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Dossier : 2003-699(IT)G

 

ENTRE :

GEORGE C. PETRIC,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Mont-Bleu Ford inc. (2003‑701(IT)G), les 20 et 21 juin 2005, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me William G. D. McCarthy

Avocats de l'intimée :

Me Roger Leclaire et

Me Geneviève Léveillé

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est accueilli avec dépens et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le montant de 2 087 454 $ ajouté au revenu de l'appelant en conformité avec le paragraphe 15(1) de la Loi doit être supprimé.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mai 2006.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de janvier 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Dossier : 2003-701(IT)G

 

ENTRE :

MONT-BLEU FORD INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de George C. Petric (2003‑699(IT)G), les 20 et 21 juin 2005, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me William G. D. McCarthy

Avocats de l'intimée :

Me Roger Leclaire et

Me Geneviève Léveillé

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est accueilli avec dépens et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le calcul du gain en capital réalisé lors du transfert des lots 41‑5 et 42 dans l'ancienne ville de Gatineau à George C. Petric doit être fondé sur le produit de disposition de 1 965 800 $ déclaré par l'appelante dans sa déclaration de revenus initiale pour 1996.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mai 2006.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de janvier 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2006CCI306

Date : 20060531

Dossier : 2003-699(IT)G

 

ENTRE :

GEORGE C. PETRIC,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

 

ET

 

2003-701(IT)G

MONT‑BLEU FORD INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Lamarre

 

[1]     Les présents appels, entendus sur preuve commune, sont interjetés à l'encontre de cotisations par lesquelles le ministre du Revenu national (le ministre) a fixé le gain en capital résultant de la vente, le 25 juillet 1996, de deux parcelles de terrain vacant à 2 405 220 $ (ce qui donne un gain en capital imposable de 1 803 915 $) plutôt qu'au montant de 208 992 $ (ce qui donne un gain en capital imposable de 156 744 $) déclaré par Mont‑Bleu Ford inc. (Mont‑Bleu) dans sa déclaration de revenus pour 1996. Mont‑Bleu a vendu les parcelles en question, à savoir le lot 41‑5 et le lot 42, dans l'ancienne ville de Gatineau (le bien‑fonds), à son actionnaire unique, George C. Petric. Le montant fixé par le ministre a augmenté de 1 647 171 $ le montant du gain en capital imposable.

 

[2]     C'est le 21 juillet 1997 que l'on a établi pour la première fois une cotisation pour l'année d'imposition 1996 de Mont‑Bleu. Une nouvelle cotisation a été établie le 25 avril 2000 et le montant du produit de la disposition du terrain a été rajusté à 2 777 370 $, montant qui, selon le ministre, représentait la juste valeur marchande du terrain au moment de la disposition. Dans sa déclaration de revenus, Mont‑Bleu a déclaré un montant de 1 965 800 $ au titre du produit de la disposition. La juste valeur marchande totale du bien‑fonds en date du 26 mars 1996, selon le rapport d'évaluation daté du 10 avril 1996 produit par l'expert des appelants, M. André Faucher, A.A.C.I., était de 1 964 000 $ (c'est‑à‑dire 634 000 $ pour le lot 41‑5 et 1 330 000 $ pour le lot 42 : voir la pièce R‑1, volume 3, onglets 27 et 28).

 

[3]     Le 8 septembre 1997, M. Petric a personnellement fait l'objet d'une première cotisation pour l'année d'imposition 1996. Le 11 mai 2000, il a fait l'objet d'une nouvelle cotisation par laquelle le ministre a ajouté un montant de 594 824 $ à son revenu imposable de 1996, et ce, afin de tenir compte de l'appropriation du bien‑fonds. Ce rajustement était fondé sur l'hypothèse que la valeur marchande du bien‑fonds était de 2 777 370 $, plutôt que 1 964 000 $ comme l'avait déclaré Mont‑Bleu. Le ministre s'est fondé sur le paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) pour établir la nouvelle cotisation, car Mont‑Bleu aurait conféré un avantage à M. Petric, en sa qualité d'actionnaire, en lui transférant le bien‑fonds pour un montant inférieur à sa juste valeur marchande. Mont‑Bleu et M. Petric se sont opposés aux nouvelles cotisations le 18 juillet 2000.

 

[4]     Le 4 décembre 2002, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'endroit de Mont‑Bleu au motif que la juste valeur marchande du bien‑fonds au moment de la vente, c'est‑à‑dire le 25 juillet 1996, n'était pas de 2 777 370 $, comme il avait été établi lors de la première cotisation, mais 4 270 000 $. Par conséquent, le ministre a décidé que le montant du gain en capital réalisé par Mont‑Bleu lors du transfert du bien‑fonds était de 2 405 220 $ et que le montant du gain en capital imposable était de 1 803 915 $, ce qui a occasionné une augmentation de 1 119 473 $ du gain en capital imposable établi. De ce fait, M. Petric a fait l'objet d'une nouvelle cotisation le 10 décembre 2002 par laquelle le ministre a ajouté un montant supplémentaire de 1 492 630 $, pour un total de 2 087 454 $, à son revenu imposable pour 1996, et ce, toujours en fonction de la valeur marchande du bien‑fonds établie à 4 270 000 $ plutôt qu'à 2 777 370 $ comme il avait été antérieurement établi lors de la nouvelle cotisation.

 

Les questions en litige

 

[5]     Il n'est pas contesté que les nouvelles cotisations de décembre 2002 qui font l'objet du présent appel ont été établies après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Il n'est pas non plus contesté qu'il incombe au ministre de démontrer que les deux appelants ont fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, s'il veut être autorisé à établir une nouvelle cotisation, en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi, après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation.

 

[6]     L'intimée affirme que les appelants n'ont pas démontré qu'ils avaient vraiment l'intention de transférer le bien‑fonds à sa juste valeur marchande, qu'ils ont fait, dans leurs déclarations de revenus pour 1996, une présentation erronée de la juste valeur marchande du bien‑fonds, et que cette présentation erronée avait été faite par négligence, inattention ou omission volontaire. Les appelants, en revanche, prétendent qu'ils se sont fiés au rapport d'évaluation du 10 avril 1996 réalisé par M. André L. Faucher, un évaluateur accrédité de l'Institut canadien des évaluateurs, qui a établi la valeur du bien‑fonds à 1 964 000 $ en date du 26 mars 1996. Selon les appelants, il est donc impossible d'affirmer qu'ils ont fait une présentation erronée de la juste valeur marchande du bien‑fonds comme le prétend l'intimée.

