Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2004-3681(EI)

ENTRE :

JEAN-PAUL LÉVESQUE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 27 octobre et 28 octobre 2005, à Matane (Québec)

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Denis Tremblay

Avocat de l'intimé :

Me Jean Lavigne

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels pour les périodes de 2000, de 2001 et de 2002 sont rejetés et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Les appels pour les périodes de 1997 à 1999 sont accueillis et la décision rendue par le ministre du Revenu national est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2006.

« François Angers »

Juge Angers


Référence : 2006CCI86

Date : 20060224

Dossier : 2004-3681(EI)

ENTRE :

JEAN-PAUL LÉVESQUE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers

[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ) rendue le 19 juillet 2004 dans laquelle il a déterminé que l'appelant et Motel Le Campagnard de Matane Inc. ( « le payeur » ) avaient un lien de dépendance entre eux et qu'il était raisonnable de croire qu'ils n'auraient pas conclu ensemble un contrat de travail à peu près semblable n'eut été de ce lien de dépendance au sens de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ). Les périodes visées par cet appel sont :

-          du 5 janvier au 31 octobre 1997;

-          du 11 novembre 1997 au 12 février 1998;

-          du 17 février au 27 novembre 1998;

-          du 2 mars au 3 décembre 1999;

-          du 25 avril au 14 octobre 2000;

-          du 23 octobre 2000 au 3 février 2001;

-          du 27 avril au 5 octobre 2001;

-          du 21 novembre 2001 au 22 novembre 2002.

[2]      Il est admis que l'appelant et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. Madame Jocelyne Thibault, qui est l'unique actionnaire et l'âme dirigeante du payeur, est la conjointe de l'appelant. Il est admis aussi que le payeur fut constitué en société le 18 mai 1985 et qu'il exploite un motel de 26 chambres comprenant un restaurant servant uniquement les petits déjeuners. L'appelant a nié en totalité ou en partie les sous paragraphes suivants de la Réponse à l'avis d'appel où sont énumérées les présomptions sur lesquelles le ministre a fondé sa décision :

...

c)          la réception était ouverte de 8h à 22h, 7 jours par semaine, soit pendant 98 heures par semaine;

d)          Mme Thibault était la réceptionniste;

e)          le restaurant est exploité uniquement durant la saison touristique, soit de la fin avril jusqu'à la fin d'octobre ou novembre;

f)           du 31 mai 1997 au 31 mai 2003, les revenus bruts du payeur ont été stables variant entre 220 000 $ et 230 000 $ par année;

g)          les principales tâches de l'appelant consistaient à effectuer la maintenance de l'immeuble, incluant des réparations, et à travailler à la réception du motel;

h)          au cours des années en litige, l'appelant a aussi effectué des rénovations, il a refait des murs de préfinis et une partie de la plomberie et de l'électricité et il a posé de la céramique et de la peinture;

i)           l'appelant a aussi réparé quelques foyers;

j)           l'appelant ne consacrait que 20% de son temps à la réception et pas du tout durant la saison estivale;

k)          ni l'appelant ni le payeur ne tenaient compte des heures réellement travaillées par l'appelant;

l)           en 1997, l'appelant n'a reçu aucune rémunération du payeur pendant 4 semaines, en 1998, pendant 16 semaines, en 1999, pendant 11 semaines, en 2000, pendant 18 semaines, en 2001, pendant 22 semaines et en 2002, pendant 36 semaines et ce, alors que le volume d'affaires du payeur était constant;

m)         le nombre annuel d'heures de travail rémunérées de l'appelant est passé de 1 415 heures en 1997 à 640 en 2002 et ce, sans diminution du volume des tâches effectuées par l'appelant;

n)          les dépenses d'entretien, de réparations et de fournitures du payeur se maintenaient de 1997 à 2000 pour connaître une bonne augmentation au cours des années 2001, 2002 et 2003 alors que, d'une année à l'autre, les heures de travail déclarées de l'appelant diminuaient;

