Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2004-2723(IT)G

ENTRE :

DAVID PEEK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appels entendus le 20 septembre 2006,

à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L’honorable juge suppléant M.A. Mogan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Jack Anderson

Avocate de l’intimée :

Me Susan Wong

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels concernant les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1996, 1997, 1998, 1999 et 2000 sont rejetés, avec dépens.

 

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2007.

 

« M.A. Mogan »

Juge suppléant Mogan

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de mars 2008.

 

Maurice Audet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2007CCI152

Date : 20070316

Dossier : 2004-2723(IT)G

ENTRE :

 

DAVID PEEK,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Mogan

 

[1]     L’appelant a produit ses déclarations d’impôt sur le revenu pour les années 1996, 1997, 1998, 1999 et 2000 en déclarant un revenu net entre 6 000 $ et 20 000 $ pour les quatre premières années et un revenu net de 55 000 $ pour l’année 2000. Au cours de cette période de cinq ans, l’appelant a obtenu, par des moyens frauduleux, environ 602 000 $ de la Banque HSBC du Canada (la « HSBC »). Dans des avis de cotisation datés du 19 février 2003, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a ajouté aux revenus déclarés de l’appelant pour les cinq années de 1996 à 2000 des sommes importantes ayant trait aux montants que l’appelant avait obtenus de la HSBC. L’appelant en a donc appelé des nouvelles cotisations pour ces cinq années.

 

[2]     Il y a deux grandes questions dans les présents appels. Premièrement, l’argent obtenu illégalement de la HSBC a-t-il qualité de revenu entre les mains de l’appelant? Et, deuxièmement, le ministre est-il autorisé à établir de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1996, 1997 et 1998 après l’échéance de la période normale de nouvelle cotisation définie au paragraphe 152(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)? Ces trois premières années sont appelées les « années prescrites ». À l’ouverture de l’audience, les avocats des parties ont déposé sous la pièce 1 un exposé conjoint des faits comprenant 10 paragraphes qui sont énoncés ci‑dessous.

 

          [Traduction]

1.         Pendant toute la période pertinente, l’appelant vendait des polices d’assurance-vie à commission.

 

2.         L’appelant avait déjà travaillé dans le domaine bancaire, tout d’abord à la Banque Lloyds, ensuite à la Banque de Montréal et enfin à la HSBC, auparavant connue sous le nom de Banque de Colombie-Britannique.

 

3.         Pendant toute la période pertinente, l’appelant avait deux comptes bancaires à la HSBC.

 

4.         De 1993 à 2000, l’appelant a mis au point un plan frauduleux de tirage à découvert en vertu duquel il tirait un chèque sur un compte insuffisamment approvisionné et le déposait dans son deuxième compte pour couvrir le découvert sur le deuxième compte. Avant la compensation du chèque, l’appelant tirait un chèque sur le second compte pour couvrir le découvert créé dans le premier compte.

 

5.         Au 27 juin 2000, l’appelant devait 659 877,27 $ à la HSBC.

 

6.         Le 8 juin 2001, la HSBC a obtenu un jugement contre l’appelant devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour le plein montant de la dette, majoré des intérêts, à compter du 22 juin 2000.

 

7.         L’appelant a aussi acheté des polices d’assurance-vie pour lui et sa famille afin de toucher des commissions de vente excédant les primes initialement payées par lui.

 

8.         L’appelant a ultérieurement été accusé au criminel pour les actes commis contre la HSBC.

 

9.         L’appelant a été reconnu coupable de ces accusations criminelles.

 

10.       Le 19 février 2003, le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations pour le revenu non déclaré de l’appelant découlant du plan de tirage à découvert pour un total de 367 526 $ pour les années d’imposition 1996, 1997, 1998, 1999 et 2000.