 

[7]     De plus, les appelants prétendent que le ministre a d'abord établi une nouvelle cotisation durant la période normale de nouvelle cotisation et a établi la juste valeur marchande à 2 777 370 $. Selon les appelants, le ministre était en mesure d'établir la juste valeur marchande durant la période normale de nouvelle cotisation et l'intimée ne peut plus prétendre que les appelants ont fait une présentation erronée de la juste valeur marchande et ne peut plus invoquer cet argument afin de pouvoir établir une nouvelle cotisation après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation.

 

[8]     Les appelants prétendent également que la juste valeur marchande établie par le ministre ne représente pas la véritable juste valeur marchande en date de la disposition du bien‑fonds, c'est‑à‑dire en date du 25 juillet 1996. Les appelants se sont fiés au rapport d'évaluation de M. Faucher, dans lequel la juste valeur marchande a été établie au moyen de la technique de la parité, laquelle consiste à comparer directement entre elles les ventes de biens semblables. Le ministre, en revanche, s'est fié à un rapport d'évaluation effectué par M. Gérard Martineau, un évaluateur agréé qui travaille pour l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Celui‑ci a établi la juste valeur marchande au moyen de la technique du revenu. Monsieur Martineau était d'avis qu'à la date pertinente aux fins de l'évaluation, à savoir le 25 juillet 1996 (la date de la disposition), le bien‑fonds faisait l'objet d'un bail emphytéotique de 50 ans dans lequel était prévue une augmentation progressive du montant du loyer ainsi qu'une valeur de réversion de l'immeuble à la fin du bail. Les appelants prétendent que, le 25 juillet 1996, le bail emphytéotique n'était pas encore en vigueur et était soumis à de nombreuses conditions qui, si elles n'étaient pas remplies, pouvaient avoir comme conséquence que le bail emphytéotique n'aurait jamais d'effet juridique. Les appelants prétendent, en effet, que l'une des principales conditions qui devait être remplie afin que le bail emphytéotique entre en vigueur était l'achat d'une troisième parcelle de terrain (une partie du lot 41 dans l'ancienne ville de Gatineau) qui n'appartenait pas à M. Petric le 25 juillet 1996. Malgré qu'une offre conditionnelle pour l'achat du bien‑fonds fût acceptée le 22 mai 1996 (pièce R‑1, volume 3, onglet 32(6)), la partie du lot 41 n'a été officiellement achetée que le 31 juillet 1996 (pièce R‑1, volume 3, onglet 32(12)) et le bail emphytéotique n'est entré en vigueur que le 28 août 1996 (la date d'entrée en vigueur), date à laquelle M. Petric a commencé à recevoir des revenus en vertu de celui‑ci (pièce R-1, volume 3, onglet 32(13)).

 

[9]     Les appelants ont donc prétendu que, le 25 juillet 1996, la date pertinente aux fins de l'évaluation, il était trop tôt pour que l'on puisse se fonder sur les revenus générés par le bail emphytéotique pour évaluer le bien‑fonds, car il n'existait qu'une offre conditionnelle à ce moment‑là et que, si toutes les conditions n'étaient pas remplies, il était possible que le bail ne soit jamais valable sur le plan juridique.

 

Les faits

 

[10]    Mont‑Bleu est un concessionnaire automobile Ford qui a été fondée en 1983 et qui a fait affaire à différents endroits dans ce qui est maintenant la nouvelle ville de Gatineau (Québec). En septembre 1985, M. Petric a acheté, pour un montant de 490 000 $, d'une société à numéro représentée par M. Roger Lachapelle, un terrain désigné comme étant le lot 41‑5 dans l'ancienne ville de Gatineau (pièce R-1, volume 3, onglet 32(1)). Le but visé par cette transaction était d'établir à cet endroit un concessionnaire Ford qui serait une annexe du premier. Par la suite, la société Ford a décidé qu'elle voulait accaparer le concessionnaire principal de l'ancienne ville de Gatineau. En novembre 1991, M. Petric a vendu le lot 41‑5 à Mont-Bleu pour un montant de 490 000 $ (pièce R-1, volume 3, onglet 32(2)). En décembre 1992, Mont-Bleu a de son côté acheté, pour un montant de 1 240 600 $, d'un certain nombre de sociétés différentes non liées aux appelants, un autre terrain, désigné comme étant le lot 42 dans l'ancienne ville de Gatineau (pièce R‑1, volume 3, onglet 32(3)). Ce lot était contigu au lot 41‑5 et le but de cette transaction était d'obtenir plus d'espace pour pouvoir agrandir les installations du concessionnaire principal à cet endroit. En fin de compte, toutefois, la société Ford n'a pas offert un prix acceptable pour la location du terrain regroupé, lequel était composé du lot 41‑5 et du lot 42 (le bien‑fonds). Monsieur Petric s'est ensuite adressé à la société Provigo, laquelle avait déjà, au cours d'une année précédente, conclu un bail emphytéotique avec lui relativement à un autre terrain situé dans l'ancienne ville de Hull (Québec), afin de lui demander si elle souhaitait louer le bien‑fonds. Provigo a d'abord refusé l'offre. Toutefois, le 28 février 1996, Provigo, par l'entremise de la société à numéro 9031‑7256 Québec inc., a fait une offre en déclarant que si M. Petric achetait une autre parcelle de terrain (désignée comme le lot 41 dans l'ancienne ville de Gatineau) contiguë au bien‑fonds, elle envisagerait la possibilité de conclure un bail emphytéotique sur le bien‑fonds regroupé (lot 41‑5, lot 42 et lot 41) (pièce R‑1, volume 3, onglet 32(4)). Provigo offrait de conclure un bail de 50 ans pour les loyers annuels suivants :

 

Années 1 à 10

375 000 $

Années 11 à 20

425 000 $

Années 21 à 30

480 000 $

Années 31 à 40

540 000 $

Années 41 à 50

610 000 $

 

[11]    Le 7 mai 1996, Provigo, par l'entremise de la société à numéro québécoise susmentionnée, a modifié son offre en déclarant qu'elle était prête à augmenter le montant du loyer annuel des 10 premières années à un montant de 400 000 $ à la place du montant de 375 000 $ offert antérieurement, pourvu encore une fois que M. Petric acquière le lot 41 avant de conclure le bail (voir pièce R‑1, volume 3, onglet 32(4), page 3).