o)          au cours des années en litige, l'appelant rendait des services au payeur en dehors des périodes où il était inscrit au registre des salaires du payeur et ce sans rémunération déclarée;

p)          dans une déclaration statutaire qu'elle a signée en date du 22 mai 2003, Mme Jocelyne Thibault précisait que l'appelant avait rendu des services au payeur sans rémunération alors qu'il retirait des prestations de chômage;

q)          dans une déclaration statutaire qu'il a signé en date du 22 mai 2003, l'appelant mentionnait aussi qu'il avait rendu des services au payeur durant des périodes où il retirait des prestations de chômage;

r)           les prétendues périodes de travail de l'appelant ne correspondaient pas avec ses périodes réellement travaillées;

s)          la nature des tâches effectuées par l'appelant faisait en sorte que ses services étaient requis à l'année longue par le payeur.

[3]      Les circonstances qui ont conduit le ministre à conclure que le contrat de travail en l'espèce n'aurait pas été à peu près semblable sans le lien de dépendance sont donc toutes en litige. Madame Thibault reconnaît que les revenus bruts durant les années en question ont été stables, soit approximativement 220 000 $ par année, mais que 50% de son chiffre d'affaires a été réalisé lors de la saison touristique qui s'étend du mois de juin au mois de septembre inclusivement. Durant cette saison, le payeur compte sept employés à son service. Pendant le reste de l'année, il n'en compte que quatre. Pour exploiter son motel, le payeur a besoin d'un gardien de nuit qui travaille 10 heures par jour tous les jours de la semaine, d'une cuisinière pour le restaurant qui travaille à raison de quatre heures tous les jours de la semaine, de préposés aux chambres et à la buanderie dont le nombre dépend du temps de l'année, et d'une personne à la réception tous les jours de la semaine. Le seul emploi qui n'est pas occupé à l'année est celui de l'appelant qui travaille à l'entretien et à la réception au besoin. Certains autres employés ont été embauchés durant les périodes en question pour aider à la réception.

[4]      Il s'agit d'un motel qui a été construit en 1967. Il avait besoin de réparations majeures et, durant les années qui ont suivi son acquisition et ce jusqu'en 2002, le payeur a procédé chaque année à la rénovation de deux à trois chambres. Dans les deux premières années, madame Thibault confiait les travaux de rénovation au gardien de nuit ou à des entrepreneurs à contrat. Par la suite, elle les a confiés à l'appelant qui venait de prendre sa retraite. Il a donc commencé à travailler pour le payeur en 1987. Le gros de son travail se faisait durant la saison touristique. L'appelant faisait la rénovation des chambres en juin et, par la suite, il faisait l'entretien des pelouses, les réparations et l'entretien régulier.

[5]      L'horaire de travail de l'appelant était de 8 heures à 17 heures du lundi au vendredi et il était payé 15 $ l'heure. L'appelant travaillait à temps plein durant la saison touristique et à temps partiel durant le reste de l'année. Je reviendrai plus en détail sur ses périodes de travail indiquées dans le journal de paie des années en question. De son côté, madame Thibault était occupée à la réception qu'elle assurait sur une base journalière durant toute l'année, de 8 heures à 22 heures. Son bureau est situé près de la réception et du restaurant et une sonnette l'avertit à chaque fois que la porte s'ouvre. Elle et l'appelant prennent leurs repas au restaurant durant toute l'année.

[6]      Selon madame Thibault, toutes les heures travaillées par l'appelant au service du payeur ont été inscrites dans le journal de paie et déclarées à l'assurance-emploi. Elle reconnaît toutefois qu'il peut, à l'occasion, être arrivé que l'appelant réponde à la réception si un client arrive ou encore qu'il rende de menus services hors de sa période d'emploi. La présence de l'appelant au motel s'explique par le fait qu'il prend ses repas au restaurant du motel. L'appelant était affecté à la réception environ 20% de son temps et ce pourcentage était inférieur à cela durant la saison touristique. L'appelant, de son côté, a affirmé qu'il travaillait à la réception de 10 à 15 heures par semaine. Le reste de son temps était consacré à la rénovation et à l'entretien régulier.