 

[3]     L’appelant est né au Royaume-Uni en 1940. Il a commencé à travailler à la Banque Lloyds en 1957 et y est demeuré jusqu’en 1970 quand son épouse et lui sont venus au Canada à la recherche d’une vie meilleure. Il a travaillé brièvement à la Banque de Montréal (de 1970 à 1972) et ensuite à la Banque de la Colombie-Britannique (devenue plus tard la HSBC) de 1972 à 1983. Il a dû quitter son emploi à la HSBC en 1983 parce qu’il avait contracté une deuxième hypothèque sur sa maison sans informer la HSBC qui lui avait accordé sa première hypothèque. En 1983, il a décidé de vendre de l’assurance-vie et, après avoir obtenu les qualifications nécessaires, il a été agréé par la North American Life Insurance Co.

 

[4]     Bien que l’appelant ait perdu sa maison par forclusion en 1985 et qu’il ait dû déclarer une faillite personnelle en 1986, il a continué de travailler pour la North American Life à cause de ses succès passés dans la vente de polices d’assurance-vie. Les problèmes financiers de l’appelant, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, proviennent du fait que ses chèques de commission de la North American Life étaient irréguliers, mais ses frais de subsistance – subvenir aux besoins de sa famille – étaient constants et revenaient toutes les semaines.

 

[5]     La North American Life émettait un chèque de commission toutes les semaines s’il y avait de l’argent sur le compte de l’appelant mais, s’il finalisait la vente d’une police d’assurance-vie au cours d’une semaine donnée, il pouvait s’écouler de deux à trois mois avant qu’il reçoive sa commission sur cette police à cause des examens médicaux, tests sanguins, rapports de médecin, etc., qu’il fallait faire et obtenir avant que l’assureur prenne sa décision. Par conséquent, s’il y avait des semaines où l’appelant ne vendait aucune police d’assurance-vie, il ne touchait aucune commission pendant des semaines. En 1993, l’appelant avait deux problèmes financiers. Il ne recevait pas de chèque de commission toutes les semaines de la North American Life pour l’aider à payer ses frais de subsistance hebdomadaires. En outre, il ne gagnait pas suffisamment d’argent pour maintenir son niveau de vie.

 

[6]     Pour régler ces problèmes financiers, l’appelant a eu recours à deux programmes qui, vers juin 2000, ont provoqué sa ruine financière. Dans le premier programme, il a mis au point son plan de tirage à découvert. Dans le deuxième, il a commencé à vendre des polices d’assurance-vie pour lui-même et les membres de sa famille. J’examinerai d’abord le plan de tirage à découvert. À la succursale de la HSBC, à Campbell River en Colombie-Britannique, l’appelant avait un compte sous le numéro 650-258029-150, établi à son propre nom (le compte « 150 »). À la même succursale de la HSBC, le compte numéro 650-258665-170 était établi au nom de l’appelant et de son épouse, Rona Peek (le compte « 170 »). L’appelant considérait le compte 150 comme son compte d’épargne et le compte 170, comme son compte de chèques. C’est le virement de chèques entre les comptes 150 et 170 qui a donné lieu aux accusations au criminel pour les actes posés contre la HSBC.

 

[7]     Selon mon interprétation de la preuve, l’appelant tirait un chèque à son nom sur le 150 et le déposait sur le compte 170, dans un guichet automatique bancaire (« GAB »), pour couvrir les paiements faits sur le compte 170 sans avoir les fonds sur le compte 150 pour couvrir le chèque. Il répétait le processus le lendemain en tirant un chèque sur le 170 et en le déposant dans un GAB pour couvrir le découvert créé la veille sur le 150. En raison de la journée de battement que comporte la compensation des chèques déposés dans les GAB, il était en mesure de garder sur ses comptes 150 et 170 un solde créditeur dans les registres de la HSBC mais, en fait, ses propres registres indiquaient un découvert sur chaque compte. Il est souvent arrivé qu’il doive tirer plus d’un chèque par jour sur chacun des comptes pour créer un solde créditeur dans les registres de la HSBC.

