Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Dossier : 2004-3354(IT)G

ENTRE :

MIL (INVESTMENTS) S.A.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 17, 18, 19 et 20 juillet 2006 à Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Devant l’honorable juge R. D. Bell

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Warren J.A. Mitchell, c.r.

MMatthew Williams

 

Avocats de l’intimée :

MRobert Carvalho

MDavid Jacyk

MMichael Taylor

 

JUGEMENT MODIFIÉ

 

L’appel relatif à la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1997 est accueilli et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement.

 

L’appelante a droit aux dépens.

 

 

          Cet autre jugement modifié et les motifs du jugement modifiés sont rendus en remplacement du jugement modifié et des motifs du jugement modifiés rendus le 5e jour de septembre 2006.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27jour de septembre 2006.

 

« R. D. Bell »

Juge Bell

Traduction certifiée conforme

ce 18 jour de juillet 2008.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2006CCI460

Date : 20060927

Dossier : 2004-3354(IT)G

 

ENTRE :

MIL (INVESTMENTS) S.A.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge Bell

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[1]     La question en litige est la suivante :

 

L’appelante est-elle exonérée de l’impôt sur le revenu au Canada relativement au gain en capital de 425 853 942 $ qu’elle a réalisé au cours de son année d’imposition 1997 lors de la vente d’actions de Diamond Field Resources Inc. en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) et de la Convention entre le Canada et le Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (Convention fiscale)?

 

LES GÉNÉRALITÉS

 

[2]     Sauf indication contraire, tous les numéros d’articles renvoient à la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi).

 

[3]     La Convention fiscale entre le Canada et le Luxembourg est appelée la Convention fiscale.

 

[4]     Afin de faciliter la compréhension, je résume ci-après les faits sur lesquels reposent mes conclusions. Ces faits, ainsi que des faits connexes, sont énoncés à l’annexe A et à l’annexe B ci‑jointes, qui font partie des présents motifs. Ces annexes comprennent l’EXPOSÉ CONJOINT PARTIEL DES FAITS que les avocats ont produit, un exposé des éléments de preuve orale et documentaire produits à l’audience et un long extrait d’une circulaire d’information de la direction, dont une description plus détaillée figure ci-dessous.

 

LES FAITS

 

[5]     En 1993, Jean-Raymond Boulle (M. Boulle) a commencé à acquérir des actions de Diamond Field Resources Ltd. (DFR), société ouverte constituée au Canada et cotée à la Bourse de Toronto.

 

[6]     Le 10 mars 1993, M. Boulle a transféré ses actions de DFR, soit 29,4 p. 100 des actions émises de celle-ci, à l’appelante, société qui venait d’être constituée dans les îles Caymans et qui lui appartenait en totalité.

 

[7]     Avant novembre 1994, DFR a acquis, exploré et mis en valeur des propriétés diamantifères. Par pur hasard, elle a découvert un important gisement de nickel, de cuivre et de cobalt près de Voisey’s Bay, au Labrador (la propriété en cause).

 

[8]     La propriété en cause a suscité un intérêt tel que 18 sociétés minières situées aux quatre coins du monde ont communiqué avec DFR. En mars 1995, les actions se négociaient à 19 $ ou 20 $ chacune.

 

[9]     M. Boulle et Robert Friedland (M. Friedland) détenaient ensemble environ 30 p. 100 de DFR, Robertson Stephens Funds (Stephens), 10 p. 100, et Ed Mercaldo (M. Mercaldo)[1], 1,5 p. 100. Leur détention totale n’aurait pu empêcher une offre publique d’achat hostile.

 

[10]    Au cours de ce même mois, Teck Corporation (Teck) a versé une somme de 108 000 000 $ en échange de 10 p. 100 des actions de DFR sans demander la nomination d’un administrateur; elle a également consenti à fournir des services de consultation technique à grande échelle et a assuré à DFR qu’elle pourrait exécuter le maximum de travaux de forage et d’exploration possibles pendant au moins trois ou quatre étés sans que DFR soit tenue d’obtenir d’autres capitaux. Dans la semaine qui a suivi cette opération, l’action se négociait à 47 $.

 

[11]    Teck a conclu une convention de vote selon laquelle M. Friedland, et subsidiairement M. Boulle si M. Friedland n’était pas disponible, exercerait les droits de vote afférents aux actions qu’elle détenait dans DFR en faveur des décisions de la direction sur toute question importante, évitant ainsi le risque d’une offre publique d’achat hostile. DFR avait également conclu avec Teck une entente relative au statu quo selon laquelle celle-ci avait convenu de ne pas acheter d’autres actions sans la permission de DFR.

 

[12]    Afin de mettre la propriété en cause en valeur, DFR a ensuite engagé, entre autres, M. John Paterson (M. Paterson), métallurgiste titulaire d’un doctorat de l’Université Queen’s, à titre de premier vice‑président et Cliff Carson (M. Carson), qui avait déjà été vice-président du marketing chez Falconbridge Limitée (Falconbridge), à titre de président.

 

[13]    En mai 1995, Inco Limitée (Inco), dont Mike Sopko (M. Sopko) était président et chef de la direction, était intéressée à acquérir 100 p. 100 de la participation dans Voisey’s Bay, mais M. Mercaldo a refusé et s’est exprimé comme suit :

 

[traduction] Nous estimions encore que nous venions à peine d’effleurer la surface en ce qui concerne le potentiel de Voisey’s Bay.

 

[14]    Cependant, DFR était disposée à vendre à Inco une participation minoritaire dans la propriété en cause. Afin de conserver le contrôle, DFR a vendu, conformément à un accord qui a été signé le 8 juin 1995 et qui est entré en vigueur le 28 juin 1995, 25 p. 100 des actions de sa nouvelle filiale en propriété exclusive, Voisey’s Bay Nickel Company Limited (VBNC), à laquelle elle avait transféré la propriété en cause. Inco a conclu une entente relative au statu quo par laquelle elle s’est engagée à s’abstenir d’acquérir d’autres actions de DFR, sauf les 2 000 000 d’actions décrites ci-dessous, avant la réalisation de certains événements. En guise de paiement, Inco a transféré à DFR des actions privilégiées d’une valeur de 386 700 000 $ et a versé à VBNC une somme de 25 000 000 $ au titre de coûts de financement, notamment l’obtention de droits de commercialisation pour 25 ans, et ainsi de suite. Selon M. Mercaldo, étant donné qu’il s’agissait de montants exprimés en dollars américains, l’investissement d’Inco s’établissait à une somme nettement supérieure à 700 000 000 $CAN.

 

[15]    À la même époque, Inco a acheté à Stephens 1 297 000 actions de DFR contre une somme au comptant et l’appelante a échangé, conformément à l’article 85.1, 703 000 actions de DFR contre 1 401 218 actions ordinaires d’Inco.

 

[16]    Auparavant, l’appelante et M. Boulle détenaient respectivement 11,9  p. 100 et 0,485 p. 100 des actions de DFR; après cette date, ce pourcentage est passé à 9,817 p. 100 dans le cas de l’appelante.

 

[17]    Le 17 juillet 1995, l’appelante a été prorogée au Luxembourg.

 

[18]    Entre le 14 août 1995 et le 17 août 1995, l’appelante a vendu la totalité des 1 401 218 actions ordinaires d’Inco pour la somme de 65 466 895 $ et a demandé une exemption de l’impôt du Canada sur le gain en capital de 64 982 713 $ qui découlait de la vente, invoquant l’article 13 de la Convention fiscale.

 

[19]    L’appelante n’a pas fait l’objet d’une nouvelle cotisation au Canada relativement à ce gain et n’a payé aucun impôt au Luxembourg, parce que le prix de base de l’action aux fins de l’impôt exigible dans ce pays équivalait à la valeur à la date de la prorogation, laquelle valeur dépassait le prix de vente.

 

[20]    Le 14 septembre 1995, l’appelante a vendu 50 000 actions de DFR pour la somme de 4 525 000 $, alors que le prix de base rajusté desdites actions s’élevait à 32 444 $, et a demandé une exemption de l’impôt du Canada sur le gain de 4 492 556 $ en vertu de l’article 13 de la Convention fiscale. Aucune cotisation n’a été établie à l’égard de l’appelante au Canada relativement à ce gain et l’appelante n’a payé aucun impôt au Luxembourg.

 

[21]    Au cours de son témoignage, M. Mercaldo a mentionné qu’après le décès soudain et tragique de M. Paterson en octobre 1995, les administrateurs de DFR :

 

[traduction] ont compris qu’il serait très difficile de maintenir notre indépendance après le départ de cette personne essentielle, même si nous étions disposés à tout faire pour y arriver... J’étais... après l’enterrement de John, au début d’octobre, je me trouvais à Toronto et je suis allé rencontrer Mike Sopko à l’heure du lunch; comme je l’ai souligné, John avait été un ami de Mike et j’ai dit à Mike :

 

« Tu sais Mike, nous pensions que tu voulais acquérir la totalité de l’entreprise et s’il y avait un moment où nous pourrions envisager cette possibilité, ce serait maintenant, étant donné que John n’est plus là ».

 

[22]    En décembre 1995, Inco a fait une offre à 31 $ (124 $) l’action, et DFR a refusé cette offre[2].

 

[23]    À la mi-janvier 1996, Falconbridge a offert 36,50 $ (146 $) l’action; les administrateurs de DFR ont décidé par vote d’accepter cette offre et de recommander aux actionnaires de l’entreprise de l’entériner.

 

[24]    La veille du vote des actionnaires de DFR au sujet de l’offre de Falconbridge, Inco a porté son offre à 43,50 $ (174 $) l’action.

 

[25]    Le 22 mai 1996, les actionnaires de DFR ont approuvé l’acquisition par Inco de toutes les actions de DFR, laquelle acquisition devait entrer en vigueur le 21 août 1996. L’appelante a reçu un montant de 427 475 645 $ à titre de produit de disposition des actions qu’elle détenait dans DFR.

 

[26]    L’appelante a demandé une exemption de l’impôt du Canada sur le gain en capital de 425 853 942 $ découlant de la vente en vertu de l’article 13 de la Convention fiscale. C’est ce gain qui fait l’objet du présent appel.

 

 

L’ANALYSE ET LES CONCLUSIONS

 

Application de l’article 245 aux conventions fiscales

 

[27]    La question en litige peut être reformulée comme suit :

 

1. L’article 245 s’applique-t-il de façon à refuser l’exemption de l’impôt sur un gain en capital de 425 853 942 $ que l’appelante a réalisé au cours de son année d’imposition 1997 lors de la vente d’actions de DFR conformément à la Convention fiscale (vente en cause)?

 

2. Dans la négative, la Convention fiscale comporte-t-elle une règle anti-abus inhérente qui entraînerait le refus de cette exemption?

 

[28]    L’article 4.1 de la Loi sur l’interprétation des conventions en matière d’impôts sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. I-4, et l’article 245 de la Loi ont été modifiés rétroactivement au 12 septembre 1988 par l’ajout d’un renvoi explicite aux conventions fiscales44.

 

[29]    Dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 DTC 5523, la Cour suprême du Canada s’est exprimée comme suit au paragraphe 7 :

 

À notre avis, cette modification de l’art. 245 a notamment pour effet d’indiquer clairement que la RGAÉ s’applique aux avantages fiscaux découlant du règlement pris en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[30]    Ces modifications, qui ont été apportées en 2005, s’appliquent rétroactivement à des opérations qui remontent à environ 17 ans. Bien que les textes de loi rétroactifs soient légaux et qu’ils relèvent de la compétence du Parlement, ils ne sont pas souhaitables[3]. Il est manifestement inapproprié d’établir une nouvelle cotisation à l’encontre de contribuables qui ont conclu des opérations conformément aux règles de droit en vigueur à l’époque alors qu’aucune conséquence défavorable ayant un effet rétroactif n’était prévisible.

 

[31]    À mon avis, compte tenu des modifications apportées à l’article 245, les conventions fiscales doivent être interprétées de la même façon que les lois nationales lors de l’analyse des opérations d’évitement qui pourraient être abusives.

 

[32]    L’analyse à mener en l’espèce concerne deux ventes qui, pour l’instant, seront examinées séparément :

 

(1)              le transfert par l’appelante d’une partie des actions qu’elle détenait dans DFR en échange d’actions d’Inco le 8 juin 1995;

 

(2)              la vente par tous les actionnaires, dont l’appelante, d’actions de DFR en août 1996. Le présent appel concerne l’imposition du gain découlant de la vente en cause.

 

[33]    Au paragraphe 17 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, la Cour suprême du Canada énonce les paramètres généraux d’une analyse fondée sur l’article 245 :

 

L’application de la RGAÉ comporte trois étapes.  La première étape consiste à déterminer s’il existe un « avantage fiscal » découlant d’une « opération » au sens des par. 245(1) et (2).  La deuxième étape consiste à déterminer si l’opération constitue une opération d’évitement visée par le par. 245(3), en ce sens qu’elle n’a pas été « principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable ».  La troisième étape consiste à déterminer si l’opération d’évitement est abusive au sens du par. 245(4).  Les trois conditions doivent être remplies pour que la RGAÉ permette de supprimer un avantage fiscal.

 

[34]    Au paragraphe 245(1) de la Loi, l’expression « avantage fiscal » est définie comme suit :

 

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

 

[35]    Dans son mémoire, l’avocat de l’appelante admet ce qui suit :

 

[traduction] Aux fins du présent appel, l’appelante admet que, dans la présente affaire, l’application de la Convention fiscale a permis à l’appelante de bénéficier d’un avantage fiscal.

 

[36]    L’expression « opération d’évitement » est définie comme suit au paragraphe 245(3) de la Loi :

 

L’opération d’évitement s’entend :

 

a)         soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables -- l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

b)         soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables - l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

 

La vente en cause

 

[37]    En ce qui a trait aux raisons non fiscales de la vente en cause, la vente des actions de DFR à Inco était une vente faite par tous les actionnaires. Elle découlait de la guerre à laquelle se livraient Inco et Falconbridge et les actionnaires de DFR ont finalement accepté l’offre d’Inco d’environ 4 600 000 000 $.

 

[38]    La circulaire d’information de la direction (circulaire) concernant Inco et DFR, qui énonçait les conditions de l’offre, prévoyait que celle-ci devait être approuvée au moyen du vote des détenteurs de 75 p. 100 des actions lors d’une assemblée des actionnaires tenue aux fins de cette approbation. À l’époque, les actions de DFR que détenaient M. Friedland, M. Boulle, Teck et Inco étaient ainsi réparties :

 


M. Friedland                        12,9 p. 100

M. Boulle                               9,6 p. 100[4]

Teck                                    10,9 p. 100

Inco                                      7,3 p. 100

 

Cette circulaire faisait partie d’une série de documents comportant une description détaillée de la proposition d’Inco quant à l’achat de toutes les actions de DFR. Une copie de la section de cette circulaire intitulée [traduction] « LES FAITS À L’ORIGINE DE L’ARRANGEMENT EN CAUSE » (pages 29 à 36 de la circulaire) est jointe aux présents motifs en annexe B et en fait partie.

 

[39]    Selon la circulaire, le groupe susmentionné et M. Mercaldo détenaient ensemble 41,4 p. 100 des actions de DFR. La circulaire établissait de plus ce qui suit :

 

[traduction] M. Friedland, M. Boulle et M. Mercaldo ont déclaré leur intérêt [...] et se sont abstenus de voter au sujet de l’opération. Le conseil d’administration a alors accepté à l’unanimité la proposition d’Inco et a approuvé la signature et l’exécution de l’arrangement en cause.

 

[40]    Avant le vote par lequel les administrateurs ont recommandé aux actionnaires de DFR d’accepter l’offre d’Inco, DFR a reçu de Nesbitt Burns et de First Boston des avis verbaux selon lesquels l’offre serait équitable pour les actionnaires autres qu’Inco. M. Boulle n’était pas en mesure d’organiser et de réaliser un vote en faveur de la vente à Inco, puisqu’il n’avait pas le droit de voter au sujet de la recommandation des administrateurs et qu’il était un actionnaire minoritaire. En tout état de cause, dans les circonstances, M. Boulle n’aurait certainement pas pu convaincre des actionnaires avertis comme Inco, Teck, M. Friedland et M. Mercaldo de voter en faveur de la vente en cause simplement parce que lui seul pourrait tirer un avantage fiscal de l’opération.

 

[41]    À mon avis, il est donc raisonnable de conclure que la vente en cause a été effectuée principalement pour un objet véritable autre que l’obtention de l’avantage fiscal.

 


La série d’opérations

 

[42]    J’en arrive maintenant à un examen de la façon dont l’intimée définit la série d’opérations (série). L’intimée a inclus dans la série le transfert, le 8 juin 1995, de 703 000 actions de DFR à Inco en échange de 1 401 218 actions ordinaires de celle-ci, ainsi que deux autres opérations, la vente finale étant exclue. Dans son mémoire, l’avocat de l’intimée s’exprime comme suit :

 

[traduction] Les opérations suivantes ont donné lieu, directement ou indirectement, à un avantage fiscal pour l’appelante et constituent les opérations d’évitement en l’espèce :

 

a)                  la réduction du pourcentage total des actions que l’appelante et M. Boulle détenaient ensemble dans DFR à moins de 10 p. 100 en juin 1995;

 

b)                  le dividende final;

 

c)         la prorogation de l’appelante au Luxembourg (collectivement, les opérations en cause).

 

Dans la mesure où la série se compose, comme le soutient l’avocat de l’intimée, des trois opérations susmentionnées, cette série ou une opération de cette série constitue-t-elle une opération d’évitement au sens de l’alinéa 245(3)b) de la Loi?

 

[43]    Aux paragraphes 27 à 32 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, la Cour suprême du Canada a formulé des commentaires très utiles pour l’examen de cette question. Voici les extraits pertinents :

 

5.4.2    Principalement effectuée pour des objets véritables

 

[27]      Selon le par. 245(3), la RGAÉ ne s’applique pas à une opération « dont [...] il est raisonnable de considérer [qu’elle] est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable ». Dans le cas où une opération a à la fois un objet fiscal et un objet non fiscal, il faut décider s’il était raisonnable de conclure que l’objet non fiscal était le principal objet. Dans l’affirmative, la RGAÉ ne permet pas de supprimer l’avantage fiscal.

 

[28]      Bien que l’examen parte du principe que les objets fiscal et non fiscal sont identifiables, il se peut que ces objets soient inextricablement liés dans le cas d’une opération particulière. Il n’est pas utile de qualifier d’exigeant ou de peu exigeant le critère préliminaire prescrit par le par. 245(3). Le libellé de la disposition prévoit simplement une évaluation objective de l’importance relative des motivations auxquelles obéissait l’opération.

 

[29]      Là encore, l’examen porte sur les faits. Le contribuable ne peut se soustraire à l’application de la RGAÉ en déclarant simplement que l’opération a été principalement effectuée pour un objet non fiscal. Le juge de la Cour de l’impôt doit soupeser la preuve pour décider s’il est raisonnable de conclure que l’opération n’a pas été principalement effectuée pour un objet non fiscal. Cette décision fait appel au caractère raisonnable, ce qui indique qu’il faut envisager objectivement la possibilité que les événements se prêtent à diverses interprétations.

 

[30]      Les tribunaux doivent examiner les rapports entre les parties et les opérations véritablement intervenues entre elles.  Les faits des opérations sont cruciaux pour décider s’il y a eu opération d’évitement. Il est utile de se demander ce qui n’est pas suffisant pour établir l’existence d’une opération d’évitement au sens du par. 245(3).  Les notes explicatives précisent ceci, à la p. 495 :

 

Le paragraphe 245(3) ne permet pas de « requalifier » une opération afin de déterminer s’il s’agit ou non d’une opération d’évitement. Autrement dit, il ne permet pas de considérer une opération comme une opération d’évitement parce qu’une autre opération, qui aurait pu permettre d’obtenir un résultat équivalent, se serait traduite par des impôts plus élevés.

 

[31]      D’après les notes explicatives, le législateur a reconnu le principe du duc de Westminster selon lequel « la planification fiscale — c’est‑à‑dire le fait d’organiser ses affaires de manière à payer le moins possible d’impôts — est une dimension légitime et admise du droit fiscal canadien » (p. 495). Bien qu’il ait eu l’intention de prévenir l’évitement fiscal abusif en édictant la RGAÉ, le législateur a néanmoins voulu maintenir la prévisibilité, la certitude et l’équité en droit fiscal canadien. Il veut que les contribuables profitent pleinement des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui confèrent des avantages fiscaux. En fait, il s’agit là de la condition de réussite des différentes politiques que la Loi de l’impôt sur le revenu cherche à promouvoir

 

[32]      Le paragraphe 245(3) ne fait que soustraire à l’application de la RGAÉ les opérations dont il est raisonnable de considérer qu’elles ont été principalement effectuées pour un objet non fiscal. Le législateur n’a pas voulu que le par. 245(3) serve simplement de critère d’objet commercial en vertu duquel les opérations dépourvues de véritable objet commercial indépendant seraient jugées invalides.

 

[44]    La première opération était une vente de 703 000 actions de DFR en échange de 1 401 218 actions ordinaires d’Inco[5], dont la valeur s’établissait à l’époque à environ 65 000 000 $. Le « roulement » a donné lieu à un report de l’impôt du Canada jusqu’à ce que MIL vende les actions d’Inco.