[7]      En 1997, l'appelant a travaillé 40 heures par semaine pour le payeur à partir du début du mois d'avril jusqu'à la première semaine de novembre, sauf 2 semaines où il a fait 44 heures, pour un total de 31 semaines. Durant les autres semaines, il a travaillé entre cinq et quinze heures par semaine pour un total de 17 semaines et n'a pas travaillé durant quatre semaines. Son taux horaire était de 15 $ pour un total de 1 415 heures. Son travail est décrit comme étant l'entretien et la réception. Pour l'année 1997, le journal des salaires identifie une employée affectée à la réception sur des périodes de 40 heures par semaine à partir du mois d'avril jusqu'au mois d'août.

[8]      Selon madame Thibault, l'appelant a été embauché plus tôt en 1997 au motif qu'elle s'est absentée pendant une période d'environ 4 mois où elle était directrice du bureau du scrutin et responsable du recensement fédéral. Cela explique pourquoi l'appelant a dû travailler le nombre d'heures déclarées. Elle déplore que, lors de l'enquête, aucun des agents ne lui ait demandé d'expliquer le nombre d'heures additionnelles effectuées par l'appelant ni le genre de travaux ou leur nature. Le nombre d'heures supplémentaires travaillées par l'appelant se situe aux environs de 400 heures. L'appelant a confirmé que 1997 était une année électorale et qu'il a remplacé sa conjointe à la réception en plus d'assurer l'entretien du motel.

[9]      En 1998, l'appelant a travaillé de janvier à mars pour un total de 11 semaines. Pendant 2 de ces semaines, il a travaillé 6 heures par semaine et pendant les autres 9 semaines, il a travaillé 10 heures par semaine. Il a repris le travail à plein temps à la mi-juin jusqu'en novembre pour un total de 24 semaines à 40 heures par semaine. Il a été rémunéré pour un total de 1 062 heures au taux de $15 l'heure. Il a donc été 16 semaines sans rémunération. Madame Thibault a expliqué que l'appelant était absent en avril et mai parce qu'elle n'avait pas besoin de ses services et que son embauche de juin jusqu'en novembre s'explique en raison des travaux qui devaient être achevés et d'une saison touristique qui s'est prolongée. De janvier à juin, une réceptionniste a travaillé au motel à temps partiel à raison de 94.5 heures par mois.

[10]     En 1999, l'appelant a travaillé 40 heures par semaine pendant 27 semaines à partir de la deuxième semaine de juin jusqu'à la première semaine de décembre. En janvier, en février et durant les trois dernières semaines de décembre, il n'a pas été rémunéré. De mars au début de juin, il a été rémunéré pour 6 ou 9 heures de travail par semaine. Il a travaillé un total de 1 182 heures au taux de 15 $ l'heure. Selon madame Thibault, les petites réparations en janvier et février ont été effectuées par le gardien de nuit et les heures travaillées par l'appelant ont toutes été déclarées.

[11]     En 2000, l'appelant n'a pas travaillé avant la dernière semaine d'avril. Il a alors travaillé 9 heures par semaine jusqu'à la fin de mai. De juin à la mi-octobre, il a travaillé 40 heures par semaine. Il a par la suite travaillé 18 heures par semaine, sauf la dernière semaine de décembre. Il a donc passé 18 semaines sans rémunération, 20 semaines à temps plein et 14 semaines à temps partiel, pour un total de 1 023 heures au taux de 15 $ l'heure. Il s'agit d'une année éléctorale et madame Thibault était directrice du scrutin. Elle a exercé ces fonctions en octobre et en novembre. Elle a déclaré que l'appelant a travaillé à la réception avec le gardien de nuit qui a été assigné à l'horaire du jour. Madame Thibault était là le soir et elle a embauché un autre employé à temps partiel pour toute l'année, sauf en juillet. Ce dernier travaillait à la réception en octobre et novembre et ses heures de travail par semaine variaient entre 39 et 52 heures, sauf pour 2 semaines de 7 heures chacune.