 

[8]     La pièce R-1, onglet 28, représente la page 4 du relevé mensuel du compte 150 au 19 janvier 2000, indiquant les opérations du 30 décembre 1999 au 4 janvier 2000. Cette pièce renferme également les pages 3 et 4 du relevé mensuel du compte 170 au 21 janvier 2000, énumérant les opérations du 30 décembre 1999 au 5 janvier 2000. Ces deux extraits des relevés mensuels pour les comptes 150 et 170 en fin d’année, le 31 décembre 1999, montrent comment l’appelant virait les chèques entre les deux comptes pour créer un solde créditeur dans les registres de la HSBC. Par exemple, le 31 décembre, il a déposé sur le compte 150, dans un GAB, les trois chèques suivants tirés sur le compte 170 :

 

31 décembre

85 790,09 $

31 décembre

84 701,25 $

31 décembre

78 335,72 $

Total

248 827,06 $

 

Le relevé mensuel pour le compte 170 indique que ce compte n’a été débité de ces trois chèques que le 4 janvier 2000.

 

[9]     De même, le 31 décembre, l’appelant a déposé sur le compte 170, dans un GAB, les cinq chèques suivants tirés sur le compte 150 :

 

31 décembre

71 567,90 $

31 décembre

76 891,42 $

31 décembre

83 460,17 $

31 décembre

79 840,55 $

31 décembre

78 654,38 $

Total

390 414,42 $

 

La page 4 du relevé mensuel du compte 150 à la pièce R-1, onglet 28, n’a qu’une seule entrée après le 31 décembre 1999; elle ne montre donc pas les cinq chèques ci-dessus dont le compte 150 a été débité. Toutefois, je note que, dans la pièce R‑1, onglet 29, le vérificateur de Revenu Canada (M. B. Anderson) a inscrit les cinq chèques ci-dessus, plus les trois  énumérés au paragraphe 8, comme étant les huit chèques que l’appelant a tirés à découvert à la fin de l’année, le 31 décembre 1999, pour ne pas créer de découvert sur les comptes 150 et 170.

 

[10]    Le montant total des trois chèques énumérés au paragraphe 8, plus les cinq énumérés au paragraphe 9, est de 639 241 $. C’est une somme astronomique qui flottait, comme un « cerf-volant », entre les comptes 150 et 170 la veille du Nouvel An 2000, compte tenu de l’impécuniosité relative de l’appelant qui a déclaré un revenu net de seulement 29 000 $ en 1999. La HSBC a finalement remarqué l’activité inhabituelle dans les deux comptes 150 et 170. Après avoir interrogé l’appelant, la Banque a conclu qu’il y avait eu tirage à découvert. Le 21 juin 2000, la carte bancaire de l’appelant a été bloquée et les deux comptes 150 et 170 ont été gelés, l’empêchant de déposer d’autres chèques. Quand les chèques tirés à découvert et toujours en circulation ont finalement été traités, l’appelant devait à la Banque 657 985,76 $ au 21 juin 2000.

 

[11]    John K. Paterson, directeur de la Sécurité interne à la HSBC, a été l’un des témoins cités par l’intimée. Il a participé à l’enquête de la Banque sur les opérations de tirage à découvert de l’appelant. Il a identifié sa note de service datée du 28 juin 2000, déposée sous la pièce R-1, onglet 24, qui résumait l’opération de tirage à découvert de l’appelant sous la rubrique [Traduction] « Méthode » :

 

[Traduction]

