a délivré, pour l'exercice 1989 de CCLI, un avis de nouvelle cotisation par lequel un montant de 5 839 551 $ imputable à des pertes autres qu'en capital de l'année 1991 et un montant de 23 519 626 $ imputable aux pertes autres qu'en capital de l'année 1992 ont été déduits dans le calcul du revenu imposable de CCLI (la « dernière nouvelle cotisation valide »).

 

[18]    Au cours d'une vérification ultérieure, le ministre a décidé qu'il était erroné pour CCLI de déclarer les gains et pertes de change au titre du revenu aux fins de l'impôt. Le ministre a conclu que ces gains et pertes ne devaient pas être inclus dans le calcul du revenu de CCLI tant qu'ils n'étaient pas réalisés et qu'ils devaient alors être imputés au capital. Le ministre a pris les mesures suivantes afin de procéder aux rajustements sur la question du taux de change :

 

a)       En prévision des rajustements décrits ci‑dessous à l'alinéa b) devant être apportés aux pertes de CCLI pour les exercices 1991 et 1992, le ministre a délivré un avis de nouvelle cotisation daté du 11 juin 1997 pour l'exercice 1989 de CCLI. Dans la nouvelle cotisation, le ministre a augmenté la déduction effectuée par CCLI pour la perte autre qu'en capital de 1991 à 21 481 249 $, au lieu du montant de 5 839 551 $ qui avait été déduit dans la dernière nouvelle cotisation valide, et il a réduit la déduction effectuée par CCLI pour l'année 1992 au titre d'une perte autre qu'en capital à 7 085 367 $, au lieu du montant admis dans la dernière nouvelle cotisation valide.

 

b)      Le ministre a délivré des avis de nouvelle cotisation en date du 2 juillet 1998 pour les exercices 1991 à 1994 de CCLI, lesquels reflétaient la contrepassation du revenu déclaré par CCLI au titre des gains de change associés à la dette relative aux contrats européens courus pendant l'exercice 1991 et le refus des déductions effectuées par CCLI au titre des pertes de change associées à la dette relative aux contrats européens courus pendant les exercices 1992 à 1994.

 

Les rajustements pertinents effectués par le ministre dans ces nouvelles cotisations sont indiqués ci‑après :

 

 

Année d'imposition

 

Nature du rajustement

Montant ajouté au revenu

(Montant retranché du revenu)

 

 

 

1991

Contrepassation du revenu

            (11 627 584 $)

1992

Déduction refusée

            51 584 365 $

1993

Déduction refusée

            34 174 293 $

1994

Déduction refusée

            13 398 806 $

 

 

 

 

Rajustement net :

            87 529 880 $

 

[19]    Conformément au paragraphe 152(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, CCLI a demandé au ministre de déterminer le montant de la perte pour les exercices 1991 et 1992. En réponse, le 17 décembre 1998, le ministre a fait, pour les exercices 1991 et 1992, des déterminations de perte selon lesquelles il a conclu que les pertes, pour les années d'imposition 1991 et 1992, s'élevaient respectivement à 21 481 249 $ et à 7 035 367 $.

 

[20]    L'appelante s'est opposée à la nouvelle cotisation du 11 juin 1997 relative à l'exercice 1989 en invoquant que le délai de nouvelle cotisation prévu par la Loi pour l'exercice 1989 de CCLI était expiré et elle s'est également opposée aux déterminations de perte faites par le ministre pour les exercices 1991 et 1992 de CCLI ainsi qu'à la nouvelle cotisation relative à l'exercice 1993. En réponse aux objections de l'appelante :

 

a)       En ce qui concerne l'exercice 1989, le ministre a fait savoir, par une lettre datée du 26 août 1998, qu'il ferait droit à l'opposition soulevée par l'appelante à l'égard de la nouvelle cotisation du 11 juin 1997 dont celle‑ci avait fait l'objet pour l'exercice 1989 parce que, en fait, il ne pouvait pas délivrer une nouvelle cotisation pour l'exercice 1989 à cause de la prescription. Toutefois, au lieu d'annuler la nouvelle cotisation du 11 juin 1997 ou de confirmer que la nouvelle cotisation du 11 juin 1997 était nulle, le ministre a plutôt établi la nouvelle cotisation relative à l'année 1989 par laquelle il portait de 21 481 249 $ à 25 824 050 $ la déduction à laquelle CCLI avait droit pour la perte autre qu'en capital de l'année 1991 et ramenait de 7 035 367 $ à 3 535 127 $ le montant admis à titre de déduction pour la perte autre qu'en capital de l'année 1992.

 

b)      En ce qui concerne les déterminations de perte relatives aux exercices 1991 et 1992 de CCLI et la nouvelle cotisation du 2 juillet 1998 relative à l'exercice 1993, le ministre a établi la nouvelle détermination relative à l'exercice 1991 et la nouvelle détermination relative à l'exercice 1992 et il a établi la nouvelle cotisation relative à l'exercice 1993. Dans la nouvelle détermination relative à l'exercice 1991, le montant de la perte subie par CCLI pour l'exercice 1991 a été augmenté à 25 824 050 $ et, dans la nouvelle détermination relative à l'exercice 1992, il a été déterminé que le montant de la perte subie par CCLI pour l'exercice 1992 était de 8 122 335 $.