 

[45]    La crédibilité des témoins joue un rôle très important dans la détermination de l’objet principal d’une opération. Tout au long de l’audience, j’ai observé et évalué constamment la conduite de M. Boulle, sa façon de s’exprimer, son teint immuable, sa physionomie et l’absence de nervosité dans ses gestes. J’ai également écouté attentivement toutes ses réponses, tant pendant son interrogatoire principal que pendant son contre-interrogatoire. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il était crédible. L’avocat de l’intimée a soutenu le contraire[6]; il a dit ce qui suit :

 

[traduction] [...] la suggestion de l’appelante selon laquelle elle a vendu les actions afin de rembourser une marge de crédit n’est pas plausible. Lors de l’échange des actions, les sommes dues dépassaient à peine 1 000 000 $ au total. À la même époque, la valeur des actions s’établissait à environ 65 000 000 $. Vendriez-vous des actions d’une valeur de 65 000 000 $ pour rembourser une marge de crédit d’un million de dollars?

 

[46]    Selon le témoignage de M. Boulle, que j’accepte, il voulait rembourser [traduction] « une dette de plus d’un million de dollars » et [traduction] « retourner explorer et construire des mines en Afrique ». Lorsqu’il s’est fait dire, en contre-interrogatoire, que le remboursement de la marge de crédit n’était pas l’objet principal, il a répondu comme suit :

 

[traduction] Je n’avais aucun autre revenu... tout mon avoir, toute ma fortune, si vous voulez, se trouvait dans ces actions.

 

[47]    Pour expliquer l’échange d’actions de DFR contre des actions d’Inco, M. Boulle a dit qu’il se serait trouvé en position « conflictuelle » s’il avait accepté de l’argent comptant, même si cet argent était disponible, contre ses actions de DFR lors de l’échange en question. Cette explication est compatible avec la réalité commerciale selon laquelle le coprésident du conseil d’administration et principal actionnaire de DFR donnerait un signal négatif aux intervenants du marché en vendant ses actions au comptant, compte tenu, surtout, des dispositions législatives sur les valeurs mobilières qui exigent habituellement la divulgation d’une opération d’« initié »[7].

 

[48]    La deuxième opération de cette « série », soit le « dividende final », était un accord conclu aux fins de l’impôt du Luxembourg seulement et n’a eu aucune incidence fiscale au Canada.

 

[49]    La dernière opération était la prorogation de l’appelante au Luxembourg. L’avocat de l’appelante a soutenu qu’en plus des avantages fiscaux que la Convention fiscale offrait, le Luxembourg convenait davantage que les îles Caymans pour l’exploitation d’une entreprise minière en Afrique. Peu après cette opération, M. Boulle a prorogé, au Luxembourg pour les mêmes raisons, une autre société des îles Caymans, Gondwana, qui poursuivait des activités minières en Afrique.

 

[50]    Il appert de la preuve que la vente visait à permettre à M. Boulle de réaliser un gain sur la vente d’une petite partie des actions qu’il détenait dans DFR. M. Boulle était un « millionnaire sur papier » qui était endetté et dont la totalité de l’avoir résidait dans des actions non liquides de DFR. Il était toujours possible que la valeur de son investissement, qui avait brusquement augmenté, diminue sensiblement. La vente lui assurait une sécurité financière, ce qui constitue un objet véritable, indépendamment du succès ou de l’échec de DFR. C’est là le « pourquoi » de chaque opération de la série. Le « comment » réside dans la mise en oeuvre d’un plan complexe élaboré par le conseiller fiscal de l’appelante au Canada [8].

 

[51]    Dans son mémoire, l’intimée met l’accent sur le plan fiscal et énonce ce qui suit :

 

[traduction] La vente avec report d’impôt de 703 000 actions de DFR constitue l’opération sur laquelle l’ensemble du plan de l’appelante reposait. Cette opération a manifestement été effectuée en prévision du fait que MIL serait prorogée dans une juridiction où elle pourrait demander une exemption d’impôt en vertu d’une convention fiscale en vue de la vente ultérieure d’actions de DFR. Cette opération a permis à MIL de réduire le pourcentage des actions qu’elle détenait dans DFR à un niveau inférieur au seuil de 10 p. 100 prévu au paragraphe 13(4) de la Convention fiscale, qui autorisait une vente exonérée d’impôt des actions de DFR après la prorogation de celle-ci au Luxembourg [...].

 

Il est évident d’après ces mémoires que la décision de l’appelante de vendre 703 000 actions était fondée uniquement sur la nécessité de réduire sa participation à un niveau inférieur au seuil de 10 p. 100.

 

[52]    L’appelante a fait valoir que le gain découlant d’une vente d’actions de DFR aurait été exonéré d’impôt en vertu de la Convention fiscale indépendamment du seuil de 10 p. 100. Selon elle, en vertu de l’article 13 de la Convention fiscale, même si la valeur des actions de DFR découlait principalement d’un bien immobilier au Canada, l’expression « bien immobilier » n’englobait pas un bien dans lequel la société exerçait ses activités.

 

L’avocat de l’intimée a soutenu ce qui suit :

 

[traduction] Que ce soit vrai ou non, l’important, c’est qu’il n’y a pas la moindre preuve que l’appelante ou ses conseillers l’ont cru à l’époque ou que c’était un facteur dont l’appelante a tenu compte lorsqu’elle a décidé de vendre les 703 000 actions.

 

L’avocat de l’appelante a répondu en ces termes :

 

[traduction] Pour être juste, il faut dire que le grand avantage du seuil de 10 p. 100 ou du critère de l’intérêt important est le fait qu’il constitue une ligne de démarcation très nette. L’autre critère est celui de la question de savoir si vous exploitez ou non une entreprise, ce qui nécessite un débat de fond, tandis que le seuil de 10 p. 100 est une ligne de démarcation très nette. Nous respectons cependant les deux critères.

 

[53]    À mon avis, même si les actions de DFR étaient peut-être déjà exonérées d’impôt en vertu de la Convention fiscale, un des éléments déterminants des opérations était la volonté de l’appelante de s’assurer que la vente de ses actions serait effectuée d’une façon avantageuse sur le plan fiscal. Je conclus que le « comment » est subordonné au « pourquoi » de la vente.

 

[54]    Cette conclusion est compatible avec la jurisprudence établie au sujet de la légitimité de la planification fiscale; ainsi, dans Geransky v. H.M.Q., 2001 DTC 243, il a été reconnu :

 

[...] [qu’] une opération purement commerciale, conçue par des gens d’affaires n’ayant aucune motivation fiscale particulière et exécutée avec l’aide de fiscalistes de manière à atteindre le résultat visé en réduisant au minimum les conséquences négatives sur le plan fiscal [...]

 

n’est pas une opération d’évitement.

 

Ce principe ressort également de la décision non portée en appel qui a été rendue dans Evans v. H.M.Q., 2005 DTC 1762, dans laquelle le juge en chef Bowman, de la CCI, s’est exprimé en ces termes :

Je considère comme une question de fait que la motivation principale de la série d’opérations qui nous occupe ici consistait, pour M. Evans, à toucher les fonds de la société en commandite. La méthode choisie était conçue de façon à lui permettre de le faire en payant le moins possible d’impôts.

 

De plus, dans Jabs Construction Limited v. H.M.Q., 1999 DTC 729, la CCI a formulé les remarques suivantes :

 

L’article 245 est une sanction extrême. Cela ne doit pas être utilisé de façon routinière chaque fois que le ministre est mécontent du simple fait qu’un contribuable structure une opération d’une manière fiscalement efficace ou ne structure pas une opération d’une manière qui optimalise l’impôt.

 

[55]    Ce principe découle de l’arrêt-clé IRC v. Duke of Westminster (1935), 19 T.C. 490, où Lord Tomlin s’est exprimé comme suit :

 

                   [traduction]

Tout homme a le droit, s’il le peut, de diriger ses affaires de façon que son assujettissement aux impôts prescrits par les lois soit moindre qu’il ne le serait autrement. S’il réussit à obtenir ce résultat, alors, même si le percepteur ou les autres contribuables n’apprécient guère son ingéniosité, on ne peut pas l’obliger à payer plus d’impôt.

 

[56]    Tel qu’il est mentionné plus haut, au paragraphe 31 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, la Cour suprême du Canada a cité les notes explicatives concernant l’article 245 selon lesquelles le législateur a reconnu ce qui suit :

 

[...] le principe du duc de Westminster selon lequel « la planification fiscale – c’est-à-dire le fait d’organiser ses affaires de manière à payer le moins possible d’impôts – est une dimension légitime et admise du droit fiscal canadien ».

 

[57]    Compte tenu de ce qui précède, étant donné que la vente par l’appelante était fondée sur un objet commercial véritable, il était loisible à celle-ci de consulter un spécialiste fiscal au sujet de la meilleure façon de structurer l’opération.

 

La série peut-elle comprendre la vente en cause?

 

[58]    Il convient de souligner que le ministre du Revenu national (ministre) n’a pas établi de nouvelle cotisation contre l’appelante relativement à la série[9]. Cependant, l’intimée cherche maintenant à utiliser cette même série pour empêcher l’application de l’exonération prévue à la Convention fiscale en ce qui a trait à la vente en cause. Afin de refuser l’avantage découlant de la Convention fiscale en ce qui concerne la vente en cause, l’intimée a soutenu que ce refus constituerait un attribut fiscal raisonnable au sens du paragraphe 245(2). De l’avis de l’avocat, le texte de cette dernière disposition permet l’inclusion de la vente en cause, étant donné que le revenu était à l’abri.

 

Le paragraphe 245(2) de la Loi est ainsi libellé :

 

En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

 

Les expressions « attribut fiscal » et « avantage fiscal » sont définies comme suit au paragraphe 245(1) de la Loi :

 

« attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

 

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

 

[59]    À mon avis, l’expression « attributs fiscaux » renvoie simplement à la façon d’appliquer l’article 245 pour refuser un avantage fiscal qui pourrait par ailleurs être invoqué. Cette interprétation est appuyée par le paragraphe 245(5) :

 


(5) Attributs fiscaux à déterminer

 

Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

 

a) toute déduction, esemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

 

b) tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

 

c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

 

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

[Non souligné dans l’original.]

 

[60]    L’avantage fiscal en ce qui concerne la série en cause réside dans le montant d’impôt qui serait par ailleurs exigible en vertu de la Loi en l’absence de cette série. La donnée comparable à utiliser est le montant d’impôt qui aurait été exigible si l’appelante avait vendu les 703 000 actions de DFR au comptant le 28 juin 1995. En pareil cas, l’appelante, qui était alors une société résidant dans les îles Caymans, n’aurait pas été protégée par la Convention fiscale et aurait été assujettie à l’impôt du Canada sur le gain en capital découlant de cette vente. L’avantage fiscal se termine donc avec la série et ne peut couvrir la vente finale en cause, à moins que celle-ci ne fasse également partie de la série.

 

[61]    L’avocat de l’intimée n’a pas soutenu au départ que la vente en cause faisait partie de la série d’opérations. Ce n’est qu’en réponse à la remarque de l’avocat de l’appelante selon laquelle la série se limitait aux trois opérations qu’il s’est éloigné légèrement de cette position initiale. Voici comment l’appelante s’est exprimée dans son mémoire :

 

[traduction] Même si les trois opérations constituaient une série (ce qui n’était pas le cas) et même si l’une d’elles était une opération d’évitement (ce qui n’était pas le cas non plus), la vente des actions de DFR que l’appelante a conclue en août 1996 ne faisait pas partie de la série et c’est cette vente qui a donné lieu à l’avantage fiscal.

 

 

En réponse à cet argument, l’avocat de l’intimée a précisé ce qui suit dans son mémoire :

 

                   [traduction]

67.              L’appelante fait également valoir que la vente d’août 1996 n’était pas envisagée ni déterminée d’avance lorsque les opérations en question ont été conclues. Cependant, il appert de la logique et de la preuve que DFR était la cible volontaire d’une prise de contrôle.

[Non souligné dans l’original.]

 

[62]    Les mots « déterminée d’avance » et « envisagée » renvoient aux critères servant à déterminer la composition d’une « série d’opérations », comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué au paragraphe 25 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada :

 

Le sens de l’expression « série d’opérations » utilisée aux par. 245(2) et (3) n’est pas clair à première vue.  Nous partageons l’opinion des juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt OSFC et retenons le critère adopté à cet égard par la Chambre des lords, selon lequel une série d’opérations comprend un certain nombre d’opérations [traduction] « déterminée[s] d’avance de manière à produire un résultat donné [alors qu’] il n’existait aucune probabilité pratique que les événements planifiés d’avance ne se produiraient pas dans l’ordre envisagé » : Craven c. White, [1989] A.C. 398, p. 514, lord Oliver; voir également W. T. Ramsay Ltd. v. Inland Revenue Commissioners, [1981] 1 All E.R. 865.

 

[63]    Voici la citation complète de l’arrêt Craven c. White :

 

[traduction] Dans l’état actuel du droit, les éléments essentiels qui ressortent de l’arrêt Furniss c. Dawson, [1984] A.C. 474, me semblent être au nombre de quatre :

 

(1)        que la série d’opérations était, au moment où l’opération intermédiaire est intervenue, déterminée d’avance de manière à produire un résultat donné;

 

(2)        que l’opération n’avait d’autre but que la réduction des impôts;

 

(3)        qu’à ce moment-là il n’existait aucune probabilité pratique que les événements planifiés d’avance ne se produiraient pas dans l’ordre envisagé, de manière que l’opération intermédiaire n’était même pas envisagée pratiquement comme ayant une existence indépendante; et

 

(4)        que les événements préétablis ont effectivement eu lieu.

 

Le paragraphe 248(10) de la Loi est ainsi libellé :

 

Pour l’application de la présente loi, la mention d’une série d’opérations ou d’événements vaut mention des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série.

 

[64]    Au paragraphe 26 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, la Cour suprême du Canada a formulé les commentaires suivants :

 

Le paragraphe 248(10) élargit le sens de l’expression « série d’opérations » de manière à inclure les « opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série ».  La Cour d’appel fédérale a conclu, au par. 36 de l’arrêt OSFC, que c’est le cas lorsque les parties à l’opération « étaient au courant de la série [...], de façon qu’on puisse dire qu’elles en avaient tenu compte lorsqu’elles ont décidé de terminer l’opération ».  Nous tenons à ajouter que les mots « en vue de réaliser » sont employés non pas dans le sens d’une connaissance véritable, mais dans le sens plus général de « en raison de » ou « relativement à » la série.  Ces mots peuvent s’appliquer à des événements survenus soit avant soit après l’opération d’évitement de base visée par le par. 245(3). 

 

[65]    Un lien étroit doit exister entre les opérations pour que celles-ci fassent partie d’une série d’opérations. En donnant aux mots « en vue de réaliser » le sens plus général de « en raison de » ou « relativement à » la série, la Cour suprême ne pouvait avoir envisagé une simple possibilité, ce qui engloberait un degré d’éloignement extrême. Dans le cas contraire, la planification fiscale légitime serait en péril, ce qui irait à l’encontre de l’objet du législateur que la Cour a clairement articulé, soit assurer « l’uniformité, la prévisibilité et l’équité ».

 

[66]    Le principal argument que l’intimée invoque pour affirmer l’existence d’un lien entre la vente en cause et la série semble être le fait que DFR était une cible volontaire d’une prise de contrôle et que, en conséquence, l’appelante envisageait une vente de la société lors de la série. Voici comment l’avocat s’est exprimé au paragraphe 67 de son mémoire :

 

                   [traduction]

a)        peu après novembre 1994, lorsque les travaux de forage ont permis de confirmer l’existence d’un important gisement de nickel, de cuivre et de cobalt à Voisey’s Bay, l’intérêt des participants du marché à l’endroit des actions de DFR s’est intensifié et les cours à la Bourse ont grimpé. De plus, de nombreuses sociétés minières canadiennes et internationales ont pris contact avec DFR au sujet de la propriété;

 

b)        en décembre 1994, le conseil d’administration de DFR a adopté un régime de protection des droits des actionnaires (pilule empoisonnée) afin de se donner le temps de maximiser la valeur pour les actionnaires et de veiller à ce qu’ils soient tous traités de façon égale et équitable relativement à toute offre publique d’achat;

 

La « pilule empoisonnée » de DFR était la réaction de celle-ci à l’intérêt non sollicité qu’ont manifesté dix-huit sociétés. Il s’agissait simplement d’une pratique commerciale normale visant à empêcher une prise de contrôle non désirée.

 

                   [traduction]

c)       DFR a retenu les services de Nesbit Burns et de Credit Suisse First Boston en août 1995 pour la conseiller sur toute offre publique d’achat58;

 

Cette note de bas de page renvoyait au compte rendu de la réunion que le conseil d’administration a tenue le 26 août 1995. Voici l’extrait pertinent de ce compte rendu, qui ne comportait pas la moindre allusion à d’éventuelles offres publiques d’achat :

 

[traduction]

Conseillers financiers :

 

M. Mercaldo passe en revue les rôles des conseillers financiers en ce qui concerne First Marathon, Nesbitt Burns et CS First Boston. Sur motion dûment présentée et appuyée : « IL EST RÉSOLU À L’UNANIMITÉ QUE LA DIRECTION SOIT AUTORISÉE À CONCLURE DES ENTENTES AVEC CHACUN DE CES CONSEILLERS POUR L’OBTENTION DE SERVICES FINANCIERS CONTINUS ».

 

[traduction]

d)      la question d’une autre acquisition a été abordée entre DFR et Inco dès septembre 1995, à peine deux mois après l’opération du 28 juin 1995, et a fait l’objet de discussions non officielles en octobre et novembre de la même année59;

 

La note de bas de page renvoie aux propos suivants de M. Feiner :

 

[traduction] Nous nous sommes rencontrés à l’occasion d’un dîner au début de septembre 1995, à Toronto, et la question de l’intention d’Inco d’acquérir la partie du gisement de Voisey’s Bay qui ne lui appartenait pas à l’époque a été effleurée avec des gens de Diamond Fields.

 

Teck, Falconbridge et Inco avaient toutes envisagé la possibilité d’acquérir la totalité de la participation dans Voisey’s Bay auparavant et DFR avait rejeté chacune de ces ouvertures. Ces propos ne peuvent pas être considérés comme une preuve d’une intention de vendre.

 

                   [traduction]

e)        le compte rendu des réunions que les administrateurs de DFR ont tenues le 26 août 1995, le 9 février 1996 et en avril 1996 ainsi que la résolution des administrateurs en date du 17 octobre 1995 renvoient tous à la société comme cible d’une prise de contrôle plutôt que comme entreprise qui s’apprêtait à exploiter une mine. De plus, il n’y a aucune preuve du fait que les administrateurs de DFR ont examiné les questions découlant des préoccupations sérieuses que le gouvernement de Terre-Neuve et différents groupes autochtones locaux avaient soulevées et qui étaient devenues manifestes en juin 1995. Inco a mis plus de cinq ans à résoudre ces questions;

 

Au cours de son témoignage, M. Mercaldo a expliqué clairement ces « réunions particulières »[10]. Voici ce qu’il a dit en contre-interrogatoire :

 

[traduction]

[...] les points que vous soulevez étaient des questions que nous examinions tous les jours.

 

Cette réponse a été suivie de l’échange suivant :

 

[traduction]

Q.        La même question. Je vais simplement vous poser la même question : il n’y a pas eu la moindre discussion au sujet de cette résolution concernant les résultats des travaux de forage et d’exploration ou l’embauche d’experts et de personnes spécialisées dans l’exploitation minière?

 

R.                 C’est exact. En réalité, nous ne dirigions pas cette entreprise par la tenue de réunions du conseil d’administration ou de comités. Nous dirigions la société. Nous soulevions les questions dont nous devions faire part au conseil d’administration en temps opportun. [...] Le conseil m’a confié la responsabilité d’élaborer le programme de forage, d’engager les gens et ainsi de suite. J’ai engagé M. Paterson et j’ai négocié son contrat avec lui. J’ai engagé M. Carson et j’ai négocié son contrat avec lui, et ainsi de suite. [...] Nous ne dirigions pas la société par l’entremise de comités. [...] Nous consignions par écrit ce qui devait être consigné par écrit, nous obtenions les autorisations nécessaires lorsque nous en avions besoin, mais nous disposions d’une grande marge de manoeuvre qui s’étendait sur de longues périodes.

 

[traduction]

f)          Il n’y a aucun élément de preuve montrant qu’en juin 1995, lorsqu’Inco a versé une somme de 25 000 000 $ pour l’exécution d’une étude de faisabilité, DFR avait mené ne serait-ce qu’une étude préliminaire et, en avril 1996, lorsqu’Inco a consenti à acquérir le reste des actions de DFR, aucune étude de faisabilité n’avait été menée et la plupart des travaux s’étaient résumés à des activités d’exploration.