 

[12]    Entre‑temps, M. Petric s'est adressé à Century 21 Accord Ltd., l'agence immobilière qui lui avait parlé de l'offre de bail de Provigo, pour tenter d'acheter le lot 41, lequel appartenait à M. Roger Lachapelle. Selon M. Petric, M. Lachapelle savait qu'il projetait de mettre le terrain en valeur, mais il ne savait pas exactement quels étaient ses projets, et il ne voulait pas vendre le lot 41 pour un montant inférieur à 15 $ le pied carré. Monsieur Petric a accepté ce prix et, le 21 mai 1996, a fait une offre conditionnelle à M. Lachapelle, que ce dernier a acceptée le 22 mai 1996. L'offre était conditionnelle à l'approbation du conseil d'administration de la société québécoise à numéro représentant Provigo, dans les 45 jours de l'acceptation de l'offre d'achat, et si cette approbation était donnée, la clôture de la transaction devait avoir lieu 60 jours après la date d'acceptation de l'offre d'achat (pièce R‑1, volume 3, onglet 32(6), page 3). Monsieur Petric a affirmé dans son témoignage qu'il a offert de payer le triple du prix courant pour des biens‑fonds semblables situés dans le même secteur parce qu'il savait que M. Lachapelle n'abaisserait pas son prix. Il devait accepter.

 

[13]    Monsieur Petric avait déjà demandé à M. Faucher d'évaluer le bien‑fonds dans le but de contracter une hypothèque sur celui‑ci afin de financer l'achat du lot 41. Il a affirmé qu'il n'avait pas parlé à ce moment‑là à M. Faucher des négociations qu'il menait avec Provigo relativement au bail emphytéotique. Selon lui, il valait mieux ne pas en parler parce que s'il en parlait, M. Lachapelle demanderait probablement un prix beaucoup plus élevé pour le lot 41, sachant qu'il serait le complément du terrain déjà regroupé. Une hypothèque de 1,7 million de dollars sur le bien‑fonds a été approuvée le 15 juillet 1996 par la Banque Toronto‑Dominion, et ce, en fonction de la valeur établie par M. Faucher (voir la proposition bancaire qui figure à la pièce R-1, volume 2, onglet 23). La banque était censée avancer une somme de 896 300 $ lors de la clôture de l'achat, à condition qu'on lui remette l'entente d'emphytéose signée par Provigo. Le solde du montant serait versé sur remise d'une copie du bail emphytéotique (voir la proposition bancaire, pièce R‑1, volume 2, onglet 23, page 3).

 

[14]    Le 12 juillet 1996, une entente d'emphytéose a été signée par M. Petric et la société québécoise à numéro représentant Provigo. L'entente prévoyait un certain nombre de modalités (pièce R‑1, volume 3, onglet 32(10)). Le montant du loyer annuel offert était 50 000 $ plus élevé que le premier montant offert par Provigo en février 1996. La clause 4 de l'entente prévoyait notamment que l'emphytéote avait le droit d'examiner le terrain et le titre de propriété dans les 30 jours suivant la signature de l'entente. L'emphytéote s'est vu accorder plein accès au terrain afin de l'examiner et afin, notamment, de prendre les mesures, de recueillir les échantillons de sol et de faire les excavations qu'il jugerait utiles. Si l'acte translatif de propriété définitif n'était pas signé, il était stipulé que l'emphytéote devait remettre le terrain dans le même état, pour l'essentiel, que celui dans lequel il se trouvait immédiatement avant que l'emphytéote n'y apporte des modifications. Si, par suite de l'examen ou par suite d'une autre enquête, l'emphytéote découvrait des anomalies, le propriétaire devait corriger ces anomalies et la signature de l'acte translatif de propriété pouvait être reportée pour une période de temps raisonnable d'au plus 60 jours. Si les anomalies n'étaient pas corrigées de façon satisfaisante, l'emphytéote disposait d'un certain nombre de solutions de rechange, dont l'une consistait à résilier l'entente. Il était également stipulé, à la clause 2 de l'entente, que le bail emphytéotique devait entrer en vigueur à la date à laquelle l'acte d'emphytéose serait signé (la date d'entrée en vigueur) et il était stipulé à la clause 9 que l'acte d'emphytéose devait être signé au plus tard le 1er septembre 1996 ou à la date à laquelle le propriétaire deviendrait le propriétaire inscrit du lot 41. Si l'une ou l'autre partie ne signait pas le bail tel qu'il était prévu dans l'entente, l'autre partie pouvait annuler l'entente en donnant un avis à la partie en défaut.

 

[15]    Le 25 juillet 1996, Mont‑Bleu a transféré les lots 41‑5 et 42 (le bien‑fonds) à M. Petric en contrepartie d'un montant de 1 964 000 $, lequel montant représente la valeur établie par M. Faucher (1 964 000 $ ou 7 $ le pied carré) (pièce R‑1, volume 3, onglet 32(11)) ainsi que la valeur en litige en l'espèce.

 

[16]    Le 31 juillet 1996, M. Petric, par un acte de transfert, a acquis le lot 41 pour un montant de 873 196 $ (15 $ le pied carré) (pièce R-1, volume 3, onglet 32(12)). Le 28 août 1996, l'acte définitif d'emphytéose concernant les trois lots regroupés a été signé par M. Petric et la société québécoise à numéro représentant Provigo (pièce R‑1, volume 3, onglet 32(13)). Le 28 août 1996 était donc la date d'entrée en vigueur du bail emphytéotique. Le montant du loyer annuel était celui qui avait été convenu dans l'entente du 12 juillet 1996. Comme il avait été convenu le 12 juillet 1996, un immeuble d'une valeur de 3 millions de dollars devait être construit sur le terrain par l'emphytéote. La clause 14.12 de l'acte d'emphytéose du 28 août 1996, telle qu'elle est reproduite à la pièce R‑1, volume 3, onglet 32(13), page 15, est ainsi libellée :

 

14.12   Le Propriétaire et l'Emphytéote reconnaissent que les termes et conditions de l'Offre d'emphytéose (Agreement of Emphyteusis) en date du 12 juillet 1996 dont copie demeure annexée aux présentes après avoir été reconnue véritable et signée à des fins d'identification en présence du notaire soussigné feront partie intégrante des présentes à moins de contradictions avec les termes des présentes.