            Essentiellement, on peut constater que Peek déposait les chèques dans les GAB des coopératives de crédit indiquées ci-dessus pour qu’ils soient déposés sur ses comptes à la HSBC. Il y a un délai d’un jour dans la compensation des chèques, ce qui lui donnait la possibilité de tirer sur le compte numéro 258029 un chèque de 50 $, par exemple, et de le déposer, dans un GAB, au crédit du compte 258665. Comme le compte 029 n’était pas approvisionné, il tirait sur le 665 un chèque d’un montant un peu plus élevé, disons 60 $, qu’il déposait sur le compte 029 pour couvrir le chèque de 50 $ et produire un léger solde créditeur (qui constituait le « profit » qu’il retirait ensuite, volant ainsi ces fonds). Il tirait ensuite sur le compte 029 un chèque d’un montant encore plus élevé, disons 70 $, pour couvrir le chèque de 60 $, et ainsi de suite. Quand la fraude a été découverte, il tirait cinq chèques par jour sur un compte – tous pour des montants allant de 75 000 $ à 85 000 $, pour les couvrir par un nombre semblable de chèques, tirés sur l’autre compte, de montants légèrement plus élevés. Essentiellement, le tirage à découvert consiste à tirer des chèques sur un compte non approvisionné, mais avant que le chèque soit compensé et débité sur ce compte, un dépôt suffisant y est effectué pour le couvrir. Peek n’a pas « réellement » d’argent lui appartenant dans ces comptes; cette manipulation permet de créer l’illusion qu’il y en a.

 

[12]    Comme il est dit aux points 5 à 9 de l’exposé conjoint des faits reproduit au paragraphe 2 ci-dessus, la HSBC a poursuivi l’appelant et obtenu jugement contre lui devant la Cour de Colombie-Britannique pour un montant d’environ 659 000 $, majoré des intérêts, à compter du 22 juin 2000; des accusations au criminel ont été portées contre lui concernant ses opérations de tirage à découvert et il a été reconnu coupable. Au paragraphe 6 ci-dessus, j’ai mentionné les deux programmes que l’appelant a mis en place en 1993 et qui l’ont mené à la ruine. Le deuxième programme était la vente de polices d’assurance-vie à lui-même et aux membres de sa famille.

 

[13]    L’appelant a expliqué qu’au moment de la vente de certaines polices d’assurance-vie, la commission qu’il gagnait sur quelques mois pouvait facilement excéder le coût des primes mensuelles les deux premières années. L’inconvénient de ces polices d’assurance-vie était que, si une police particulière n’était pas conservée pendant une période minimale, de quatre ans par exemple, la compagnie d’assurance réclamait du vendeur toutes les commissions touchées sur la vente de cette police. En 1993, la pression financière sur l’appelant était telle qu’il a décidé de se vendre à lui-même des polices d’assurance sur sa vie et sur celle de membres de sa famille pour toucher des commissions, malgré l’inconvénient mentionné. Dans une déclaration préparée pour la Cour de Colombie-Britannique en décembre 2001 (pièce R‑1, onglet 32), l’appelant décrit son programme d’assurance-vie de la façon suivante :

 

          [Traduction]

[…] Je souscrivais une petite police sur ma propre vie (aucune exigence du point de vue médical) sur laquelle la compagnie me payait sur la base des primes annualisées, comme elle le faisait toujours sur les ventes d’assurance-vie. Cela signifie que, dès le premier dépôt de la prime mensuelle, elle supposait qu’au cours de la première année toutes les autres primes subséquentes seraient payées. Par conséquent, l’agent recevait « immédiatement » environ 70 p. 100 de la prime annuelle, plus une prime représentant 100 p. 100 (mais cela variait) de la commission. En résumé, pour un déboursé initial de 100 $, par exemple, je « gagnais » presque 1 700 $. Cela paraît très lucratif, mais il faut se rendre compte que les primes doivent continuer d’être payées pour que la police reste en vigueur et, à un certain moment, les paiements sont de beaucoup supérieurs aux commissions gagnées. Néanmoins, j’ai fait cela à plusieurs reprises au cours des deux années suivantes, pendant les mois creux et ceux où je n’avais pas de facilité de caisse. Cela doit sembler très stupide à quelqu’un de l’extérieur, parce qu’il n’a pas fallu longtemps avant que la situation m’échappe et que les primes d’assurance mensuelles atteignent un montant bien supérieur à 1 000 $. Je ne pouvais pas annuler les polices, étant donné que l’assureur avait une restriction lui permettant d’exiger le remboursement des commissions sur les polices annulées avant quatre ans, faisant ainsi perdre aux agents la plupart des commissions gagnées, spécialement dans les deux premières années.