 

M. Mercaldo avait souligné qu’une étude de faisabilité est menée après la détermination des réserves. Il a ensuite expliqué de façon détaillée cette démarche, qui est [traduction] « extrêmement complexe, parce que vous essayez d’éliminer les conjectures et vous voulez être en mesure de prévoir... ce que seront vos mouvements de trésorerie ainsi que vos coûts d’exploitation, votre dépréciation et votre amortissement ». Le témoin de l’intimée, M. Feiner, a convenu qu’une étude de faisabilité constituait un élément clé au soutien de l’élaboration d’un projet d’exploitation minière :

 

[traduction] [...] vous ne feriez pas de dépenses d’immobilisation importantes liées à la mise en valeur d’un gisement avant que l’étude de faisabilité ait été menée et ait confirmé les paramètres économiques et opérationnels et d’autres paramètres clés du projet. [...]. Ce ne serait pas là une étape préliminaire. L’étape préliminaire serait ce qui est communément appelé une étude de préfaisabilité qui couvrirait, là encore, quelques-uns des aspects clés de l’étude de faisabilité, mais pas d’une façon aussi approfondie. Si l’étude de préfaisabilité a donné des résultats satisfaisants, vous passeriez ensuite à l’étude de faisabilité.

 

[67]    Il appert clairement de la preuve que DFR a pris des mesures actives pour empêcher tout achat. Ainsi, les arrangements conclus avec Teck et Inco comprenaient des accords moratoires qui obligeaient l’une et l’autre à voter dans le même sens que la direction de DFR et les empêchaient d’acheter d’autres actions de DFR sans le consentement de la direction de celle-ci. De plus, l’arrangement conclu avec Inco prévoyait l’acquisition de 25 p. 100 des actions de Voisey’s Bay, filiale de DFR, plutôt que l’acquisition d’actions de DFR elle-même. Comme M. Mercaldo l’a expliqué au cours de son témoignage, le but était de contrôler [traduction] « notre propre destin » et de se protéger dans le cadre des opérations avec Inco. À mon avis, à la fin de la série d’opérations, la direction de DFR, y compris le coprésident M. Boulle et par conséquent l’appelante, n’avait nullement l’intention de vendre.

 

[68]    Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire s’il y avait, en août 1995, de [traduction] « très bonnes chances » que tout le reste des actions de DFR soient vendues à l’une des entreprises intéressées, M. Mercaldo a répondu en ces termes :

 

[traduction] Non, absolument pas. Nous avions... John Paterson faisait partie du conseil d’administration. Nous venions d’engager Harvey Keats le 3 août. Nous étions en pourparlers... John était en pourparlers... avec Mike Young et avec Ken... de Noranda Research... nous essayions de déterminer la façon la plus rapide de passer à l’étape de la production. Nous avions conclu notre accord avec Inco et nous nous dirigions vers la production. Ce n’est que lorsque M. Paterson est décédé que la situation a changé.

 

Il a également ajouté ce qui suit :

 

[traduction] Nous voulions beaucoup maintenir notre indépendance et contrôler cette entreprise géante afin qu’elle ne puisse nous attacher et dans les faits prendre les choses en main. Nous avons donc accepté de leur vendre 25 p. 100 de la Voisey’s Bay Nickel Company Limited, qui était une filiale à part entière de Diamond Fields. [...] Nous ne voulions pas vendre 25 p. 100 de nos actions à Inco, parce qu’elle aurait alors obtenu un véritable pouvoir de contrôler l’entreprise [...] nous lui avons offert 25 p. 100 des actions de Voisey’s Bay Nickel Company et 25 p. 100 des places au conseil d’administration de cette société; alors, nous n’avons pas... nous avons conservé le contrôle de notre destin.

 

Ce n’est que lorsque M. Paterson est décédé en octobre 1995 que DFR a envisagé la vente. M. Mercaldo a décrit le décès de M. Paterson comme un événement

 

[traduction] tragique. John était un homme extraordinaire qui avait beaucoup de talent et qui a apporté beaucoup de dynamisme à la société; il est décédé, il avait eu une crise d’appendicite à bord de l’avion. Il voyageait de London à St. John’s et, lorsqu’il a finalement été opéré le lendemain, son appendice avait éclaté et il a passé une semaine à l’hôpital là-bas. Il est ensuite revenu ici et a tenu des réunions techniques chez lui avec ses gens de North Van. Une semaine plus tard, il s’est retrouvé au Lion’s Gate Hospital et les médecins lui ont donné son congé deux jours plus tard, parce qu’ils n’ont rien trouvé d’anormal chez lui, et il est décédé d’une embolie pulmonaire dans le terrain de stationnement.

 

Bien qu’il soit survenu à peine quelques mois après le transfert effectué en juin, le décès de M. Paterson a modifié sensiblement la situation de DFR et ce changement n’a rien à voir avec la série d’opérations que l’appelante avait conçue en juin 1995.

 

[69]    En conséquence, ayant conclu que, à l’époque de la série d’opérations, DFR n’avait nullement l’intention d’accepter l’offre d’achat de quelque acheteur que ce soit, je suis d’avis que la vente en cause ne peut être incluse dans cette série en raison de la simple possibilité d’une vente éventuelle d’actions.

 

L’évitement abusif en vertu de la Convention fiscale

 

[70]    Comme je suis arrivé à la conclusion que ni la vente en cause non plus que l’une ou l’autre des opérations de la série ne constituent des opérations d’évitement, il n’est pas nécessaire que j’analyse la question de savoir si l’une de ces opérations est abusive au sens du paragraphe 245(4). Cependant, si je menais une telle analyse, je me demanderais principalement si une disposition ou un article précis de la Convention fiscale ou de la Loi a été mal appliqué ou a fait l’objet d’un emploi abusif. En ce qui concerne l’appelante, j’examinerais explicitement les exemptions qu’elle invoque et qui sont énoncées au paragraphe 13(4).

 

[71]    Un exemple d’abus possible est illustré dans RMM Canadian Enterprises v. MNR, 97 DTC 302. Dans cette affaire, l’appelante a tenté de structurer une opération de « dépouillement des surplus » comme un gain en capital, afin de bénéficier de l’exemption prévue à l’article XIII de la convention entre le Canada et les États-Unis, plutôt que comme un dividende, dont le traitement prévu à l’article X aurait été moins avantageux. Dans ces circonstances, il ne serait pas nécessairement déraisonnable d’appliquer l’article 245 et de dire que le gain en capital est un dividende afin de supprimer l’avantage découlant de l’application de la Convention fiscale.

 

[72]    Dans son mémoire, l’avocat de l’intimée a soutenu que le « chalandage fiscal » constitue un emploi abusif des conventions fiscales bilatérales et que la Cour suprême du Canada a reconnu cette réalité. Au cours de sa plaidoirie, l’avocat a cité l’extrait suivant de l’arrêt Crown Forest Industries Limited c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, à la page 825, pour faire valoir que, si la Cour suprême avait eu l’article 245 à sa disposition[11] , elle l’aurait appliqué afin de supprimer un avantage découlant du « chalandage fiscal » :

 

Il me semble que Norsk et l’intimée cherchent toutes deux à réduire au minimum leur assujettissement fiscal en choisissant les régimes internationaux qui leur sont le plus directement avantageux sur le plan fiscal. Bien que ce comportement n’ait rien de répréhensible, j’estime certainement qu’il ne doit pas être encouragé ni favorisé par l’interprétation judiciaire des ententes existantes.

 

Je ne crois pas qu’il soit possible d’utiliser les remarques incidentes du juge Iacobucci pour tirer une conclusion prima facie d’abus découlant du choix de la convention fiscale la plus avantageuse. Le choix d’un régime étranger par opposition à un autre n’a rien de foncièrement approprié ou inapproprié en soi. L’avocat de l’intimée a fait remarquer à juste titre que le choix d’une juridiction où le fardeau fiscal est peu élevé peut constituer un élément de preuve convaincant de l’objet fiscal inhérent à une opération qui est apparemment une opération d’évitement, mais le choix d’une convention fiscale pour minimiser l’impôt ne peut en soi être perçu comme une stratégie abusive. C’est l’utilisation de la convention fiscale choisie qui doit être examinée.

 

[73]    Le Canada a négocié un vaste éventail de conventions fiscales avec de nombreuses nations. Avant de négocier la Convention fiscale, le Canada était sans doute au courant du traitement des gains en capital au Luxembourg. L’article 13, qui concerne l’imposition des gains en capital en vertu de la Convention fiscale, est ainsi libellé :

 

Article 13

Gains en capital

 

1. Les gains qu’un résident d’un État contractant tire de l’aliénation de biens immobiliers situés dans l’autre État contractant sont imposables dans cet autre État.

 

[...]

 

4. Les gains qu’un résident d’un État contractant tire de l’aliénation :

 

a) d’actions faisant partie d’une participation substantielle dans le capital d’une société qui est un résident de l’autre État contractant et dont la valeur des actions est principalement tirée de biens immobiliers situés dans cet autre État, ou

 

b) d’une participation dans une société de personnes, une fiducie ou une succession et dont la valeur est principalement tirée de biens immobiliers situés dans cet autre État,

 

sont imposables dans cet autre État. Au sens du présent paragraphe, l’expression « biens immobiliers » [...] ne comprend pas les biens (autres que les biens locatifs) dans lesquels la société, la société de personnes, la fiducie ou la succession exerce son activité; et, il existe une participation substantielle lorsque le résident et des personnes qui lui sont associées possèdent au moins 10 pour cent des actions d’une catégorie quelconque du capital d’une société

 

5. Les gains provenant de l’aliénation de tous biens autres que ceux qui sont mentionnés aux paragraphes l à 4 ne sont imposables que dans l’État contractant dont le cédant est un résident.

 

6. Les dispositions du paragraphe 5 ne portent pas atteinte au droit de chacun des États contractants de percevoir, conformément à sa législation, un impôt sur les gains provenant de l’aliénation d’un bien et réalisés par une personne physique qui est un résident de l’autre État contractant et qui a été un résident du premier État à un moment quelconque au cours des six années précédant immédiatement l’aliénation du bien.

 

Selon la règle générale énoncée au paragraphe 13(5) de la Convention fiscale, les gains en capital ne sont imposables que dans l’État dont le contribuable est un résident (Luxembourg). Une exception est prévue relativement à l’imposition des biens immobiliers situés dans l’autre État contractant (Canada). Le droit du Canada d’exiger un impôt à l’égard du gain en capital sur les biens immobiliers fait également l’objet de deux autres restrictions qui sont énoncées au paragraphe 13(4). Il s’agit du droit d’exiger un impôt sur les biens immobiliers dans lesquels une société exerce son activité et sur ceux dans lesquels le contribuable détient une participation inférieure à une participation substantielle (participation de moins de 10 p. 100).

 

[74]    Les deux exemptions énoncées au paragraphe 13(4) de la Convention fiscale ne figurent pas dans le modèle de convention de l’OCDE sur lequel la Convention fiscale est fondée. Il faut présumer que, lorsque ces exemptions ont été rédigées, le Canada avait une raison valable de permettre au Luxembourg de conserver le droit d’exiger un impôt sur les gains en capital dans ces circonstances précises, par exemple, le désir d’encourager les investissements étrangers dans les propriétés canadiennes. L’utilisation par l’appelante d’une disposition d’une convention acceptée tant par le Canada que par le Luxembourg ne peut être considérée comme une utilisation abusive ou erronée. S’il est préoccupé par les taux d’imposition plus avantageux de ses partenaires fiscaux, le Canada devrait tenter de renégocier certaines conventions fiscales plutôt qu’appliquer l’article 245.

 

[75]    De plus, il importe de rappeler les circonstances uniques de la présente affaire. L’appelante n’a à aucun moment été un résident du Canada. La décision de proroger l’entreprise des îles Caymans au Luxembourg n’a pas changé la réalité selon laquelle l’appelante était une société étrangère possédant des actions d’une société canadienne. Si un résident du Canada déménageait au Luxembourg afin de bénéficier du traitement plus avantageux des gains en capital, il demeurerait assujetti à l’impôt du Canada pour deux raisons. D’abord, en vertu de la Loi, le contribuable canadien qui émigre du Canada sera réputé avoir fait une disposition conformément à l’alinéa 128.1(4)b), qui permet au Canada d’exiger un impôt sur l’accroissement de la valeur des biens immobiliers pendant que le résident se trouvait au Canada. En second lieu, le paragraphe 13(6) de la Convention fiscale permettrait au Canada d’exiger un impôt sur les gains réalisés par un ancien résident du Canada au cours des six premières années suivant son déménagement au Luxembourg.

 

L’argument subsidiaire : la règle anti-abus inhérente

 

[76]    L’intimée a formulé par écrit l’argument subsidiaire suivant :

 

[traduction] Même si la RGAÉ ne s’applique pas de façon à supprimer l’avantage fiscal en l’espèce, il est encore possible de refuser l’application de la Convention fiscale en raison de la règle anti-abus inhérente à celle-ci.

 

[77]    Afin d’établir l’existence d’une « règle inhérente », le ministre a présenté un expert du Luxembourg, le professeur Alain Steichen (M. Steichen), qui a été reconnu comme expert en droit fiscal du Luxembourg et spécialiste en ce qui a trait aux questions liées aux conventions fiscales auxquelles le Luxembourg est partie ainsi qu’aux règles de droit international qui s’appliquent aux conventions en question.

 

[78]    Selon M. Steichen, un avantage explicitement prévu dans une convention fiscale peut être supprimé dans les cas où les règles anti-évitement nationales tant du Luxembourg que du Canada refuseraient cet avantage. Afin d’établir le bien-fondé de l’avis de M. Steichen selon lequel la loi du Luxembourg s’appliquerait de façon à nier à l’appelante un avantage découlant de la Convention fiscale, le ministre a demandé à cet expert d’examiner le scénario inverse dans lequel MIL aurait été prorogée des îles Caymans au Canada afin d’invoquer la Convention fiscale[12].

 

[79]    Pour que l’avantage découlant de la Convention fiscale puisse être refusé selon le critère de M. Steichen, il aurait fallu prouver que les règles anti-évitement nationales tant du Canada que du Luxembourg s’appliqueraient dans les circonstances. Même si le critère de M. Steichen était retenu, il serait impossible d’appliquer la règle anti-abus inhérente avant de conclure d’abord à l’existence d’une opération d’évitement abusive au Canada.

 

[80]    Pour établir sa règle anti-abus inhérente, M. Steichen invoque les principes de droit international. Son point de départ est la Convention de Vienne sur le droit des traités, [1980] R.T. Can. n° 37 (Convention de Vienne). Il a été décidé que la Convention de Vienne dont le Canada était un signataire initial était le point de départ à utiliser pour interpréter un traité auquel le Canada est partie[13]. M. Steichen renvoie explicitement aux articles 26, 31 et 32, dont voici le texte :

 

Article 26

                        Pacta sunt servanda

 

Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi.

 

SECTION 3 : INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

 

Article 31

Règle générale d’interprétation

 

1.        Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

 

2.        Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :

 

a)      tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité;

b)      tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité

 

3.        Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :

a)      de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions;

b)      de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité;

c)      de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.

[Non souligné dans l’original.]

 

4.        Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties.

 

Article 32

Moyens complémentaires d’interprétation

 

Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 :

 

a)      laisse le sens ambigu ou obscur; ou

b)      conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

 

[81]    Après avoir examiné le sens ordinaire de la Convention fiscale, M. Steichen a conclu comme suit :

 

[traduction] Ni l’article 13 non plus qu’aucun autre article de la Convention fiscale ne semblent comporter une disposition précise qui interdirait le chalandage fiscal et qui autoriserait le Luxembourg, dans le scénario inverse, à refuser les avantages découlant de la Convention fiscale en application du paragraphe 13(5). Seul le préambule[14] de la Convention fiscale renvoyant à la prévention de l’évasion fiscale pourrait être invoqué. Cependant, il ne s’agit pas là, à mon avis, d’une disposition interdisant le chalandage fiscal que le Luxembourg pourrait invoquer pour refuser des avantages découlant de la Convention fiscale aux contribuables qui y auraient par ailleurs droit. Pour que tel soit le cas, la Convention fiscale elle-même devrait comporter des dispositions appuyant le préambule et définissant les différents éléments des opérations d’évitement qui permettraient au Luxembourg de refuser les avantages découlant de la Convention fiscale à un résident du Canada.

 

[82]    Lorsqu’on a demandé à M. Steichen à l’audience si l’application de la Convention fiscale et du principe pacta sunt servanda sous-entendrait que l’appelante devrait bénéficier de l’avantage découlant de la Convention fiscale, il a répondu par l’affirmative. En réponse à la question de savoir si la Convention de Vienne était la seule source applicable de droit public international dont le Luxembourg tiendrait compte, il s’est exprimé comme suit :

 

[traduction] C’est la source la plus pertinente, parce que les mots de la Convention fiscale s’y trouvent, et c’est la source qu’il est préférable d’utiliser pour interpréter une convention, étant donné qu’une source devrait comporter tous les éléments pertinents qui se trouvent dans la convention elle-même. Ce n’est qu’en cas d’ambiguïté découlant de la convention qu’il serait permis d’invoquer d’autres principes de droit public international pour interpréter correctement celle-ci.

 

[83]    Lorsque le Canada et le Luxembourg ont signé la Convention fiscale en 1990, les deux pays avaient adopté des règles anti-évitement nationales (en 1941 dans le cas du Luxembourg et en 1988 dans le cas du Canada); pourtant, aucune mention de ces règles ne figurait dans la Convention fiscale.

 

[84]    De l’avis de M. Steichen, le silence dans une convention équivaut à une ambiguïté. Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire comment les rédacteurs de la Convention fiscale auraient pu éviter l’ambiguïté, M. Steichen a donné l’explication suivante :

 

[traduction] Il aurait peut-être été souhaitable d’y insérer une clause énonçant que la RGAÉ locale ne peut toucher la validité de la Convention fiscale. Ce serait là un énoncé clair qui éliminerait à mon avis la nécessité de débattre de l’existence d’une disposition anti‑abus implicite.

 

L’avocat de l’appelante a ensuite renvoyé le professeur Steichen au paragraphe 7 du Commentaire du modèle de convention fiscale de 1977 de l’OCDE, dont voici le texte :

 

Le but des conventions de double imposition est de promouvoir [...] en éliminant la double imposition internationale; elles ne devraient pas, en revanche, faciliter l’évasion et la fraude fiscales. Les contribuables ont certes la possibilité d’utiliser, en dehors de toute convention de double imposition, les différences de charges fiscales existant entre les États et les avantages fiscaux prévus par les diverses législations fiscales, mais il incombe aux États concernés de prendre dans leurs législations internes des dispositions allant à l’encontre de manoeuvres éventuelles. Ces États voudront alors, dans leurs conventions bilatérales de double imposition, sauvegarder l’application de dispositions de ce genre figurant dans leurs législations internes.

 

Lorsque l’avocat de l’appelante lui a demandé si ce paragraphe signifiait : [traduction] « si vous voulez qu’une règle anti-évitement figure dans la convention, vous devriez l’inclure explicitement dans celle-ci »?

 

M. Steichen a répondu :

 

[traduction] Je dirais que c’est ce que ça signifie, oui.

 

L’échange s’est poursuivi comme suit :

 

                   [traduction]

Q.        Lorsque cette Convention fiscale a été rédigée, la documentation de l’époque prévoyait que [traduction] « si vous voulez inclure une disposition anti-abus dans une convention, vous devez le faire de façon explicite ». Est-ce exact?

 

R.         C’est exact.

 

[85]    Dans Crown Forest, le juge Iacobucci, de la Cour suprême du Canada, a appuyé l’emploi du Commentaire de l’OCDE :

 

[...] pour illustrer et clarifier les intentions des parties à la Convention Canada‑États‑Unis en matière d’impôts (1980).  Suivant les art. 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (R.T. Can. 1980 n37), on peut recourir à ce genre de documents extrinsèques pour interpréter des documents internationaux comme les conventions fiscales; [...]

 

Le Modèle de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune de l’OCDE [...] est fort convaincant pour ce qui est de délimiter les paramètres de la Convention Canada‑États‑Unis en matière d’impôts (1980) [...]. Comme l’a signalé la Cour d’appel, ce modèle, reconnu mondialement comme un document de référence fondamental aux fins de la négociation, de l’application et de l’interprétation de conventions fiscales bilatérales ou multilatérales, a servi de base à la Convention Canada‑États‑Unis en matière d’impôts (1980).

 

[86]    L’intimée a invoqué les révisions apportées en 2003 au Commentaire de l’OCDE au soutien de l’existence d’une règle anti-abus inhérente dans les conventions fiscales. Selon l’alinéa 31(3)c) de la Convention de Vienne, « [i]l sera tenu compte, en même temps que du contexte : [...] de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ». À mon avis, cette disposition signifie qu’il est possible de consulter uniquement le Commentaire de l’OCDE qui existait lorsque la Convention a été négociée sans tenir compte des révisions subséquentes[15]. Le propre expert de l’intimée a convenu en contre-interrogatoire qu’il ne devrait pas être tenu compte des révisions subséquentes :

 

 

                   [traduction]

Q.        D’abord, je comprends que, en ce qui concerne l’utilisation des commentaires qui ont été publiés en 2003 à l’égard de la Convention de l’OCDE, les commentaires sur l’article 1, je pense que nous admettons tous deux qu’il n’est pas logique de tenter d’appliquer ces commentaires à l’interprétation d’une convention qui a été rédigée en 1989. Est-ce exact?

