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Dossier : 2003-4429(GST)I

ENTRE :

BRAMPTON VEE WORLD MOTORS LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 17, 18 et 19 octobre 2005, le 28 février 2006

et les 1er, 2 et 3 mars 2006 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge E.A. Bowie

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Khalil Hassan

Avocate de l'intimée :

Me Lorraine Edinboro

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation concernant la taxe sur les produits et services établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise pour la période du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1998, dont l'avis est daté du 23 janvier 2003 et porte le numéro 05DP0015671, est accueilli, et la cotisation est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'août 2006.

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de novembre 2006.

Jean David Robert, traducteur


Référence : 2006CCI453

Date : 20060809

Dossier : 2003-4429(GST)I

ENTRE :

BRAMPTON VEE WORLD MOTORS LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie

[1]      L'appelante interjette le présent appel sous le régime de la procédure informelle de la Cour à l'encontre d'une cotisation concernant la taxe sur les produits et services (la « TPS » ) établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise[1] (la « Loi » ) pour la période du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1998. La cotisation a été établie le 23 janvier 2003 et le ministre y a ajouté les montants suivants à la dette de l'appelante pour cette période :

Taxe supplémentaire

17 317,29 $

Pénalités

10 200,05

Intérêts

4 516,19

Les pénalités et les intérêts se rapportent apparemment à la période se terminant le 2 mai 2000, date à laquelle le répartiteur de la TPS a envoyé à l'appelante ce qui est connu dans le jargon de l'Agence du revenu du Canada[2] comme une lettre de proposition. En ce qui concerne toute période ultérieure, l'appelante s'est seulement fait dire : [traduction] « [...] les intérêts et les pénalités augmentent quotidiennement sur tout solde impayé. »

[2]      Il n'est pas contesté que la cotisation est frappée de prescription, car elle a été établie plus de quatre ans après la production de la dernière déclaration de revenus pour la période en cause. L'appelante n'a pas non plus signé de renonciation en application du paragraphe 298(7) de la Loi. L'intimée doit donc justifier le droit du ministre d'établir une cotisation à l'égard de l'appelante en vertu du paragraphe 298(4) de la Loi[3]. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

298(4) Une cotisation peut être établie à tout moment si la personne visée a :

a)         fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire;

b)         commis quelque fraude en faisant ou en produisant une déclaration selon la présente partie ou une demande de remboursement selon la section VI ou en donnant, ou en ne donnant pas, quelque renseignement selon la présente partie;

c)         produit une renonciation en application du paragraphe (7) qui est en vigueur au moment de l'établissement de la cotisation.

[3]      Les deux actionnaires de l'appelante sont Manuel Aguiar et Maria Aguiar. L'Agence a procédé à une analyse de l'actif net de M. et de Mme Aguiar qui visait les années de base 1993, 1994, 1995 et 1996 et qui a amené la vérificatrice à la conclusion que dans leurs déclarations de revenus pour ces années-là ils avaient collectivement omis d'inclure dans le calcul de leurs revenus les montants suivants :

1994

87 603,10 $

1995

39 464,89

1996

22 371,37

La conclusion de la vérificatrice était que l'entreprise de l'appelante constituait la seule source viable des montants non déclarés, et puisque M. et de Mme Aguiar détenaient respectivement 50 % des actions de l'appelante, chacun d'eux a fait l'objet de nouvelles cotisations fondées sur la moitié de ces montants. L'appelante a aussi fait l'objet de nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu au motif que la source des montants que les actionnaires n'avaient pas déclarés correspondait à des revenus que l'entreprise n'avait pas déclarés pour les mêmes années. Les Aguiar et leurs conseillers ont longuement discuté avec les responsables de l'Agence après l'établissement de ces nouvelles cotisations. Les Aguiar et l'appelante n'ont pas interjeté appel des nouvelles cotisations, mais ils ont toujours nié l'allégation voulant qu'eux ou l'appelante n'aient pas déclaré les revenus qu'ils avaient reçus pendant la période en cause. Leur omission d'appeler de ces cotisations, disent-ils, était attribuable aux frais très importants que leurs avocats leur auraient facturés pour le faire.