[12]     En 2001, de janvier à avril, l'appelant a travaillé à temps partiel durant 5 semaines. Pendant 4 de ces semaines il a travaillé 8 heures par semaine et une semaine il a travaillé 25 heures. En mai et juin, il a été rémunéré pour 8 heures durant 2 semaines, pour 25 heures durant 6 semaines et pour 40 heures pendant une seule semaine. De juillet à la première semaine d'octobre, il a travaillé à temps plein à 40 heures par semaine. À la fin de l'année, il n'a été rémunéré que pour 2 semaines à 8 heures par semaine. Il a donc été sans rémunération pendant 22 semaines et avec rémunération pendant 15 semaines à 40 heures par semaine et pendant 15 semaines à temps partiel, les semaines à temps partiel pouvant varier de 8 à 25 heures. Il a travaillé donc 839 heures au taux de 15 $. Le gardien de nuit a travaillé toute l'année et un autre employé a travaillé à temps partiel toute l'année. Madame Thibault a expliqué que les rénovations annuelles des chambres ont commencé en mai, mais que durant cette année, elle a dû se procurer plus de matériaux en raison d'un refoulement d'égouts et s'est vue dans l'obligation d'accorder des contrats à des entrepreneurs privés dont certains fournissaient les matériaux. Elle a reconnu qu'en 2001, la majeure partie des rénovations était terminée et qu'il ne restait que de l'entretien normal, sauf peut-être dans le cas d'une chambre. Cela expliquerait la réduction du nombre d'heures de travail de l'appelant en 2001 et en 2002.

[13]     En 2002, le total des heures travaillées par l'appelant est de 640. Il n'a travaillé que 16 semaines à 40 heures par semaine et ce, de la mi-juillet à la fin de septembre, plus 2 semaines en octobre et 3 en novembre. Son taux horaire est toujours de 15$. Il y a toutefois plus d'employés, dont un à la réception à temps partiel. Selon les explications fournies par madame Thibault, l'appelant a travaillé moins d'heures parce que les rénovations étaient achevées.

[14]     Pour 2003, le journal des salaires déposé en preuve ne va pas plus loin que le 17 mai et indique que l'appelant a travaillé deux semaines en mai, soit 15 heures pendant la première semaine et 18 heures pendant la seconde à 15 $ l'heure.

[15]     L'appelant se considère comme l'homme à tout faire du payeur. Il travaille depuis 1987 pour le payeur et son emploi a toujours été considéré assurable jusqu'en 1997. Sa résidence est à 5 minutes du motel en automobile et il se rend au motel tous les jours car son épouse y travaille de 8 heures à 22 heures. Il prend ses repas au motel et remplace son épouse à la réception lorsqu'elle doit s'absenter.

[16]     La rénovation annuelle des chambres commençait en juin et, une fois terminée, l'appelant s'occupait de l'entretien du terrain, des fleurs, de l'aménagement, de la peinture et l'entretien général. Il dit avoir travaillé toutes les heures indiquées au livre des salaires durant toute l'année. En outre, il affirme qu'il n'a jamais été question d'accumuler des heures pour devenir admissible à l'assurance-emploi. Il déclare que son taux horaire est compatible avec les corps de métier qu'il exerçait et que ça lui convenait. La diminution de ses heures de travail, selon lui, s'explique par le fait qu'avec les années, il y a eu moins de travaux de rénovation à faire et qu'il ne restait que l'entretien. Il ajoute qu'il lui est arrivé de rendre quelques services en dehors des heures rémunérées mais qu'il s'agit de travaux très légers tels que remplacer une ampoule électrique. Si la réparation devait prendre des heures, le payeur indiquait ces heures au livre des salaires.