 

[14]    La pièce R-1, onglets 19, 20 et 29, démontre comment le vérificateur de Revenu Canada (Brad Anderson) a déduit les primes annuelles payées par l’appelant pour les polices d’assurance-vie souscrites sur sa propre vie et sur celle d’autres membres de sa famille, des montants que l’appelant « gagnait » chaque année grâce à son plan de tirage à découvert. Selon l’onglet 20, l’appelant avait en 1996 à peu près 25 polices d’assurance-vie pour sa famille pour lesquelles il a payé des primes totales de 79 609 $. Le nombre de polices familiales a commencé à diminuer après 1996 quand il a laissé tomber les plus anciennes, celles qui étaient en vigueur depuis cinq ans, de façon à pouvoir conserver ses commissions de vente (que la compagnie ne pouvait plus réclamer!).

 

[15]    L’onglet 29 montre les sommes gagnées par l’appelant grâce à son plan de tirage à découvert. Le montant « gagné » une année donnée était celui duquel les découverts sur les comptes 150 et 170 à la fin de cette année excédaient les découverts comparables à la fin de l’année précédente. L’onglet 20 indique le total des primes payées par l’appelant chaque année pour ses polices d’assurance‑vie souscrites au nom des membres de sa famille. L’onglet 19 montre comment M. Anderson a déduit le total des primes payées chaque année des profits découlant du tirage à découvert pour chaque année pour en arriver à des montants dits « revenu non déclaré ». Et, à l’onglet 18, l’appelant a confirmé par écrit qu’il reconnaissait l’exactitude du calcul, par M. Anderson, des montants que Revenu Canada considère comme un revenu non déclaré pour les années 1996 à 2000, celles faisant l’objet de l’appel.

 

[16]    À la pièce R-2, M. Anderson a résumé sa méthode de calcul du revenu net non déclaré de l’appelant selon Revenu Canada. Voici les extraits pertinents de la pièce R-2.

 

 

Année

Revenu net déclaré

Revenu perçu

du tirage à découvert

Primes d’assurance déduites

Revenu net

non déclaré

1996

6 000 $

158 143 $

79 609 $

78 534 $

1997

18 000

177 367

74 949

102 418

1998

20 000

129 443

62 638

66 805

1999

16 000

118 347

16 940

101 407

2000

 

55 000

18 762

400

18 362

Totaux

115 000 $

602 062 $

234 536 $

367 526 $

 

Les montants dans la colonne de droite, sous la rubrique « Revenu net non déclaré », sont les sommes qui ont été ajoutées au revenu déclaré de l’appelant pour chacune des années faisant l’objet de l’appel. Voir la pièce R-1, onglets 12 à 16 inclusivement.

 

Les questions en litige

 

[17]    La première question consiste à déterminer si l’argent illégalement obtenu de la HSBC avait qualité de revenu entre les mains de l’appelant. Au cours des plaidoiries, j’ai demandé à l’avocat de l’appelant si celui-ci n’avait qu’une seule activité (soit la vente d’assurance-vie), dont faisait partie intégrante le tirage à découvert, ou si son plan de tirage à découvert était distinct de son activité de vente d’assurance-vie. L’avocat a répondu qu’il croyait que ces opérations étaient intégrées parce que les opérations bancaires pour ces deux activités passaient par la même banque (HSBC). En fait, les deux opérations étaient effectuées dans les deux mêmes comptes à la même succursale de la HSBC.

