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Dossier : 2004-2708(IT)I

ENTRE :

ALWIN FRANCK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel interjeté dans le dossier Alwin Franck (2004-2713(GST)I), le 20 avril 2005, à Belleville (Ontario)

Devant : L'honorable juge Diane Campbell

Comparutions :

Représentant de l'appelant :

William P. H. Procter

Avocate de l'intimée :

Me Carole Benoit

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu relativement à l'avis de cotisation no 15084 daté du 21 mai 2003 est accueilli, sans dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juin 2005.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de septembre 2006.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Dossier : 2004-2713(GST)I

ENTRE :

ALWIN FRANCK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel interjeté dans le dossier

Alwin Franck (2004-2708(IT)I), le 20 avril 2005, à Belleville (Ontario)

Devant : L'honorable juge Diane Campbell

Comparutions :

Représentant de l'appelant :

William P. H. Procter

Avocate de l'intimée :

Me Carole Benoit

____________________________________________________________________

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

JUGEMENT

                   L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise relativement à l'avis de cotisation no 58910, daté du 21 mai 2003, est accueilli, sans dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juin 2005.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de septembre 2006.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2005CCI392

Date : 20050623

Dossiers : 2004-2708(IT)I

2004-2713(GST)I

ENTRE :

ALWIN FRANCK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

[1]      Les présents appels ont été entendus ensemble sur preuve commune. L'appelant et l'intimée ont convenu dès le début que l'intitulé de la cause, pour les deux appels, devait être modifié de manière à supprimer la raison sociale Franck Construction Co. Ltd. (la « société » ) et à y substituer le nom d'Alwin Franck en qualité d'appelant. L'appelant a témoigné et l'intimée a assigné comme témoin Nancy Roesler, agente des appels à l'Agence du revenu du Canada (ARC).

[2]      La société a commencé ses activités dans le secteur de la construction dans les années 80. L'appelant a toujours été le seul administrateur et dirigeant des activités courantes de la société. C'est en 1990 que celle-ci a connu son année la plus occupée, avec un revenu brut d'environ 500 000 $. À partir de 1992, l'industrie de la construction a connu des difficultés et, en 1995, l'appelant n'avait plus aucun employé et se chargeait seul de faire le travail confié à la société. En plus de subir les effets de la récession, la société n'a pu recouvrer un compte client important d'environ 20 650 $. Selon le témoignage de l'appelant, la société a dépensé autour de 40 000 $ en frais d'avocats et de témoins-experts avant de régler pour 35 000 $. Au cours de la période où la société de l'appelant devait de l'argent à l'ARC, l'épouse de M. Franck est tombée gravement malade et est décédée; et le beau-frère de l'appelant, qui vivait avec ce dernier et son épouse, s'est suicidé. Pour la survie de son entreprise, l'appelant acceptait toutes sortes de travaux, et certains devaient être exécutés à des heures de route de sa maison. Entre 1993 et 1997, il a déclaré avoir parcouru environ 450 000 kilomètres pour faire de petits travaux. Il roulait dans une petite voiture Sundance, qui avait plus de 550 000 kilomètres au compteur en 1997. Pendant plusieurs mois, à deux occasions pendant cette période, sa famille et lui ont dû vivre de l'aide sociale.

[3]      La preuve a montré que la société éprouvait continuellement des problèmes pour ce qui est de verser les retenues à la source ainsi que la taxe sur les produits et services (TPS). C'était une lutte constante pour la société de se tenir à jour dans ses versements. Avant 1990, le comptable de la société s'en occupait, mais l'appelant a déclaré ne pas se souvenir si c'était fait régulièrement, parce que la société n'avait pas toujours d'argent pour payer le comptable. Le relevé de compte du vérificateur, daté du 5 décembre 1991 (pièce A-5), indique que la société avait des arriérés totalisant 21 697,32 $, qu'un paiement de 5 000,00 $ avait été reçu et que le solde à payer se chiffrait à 17 058,23 $. Selon la pièce A-9 (une lettre de Revenu Canada datée du 26 septembre 1995 et un relevé détaillé de toutes les opérations relatives aux retenues à la source entre le 1er janvier 1992 et le 29 août 1995), la société a versé 10 000,00 $ le 15 janvier 1992 et fait un deuxième paiement de 7 058,23 $ le 15 février 1992. Ce dernier effet de paiement n'a pas été accepté par la banque et, le 31 août 1992, une demande de paiement par un tiers a été faite et un montant de 7 718,74 $ a été prélevé sur le compte bancaire de l'entreprise. Le 9 juin 1993, la société a fait un paiement de 1 420,00 $, de sorte qu'elle ne devait pratiquement plus rien à l'ARC. À la fin d'août 1995, la société devait 3 562,09 $ au regard des retenues à la source. La pièce A-10 (résumé manuscrit des versements nets de l'employeur au titre des retenues à la source pour la période 1990-1998) montre que la société a effectué des versements de l'employeur au titre des retenues à la source qui ont totalisé 50 851,94 $.