[17]     Dans une déclaration écrite en date du 22 mai 2003, M. Lévesque a reconnu avoir rendu des services au payeur au cours des mois d'hiver pendant qu'il était bénéficiaire de prestations d'assurance-emploi. Il a expliqué dans cette déclaration que les dépenses durant ces mois étaient supérieures aux revenus. À l'audience, il a tenté d'expliquer ce qu'il voulait dire : c'est qu'il ne pouvait pas avoir un travail à plein temps toute l'année car les revenus du payeur ne le permettaient pas et qu'il s'agissait de toute façon de très légers travaux. Cette dernière question fût soulevée à la suite d'une déclaration faite par un ou des employés à l'effet que l'appelant rendait des services au cours des mois d'hiver.

[18]     Madame Therèse Desrosiers, dans une déclaration écrite en date du 23 mai 2003, confirmait que l'appelant travaillait pour le payeur sur une base régulière et à l'année. Elle a modifié sa réponse au procès en expliquant qu'elle avait répondu à la question sans réfléchir car, en 2002 et 2003, elle n'a vu l'appelant travailler qu'à l'occasion et, avant ces années là, elle ne travaillait pas durant les mois d'hiver, et elle était donc incapable de confirmer ce qu'elle a affirmé dans sa déclaration. Elle a déclaré qu'elle reçoit ses directives pour son travail de madame Jocelyne Thibault. Aucun autre employé n'est venu témoigner pour confirmer cette affirmation voulant que l'appelant ait travaillé toute l'année à plein temps pendant les années en question ou l'une d'entre elles.

[19]     Denis Hamel est l'agent des appels qui a fait les recommandations ministérielles dans ce dossier. En plus d'avoir consulté les résultats de l'enquête menée par Daniel Levesque, spécialiste régional des enquêtes majeures, il a mené une entrevue téléphonique avec l'appelant et Jocelyne Thibault en la présence de leur avocat, entrevue qui a duré près de 2 heures et demi. Il a déposé son rapport CPT-110, dans lequel il a indiqué les difficultés que cette façon lui a causées. Malgré cela, il a réussi à obtenir suffisamment d'information pour tirer ses conclusions et faire rapport au ministre sur les modalités de l'emploi de l'appelant auprès du payeur. Sur les modalités de l'emploi, M. Hamel a tenté de réconcilier les horaires de travail de l'appelant en fonction du temps qu'il consacrait à la réception par rapport au temps qu'il consacrait à l'entretien et aux rénovations, et ce, pour toutes les périodes. Il a eu à tirer au clair les déclarations statutaires et les informations recueillies lors de l'entrevue téléphonique qui lui semblaient incompatibles. Il a également cherché à éclaircir la question de savoir si l'appelant avait effectivement rendu des services à la réception pendant qu'il était bénéficiaire de prestations d'assurance-emploi. Ce sujet a été soulevée par Lise Desrosiers, une préposée aux chambres, qui avait déclaré que l'appelant travaillait avec elle durant les mois d'hiver. Madame Lise Desrosiers n'a cependant pas témoigné à l'audience de cette cause et sa déclaration ne fait pas partie de la preuve. M. Hamel a donc conclu qu'il était difficile d'établir l'horaire de travail de l'appelant et que les modalités de son emploi n'auraient pas été les mêmes n'eut été du lien de dépendance.

[20]     Il a tiré cette même conclusion en ce qui concerne la durée de l'emploi. Après avoir fait l'analyse des dépenses d'entretien durant les périodes en question et du nombre minime d'heures travaillées durant les périodes où le motel était moins achalandé, monsieur Hamel arrive à la conclusion que la durée de l'emploi de l'appelant n'est pas représentative de sa réelle prestation de travail. Il trouve curieux qu'en raison de la nature des tâches de l'appelant ses services étaient requis à l'année bien qu'il était présumément le seul employé avec une tâche régulière qui n'était pas rémunéré sur une base régulière. Selon M. Hamel, la durée du travail de l'appelant s'explique par le fait que ses tâches d'entretien et le travail à la réception du motel étaient importants et indispensables pour la bonne marche du motel, et ce, durant toute l'année.