 

[21]    Le ministre convient que la nouvelle cotisation du 11 juin 1997 (mentionnée ci‑dessus à l'alinéa 20a)) et la nouvelle cotisation relative à l'exercice 1989 ne sont pas valides, de sorte que la nouvelle cotisation du 4 mai 1995 est la dernière nouvelle cotisation valide pour l'exercice 1989. Sauf pour la nouvelle cotisation dont l'avis est daté du 11 juin 1997, laquelle a été annulée, toutes les nouvelles cotisations relatives à l'année d'imposition 1989 de l'appelante étaient des cotisations ou des notifications indiquant qu'aucun impôt n'était payable.

 

Les points litigieux

 

[22]    Il s'agit en premier lieu de savoir si les gains ou pertes de change sont imputables au revenu ou au capital; les parties conviennent que, sur ce point, si je conclus qu'ils sont imputables au revenu, il convient d'employer la comptabilité d'exercice; si je conclus qu'ils sont imputables au capital, ce sont les différences de change matérialisées qui sont pertinentes.

 

[23]    La deuxième question se rapporte au montant de la perte subie en 1991 qui peut s'appliquer à l'exercice 1993. Cette question ne se pose que si je conclus que l'intimée a raison de dire que les gains ou pertes sont imputables au capital. Dans ce cas‑là, les parties conviennent que la perte subie par CCLI au cours de l'exercice 1991 est le montant de 25 824 050 $ déterminé par la nouvelle détermination relative à l'exercice 1991. Il s'agit ensuite de savoir si l'intimée peut attribuer ce montant de la perte autre qu'en capital subie en 1991 à l'exercice 1989, qui est frappé de prescription, plutôt que le montant de 5 839 551 $ déterminé dans la dernière nouvelle cotisation valide. Cette décision influera sur le montant de la perte susceptible d'être reportée de l'exercice 1991 à l'exercice 1993.

 

Analyse – Question du taux de change

 

[24]    L'appelante fait valoir que CCLI exerçait des activités de financement, c'est‑à‑dire que son entreprise portait sur l'argent et que, par conséquent, l'emprunt d'argent constituait une acquisition de stocks; ainsi, les gains ou pertes de change associés à l'emprunt sous‑jacent sont imputables au revenu. L'appelante se fonde sur l'approche préconisée par le juge Major dans l'arrêt Gifford c. La Reine[3], plus précisément :

 

39        Sous le régime de la présente Loi, il n'est pas nécessaire de savoir si le paiement est une dépense en capital, mais bien s'il est effectué « au titre du capital ». Cette distinction dans la terminologie se révèle particulièrement importante quant aux paiements d'intérêts, car, contrairement aux autres immobilisations, l'emprunt conserve rarement la forme sous laquelle il est reçu. Cette distinction signifie que nous devons considérer, pour l'application de la Loi, uniquement ce que l'emprunt représente pour l'emprunteur au moment où il l'obtient, sans avoir à examiner la façon dont il est dépensé. Si l'argent s'ajoute au capital financier, le paiement d'intérêts effectué à l'égard de cet emprunt sera alors considéré comme un paiement « au titre du capital ». Si la somme empruntée constitue, comme c'est le cas pour les prêteurs d'argent, l'inventaire de l'emprunteur, le paiement d'intérêts sera alors déductible. Dans Wharf Properties, précité, p. 339, lord Hoffmann traite des possibilités que l'emprunt représente pour l'emprunteur :

 

[TRADUCTION]

 

Cette décision ne paraît pas à Leurs Seigneuries être d'un quelconque secours à M. Gardiner. Elle traite d'une tout autre question, à savoir si la somme empruntée vient s'ajouter au capital de l'entreprise ou si elle constitue une rentrée de fonds au titre du revenu. Autrement dit, elle s'intéresse à la nature de l'emprunt lorsqu'il se trouve entre les mains du bénéficiaire, plutôt qu'à la question de savoir si un paiement d'intérêts constitue une dépense en capital ou des frais d'exploitation. Un prêt d'argent n'est pas habituellement assimilable à une rentrée de fonds au titre du revenu, mais il peut l'être si l'emprunt « fait partie intégrante du fonctionnement au quotidien de l'exploitation de l'entreprise » (lord Templeman dans Beauchamp, p. 497), comme dans le cas d'activités bancaires, de financement ou autres transactions d'argent : voir Farmer c. Scottish North American Trust Ltd. [1912] A.C. 118. En règle générale, cependant, un prêt consenti à une entreprise commerciale s'ajoutera au capital de celle‑ci, quel que soit l'objet pour lequel il devait servir. M. Gardiner a plaidé qu'en l'espèce le court laps de temps entre les échéances successives des prêts justifiait à lui seul la qualification de frais d'exploitation, mais Leurs Seigneuries ne sont pas de cet avis. L'emprunt ne s'inscrivait pas dans le cadre des activités commerciales de l'entreprise. Tant qu'on y a eu recours, ou dans la mesure où on y a substitué un autre prêt, il s'agissait d'un ajout au capital de Wharf : comparer European Investment Trust Co. Ltd. c. Jackson (1932) 18 T.C. 1.

 

[En italique dans l'original; soulignement ajouté.]