[4]      Selon la pièce A-8, aucune déclaration de TPS n'a été produite avant avril 1994. L'appelant a expliqué, et c'est la seule raison qu'il pouvait donner, que son comptable ne coopérait pas parce qu'il n'était pas rémunéré et que lui-même avait simplement peur et était inquiet, car il ne savait pas comment établir les déclarations. Il avait peur en raison de la demande de paiement par un tiers qui avait été exécutée sur son compte en août 1992. Une lettre recommandée de l'ARC, datée du 20 mars 1996, confirme que la société a demandé un délai supplémentaire pour payer jusqu'à ce que le litige relatif au compte client de 20 650,00 $ soit réglé. La pièce A-12 (correspondance de l'ARC datée du 2 décembre 1996) confirmait que tous les comptes de la société à l'ARC, y compris le compte d'impôt sur le revenu des sociétés, les retenues à la source et la TPS, étaient sur le point d'être regroupés sous un seul numéro.

[5]      À la fin de décembre 1996, un état des arriérés de TPS a été envoyé à la société. En février 1997, l'appelant s'est présenté au Bureau des services fiscaux de Peterborough et y a rencontré Kevin Bailey au sujet de son compte. Durant cette rencontre, il a remis à M. Bailey un chèque de 5 000 $ en soulignant son impatience à régler cette dette. D'après le témoignage de l'appelant, les parties ont pris un arrangement selon lequel des paiements futurs de 15 600,00 $ devaient être faits, suivis d'un paiement final d'environ 2 800,00 $; M. Franck serait alors [TRADUCTION] « dégagé de toute dette » (transcription, p. 43). La pièce A-8 confirme qu'il y a eu effectivement un paiement de 5 000,00 $ en février 1997, puis un autre paiement de 5 000,00 $ le 25 mars 1997 et un autre de 5 619,56 $ le 17 avril 1997. Ces trois paiements faits en février, mars et avril 1997 totalisaient 15 619,56 $, ce qui représentait, d'après la pièce A-13 (état des arriérés rédigé par l'ARC), le total de la taxe impayée pour toutes les périodes (sauf les intérêts et les pénalités d'environ 5 000,00 $ respectivement). Après cette première rencontre avec M. Bailey, l'appelant a tenté de le rencontrer une autre fois et de lui téléphoner, mais il n'a pu le faire.

[6]      Lors de son interrogatoire principal, l'appelant a déclaré qu'avant 1990, lorsqu'il a éprouvé des difficultés financières, il travaillait plus fort et pendant de plus longues heures :

[TRADUCTION]

[...] J'ai tout simplement travaillé pour m'en sortir. Mais dans les années 90, c'était impossible, parce qu'il n'y avait plus de travail. [...] Nous étions en pleine récession [...] J'ai essayé de payer ma part des retenues à la source, et j'y suis finalement parvenu [...] La situation ne cessait d'empirer [...] Quant à la TPS, c'était très difficile de la percevoir au début, parce que personne ne voulait la payer [...] On me disait : "Paie-la, toi. Moi, je ne la paie pas." Il y avait donc un contexte très difficile avec la TPS. » (Transcription, pages 48 et 49).