 

[17]    La notaire Michelle Lafontaine, qui travaillait pour le cabinet de notaires qui a dressé tous les actes dont il est question en l'espèce, a affirmé dans son témoignage que la clause 14.12 a été insérée dans l'acte définitif de telle sorte que tout ce qui avait été convenu dans l'entente d'emphytéose du 12 juillet 1996 ferait partie de l'acte définitif. Elle a affirmé que bien que l'entente du 12 juillet 1996 faisait partie de l'acte définitif du 28 août 1996, sauf dans la mesure où il y avait contradiction avec l'acte définitif, seul l'acte définitif était l'acte notarié qui accordait à Provigo le droit d'utiliser le bien‑fonds en vertu de l'emphytéose. Elle a confirmé que l'entente d'emphytéose accordait à Provigo le droit d'inspecter le bien‑fonds afin d'en analyser le sol. Sans cette entente préliminaire, le propriétaire ne permettrait pas à l'éventuel emphytéote d'inspecter le bien‑fonds. Maître Lafontaine a également mentionné qu'il n'était pas inhabituel que les modalités de l'entente préliminaire soient différentes de celles de l'acte définitif et que les discussions se poursuivent jusqu'à ce que l'acte définitif soit signé. Elle a donné comme exemple le bail emphytéotique antérieur, conclu par Provigo et M. Petric, dans l'ancienne ville de Hull, qui comportait des questions de nature environnementale et des questions portant sur l'accès au site. Elle a affirmé que dans les transactions commerciales comme celle dont il était question en l'espèce, l'exercice du processus d'examen préalable pouvait permettre de démontrer que tout était en bon état, ou, au contraire, pouvait révéler qu'il y avait contamination et que, par conséquent, il fallait renégocier. Parfois, le marché n'était jamais conclu.

 

[18]    Monsieur Martineau, l'expert de l'intimée, a affirmé dans son témoignage qu'il a d'abord procédé à une évaluation très rapide du bien‑fonds afin d'en arriver au montant de 2 777 370 $ comme montant d'évaluation initiale de la valeur du bien‑fonds. Lorsqu'il a été chargé par l'agent des appels de rédiger un rapport d'évaluation officiel (le 15 mars 2001 — selon le rapport sur une opposition, pièce R-1, volume 1, onglet 7, page 2 — soit après la période normale de nouvelle cotisation), il a établi la valeur du bien‑fonds à 4 270 000 $. Dans son évaluation du bien‑fonds, il a écarté la technique de la parité (comparaison entre les ventes de biens semblables) parce qu'aucune des ventes de terrains semblables ne comportait une entente de bail emphytéotique à long terme. Il s'est fié à l'offre du 12 juillet 1996, puisqu'un bail emphytéotique de 50 ans serait consenti à Provigo et que ce bail produirait des revenus. Il a évalué le terrain en se servant de la technique du revenu, laquelle est fondée sur la valeur actualisée des revenus qui seront produits par le bail. Il a utilisé cette technique bien que les revenus ne commenceraient à rentrer que lorsque l'acte définitif serait signé et enregistré au bureau d'enregistrement municipal le 28 août 1996. Selon lui, afin d'établir la valeur marchande du bien‑fonds qui correspond le plus à l'utilisation la plus fructueuse et la plus rationnelle de ce dernier, on doit tenir compte de l'incidence du bail emphytéotique de 50 ans sur la valeur du bien‑fonds. En fait, selon lui, l'entente contractuelle conclue avec la société Provigo, en vertu de laquelle celle‑ci conclurait un bail emphytéotique de 50 ans et construirait un grand magasin de vente au détail dont elle assumerait le coût, représentait l'utilisation la plus fructueuse et la plus rationnelle du bien‑fonds en date du 25 juillet 1996. Il prétend qu'à cette date, toutes les conditions intrinsèques permettant la conclusion du marché avaient été satisfaites. Il a affirmé que l'acquisition du lot 41 était garantie par l'acceptation de l'offre conditionnelle d'achat, laquelle liait les parties dès mai 1996 parce que les conditions qui y figuraient [TRADUCTION] « aboutissaient normalement à une transaction définitive » (page 149 de la transcription). De plus, selon M. Martineau, toutes les ententes et tous les documents qui datent d'avant le 25 juillet 1996 constituaient des étapes qui avaient été franchies pour que le bail emphytéotique puisse entrer en vigueur et que le marché puisse être conclu. Il a donc procédé à l'évaluation de la valeur marchande de l'ensemble du bien‑fonds qui faisait l'objet du bail emphytéotique même s'il a reconnu que le bien‑fonds faisant l'objet de l'évaluation n'était composé que de deux des trois parcelles faisant l'objet du contrat de bail et que les trois lots ne seraient cédés par le même propriétaire qu'après la date à laquelle l'évaluation s'appliquait. Il a évalué la valeur marchande du bien‑fonds visé (le lot 41‑5 et le lot 42) en déduisant de la valeur globale le prix payé par M. Petric pour le lot 41.