[21]     En ce qui concerne la rétribution, l'agent des appels n'accorde pas tellement d'importance au taux horaire en raison des fonctions doubles qu'exerçait l'appelant, mais il s'interroge sur le fait que ce dernier n'a pas eu d'augmentation de salaire depuis le début des périodes alors que la plupart des autres employés ont eu droit à l'augmentation du salaire minimum prévu. Finalement, l'agent des appels a aussi pris en considération le fait que l'appelant a emprunté de l'argent pour aider son épouse à acheter le motel, somme relativement minime je dois dire par rapport au prix d'achat. L'appelant a effectué cet emprunt avant d'être embauché.

[22]     Durant son témoignage, l'agent des appels a reconnu qu'il a fait une analyse globale de toutes les périodes en question. En fait, il a admis, à titre d'exemple, que, s'il est convaincu que l'emploi de l'appelant n'était pas assurable en 2002, il a conclu qu'il était assurable pour les années 1997 à 2001. Il a affirmé ne pas avoir obtenu toutes les réponses à ses questions lors de l'entrevue téléphonique et qu'il mettait en doute la crédibilité de Jocelyne Thibault, particulièrement en ce qui concerne son affirmation qu'elle travaillait 14 heures par jour, 7 jours sur 7, alors qu'elle avait déclaré des revenus provenant d'autres sources durant la même année. Il a cependant admis qu'il ignorait qu'en 2000 un gardien de nuit avait aussi travaillé à la réception durant le jour, ce qui libérait Jocelyne Thibault, lui permettant ainsi de faire autre chose. L'agent des appels a terminé son témoignage en insistant qu'il fallait regarder toutes les périodes globalement, mais qu'il reconnaissait que s'il n'avait eu qu'à analyser les faits se rapportant à l'année 1997, on ne serait pas en cour aujourd'hui.

[23]     En ce qui concerne les cas où le ministre doit déterminer si un emploi est exclu des emplois assurables en raison de l'existence d'un lien de dépendance, son rôle et celui que doit jouer la Cour ont été définis par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Légaré c. Canada, no A-392-98, 28 mai 1999, [1999] A.C.F. no 878 (QL). Le juge Marceau a résumé l'approche à prendre dans les termes suivants au paragraphe 4 :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire.    L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés.    Et la détermination du ministre n'est pas sans appel.    La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés.    La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre.    Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[24]     La Cour d'appel fédérale a d'ailleurs réitéré sa position dans l'arrêt Pérusse c. Canada, no A-722-97, 10 mars 2000, [2000] A.C.F. no 310 (QL). Le juge Marceau, se référant au passage ci-dessus de l'arrêt Légaré, a ajouté ce qui suit au paragraphe 15 :

Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner.    Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur).    La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus.    Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[25]     Les dispositions de la Loi qui excluent des emplois assurables les emplois où l'employeur et l'employé ont un lien de dépendance et les dispositions visant la situation où ce lien de dépendance est réputé ne pas exister sont rédigées comme suit :

5. [...]

Restriction

(2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

Personnes liées

(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

[...]

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[26]     Le juge Archambault, de la présente Cour, a fait l'analyse dans la décision Louis-Paul Bélanger c. M.R.N., 2005 CCI 36, d'un ensemble de décisions de la Cour d'appel fédérale et de la Cour canadienne de l'impôt sur la question du lien de dépendance et sur l'exercice que doit faire la Cour lors de l'examen d'une décision du ministre en fonction des dispositions législatives citées ci-dessus.