Pendant cette période, en 1993, il s'est adressé à la Banque Nationale pour obtenir du financement dans le but de régler ces dettes. Il a essayé d'avoir un prêt, mais la demande de la société n'a pas été approuvée, parce que la banque voulait des garanties. La maison était au nom de l'épouse de l'appelant, mais pour la mettre en garantie, il devait obtenir un levé d'arpentage. Il a déclaré ne pas avoir eu les 6 000 $ nécessaires pour ce levé.

[7]      En contre-interrogatoire, il a admis qu'il avait toujours su que la société avait des difficultés à faire les versements, mais n'a pas admis qu'il y avait toujours des arriérés. Il a précisé qu'en 1993 plusieurs paiements ont permis de ramener le compte à zéro. Il a rejeté l'affirmation de l'avocate de l'intimée qui disait qu'il favorisait certains créanciers en réglant leur créance avant celle de Revenu Canada. Il s'est exprimé comme suit dans son témoignage :

[TRADUCTION]

[...] J'ai payé tout ce que je pouvais à mes créanciers. Et ma famille et moi, nous avons souffert énormément. Je suis allé en prison parce que je n'avais pas assez d'argent. (Transcription, page 57)

Je ne choisissais pas. Je payais ce que je pouvais [...] (Transcription, page 58).

[...] J'essayais de payer tout le monde [...] J'ai essayé de payer ce qui devait être payé par la société pour qu'elle puisse survivre durant cette période très difficile. Avec un montant de 20 650 $ qui manquait dans mes liquidités - parce que c'était devant les tribunaux - et j'ai attendu cinq ans et demi pour remettre ces 20 600 $ de liquidités dans la société, pendant une récession, alors que le marché était mort, que je devais faire des milles et des milles de route [...] juste pour joindre les deux bouts. (Transcription, page 67)

Il a également déclaré, en réponse à une question de l'avocate de l'intimée, qu'il n'avait pas envisagé d'établir un compte séparé pour les versements après la saisie de 1993 parce qu'il avait peu de retenues étant donné qu'il n'avait pas d'employés. Il a précisé aussi en contre-interrogatoire que, pendant les dernières années, avant que la société mette fin à ses activités en septembre 1998, il s'était rendu au Bureau des services fiscaux tous les mois pour rencontrer un certain M. Baril. Il a souligné que cet homme :

[TRADUCTION]

[...] était la seule personne pendant toutes ces années qui s'est montrée disposée à discuter de mon entreprise avec moi [...]

[...] Je leur ai payé 400 $ par mois tant et aussi longtemps que la société était en activité.

C'est la seule personne, ce M. Oliver Baril, qui a été capable de me guider et de m'aider à m'en sortir. Tous les autres [...]

M. Bailey, je l'ai vu une seule fois. J'aurais probablement été à l'aise avec lui et continué - parce que j'ai commencé à payer. Si j'avais eu un peu plus de temps, j'aurais tout réglé. J'en suis convaincu.

Mais c'était les deux seules personnes. Tous les autres se contentaient de me menacer en disant : "On va te mettre en faillite..." J'ai entendu ça [...] tellement de fois.

Q.         Ils ne l'ont jamais fait, par contre. Ils auraient pu le faire.

R.          [...] Tout ça a duré 15 ans [...] Mais maintenant, je suis toujours là. Après 15 ans [...] C'est le tiers de la vie productive d'un homme. Le tiers! J'ai été pris avec tout ça parce qu'un client ne m'a pas payé les 20 500 $ qu'il me devait. Et à partir de là, tout est allé de pire en pire.

[...] Je n'aurais rien pu faire de différent. (Transcription, pages 70-72)

[8]      Lors de son interrogatoire principal par l'avocate de l'intimée, Nancy Roesler a expliqué qu'elle n'avait pu découvrir aucune mesure positive témoignant de la diligence raisonnable de l'appelant parce que les fonds n'ont pas été tenus séparés et qu'aucun compte bancaire distinct n'avait été établi pour régler le problème. Elle a déclaré que la société tentait toujours de payer les arriérés « après coup » . Pour appuyer ses affirmations, Mme Roesler s'est reportée à un journal du compte de paie, qui n'a pas été versé au dossier de la Cour. En contre-interrogatoire, cependant, elle a concédé que ses dossiers ne montraient pas les cas où une déclaration a été produite à temps avec un paiement. À la page 123 de la transcription, elle a déclaré : [TRADUCTION] « Mais il y a eu certainement des cas où il a fait les versements, c'est vrai. » Et à la page 101 de la transcription, elle s'exprime comme suit :

