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Dossier : 2002-3181(IT)I

2002-4924(IT)I

ENTRE :

ALAIN BERGERON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 25 juin 2003 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions :

Représentantes de l'appelant :

Annie Chabot et Christine Gagnon

Avocat de l'intimée :

Me Mounes Ayadi

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JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ) pour les années d'imposition 2000 et 2001 sont admis, sans frais et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant a droit au crédit pour déficience mentale ou physique grave et prolongée aux termes des articles 118.3 et 118.4 de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d'octobre 2003.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


Référence : 2003CCI744

Date : 20031016

Dossier : 2002-3181(IT)I

2002-4924(IT)I

ENTRE :

ALAIN BERGERON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

[1]      Il s'agit d'appels entendus selon la procédure informelle de cotisations établies par le ministre du Revenu national ( « Ministre » ), par lesquelles on a refusé à l'appelant un crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique grave et prolongée pour les années d'imposition 2000 et 2001, aux termes des articles 118.3 et 118.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ).

[2]      Il ressort de la preuve que l'appelant est suivi par son médecin généraliste le docteur Carmen Figueroa Abarca, depuis 1991. À la recommandation du docteur Abarca et à la demande de son ex-employeur, la ville de Westmount, l'appelant a consulté différents spécialistes, psychologues et psychiatres. Ainsi, il a subi plusieurs expertises psychiatriques dans les années 1992 à 1998.

[3]      Selon le témoignage du docteur Abarca, les différentes expertises psychiatriques arrivent à différentes conclusions quant au diagnostic donné sur l'état de l'appelant. Le docteur Christophe Nowakowski en a fait un résumé dans la dernière expertise psychiatrique qui semble avoir été faite en avril 1998 à la demande de la représentante syndicale de l'appelant, et que l'on retrouve à la pièce A-1, onglet 6. Ainsi, en 1992, le docteur Fernand Couillard, psychiatre, a décelé chez l'appelant un diagnostic de trouble de personnalité timoré pour lequel un suivi psychothérapeutique a été recommandé (voir pièce A-1, onglet 6, page 11). Par ailleurs, le docteur Suzanne Lamarre, psychiatre, s'est montré en désaccord avec ce diagnostic sans toutefois poser de diagnostic ferme (voir pièce A-1, onglet 6, page 15). Elle a par la suite conclu à une hypomanie probable et a prescrit à l'appelant une médication antipsychotique (voir pièce A-1, onglet 6, page 17). Elle devait diagnostiquer par la suite chez le patient une psychose maniaco-dépressive (voir pièce A-1, onglet 6, page 18).

[4]      Par ailleurs, le docteur Hervé Brunet, psychiatre, écrivait dans un rapport psychiatrique fait en 1995 ce qui suit en ce qui concerne l'appelant :

Cette difficulté d'appréciation de la réalité et de ses conséquences pour lui même ou pour autrui altère de façon majeure son fonctionnement social et professionnel. Cette altération est, selon moi, grave et persistante et ne lui permet pas de reprendre son activité professionnelle antérieure de façon sécuritaire pour lui même ou autrui. (Voir pièce A-1, onglet 6, page 22.)

[5]      Dans une autre expertise produite le 25 septembre 1995, le docteur Pierre Laberge, psychiatre concluait que le principal symptôme de l'appelant était un trouble du cours de la pensée. Le docteur Laberge considérait que l'appelant souffrait « d'une personnalité structurée sur le mode psychotique, ce qui émousse passablement les sens des responsabilités » (voir pièce A-1, onglet 6, page 24). Le docteur Laberge écrivait ceci :

[...] l'altération, au sens générique du terme de la personnalité dans le cas présent est grave et persistante. (Voir pièce A-1, onglet 6, page 25.)

[6]      En avril 1996, le docteur René Laperrière écrivait ce qui suit dans le cadre d'une nouvelle expertise :

Il s'agit essentiellement d'une condition personnelle. Il m'apparaît inapte à effectuer son travail régulier, qui exige un mode de pensée logique et la capacité de prendre des responsabilités parfois graves de conséquences.