 

[18]    Il y a une preuve extrinsèque démontrant que les deux opérations étaient intégrées. Selon la pièce R-1, onglet 20, les primes annuelles payées sur les polices d’assurance-vie de la famille au cours des trois années prescrites étaient les suivantes :

 

1996

79 609 $

1997

74 949

1998

62 638

 

Dans chacune de ces années, l’appelant a déclaré un revenu très modeste de 20 000 $ ou moins. Par conséquent, il ne pouvait pas avoir payé ces primes annuelles élevées sur les polices d’assurance-vie de la famille (qui étaient nécessaires pour lui permettre de conserver les commissions gagnées sur la vente de ces polices) à moins de virer, à découvert, des chèques du compte 150 (son compte d’épargne) au compte 170 (son compte de chèques) pour payer ces primes. Ma conclusion de fait est donc que le plan de tirage à découvert faisait partie intégrante de l’entreprise de vente d’assurance-vie de l’appelant.

 

[19]    Dans les circonstances de l’espèce, le tirage de chèques à découvert par l’appelant est un acte frauduleux parce que la HSBC a été amenée à honorer de bonne foi les chèques établis au nom de tiers (par exemple, la North American Life) parce qu’elle croyait que l’appelant avait en dépôt des fonds suffisants pour couvrir les chèques établis à des tiers. Les fonds qui paraissaient avoir été déposés sur le compte 170 (compte de chèques) étaient tirés par l’appelant sur le compte 150 (compte d’épargne) au moyen d’un ou de plusieurs chèques tirés à découvert, alors que l’appelant savait qu’il n’avait pas suffisamment de fonds sur son compte 150 pour couvrir les chèques ainsi tirés.

 

[20]    Aux paragraphes 8 et 9 ci-dessus, j’ai fait référence à la pièce R-1, onglet 28, pour montrer que l’appelant avait en circulation, le 31 décembre 1999, huit chèques dont la valeur nominale totale s’élevait à 639 241 $. De même, la note de service de M. Paterson (pièce R-1, onglet 24) indique que, quand la Banque a fermé les comptes 150 et 170 en juin 2000, l’appelant tirait cinq chèques par jour sur chaque compte et que tous ces chèques étaient de l’ordre de 80 000 $. Il s’agissait d’une opération quotidienne constante qui l’amenait à jongler avec des sommes importantes pour tromper la HSBC.

 

[21]    Il est bien établi en droit que l’argent obtenu par fraude peut être un revenu entre les mains du contrevenant. Dans Poynton v. The Queen, 72 DTC 6329, la Cour d’appel de l’Ontario a condamné pour évasion fiscale un employé qui avait obtenu de l’argent de son employeur par fraude et ne l’avait pas déclaré comme revenu. Dans l’arrêt Buckman c. M.R.N., 91 DTC 1249, le contribuable est un avocat qui a été reconnu coupable de fraude pour avoir détourné des fonds (environ 520 000 $) de ses clients. Quand Revenu Canada a inclus les montants ainsi détournés dans le revenu de M. Buckman pour 1983, 1984 et 1985, celui-ci en a appelé en faisant valoir que les fonds détournés n’étaient pas un revenu mais de l’argent emprunté à ses clients. En rejetant l’appel de M. Buckman, le juge Sobier a déclaré ceci aux paragraphes 30 et 31 :

 

L’appelant a reçu les fonds, se les est appropriés et s’en est servi à son propre avantage. Il ne les a jamais considérés comme des prêts. Il n’y avait aucune intention de rembourser les fonds. L’activité de M. Buckman consistait à escroquer ses clients de façon permanente et sur une longue période. Il se proposait en réalité de garder les fonds à son propre usage, ce qu’il a fait en réalité.

Le nombre des détournements de fonds et les méthodes employées par l’appelant présentaient toutes les caractéristiques d’une entreprise. Il a pris des risques en volant les fonds et en s’exposant à être découvert. Sa rétribution consistait toutefois dans la possibilité de déjouer les soupçons et de conserver les fonds à son propre usage. Peu importe que l’escroc ait agi à titre d’avocat, de représentant ou d’employé. Le fait que les fonds doivent être considérés comme un revenu découle des faits de la situation. Si je paraphrase le juge Evans dans l’arrêt Poynton, les fonds que l’intimé cherche à assujettir à l’impôt n’ont pas été accumulés par M. Buckman en qualité d’avocat ou de courtier hypothécaire, mais en qualité d’escroc.