[4]      L'avocate de l'intimée a appelé trois témoins, le répartitrice de l'impôt sur le revenu, le répartiteur de la TPS et M. Manuel Aguiar. M. Aguiar était, pendant la période en cause, l'âme dirigeante de la société appelante. L'entreprise de l'appelante consiste à acheter et à vendre des véhicules d'occasion ainsi qu'à entretenir et à réparer des automobiles. Son revenu prend la forme de chèques, de paiements par carte de crédit et, dans une moindre mesure, d'argent comptant. Pendant la période visée par le présent appel, la secrétaire de M. Aguiar était responsable de la tenue de la comptabilité quotidienne et des dépôts en espèces, et un certain M. Majeed examinait les livres de temps en temps et établissait des états non audités pour le compte de la société de même que ses déclarations de revenus. M. Majeed a fait son stage dans une société de comptables agréés, mais il n'a pas lui-même passé les examens requis pour devenir comptable agréé. Cependant, il exerce le métier de comptable depuis de nombreuses années et il est le comptable de l'appelante depuis 1977. La secrétaire qui a travaillé pour le compte de la société pendant les années en cause n'a pas été en mesure de témoigner pour des raisons de santé. La fille de M. Aguiar, qui a remplacé la secrétaire dans ses fonctions lorsque celle-ci est tombée malade, a témoigné tout comme M. Majeed.

[5]      La vérificatrice de l'impôt sur le revenu a exposé en détails les sources des renseignements sur lesquels elle s'est fondée pour préparer les analyses d'actif net et pour établir les nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu. Abstraction faite de quelques erreurs mineures, qu'elle a reconnues lors de l'interrogatoire principal, son témoignage m'a convaincu qu'elle a eu raison d'en arriver à ses conclusions sur les revenus non déclarés de M. et de Mme Aguiar. La grande majorité des renseignements qu'elle a utilisés provenait soit de chacun des contribuables et de leurs représentants ou de sources fiables telles que des registres bancaires. Elle a veillé méticuleusement à ce que les contribuables aient l'occasion de faire des commentaires sur les renseignements qu'elle collectait d'autres sources, et elle leur a laissé le bénéfice du doute sur de nombreux points litigieux. En l'espèce, je suis convaincu que les nouvelles cotisations qu'elle a établies à l'égard de M. et de Mme Aguiar étaient justifiées. Là où je ne puis admettre son témoignage, cependant, c'est lorsqu'elle conclut que la seule source possible des revenus non déclarés de M. et de Mme Aguiar correspond aux revenus non déclarés de la société Brampton Vee World Motors Limited, une conclusion que le vérificateur de la TPS semble avoir tenue pour acquise.

[6]      Il convient au point où nous en sommes, je pense, de dire quelques mots sur les actes de procédure déposés en l'espèce. Au moment où a eu lieu l'audience, l'avis d'appel avait déjà été modifié à deux reprises. Le deuxième avis d'appel modifié est prolixe à l'extrême, et je plains l'avocate qui a dû plaider la cause de l'intimée. Le sous-procureur général n'est pas pour autant déchargé de son obligation, qui a fait l'objet de plus d'un commentaire de la Cour, de faire en sorte que ses actes de procédure exposent de façon juste et franche les hypothèses de fait qui ont donné lieu à la cotisation visée par l'appel et non pas des conclusions de droit ou des conclusions mixtes de droit et de fait. En l'espèce, les paragraphes 12 et 13 de la réponse à l'avis d'appel qui a été déposée pour le compte de l'intimée sont censés satisfaire à cette obligation.

[traduction]

12.        En établissant une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante, le ministre a formulé les hypothèses de fait suivantes :

a)          à toutes les époques pertinentes, l'appelante était un inscrit aux fins de la TPS et elle exploitait une entreprise de vente de voitures d'occasion et de réparation d'automobiles;

b)                   l'appelante n'a pas tenu des registres en la forme et avec les renseignements permettant d'établir ses obligations et responsabilités aux termes de la partie IX de la Loi comme l'exige le paragraphe 286(1) de la Loi;

c)                   pendant la période en cause, l'appelante a omis de déclarer un montant de TPS d'au moins 17 317,29 $ se rapportant à des fournitures taxables au sens de la Loi dans les délais et selon les modalités prescrits.

13.               En omettant de déclarer la TPS mentionnée à l'alinéa 10d), l'appelante a sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, dans l'exécution d'une fonction ou d'une obligation prévue par la Loi, fait un faux énoncé dans les déclarations de TPS produites pour la période en cause, ou y a participé, y a consenti ou y a acquiescé, et, donc, la taxe nette payable selon les déclarations de TPS de l'appelante produites pour la période en cause n'était pas inférieure à la taxe nette réelle à payer, l'écart correspondant aux montants énoncés ci-dessous :