Je ne recommande aucun traitement et le pronostic m'apparaît réservé, d'autant plus que l'état semble s'être stabilisé depuis qu'il a découvert avec le docteur Lamarre la source et la cause de son mode de pensée psychotique.

En ce qui concerne les recommandations au sujet de la gestion de cette absence, il m'apparaît que cet homme pourrait possiblement effectuer un travail simple, sans responsabilité et n'exigeant qu'un jugement minimum et très concret. (Voir pièce A-1, onglet 6, page 32.)

[7]      Le 22 mai 1996, docteur André Monette, psychiatre, s'exprimait ainsi dans un rapport d'évaluation médicale sur l'appelant :

Il semble évident que monsieur Bergeron ait présenté de fin 1991 à 1995 un trouble psychiatrique très atypique, qu'on a finalement qualifié d'un trouble affectif atypique avec psychose épisodique. Il a, en bonne partie, récupéré de cet état, et il ne lui reste actuellement que des séquelles qui semblent mineures, mais qui ne sauraient être qualifiées sans que son fonctionnement puisse être évalué sur le terrain. (Voir pièce A-1, onglet 6, page 33.)

[8]      Il est à noter également que l'appelant a été hospitalisé pendant 71 jours en 1993 et 1994. On avait diagnostiqué à ce moment un trouble de personnalité schizotypique (voir pièce A-1, onglet 6, page 34).

[9]      Le 11 avril 1998, le docteur Christophe Nawakowski, psychiatre, effectuait une dernière expertise psychiatrique sur l'appelant, à la demande de la représentante syndicale de ce dernier, afin de déterminer s'il était apte à travailler. Après avoir analysé toutes les expertises précédentes et interrogé l'appelant, il résume l'examen mental de ce dernier comme suit :

EXAMEN MENTAL

Monsieur Bergeron est un homme de 45 ans au moment de l'examen, qui est éveillé alerte et bien orienté quant au temps, aux lieux et aux personnes. La collaboration à l'entrevue est volontaire et adéquate, mais néanmoins marquée par un discours qui est évasif, digressif, tangentiel, et se perd en exemples qui sont parfois peu pertinents. Il est difficile d'obtenir une réponse directe à une question directe.

Je ne note toutefois aucun déficit apparent au plan de la concentration, de la mémoire ou de la compréhension qui pourraient être facilement attribuables à une cause organique.

L'affect est présent, sans signes évidents d'anxiété ni de dépression. Cependant, cet affect a une curieuse qualité à la fois superficielle et détachée. La pensée est cohérente et bien structurée, et avec un contenu dans lequel on note certaines idées surinvesties notamment au sujet de l'écriture et de la capacité de changer le monde par l'écriture. Il n'y a toutefois pas de symptômes psychotiques francs sous forme de délire ni d'hallucinations. (Voir pièce A-1, onglet 6, page 43.)

[10]     Bien qu'il dit ne pas pouvoir déterminer avec précision le diagnostic applicable à l'appelant (voir pièce A-1, onglet 6, page 44), le docteur Nawakowski retient la possibilité d'une maladie schizo-affective et d'un trouble psychotique non spécifié chez l'appelant. Selon le docteur Nowakowski, « l'orientation générale du tableau clinique est clairement celle d'un trouble de personnalité » (voir pièce A-1, onglet 6, page 47). Il explique ceci ainsi :

Pour comprendre ce diagnostic, il faut d'abord se référer à la notion de structure de personnalité. Par cela, on entend en psychologie ce qui est généralement défini dans le langage populaire comme le caractère d'une personne. Cette structure de personnalité peut être définie comme l'ensemble des mécanismes et attitudes utilisés par un individu pour faire face aux inévitables difficultés de la vie relationnelle et intrapsychique.

[...]

