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Dossier : 2005-2283(IT)I

ENTRE :

GINETTE LEFEBVRE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 30 janvier 2006, à Trois-Rivières (Québec).

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lavigne

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JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de l'avis de ratification du 27 avril 2005, par lequel le ministre du Revenu national a refusé à l'appelante la prestation fiscale canadienne pour enfants et le crédit pour la taxe sur les produits et services pour la période de juillet 2004 à janvier 2005, relativement à l'année de base 2003 et l'année d'imposition 2003, est rejeté, sans dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2006.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2006CCI79

Date : 20060224

Dossier : 2005-2283(IT)I

ENTRE :

GINETTE LEFEBVRE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

Intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit de l'appel d'un avis de ratification relativement à la prestation fiscale canadienne pour enfants et au crédit pour la taxe sur les produits et services pour l'année de base et l'année d'imposition 2003.

[2]      Les questions en litige consistent à déterminer si le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a correctement révisé le montant de la prestation fiscale pour enfants de l'appelante et déterminé que le montant reçu en trop s'élevait à 1 586,15 $ pour l'année de base 2003, et si le ministre a correctement révisé le crédit pour la taxe sur les produits et services de l'appelante et déterminé que le montant reçu en trop s'élevait à 168 $ pour l'année d'imposition 2003.

[3]      Par avis de nouvelle détermination daté du 18 février 2005, le ministre a révisé la prestation fiscale pour enfants de l'appelante pour la période de juillet 2004 à janvier 2005 et a déterminé que l'appelante n'avait pas droit au montant de 1 586,15 $ pour l'année de base 2003.

[4]      Par avis de nouvelle détermination daté du 25 février 2005, le ministre a révisé le crédit pour la taxe sur les produits et services de l'appelante pour la période de juillet 2004 à janvier 2005 et a déterminé que l'appelante n'avait pas droit au montant de 168 $ pour l'année d'imposition 2003.

[5]      Le 9 mars 2005 ou vers cette date, l'appelante a signifié au ministre un avis d'opposition à l'encontre des avis de détermination du 18 et du 25 février 2005 relativement à la prestation fiscale pour enfants et au crédit pour la taxe sur les produits et services pour l'année de base et l'année d'imposition 2003

[6]      Le 27 avril 2005, le ministre a ratifié les avis de nouvelles déterminations du 18 et 25 février 2005 relativement à la prestation fiscale pour enfants et au crédit pour la taxe sur les produits et services.

[7]      Pour établir et ratifier les déterminations à l'égard de l'année de base et de l'année d'imposition 2003, le ministre a tenu pour acquis les hypothèses de fait suivantes :

a)          L'appelante et M. Marc Damphousse sont les parents de Émilie Damphousse née le 16 décembre 1987;

b)          L'appelante était le particulier admissible jusqu'au 19 juin 2004;

c)          À partir du 19 juin 2004, Émilie Damphousse est allée habiter avec son père;

d)          Au cours de la période en litige, Émilie Damphousse habitait avec son père.

[8]      Après avoir prêté serment, l'appelante a expliqué que, malgré ses revenus très modestes, elle avait, lors de la période pertinente, assumé la totalité des dépenses requises pour le bien-être d'Émilie Damphousse, née le 16 décembre 1987 de sa relation avec monsieur Marc Damphousse.

[9]      Elle a ainsi fait état qu'elle avait fait les paiements pour les frais de scolarité dans une école privée, en plus de défrayer le coût des vêtements, de l'équipement sportif, et ainsi de suite.

[10]     Ses revenus étant très modestes, et comme elle n'était pas en mesure de payer à sa fille une expérience qu'elle jugeait hautement pertinente pour cette dernière, à savoir des voyages éducatifs, elle a alors vendu des billets de loterie pour un voyage amassant ainsi un montant de plus de 6 000 $ en commissions qu'elle a totalement investi pour le bien-être de sa fille Émilie.

[11]     Les relations avec sa fille étant devenues manifestement difficiles, et le père étant, selon son appréciation, complètement indifférent et refusant totalement de collaborer, elle a pris une initiative judiciaire afin que le père prenne sa fille à sa charge. À la suite des procédures, une convention a été signée et Émilie a, dès lors, résidé chez son père.

[12]     L'appelante a soutenu que même après le changement, elle avait continué à assumer toutes les dépenses de sa fille mineure. Consciente, sans doute, de l'importance de l'endroit où résidait sa fille, l'appelante, plutôt que de parler de résidence, affirmait que l'adresse postale de sa fille était la même que celle de son père; ce dernier, toujours selon l'appelante, ne répondait aucunement aux critères pour avoir droit aux bénéfices fiscaux au coeur du litige.