 

[22]    La situation de l’appelant est semblable à celle de M. Buckman. Les sommes d’argent (environ 650 000 $) que l’appelant a obtenues illégalement de la HSBC sont importantes. La fréquence des opérations (de nombreux chèques), la valeur des chèques tirés à découvert et la période au cours de laquelle les opérations ont été effectuées (sept années, de 1994 à 2000) présentaient toutes les caractéristiques d’une opération commerciale. L’appelant a pris le risque d’être découvert. Sa rétribution potentielle, toutefois, était de ne pas se faire prendre. Les méfaits de M. Peek n’étaient pas ceux d’un commis qui vole l’argent de la petite caisse !

 

[23]    Une lettre datée du 30 juin 2000, des avocats de la HSBC à l’appelant (pièce A-1, onglet 1), exigeait le remboursement de la « dette ». On y employait les expressions prêt 258029-150 et prêt 258665-170 pour identifier les comptes sur lesquels les chèques tirés à découvert ont été déposés, mais la HSBC ne s’est jamais considérée comme un « prêteur » à l’égard de l’appelant. À partir de la découverte du plan de tirage à découvert, la HSBC a considéré les 650 000 $ comme des fonds illégalement obtenus; et elle a averti la police.

 

[24]    Je n’ai aucune hésitation à conclure que l’argent illégalement obtenu de la HSBC avait qualité de revenu entre les mains de l’appelant.

 

[25]    La dernière question est de savoir si le ministre peut établir de nouvelles cotisations pour les années prescrites 1996, 1997 et 1998. Le paragraphe 152(4) autorise le ministre à établir une nouvelle cotisation à un moment donné (« at any time », dans la version anglaise) sauf qu’après la période normale de nouvelle cotisation, une nouvelle cotisation ne peut être établie que si le contribuable « a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude » en produisant sa déclaration d’impôt. Pour les années prescrites, les sommes pertinentes parlent d’elles-mêmes :

 

 

Année

 

Autre revenu

Profit tiré du plan de tirage à découvert

 

1996

6 616 $

158 143 $

1997

18 438

177 367

1998

20 245

129 443

 

[26]    Dans chacune des années, le profit retiré du plan de tirage à découvert n’était jamais inférieur à six fois le revenu de l’appelant, provenant d’autres sources. Celui-ci s’est dit étonné d’apprendre en 2002 que Revenu Canada s’apprêtait à inclure le profit découlant de son plan de tirage à découvert dans le revenu provenant d’autres sources. Il était peut-être étonné d’apprendre ce fait en 2002 mais, en 1996, 1997 et 1998, il savait chaque année que les bénéfices qu’il retirait de son plan de tirage à découvert dépassaient de beaucoup le revenu qu’il tirait d’autres sources.

 

[27]    Compte tenu de l’expérience et de la compétence de l’appelant qui a travaillé pendant 26 ans dans le domaine bancaire (de 1957 à 1983), et compte tenu du nombre très considérable de chèques qui ont été tirés à découvert sur une base quotidienne dans les années 1996, 1997 et 1998, l’omission de l’appelant de déclarer tout profit tiré de ce plan de tirage à découvert, ces années-là, était une présentation erronée des faits, effectuée par négligence ou inattention. Et s’il avait comparé son train de vie à son revenu modeste tiré d’autres sources, son omission de déclarer ses profits aurait été une omission volontaire. Les appels pour les cinq années en question sont rejetés, avec dépens.

 

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2007.

 

 

 « M.A. Mogan »

Juge suppléant Mogan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de mars 2008.

 

Maurice Audet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI152

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-2723(IT)G

 

INTITULÉ :                                       David Peek

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 20 septembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge suppléant M.A. Mogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 16 mars 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Jack Anderson

Avocate de l’intimée :

Me Susan Wong

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                            Nom :                    Jack Anderson

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur du Canada

                                                          Ottawa (Canada)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.