 

[19]    L'expert de l'appelant, M. Faucher, a affirmé dans son témoignage qu'il n'était pas au courant au moment où il a fait l'évaluation du bien‑fonds, soit en avril 1996, que des négociations avaient eu lieu entre M. Petric et Provigo à propos du bail emphytéotique. Il a toutefois affirmé clairement que même s'il avait été au courant, il n'aurait pas modifié le montant de son évaluation du bien‑fonds. Il a également affirmé que ce montant n'aurait pas non plus été modifié le 25 juillet 1996, tant que le bail n'aurait pas été signé et n'aurait pas été pleinement en vigueur à cette date. Il n'aurait modifié le montant d'évaluation du bien‑fonds en conformité avec la technique du revenu utilisée par M. Martineau que lorsque l'acte définitif aurait été signé le 28 août 1996, ou au mieux, lorsque le regroupement des terrains aurait été achevé le 31 juillet 1996. Monsieur Faucher a expliqué que le bail emphytéotique portait sur une superficie de 342 000 pieds carrés (le lot 41‑5, le lot 42 et le lot 41) alors qu'à la date de son évaluation et le 25 juillet 1996, le bien‑fonds (le lot 41-5 et le lot 42) n'avait qu'une superficie de 190 000 pieds carrés. Comme l'entente ne pouvait entrer en vigueur que lorsque M. Petric serait propriétaire du lot en entier et comme une évaluation devait être faite selon l'état au moment de l'évaluation, il aurait de toute manière fait abstraction de l'entente d'emphytéose jusqu'à la réalisation de l'objet de celle‑ci. Monsieur Faucher a affirmé que les possibilités de mise en valeur n'étaient justement rien d'autre que de simples possibilités et qu'il évaluait les réalités et non pas les possibilités parce que les éventualités et les perspectives commerciales sont difficiles à prouver.

 

Les arguments des parties

 

[20]    Selon l'intimée, le ministre avait le droit d'établir une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation parce que les appelants ont présenté de façon erronée la juste valeur marchande du bien‑fonds.

 

[21]    L'intimée prétend que les appelants ont fait preuve de négligence en n'informant pas l'évaluateur, M. Faucher, de la transaction imminente qui serait conclue avec Provigo et sur laquelle les parties intéressées négociaient déjà en février 1996.

 

[22]    Les avocats de l'intimée prétendent que le témoignage de M. Faucher selon lequel ce renseignement n'aurait fait aucune différence quant au montant de son évaluation n'est pas crédible. À la page 12 de son rapport d'évaluation, pièce R-1, volume 3, onglet 27, M. Faucher affirme ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

UTILISATION LA PLUS FRUCTUEUSE ET LA PLUS RATIONNELLE

 

Définition :

 

L'utilisation qui, au moment de l'évaluation, est la plus susceptible de produire le plus grand rendement net, en argent ou en commodités, pendant une période donnée.

 

Les facteurs régissant l'établissement de l'utilisation la plus fructueuse et la plus rationnelle sont les suivants : les possibilités de commercialisation, la rentabilité, les limites imposées par la loi, les contrôles réglementaires, les restrictions quant à la possession, les limites physiques, les limites fonctionnelles, les contraintes financières, les contraintes en matière de gestion et les contraintes de nature sociale.

 

Comme le bien‑fonds visé satisfait à toutes les conditions d'acceptation, nous croyons que l'utilisation la plus fructueuse et la plus rationnelle de la propriété visée et inoccupée est de construire un immeuble commercial, compte tenu de la demande en bâtiments sur le lieu visé.

 

[23]    Les avocats déclarent qu'il existe une grande différence entre l'utilisation la plus fructueuse et la plus rationnelle du bien‑fonds envisagée par les appelants, c'est‑à‑dire la conclusion d'un bail emphytéotique avec Provigo, et l'utilisation la plus fructueuse et la plus rationnelle figurant dans le rapport d'évaluation de M. Faucher. La non‑divulgation à M. Faucher de l'ensemble des faits pertinents a occasionné une divergence entre ce que les appelants et l'expert considéraient comme étant l'utilisation la plus fructueuse et la plus rationnelle du bien‑fonds.

 

[24]    De plus, les avocats de l'intimée affirment que le rapport de M. Faucher comportait une autre erreur attribuable au fait qu'il n'était pas pleinement informé et que cette erreur figure à la page 13 du rapport :

 

[TRADUCTION]

 

HISTORIQUE DU MARCHÉ

 

Le propriétaire affirme que le bien‑fonds visé n'est soumis à aucune entente d'option et n'est pas offert en vente sur le marché libre. Selon les documents publics, le bien‑fonds visé n'a pas changé de mains au cours des trois dernières années.

 

[25]    Selon les avocats de l'intimée, cette déclaration était fausse. Le bien‑fonds était en vente depuis février 1996 alors que Provigo s'est adressée à M. Petric pour lui parler de la conclusion d'un bail emphytéotique de 50 ans quant au bien‑fonds.

 

[26]    Par conséquent, selon l'intimée, compte tenu des renseignements erronés qui ont été fournis à M. Faucher, il y a eu présentation erronée des faits de la part des appelants et, ainsi, le ministre est autorisé à établir une nouvelle cotisation après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation.

 

[27]    L'avocat des appelants, en revanche, affirme qu'il n'y a pas eu présentation erronée des faits. Les appelants se sont servis de l'évaluation de M. Faucher, dans laquelle la valeur a été établie au moyen de la technique qui était appropriée à l'époque. Les appelants ont suivi les conseils de notaires. De plus, l'avocat prétend qu'il n'était pas nécessaire d'informer l'évaluateur quant aux négociations qui avaient lieu. Les appelants voulaient obtenir une hypothèque et ils l'ont obtenue à la suite de l'évaluation de M. Faucher; on ne voulait pas cacher quoi que ce soit. Enfin, M. Faucher a clairement affirmé que ses évaluations n'étaient pas fondées sur des possibilités et qu'il n'aurait pas modifié le montant de son évaluation tant que l'acte définitif n'aurait pas été signé.

 

[28]    En ce qui a trait à l'évaluation en tant que telle, l'avocat des appelants prétend que, le 25 juillet 1996, aucun acheteur raisonnablement informé n'aurait versé une somme de 4 270 000 $ pour acheter le bien‑fonds.