[13]     L'appelante a indiqué qu'elle n'avait pas de travail et que son revenu annuel était de 5 000 $, alors que les revenus du père se situaient probablement au-delà de 150 000 $.

[14]     En tenant pour acquis que les revenus de l'appelante étaient très modestes, il est facile de comprendre que la cotisation représente un montant considérable et que la situation est particulièrement frustrante si les faits relatés sont véridiques, à savoir que le père est totalement indifférent envers les besoins de sa fille, avec un tel revenu.

[15]     Par contre, il est étonnant qu'une mère aussi préoccupée par le bien-être de sa fille, tout en étant consciente que le père est, selon son appréciation, pas très responsable, mesquin et très indifférent envers les besoins de sa fille, ait accepté, voire demandé, que son seul enfant habite chez un père si peu préoccupé par le bien-être de l'enfant. J'avoue avoir été fort sceptique devant ce paradoxe.

[16]     Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) sont très claires et je prends l'initiative de reproduire les articles 122.5 et 122.6 de la Loi :

122.5 (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

[...]

« personne à charge admissible » Est une personne à charge admissible d'un particulier par rapport à un mois déterminé d'une année d'imposition la personne qui, au début de ce mois, répond aux conditions suivantes :

a) elle est l'enfant du particulier ou est à sa charge ou à la charge de l'époux ou du conjoint de fait visé du particulier;

b) elle vit avec le particulier;

c) elle est âgée de moins de 19 ans;

d) elle n'est pas un particulier admissible par rapport au mois déterminé;

[...]

122.6. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente sous-section.

« particulier admissible » S'agissant, à un moment donné, du particulier admissible à l'égard d'une personne à charge admissible, personne qui répond aux conditions suivantes à ce moment :

a) elle réside avec la personne à charge;

b) elle est la personne - père ou mère de la personne à charge - qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de cette dernière;

[...]

[17]     L'appelante fait une interprétation des dispositions de la Loi qui n'est pas conforme parce qu'elle occulte complètement de son analyse le critère relatif à la résidence. Il est fréquent de constater que le parent, qui se préoccupe grandement du bien-être de son enfant et qui investit dans celui-ci, pense que la prestation pour enfant lui revient. Malheureusement, le législateur en a prévu autrement.

[18]     Le juge Bonner, dans l'affaire S. R. c. La Reine, 2003CCI649, dossier 2003-602(IT)I, écrivait au paragraphe 12 :

12         L'expression « réside avec » , telle qu'elle est utilisée dans la définition du terme « particulier admissible » à l'article 122.6, doit être interprétée de manière à tenir compte de l'objet de la loi. Cette loi visait à mettre en oeuvre la prestation fiscale pour enfants. Cette prestation avait été mise en place en 1993 en vue de fournir un paiement mensuel unique non imposable aux conjoints ayant la garde d'un enfant. L'enfant devait être le bénéficiaire de ce paiement, lequel était versé au parent assumant principalement la responsabilité pour son soin et son éducation. Le critère est le fait de résider avec le parent. La présence physique d'un enfant qui vient rendre visite à la résidence d'un parent ne permet pas de remplir la condition imposée par la loi. Le verbe « résider » , tel qu'il est utilisé à l'article 122.6, a une connotation de résidence établie et habituelle.

·         le juge O'Connor dans l'affaire Bachand c. Canada, [2004] A.C.I. no 26, (Q.L.), au paragraphe 7 :

[...] Bien que l'appelante se soit occupée du soin et des besoins de Vinson à plusieurs reprises, cela n'est pas suffisant pour établir la résidence. Comme il a été mentionné auparavant , il y a deux conditions nécessaires d'admissibilité : résider avec la personne à charge admissible et être le fournisseur de soins principal. Il est possible, dans les circonstances, de considérer l'appelante comme le fournisseur de soins principal, mais même si tel est le cas, la condition de résidence n'est pas satisfaite et, par conséquent, l'appelante n'est pas le particulier admissible.

·         dans l'affaire du Juge Garon dans l'affaire Picard c. Canada, [2005] A.C.I. no 362. (Q.L.), paragraphes 14 et 15 :

14         [...] On n'est pas dans une situation où pourrait donner une interprétation libérale au mot « réside » figurant à l'alinéa a) de la définition de « particulier admissible » comme il y a lieu de le faire lorsqu'il s'agit, par exemple, du concept de « résidence au Canada » . Dans le contexte de l'article 122.6 il faut une présence physique sur les lieux. Il faut que la personne responsable habite avec la personne à charge. À cet égard, il est intéressant - mais non déterminant puisqu'il s'agit d'un texte règlementaire - de noter le libellé de l'alinéa g) de l'article 6302 du Règlement de l'impôt sur le revenu qui mentionne notamment pour l'application de l'alinéa h) de la définition de « particulier admissible » « le fait d'être présent auprès d'elle » , le mot « elle » se référant évidemment à la personne à charge.