Actuellement, monsieur Bergeron se dit relativement asymptomatique. En effet, après une période de déstabilisation dont le point culminant a été entre le début de 1992 et le milieu de 1994, il semble avoir reconstitué un nouvel équilibre psychologique. Celui-ci demeure toutefois précaire, et il devient de plus en plus clair comment, dans le contexte de cet équilibre précaire, monsieur Bergeron est incapable de faire face à la réalité. Il a toujours tendance à fuir la réalité, et à se réfugier dans une forme de pseudo-communauté dans un monde superficiel et irréel.

Compte tenu de la structure de personnalité fragile sous-jacente, avant que monsieur Bergeron puisse abandonner un tel mécanisme de défense, et s'intégrer de façon productive dans la réalité quotidienne, il se passera sans doute plusieurs années, et même cela risque de ne jamais arriver. Il ne peut non plus bénéficier d'aucune aide thérapeutique pour accélérer ce processus, à moins d'être motivé lui-même pour en recevoir, ce qui pour l'instant n'est pas le cas. L'effet d'une quelconque démarche thérapeutique sans son plein consentement le mettrait à risque d'une nouvelle décompensation.

Ainsi, monsieur Bergeron se retrouve toujours dans un état tel qu'il peut difficilement faire face à la réalité et s'il y était obligé par un emploi régulier quelconque, il y a de fortes chances pour qu'une nouvelle décompensation se manifeste.

Pour cette raison, je considère que monsieur Bergeron est certainement inapte à exercer le métier de pompier, tout comme il est présentement et ce pour une période prolongée et indéfinie, inapte à exercer tout emploi.

CONCLUSIONS

1.     Monsieur Bergeron présente depuis 1991 une décompensation symptomatique d'une structure de personnalité préexistante qui était fragile. Techniquement, sa condition rentre dans la catégorie des troubles de personnalité, même s'il ne présente aucun trouble de personnalité qui rentre dans les catégories prédéfinies du DSM. Néanmoins, il est possible de poser des diagnostics en dehors de ce schème de classification, et l'étiquette qui semble la plus juste, bien qu'elle soit tirée d'un autre cadre de référence, est celle qui a été posée par le docteur Laberge, soit de personnalité structurée sur un mode psychotique.

[...]

4.     Actuellement, monsieur Bergeron a atteint depuis peu un nouvel équilibre psychologique, mais cet équilibre demeure extrêmement fragile. Compte tenu des mécanismes de défense qui sont utilisés et qui ont été plus amplement expliqués dans la discussion précédente, monsieur Bergeron est incapable de faire face aux exigences normales de la réalité. Face à de telles exigences sur une base soutenue, comme cela arrive au travail, une nouvelle rechute de ses problèmes que l'on a connue en 1992, 1993 et 1994 est probable. De plus, cette vulnérabilité demeurera sans doute de façon prolongée ou indéfinie. Pour cette raison, je considère que monsieur Bergeron est inapte à tout emploi. (Voir pièce A-1, onglet 6, pages 47, 51, 52 et 53.)

[11]      Ayant pris connaissance de tous ces rapports, et suivant l'appelant de près depuis 1991, le docteur Abarca a accepté de signer le certificat pour le crédit d'impôt pour personnes handicapées pour l'appelant. Elle a ainsi complété un premier formulaire, le 2 mars 2000 (pièce I-1), dans lequel elle a indiqué que l'appelant souffrait d'une limitation permanente depuis 1991. Elle répondait également par la négative à la question de savoir si le patient était capable de réfléchir, de percevoir et de se souvenir, à l'aide de médicaments ou d'une thérapie si nécessaire sans prendre un temps démesuré pour exécuter une telle activité. Elle expliquait ceci par un déséquilibre psychologique. Toutefois, elle n'a pas répondu à la question numéro 9 de la Partie B de ce formulaire, qui se lit comme suit :

9.          La déficience est-elle suffisamment grave pour limiter, en tout temps ou presque, l'activité essentielle de la vie quotidienne même si le patient utilise des appareils appropriés, prend des médicaments ou suit une thérapie?