 

[29]    À cette date, il n'y avait que des acheteurs potentiels. Une seule erreur, et le locataire potentiel aurait pu se retirer. Les modalités de l'entente ont finalement été fixées le 28 août 1996. Avant cette date, il n'existait aucune entente ayant force exécutoire. Monsieur Martineau, l'expert de l'intimée, n'a pas tenu compte de l'ensemble des conditions de l'entente du 12 juillet 1996, mais, avec le recul, a établi qu'en date du 12 juillet 1996, la valeur du bien‑fonds s'élevait à 4 270 000 $. Monsieur Martineau a en fait établi la valeur actualisée du flux de revenu, mais, le 12 juillet 1996, ce flux de revenu n'était pas garanti. Il ne s'est concrétisé que le 28 août 1996. Le flux de revenu n'avait aucune valeur actualisée le 25 juillet 1996. Enfin, M. Martineau a souscrit à l'opinion que si l'acte d'emphytéose n'avait pas été signé le 28 août 1996, la technique de la parité utilisée par M. Faucher aurait été la technique qu'il convenait d'utiliser pour établir la valeur du bien‑fonds.

 

[30]    Selon l'intimée, dans le monde du regroupement de terrains et de la construction, les ententes préliminaires conclues avant la dernière étape au moyen d'un acte ou d'un document notarié sont importantes aux fins de l'évaluation. En raison d'ententes préliminaires, les appelants ont pu conclure des arrangements financiers avec la banque.

 

[31]    Selon l'avocat, même si les ententes préliminaires dont il est question en l'espèce ne constituent pas le document définitif, elles font partie de la réalité commerciale sur le plan du regroupement, de la location, de l'achat et de la vente de terrains. Il faut en tenir compte. Il donne comme exemple la proposition bancaire du 15 juillet 1996 par laquelle la Banque TD a offert une avance préliminaire à la clôture de l'achat du lot 41 à condition qu'elle reçoive l'entente d'emphytéose signée par Provigo. La proposition bancaire est un document axé sur l'avenir qui renvoie à des documents autres que le document définitif. Bien que des conditions fondées sur la promesse d'achat étaient rattachées à l'avance préliminaire, l'avocat affirme que celles‑ci ne pouvaient pas être considérées comme comportant une possibilité sérieuse que le marché ne soit pas conclu (transcription, pages 222 et 223). Enfin, l'avocat prétend que M. Petric était disposé à payer 15 $ le pied carré pour le lot 41. Par conséquent, l'évaluation de 15,31 $ le pied carré établie par M. Martineau le 25 juillet 1996, grâce à l'évaluation d'un flux de revenu de 50 ans auquel il a appliqué un taux d'actualisation afin d'établir la valeur actualisée, n'est pas, dans les circonstances, déraisonnable.

 

L'analyse

[32]    La première question en litige consiste à savoir si les appelants, dans leurs déclarations de revenus pour 1996, ont fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, de telle sorte que le ministre est autorisé, en vertu du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, à établir une nouvelle cotisation après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Le sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi est ainsi libellé :

 

(4) Cotisation et nouvelle cotisation. Sous réserve du paragraphe (5), le ministre peut, à un moment donné, fixer l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou pénalités payables en vertu de la présente partie par un contribuable, ou donner avis par écrit, à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition, qu'aucun impôt n'est payable pour l'année, et peut, selon les circonstances, établir des nouvelles cotisations, des cotisations supplémentaires ou des cotisations concernant l'impôt, les intérêts ou les pénalités en vertu de la présente partie :

 

aà un moment donné, si le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

 

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

 

[33]    Dans Venne c. La Reine, no T‑815‑82, 9 avril 1984, 1984 CarswellNat 210 (C.F. 1re inst.), le juge Strayer a déclaré, au paragraphe 16, qu'il suffit au ministre, pour invoquer son pouvoir en vertu du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, de démontrer la négligence du contribuable, à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus au titre d'une année donnée. Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable.

 

[34]    Dans Nesbitt c. La Reine, no A‑54‑96, 15 novembre 1996, 1996 CarswellNat 1916 (C.A.F.), au paragraphe 8, le juge Strayer, s'exprimant alors au nom de la Cour d'appel fédérale, a déclaré que l'un des objets du paragraphe 152(4) est de favoriser l'établissement soigné et exact des déclarations de revenus. C'est au moment où la déclaration est produite que l'on peut déterminer s'il y a eu ou non présentation erronée des faits par négligence ou inattention en remplissant la déclaration. Le juge Strayer a poursuivi en affirmant ce qui suit :

 

8 [...] Des faits ont été présentés erronément s'il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de la déclaration ainsi que de toute nouvelle cotisation ultérieure. Cela demeure une présentation erronée de fait même si le ministre pourrait relever ou relève effectivement l'erreur dans la déclaration en procédant à une analyse attentive des documents justificatifs. Le caractère autodéclaratif du système fiscal serait miné si les contribuables pouvaient remplir avec négligence les déclarations tout en fournissant dans les documents de travail des données de base exactes, en espérant que le ministre ne trouve pas l'erreur mais que, si cela arrivait dans les quatre années suivantes, la pire conséquence serait l'établissement d'une nouvelle cotisation exacte à ce moment-là.

 

9          Il importe donc peu que le ministre ait pu, malgré la représentation erronée de faits dans la déclaration, déterminer les faits véridiques avant l'expiration du délai de prescription. Au moment où elle a été produite, et par la suite, la déclaration fautive constituait une présentation erronée de faits au sens du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

 

[35]    Dans Nesbitt, le contribuable avait présenté de façon erronée un gain en capital par suite d'une erreur de calcul faite par un comptable et le contribuable a reconnu que l'erreur figurant dans sa déclaration était due à une négligence pour laquelle il était responsable.

 

[36]    Dans une cause antérieure, R. c. Regina Shoppers Mall Limited, no A‑543‑90, 30 janvier 1991, 91 D.T.C. 5101 (C.A.F.), le ministre a établi une nouvelle cotisation parce que le contribuable avait déclaré comme gain en capital le produit de la disposition d'un bien immeuble qui, selon le ministre, aurait dû être déclaré comme revenu. Le contribuable avait interjeté appel de l'affaire dans une instance antérieure relativement aux années d'imposition antérieures et la Cour d'appel fédérale avait donné gain de cause au ministre. Pendant les instances, toutefois, le contribuable a déposé une déclaration de revenus pour une année d'imposition ultérieure et a une fois de plus traité le gain réalisé sur la même transaction comme un gain en capital. Le ministre a établi une nouvelle cotisation quant à l'année d'imposition ultérieure après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation parce que le contribuable avait fait une présentation erronée des faits en traitant le montant comme un gain en capital plutôt que comme un revenu. Le juge MacGuigan, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, a repris comme suit, aux pages 4 à 7, les propos tenus par le juge de première instance :

 

Le juge de première instance a décrit clairement la question en cause de la façon suivante (à la page 3) :

 

La décision quant à la prescription de la nouvelle cotisation pour 1979 par l'écoulement de plus de quatre ans à compter de la date de la première cotisation dépend entièrement de la question de savoir si la demanderesse, lorsqu'elle a produit sa déclaration de revenu T‑2 pour cette année, a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention, omission volontaire ou fraude.