Année

Taxe nette à payer selon les déclarations

Taxe nette réelle à payer

   Écart

1994

24 180,30 $

31 895,16 $

7 714,80 $

1995

20 482,89 $

24 340,58 $

3 857,69 $

1996

16 517,10 $

22 261,90 $

5 744,80 $

Manifestement, ces paragraphes ne satisfont pas aux exigences qui incombent à la Couronne dans une affaire où le droit du ministre d'établir une nouvelle cotisation dépend de sa capacité à démontrer que le contribuable a fait un faux énoncé ou a commis une fraude lorsqu'il a produit ses déclarations en application de la Loi. Ils ne font qu'énoncer les conclusions que le sous-procureur général voudrait voir la Cour adopter sur les questions en litige. Le paragraphe 13 ne fait que répéter textuellement les mots de l'article 285 de la Loi, et il omet d'informer l'appelante des faits qui, selon le ministre, justifient l'imposition de la pénalité. De plus, en incluant l'élément de négation [traduction] « n'était pas » vers la fin du texte, le sous-procureur général s'est retrouvé dans l'étrange situation d'alléguer dans ce paragraphe que les taxes à payer n'étaient pas sous-estimées dans les déclarations de l'appelante! Cela fait plus de trois ans que la Cour d'appel fédérale a abordé le sujet des hypothèses qu'il est permis de formuler dans les actes de procédure dans les affaires qui portent sur l'impôt sur le revenu : voir La Reine c. Anchor Pointe Energy Ltd.[4]. Le dépôt par la Couronne d'actes de procédure aussi vagues et vides de sens que les actes déposés en l'espèce, que ce soit dans un appel en matière d'impôt sur le revenu ou de TPS, est tout simplement inexcusable.

[7]      Cependant, je ne suis pas tenu de décider si les lacunes de cette réponse à l'avis d'appel équivalent à une faute qui justifierait que l'appel soit accueilli pour ce seul motif. Comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas convaincu que les vérificateurs de l'Agence ont eu raison de conclure que l'on devait inférer de la sous-estimation faite par les Aguilar de leurs revenus personnels que la source de leurs revenus non déclarés correspondait aux revenus non déclarés de la Brampton Vee World Motors Ltd. En fait, aucune preuve directe démontrant l'existence d'une telle sous-estimation n'a été portée à ma connaissance. L'avocate de la Couronne a qualifié la preuve à charge de circonstancielle. Les témoignages de M. Aguilar, de sa fille ou de M. Majeed n'appuient pas du tout les allégations du ministre. Les répartiteurs ont beaucoup insisté dans leurs témoignages sur l'omission de l'appelante de tenir des registres financiers adéquats. M. Majeed a nié cela, et je ne peux pas dire qu'il a eu tort de le faire. La répartitrice de l'impôt sur le revenu semble être arrivée à sa conclusion en se fondant sur le fait que M. et Mme Aguilar n'avaient pas d'autres sources de revenus significatives. Cependant, il y avait une preuve abondante de l'existence d'une ferme qui appartenait aux Aguilar et qu'ils exploitaient ainsi que d'un bien locatif dont ils étaient propriétaires. Il n'est pas du tout clair pour moi quels étaient le revenu brut ou le flux de trésorerie de la ferme pendant la période en cause, mais il y avait des éléments de preuve selon lesquels M. Aguilar y élevait du bétail qu'il vendait les samedis. Il y avait encore moins d'éléments de preuve qui portaient sur les résultats financiers des biens locatifs. Compte tenu des éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance, il est au moins aussi probable que les revenus non déclarés provenaient d'une de ces sources que de l'appelante. Je ne suis pas convaincu que je dois tirer la même inférence que les répartiteurs. L'intimée ne m'a pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelante avait sous-estimé ses revenus bruts ou la TPS qu'elle devait payer dans les déclarations qu'elle a produites pour les années civiles 1994 à 1998.

[8]      L'appel est accueilli, et la cotisation est annulée. L'appelante a droit au remboursement de ses droits de dépôt. Je ne peux pas allouer les dépens en l'espèce, et, même si je le pouvais, je ne le ferais pas. Plusieurs jours d'audience ont été perdus parce que le représentant de l'appelante n'était pas capable de faire la différence entre ce qui était pertinent et ce qui ne l'était pas et qu'il insistait pour fournir de multiples copies de documents, dont la grande majorité ne l'ont pas du tout aidé à établir le bien-fondé de ses allégations.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'août 2006.

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de novembre 2006.

Jean David Robert, traducteur


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI453

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2003-4429(GST)I

INTITULÉ :                                        Brampton Vee World Motors Limited et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 17, 18 et 19 octobre 2005,

                                                          le 28 février 2006 et les 1er, 2 et 3 mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                L'honorable juge E.A. Bowie

DATE DU JUGEMENT :                    Le 9 août 2006

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelante :

Khalil Hassan

Avocate de l'intimée :

Me Lorraine Edinboro

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

       Pour l'appelante :

                   Nom :                              s.o.

                   Cabinet :                          s.o.

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           L.R. (1985), ch. E-15, modifiée.

[2]           Désignée à ce moment-là comme l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Pour des raisons de commodité, je l'appellerai l'Agence.

[3]           M.N.R. v. Taylor, [1961] Ex. C.R. 318.

[4]           2003 CAF 294.

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