[27]     Cet appel est échelonné sur plusieurs périodes et la décision du ministre a été rendue en fonction d'une approche globale sur toutes ces périodes en les comparant et en les analysant dans leur ensemble. Il est évident, selon la preuve, que ces périodes se sont suivies sans nécessairement se ressembler. Il suffit de mentionner les heures travaillées par l'appelant pendant chacune des périodes en question pour constater que sa charge de travail a grandement diminué d'année en année et qu'il y a sans doute des explications pouvant justifier cet état de chose. Ce sont ces explications qui sont au coeur du litige et le poids à leur donner dépend de la véracité des témoignages et des autres éléments de preuve se rapportant aux activités du payeur.

[28]     Il s'agit d'une entreprise exploitée à l'année et dont les activités augmentent pendant la saison touristique. Selon la preuve, il faut sept employés pour fonctionner durant la saison touristique et au moins quatre employés durant la basse saison. Il faut assurer la réception en tout temps, soit 24 heures sur 24, le service aux chambres sur une base régulière et une cuisinière pour les petits déjeuners. La réception est assurée par la propriétaire, madame Jocelyne Thibault, de 8 heures à 22 heures et a le gardien de nuit le reste du temps. Le service de réception a aussi été assuré par des étudiants à l'occasion et par l'appelant à temps partiel durant la basse saison et à l'occasion en saison touristique, contrairement à la conclusion que le ministre a tiré sur cette question. L'appelant est l'employé responsable de l'entretien de l'immeuble, des réparations, de l'entretien du terrain et de la réception. Pendant les premières périodes, il a effectué des travaux de rénovation dans les chambres, notamment refaire les murs, la plomberie, les installations électriques, la céramique et la peinture.

[29]     Selon madame Thibault et l'appelant, contrairement à ce que prétend le ministre, toutes les heures travaillées par l'appelant ont été inscrites au livre des salaires. Cette affirmation de leur part me paraît crédible en ce qui concerne les premières périodes en question puisque le livre des salaires indique que, outre le travail à temps plein, l'appelant a travaillé pendant plusieurs périodes à temps partiel durant toute l'année de sorte que les semaines sans rémunération sont minimes au début des périodes, soit de 4, 16 et 11 semaines, mais grimpent à 18, 22 et 36 semaines pour les trois dernières années. Pour ce qui est des heures travaillées, elles sont passées de 1 415 en 1997 à 640 en 2002. Le nombre d'heures travaillées chaque semaine par madame Thibault à la réception sur une base de sept jours par semaine par rapport au nombre d'employés qui sont inscrits au livre de paye nous laisse supposer que l'appelant devait travailler plus d'heures que ce qui y est inscrit au livre des salaires.

[30]     Le ministre ne semble pas avoir accepté les explications apportées par madame Thibault concernant la diminution de ses heures et de ses semaines de travail ni les explications voulant que les services de l'appelant à titre de remplaçant ont été davantage sollicités durant les années électorales et de recensement. Le ministre ne semble pas non plus avoir accepté les explications de madame Thibault qu'elle avait effectué son travail de son propre bureau près de la réception sans avoir recours à l'appelant durant ces périodes. Le ministre semble avoir penché sur la thèse voulant que l'appelant travaillait sans comptabiliser ses heures. Le ministre n'a pas prêté foi à la déclartion qu'un employé, soit J.F. Audet, et non l'appelant a travaillé à la réception lorsque madame Thibault devait s'absenter.

[31]     Parmi les explications voulant que les heures de l'appelant aient diminué, on a affirmé le fait que les travaux de rénovations des chambres ont cessé à la fin de 1999 et que certains autres travaux ont été accordés à des entrepreneurs à contrat par après, soit dans les années 2001 à 2003. Toutes ces explications, à mon avis, sont crédibles et expliquent très bien la diminution du nombre d'heures de travail de l'appelant année après année. Si nous acceptons la thèse selon laquelle madame Thibault consacrait d'innombrables heures à la réception, il est plausible de croire que les services de l'appelant n'étaient pas requis aussi souvent que semble le croire le ministre.