 

R.         C’est exact[16].

 

[87]    Dans l’ensemble, j’estime que l’avis et le témoignage de M. Steichen ne sont pas vraiment convaincants. Plus précisément, compte tenu du Commentaire de l’OCDE et de la décision du Canada et du Luxembourg de ne pas inclure de renvoi explicite à des règles anti-évitement dans la Convention fiscale qu’ils ont soigneusement négociée, je suis d’avis que celle-ci ne comporte aucune ambiguïté qui permettrait de l’interpréter comme un document comportant une règle anti-abus inhérente. En termes simples, le « sens ordinaire » de la Convention fiscale, qui permet à l’appelante d’invoquer l’exemption, doit être respecté.

 

[88]    En conséquence, l’appel sera accueilli avec dépens en faveur de l’appelante.

 


ANNEXE A JOINTE AUX MOTIFS DU JUGEMENT ET EN FAISANT PARTIE

 

EXPOSÉ CONJOINT PARTIEL DES FAITS

 

[1]     Voici l’EXPOSÉ conjoint partiel des faits :

 

Les parties aux présentes conviennent des faits suivants, par l’entremise de leurs avocats respectifs, pourvu que l’accord ne soit fait qu’aux fins du présent appel et ne puisse être utilisé contre elles à d’autres occasions et pourvu également que les parties puissent ajouter des éléments de preuve supplémentaires et complémentaires qui concernent les questions en litige et qui ne sont pas incompatibles avec le présent accord.

 

1.       En tout temps pertinent avant juin 1995, Jean-Raymond Boulle (M. Boulle) était un résident du Belize, situé en Amérique centrale. Vers 1995, M. Boulle est devenu un résident de Monaco et l’est resté en tout temps pertinent par la suite.

 

2.       À compter de janvier 1993, M. Boulle a commencé, pour le compte d’une entreprise non encore constituée en société, à acquérir des actions de Diamond Field Resources Ltd. (DFR), société ouverte constituée au Canada et cotée à la Bourse de Toronto.

 

3.       Le 3 mars 1993, M. Boulle détenait 29,4 p. 100 des actions émises de DFR. Le 10 mars 1993, l’appelante a été constituée en société exonérée d’impôt sous le régime des lois des îles Caymans. M. Boulle a transféré à l’appelante les actions de DFR qu’il avait acquises pour le compte de ladite appelante.

 

4.       Après la constitution en société de l’appelante, M. Boulle a détenu les deux actions émises de celle-ci et l’a contrôlée en tout temps pertinent.

 

5.       Avant novembre 1994, DFR se livrait à l’acquisition, à l’exploration et à la mise en valeur de propriétés de diamant. Dans le cadre d’un programme d’exploration qu’elle a appliqué en novembre 1994, DFR a découvert un important gisement de nickel, de cuivre et de cobalt près de Voisey’s Bay, dans le nord du Labrador (la propriété en cause).

 

6.                 En avril 1995, Teck Corporation a convenu d’investir un montant de 108 000 000 $ en échange de 10 p. 100 des actions de DFR et de fournir à celle‑ci des services de soutien technique relatifs à l’ingénierie, à l’élaboration et à la planification conceptuelle du projet de Voisey’s Bay.

 

7.       Selon un accord conclu le 8 juin 1995 entre DFR et Inco :

 

a.       DFR a convenu de constituer une filiale, Voisey’s Bay Nickel Company Limited (VBNC), et de transférer à celle-ci la propriété en cause.

 

b.       Inco a convenu d’acheter 25 p. 100 des actions de VBNC pour la somme de 386 700 000 $US, qui devait être réglée par l’émission d’actions privilégiées d’Inco en faveur de DFR.

 

c.       Inco a convenu de verser à VBNC un montant de 25 000 000 $ [traduction] « afin de financer les frais que VBNC engagera aux fins de la production, de l’exécution d’une étude de faisabilité et de la poursuite des travaux d’exploration sur son projet ».

 

d.       Inco a obtenu le droit de commercialiser le produit extrait de la propriété en cause pour une période de 25 ans.

 

e.       Inco et DFR ont conclu une entente concernant le financement, la mise en valeur et l’exploitation continus de la propriété en cause.

 

f.       Inco et DFR ont conclu une entente relative au statu quo selon laquelle, sauf en ce qui a trait aux 2 000 000 d’actions de DFR décrites ci-dessous, Inco convenait de ne pas acquérir d’autres actions de DFR avant la plus rapprochée des dates suivantes :

 

(i)                la date d’un changement de contrôle de DFR;

 

(ii)              la date à laquelle la participation de certains actionnaires de DFR sera inférieure à 2 000 000 d’actions;

 

(iii)            l’expiration d’une période de 25 ans.

 

8.       De plus, le 8 juin 1995, Inco a convenu d’acheter un total de 1 297 000 actions de DFR au Robertson Stephens Orphan Fund et au Robertson Stephens Contrarian Fund ainsi que 703 000 actions de DFR à l’appelante. Par suite de cet accord, le 28 juin 1995, l’appelante a échangé sur une base de report d’impôt, conformément à l’article 85.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), 703 000 actions de DFR contre 1 401 218 actions ordinaires d’Inco.

 

9.       Avant le 28 juin 1995, l’appelante avait détenu 3 252 273 actions ordinaires et M. Boulle avait détenu 132 500 actions ordinaires de DFR, soit des participations respectives de 11,90 p. 100 et de 0,485 p. 100 dans cette société. Après le 28 juin 1995, l’appelante détenait 2 549 273 actions de DFR et M. Boulle, 132 500 actions de DFR, soit des participations respectives de 9,332 p. 100 et de 0,485 p. 100 dans cette société. La participation totale de l’appelante et de M. Boulle s’élevait à 9,817 p. 100.

 

10.     Le 25 juin 1995, les administrateurs de l’appelante ont décidé par résolution qu’un dividende final (le dividende final) égal à la valeur de sa participation dans la propriété de Voisey’s Bay et de ses bénéfices non répartis au 14 juillet 1995 serait déclaré et versé par l’émission, le 14 juillet 1995, de deux billets à ordre portant intérêt selon des montants en principal de 37 863 874 $ (billet à ordre 1) et de 214 561 960 $ (billet à ordre 2).

 

11.     M. Boulle a versé à l’appelante le montant du billet à ordre 1 le 14 juillet 1995 en contrepartie de l’émission en sa faveur de 49 998 actions ordinaires de l’appelante. Cette mesure visait à permettre à l’appelante de répondre à ses besoins en capitaux au Luxembourg et à minimiser son impôt sur le capital dans ce pays en faisant en sorte que le capital‑actions de l’appelante représente alors au moins 15 p. 100 de la valeur du capital de celle-ci.

 

12.     M. Boulle a transféré le billet à ordre 2 à JRB Holdings I Limited (JRBI) conformément à un accord signé le 14 juillet 1995. JRBI a été constituée en société le 23 juin 1995 sous le régime des lois des îles Caymans et M. Boulle a contrôlé et possédé cette société en tout temps pertinent. JRBI a été constituée en société afin de détenir le billet à ordre 2.

 

13.     L’appelante avait l’intention de rembourser le billet à ordre 2 le plus rapidement possible. Elle a demandé et obtenu des autorités du Luxembourg une confirmation du fait que les versements des intérêts et du principal sur le billet à ordre 2 ne seraient pas assujettis aux retenues d’impôt du Luxembourg.

 

          Entre le 8 mars 1996 et le 5 janvier 1999, le billet à ordre 2 a été entièrement remboursé comme suit :

 

                             8 mai 1996                          2 000 000 $US

                             29 juillet 1996                    12 000 000 $US

                             9 août 1996                         1 000 000 $US

                             5 novembre 1996             120 000 000 $CAN

                             5 janvier 1996                    61 500 000 $US

 

14.     JRBI s’est servie des sommes provenant du remboursement du billet à ordre 2 pour prêter un montant de 750 000 $US à Gondwana (Investments) S.A., une autre société contrôlée par M. Boulle, et un montant de 9 200 000 $US à l’appelante. Le reste a été versé à M. Boulle ou pour celui-ci ou investi par JRBI dans des placements de portefeuille à l’extérieur du Luxembourg. Aucune partie du reste des fonds n’a été versée à des sociétés du Luxembourg ou n’est revenue au Luxembourg pendant la période précédant 2000.

 

15.     Le 14 juillet 1995, suivant les conseils d’un avocat du Luxembourg, M. Boulle a transféré les 50 000 actions qu’il détenait dans l’appelante, soit l’ensemble des actions émises et en circulation de celle-ci, à cinq sociétés de portefeuille (collectivement les sociétés de portefeuille en cause) selon la répartition suivante :

 

a.       Globe Flower Holdings Limited, constituée sous le régime des lois de Tortola, dans les îles Vierges britanniques – 16 600 actions;

 

b.       Auk Limited, constituée sous le régime des lois des Bahamas – 16 600 actions;

 

c.       Stormdust Limited, constituée sous le régime des lois de Saint Hélier, Jersey, îles Anglo-Normandes – 16 600 actions;

 

d.       JBS Holdings II Limited, constituée sous le régime des lois des îles Caymans - 100 actions;

 

e.       JRB Holdings III Limited, constituée sous le régime des lois des îles Caymans - 100 actions.

 

16.     En tout temps pertinent, M. Boulle était le seul actionnaire et contrôleur des sociétés de portefeuille en cause.

 

17.             Le 17 juillet 1995, l’appelante a été prorogée au Luxembourg.

 

18.             Après le 17 juillet 1995, l’appelante était un résident du Luxembourg pour l’application du paragraphe 4(1) de la Convention Canada-Luxembourg en matière d’impôts sur le revenu (la Convention fiscale).

 

19.             Conformément à la pratique courante des avocats du Luxembourg, la fin de l’exercice de l’appelante a été fixée au 31 juillet, le premier exercice devant se terminer le 31 juillet 1995. Selon les règles fiscales du Luxembourg, certains gains d’une société ne sont pas assujettis à l’impôt lorsqu’elle détient une participation minimale dans une autre société. Cependant, pour que cette exemption s’applique, il était nécessaire que l’appelante soit un résident et qu’elle ait détenu les actions pendant un exercice financier complet avant la vente.

 

20.             Le 17 juillet 1995, les sociétés de portefeuille en cause ont transféré les actions de l’appelante à MIL (Holdings) S.A., société du Luxembourg, à l’exception d’une action, que JRB Holdings III Limited a conservée.

 

21.             M. Boulle n’a jamais été un résident du Luxembourg et n’est allé dans ce pays que pour assister aux réunions des administrateurs et aux assemblées des actionnaires.

 

22.             Entre le 14 août 1995 et le 17 août 1995, l’appelante a vendu les 1 401 218 actions ordinaires d’Inco qu’elle avait précédemment acquises le 28 juin 19951 pour la somme de 65 466 895 $ (le produit d’Inco). L’appelante a demandé une exonération de l’impôt du Canada sur le gain en capital de 64 982 713 $2 découlant de l’opération (le premier gain d’Inco) en vertu de l’article 13 de la Convention fiscale. L’appelante n’a fait l’objet d’aucune nouvelle cotisation au Canada à l’égard du gain et n’a pas payé d’impôt au Luxembourg, parce que le prix de base des actions aux fins de l’impôt exigible au Luxembourg correspondait à la valeur à la date de la prorogation, laquelle dépassait le prix de vente.

 

23.             Le 14 septembre 1995, l’appelante a transféré 50 000 actions de DFR à trois particuliers en échange de services rendus aux sociétés de portefeuille en cause. L’appelante a déclaré un produit de disposition de 4 525 000 $ et un prix de base rajusté de 32 444 $ et a demandé une exemption de l’impôt du Canada sur le gain en capital de 4 492 556 $ (le premier gain de Diamond Field) qui découlait de l’opération en vertu de l’article 13 de la Convention fiscale. L’appelante n’a pas fait l’objet d’une nouvelle cotisation au Canada à l’égard du gain et n’a pas payé d’impôt au Luxembourg.

 

24.             Au 24 septembre 1995, l’appelante et M. Boulle détenaient respectivement 2 499 273 et 132 500 actions ordinaires de DFR. Le 25 septembre 1995, les actions ordinaires de DFR ont été fractionnées à raison de quatre pour une, de sorte que l’appelante et M. Boulle détenaient au total 10 527 092 actions ordinaires de DFR.

 

25.             Le 22 mai 1996, les actionnaires de DFR ont approuvé l’acquisition des actions en circulation de DFR par Inco, laquelle acquisition devait entrer en vigueur le 21 août 1996. Les actionnaires existants de DFR devaient recevoir la contrepartie suivante en échange de chaque action de DFR qu’ils détenaient :

 

a.       0,557 d’une action ordinaire d’Inco ou, si l’actionnaire faisait un choix en ce sens, un montant au comptant de 26,39 $ ou une combinaison d’espèces et d’actions, le montant au comptant total que les actionnaires de DFR pouvaient recevoir étant toutefois limité à 350 000 000 $;

 

b.                 0,25 d’une action de catégorie VBN d’Inco;

 

c.                 0,091 d’une action privilégiée Série E convertible à dividende de 5,5 p. 100 d’Inco;

 

d.                 un billet de Diamond, qui ne portait pas d’intérêt et dont le montant en principal équivalait à la valeur comptable de Diamond Fields Intl. Ltd., filiale de DFR qui détenait les actifs de diamant, lequel billet devait être payé par la remise d’une action du capital-actions de cette société.

 

26.     Au 20 août 1996, l’appelante détenait 9 997 092 actions ordinaires de DFR, soit 9,1476 p. 100 du capital d’actions ordinaires de celle-ci, et M. Boulle possédait 530 000 actions ordinaires de DFR, soit 0,485 p. 100 du capital d’actions ordinaires de celle-ci.

 

27.     Le 21 août 1996, en échange des 9 997 092 actions de DFR qui lui restaient, l’appelante a reçu d’Inco un produit de disposition de 427 475 645 $ sous la forme suivante :

 

a.                  5 568 379 actions ordinaires d’Inco;

 

b.                 9 997 092 billets de Diamond;

 

c.                 2 499 273 actions de catégorie VBN d’Inco;

 

d.                 909 734 actions privilégiées Série F convertibles d’Inco.

 

28.     L’appelante a demandé une exemption de l’impôt du Canada sur le gain en capital de 425 853 942 $3 découlant de l’opération (le deuxième gain de Diamond Field) en vertu de l’article 13 de la Convention fiscale. C’est ce gain qui fait l’objet du présent appel.

 

29.     Le 21 août 1996, en échange des 530 000 actions de DFR qui lui restaient, M. Boulle a reçu d’Inco un produit de disposition de 22 622 800 $ sous la forme suivante :

 

a.                  295 210 actions ordinaires d’Inco;

 

b.                 530 000 billets de Diamond;

 

c.                 132 500 actions de catégorie VBN d’Inco;

 

d.                 48 230 actions privilégiées Série B convertibles d’Inco.

 

30.             M. Boulle a produit, conformément au paragraphe 85(1) de la Loi, un choix fondé sur un montant convenu de 84 800 $ qui représentait la juste valeur marchande des 530 000 billets de Diamond.

 

31.             Les billets de Diamond que l’appelante et M. Boulle ont reçus ont subséquemment été échangés contre des actions de Diamond Fields Intl. Ltd.

 

32.             En octobre 1996, l’appelante a vendu 3 888 426 actions ordinaires d’Inco pour un produit de disposition de 118 726 102 $US (le deuxième gain d’Inco) et a reçu un total de 3 058 135 $US sous forme de dividendes découlant de sa participation dans Inco.

 

LA PREUVE VERBALE ET DOCUMENTAIRE

 

[2]     Le premier témoin de l’appelante était Ed Mercaldo (M. Mercaldo) qui était un placeur très expérimenté avant de se joindre à DFR. Il a ensuite aidé DFR à obtenir du financement à plusieurs reprises, notamment un montant de 15 000 000 $ en mars 1994, lequel provenait principalement du Robertson Stephens Fund (Stephens), de San Francisco. Il s’est également livré à d’autres activités exploratoires et entrepreneuriales pour le compte de DFR. Les deux principaux actionnaires fondateurs de DFR étaient Jean-Raymond Boulle (M. Boulle) et Robert Friedland (M. Friedland). M. Boulle a dit au cours de son témoignage qu’il s’était joint à DFR le 13 février 1995 et que, même si la présidence de l’entreprise lui avait été offerte, il estimait qu’il serait plus efficace comme premier vice-président et chef des finances et comme administrateur de la société.

 

[3]     Il a ensuite expliqué comment les gisements de cuivre, de nickel et de cobalt ont été découverts à Voisey’s Bay, au Labrador. Il a précisé que l’annonce de cette découverte [traduction] « a semé l’émoi dans le milieu de l’exploitation minière et la frénésie sur le marché ». Il a ajouté qu’à l’époque de la découverte, les actions se négociaient à environ 4 $ chacune à la mi-novembre. Par la suite, l’action a [traduction] « grimpé en flèche » et, vers Noël, elle se négociait à environ 13 $. D’autres équipes spécialisées dans les travaux de forage ont été engagées pour vérifier les limites des gisements et déterminer s’il était possible, sur le plan économique, de mettre en valeur une mine à cet endroit très éloigné.

 

[4]     M. Mercaldo a dit dans son témoignage que dix-huit sociétés minières réparties aux quatre coins du monde ont communiqué avec DFR au sujet du gisement qui, « aux yeux de plusieurs, était considéré comme une découverte de classe mondiale ». Il a ajouté que, lors de la Convention annuelle des prospecteurs qui a eu lieu à Toronto en mars (probablement en 1995), l’action valait environ 19 $ ou 20 $. À la fin d’avril, lorsque 10 p. 100 des actions de DFR ont été vendues à Teck Corporation (Teck), la valeur marchande des actions s’établissait à environ 33 $. M. Mercaldo a expliqué que, [traduction] « lorsque Teck a conclu l’accord prévoyant un financement à 36 $ l’action ainsi que d’autres concessions, les participants du marché ont présumé que Teck avait payé environ 39 $ l’action et, moins d’une semaine plus tard, à la fin d’avril, l’action valait 47 $.

 

[5]     M. Mercaldo a déclaré qu’à l’époque, M. Boulle et M. Friedland possédaient ensemble environ 30 p. 100 des actions de DFR, Stephens, 10 p. 100, et lui-même, M. Mercaldo, 1,5 p. 100, ce qui représentait une participation totale d’environ 40 p. 100. Il a dit que ce pourcentage n’aurait pas permis au groupe d’empêcher une prise de contrôle hostile.

 

[6]     M. Mercaldo a ajouté que Teck a versé une somme de 108 000 000 $ en échange de 10 p. 100 des actions de DFR sans exiger la nomination d’un administrateur et qu’elle acceptait de fournir des conseils techniques pour évaluer les réserves, et ainsi de suite; il a précisé que Teck leur avait assuré qu’elle pourrait faire le maximum de travaux de forage et d’exploration possibles sur la propriété pendant au moins trois étés et fort probablement quatre étés sans que DFR soit tenue d’emprunter d’autres sommes d’argent. Voici comment il s’est exprimé :

 

[traduction] Il était très important pour nous de prendre une dilution de 10 p. 100 et d’être couverts pour l’essentiel en ce qui concerne... et je parle du montant que nous pourrions dépenser, parce que nous dépendions du nombre d’appareils de forage et de personnes expérimentées que nous pourrions obtenir ainsi que du nombre de permis que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador nous accorderait, ce qui... en raison de toutes ces restrictions, nous ne pouvions injecter plus de 25 000 000 $ ou 28 000 000 $ par année dans la mise en valeur du programme.

 

Teck a également conclu avec M. Freidland une convention selon laquelle ce dernier et, subsidiairement, M. Boulle, en cas d’indisponibilité de M. Friedland, s’engageait à exercer le droit de vote afférent aux actions de Teck conformément aux directives de la direction relativement à toute question majeure, de façon à éviter une offre publique d’achat hostile. Il a précisé que Teck a fourni à DFR un soutien incroyable, notamment la collaboration de personnes qui avaient déjà construit des mines, qui savaient ce qu’elles faisaient et qui savaient comment procéder pour élaborer un plan d’exploitation minière, et ainsi de suite. De plus, a-t-il dit, Teck leur a donné accès à des programmes très perfectionnés sur différentes questions comme les calculs des réserves et la modélisation de mines, et a permis à DFR :

 

[traduction] de bénéficier d’une crédibilité incroyable sur les marchés financiers, parce que Teck était considérée comme une société astucieuse.

 

M. Mercaldo a ensuite ajouté que DFR avait conclu avec Teck une entente relative au statu quo selon laquelle celle‑ci avait accepté de ne pas acheter d’autres actions sans la permission de DFR.

 

[7]     M. Mercaldo a décrit le recrutement du personnel. La première mesure de recrutement importante a été l’embauche de M. John Paterson comme vice-président général responsable des activités liées au nickel. Il avait été chef du département des mines et de la métallurgie à l’Université Queen’s et était titulaire d’un doctorat en métallurgie.

 

[8]     M. Mercaldo a décrit Mike Sopko (M. Sopko) comme le président et chef de la direction d’Inco Limitée (Inco) en 1995. Il a ajouté que Cliff Carson (M. Carson), qui avait déjà été vice-président principal du marketing chez Falconbridge Limitée (Falconbridge), a été engagé comme président de DFR. Il a dit qu’à la mi-mai 1995, la valeur de la réserve de métaux bruts s’établissait à environ 12 000 000 000 $ et que, à l’époque, Inco contrôlait 25 p. 100 de la production mondiale de nickel. De plus, il a précisé qu’Inco était intéressée à acquérir 100 p. 100 de la participation de Voisey’s Bay, mais que, à l’époque :

 

[traduction] nous estimions encore que nous venions à peine d’effleurer la surface en ce qui concerne le potentiel de Voisey’s Bay.