 

40        L'emprunt est, comme nous l'avons vu, habituellement considéré comme s'ajoutant au capital financier de l'emprunteur. De ce fait, il faut traiter brièvement du libellé figurant au début du sous‑al. 8(1)f)(v) et de l'al. 18(1)b) qui exclut la déduction des « dépenses [...] au titre du capital ». Selon l'interprétation littérale du libellé, il ne serait pas possible de déduire comme dépense au titre du capital toute dépense qui ne pourrait être directement rattachée à un revenu. Ce n'est pas l'approche qui a été préconisée jusqu'à maintenant, et l'analyse devrait encore porter sur ce qui est acquis plutôt que sur la provenance des fonds servant au paiement.

 

[25]    L'intimée fait valoir que CCLI exerçait peut‑être bien des activités de crédit‑bail, mais qu'elle a décidé d'organiser ses activités sous la forme juridique d'un achat et d'un bail, plutôt que d'un prêt. Par conséquent, aucun rapport juridique débiteur‑créancier n'est créé : CCLI n'est pas un prêteur d'argent. L'intimée se fonde également sur le même passage de l'arrêt Gifford, mais elle fait remarquer que ce passage doit être lu à la lumière de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Shell Canada Ltd. c. La Reine[4], où l'accent est mis, selon l'intimée, sur la forme juridique plutôt que sur la substance économique.

 

[26]    La présente affaire montre jusqu'à quel point il est difficile de concilier les lois fiscales et la pratique commerciale. J'ai antérieurement tenté de combiner la réalité juridique et la réalité économique afin de donner un sens à notre législation fiscale complexe : cette approche n'a pas été universellement adoptée. La certitude et la forme juridique l'emportent sur la substance économique si la forme juridique reflète la substance juridique. Je dois ici examiner si une société qui exerce des activités de crédit‑bail est, quant à la substance juridique, un prêteur d'argent. On peut fort bien opposer la forme juridique à la substance économique, mais qu'en est‑il si la question est formulée quant à la forme juridique par opposition à la substance juridique? Il y a maints exemples dans lesquels les tribunaux concluent que la forme juridique décrit mal la substance juridique (un exemple commun est un contrat entre un employeur et un employé qui stipule qu'il s'agit d'un contrat d'un entrepreneur indépendant). Il faut examiner plus à fond la substance juridique de l'arrangement conclu par CCLI, étant donné que les prémisses des deux parties sont exactes : l'appelante a raison de dire que sur le plan commercial, CCLI exerçait des activités de financement; l'intimée a raison d'affirmer que CCLI n'a pas créé la forme juridique débiteur‑créancier.

 

[27]    Quelle est donc la substance juridique aux fins de l'impôt? Le crédit‑bail est‑il, quant à la substance juridique, un contrat de prêt?

 

[28]    Les facteurs suivants indiquent que la substance juridique de l'arrangement est celle d'une acquisition de capital et d'un bail, plutôt que d'un prêt :

 

(i)      CCLI concluait des contrats d'achat en vue d'acquérir des immobilisations importantes;

 

(ii)      CCLI acquérait le titre afférent aux éléments d'actif;

 

(iii)     CCLI concluait des contrats de location formels avec option d'achat avec ses clients, de qui elle acquérait les éléments d'actif. L'option d'achat n'était pas automatique. Elle pouvait être exercée avant que les versements des deux derniers mois soient exigibles, et pour un montant inférieur à ces versements. Il est facile de supposer que cela rendait l'option fort intéressante, mais il reste néanmoins qu'il était loisible au preneur de ne pas exercer l'option. Il n'existe aucun élément de preuve au sujet du marché de revente ou des frais de disposition permettant de déterminer exactement jusqu'à quel point les options étaient intéressantes;

 

(iv)     CCLI déclarait, dans ses déclarations de revenus de société, qu'elle exerçait des activités de location d'équipement;

 

(v)     CCLI déclarait, aux fins de l'impôt, le plein montant du revenu de location au titre du revenu et elle demandait toute la DPA disponible pour les éléments d'actif.

 

[29]    L'intimée souligne que les détails juridiques de cet arrangement sont tout à fait clairs et que le traitement comptable n'y change rien – ce sont les principes commerciaux ordinaires qui régissent le calcul du bénéfice et non les principes comptables généralement reconnus. Selon l'intimée, il s'ensuit que les sommes que CCLI empruntait pour conclure les opérations susmentionnées étaient empruntées afin de permettre à CCLI d'acquérir des fonds à des fins de capital, et par conséquent, compte tenu de l'approche préconisée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Shell, les gains et pertes de change sont également imputables au capital.