[32]     Cependant, les questions que l'agent des appels pouvait avoir concernant les heures réellement travaillées par l'appelant semblent avoir pris naissance dans les déclarations faites par l'appelant lorsqu'on lui a demandé d'expliquer pourquoi des employés du payeur avaient déclaré que l'appelant travaillait au motel durant l'hiver alors qu'il était en chômage. Sans répondre à la question directement, il a déclaré qu'il suffisait de regarder les revenus : quand ça coûte 16 000 $ par mois pour exploiter le motel et que les revenus sont de 10 000 $ ou de 11 000 $, c'est difficile. Parmi les employés qui auraient pu faire rapport à ce sujet, il y a madame Thérèse Desrosiers qui a expliqué qu'elle n'a pu voir l'appelant travailler durant les mois d'hiver car elle ne travaillait pas durant ces mois. Ce n'est qu'à l'hiver 2002 et 2003 qu'elle était là et elle n'a vu l'appelant qu'à l'occasion. L'autre employée qui aurait pu avoir vu l'appelant travailler n'a pas témoigné. Quant à l'appelant, il reconnaît qu'il a rendu des services pendant qu'il recevait des prestations. Dans tout cela, il me semble évident que les conditions de travail, les modalités et la durée de l'emploi de l'appelant ont changé au cours des années à un point tel que le ministre était justifié de conclure que les périodes de travail de l'appelant ne correspondent pas à ses périodes réellement travaillées, particulièrement durant les dernières périodes en question.

[33]     Il faut reconnaître que, dans ce genre d'entreprise, il est difficile d'établir un horaire de travail pour l'employé qui s'occupe de l'entretien et des réparations en dehors de la saison touristique. Il faut cependant tenir compte du fait que ses services sont requis par le payeur durant toute l'année au besoin. Les périodes où l'appelant a été rémunéré à temps partiel durant toutes ces années ont varié entre 11 et 18 semaines. Cependant, ce travail à temps partiel a été effectué durant les mois d'hiver des années 1997, 1998 et 1999. Madame Thibault a expliqué que le gardien de nuit a effectué les réparations durant cette période. En 2000, l'appelant n'a travaillé que 5 semaines durant les mois d'hiver et, en 2001 et 2002, n'a pas travaillé du tout durant les mois d'hiver. Pour ces trois dernières années, l'appelant n'a fourni aucune explication.

[34]     Pour ces motifs, la conclusion à laquelle est arrivé le ministre pour les périodes du 25 avril au 14 octobre 2000, du 23 octobre 2000 au 3 février 2001, du 27 avril au 5 octobre 2001 et du 21 novembre 2001 au 22 novembre 2002 me paraît raisonnable. J'en viens donc à la conclusion que l'appelant n'exerçait pas un emploi assurable au sens de la Loi durant ces périodes. L'appelant ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve. Pour ce qui est des périodes allant du 5 janvier au 31 octobre 1997, du 11 novembre 1997 au 12 février 1998, du 17 février 1998 au 27 novembre 1998 et du 2 mars au 3 décembre 1999, la conclusion du ministre ne me paraît pas raisonnable dans les circonstances puisqu'il n'y a pas suffisamment d'éléments pour l'appuyer. Les appels sont donc rejetés pour les périodes de 2000, de 2001 et de 2002 et accueillis pour les périodes de 1997 à 1999 inclusivement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2006.

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI86

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2004-3681(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Jean-Paul Lévesque et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Matane (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :                le 27 octobre et 28 octobre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :                    le 24 février 2006

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Denis Tremblay

Avocat de l'intimé :

Me Jean Lavigne

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

       Pour l'appelant:

                   Nom :                              Me Denis Tremblay

                   Étude :                            Tremblay et Tremblay

                                                          Matane, Québec

       Pour l'intimé :                              John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.