 

Il a dit qu’un accord avec une entreprise comme Inco permettrait d’accélérer la production, en raison des ressources importantes qu’Inco possédait sur le plan de la gestion technique, y compris des ingénieurs, des métallurgistes et d’autres spécialistes du genre, ainsi qu’en raison de sa grande connaissance du marché.

 

[9]     M. Mercaldo a ensuite ajouté que, préoccupée par sa volonté de préserver son indépendance et le contrôle de son entreprise, DFR a convenu de vendre 25 p. 100 de Voisey’s Bay Nickel Company Limited (Voisey’s Bay), filiale en propriété exclusive de DFR. Il a expliqué que DFR ne voulait pas vendre 25 p. 100 de ses actions à Inco, parce que cette mesure aurait donné à celle-ci un contrôle réel sur DFR ainsi que des places au conseil d’administration. Il a dit qu’il n’avait nullement participé à la vente de deux millions d’actions que Stephens et M. Boulle ont consentie en faveur d’Inco, parce qu’il ne s’agissait pas d’actions de la trésorerie de la société. Selon lui, lors de l’achat de ces actions par Inco, ils s’étaient entendus avec celle-ci quant à la façon dont elle exercerait son droit de vote afférent à ses actions, de sorte que le contrôle a non seulement été conservé, mais a été porté à plus de 50 p. 100.

 

[10]    M. Mercaldo a dit qu’Inco a versé une somme d’environ 500 000 000 $CAN à DFR et injecté un montant de 50 000 000 $ dans les travaux exploratoires et techniques de celle-ci; selon lui, Inco a versé au total un montant dépassant nettement 700 000 000 $. M. Mercaldo a également décrit la recherche exploratoire visant la propriété minière et la mise en valeur possible de celle‑ci avec de l’aide technique et un nombre beaucoup plus élevé d’employés.

 

L’échange suivant a eu lieu :

 

                   [traduction]

Q.        Maintenant... au mois d’août... vous avez embauché... je crois que c’est Credit Suisse First Boston et Nesbitt Burns. Pourquoi?

 

R.         Nous avions engagé – une des choses que nous voulions – étant donné que nous pensions que c’était une affaire d’envergure internationale, c’était une bonne ouverture sur les marchés internationaux. Je suis convaincu que, lorsque vous avez une société ouverte, vous devez élargir le plus possible votre zone d’influence, parce qu’il nous a semblé que nous avions en main un projet dont la mise en chantier nécessiterait un financement énorme un jour. L’affaire prenait de l’ampleur presque tous les jours.

 

            Nous avons engagé Credit Suisse First Boston, dont le chef de la direction était un de mes anciens collègues chez Banker’s Trust et ce groupe a accepté de couvrir une partie de nos dépenses de recherche, de nous amener à une exposition et de nous donner des conseils judicieux sur les aspects financiers. Nous avons engagé Credit Suisse First Boston et, plus tard, c’était en juin 1995 et, au mois d’août, nous avons conclu un accord similaire avec Nesbitt. Étant donné que nous étions une entreprise canadienne, ce serait le siège de nos activités. Nous avons mené des entrevues auprès de toute une série de banques d’investissement ici au Canada.

 

Q.        D’accord. Ça va. Et maintenant en – et je ne suis pas certain si cela s’est produit à la fin de septembre ou au début octobre – M. Paterson est décédé.

 

R.         Oui.

 

M. MITCHELL : Quel a été l’effet de cet événement sur votre entreprise?

 

R.         Il a produit un effet tragique. John était un homme extraordinaire qui avait beaucoup de talent et qui a apporté beaucoup de dynamisme à la société; il est décédé; il avait eu une crise d’appendicite à bord de l’avion. Il voyageait de London à St. John’s et, lorsqu’il a été opéré le lendemain, son appendice avait éclaté et il a passé une semaine à l’hôpital là-bas. Il est ensuite revenu ici et a tenu des réunions techniques chez lui avec ses gens de North Van. Une semaine plus tard, il s’est retrouvé au Lion’s Gate Hospital et les médecins lui ont donné son congé deux jours plus tard, parce qu’ils n’ont rien trouvé d’anormal chez lui, et il est décédé d’une embolie pulmonaire dans le terrain de stationnement.

 

Q.        Quel l’effet cet événement a-t-il produit sur la société?

 

R.         Nous avions – vous savez, il avait engagé des personnes très talentueuses, mais, principalement, c’était John qui dirigeait toute l’affaire. J’ai parlé à Robert et à Jean, à Robert Friedland et à Jean Boulle, ainsi qu’à d’autres administrateurs, et nous avons compris qu’il serait très difficile de maintenir notre indépendance après le départ de cette personne essentielle, même si nous étions disposés à tout faire pour y arriver.

 

Q.        D’accord. Quand avez-vous entamé des négociations avec Inco?

 

R.        J’étais... après l’enterrement de John, au début d’octobre, je me trouvais à Toronto et je suis allé rencontrer Mike Sopko à l’heure du lunch; comme je l’ai souligné, John avait été un ami de Mike et je lui ai dit : « Tu sais Mike, nous pensions que tu voulais acquérir la totalité de l’entreprise et s’il y avait un moment où nous pourrions envisager cette possibilité, ce serait maintenant, étant donné que John n’est plus là ».

 

Il a ajouté qu’en décembre, Inco a fait savoir qu’après une réunion du conseil d’administration, elle était autorisée à [traduction] « nous parler au sujet d’un accord possible ». Il a dit qu’Inco a pris contact avec DFR en décembre 1995 et proposé un prix qui, à leur avis, [traduction] « n’était pas quelque chose que nous pouvions défendre auprès de nos actionnaires ». Cette offre s’élevait à 31 $ l’action et, comme les actions avaient été fractionnées à raison d’une pour quatre, le prix de l’offre revenait à environ 124 $ pour chaque action originale.

 

[11]    Au milieu de janvier 1996, Falconbridge a présenté une offre au prix de 36,50 $ pour chaque action de DFR et le conseil d’administration de celle-ci a recommandé cette offre à ses actionnaires. La veille du vote des actionnaires, Inco a porté son offre à 43,50 $ l’action. Par suite d’un fractionnement des actions, cette offre équivalait à un prix de 174 $ pour chaque action originale.

 

[12]    En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Mercaldo s’il avait de l’expérience dans le domaine de l’exploitation minière. Voici comment il a répondu :

 

[traduction] J’avais participé à la mise sur pied de nombreuses entreprises minières... tant comme placeur que comme banquier commercial à la Banque de Montréal. Le financement des projets relevait de moi et j’avais financé plusieurs grands projets d’exploitation minière un peu partout sur la planète, ou dirigé le financement de ces projets, notamment un projet de 660 000 000 $ au Mexique, un projet d’exploitation d’une mine de cuivre, plusieurs projets dans les chantiers d’uranium au Canada, et la Banque de Montréal était l’une des principales banques offrant cette sorte de financement au Canada.

 

[13]    M. Mercaldo a ajouté qu’on lui avait demandé de devenir président de DFR et qu’il était réticent à accepter, parce qu’il n’était pas la personne la plus efficace à ce titre pour l’entreprise et que certains pourraient se demander si [traduction] « nous savions ce que nous faisions ». Il a soutenu que M. Friedland et M. Boulle lui ont dit ce qui suit :

 

[traduction] Ed, tu en sais plus que toute autre personne sur l’entreprise et nous avons pleinement confiance en tes capacités et en ton jugement.

 

[14]    En contre-interrogatoire, M. Mercaldo a de plus témoigné au sujet de sa longue association avec M. Friedland, pour lequel il avait obtenu du financement pour plusieurs sociétés minières, et ainsi de suite.

 

[15]    M. Mercaldo a également décrit une visite à l’établissement d’Inco à Sudbury, soulignant que l’intention de celle-ci était :

 

[traduction] de nous montrer à quel point elle était importante et bien dirigée, ainsi que de nous montrer la taille de sa cheminée d’usine qui, d’après ce que je comprends, est l’une des plus grosses de l’Amérique du Nord, sinon du monde.

 

Il a ensuite dit que, deux jours plus tard, Falconbridge leur a expliqué pourquoi elle serait le partenaire par excellence pour DFR. C’était au début de mai 1995.

 

[16]    M. Mercaldo a dit que DFR a conclu un accord avec Inco, parce que celle-ci lui a assuré que la mine pourrait être construite et générerait un montant important d’espèces ou de quasi-espèces pour la trésorerie de l’entreprise. Il a dit que grâce à l’argent de Teck et à l’accord avec Inco, DFR possédait une somme d’environ 800 000 000 $ et pouvait contrôler sa propre destinée, avoir une bonne crédibilité sur le marché et disposer d’une très grande expertise technique.

 

[17]    Également en contre-interrogatoire, on a demandé à M. Mercaldo s’il y avait, en août 1995, [traduction] « de très bonnes chances » que le reste des actions de DFR soient vendues à l’une des entreprises qui la courtisaient. Il a répondu comme suit :

 

[traduction] Non, absolument pas. Nous avions... John Paterson faisait partie du conseil d’administration. Nous venions d’engager Harvey Keats le 3 août. Nous étions en pourparlers... John était en pourparlers avec Mike Young et avec Ken... de Noranda Research... nous essayions de déterminer la façon la plus rapide de passer à l’étape de la production. Nous avions conclu notre accord avec Inco et nous nous dirigions vers la production. Ce n’est que lorsque M. Paterson est décédé que la situation a changé.

 

[18]    M. Mercaldo a ajouté que le président de Teck et le chef de la direction de Cominco4 sont venus voir M. Friedland pour l’informer qu’ils aimeraient participer au projet sur une base de coentreprise avec DFR et injecter les fonds nécessaires à cette fin et qu’on leur a dit que DFR ne pouvait répondre. Il a ensuite expliqué que cette réponse avait été donnée parce qu’à l’époque, DFR ne connaissait pas vraiment [traduction] « encore l’importance du gisement ». M. Mercaldo a ajouté qu’à l’automne 1995, DFR ne connaissait pas encore l’ampleur de la découverte, mais savait qu’il s’agissait d’une opération très importante et que, par conséquent, [traduction] « nous étions intéressés à discuter » de la vente du reste des actions. Voici comment M. Mercaldo s’est exprimé :

 

[traduction] [...] après le décès de M. Paterson, j’ai eu – je pense, je crois me rappeler que c’était lors d’un déjeuner avec M. Sopko, et je lui ai dit : [traduction] « Vous savez que mon bon ami, votre bon ami John est décédé ». Je lui ai dit aussi « c’est vraiment un coup dur pour nous et s’il devait y avoir un moment où nous serions disposés à envisager une solution de rechange à la possibilité d’aller de l’avant nous-mêmes, ce serait maintenant ».

 

Il a dit qu’à son avis, il n’y a pas eu de discussion après [traduction] « l’accord que nous avons conclu » avant cette rencontre avec M. Sopko, qui a eu lieu après le décès de M. Paterson.

 

[19]    Lorsqu’on lui a demandé s’il sous-entendait que M. Paterson était la seule personne au monde qui pouvait diriger le projet, M. Mercaldo a répondu en ces termes :

 

[traduction] Non, Monsieur, ce n’est pas ce que je veux dire. Je dis simplement que nous pensions qu’il possédait une combinaison unique de connaissances et de compétences, qu’il avait occupé son poste au sein d’une université importante qui est bien reconnue pour son expertise dans ce domaine et que, à ce titre, il a probablement vu le plus large éventail possible de projets et technologies, et ainsi de suite. Il était à la fine pointe des connaissances dans le domaine.

 

Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire si des efforts avaient été faits pour trouver une autre personne qui pourrait diriger le projet avant la reprise des négociations avec Inco en décembre, il a répondu par la négative.

 

[20]    Le deuxième témoin de l’appelante était Jean-Raymond Boulle, qui a déclaré qu’il est né en République de Maurice et qu’il a poursuivi une carrière intense chez De Beers Diamond Company, où il est devenu le plus jeune directeur à l’âge de vingt-trois ans. Il a quitté De Beers pour créer sa propre entreprise et a déménagé aux États-Unis en 1980. Il a mis sur pied une entreprise de vente de diamants et de bijoux et une entreprise d’exploration de kimberlite, qu’il a décrite comme une [traduction] « autre roche contenant des diamants », ainsi que d’exploration de diamants aux États-Unis. Il a ensuite expliqué le processus de formation des diamants et les activités qu’il a poursuivies pour trouver des diamants un peu partout dans le monde.

 

[21]    M. Boulle a mentionné qu’il s’est rendu à Vancouver, où des géologues lui ont conseillé d’aller voir un avocat, Greg Sedun (M. Sedun), qu’il a engagé M. Sedun auquel il a demandé de se mettre à la recherche d’une entreprise. M. Sedun a alors commencé à chercher des coquilles vides et il en a trouvé une, soit Rutherford Ventures, dont il a fait l’acquisition pour le compte de M. Boulle. Celui-ci a ensuite expliqué qu’une « coquille vide » était une société comme Rutherford qui, dans le passé, s’était lancée dans des projets qui n’avaient pas fonctionné, de sorte que la société n’avait pour ainsi dire aucun actif, mais comptait plusieurs actionnaires publics. Cette acquisition a eu lieu en 1993. Selon M. Boulle, M. Friedland et lui-même possédaient environ 30 p. 100 des actions de cette société, dont le nom a été modifié pour devenir Diamond Fields Resources.

 

[22]    M. Boulle a expliqué qu’il a constitué l’appelante en société dans les îles Caymans; il a précisé qu’il a vécu au Texas pendant quelque temps et que, comme il s’agissait selon lui d’une société très litigieuse, il a voulu se protéger des risques de responsabilité et a donc acheté une société en veilleuse, Maria Investments Ltd., dans les îles Caymans, afin de lui transférer la participation qu’il détenait dans la société ouverte, Rutherford.

 

[23]    M. Boulle a souligné qu’il n’avait jamais été résident du Canada, mais qu’il a produit une déclaration de revenus en 1994, parce qu’il avait longtemps travaillé au Labrador et à Vancouver.

 

[24]    M. Boulle a expliqué comment le gisement de nickel, de cuivre et de cobalt a été découvert au Labrador; c’est une recherche de diamants qui a donné lieu à cette découverte.

 

[25]    Il a ensuite décrit la hausse spectaculaire de la valeur des actions de DFR sur le marché et a dit qu’en mai et juin 1995, sa valeur nette s’établissait à environ 250 000 000 $. Il a dit que, malgré cette valeur nette, il n’avait pas de liquidités, mais il avait des dettes. Lorsque l’avocat de l’appelante lui a demandé s’il avait été informé des désavantages au plan fiscal découlant du fait que cette entreprise était détenue par une société des îles Caymans, il a répondu par l’affirmative. Il a dit qu’il avait une dette « de plus de 1 000 000 $ » et qu’il voulait rembourser cette dette, puis partir en Afrique pour explorer et pour construire des mines. Il a dit qu’il serait logique que ses entreprises soient basées en Europe, [traduction] « où se trouve le siège de la plupart des grandes sociétés minières », sauf les sociétés canadiennes. Il a ajouté qu’il avait été informé qu’en Europe, les sociétés européennes étaient assujetties à des conventions conclues entre différents pays et le Canada, des conventions qui permettaient d’abaisser la retenue d’impôt sur les dividendes et d’exonérer de l’impôt le gain découlant de la vente d’actions.

 

[26]    Il a décrit un voyage que M. Friedland et lui-même ont fait à Sudbury pour visiter l’établissement d’Inco. Tous deux avaient alors informé Inco que DFR ne voulait pas vendre plus de 25 p. 100 du corps de minerai. Il a alors ajouté qu’Inco a écrit à DFR pour faire part à celle‑ci de son intention d’acheter 25 p. 100 :

 

[traduction] du nickel de Voisey’s Bay et d’ajouter le corps de minerai puis 2 000 000 d’actions supplémentaires afin de porter sa participation à un tiers. Nous devions obtenir... il y avait une raison pour laquelle la société elle-même ne voulait pas le faire et je ne me rappelle pas ce que c’était. Nous devions donc chercher des volontaires parmi nos actionnaires. Les principaux actionnaires étaient M. Friedland, moi-même et Paul Stephens, avec ses deux fonds. M. Friedland ne voulait pas le faire, Paul Stephens a décidé de vendre un certain nombre d’actions et j’ai décidé de vendre ce qu’il ne vendrait pas pour combler la différence.

 

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi les fonds de Stephens ont vendu 1 297 000 actions et pourquoi l’appelante a vendu 703 000 actions, soit des nombres non arrondis dans les deux cas, il a répondu comme suit :

 

[traduction] Je crois qu’ils sont revenus et m’ont dit ce qu’ils feraient et j’ai comblé la différence.

 

Interrogé au sujet de la raison pour laquelle il voulait vendre, il a répondu qu’il désirait :

 

[traduction] obtenir de l’argent pour rembourser ma dette... et je voulais aussi créer une nouvelle entreprise pour retourner en Afrique, ce que j’ai fait.

 

[27]    Lorsque l’avocat de l’appelante lui a demandé s’il s’était fait conseiller de proroger la société en Europe, il a répondu par l’affirmative. L’échange s’est poursuivi comme suit :

 

[traduction]

Q.        [...] Saviez-vous, lorsque vous avez consenti à vendre les actions, qu’un seuil de 10 p. 100 s’appliquait au Luxembourg selon la Convention fiscale Canada-Luxembourg?

 

R.         Non Monsieur, je ne le savais pas. Inco a offert d’acheter les actions et j’ai accepté; j’ai appelé mes conseillers et le – et j’ai dit « je vends mes actions. Est-ce que cela présente un problème? » Ils m’ont répondu : « non, cela ne présente pas de problème ».

 

Il a ajouté que, lorsqu’il a vendu ses actions, il ne savait même pas quel était le pourcentage et qu’il était [traduction] « tout simplement heureux de vendre quelques actions ».

 

L’échange suivant a eu lieu :

 

                   [traduction]

Q.        L’accord – lorsque vous avez vendu vos actions à Inco, avez-vous pris de l’argent ou des actions en échange?

 

R.         J’ai pris des actions. En fait, la totalité de la contrepartie de l’opération conclue avec Paul Stephens et moi-même devait être des actions. À la toute dernière minute, je me souviens qu’il était 3 h du matin, il m’a téléphoné et m’a dit qu’il voulait de l’argent comptant; j’ai donc dû téléphoner à Mike Sopko et je lui ai dit : « Il y a une rupture d’accord. Tout l’accord tombe. Paul Stephens veut de l’argent comptant et il ne reculera pas, alors vous devez faire quelque chose ». Il a donc téléphoné, convoqué une réunion d’urgence du conseil d’administration à 3 h du matin et ils ont accepté de payer Paul en argent comptant. Bien entendu, je ne pouvais pas demander la même chose et je ne l’ai pas fait.

 

Q.        D’accord. Saviez-vous que les actions que vous avez obtenues ou, lorsque vous avez échangé des actions contre d’autres actions, que l’opération serait exonérée d’impôt, que ce serait un transfert exonéré d’impôt aux fins de l’application de la loi canadienne?

 

R.         Je crois que oui, mais – je crois que oui... je crois que la réponse est oui, parce que j’avais obtenu un avis à ce sujet.

 

M. Boulle a ajouté qu’à son avis, la vente des actions d’Inco qu’il avait reçues a eu lieu après la prorogation de la société au Luxembourg et qu’il a demandé l’exemption découlant de la Convention fiscale Canada-Luxembourg.

 

[28]    En réponse à une question de l’avocat, M. Boulle a mentionné que MIL lui avait versé un dividende spécial, deux billets à ordre, avant la prorogation au Luxembourg. Il a dit qu’un des billets à ordre équivalait à environ 15 p. 100 et il a été réinjecté dans la société. De plus, il a déclaré que, tel qu’il est mentionné dans l’exposé conjoint des faits, cinq sociétés de portefeuille ont été créées. Il a dit que le but était de pouvoir liquider ces sociétés, [traduction] « afin d’obtenir l’argent sans payer la retenue d’impôt au Luxembourg ».

 

[29]    En réponse à une question concernant les activités que l’appelante a poursuivies depuis sa prorogation au Luxembourg, M. Boulle a donné les explications suivantes :

 

[traduction] La société du Luxembourg possède un établissement d’environ 2 500 pieds carrés. Nous avons quatre employés et un certain nombre de consultants, c’est principalement là que se poursuivent les activités administratives de l’entreprise et nous avons exécuté un nombre impressionnant de projets très variés, depuis l’ouverture d’une mine de titanium en Sierra Leone à l’ouverture d’une mine d’aluminium de bauxite, également en Sierra Leone. En fait, ces deux mines représentent actuellement 75 pour 100 des recettes d’exportation du pays et aident celui-ci à se redresser. [...] Nous avons également exécuté des projets au Congo, qui s’appelait autrefois le Zaïre. Nous avons exécuté des projets en Norvège et dans les îles Lofoten, en Zambie, tout à côté du Congo, et je pourrais continuer longtemps ainsi, mais fondamentalement, la façon dont ça fonctionne, c’est que nous entreprenons des projets en collaborant avec les gouvernements ou en achetant des actifs. Cette opération passe par MIL. Quelqu’un téléphone à Audrey, chez MIL, pour lui parler d’un projet en Zambie. Ensuite, elle fait une première évaluation de la personne, je parle à la personne et nous commençons à examiner l’affaire. Dès que nous décidons d’y aller, nous négocions un accord et nous créons ensuite une société indépendante, l’idée étant de pouvoir exploiter des coentreprises ou de faire ce que nous voulons faire, ou encore de transformer la société en société ouverte par exemple.