 

[30]    Les facteurs suivants indiquent que la substance économique des opérations est celle d'un prêt; pourtant, j'en parle afin d'examiner s'ils indiquent également que la substance juridique est celle d'un prêt :

 

(i)      CCLI exerçait des activités de financement au moyen de contrats de crédit‑bail;

 

(ii)      les règlements mêmes régissant l'industrie du crédit‑bail sont rédigés en des termes associés à une relation prêteur‑emprunteur;

 

(iii)     en sa qualité de société de crédit‑bail en vertu de la Loi sur les banques, CCLI exerçait des activités de crédit‑bail uniquement à l'égard de biens meubles ou des activités connexes prescrites par règlement, notamment :

 

a)       la conclusion et l'acquisition de conventions de vente conditionnelle;

 

b)      l'administration de contrats de crédit‑bail et de conventions de vente conditionnelle;

 

c)       l'obtention de fonds en vue du financement des activités de la société de crédit‑bail ainsi que la détention et le placement dans des titres à court terme des fonds ainsi obtenus en attendant qu'ils soient employés dans les activités de la société;

 

(iv)     les représentants de CCLI considéraient l'arrangement comme un prêt, le titre afférent aux éléments d'actif étant donné en garantie;

 

(v)     CCLI ne trouvait pas l'équipement à mettre à la disposition du client; elle s'occupait plutôt de mettre de l'argent à la disposition du client, étant donné que celui‑ci possédait déjà l'équipement sur lequel il allait se fonder pour obtenir des fonds. Le client obtenait les fonds en vendant cet équipement et en le louant ensuite, sans jamais en remettre la possession à CCLI;

 

(vi)     le crédit‑bail comme moyen de financement est compatible avec son traitement comptable en tant que forme de financement.

 

[31]    Je n'hésite pas à conclure que CCLI exerçait des activités de financement; c'est ce que croyaient CCLI, le secteur bancaire, le secteur comptable et l'emprunteur, et la législation habilitante l'exigeait. Cela permet‑il de conclure qu'aux fins de l'impôt, CCLI était un prêteur d'argent et que l'argent qu'elle empruntait faisait partie des stocks? Non, dit l'intimée, parce que l'opération prend la forme d'un achat d'immobilisation et d'un contrat de location, et que c'est ainsi que l'appelante la déclarait aux fins de l'impôt – l'appelante ne peut pas souffler le chaud et le froid.

 

[32]    Selon les remarques faites par le juge Major dans l'arrêt Gifford, il ne s'agit pas de savoir de quelle façon l'argent a été dépensé, mais plutôt ce qu'était l'emprunt pour CCLI lorsqu'il était reçu. À première vue, il est facile de répondre que les fonds empruntés par une société de financement font partie des stocks. Pourtant, au moment où CCLI a emprunté l'argent, elle savait exactement où allaient les fonds. Ces fonds étaient destinés non seulement à l'achat de wagons, mais en fait de wagons précis pour un client précis. Et c'est bien à ces fins que ces fonds ont en fin de compte servi, mais cela ne permet pas de déterminer la nature des fonds; c'est le moment où les fonds ont été empruntés, et non le moment où ils ont été dépensés, qui entre en ligne de compte.

 

[33]    Un problème qui se pose, lorsque l'on cherche à distinguer la substance économique de la substance juridique, se rapporte à l'attribution d'une certaine légalité formelle aux notions de « stocks » et de « prêt d'argent ». La Loi de l'impôt sur le revenu définit le terme « stocks » (ou « inventaire ») d'une façon qui n'est pas particulièrement utile lorsqu'il s'agit de trancher la question dont je suis ici saisi. En fait, elle passe à côté de la question. L'appelante m'a renvoyé à l'arrêt Avco Financial Services Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation[5], de la Haute cour de l'Australie, lorsqu'elle a parlé de la signification de ces termes sur le plan juridique. Dans l'arrêt Avco, la Haute cour a reconnu qu'un bail avec transfert de propriété n'est pas une opération de prêt d'argent, mais elle a déclaré qu'aux fins de la détermination de la nature des emprunts servant à financer de telles activités, un bail avec transfert de propriété doit être rangé dans la même catégorie que les activités de prêt d'argent. Sans donner trop de détails au sujet de cet arrêt australien, je ferai remarquer qu'il y a une différence importante par rapport à l'affaire dont je suis ici saisi. Dans l'arrêt Avco, la Haute cour a conclu qu'en fait, aucun emprunt n'avait été effectué par Avco pour une opération de prêt précise : tous les emprunts se rapportaient aux activités générales de la société. Cela a amené la cour à faire la remarque suivante :

 

[TRADUCTION]

 

Lorsque le contribuable s'occupe d'emprunter et de prêter de l'argent, il est possible de faire une analogie entre les sommes utilisées à cette fin et les stocks – le contribuable est en fait dans le commerce de l'argent. Les gains qui sont régulièrement et fréquemment faits sur les taux de change, et les pertes qui sont régulièrement et fréquemment subies sur les taux de change, lors du remboursement de sommes empruntées que le contribuable utilise pour consentir des prêts aux fins de son entreprise de financement se rapportent directement à l'exercice quotidien des activités et visent à permettre d'exercer ces activités en tant qu'entreprise en exploitation. La première question à examiner, en décidant si un paiement est imputable au capital ou s'il est de la nature d'un revenu, est de savoir quel était le caractère de l'avantage visé par le paiement : Sun Newspapers Ltd. and Associated Newspapers Ltd. v. FCT, précité, (AITR) 413, (CLR) 363. La question doit être examinée d'un point de vue commercial et pratique : voir FCT v. South Australian Battery Makers Pty Ltd. (1978) 8 ATR 879, page 887, 140 CLR 645, page 659, et les décisions qui y sont citées. Selon ce point de vue, les sommes additionnelles payées par suite de fluctuations défavorables du taux de change – les pertes de change – faisaient partie du prix auquel l'appelante obtenait l'argent qu'elle utilisait pour faire un bénéfice – elles faisaient partie du processus par lequel l'appelante obtenait des rendements réguliers. Il s'agissait de paiements périodiques fréquents, quoique irréguliers, et ils comportaient l'exercice d'un jugement de la part des dirigeants de l'appelante responsables de la mise en oeuvre de la politique de prêt aux fins de la conduite de l'entreprise. À mon avis, les pertes de change étaient imputables au revenu et, bien sûr, les gains l'étaient également.