[TRADUCTION]

On lui a demandé de se présenter, et il a rencontré, je l'ai constaté, Oliver Baril. Il venait au bureau tous les mois pour essayer de faire avancer les choses -

Q.         Mais quand il venait au bureau, c'était toujours pour des arriérés -

R.          Pas toujours, mais parfois.

[9]      En réinterrogatoire, Mme Roesler a précisé que le dossier se trouvait à la Division du recouvrement depuis les années 80 et que, lorsque le compte était en règle, les versements courants manquaient. Soit que la société était en retard, soit qu'elle ne faisait qu'une déclaration partielle lorsqu'elle produisait ses déclarations à temps. Elle a expliqué que, tout au long de cette période, il y a eu des vérifications de la liste de paie et des cotisations pour défaut de versement ont été établies à quelques reprises. Le problème [TRADUCTION] « refaisait surface périodiquement » . (transcription, p. 110)

[10]     Lorsque la Division du recouvrement de l'ARC a accepté de lever la saisie frappant le compte de l'appelant, ce dernier a dû signer un acte de renonciation. D'après Mme Roesler, cet acte de renonciation indiquait que l'appelant savait qu'il était responsable des frais et qu'il assumait cette responsabilité. Toutefois, en contre-interrogatoire, le représentant de l'appelant a fait la preuve que cet acte de renonciation était en réalité un document où le signataire convenait simplement de ne pas se servir de la levée de la saisie comme moyen de défense dans toute poursuite fondée sur la responsabilité des administrateurs.

[11]     Durant l'interrogatoire principal de Mme Roesler, on a présenté des preuves indiquant que la charte de la société a été abandonnée en 1998. L'ARC en a été informée d'une façon ou d'une autre et, selon le journal du compte de paie, en a avisé l'appelant. Mme Roesler a parlé dans son témoignage de la raison de l'abandon de la charte à la page 114 de la transcription : [TRADUCTION] « Je crois comprendre que c'était parce qu'il n'avait pas payé ses droits au ministère. » Elle a ensuite souligné que, d'après le journal, l'appelant devait coopérer en faisant rétablir la charte, ce qu'il a fait.

[12]     Le 21 mai 2003, des cotisations ont été établies à l'égard de l'appelant en tant qu'administrateur de la société, conformément à l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et au paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise, et ces cotisations se chiffraient à 21 870,85 $ (impôt sur le revenu) et à 26 188,03 $ (taxe d'accise). À la lumière des pièces déposées au dossier de la Cour, il semble que ces deux montants soient constitués de ce qui suit :

3 868,06 $ pour l'impôt sur le revenu fédéral impayé

          2 414,79 $ pour l'impôt sur le revenu provincial impayé

1 067,64 $ pour les cotisations au Régime de pensions du Canada non versées

          2 439,74 $ pour les cotisations à l'Assurance-emploi non versées

10 977,24 $ pour les intérêts sur les sommes impayées (impôt/ RPC/AE)

1 285,38 $ pour les pénalités sur les sommes impayées (impôt/ RPC/AE)

          11 784,00 $ pour les versements de TPS non faits

          8 507,66 $ pour les pénalités au titre de la TPS impayée

          5 895,90 $ pour les intérêts sur la TPS impayée

[13]     Il faut décider ici si l'appelant est responsable en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise du défaut de la société de remettre ces montants au receveur général.

[14]     En vertu de ces deux lois, les sociétés ont l'obligation de retenir les impôts et taxes et d'effectuer des retenues à la source puis de verser ces montants au receveur général. Bien que les sociétés soient responsables des montants qui n'ont pas été versés, leurs administrateurs sont aussi solidairement responsables à l'égard de ces montants. L'obligation qui est imposée aux administrateurs est limitée par les paragraphes 227.1(3) et 323(1), qui leur permettent d'être exonérés de cette responsabilité s'ils peuvent montrer qu'ils ont agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. Si un administrateur peut satisfaire à cette obligation de diligence, il se libère de cette responsabilité.