[12]      Par ailleurs, elle complétait ainsi un deuxième formulaire, le 29 novembre 2000 (pièce I-2), dans lequel elle précisait davantage le problème de l'appelant relié à ses facultés mentales : « le déséquilibre psychique [...] lui provoquant difficulté de concentration et de réflexion (clause 4) [facultés mentales] » . Elle n'a pas répondu, non plus, à la question numéro 9 de la Partie B, dans ce deuxième formulaire.

[13]      Dans un questionnaire complété le 4 mai 2000, à la demande de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » ) (pièce I-3), le docteur Abarca réitère essentiellement que l'appelant souffre d'un déséquilibre psychologique.

[14]      Le 8 août 2002, le docteur Abarca complétait un autre formulaire dans lequel elle posait à nouveau le diagnostic d'un « déséquilibre psychologique; difficulté de réfléchir et de concentration » . Elle répondait toutefois par la négative à la question suivante :

Est-ce que la limitation marquée d'une activité courante de la vie quotidienne, la cécité ou le besoin de suivre des soins thérapeutiques essentiels de votre patient a duré ou est-il raisonnable de s'attendre à ce qu'il dure au moins 12 mois consécutifs? (Voir pièce A-1, onglet 3, Partie B, Durée.)

[15]      Dans une lettre datée du 19 mars 2002, le docteur Abarca écrit ce qui suit au sujet de l'appelant et du formulaire signé le 8 août 2002 :

Son état mental du début de son incapacité a varié avec une certaine amélioration, en lui enlevant le stress, la séparation de son épouse, la curatelle, et pour le reste la garde partagée de ses enfants. Il a (sic) resté toujours avec des difficultés à réfléchir, à percevoir et à se souvenir. Dans les entrevues à mon bureau depuis 2000-2001-02 son état psychique fluctue beaucoup, ce qui me fait penser que son jugement restera inchangé à l'avenir.

En ce qui a trait à la question pour obtenir un crédit d'impôt, la question : capacité à percevoir, réfléchir, et souvenir a été répondu (sic) non, avec un commentaire « voir diagnostique » dans la feuille. A la question limitation marquée d'une activité courante : j'ai répondu non, mais aurait dû être oui, car j'ai écrit dans le diagnostic : difficulté à réfléchir et concentration. (Voir pièce A-1, onglet 7.)

[16]      Le docteur Abarca est venue confirmer en cour la teneur de cette dernière lettre. Elle a ajouté que, selon elle, l'appelant était limité de façon marquée dans ses activités mentales de façon quotidienne puisqu'il éprouvait des problèmes relationnels et qu'il n'y avait aucun changement prévisible. En contre-interrogatoire, elle a reconnu que l'appelant pouvait prendre soin de lui-même, vivre seul, et conduire une automobile. De plus, bien qu'il ne puisse plus travailler à cause de son état mental, il a déjà agi comme bénévole dans un centre communautaire. Toutefois, elle a indiqué qu'en situation de stress, l'appelant pouvait devenir psychotique. Il est clair que son sens de la réalité est altéré, et le docteur Abarca a réitéré dans son témoignage la conclusion des psychiatres que l'appelant a une personnalité structurée sur le mode psychotique.

[17]      L'appelant a également témoigné. Il reçoit, depuis 1998, une rente d'invalidité de la Régie des rentes du Québec. Il a été placé sous curatelle en 1994 pendant 10 mois. Il est divorcé et a trois enfants. Bien qu'il dit avoir la garde de ses deux plus jeunes, ils sont tous les deux placés en centre d'accueil. L'appelant dit s'occuper quotidiennement à faire du bricolage dans la maison selon ses capacités. Il sait maintenant faire fonctionner l'ordinateur et a appris à « chatter » . Il dit faire du bénévolat et fait partie d'un groupe pour aider les gens qui ont des problèmes sociaux dans lequel il dit agir comme secrétaire-trésorier. En 2001, il aurait acheté une maison et ses enfants seraient revenus avec lui. En 2002, les enfants seraient retournés en centre d'accueil.