 

Il a ajouté (à la page 4) :

 

Lorsque, en décembre 1980, le ministre a établi la première cotisation confirmant le montant et le traitement du revenu figurant dans la déclaration de la demanderesse, le Ministère disposait des mêmes renseignements et de la même connaissance que lorsque le ministre a établi la nouvelle cotisation quelque sept ans plus tard, soit le 3 novembre 1987. Revenu Canada était au courant des nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1976, 1977 et 1978. Il était au courant des avis d'opposition de la demanderesse à l'égard des nouvelles cotisations, et de la façon dont la demanderesse avait inscrit ses réserves lorsqu'elle a produit sa déclaration de revenu pour 1979.

 

La déclaration de revenu pour 1979 produite par la demanderesse continuait à inscrire le produit de la vente comme un gain en capital puisque la demanderesse contestait la position du ministre selon laquelle le produit devait être inscrit comme un revenu. C'est à la défenderesse qu'incombe le fardeau d'établir que, ce faisant, le contribuable a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention, omission ou fraude, si elle veut échapper à la prescription de quatre ans prévue à l'alinéa 152(4)b) [M.N.R. v. Taylor, [1961] C.T.C. 211].

 

Lorsque le contribuable, après un examen réfléchi et attentif de la situation, évalue celle‑ci et produit une déclaration selon la méthode qu'en bonne foi il croit appropriée, il ne peut y avoir présentation erronée des faits au sens de l'article 152 [1056 Enterprises Ltd. c. La Reine, [1989] 2 C.T.C. 1]. Dans la décision Joseph Levy c. La Reine, [1989] C.T.C. 151, à la page 176, le juge Teitelbaum cite en l'approuvant la déclaration suivante du juge Muldoon dans l'affaire précitée :

 

Le paragraphe 152(4) protège ce genre de conduite et peut‑être uniquement ce genre de conduite, dans les cas où le contribuable, après un examen réfléchi et attentif de la situation, évalue celle‑ci comme étant un cas où la loi n'exige pas la déclaration d'un lien lorsque le contribuable croit de bonne foi que ce lien n'existe pas.

 

Il a également été établi que le soin nécessaire doit correspondre à celui d'une personne sage et prudente et que la déclaration doit être faite d'une façon que le contribuable croit véritablement appropriée.

 

[...]

 

Il ressort clairement de la preuve que l'omission de procéder à une nouvelle cotisation dans le délai imparti provenait non pas de quelque présentation erronée des faits de la part de la demanderesse, mais plutôt de l'omission totale de la défenderesse de tenir compte des renseignements qu'elle possédait déjà. Le témoin de la défenderesse a admis que le Ministère avait, par erreur ou pour quelque raison inconnue, omis de suivre sa procédure normale en cas de continuité de réserves, jusqu'à l'expiration de la période de quatre ans. Il ne s'agissait pas d'une affaire où il fallait fouiller dans de vieux dossiers; au contraire, toute la question faisait l'objet d'une opposition vigoureuse. Lorsque les années d'imposition 1976, 1977 et 1978 ont fait l'objet de nouvelles cotisations, on a inscrit sur le dossier du Ministère une note indiquant qu'il s'agissait d'un dossier à suivre au cours des années subséquentes. Cette procédure a été appliquée pour l'année 1980, mais non pour l'année 1979. J'accepte entièrement la déposition des témoins experts de la demanderesse portant que la méthode adoptée par la demanderesse pour produire sa déclaration de revenu était appropriée. La défenderesse n'a pas réussi à prouver qu'au moment du dépôt de la déclaration de revenu de 1979, il y avait eu présentation erronée des faits par négligence, inattention, omission volontaire ou fraude de la part de la demanderesse ou de son représentant.

 

Les motifs d'une solidité admirable formulés par le juge Addy servent tout aussi bien à répondre aux questions soulevées en appel qu'à celles qui se posaient en première instance. [...]

 

[37]    Dans 1056 Enterprises Ltd. c. La Reine, no T‑2529‑86, 18 mai 1989, 89 D.T.C. 5287 (C.F. 1re inst.), la question soulevée dans les cotisations consistait à savoir si les sociétés demanderesses étaient associées à une autre société au sens de l'article 256 de la Loi. La Cour devait décider si, en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi, il était interdit au ministre, au motif qu'il y avait prescription, d'établir une nouvelle cotisation à l'endroit des demanderesses pour les années d'imposition en litige. Le juge Muldoon, à la page 16, a conclu que « le défaut de déclarer cette association n'était absolument pas le résultat d'un acte de négligence ou d'inattention ou d'une omission volontaire, bien au contraire. Cette absence de déclaration était voulue et délibérée et elle était de bonne foi ».

 

[38]    Dans la mesure où l'on peut faire concorder les décisions susmentionnées, selon moi, la présente affaire ressemble plus à la situation dans Regina Shoppers Mall Limited et dans 1056 Enterprises Ltd. qu'à la situation dans Nesbitt. La question de la juste valeur marchande est une question controversée qui doit être tranchée en fonction de l'interprétation des faits mis en preuve, tout comme la question de savoir si le produit de la disposition devrait être considéré comme un revenu ou comme un gain en capital (Regina Shoppers Mall Limited) ou comme la question de savoir si des sociétés sont associées (1056 Enterprises Ltd.). L'erreur de calcul dans Nesbitt, en revanche, est une question qui, du propre aveu du contribuable dans cette affaire, n'est pas controversée.