[15]     Je n'éprouve aucune difficulté en l'espèce à conclure que l'appelant a agi comme l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. Il a fait preuve du soin, de la diligence et de l'habileté nécessaires dans les circonstances pour prévenir les défauts de versement. Cet appelant en tant qu'administrateur s'est certainement efforcé d'agir de la sorte. Il n'est pas resté désintéressé et passif. Il a continuellement tenté de s'entendre avec l'ARC et de verser les montants exigibles. Il n'a pas délibérément et en toute connaissance de cause songé à faire en sorte que les montants ne soient pas versés. Bien au contraire. Malgré la récession, les problèmes financiers de la société et les énormes difficultés personnelles qui l'accablaient, l'appelant a continué de chercher à tout prix le moyen de régler cette dette. Il aurait pu facilement se retirer de la société sans attendre et la laisser faire faillite. D'après la preuve, la société avait pour seuls éléments d'actif une vieille voiture avec 550 000 kilomètres au compteur et quelques outils. L'appelant travaillait à partir de sa voiture. Au chapitre de la responsabilité qu'il pouvait avoir personnellement à l'endroit de banques, de fournisseurs et d'autres créanciers, les preuves indiquent que le seul avoir personnel de l'appelant était sa maison et que celle-ci appartenait à son épouse. Il a choisi de ne pas se soustraire à ces responsabilités, ce qu'il aurait pu faire facilement. Il a continué plutôt d'accepter de menus travaux, travaillant à partir de sa voiture sans employés et faisant parfois jusqu'à deux heures de route simplement pour se rendre à un travail. À un moment donné, il a tenté d'obtenir du financement pour régler le compte, mais il ne pouvait pas trouver les 6 000 $ pour payer le levé d'arpentage nécessaire. Certaines des pièces du dossier montrent qu'il a versé d'importantes sommes à l'ARC à l'occasion et que, à un moment donné en 1993, ce compte a été ramené à zéro.

[16]     Selon la preuve, il a eu une longue réunion avec un certain M. Bailey, de l'ARC, au sujet de ce compte en 1997. L'appelant a déclaré qu'il s'était engagé à faire des paiements périodiques. Lorsqu'il est retourné aux bureaux de l'ARC pour y voir M. Bailey avec un autre chèque, il n'a pas pu le faire et a plutôt rencontré un autre fonctionnaire qui, selon l'appelant, a simplement haussé les épaules et pris l'argent. À un autre moment donné, il a tenté encore une fois de rencontrer M. Bailey pour les raisons suivantes :

[TRADUCTION]

Je voulais lui dire que ce chèque était bon, parce que je venais d'obtenir de l'argent. Je lui avais donné un chèque postdaté et je voulais lui faire savoir que le chèque pouvait être encaissé. (Transcription, page 46)

Malgré quelques tentatives, il n'a pu rencontrer de nouveau M. Bailey ni lui parler au téléphone. La deuxième personne à l'ARC qui s'est montrée prête à discuter de ce compte, selon le témoignage de l'appelant, était Oliver Baril. Il a vu M. Baril tous les mois et a commencé à faire des paiements mensuels. Il a déclaré qu'il aurait pu régler le compte au complet si on lui avait laissé le temps de le faire.

[17]     Avant 1990, a-t-il raconté dans son témoignage, lorsque la société a eu des problèmes à verser les montants exigibles, il s'est efforcé de trouver l'argent en travaillant plus fort, plus longtemps et plus souvent. Mais dans les années 90, il n'y avait pas beaucoup de travail et, au dire de l'appelant, 50 % des travailleurs de la construction étaient au chômage.

[18]     Dans son témoignage, l'appelant a expliqué que la société ne payait pas seulement quand il y avait des arriérés, mais qu'elle faisait aussi parfois ses versements en même temps qu'elle produisait ses déclarations. À la page 92 de la transcription, on a posé la question suivante à l'appelant en contre-interrogatoire :

[TRADUCTION]

Q.         Lorsque vous avez effectivement versé ces montants, était-ce pour des arriérés?

R.          Non. Il y a eu des années où un chèque a été envoyé pour le montant qui était alors exigible pour que mon compte soit à jour.