 

[34]    Cette approche est passablement distincte de la façon dont CCLI a conclu avec sa société mère l'arrangement relatif aux emprunts, en vertu duquel des sommes précises étaient empruntées pour des opérations précises.

 

[35]    J'ai conclu que, même si la réalité commerciale ou économique indiquait que CCLI exerçait, aux yeux de tous, des activités de financement, cela n'est pas suffisant pour l'emporter sur la nature juridique véritable de l'opération aux fins de l'impôt, soit une vente et une location accompagnées d'une option qui n'était pas automatique, quoique apparemment intéressante. Il s'agissait à la fois de la forme juridique et, aux fins de l'impôt, de la substance juridique.

 

[36]    Je crains encore que nos lois fiscales aient traité les contrats de crédit‑bail d'une façon inadéquate, malgré de vaillantes tentatives telles que les règles sur la location à bail[6]. Toutefois, ma décision me réconforte en ce sens qu'elle assure l'uniformité dans l'application de la Loi. Il est évident que la Loi peut souvent être appliquée d'une façon asymétrique mais, espérons‑le, rarement d'une façon incohérente. En l'espèce, CCLI a déclaré son revenu, aux fins de l'impôt, comme si elle s'occupait de contrats de location‑exploitation : elle a demandé la DPA comme si elle s'occupait de contrats de location‑exploitation. Aux fins de l'application de nos lois fiscales existantes, il faut maintenant déterminer les gains ou pertes de change comme s'ils découlaient de contrats de location‑exploitation. Les gains et pertes de change sont imputables au capital. Il en découle que les parties conviennent que la perte subie en 1991 s'élevait à 25 824 050 $, ce qui nous amène à la seconde question.

 

La question du solde de la perte

 

[37]    Il s'agit de savoir quelle partie de la perte de 25 824 050 $ subie en 1991 peut être reportée à l'année 1993. L'intimée a formulé la question comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

Il s'agit en second lieu de savoir si la Loi exige que le ministre attribue les pertes à des années d'imposition précises, de sorte que même si les pertes ne sont pas encore déterminées, le ministre est lié par cette attribution si l'année à laquelle les pertes ont été imputées est frappée de prescription.

 

CCLI soutient que le montant qui pouvait être reporté de l'exercice 1991 à l'exercice 1993 est le montant de 25 824 050 $ qui a finalement été déterminé comme étant la perte autre qu'en capital subie en 1991, moins le montant de 5 839 551 $ que CCLI a déduit en 1989. Le ministre affirme qu'aucune partie de la perte de 1991 ne peut être reportée, étant donné que la perte a entièrement été imputée à l'année d'imposition 1989.

 

[38]    Je récapitulerai brièvement les points saillants. Comme le ministre l'a reconnu dans la dernière nouvelle cotisation valide relative à l'exercice 1989, CCLI a déduit, en 1989, des pertes autres qu'en capital de 29 359 177 $, en attribuant toute la perte subie en 1991, soit 5 839 551 $, et le solde de 23 519 626 $ de l'exercice 1992. En 1998, CCLI a demandé des déterminations de perte pour les exercices 1991 et 1992, que le ministre a faites au mois de décembre 1998. Au mois d'avril 2002, le ministre a également fait une nouvelle détermination de perte indiquant que les pertes pour l'exercice 1991 s'élevaient maintenant à 25 824 050 $, et pour l'exercice 1992, à 8 122 335 $. Les parties conviennent que ces derniers chiffres sont exacts, étant donné la réponse donnée à la première question. Il est utile de se reporter au tableau qui est joint à l'annexe A du présent jugement, lequel fait état des nouvelles cotisations et des déterminations de perte pertinentes.

 

[39]    Le libellé de la disposition légale pertinente est crucial, lorsque l'on aborde cette question. Les dispositions précises se trouvent à l'alinéa 111(1)a) et au paragraphe 111(3).

 

111(1) Pour le calcul du revenu imposable d'un contribuable pour une année d'imposition, peuvent être déduites les sommes appropriées suivantes :

 

a) ses pertes autres que des pertes en capital subies au cours des 7 années d'imposition précédentes et des 3 années d'imposition qui suivent l'année;

 

[...]