 

MIL est donc au coeur de tout ce que nous faisons. Nous coordonnons tout en passant par MIL, au Luxembourg. Lorsque des gens sont atteints de la malaria à la frontière du Libéria, comme ce qui s’est passé la semaine dernière, ils n’appellent pas l’une des entreprises auxiliaires, ils téléphonent directement à Audrey, chez MIL, ou à Nathalie en disant : « Nous avons un problème, nous avons une personne atteinte de la malaria et nous devons la faire sortir d’ici. Audrey, veux-tu nous envoyer un hélicoptère ». Et elle organise l’envoi d’un hélicoptère.

 

Lorsque nous travaillons sur un accord, tous les documents sont envoyés à MIL, au Luxembourg. Tous les documents, toutes les entreprises qui sont parties à tous les accords que nous avons conclus résident au Luxembourg, là où se trouve MIL. [...] Elle est donc la principale société qui s’occupe des aspects administratifs et qui est à l’avant‑plan de tout ce que nous faisons.

 

M. Boulle a ensuite déclaré qu’un dénommé Armand van Dorb (M. Dorb), comptable en titre travaillant pour MIL, s’occupe de la comptabilité de toutes les sociétés. De plus, Audrey Richardson (Mme Richardson) est le pilier de l’organisation et s’occupe de tout, qu’il s’agisse des déplacements, des documents, et ainsi de suite. M. Boulle a ajouté qu’Edmond Van De Kelft (M. Kelft), de la Belgique, a travaillé avec lui chez De Beers pendant un certain nombre d’années. M. Kelft se rend au bureau deux ou trois fois par semaine et assiste à une réunion [traduction] « au Luxembourg avec nous ». Selon M. Boulle, la société tient régulièrement des réunions du conseil d’administration, et ce, depuis le tout début. Il a dit ce qui suit :

 

[traduction] Nous allons au Luxembourg, nous y passons deux ou trois jours et nous invitons tous ceux qui veulent nous voir et nous parler à venir nous rencontrer, que ces gens proviennent du Congo, du Zimbabwe ou d’ailleurs. Nous tenons donc toutes nos réunions au Luxembourg et nous essayons, au cours de cette période de trois jours, de tenir le plus de réunions possibles et de couvrir le plus grand nombre de projets possibles.

 

[30]    En contre-interrogatoire, M. Boulle a dit que DFR compte des filiales ayant des bureaux en Namibie et au Cape, en Afrique du Sud.

 

L’échange suivant a eu lieu :

 

                   [traduction]

Q.        Je vous dirais aussi, Monsieur Boulle, que DFR voulait au début qu’Inco achète les 703 000 actions qui appartenaient à vous-même et à votre entreprise, que c’était au départ l’idée de DFR et non d’Inco.

 

R.         Je crois qu’Inco voulait acheter les 2 000 000 d’actions en plus des 25 pour 100, ce qui est précisément ce qu’elle a fait.

 

Q.        D’accord, mais ce que je vous ai demandé, c’est si c’était à l’initiative de DFR. La position de négociation de DFR était qu’Inco achète vos 703 000 actions et non l’inverse.

 

R.         Je ne crois aucunement cela. À mon avis, je ne crois pas qu’il aurait été correct de ma part d’essayer de vendre mes actions au moment même où l’accord était conclu avec la société. J’aurais été en conflit d’intérêts. Comme je l’ai dit plus tôt, nous l’avons fait pour aider. Nous avons demandé aux principaux actionnaires : « Qui peut aider? » M. Stephens a parlé des actions que les fonds voulaient vendre, ça me convenait et j’ai dit que je pouvais aider. Cependant, la plupart des autres actionnaires ne voulaient pas vendre parce que, M. Friedland, par exemple, ils estimaient qu’une fois que l’accord d’Inco serait conclu, le cours de l’action augmenterait plutôt que de baisser.

 

[31]    En réponse à une question de l’avocat de l’intimée, M. Boulle a dit qu’il voulait rembourser la dette de sa marge de crédit, qui s’élevait à environ 1 000 000 $, et retourner en Afrique pour s’occuper de prospection minière. Lorsqu’on lui a demandé si le remboursement de la marge de crédit n’était pas l’objet principal de l’accord, M. Boulle a répondu ce qui suit :

 

[traduction] C’était une partie des raisons. Je n’avais aucun autre revenu... tout mon avoir, toute ma fortune, si vous voulez, se trouvait dans ces actions.

 

[32]    En ce qui concerne la vente de 703 000 actions par M. Boulle, l’échange suivant a eu lieu lors du contre-interrogatoire de celui-ci au sujet de la vente d’actions par Stephens :

 

                   [traduction]

Q.        Finalement, il a pu obtenir de l’argent comptant en échange des actions qu’il a vendues à Inco?

 

R.         C’est exact. J’ai déjà répondu à cette question-là.

 

Q.        Alors, malgré – et vous et MIL auriez eu la même possibilité d’obtenir de l’argent comptant?

 

R.         Ce n’était pas le cas.

 

Q.        Vous saviez sans doute que, si vous obteniez de l’argent comptant, ce montant serait considéré comme un gain imposable. Vous le saviez.

 

R.         Oui, j’avais été mis au courant.

 

Q.        Et vous aviez été informé de cette situation par votre conseiller en fiscalité.

 

R.         Oui, mais je répète ce que j’ai déjà dit, c’était assez difficile pour moi de demander à M. Sopko de payer Paul Stephens en argent comptant. Je ne croyais pas que j’étais en mesure de demander moi aussi de l’argent comptant, ce qui aurait gonflé davantage le coût de l’accord. Je n’aurais pas fait ça.

 

Q.        Je pense que vous --

 

R.         J’avais une responsabilité envers la société. [...]

 

Q.        Je pense que vous avez dit au cours de votre témoignage que vous estimiez que la demande de M. Stephens aurait pu mettre l’accord en péril.

 

R.         C’est vrai.

 

Q.        Et je vous dis qu’Inco aurait été disposée depuis le début à payer en argent comptant, et que c’était... la demande de M. Stephens n’a nullement mis l’accord en péril.

 

R.         Vous me demandez de faire des suppositions, mais je... je pense que Monsieur Sopko est allé aussi loin qu’il pouvait et que, ... vous faites des suppositions. Vous avez peut-être raison, mais je ne sais pas. Je ne crois pas. Je pense que nous étions allés jusqu’au bout.

 

Q.        D’accord.

 

R.         Il ne m’a certainement pas offert d’argent comptant.

 

Q.        Je vous dirais que la remise d’actions d’Inco plutôt que d’argent comptant comme contrepartie était votre position de négociateur, ou celle de DFR, et non l’inverse.

 

R.         Inco a offert ses actions, et c’est la raison pour laquelle j’ai dû téléphoner à M. Sopko pour convoquer une réunion du conseil d’administration à trois heures du matin.

 

Q.        Je vous dirais que la raison pour laquelle vous... 

 

R.         Trois réponses plus haut.

 

Q.        Et je vous dirais que la raison pour laquelle vous avez offert un échange à raison d’une action contre une action plutôt que de l’argent comptant, c’était pour éviter de payer de l’impôt sur les gains qui découleraient de l’opération et qui atteindraient des dizaines de millions de dollars.

 

R.         Je ne suis pas d’accord avec vous.

 

[33]    Dans un autre contre-interrogatoire, M. Boulle a ajouté qu’à son avis le prix de vente des actions à Inco s’élevait à environ 65 000 000 $.

 

[34]    M. Boulle a souscrit à la suggestion de l’avocat selon laquelle MIL a nanti des actions en garantie de la marge de crédit, ce qui a donné lieu à la dette d’environ 1 000 000 $ dont il a parlé. M. Boulle a également reconnu que, conformément aux dispositions applicables de la loi sur les sociétés, il s’est engagé, à titre d’administrateur de MIL, à donner aux créanciers garantis de MIL un avis de vingt jours de la prorogation proposée au Luxembourg. C’était le 25 juin 1995. L’échange suivant a eu lieu :

 

                   [traduction]

Q.        Il semblerait que les... les lois des îles Caymans vous obligeaient à donner un avis aux créanciers garantis. Vous deviez rembourser cette marge de crédit d’une façon ou d’une autre, et...

 

R.         C’est ce que la loi prévoit.

 

Q.        Oui. Il est donc plutôt possible que l’une des raisons pour lesquelles vous vouliez rembourser cette marge de crédit eu été que ce remboursement faisait partie du processus de radiation de l’enregistrement au Luxembourg, ou dans les îles Caymans.

 

R.         Oui. Je crois que je n’aimais pas devoir 1 000 000 $ à First Marathon et je voulais faire le remboursement. Évidemment, on m’a également conseillé de rembourser. J’ai donc suivi le conseil que j’avais reçu.

 

Q.        Vous n’aviez certainement pas besoin de vendre des actions d’une valeur de 65 000 000 $ pour rembourser une marge de crédit de 1 000 000 $.

 

R.         J’ai déjà parlé de ça, Monsieur. J’ai déjà expliqué que je voulais démarrer une entreprise afin de retourner faire de l’exploration en Afrique. Alors, j’ai dit que c’était... je voulais rembourser une dette et retourner en Afrique. Est‑ce cela que vous me demandez?

 

Q.        Bien...

 

R.         Je ne suis pas certain que je comprends la question.

 

Q.        Le montant de 65 000 000 $ s’expliquait par le fait que les 703 000 actions qui étaient... c’était la valeur des actions qui ont été vendues à l’époque.

 

R.         C’est exact.

 

Q.        ... Maintenant, en ce qui concerne les îles Caymans, vous aviez mentionné également l’existence d’une fiducie familiale. Je crois que c’était la fiducie familiale Jean Boulle, qui était basée dans les îles Caymans?

 

R.         C’est exact.

 

Q.        Et je pense que, d’après ce que vous avez dit hier, c’est peu avant la clôture de la vente, ou quelque temps avant la clôture de la vente à Inco, que vos conseillers ont examiné le statut de cette fiducie familiale qui a été établie dans les îles Caymans.

 

R.         Je crois que ça s’est passé juste après que j’eus engagé M. Thorsteinssons, et vous voudrez peut-être aborder cette question plus tard de toute façon.

 

Q.        Je pense que, en ce qui concerne le processus, la façon dont il a été décrit hier, c’est que la fiducie familiale se trouvait au‑dessus de la société, parce qu’elle détenait les actions de celle-ci.

 

R.         À l’époque.

 

[35]    M. Boulle a expliqué que M. Thorsteinssons, dont les services avaient été retenus en 1995, tentait d’établir la validité de la fiducie familiale et préparait également un mémoire de planification concernant les opérations proposées.

 

L’échange qui suit a eu lieu :

 

                   [traduction]

Q.        Par suite de la prorogation au Luxembourg, aucun impôt n’était payé sur la vente des actions d’Inco ou des autres actions qui constituaient le fondement de la deuxième opération avec Inco.

 

R.         Je ne suis pas certain, mais je sais qu’il y avait une exemption qui allégeait le fardeau fiscal.

 

[36]    Lorsque l’avocat de l’appelante a réinterrogé M. Boulle, il a parlé des états financiers de 1997. Il appert d’un document joint à ces états que les montants suivants ont été payés en dollars américains :

 

salaires                                       64 833 $

loyer de bureau                          54 259 $

honoraires de consultation     1 381 975 $

 

M. Boulle a ensuite donné l’explication suivante :

 

[traduction] Nous avons un certain nombre de consultants qui travaillent pour nous sur ces différents projets et ils doivent être payés. [...] les consultants spécialisés en exploitation minière, les ingénieurs des mines, les géologues, et ainsi de suite, vous savez, les personnes qui ont les connaissances nécessaires, comme cela se passe habituellement.

 

[37]    D’après les états financiers correspondants du 31 juillet 1998, les salaires s’établissaient à 166 000 $, la provision relative au rajustement de la valeur d’une garantie à 120 341 $, le loyer de bureau à 34 069 $, les honoraires de consultation à 430 799 $, et les autres frais à 501 591 $.

 

[38]    L’avocat de l’intimée a présenté en preuve comme pièces quatre documents dont chacun était une copie d’une note au dossier préparée par l’avocat de l’appelante. Deux de ces documents portaient la date du 15 mai 1995, le troisième, la date du 6 juin 1995, et le quatrième, la date du 22 juin 1995. Bien que l’avocat de l’appelante ait d’abord invoqué le privilège du secret professionnel de l’avocat à l’égard des documents en question, il s’est ravisé et les a remis à l’avocat de l’intimée.

 

Dans la première note, M. Boulle avait souligné que, selon des accords avec Inco, aucun actionnaire n’était tenu de vendre des actions à celle-ci et que DFR s’engageait à faciliter la vente à Inco, sans garantie d’émission, d’un nombre maximal de 2 000 000 d’actions d’actionnaires existants.

 

Selon la deuxième note, si des tiers désiraient acquérir une participation dans DFR, l’acquisition serait réalisée au moyen de l’émission d’actions de la trésorerie de DFR (jusqu’à concurrence de 1 000 000 d’actions) et de la vente d’actions par des actionnaires existants (jusqu’à concurrence de 2 000 000 d’actions additionnelles). De plus, M. Boulle prévoyait que l’appelante vendrait de 500 000  à 1 000 000 actions ordinaires en vertu de cet accord.

 

Dans la troisième note, il était mentionné que la réorganisation avait pour but d’offrir à l’appelante la protection de la Convention fiscale Canada-Luxembourg en ce qui concerne les opérations relatives aux actions de DFR. Cette note énonçait également une proposition selon laquelle l’appelante échangerait 703 000 de ses actions de DFR contre des actions d’Inco, ce qui ferait passer la participation totale de l’appelante et de M. Boulle dans DFR à un pourcentage inférieur à 10 p. 100. De plus, l’appelante serait prorogée au Luxembourg.

 

La quatrième note comportait une description assez détaillée de la réorganisation proposée.

 

[39]    Stuart Franklin Feiner (M. Feiner), qui a témoigné pour l’intimée, est premier vice-président, Affaires générales d’Inco Limitée. Au cours de son témoignage, il a déclaré qu’en avril 1995, l’équipe de direction d’Inco a décidé que la société était très intéressée à acquérir la plus grande participation disponible dans le gisement de Voisey’s Bay. Il a dit que, lorsque M. Friedland a été mis au courant de cet intérêt, il a fait savoir que DFR n’était disposée à vendre qu’une participation minoritaire dans le gisement. Selon M. Feiner, Inco a acheté 25 p. 100 des actions de Voisey’s Bay et 2 000 000 d’actions de DFR aux actionnaires de celle-ci. D’après le souvenir de M. Feiner, M. Friedland a fait savoir à Inco qu’à son avis, certains actionnaires de DFR étaient intéressés à obtenir des liquidités en échange d’une partie des actions qu’ils détenaient dans DFR. Il a dit que, du point de vue d’Inco, l’acquisition d’actions de Voisey’s Bay et celle d’actions de DFR n’étaient pas des opérations dépendantes l’une de l’autre.

 

[40]    M. Feiner a été interrogé au sujet des 2 000 000 d’actions et des 703 000 actions que l’appelante a vendues ainsi qu’au sujet du reste des 2 000 000 d’actions. Voici une partie de l’interrogatoire à ce sujet :

 

                   [traduction]

Q.        C’est un nombre plutôt étrange. Savez-vous comment ce nombre a été calculé?

 

R.         Non, je ne le sais pas.

 

Q.        Les autres actions, les 1 297 000 actions, provenaient des fonds de Robertson Stephens à San Francisco. Vous vous souvenez de ça?

 

R.         Je ne me souviens pas de la façon selon laquelle ce nombre a été calculé.

                       

[...]

 

Q.        Alors, il est probable que, si les actionnaires de Diamond Fields avaient déposé 3 000 000 d’actions, Inco les aurait achetées.

 

R.         Directement, oui.

 

 

[41]    Lorsqu’on a demandé à M. Feiner si Inco avait effectivement acheté des actions à M. Stephens contre de l’argent comptant, mais échangé ses propres actions contre des actions que M. Boulle détenait dans DFR, il a répondu que c’est ce qui s’est passé. L’interrogatoire s’est ensuite poursuivi comme suit :

 

 

                   [traduction]

Q.        Inco était-elle préoccupée par la question de savoir si elle paierait au comptant ou en actions les actions du fonds de Stephens ou celles de la société de M. Boulle?

 

R.         Je ne crois pas que nous étions préoccupés par la question de savoir si le montant serait... si la contrepartie serait de l’argent comptant ou des actions d’Inco Limitée.

 

Q.        Savez-vous pourquoi la contrepartie de la vente des actions de M. Boulle a finalement été d’autres actions et non de l’argent comptant?

 

R.         Ce dont je me souviens, c’est que c’est ce que M. Boulle avait demandé.

 

Q.        Vous rappelez-vous à quel moment cet aspect de l’accord a été soulevé?

 

R.         Je ne me souviens pas du moment exact.

 

Q.        Je comprends aussi qu’à l’origine, les fonds de Robertson Stephens devaient recevoir également des actions. Est-ce exact?

 

R.         Je ne me souviens pas de ça.

 

Q.        Nous avons entendu un témoin dire que, à peu près à la dernière minute, Paul Stephens, qui gérait ces fonds, a fait savoir à Inco qu’il voulait de l’argent comptant plutôt que des actions, ce qui a donné lieu à une activité frénétique. Vous souvenez-vous de ça?

 

R.         Je ne me rappelle pas.

 

Q.        Maintenant, après ces deux opérations qui ont été conclues en juin 1995, Inco s’attendait-elle à ce que Voisey’s Bay Nickel poursuive l’exécution du projet et construise la mine à Voisey’s Bay?

 

R.         C’est ce qu’a soutenu Diamond Fields Resources et nous avons certainement présumé que telle était leur intention, à moins qu’ils n’aient changé d’idée.

 

[42]    M. Feiner a ensuite déclaré qu’Inco a entrepris la production commerciale à l’automne 2005 et a atteint à peu près la pleine capacité de production vers cette période. En contre-interrogatoire, l’avocat de l’appelante a cité à M. Feiner une lettre d’entente de trente pages signée le 8 juin 1995 par Inco Limitée et Diamond Field Resources, laquelle entente comportait notamment une CONVENTION D’ACTIONNAIRES. L’avocat a posé à M. Feiner les questions suivantes :

 

[traduction]

Q.        ... Est-il exact de dire, en ce qui concerne cette convention, que lorsque celle-ci a été conclue, vous n’aviez aucune assurance que vous pourriez obtenir davantage de Diamond Fields?

 

R.         C’est exact.

 

Q.        Et si j’ai bien compris la teneur de cette convention, elle énonce l’intention des parties de faire fructifier immédiatement cette coentreprise, au point où le paiement de dividendes provenant d’une mine productive était envisagé. Est-ce votre perception...

 

R.         C’est exact.

 

Q.        ...de la convention?

 

R.         Oui.

 

Q.        Alors, je présume que vous, et probablement Dale Ponder ou les autres personnes du côté d’Inco, auriez voulu vous assurer que vous pourriez continuer à accepter cette convention si vous poursuiviez les activités avec 25 pour 100 de la mine, alors que Diamond Fields en aurait 75 pour 100. En 2006, si vous voyiez les choses de la même façon qu’en 1995, vous... la convention avait été rédigée dans le but d’être appliquée ultérieurement. Est-ce...

 

R.         C’est exact.

 

Q.        D’accord. ... je comprends qu’il y avait aussi une entente relative au statu quo et qu’Inco a dit : « Nous n’achèterons plus d’actions ». Est-ce exact?

 

R.         C’est exact.

 

[43]    L’avocat de l’appelante a ensuite mentionné qu’Inco avait dépensé environ 500 000 000 $ et a poursuivi comme suit :

 

                   [traduction]

 

Q.        D’accord. J’imagine qu’à ce moment-là, même si on ne peut être sûr de quoi que ce soit, vous aviez de bonnes raisons de penser que la mine serait encore en exploitation à ce moment‑là. Est-ce...

 

R.         D’après mon souvenir, encore une fois, cette convention dont vous parlez,... était évidemment... Inco était actionnaire minoritaire de Voisey’s Bay Nickel Company Limited et, par conséquent, cette convention était très importante pour Inco afin de protéger...

 

Q.        Oui.

 

R.         ... ses droits comme actionnaire minoritaire de Voisey’s Bay Nickel Company Limited. [...]

 

Q.        Et si tout allait bien, vous auriez souhaité en acheter davantage au fil des années, mais si cela ne se produisait pas, c’était une convention que vous pourriez continuer à accepter par la suite.

 

R.         Nous n’avions aucune garantie que nous pourrions acquérir une participation dans le gisement qui serait supérieure à celle que nous avions acquise en juin 1995.