[19]     En outre, Mme Roesler a affirmé que le journal du compte de paie, auquel elle s'est reportée pendant son témoignage, ne précisait pas les cas où une déclaration a été produite en même temps qu'un paiement était fait. Elle a admis qu'il y avait certainement des dates où l'appelant a effectivement versé les montants exigibles (transcription, p. 123). En plus des tentatives faites par l'appelant pour régler les arriérés qui s'accumulaient, la preuve montre qu'il y a certainement eu des cas où il a continué de verser les montants exigibles pour rester à jour.

[20]     Les faits en l'espèce montrent que l'appelant a continué tout au long de cette période de s'occuper des versements exigibles. Ce n'est pas un cas où le contribuable a simplement fermé les yeux en ne faisant absolument rien. Les faits établissent que l'appelant a agi avec le même soin qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[21]     Même si je n'avais pas pu conclure que l'appelant avait fait preuve de diligence raisonnable ici, ce qui n'est pas le cas, vu que j'estime qu'il y a eu diligence de sa part, je crois que je pourrais accueillir les appels parce que les cotisations sont prescrites.

[22]     Bien que les administrateurs soient solidairement responsables des versements non faits à moins qu'ils n'aient prouvé leur diligence, le paragraphe 227.1(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu dispose :

L'action ou les procédures visant le recouvrement d'une somme payable par un administrateur d'une société en vertu du paragraphe (1) se prescrivent par deux ans à compter de la date à laquelle l'administrateur cesse pour la dernière fois d'être un administrateur de cette société.(Non souligné dans l'original.)

La Loi sur la taxe d'accise contient une disposition semblable, le paragraphe 323(5), qui énonce ce qui suit :

L'établissement d'une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu'il a cessé pour la dernière fois d'être administrateur. (Non souligné dans l'original.)

[23]     Selon plusieurs dispositions différentes de la Loi sur les personnes morales de l'Ontario, le lieutenant-gouverneur peut déclarer qu'une personne morale est dissoute. Le paragraphe 319(1) décrit le processus d'abandon de la charte de la personne morale :

(1)         Toute personne morale constituée par lettres patentes peut abandonner sa charte si elle prouve à la satisfaction du lieutenant-gouverneur :

a)          que l'abandon de la charte a été autorisé.

(i)          soit par la majorité des voix exprimées à une assemblée de ses actionnaires ou membres dûment convoquée à cette fin, ou par tout autre vote prévu dans ses lettres patentes ou ses lettres patentes supplémentaires,

(ii)         soit par le consentement écrit de tous ses actionnaires ou membres qui ont le droit de voter à une telle assemblée;

b)          qu'elle s'est départie de ses biens en les répartissant entre ses actionnaires ou membres au prorata de leurs droits et intérêts dans la personne morale;

c)          qu'elle n'a ni dettes, ni obligations, ni engagements ou, si elle en a, qu'ils ont été protégés ou qu'il y a été dûment pourvu ou que ses créanciers ou les autres personnes ayant des intérêts dans ces dettes, obligations ou engagements consentent à l'abandon de la charte;

d)                   qu'il n'y a contre elle aucune instance judiciaire en cours;

e)          qu'elle a donné avis de son intention d'abandonner sa charte en publiant cet avis dans un numéro de la Gazette de l'Ontario et une fois dans un journal publié dans la localité où est situé son siège social ou aussi près que possible de cette localité.

(2)         Dès que la personne morale s'est conformée au présent article, le lieutenant-gouverneur peut, par décret, accepter l'abandon de sa charte et déclarer qu'elle est dissoute à compter de la date fixée dans le décret.