[18]      L'appelant aura droit à un crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique si les conditions prévues au paragraphe 118.3(1) de la Loi sont réunies. Ces conditions sont les suivantes :

a)         le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1)     les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2)      un médecin [...] atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée,

b)        le particulier présente au Ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition.

[19]      Le paragraphe 118.4(1) de la Loi définit une déficience grave et prolongée ainsi :

ARTICLE 118.4: Déficience grave et prolongée.

       (1) Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe:

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

b) la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier:

(i) la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii) le fait de s'alimenter et de s'habiller,

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv) le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v) les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

(vi) le fait de marcher;

d) il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

[20]     Ici, c'est la capacité limitée de façon marquée de penser, de percevoir et de se souvenir de l'appelant qui est mise en cause. Dans l'affaire Radage c. Canada, [1996] A.C.I. no 730 (Q.L.), au paragraphe 46, le juge Bowman donnait certaines lignes directrices quant à l'interprétation à donner à ces concepts :

a)      L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

b)      La Cour doit, tout en reconnaissant l'étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d'une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d'une façon étroite et technique.

[...]

[...] Pour donner effet à l'intention du législateur, qui est d'accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu'à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante. L'article 12 de la Loi d'interprétation se lit comme suit :

         Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

c)      S'il existe un doute quant à savoir de quel côté de la limite se situe une personne demandant le crédit, on doit accorder à cette personne le bénéfice du doute.

d)      Les significations que j'ai tenté d'attribuer aux termes "la perception, la réflexion [la pensée] et la mémoire" correspondent davantage à des lignes directrices qu'à des définitions, soit :

La perception :                Réception et reconnaissance de données sensorielles sur le monde extérieur d'une manière raisonnablement conforme à l'expérience humaine commune.

La pensée :                     Compréhension, sélection, analyse et organisation rationnelles de ce que la personne a perçu et formulation de conclusions y afférentes ayant une utilité pratique ou une valeur théorique.

La mémoire : Activité mentale consistant à emmagasiner des données perçues et à les récupérer d'une manière qui permette à la personne d'accomplir raisonnablement l'activité qu'est la pensée.

        Dans ces lignes directrices, j'ai souligné la nécessité de reconnaître la manière dont une fonction dépend des autres et la nécessité de chercher à relier l'usage de ces fonctions à un résultat significatif dans la vie quotidienne.

e)      Enfin, il faut considérer-et c'est le principe le plus difficile à formuler-les critères à employer pour en arriver à déterminer si la déficience mentale est d'une telle gravité que la personne a droit au crédit, c'est-à-dire que la capacité de cette personne de percevoir, de penser et de se souvenir est limitée de façon marquée au sens de la Loi. Il n'est pas nécessaire que la personne soit complètement automate ou dans un état anoétique, mais la déficience doit être d'une gravité telle qu'elle imprègne et affecte la vie de la personne au point où cette dernière est incapable d'accomplir les activités mentales permettant de fonctionner d'une manière autonome et avec une compétence raisonnable dans la vie quotidienne.

[21]      L'intention du législateur en édictant les articles 118.3 et 118.4 de la Loi, tel qu'interprété par le juge Bowman ci-haut, a été repris avec approbation par la Cour d'appel fédérale dans Johnston c. Canada, [1998] A.C.F. no 169 (Q.L.), aux paragraphes 10 et 11. Le juge Létourneau rajoute ceci au paragraphe 11 :

[11]    En effet, même si elles ne s'appliquent qu'aux personnes gravement limitées par une déficience, ces dispositions ne doivent pas recevoir une interprétation trop restrictive qui nuirait à l'intention du législateur, voire irait à l'encontre de celle-ci.