ANNEXE B JOINTE AUX MOTIFS DU JUGEMENT ET EN FAISANT PARTIE

 

LES FAITS À L’ORIGINE DE L’ARRANGEMENT EN CAUSE

 

Découverte de Voisey’s Bay

 

Avant novembre 1994, Diamond Fields se livrait à l’acquisition, à l’exploration et à la mise en valeur de propriétés diamantifères. Au cours d’un programme d’exploration régionale qu’elle appliquait pour le compte de Diamond Fields, Archean Resources Ltd. a découvert un important gisement de nickel, de cuivre et de cobalt près de Voisey’s Bay, dans le nord du Labrador, laquelle découverte a été confirmée par des travaux de forage en novembre 1994.

 

          Par suite de cette découverte, Diamond Fields a porté son attention principalement sur l’exploration de la propriété de Voisey’s Bay à la fin de 1994 et au début de 1995, afin de déterminer la nature et l’ampleur du gisement minéralisé. Au fur et à mesure que d’autres renseignements ont été connus au sujet de la taille, de la qualité et du potentiel économique du gisement, les intervenants du marché ont manifesté un intérêt quant à l’acquisition des actions ordinaires de la société, dont le cours a augmenté sensiblement. En raison de l’importance économique du projet de Voisey’s Bay par rapport aux actifs de diamant de Diamond Fields, celle-ci a décidé de mettre l’accent principalement sur son nouveau secteur d’activités, l’exploration et la mise en valeur des métaux de base. À cet égard, Diamond Fields a cherché à réunir des cadres hautement spécialisés dans le domaine de l’exploitation des métaux de base ainsi qu’à créer au sein de l’industrie des relations stratégiques qui faciliteraient la mise en valeur de la propriété de Voisey’s Bay.

 

Discussions avec des tiers

 

          Environ 18 sociétés minières internationales et canadiennes ont pris contact avec Diamond Fields au sujet de la propriété de Voisey’s Bay et, afin de créer des relations stratégiques, elle a engagé des discussions sérieuses avec neuf de ces sociétés. Les parties intéressées ont obtenu l’accès à certains renseignements et ont pu visiter l’emplacement, après avoir consenti à préserver la confidentialité de l’information ainsi obtenue, afin d’évaluer la possibilité de conclure un arrangement relatif à la participation au projet de Voisey’s Bay. Elles ont également convenu de s’abstenir d’acquérir des actions donnant droit de vote de Diamond Fields ou de prendre des mesures pour influencer ou tenter d’influencer l’exercice des droits de vote rattachés à ces titres ou pour contrôler par ailleurs Diamond Fields. Ces discussions ont finalement mené à des accords avec Teck et Inco, selon la description qui suit.

 

Mise en oeuvre du régime de protection des droits des actionnaires

 

          Afin de veiller à ce que tous les actionnaires soient, dans la mesure du possible, traités de façon égale et équitable relativement à toute opération de contrôle liée aux actions ordinaires, le conseil d’administration a adopté le régime de protection des droits des actionnaires en décembre 1994. En avril 1995, les actionnaires ont entériné ce régime et une modification de celui‑ci a été approuvée en septembre 1995. Le régime de protection des droits des actionnaires visait à dissuader les tiers de présenter des offres publiques d’achat inéquitables ou discriminatoires relativement à Diamond Fields et à donner au conseil d’administration le temps, dans les cas opportuns, d’examiner des solutions de rechange afin de maximiser la valeur que les actionnaires pourraient obtenir en cas d’offre publique d’achat non sollicitée ou une autre forme d’offre visant à acquérir des titres donnant droit de vote de Diamond Fields.

 

Accords avec Teck

 

          En avril 1995, Teck a convenu d’investir un montant de 108 000 000 $ dans Diamond Fields en souscrivant 12 000 000 d’actions ordinaires à 9 $ l’action (compte tenu du fractionnement des actions ordinaires à raison de quatre pour une le 25 septembre 1995). Teck a également convenu de fournir, à la demande de Diamond Fields et sans frais pour celle-ci, des services de soutien technique afin de l’aider relativement à l’ingénierie, à l’élaboration et à la planification conceptuelle du projet pendant l’étape de préfaisabilité du projet de Voisey’s Bay.

 

          Dans le cadre de l’accord de souscription d’actions susmentionné, Teck a convenu de certaines restrictions relatives au statu quo en ce qui concerne l’acquisition d’actions ordinaires additionnelles et d’autres titres de Diamond Fields, l’exercice des droits de vote s’y rapportant ou l’influence sur cet exercice et le droit de Teck de vendre des actions ordinaires. Teck a également convenu d’exercer les droits de vote afférents à ses actions ordinaires relativement à toute résolution des actionnaires (sous réserve de certaines exceptions), de la façon prescrite par une majorité des membres du conseil d’administration qui sont indépendants de Teck.

 

          En outre, Teck a accordé à M. Friedland (et, dans certaines circonstances particulières, à M. Boulle) le droit de contrôler les droits de vote afférents aux actions ordinaires appartenant à Teck relativement à certaines « opérations extraordinaires » (dont l’arrangement en cause) et de décider si Teck offrirait ou non ses actions ordinaires en cas d’offre publique d’achat, pourvu que cette directive soit compatible avec les mesures qui seraient prises par M. Friedland (et, dans certaines circonstances particulières, par M. Boulle) à l’égard de ces événements. Voir la rubrique [traduction] « Renseignements concernant Diamond Fields – Expansion des activités de Diamond Fields ».

 

Accords avec Inco

 

          En juin 1995, Diamond Fields a vendu une participation indirecte de 25 p. 100 dans le projet de Voisey’s Bay à Inco par la vente à celle-ci de 25 p. 100 des actions de VBN, qui était alors une filiale en propriété exclusive de Diamond Fields. En échange de cette participation, Inco a émis des actions privilégiées série D d’Inco en faveur de Diamond Fields et convenu de verser un montant supplémentaire de 25 000 000 $ qui serait affecté aux dépenses d’exploration continue ainsi qu’à la préparation d’une étude de faisabilité au sujet du projet de Voisey’s Bay, de fournir, sans frais, certains services techniques comme des services d’ingénierie et d’exploitation minière et d’accepter la responsabilité liée à l’obtention de sources de financement pour le projet. De plus, Diamond Fields et Inco ont convenu que celle-ci commercialiserait la totalité de la production de nickel et de cobalt de Voisey’s Bay au cours des cinq premières années de production ainsi qu’un minimum de 133 000 000 de livres de nickel raffiné (et de cobalt associé au nickel) par année pendant une autre période de 15 ans.

 

          Inco a également accepté certaines restrictions relatives au statu quo en ce qui concerne l’acquisition d’actions ordinaires supplémentaires et d’autres titres de Diamond Fields, l’exercice des droits de vote afférents à ceux-ci et les tentatives visant à influencer cet exercice ainsi que le droit d’Inco de vendre des actions ordinaires.

 

          Au moyen d’opérations distinctes et concurrentes, Inco a acheté un total de 8 000 000 d’actions ordinaires à trois actionnaires existants de Diamond Fields (dont une société contrôlée par M. Boulle), ce qui représentait environ 7 p. 100 des actions ordinaires en circulation.

 

          Selon un accord séparé et concomitant qu’elle a conclu avec M. Friedland, Inco a accordé à celui-ci (et, dans certaines circonstances particulières, à M. Boulle) le droit de donner des directives quant à l’exercice des droits de vote afférents aux actions ordinaires d’Inco à l’égard d’opérations extraordinaires (y compris l’arrangement en cause) et de décider si Inco offrirait ses actions ordinaires lors d’une offre publique d’achat touchant Diamond Fields, pourvu que ces directives soient compatibles avec les mesures qui seraient prises par M. Friedland (et, dans certaines circonstances particulières, par M. Boulle) relativement à ces événements. Voir la rubrique [traduction] « Renseignements concernant Diamond Fields – Expansion des activités de Diamond Fields ».

 

Discussions supplémentaires avec Inco

 

          Au début de l’automne de 1995, des discussions non officielles ont eu lieu à l’occasion entre Inco et Diamond Fields relativement à l’acquisition possible par Inco d’une participation supplémentaire dans Diamond Fields, mais aucune négociation formelle n’a été engagée et aucune offre n’a été reçue. Après le décès soudain et inattendu, en octobre 1995, de M. John Paterson, le premier vice‑président des opérations relatives au nickel de Diamond Fields et membre clé de l’équipe de direction de celle-ci, le conseil d’administration a révisé les solutions de rechange de la société et décidé d’envisager plus sérieusement la possibilité de conclure une autre opération au sujet du projet de Voisey’s Bay, dont une fusion. Le conseil d’administration a décidé que Diamond Fields continuerait à mettre en valeur le projet avec les mêmes propriétaires, mais qu’elle examinerait les offres au fur et à mesure qu’elles se présenteraient afin de maximiser la valeur que les actionnaires pourraient obtenir.

 

          Le 12 décembre 1995, Diamond Fields et Inco ont entrepris une série de rencontres visant à explorer la possibilité d’une opération entre les deux entreprises. Plusieurs propositions ont été échangées, mais les parties n’ont pu s’entendre sur les éléments clés d’un accord et aucune d’elles n’a présenté d’offre. Aucune autre discussion n’a eu lieu entre Diamond Fields et Inco après l’annonce de l’arrangement avec Falconbridge et avant le 26 mars 1996.

 

Discussions et accords avec Falconbridge

 

          Le 13 janvier 1996, M. Friedland a reçu, à titre de coprésident de Diamond Fields, une demande de renseignements non sollicitée de conseillers financiers représentant Falconbridge quant à la possibilité d’envisager une fusion des deux sociétés. Diamond Fields a retenu les services de Nesbitt Burns et de First Boston et leur a demandé de la conseiller relativement à toute vente ou fusion proposée; ces conseillers ont mené une analyse préliminaire de la faisabilité ainsi que des conditions acceptables d’un accord éventuel entre Diamond Fields et Falconbridge. Entre le 13 janvier et le 9 février 1996, Diamond Fields, Falconbridge et leurs conseillers financiers et juridiques respectifs ont tenu (à compter de la date de leur engagement respectif) à maintes reprises de longues réunions au cours desquelles tous les aspects de l’opération proposée ont été négociés en profondeur. Les membres de la haute direction et les conseillers de Diamond Fields ont tenu les membres du conseil d’administration au courant de l’évolution des négociations pendant cette période.

 

          Les 8 et 9 février 1996, les membres du conseil d’administration se sont réunis pour prendre connaissance des conditions de l’opération proposée par Falconbridge. Selon la proposition de fusion de Falconbridge, celle-ci acquerrait la totalité des actions de Diamond Fields lors de la réalisation de ladite opération, devenant ainsi indirectement propriétaire de 75 p. 100 de la propriété de Voisey’s Bay. L’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge prévoyait que chaque action ordinaire serait acquise en échange d’une action à droit de vote subalterne de catégorie A de Falconbridge (ou un montant au comptant de 31,25 $, sous réserve d’un paiement au comptant maximal déterminé par une formule d’environ 15 p. 100 de la valeur de la contrepartie totale payée), d’une action à droit de vote subalterne de catégorie B de Falconbridge et d’un « billet diamant » de Falconbridge qui serait payé immédiatement au moyen d’une action de Diamondco. Chaque action à droit de vote subalterne de catégorie A pouvait être convertie en action ordinaire de Falconbridge après le cinquième anniversaire suivant l’émission. Chaque action à droit de vote subalterne de catégorie B pouvait être convertie le même jour en un minimum de 0,15 et un maximum de 0,30 d’une action ordinaire de Falconbridge, le taux de conversion étant basé sur les résultats de l’exploration du projet de Voisey’s Bay à l’extérieur d’une zone d’exclusion définie. Le 9 février 1996, Nesbitt Burns a donné verbalement au conseil d’administration un avis selon lequel, à cette date, la proposition de fusion de Falconbridge était équitable pour les actionnaires du point de vue financier. Le même jour, First Boston a fait savoir verbalement au conseil d’administration qu’à son avis, à cette date, la contrepartie que les actionnaires recevraient conformément à la proposition de fusion de Falconbridge était équitable pour les actionnaires concernés du point de vue financier. En se fondant sur les avis verbaux reçus des conseillers financiers de Diamond Fields ainsi que sur les cours des actions avant l’annonce, le conseil d’administration a conclu que la proposition de fusion de Falconbridge avait pour effet d’évaluer Diamond Fields à 4 000 000 000 $. Il a également conclu que, selon cette même proposition, la valeur offerte à l’égard des actions ordinaires était nettement supérieure à la valeur qui avait été mentionnée au cours des discussions avec Inco.

 

          M. Friedland, M. Boulle et M. Mercaldo ont informé le conseil d’administration qu’ils avaient accepté d’appuyer l’opération ainsi que différentes restrictions touchant l’aliénation des actions de Falconbridge qu’ils recevraient et l’exercice des droits de vote s’y rapportant de même que l’acquisition d’actions supplémentaires. Ayant déclaré leur intérêt, M. Friedland, M. Boulle et M. Mercaldo se sont abstenus de voter au sujet de l’opération.

 

          Le conseil d’administration a ensuite accepté à l’unanimité la proposition de fusion de Falconbridge et a approuvé la signature et l’exécution d’une entente (l’entente de mise à exécution de l’offre de fusion) qui englobait l’arrangement de Falconbridge entre Diamond Fields et Falconbridge.

 

          Diamond Fields a versé à Falconbridge une commission (la commission d’engagement de Falconbridge) d’environ 28 000 000 $ lors de la signature de l’accord de mise à exécution de l’offre de fusion. Elle a également convenu de verser à Falconbridge une indemnité supplémentaire (l’indemnité de rupture de Falconbridge) d’environ 73 000 000 $ pour le cas où une autre partie annoncerait ou présenterait une offre concurrentielle ou proposerait une opération avec une autre société à l’égard de Diamond Fields dans les six mois suivant la date de l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge, laquelle opération serait réalisée par la suite. Les montants et les circonstances entourant le paiement de la commission d’engagement de Falconbridge et de l’indemnité de rupture de Falconbridge ont fait l’objet de longues négociations entre les parties et Diamond Fields estime que Falconbridge n’aurait pas conclu l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge si Diamond Fields n’avait pas consenti à verser ces montants.

 

          En vertu de l’accord qu’elle avait alors signé avec Inco, Diamond Fields avait accepté de remettre à celle-ci un avis raisonnable des opérations semblables à celle qui était envisagée dans l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge ainsi que la possibilité de lui présenter une contre‑proposition avant que Diamond Fields signe les conventions définitives s’y rapportant. En conséquence, l’accord de mise à exécution de l’offre de fusion prévoyait une procédure (dont tous les aspects avaient été négociés en profondeur entre Falconbridge et Diamond Fields) que Diamond Fields devait suivre pour remplir ces obligations envers Inco. Le 9 février 1996, Inco a reçu un avis l’informant qu’elle avait jusqu’à 18 h le 14 février 1996 pour présenter une contre-proposition à Diamond Fields. Le 14 février 1996, Inco a publié un communiqué de presse dans lequel elle a confirmé qu’elle ne présenterait pas de contre-proposition avant 18 h le 14 février 1996, tout en se réservant le droit de présenter une offre concurrentielle relativement aux actions ordinaires ou aux éléments d’actif de Diamond Fields plus tard. Par conséquent, conformément aux conditions de l’accord de mise à exécution de l’offre de fusion, le 15 février 1996, Diamond Fields et Falconbridge ont signé l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge, qui devait entrer en vigueur le 9 février 1996. L’approbation de l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge par le conseil d’administration était assujettie au respect de toutes les conditions nécessaires, dont l’approbation des actionnaires de Diamond Fields et Falconbridge, l’approbation de la Cour, l’approbation des organismes de réglementation et la confirmation des opinions des conseillers financiers sur l’équité du prix offert.

 

          Le 16 février 1996, conformément aux conditions de l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge, le conseil d’administration a décidé de renoncer à l’application du régime de protection des droits des actionnaires à l’égard de Falconbridge et des opérations envisagées par ledit accord.

 

          En vertu des conditions de l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge, Diamond Fields a convenu de ne pas solliciter d’offres concurrentielles ou d’autres propositions. Cependant, le conseil d’administration a conservé le droit de répondre à des offres ou propositions non sollicitées et de conclure des opérations qui, à son avis, étaient dans l’intérêt des actionnaires.

 

          Dans des ententes distinctes conclues avec Falconbridge, M. Friedland et M. Boulle (qui étaient représentés par des conseillers juridiques indépendants de Diamond Fields et Falconbridge), ont l’un et l’autre convenu d’appuyer l’arrangement de Falconbridge. Falconbridge, Noranda Inc. (le principal actionnaire de Falconbridge), M. Friedland, M. Boulle et M. Mercaldo ont également convenu de certaines restrictions touchant l’aliénation des actions de Falconbridge qu’ils recevraient en vertu des conditions de l’arrangement de Falconbridge et touchant l’exercice des droits de vote s’y rapportant. De plus, M. Friedland, M. Boulle et M. Mercaldo ont accepté certaines restrictions touchant l’acquisition par eux d’actions supplémentaires de Falconbridge. Par ailleurs, Noranda Inc. a convenu d’exercer ses droits de vote afférents aux actions ordinaires qu’elle détenait dans Falconbridge en faveur de la résolution spéciale et de prendre les autres mesures que Falconbridge exigerait en faveur de l’arrangement de Falconbridge.

 

          M. Friedland et M. Boulle ont conservé le droit de retirer leur appui à l’arrangement de Falconbridge si celui-ci était résilié conformément aux conditions qu’il comportait, notamment si le conseil d’administration décidait, dans l’exercice de ses droits fiduciaires, de recommander une opération concurrentielle.

 

          Sous réserve de son droit de retirer son appui à l’arrangement de Falconbridge, M. Friedland a convenu avec Falconbridge de veiller à ce que Teck et Inco, conformément aux droits de M. Friedland s’y rapportant, exercent les droits de vote afférents à l’ensemble de leurs actions ordinaires en faveur de l’arrangement de Falconbridge.

 

          Après la signature de l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge, Falconbridge et Diamond Fields ont tenu une série de réunions d’information à l’intention des investisseurs au sujet dudit accord. Conformément à l’accord conclu entre Diamond Fields et Falconbridge, aucune offre concurrentielle ou autre proposition n’a été sollicitée et Diamond Fields n’a pas tenu d’autres discussions avec Inco.

 

Opération proposée entre Inco et Falconbridge

 

          Le 1er mars 1996, Franklin G.T. Pickard, le chef de la direction de Falconbridge, a communiqué avec M. Mercaldo pour l’informer d’une opération proposée entre Falconbridge et Inco (l’opération proposée) conformément à laquelle, le lendemain de la date d’entrée en vigueur de l’arrangement de Falconbridge, des modifications importantes seraient apportées à l’entente d’achat de produits et à la convention des actionnaires signées avec Inco, Diamond Fields et VBN, lesquelles modifications visaient à tenir compte de l’évolution de la situation commerciale chez VBN par suite du fait que Falconbridge hériterait des ententes existantes; M. Pickard a également informé M. Mercaldo du fait qu’Inco achèterait à Falconbridge une participation supplémentaire correspondant à 25 p. 100 des actions de VBN. Le prix d’achat de cette participation devait être déterminé par une formule qui, selon l’avis que Diamond Fields avait obtenu, aurait donné lieu à un montant au comptant total de 944 000 000 $, plus un tiers de l’ensemble des frais de Falconbridge liés aux actions à droit de vote subalterne de catégorie B de Falconbridge. Selon Diamond Fields, le prix de la formule aurait été l’équivalent du transfert du tiers du coût d’acquisition indirect réel de Falconbridge, conformément à l’arrangement de Falconbridge, de la participation de 75 p. 100 que Diamond Fields détenait dans VBN. Conformément aux obligations existantes, les actions privilégiées série D d’Inco que Diamond Fields détenait seraient converties en actions ordinaires d’Inco et seraient vendues.

 

          Le 4 mars 1996, Falconbridge a acheminé à Diamond Fields une série d’ébauches d’ententes qui décrivaient l’opération proposée en détail et a expliqué à Diamond Fields que tout arrangement relatif à la restructuration de la relation visant Voisey’s Bay serait assujetti à une réaction favorable de Diamond Fields.

 

          Le conseil d’administration a rencontré les conseillers de Diamond Fields pour examiner l’opération proposée le 4 mars 1996. En se fondant sur la discussion tenue avec les conseillers financiers de Diamond Fields, il a conclu, après avoir longuement réfléchi, que l’opération proposée représentait un changement important par rapport aux conditions initiales de la proposition de fusion de Falconbridge et qu’elle n’était pas dans l’intérêt de Diamond Fields et des actionnaires de celle‑ci; il a donc décidé de ne pas consentir à l’opération proposée. La décision du conseil d’administration a été communiquée sans délai à M. Pickard, qui représentait Falconbridge, par M. Friedland et M. Mercaldo.

 

          Le 5 mars 1996, Falconbridge a avisé verbalement M. Mercaldo et confirmé par écrit à Diamond Fields qu’elle avait informé Inco qu’elle avait mis fin aux discussions tenues avec celle‑ci relativement à l’opération proposée et que ces discussions ne reprendraient pas.