[24]     À mon avis, les preuves montrent que la société a abandonné sa charte en 1998. En fait, l'hypothèse a) de l'appel relatif à l'impôt sur le revenu et l'hypothèse b) de l'appel relatif à la TPS renferment les mêmes termes :

            [TRADUCTION]

La société ( « Franck Construction Co. Ltd. » ) a exercé ses activités du début de l'année 1990 jusqu'en août 1998, date où elle a mis fin à son exploitation;

[25]     L'intimée a formulé l'hypothèse que la société a cessé ses activités en 1998, mais les cotisations ont été établies en 2003. Si la société a abandonné sa charte en 1998, comme le laisse entendre la preuve, alors le délai de prescription énoncé au paragraphe 227.1(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu et au paragraphe 323(5) de la Loi sur la taxe d'accise doit être calculé à partir de cette date. En ce qui concerne les montants non versés avant la dissolution de la société, à cause de l'abandon de la charte, l'appelant ne serait responsable en qualité d'administrateur que si les cotisations étaient établies dans les deux années suivant l'abandon de la charte. Je crois que la reconstitution de la société après l'abandon de sa charte n'aurait aucune pertinence pour ce qui est du fait que la période de deux ans avait déjà débuté.

[26]     En vertu des articles applicables de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur la taxe d'accise, il est clair que les cotisations relatives à la responsabilité de l'administrateur doivent être établies en deçà de deux années suivant la date où la personne a cessé pour la dernière fois d'être administratrice de cette société. Le terme « cesser » (to cease), selon le dictionnaire Merriam-Webster, 10e édition, est défini comme suit :

          [TRADUCTION]

V. transitif : faire en sorte qu'une chose prenne fin, en particulier de façon graduelle; ne plus continuer.

[27]     De même, l'Oxford English Dictionary, 2e édition, le définit de la manière suivante :

          [TRADUCTION]

II. Transitif

(5.)        Mettre un terme à quelque chose (l'action d'autrui, un état), interrompre, faire arrêter.

[28]     Le Black's Law Dictionary, 7e édition, définit le verbe « cesser » comme suit :

[TRADUCTION]

V. 1. Arrêter, abandonner, suspendre ou mettre un terme à quelque chose.

[29]     Par conséquent, le verbe « cesser » n'implique rien d'autre que le fait qu'une personne stoppe une action ou y mette un terme. On peut la recommencer ultérieurement et être quand même considéré l'avoir « cessée » dans le premier cas. Je compare ce terme à l'expression [TRADUCTION] « renoncer et mettre fin à » (cease and desist), que le Black's Law Dictionary définit ainsi :

[TRADUCTION]

Interdire, en parlant d'un tribunal ou d'un organisme, à une personne de persister dans un comportement donné.

[30]     Mon interprétation du verbe « cesser » est confirmée aussi par le contexte qui entoure ce terme dans les dispositions législatives. En précisant que la période de deux ans commence à partir du moment où la personne a cessé pour la dernière fois d'être administratrice, le législateur laisse entendre qu'il pourrait y avoir plus d'une cessation. Les cessations antérieures ne seraient pas pertinentes au regard de la période de deux ans et seule la dernière cessation compterait.

[31]     Si une personne ne cesse jamais d'être administratrice, le délai de deux ans ne s'écoule pas. Toutefois, si la personne a effectivement cessé d'être administratrice, c'est à partir de la dernière cessation que cette période commence. Dans la présente affaire, les preuves corroborent mes conclusions suivant lesquelles l'appelant a cessé d'être administrateur lorsque la société a abandonné sa charte. Lors de l'abandon de la charte en 1998, la société a été dissoute et l'appelant, c'est logique, a cessé d'être administrateur puisqu'il ne pouvait continuer de siéger comme administrateur d'une société qui n'existait plus.

[32]     Par conséquent, lorsque l'appelant a cessé d'être administrateur à cause de l'abandon de la charte en 1998, le délai de prescription de deux ans énoncé dans les dispositions applicables de chaque loi a commencé à s'écouler et aurait pris fin bien avant les cotisations de 2003.

[33]     L'abandon de la charte en 1998 est confirmé par le témoignage de Mme Roesler. En interrogatoire principal, elle s'est exprimée comme suit :

[TRADUCTION]

Q.         Et en 1998? En ce qui concerne la charte de la personne morale, pouvez-vous nous dire ce qui est arrivé en 1998?

R.          Eh bien, oui. Il y avait deux notes dans le journal. La première concernait l'abandon de la charte - et l'agent des recouvrements en avait informé M. Franck. Je pense que c'était parce qu'il n'avait pas versé ses droits au ministère.