15         [...] la Cour avait conclu que les enfants avaient passé la majorité du temps avec leur père et que la disposition législative en cause renvoie à la quantité du temps et non à une évaluation qualitative des capacités des deux parents d'assumer les fonctions dont il est question à l'article 6302 précité du Règlement de l'impôt sur le revenu.

·         dans l'affaire Boutin c. Canada, [2004] A.C.I. no 379 (Q.L.), le juge Bédard de cette Cour exprimait au paragraphe 12 :

12         La notion de « résider avec la personne à charge » a été définie à maintes reprises par la jurisprudence. Voici un bref survol de cette jurisprudence.

·         dans l'affaire Eliacin c. Canada, [1993 A.C.I. no 144 (Q.L.), [1993] 2 C.T.C. 2635, aux pages 2637 et 2638, le juge Rip expliquait :

On peut dire à la lumière de cette jurisprudence que les mots « résider avec » ont une définition plus large et ne signifient pas vivre dans une relation conjugale; ils signifient seulement vivre dans la même maison que quelqu'un d'autre. Il apparaît également que le législateur aurait dû utiliser le mot « cohabiter » pour indiquer le fait de vivre en tant que mari et femme.

La Loi n'emploie que les mots « résider avec » . Le mot « cohabitation » n'apparaît pas dans la Loi et n'a aucune pertinence pour les fins de cet appel. Donc, la jurisprudence anglaise ne nous aide pas.

Le mot « résider » est défini par Le Petit Robert 1 comme suit :

« 10 Être établi d'une manière habituelle dans un lieu; y avoir sa résidence... »

En anglais, The Shorter Oxford English Dictionary définit le mot « reside » as [sic] :

« ... 2. To dwell permanently or for a considerable time, to have one's settled or usual abode, to live, in or at a particular place.

Le mot « avec » quand il est employé dans la phrase « ... le conjoint ... a résidé avec la contribuable... » dans l'aliéna [sic] 63(3)d) signifie deux choses; primo, le conjoint doit résider d'une manière habituelle dans le même immeuble que l'appelante et secondo [sic], il doit exister un lien de ménage entre les deux conjoints et leurs enfants.

·         Dans les affaires Burton c. Canada, [1999] A.C.I. no 833 (Q.L.) et Gibson c. Canada, [1999] A.C.I. no 834 (Q.L.), le juge Sarchuk reprenait en partie ce passage tiré de Eliacin et ajoutait :

Je fais également remarquer que le Black's Law Dictionary définit le mot « residence » [ « résidence » ] de la façon suivante : [TRADUCTION] « présence personnelle dans un lieu d'habitation quelconque sans intention actuelle de quitter ce lieu de manière définitive et prématurée et aux fins d'y demeurer pour une période indéterminée autrement que de façon sporadique, mais pas nécessairement dans le but avoué d'y demeurer de façon permanente » .

·         Dans les affaires Lapierre c. Canada, [2005] A.C.I. no 538 :

[...] Toutefois, la résidence implique une certaine constance, une certaine régularité ou encore une certaine permanence selon le mode de vie habituel d'une personne en relation avec un lieu donné et se distingue de ce qu'on peut qualifier de visites ou de séjours à des fins particulières ou de façon sporadiques. Lorsque la Loi pose comme condition de résider avec une autre personne, je ne crois pas qu'il convient d'accorder au verbe résider un sens qui s'écarte du concept de résidence tel qu'il a été élaboré par les tribunaux. Résider avec quelqu'un c'est vivre ou demeurer avec quelqu'un dans un endroit donné avec une certaine constance, une certaine régularité ou encore d'une manière habituelle.

[19]     Étant donné les revenus très modestes de l'appelante, je ne doute cependant pas qu'une demande de sa part en vertu du programme d'équité recevra toute l'attention voulue. Je ne puis cependant pas annuler la cotisation, ni ordonner qu'elle soit annulée, ma seule compétence étant de décider du bien-fondé ou non de la cotisation.

[20]     Mon rôle est essentiellement de déterminer si la cotisation a été établie en conformité avec les dispositions applicables. À cet égard, malheureusement, la réponse est très claire et simple. La cotisation est bel et bien conforme aux dispositions de la Loi, et je dois rejeter l'appel.

[21]     Conséquemment, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2006.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2006CCI79

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-2283(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Ginette Lefebvre c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Trois-Rivières (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 30 janvier 2006

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 24 février 2006

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lavigne

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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