[22]      Le juge Marceau ajoutait ceci au paragraphe 2, de ses propres motifs :

[...] Il est clair que les dispositions en cause s'adressent aux personnes gravement handicapées qui n'ont pas constamment besoin d'aide pour accomplir les activités courantes de la vie quotidienne. Ces dispositions ont été adoptées précisément compte tenu de ce qui précède, ce qui, en passant, explique pourquoi le crédit n'est pas accordé aux personnes qui ont droit à une déduction à l'égard des frais engagés en vue de recevoir des soins en établissement. Il me semble que le Parlement n'a pu se servir des qualificatifs " de façon marquée ", " excessif " et " presque toujours ", lesquels n'ont pas été définis, de manière à ce qu'aucune personne capable de vivre avec un certain degré d'autonomie malgré certains handicaps ne serait exclue.

[23]      En l'instance, il ressort des expertises psychiatriques dont il a été fait référence dans la preuve, que l'appelant souffrait d'un trouble de personnalité structuré sur un mode psychotique. Ce trouble est traduit par une incapacité de l'appelant à faire face aux exigences normales de la réalité. Bien qu'à certaines périodes, les médecins s'entendent pour dire que l'appelant ait atteint un nouvel équilibre psychologique, il semble également y avoir consensus pour dire que l'appelant est vulnérable et peut à tout moment faire une rechute et que cette vulnérabilité demeurera sans doute de façon prolongée ou indéfinie.

[24]      Est-ce à dire que ce trouble de personnalité affecte la capacité de l'appelant, sur le plan de la perception, de la réflexion et de la mémoire, de façon si grave qu'il en devient incapable d'accomplir les tâches mentales nécessaires pour fonctionner d'une façon indépendante et compétente dans la vie quotidienne?

[25]      Bien que n'ayant pas répondu à cette question précise dans les formulaires qu'elle a complétés par écrit (voir pièces I-1 et I-2), le docteur Abarca a clarifié sa position lors de son témoignage et par la lettre qu'elle a signée le 19 mars 2002 (voir pièce A-1, onglet 7). Elle conclut définitivement à un équilibre psychologique précaire entraînant des difficultés de réflexion et de concentration. Elle a clairement indiqué qu'elle appuyait sa conclusion sur les rapports psychiatriques mentionnés en preuve, (dont certains font état, entre autres, d'un trouble du cours de la pensée) de même que sur la constatation qu'elle a pu elle-même se faire de l'état évolutif psychologique de son patient. Le témoignage du docteur Abarca est tout à fait recevable pour clarifier l'attestation médicale qu'elle a fournie aux fins d'établir le droit au crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique (voir Buchanan c. Canada, [2002] A.C.F. no 838 (Q.L.)).

[26]      Il est vrai qu'à certaines périodes, l'appelant retrouve un certain équilibre psychologique. À preuve, ses enfants sont revenus chez lui pendant une certaine période. Il peut bricoler dans la maison ou même jouer sur l'ordinateur. Mais la preuve est suffisante pour dire qu'il s'agit d'un équilibre fragile et que les possibilités de rechute dans un état psychotique sont présentes en permanence.

[27]      De plus en cas de doute, les tribunaux ont accepté d'accorder le bénéfice du doute au contribuable.

[28]      À mon avis, l'appelant a démontré selon la prépondérance des probabilités qu'il souffrait d'une déficience mentale grave et prolongée et que les effets de cette déficience sont tels que la capacité pour lui d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne (à savoir la perception, la réflexion et la mémoire) est limitée de façon marquée au sens de la Loi.

[29]      Pour ces raisons, je suis d'avis d'accueillir ces appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d'octobre 2003.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


RÉFÉRENCE :

2003CCI744

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-3181(IT)I et 2002-4924(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Alain Bergeron c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 25 juin 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

le 16 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :

Annie Chabot et Christine Gagnon

Pour l'intimé(e) :

Me Mounes Ayadi

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant(e) :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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