 

[39]    De plus, comme dans le cas de la question du gain en capital dans Regina Shoppers Mall Limited, la question de la juste valeur marchande dans le présent appel fait l'objet d'un différend persistant dans la mesure où l'intimée a contesté durant la période normale de nouvelle cotisation l'opinion des appelants quant à la juste valeur marchande et a établi dans le délai prescrit de nouvelles cotisations qui furent contestées par les appelants. Ce n'est qu'après que la période normale de nouvelle cotisation fut expirée que l'agent des appels du ministre a demandé un rapport d'évaluation officiel à son propre expert, M. Martineau. Comme dans Regina Shoppers Mall Limited, il ne s'agit pas d'une affaire où le ministre doit « fouiller dans de vieux dossiers ». Le ministre savait lors de la vérification que l'opinion des appelants quant à la juste valeur marchande, à tort ou à raison, était différente de la sienne.

 

[40]    Le fait que les appelants n'aient pas parlé des négociations qui se déroulaient depuis février 1996 à leur évaluateur, M. Faucher, lorsque celui‑ci faisait son évaluation ne peut selon moi être qualifié de fausse déclaration faite par les appelants en produisant leurs déclarations de revenus. Premièrement, lorsqu'ils se sont adressés à M. Faucher, c'était relativement à une hypothèque et nous avons vu que M. Petric a obtenu son prêt en fonction de l'évaluation faite par M. Faucher. Deuxièmement, les appelants étaient d'avis qu'à des fins d'évaluation et à des fins d'impôt, l'entente de bail emphytéotique, comme elle n'avait aucun effet juridique avant le 28 août 1996, était un élément factuel qui ne devait pas être pris en compte lors de l'établissement de la juste valeur marchande du bien‑fonds en date du 25 juillet 1996. Le regroupement des terrains exigé afin que l'entente de bail emphytéotique entre en vigueur n'était même pas terminé au moment de la disposition (c'est‑à‑dire le 25 juillet 1996). Au procès, M. Faucher a confirmé la validité de cette technique. Ce ne fut pas le cas de M. Martineau. Si les deux experts ne s'entendent pas à cet égard, il est vraisemblable que les appelants ont jugé que la méthode utilisée par leur évaluateur était celle qui convenait pour évaluer la juste valeur marchande du bien‑fonds en date du 25 juillet 1996. Bien que la juste valeur marchande soit en fin de compte une question de fait qui doit être tranchée par le juge des faits, il s'agit surtout d'une question d'opinion à laquelle on doit répondre en analysant les différentes approches méthodologiques. Le ministre a certainement le droit de ne pas souscrire à l'opinion du contribuable quant à la juste valeur marchande et peut établir une nouvelle cotisation, dans le délai de prescription, en fonction de sa propre évaluation. Toutefois, lorsque la question est de savoir si le ministre a le droit de profiter d'une exception à l'application du délai de prescription, il faut démontrer que le contribuable a fait une présentation erronée en produisant sa déclaration de revenus. En l'espèce, je suis d'avis qu'à moins que l'on puisse affirmer que l'opinion des appelants quant à la juste valeur marchande était déraisonnable au point qu'elle ne pouvait pas être sincère, il n'y a pas vraiment eu présentation erronée. Je ne conclus pas que l'opinion des appelants quant à la juste valeur marchande en date du 25 juillet 1996 était déraisonnable. Bien que je ne sois pas certaine de souscrire à l'analyse des appelants quant à la juste valeur marchande du bien‑fonds à cette date, laquelle analyse repose principalement sur le fait que l'entente de bail emphytéotique était conditionnelle à la satisfaction prochaine de certaines conditions[1], je peux certes comprendre que les appelants croyaient sincèrement que, comme cette entente était conditionnelle à des événements ultérieurs, elle n'avait aucune incidence sur la valeur du bien‑fonds au moment de la disposition. On peut certainement prétendre cela dans le contexte du droit civil[2]. Par ailleurs, même si, selon le ministre, il y a eu présentation erronée, le fait est qu'il ne s'est pas fié à la fausse déclaration car il a obtenu sa propre évaluation alors qu'il connaissait l'existence du bail emphytéotique et qu'il a même établi une nouvelle cotisation à l'endroit des appelants en 2000 en fonction de cette évaluation, avant l'expiration du délai de prescription. À ce moment‑là, il ne se fiait plus aux présentations faites par les appelants dans leurs déclarations de revenus.

 

[41]    En conclusion, selon moi, l'intimée n'a pas établi que les appelants, en produisant leurs déclarations de revenus, ont fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, au sens du sous‑alinéa 152(4)a)(i), de telle sorte que le ministre serait autorisé à établir de nouvelles cotisations après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation.

 

[42]    Les appels sont donc accueillis avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mai 2006.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de janvier 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI306

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2003-699(IT)G et 2003-701(IT)G

 

INTITULÉ :                                       GEORGE C. PETRIC ET MONT‑BLEU FORD INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 20 et 21 juin 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 31 mai 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

William G. D. McCarthy

Avocats de l'intimée :

Roger Leclaire et

Geneviève Léveillé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour les appelants :

 

                   Nom :                              William G. D. McCarthy

 

                   Cabinet :

 

          Pour l'intimée :                          John H. Sims, c.r,

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           En revanche, s'il est prouvé, par exemple, que les conditions n'empêcheraient pas la conclusion du bail emphytéotique, alors le caractère conditionnel de l'offre ne réduirait pas la juste valeur marchande du bien‑fonds visé (voir, par exemple, Littler c. Canada, no A‑374‑76, 16 février 1978, [1978] A.C.F. no 124 (QL) (C.A.F.).

 

[2]           À cet égard, il est intéressant de souligner qu'un certain nombre d'auteurs croient qu'en droit civil québécois, une offre conditionnelle ne peut faire l'objet d'exécution forcée, même si toutes les conditions sont satisfaites. En l'espèce, cela signifie, par exemple, que le locataire aurait pu ne pas respecter son offre et que les propriétaires (les appelants) n'auraient eu comme recours que d'intenter une poursuite en dommages‑intérêts et n'auraient pas pu obliger le locataire à conclure le bail emphytéotique (voir Jean Pineau et Serge Gaudet, Théorie des obligations, 4e édition, Montréal, Les Éditions Thémis, 2001, page 134, paragraphe 61, « Sanctions de l'inexécution de la promesse »). Cette éventualité doit donc être prise en compte lors de l'établissement de la juste valeur marchande.

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