 

111(3) Pour l'application du paragraphe (1) :

 

a) une somme au titre d'une perte autre qu'une perte en capital, d'une perte agricole restreinte, d'une perte agricole ou d'une perte comme commanditaire pour une année d'imposition n'est déductible, et la déduction d'une somme au titre d'une perte en capital nette pour une année d'imposition ne peut être demandée, dans le calcul du revenu imposable d'un contribuable pour une année d'imposition donnée que dans la mesure où la somme dépasse le total des montants suivants :

 

(i) les sommes déduites selon le présent article, au titre de cette perte autre qu'une perte en capital, perte agricole restreinte, perte agricole ou perte comme commanditaire, dans le calcul du revenu imposable pour les années d'imposition antérieures à l'année donnée,

 

(i.1) le montant demandé en déduction selon l'alinéa (1)b) au titre de cette perte en capital nette pour les années d'imposition antérieures à l'année donnée,

 

(ii) les sommes réclamées au titre de cette perte en vertu de l'alinéa 186(1)c) pour l'année au cours de laquelle la perte a été subie ou en vertu de l'alinéa 186(1)d) pour l'année d'imposition donnée et les années d'imposition antérieures à l'année d'imposition donnée;

 

b) aucune somme n'est déductible au titre d'une perte autre qu'une perte en capital, d'une perte en capital nette, d'une perte agricole restreinte, d'une perte agricole ou d'une perte comme commanditaire pour une année d'imposition avant que :

 

(i) dans le cas d'une perte autre qu'une perte en capital, les pertes autres que les pertes en capital déductibles,

 

(ii) dans le cas d'une perte en capital nette, les pertes en capital nettes déductibles,

 

(iii) dans le cas d'une perte agricole restreinte, les pertes agricoles restreintes déductibles,

 

(iv) dans le cas d'une perte agricole, les pertes agricoles déductibles,

 

(v) dans le cas d'une perte comme commanditaire, les pertes comme commanditaire déductibles,

 

pour les années d'imposition antérieures n'aient été déduites.

 

[40]    Le premier point que l'appelante voulait me faire remarquer est que, conformément à l'article 111, les pertes sont déductibles au choix du contribuable. Par conséquent, en 1989, CCLI pouvait déduire des pertes autres qu'en capital de l'année 1982 à l'année 1992. Elle a exercé son choix en déduisant un montant de 29 359 177 $ au titre des pertes autres qu'en capital, réparti entre les années 1991 et 1992.

 

[41]    Cette discrétion s'applique‑t‑elle sur une base annuelle (comme l'affirme l'appelante) ou sur une base commune de dix ans (comme l'affirme l'intimée)? Y a‑t‑il des restrictions au droit du contribuable de choisir à sa guise des montants de chaque année au cours de la période de dix ans? Oui, ces restrictions se trouvent au paragraphe 111(3). Ainsi, le contribuable ne peut déduire une perte subie en 1992 avant de déduire une perte subie en 1991 : les pertes doivent être déduites chronologiquement. Et, lorsque CCLI a produit sa déclaration de 1989, c'est ce qu'elle a fait. Elle a décidé de déduire un montant de 29 359 177 $, et la règle énoncée au paragraphe 111(3) s'est ensuite appliquée pour répartir ce montant total d'une façon appropriée entre les années 1991 et 1992, compte tenu des pertes subies en 1991 et en 1992 dont l'existence était alors connue.

 

[42]    Toutefois, revenons à l'année 2002, lorsque le ministre a de nouveau déterminé les pertes subies en 1991 et en 1992. Le paragraphe 152(1.3) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

152(1.3) Il est entendu que lorsque le ministre détermine le montant d'une perte autre qu'une perte en capital, d'une perte en capital nette, d'une perte agricole restreinte, d'une perte agricole ou d'une perte comme commanditaire subie par un contribuable pour une année d'imposition ou détermine un montant en application du paragraphe (1.11) en ce qui concerne un contribuable, le montant ainsi déterminé lie à la fois le ministre et le contribuable en vue du calcul, pour toute année d'imposition, du revenu, du revenu imposable ou du revenu imposable gagné au Canada du contribuable ou de l'impôt ou d'un autre montant payable par le contribuable ou d'un montant qui lui est remboursable, sous réserve des droits d'opposition et d'appel du contribuable à l'égard du montant déterminé et sous réserve de tout montant déterminé de nouveau par le ministre.

 

Comment cette disposition, et les restrictions prévues au paragraphe 111(3), s'appliquent‑elles aux fins de la cotisation relative à l'année d'imposition 1993, puisque je suis saisi ici de l'année d'imposition 1993 et non de l'année d'imposition 1989?

 

[43]    L'appelante soutient que le libellé du paragraphe 111(3), à savoir « les sommes déduites selon le présent article, au titre de cette perte autre qu'une perte en capital, [...] dans le calcul du revenu imposable pour les années d'imposition antérieures à l'année donnée », est clair et non équivoque et qu'il peut uniquement se rapporter au montant de 5 839 551 $ attribué par l'appelante, et accepté par l'intimée, dans la cotisation relative à l'année d'imposition 1989, qui est maintenant frappée de prescription. L'intimée affirme que le choix de l'appelante se rapporte au montant total de 29 359 177 $ qui a été déduit et que l'intimée n'est pas liée par une répartition qui est contraire aux pertes déterminées par une nouvelle détermination qui, selon le paragraphe 152(1.3), lie le ministre et le contribuable. Le problème se pose parce qu'il n'est plus possible pour le ministre d'établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'année 1989. Cependant, même si l'année 1989 n'était pas frappée de prescription, à quoi se rapporterait la nouvelle cotisation? La partie des pertes autres qu'en capital déterminée par l'appelante n'a pas changé – elle s'élève toujours à 29 359 177 $ : seule la répartition a changé. Je ne crois pas que le ministre soit tenu d'établir une nouvelle cotisation portant qu'aucun impôt n'est payable pour l'année 1989 uniquement afin de réaffecter les pertes. Conformément au paragraphe 152(1.1), le contribuable peut demander une détermination de perte, et c'est ce que CCLI a fait. Cela a finalement abouti à la nouvelle détermination d'une perte autre qu'en capital de 25 824 050 $ pour l'année 1991.