            Il a dit qu'il s'arrangerait pour que la charte soit rétablie, ce qu'il a fait, puisqu'il y a eu rétablissement de la charte.

            Je crois, juste pour vous donner une date, que c'est arrivé le 23 septembre 1997; il rencontrait alors un des agents des recouvrements, et je crois effectivement que c'était Oliver Baril qui l'a rencontré à cette date.

            Il a noté que la société était rétablie et active; que M. Franck avait payé 465,00 $ au ministre des Finances.

            Et M. Franck a montré à notre agent des recouvrements une copie du chèque portant l'estampille [TRADUCTION] « Reçu par le MCC, Direction des compagnies, le 27 août 1997 » .

Q.         Donc, pour l'essentiel, c'est l'ARC qui a aidé M. Franck en lui disant que sa charte devait être rétablie?

[34]     Lors de son contre-interrogatoire par le représentant de l'appelant :

[TRADUCTION]

Q.         Les avis de cotisation sont datés du 21 mai 2003, c'est bien cela?

R.          Je crois que c'est ça, oui.

Q.         Est-ce que c'est un délai normal?

R.          Ça peut arriver. Il y a eu de nombreuses rencontres avec M. Franck. Comme je l'ai dit, je pourrais passer chaque page - oui, ça arrive. La charte de la société est toujours valide. Nous discutons encore avec le contribuable. Ils parlent encore de l'équité. En 1998, ils ont reçu des chèques postdatés.

Q.         Le fait que la charte de la personne morale soit encore valide, c'est seulement en raison de l'intervention de Revenu Canada. Est-ce exact?

R.          Je ne sais pas, finalement - non, c'était - ils lui ont mentionné que sa charte avait été « abandonnée » . Il a choisi de la faire rétablir. Néanmoins, la question de savoir s'il l'a fait ou non - ça n'atténuerait en rien sa responsabilité comme administrateur.

[35]     Dans ces deux extraits de la transcription, il semble que le témoin, le représentant de l'appelant et l'avocate de l'intimée aient accepté le fait que la charte a été abandonnée.

[36]     Je conclus comme avéré que la société a abandonné sa charte et que cet abandon a effectivement entraîné la dissolution de la société, même si ce n'est que pour une brève période. Bien que les parties ne se soient pas attardées à la question de la prescription des cotisations, une des hypothèses de l'intimée mentionne quand même le fait que la société a cessé ses activités en 1998. L'avocate de l'intimée a mentionné aussi brièvement l'abandon de la charte dans ses observations, à la page 162 de la transcription, où elle fait savoir ce qui suit : [TRADUCTION] « Nous avons fait preuve d'une très grande clémence à l'endroit de l'appelant à partir de 1982 jusqu'au moment où, en 1998, nous l'avons informé que la charte de la société avait été abandonnée. »

[37]     Certaines preuves laissent croire que la charte n'a peut-être pas été abandonnée. Mme Roesler précise que, selon elle, l'abandon de la charte découlait du fait que M. Franck n'avait pas payé ses droits au ministère, ce qui implique que le lieutenant-gouverneur a décrété que la société devait être dissoute « pour cause » au sens de l'article 317 de la Loi sur les personnes morales de l'Ontario. En vertu de cet article, une personne morale peut être reconstituée au moyen des procédures décrites au paragraphe 317(10). Avec cette reconstitution, c'est comme si la dissolution n'avait jamais eu lieu. Cela signifie que la société n'a jamais été dissoute et que l'appelant n'a jamais cessé d'être administrateur. Les cotisations ne seraient alors plus prescrites. Toutefois, dans sa déclaration au sujet du paiement des droits au ministre, Mme Roesler émet simplement une hypothèse puisqu'elle utilise les termes [TRADUCTION] « je crois comprendre » (I gather). La prépondérance de la preuve appuie ma conclusion, soit que la charte a été abandonnée au sens de l'article 319 de la Loi sur les personnes morales de l'Ontario, que l'appelant a cessé d'être administrateur en 1998 et que, en conséquence, les cotisations de 2003 sont prescrites.

[38]     Pour les motifs susmentionnés, les présents appels sont donc accueillis, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juin 2005.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de septembre 2006.

Mario Lagacé, jurilinguiste

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