 

[44]    À première vue, la position prise par l'appelante semble inattaquable : l'appelante a déduit uniquement un montant de 5 839 551 $ des pertes subies en 1991 en déterminant le revenu imposable de 1989. Cependant, elle n'a pas exercé de choix en attribuant ce montant de 5 839 551 $ de l'année 1991. Elle s'est simplement fondée sur les règles figurant au paragraphe 111(3) afin de déduire toutes les pertes de l'année 1991 et autant de pertes de l'année 1992 qu'il le fallait pour ramener à zéro le revenu imposable de l'année 1989. Elle a par la suite demandé une détermination des pertes et elle a reçu cette détermination pour les années 1991 et 1992. On ne se fonde pas sur cette nouvelle détermination de perte autre qu'en capital s'élevant à 25 824 050 $ en 1991 afin de modifier le revenu imposable ou l'impôt en 1989 : le ministre est empêché de le faire à cause de la prescription. Toutefois, le ministre se fonde sur cette nouvelle détermination en établissant le revenu imposable en 1993. Compte tenu du paragraphe 152(1.3) de la Loi, je conviens que le ministre et le contribuable sont tenus d'utiliser ce montant en vue de déterminer le revenu imposable de 1993.

 

[45]    Par conséquent, dans le contexte de l'application des règles de report prospectif d'une perte à l'année d'imposition 1993, lorsqu'il est convenu que les pertes autres qu'en capital de 1991 s'élevaient à 25 824 050 $, il devient moins clair que la « somme déduite », telle que cette expression est employée au sous‑alinéa 111(3)a)(i), s'entend nécessairement d'une somme déterminée qui ne reflète pas les véritables pertes autres qu'en capital de 1991. Cette disposition se rapporte aux sommes déduites à l'égard de « cette perte autre qu'une perte en capital » : pour l'année d'imposition 1993, « cette perte autre qu'une perte en capital » doit s'entendre du montant de 25 824 050 $.

 

[46]    En appliquant ces règles afin de déterminer le revenu imposable de 1993, je sais un certain nombre de choses : (i) selon les faits, CCLI a déduit en 1989 un montant de 29 359 177 $ pour les pertes autres qu'en capital des années 1991 et 1992; (ii) selon les faits, les pertes autres qu'en capital de 1991 s'élèvent à 25 824 050 $; (iii) en droit, le paragraphe 152(1.3) de la Loi m'oblige à me fonder sur ce montant; (iv) en droit, les pertes autres qu'en capital de 1991 doivent être déduites avant les pertes autres qu'en capital de 1992; (v) en droit, il est trop tard pour établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'année 1989. Je conclus que le fait de se fonder sur les pertes autres qu'en capital de 25 824 050 $ pour appliquer à l'année d'imposition 1993 les règles énoncées aux paragraphes 111(1) et (3) ne constitue pas une nouvelle cotisation relative à l'année d'imposition 1989. Et, aux fins de la détermination du montant des pertes autres qu'en capital de l'année 1991 qui sont disponibles en 1993, les règles énoncées à l'article 111 doivent être appliquées compte tenu du fait que la perte autre qu'en capital de 1991, de 25 824 050 $, était le montant qui pouvait être déduit, et par conséquent, conformément aux règles figurant au paragraphe 111(3), il faut considérer que c'est le montant déduit.

 

[47]    En résumé, une fois que le contribuable décide du montant des pertes à déduire, les règles énoncées au paragraphe 111(3) indiquent ce qui est attribué et l'année en cause. En 1993, c'est le montant de la nouvelle détermination des pertes de 25 824 050 $ qui doit être assujetti aux règles relatives au report prospectif des pertes sans influer sur l'exercice par le contribuable du droit qu'il avait de déduire un montant total de 29 359 177 $. Il n'y a rien dans la Loi qui oblige le ministre à se fonder sur une allocation des pertes qui va à l'encontre de ce qu'exigent les règles énoncées au paragraphe 111(3). Compte tenu de ces principes, je rejette la position prise par l'appelante, selon laquelle les paragraphes 111(1) et (3), tels qu'ils s'appliquent à l'année d'imposition 1993, entraînent des pertes d'un montant d'environ 20 millions de dollars subies en 1991 à imputer à l'année 1993. Je conclus que le plein montant des pertes autres qu'en capital de 1991 a été antérieurement « déduit » aux fins de la détermination du revenu imposable de 1993.

 

[48]    Les appels sont rejetés avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d'avril 2006.

 

 

« Campbell J. Miller »

Le juge Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour d'août 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 

 

 


ANNEXE A

 

TABLEAU DES NOUVELLES COTISATIONS ET DÉTERMINATIONS DE PERTE PERTINENTES

 

Date de la mesure

prise par le ministre

Nature de la mesure prise par le ministre

1989

1990

Revenu imposable

1991

Revenu imposable

1992

Revenu imposable

1993

Revenu imposable

1994

Revenu imposable

 

Notes

Revenu imposable

Perte reportée de 1991

Perte reportée de 1992

8 juin 1994

Nouvelle cotisation

 

 

 

 

(5 839 551 $)

 

 

 

1

4 mai 1995

Nouvelle cotisation

néant

5 839 551 $

23 519 626 $

néant

 

 

 

 

2

11 juin 1997

Nouvelle cotisation

792 561 $

21 481 249 $

7 085 367 $

7 584 406 $

 

 

 

 

3, 4

2 juillet 1998

Nouvelle cotisation

 

 

 

 

(21 481 249 $)

(7 085 367 $)

18 724 735 $

 

5

17 décembre 1998

Détermination de perte

 

 

 

 

(21 481 249 $)

(7 085 367 $)

 

9 756 461 $

6

24 janvier 2002

Nouvelle cotisation

 

 

 

 

 

 

 

 

7

18 avril 2002

Nouvelle cotisation

néant

25 824 050 $

3 535 127 $

2 997 198 $

 

 

18 160 615 $

(1 941 420 $)

8, 9

19 avril 2002

Nouvelle détermination de perte

 

 

 

 

(25 824 050 $)

(8 122 335 $)

 

 

10

6 mai 2002

Nouvelle cotisation

 

 

 

 

 

 

16 219 195 $

 

11

 

Notes :

 

1.         Résultat de la vérification effectuée par l'ARC.

2.         Dernière nouvelle cotisation valide (relative à l'exercice 1989).

3.         Le ministre a établi une nouvelle cotisation en vue de rajuster l'affectation des pertes subies au cours des exercices 1991 et 1992 en prévision des nouvelles cotisations établies à l'égard de ces pertes.

4.         Le ministre a par la suite reconnu que la nouvelle cotisation relative à l'exercice 1989 était frappée de prescription et que la nouvelle cotisation était nulle.

5.         Résultat de la vérification effectuée par l'ARC qui comprenait des rajustements au revenu de CCLI à l'égard des gains et pertes de change sur la dette en dollars américains.

6.         Faite en réponse à la demande de CCLI.

7.         Réponse du ministre aux oppositions soulevées par CCLI à la nouvelle cotisation du 2 juillet 1998 relative à l'exercice 1994.

8.         Réponse du ministre aux oppositions soulevées par CCLI à la nouvelle cotisation du 11 juin 1997 relative à l'exercice 1989 et à la nouvelle cotisation du 2 juillet 1998 relative à l'exercice 1993.

9.         Le ministre a reconnu que la nouvelle cotisation relative à l'exercice 1989 est nulle.

10.       Réponses du ministre aux oppositions soulevées par CCLI aux déterminations de perte du 17 décembre 1998 relatives aux exercices 1991 et 1992.

11.       Report de la perte de l'exercice 1994 en réponse à la demande faite par CCLI.


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2006CCI240

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2002‑2806(IT)G

 

INTITULÉ :                                       CCLI (1994) Inc. c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 8 février 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 21 avril 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Mes Michael E. Barrack,

Thomas B. Akin et John Yuan

 

Avocats de l'intimée :

Mes Jag Gill et John R. Shipley

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                   Noms :        Mes Michael E. Barrack,

                                       Thomas B. Akin et John Yuan

 

                   Cabinet :      McCarthy Tétrault LLP

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous‑procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada



[1]           L.C. 1991, ch. 46.

 

[2]           Pages 6 et 7 du rapport d'expert de M. Selby (onglet 5), où ce dernier indiquait ce qui suit : [TRADUCTION] « La valeur de l'équipement loué serait remplacée par une créance financière égale à la valeur actualisée des « versements minimaux prévus par le contrat » (expression définie comme incluant les versements minimaux prévus par le contrat et toute valeur résiduelle garantie par le preneur à bail ou par un tiers non lié au preneur), plus toute valeur résiduelle non garantie du bien loué revenant au bailleur. L'état des résultats indiquerait le revenu de location, mais celui‑ci serait calculé comme étant l'équivalent des intérêts sur un prêt amorti jusqu'à la valeur résiduelle à la fin du contrat. Chaque versement prévu par le contrat serait partagé entre le principal et les intérêts, comme c'est le cas pour un versement relatif à un prêt hypothécaire. La créance financière finale serait l'équivalent du solde restant du principal d'un prêt hypothécaire. Cela tient compte du fait que le traitement comptable d'un contrat de location‑financement est le même que celui qui s'applique à un prêt portant intérêt. [...] Le revenu tiré du contrat de location serait l'équivalent de l'élément « intérêts » des versements effectués aux termes des contrats de location.

 

[3]           [2004] 1 R.C.S. 411, 2004 CSC 15, 2004 D.T.C. 6120.

 

[4]           [1999] 3 R.C.S. 622, [1999] 4 C.T.C. 313.

 

[5]           (1982) 13 A.T.R. 63 (H.C. Aust.).

 

[6]           Il est intéressant de noter que ni l'une ni l'autre partie n'a mentionné, dans son argumentation, les règles sur la location à bail.

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