 

Offre d’Inco

 

          Le 26 mars 1996, M. Michael D. Sopko, président et chef de la direction d’Inco, a communiqué avec M. Friedland, alors coprésident de Diamond Fields, et l’a avisé qu’Inco annonçait à la même date une offre visant à acquérir l’ensemble des actions ordinaires dont Inco n’était pas alors propriétaire conformément à un plan d’arrangement. Diamond Fields a reçu l’offre formelle d’Inco le 27 mars 1996 et en a remis une copie à Falconbridge et aux conseillers juridiques et financiers de celle-ci afin de se conformer à ses obligations à cet égard en vertu de l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge. Entre le 27 mars et le 2 avril 1996, Diamond Fields a examiné attentivement l’offre d’Inco avec ses conseillers et a tenu une série de rencontres avec les conseillers juridiques et financiers des deux sociétés afin de négocier en profondeur les conditions de ladite offre. De plus, Diamond Fields et ses conseillers ont tenu une série de réunions avec Falconbridge et les conseillers de celle-ci afin de discuter de l’offre d’Inco et de la possibilité d’une offre révisée de Falconbridge. Les membres de la haute direction et les conseillers de Diamond Fields ont informé les membres du conseil d’administration de l’évolution des discussions pendant cette période et le conseil d’administration a tenu des réunions afin de discuter de l’offre d’Inco les 1er et 2 avril 1996.

 

Offre révisée de Falconbridge

 

          Le 2 avril 1996, un représentant de CIBC Wood Gundy Valeurs mobilières Inc., qui étaient les conseillers financiers de Falconbridge, a communiqué avec M. Mercaldo pour l’informer du fait que Falconbridge avait publiquement annoncé une offre révisée (l’offre révisée de Falconbridge). Une copie du communiqué de presse de Falconbridge ainsi qu’une copie d’une lettre énonçant formellement les conditions de l’offre révisée de Falconbridge ont alors été remises à Diamond Fields.

 

          Dans son offre révisée, Falconbridge a offert de modifier l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge afin d’offrir un paiement au comptant de 620 000 000 $ (soit 5,50 $ pour chaque action ordinaire), un montant de 1 241 000 000 $ sous forme d’actions privilégiées avec droit de vote rachetables par anticipation dans un délai de cinq ans, à dividende de 6,5 p. 100 de Falconbridge (soit 11 $ pour chaque action ordinaire), un montant de 2 368 000 000 $ sous forme d’actions à droit de vote subalterne de Falconbridge (soit 0,75 d’action de Falconbridge pour chaque action ordinaire) et un « billet diamant » qui serait remboursé par une action de Diamondco pour chaque action ordinaire, ce qui représentait une contrepartie totale que Falconbridge évaluait à 38 $ par action ordinaire. L’offre permettait aux actionnaires de choisir une combinaison de contreparties, sous réserve des montants totaux susmentionnés.

 

          L’offre révisée de Falconbridge était assujettie à l’acceptation par Inco et à l’approbation par Diamond Fields d’une offre contemporaine de Falconbridge à Inco en vue de restructurer la propriété, la gouvernance et l’exploitation de VBN selon des conditions semblables pour l’essentiel à celles qui sont énoncées dans les deux ébauches d’ententes entre Inco et Falconbridge que le conseil d’administration de Diamond Fields a examinées le 4 mars 1996 et dont une description figure ci-dessus sous la rubrique [traduction] « Opération proposée entre Inco et Falconbridge ». Dans son offre révisée, Falconbridge a proposé qu’Inco fasse l’acquisition d’une autre participation directe de 25 p. 100 dans VBN à un coût d’acquisition pour Inco qui serait fondé sur le coût d’acquisition de Falconbridge. Par suite de cette acquisition, les actions de VBN appartiendraient à parts égales à Falconbridge et à Inco.

 

          Conformément à l’offre révisée de Falconbridge, la restructuration de la propriété, de la gouvernance et de l’exploitation de VBN, qui serait entrée en vigueur lors de la réalisation de l’offre révisée en question, aurait donné lieu au remplacement du droit courant d’Inco à l’ensemble de la production du projet de Voisey’s Bay pendant les cinq premières années par un arrangement d’exploitation égal selon lequel Inco et Falconbridge auraient chacune le droit et l’obligation d’acheter 50 p. 100 de la production annuelle du projet. La proposition de restructuration prévoyait également des changements touchant la gouvernance de VBN qui iraient de pair avec la répartition à parts égales des actions de VBN entre Inco et Falconbridge.

 

          Diamond Fields et Inco avaient jusqu’au 10 avril 1996 pour accepter l’offre révisée de Falconbridge et, jusqu’à cette date, l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge est demeuré pleinement en vigueur. Falconbridge a déclaré qu’elle avait l’intention de tenir ses assemblées annuelle et extraordinaire le 12 avril 1996. L’offre révisée de Falconbridge prévoyait également que, jusqu’à ce que les opérations soient réalisées, Inco et Falconbridge demeureraient libres d’offrir ou de proposer d’autres arrangements à Diamond Fields.

 

          Le 2 avril 1996, le conseil d’administration a rencontré les conseillers de Diamond Fields afin d’examiner l’offre révisée de Falconbridge. Il a discuté à fond de cette offre et examiné attentivement l’avis de ses conseillers juridiques et financiers. En se fondant sur la discussion qu’il avait eue avec les conseillers financiers de Diamond Fields, le conseil d’administration a conclu que la valeur offerte par Inco à l’égard des actions ordinaires dépassait la valeur présentée dans l’offre révisée de Falconbridge et que cette dernière offre, par suite de laquelle Falconbridge et Inco détiendraient chacune la moitié des actions ordinaires de VBN, représentait un changement important par rapport aux conditions initiales de l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge et non seulement une augmentation de la contrepartie offerte en échange des actions ordinaires. Le conseil d’administration a conclu que l’offre révisée de Falconbridge n’était pas dans l’intérêt de Diamond Fields et des actionnaires de celle-ci et a donc décidé par résolution de la rejeter.

 


Accord avec Inco

 

Après la réunion que le conseil d’administration a tenue le 2 avril 1996, les membres de la haute direction et les conseillers de Diamond Fields ont rencontré les membres de la haute direction et les conseillers d’Inco pour terminer les négociations et préparer sous forme définitive les documents à soumettre à l’examen du conseil d’administration des deux sociétés. Par suite des négociations en question qui ont débuté le 1er avril 1996, certaines améliorations ont été apportées à l’offre formulée par Inco le 26 mars 1996. Les actions de catégorie VBN d’Inco étaient désormais assorties d’un dividende minimal de 80 p. 100 des dividendes en espèces réguliers versés sur les actions ordinaires d’Inco chaque année au cours des dix premières années suivant la date d’entrée en vigueur, alors qu’Inco n’avait offert aucun dividende minimal à l’origine. La date à laquelle Inco pourrait convertir les actions de catégorie VBN d’Inco en actions ordinaires d’Inco a été reportée du cinquième au dixième anniversaire de la date d’entrée en vigueur. Les détenteurs d’actions de catégorie VBN d’Inco ont obtenu le droit d’exiger la conversion des actions en actions ordinaires d’Inco si celle-ci vendait plus de 24 p. 100 des actions de VBN (alors que ce pourcentage s’élevait précédemment à 50 p. 100). La politique de dividende du conseil d’administration d’Inco en ce qui concerne les actions de catégorie VBN d’Inco a été modifiée par l’ajout d’une participation dans les propriétés existantes de Diamond Fields situées au Groenland et en Norvège ainsi que dans les parties du Labrador se trouvant à l’extérieur du projet de Voisey’s Bay. Inco s’est engagée, ce qu’elle n’avait pas fait au départ, à injecter une somme d’au moins 80 000 000 $ dans les frais d’exploration (y compris les travaux de forage de mise en valeur) au Labrador ainsi que dans les propriétés existantes de Diamond Fields situées au Groenland et en Norvège pendant cinq ans afin de maximiser le potentiel de ces actifs. Les détenteurs des actions de catégorie VBN d’Inco ont également obtenu le droit, comme catégorie, d’élire deux administrateurs d’Inco. Les détenteurs des actions privilégiées série E d’Inco ont obtenu le droit d’exercer un droit de vote par action, alors que le droit de vote offert à l’origine se limitait à un dixième de droit de vote.

 

Le 3 avril 1996, les membres du conseil d’administration se sont réunis pour examiner les conditions de l’opération proposée par Inco.

 

          Selon la proposition d’Inco, celle-ci devait acquérir la participation de 75 p. 100 de Diamond Fields dans VBN, devenant de ce fait propriétaire à 100 p. 100 du projet de Voisey’s Bay. L’opération permettrait aux actionnaires de continuer à bénéficier des avantages découlant de la participation de 75 p. 100 au projet de Voisey’s Bay à titre de détenteurs d’actions ordinaires d’Inco et de recevoir des actions de catégorie VBN d’Inco devant correspondre à une participation financière de 25 p. 100 dans le projet de Voisey’s Bay. Lors de la réunion du 3 avril 1996, Nesbitt Burns a fait savoir verbalement au conseil d’administration qu’à cette date, la proposition d’Inco était équitable du point de vue financier pour les actionnaires autres qu’Inco. Au cours de la même réunion, First Boston a également fait savoir verbalement au conseil d’administration qu’à son avis, à cette date, la contrepartie que les actionnaires recevraient conformément à la proposition d’Inco était équitable pour ces actionnaires autres qu’Inco, du point de vue financier. En se fondant sur les avis qu’il avait obtenus verbalement des conseillers financiers de Diamond Fields ainsi que sur les cours des actions avant l’annonce, le conseil d’administration a conclu que la proposition d’Inco avait pour effet d’évaluer Diamond Fields à environ 4 300 000 000 $ relativement aux actions de Diamond Fields qui n’appartenaient pas déjà à Inco (soit une évaluation d’environ 4 600 000 000 $ pour l’ensemble de Diamond Fields). Le conseil d’administration a également conclu que, selon la proposition d’Inco, la valeur offerte à l’égard des actions ordinaires dépassait nettement celle qui avait été précédemment convenue avec Falconbridge et celle qui était mentionnée dans l’offre révisée de celle-ci.

 

          M. Friedland, M. Boulle et M. Mercaldo ont déclaré leur intérêt et, en raison de leurs ententes liées à l’arrangement de Falconbridge, se sont abstenus de voter au sujet de l’opération.

 

          Le conseil d’administration a ensuite accepté à l’unanimité la proposition d’Inco et a approuvé la signature et l’exécution de l’accord. Le conseil d’administration a également retiré sa recommandation relative au plan d’arrangement visé par l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge. Voir la rubrique [traduction] « Recommandation du conseil d’administration ».

 

          Selon les conditions de l’arrangement en cause, Diamond Fields convenait de verser à Inco une indemnité (l’indemnité de rupture) de 115 000 000 $ et de rembourser (jusqu’à concurrence de 15 000 000 $) les frais justifiés réels engagés par Inco dans l’éventualité où une partie autre que celle-ci acquerrait le contrôle de Diamond Fields ou prendrait livraison d’actions de celle-ci conformément à une offre publique d’achat faite dans les cinq mois de la date de l’arrangement en cause relativement à moins de la totalité des actions de Diamond Fields. Les montants et les circonstances du paiement de l’indemnité de rupture ont fait l’objet de longues négociations entre les parties et Diamond Fields estime qu’Inco n’aurait pas conclu l’arrangement en cause si Diamond Fields n’avait pas accepté de verser cette indemnité. Le paiement de l’indemnité de rupture en cas de livraison d’actions ordinaires en application d’une offre partielle visait à atténuer la préoccupation d’Inco selon laquelle, étant donné que la résolution relative à l’arrangement en cause devait être approuvée par 75 p. 100 des actionnaires, cette condition dudit arrangement pourrait être impossible à remplir par suite d’une offre partielle retenue à l’égard des actions ordinaires. Lorsqu’il a examiné le montant de l’indemnité de rupture, le conseil d’administration a également constaté que le montant total de celle-ci n’était pas suffisamment élevé, eu égard à la valeur totale de la proposition d’Inco, pour constituer, de l’avis du conseil d’administration et des conseillers de celui‑ci, un facteur de dissuasion significatif à l’égard d’une offre concurrentielle faite de bonne foi ou d’une opération avec une autre société, et que le montant qu’Inco pourrait exiger représentait une fraction relativement minime de l’augmentation de la valeur globale pour les actionnaires représentée par la proposition d’Inco par rapport à celle de l’arrangement de Falconbridge ou par rapport à la valeur offerte selon l’offre révisée de celle-ci. Voir la rubrique [traduction] « L’arrangement en cause – inexécution ».

 

          L’approbation de l’arrangement en cause par le conseil d’administration était assujettie au respect de toutes les conditions nécessaires, y compris l’approbation des actionnaires de Diamond Fields et d’Inco, l’approbation de la Cour, l’approbation des organismes de réglementation et la confirmation des avis des conseillers financiers sur l’équité du prix offert. Voir la rubrique [traduction] « L’arrangement en cause – conditions ».

 

          Selon les conditions de l’arrangement en cause, Diamond Fields convenait de ne pas solliciter d’offres concurrentielles ou d’autres propositions. Cependant, le conseil d’administration avait le droit de répondre à des offres ou propositions non sollicitées et de conclure d’autres opérations qui, à son avis, étaient dans l’intérêt des actionnaires. Voir les rubriques [traduction] « L’arrangement en cause – engagements » et [traduction] « L’arrangement en cause – obligations fiduciaires ».

 

          Après avoir obtenu l’approbation de leurs conseils d’administration respectifs, Inco et Diamond Fields ont signé l’arrangement en cause, qui devait entrer en vigueur le 3 avril 1996.

 

          Conformément aux conditions de l’arrangement en cause, le 3 avril 1996, le conseil d’administration a décidé par résolution de reporter au 31 mai 1996 ou à la date de son choix la date de dissociation des droits prescrits par le régime de protection des droits des actionnaires par suite de l’annonce de l’offre d’Inco de conclure l’opération envisagée par l’arrangement en cause. Le 17 avril 1996, le conseil d’administration a également décidé par résolution de renoncer à l’application du régime de protection des droits des actionnaires en ce qui concerne Inco et les opérations envisagées par l’arrangement en cause. Voir la rubrique « L’arrangement en cause – engagements ».

 

          Selon l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge, Diamond Fields avait convenu d’informer Falconbridge si elle approuvait, de bonne foi, une opération avec une autre société suivant la définition et aux fins dudit accord et de remettre à Falconbridge une copie de l’entente définitive connexe. Falconbridge avait alors le droit de remettre à Diamond Fields un plan d’arrangement modifié ayant pour effet d’augmenter la contrepartie qu’elle devait payer aux actionnaires conformément à l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge. Diamond Fields a remis un avis de l’arrangement en cause à Falconbridge le 3 avril 1996. Le 9 avril 1996, Falconbridge a informé Diamond Fields qu’elle n’avait pas l’intention de remettre un plan d’arrangement modifié. Conformément à un document modifiant l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge, lequel document a été signé le 9 avril 1996, Diamond Fields et Falconbridge ont convenu de mettre fin audit accord. Par suite de cette résiliation, Falconbridge avait le droit de conserver la commission d’engagement de Falconbridge et de recevoir l’indemnité de rupture si une offre concurrentielle ou un regroupement commercial touchant Diamond Fields (y compris l’arrangement en cause) était annoncé avant le 31 août 1996 et réalisé par la suite.

 

          Le 11 avril 1996, les membres du conseil d’administration se sont réunis pour examiner, notamment, la désignation de deux personnes à titre de premiers administrateurs de catégorie représentant les détenteurs des actions de catégorie VBN d’Inco au conseil d’administration de celle-ci. Le conseil d’administration a décidé par résolution de désigner M. Friedland, ou le représentant de celui-ci, et M. Boulle, ou le représentant de celui‑ci, à titre de représentants initiaux en question. M. Friedland a fait savoir au conseil d’administration qu’il avait l’intention, pour des raisons personnelles et commerciales, de désigner M. Mercaldo comme son représentant. Diamond Fields a subséquemment informé Inco que M. Mercaldo et M. Boulle devraient être désignés à titre de premiers administrateurs de catégorie représentant les détenteurs des actions de catégorie VBN au conseil d’administration de celle-ci.

 

          Par suite des négociations relatives à l’offre d’Inco, celle-ci a obtenu le droit de résilier l’arrangement en cause si M. Friedland et M. Boulle n’avaient pas conclu avec elle, avant 9 h (heure de Toronto) le 15 avril 1996, des ententes dans lesquelles ils se seraient engagés de façon irrévocable à appuyer l’arrangement en cause. Par suite de la rupture de l’accord relatif à l’arrangement de Falconbridge, leurs ententes visant à appuyer celui-ci sont devenues caduques et M. Friedland et M. Boulle (qui étaient représentés par des conseillers juridiques indépendants de Diamond Fields et d’Inco) ont conclu avec Inco, avant 9 h le 15 avril 1996, des ententes séparées dans lesquelles ils ont convenu d’appuyer irrévocablement l’arrangement en cause. M. Friedland a également convenu de veiller à ce que Teck exerce, conformément aux droits de M. Friedland à cet égard, les droits de vote afférents à l’ensemble de ses actions ordinaires en faveur de l’arrangement en cause. Voir la rubrique [traduction] « Ententes d’appui ».

 

          M. Friedland, M. Boulle et M. Mercaldo ont informé le conseil d’administration qu’ils n’avaient pas l’intention, à l’heure actuelle, de choisir l’option au comptant décrite sous la rubrique [traduction] « L’arrangement en cause – choix de l’option au comptant ».

 

          Tous les administrateurs et dirigeants de Diamond Fields ont fait connaître leur intention d’exercer ou de veiller à ce que soient exercés en faveur de l’arrangement en cause leurs droits de vote afférents à l’ensemble des actions ordinaires qui leur appartiennent ou qu’ils contrôlent.

 

RECOMMANDATION DU CONSEIL D’ADMINISTRATION

 

          Le conseil d’administration a décidé à l’unanimité (M. Friedland, M. Boulle et M. Mercaldo s’abstenant de voter à ce sujet après avoir déclaré leur intérêt découlant d’ententes visant à appuyer l’arrangement de Falconbridge) que la contrepartie qu’Inco verserait en échange des actions ordinaires selon l’arrangement en cause est équitable pour les actionnaires, que l’acquisition par Inco de l’ensemble des actions ordinaires autres que celles qu’elle détient déjà est dans l’intérêt de Diamond Fields et des actionnaires de celle-ci, que l’arrangement en cause est équitable pour les actionnaires et que la recommandation qu’il avait donnée à l’égard de l’arrangement de Falconbridge est retirée. Le conseil d’administration recommande à l’unanimité que les actionnaires votent en faveur de la résolution relative à l’arrangement en cause lors de l’assemblée.

 

          Pour en arriver à recommander l’approbation de l’arrangement en cause, le conseil d’administration a consulté les membres de la direction de Diamond Fields ainsi que les conseillers juridiques et financiers de celle-ci et tenu compte des facteurs suivants :

 

a)                 la contrepartie offerte par Inco, qui a pour effet d’évaluer 100 p. 100 des actions de Diamond Fields à environ 4 600 000 000 $ ou environ 41 $ l’action, d’après le cours de clôture des actions ordinaires d’Inco à la Bourse de Toronto le 2 avril 1996, ce qui représente une prime d’environ 27 p. 100 par rapport au prix auquel les actions ordinaires se négociaient à la Bourse de Toronto le 8 février 1996, la veille de l’annonce publique de l’arrangement de Falconbridge, une prime d’environ 5 $ l’action (14 p. 100) par rapport à la valeur déclarée de la contrepartie pour chaque action ordinaire selon l’arrangement de Falconbridge et une prime d’environ 3 $ l’action (8 p. 100) par rapport à la valeur déclarée de la contrepartie pour chaque action ordinaire selon l’offre révisée de Falconbridge;

 

b)                le fait que l’arrangement en cause offre aux actionnaires la possibilité (i) de détenir une participation dans une société qui, à la date d’entrée en vigueur, possédera 100 p. 100 du projet de Voisey’s Bay, (ii) d’obtenir un titre devant traduire une participation de 25 p. 100 dans le rendement financier du projet de Voisey’s Bay et de toutes les découvertes futures au Labrador et sur les propriétés où Diamond Fields poursuit des activités d’exploration en Norvège et au Groenland, par l’entremise des actions de catégorie VBN d’Inco, (iii) de conserver une participation dans les actifs diamantifères de Diamond Fields;

 

c)                 la forme de la contrepartie offerte par Inco, qui permettra à la plupart des actionnaires qui le désirent de conclure l’opération sur une base de report d’impôt;

 

d)                la possibilité, pour les actionnaires qui le désirent, de recevoir une partie de la contrepartie au comptant (sous réserve d’un montant maximal de 350 000 000 $);

 

e)                 la nature et la portée de l’entreprise actuelle d’Inco et la qualité et l’ampleur de ses actifs, sa situation financière, sa direction, sa position concurrentielle et ses perspectives ainsi que la capacité pour les actionnaires de tirer profit de ces actifs au moyen d’une participation financière dans Inco sous forme d’actions ordinaires d’Inco, d’actions de catégorie VBN d’Inco et d’actions privilégiées série E d’Inco;

 

f)                  l’avis verbal de Nesbitt Burns selon lequel, le 3 avril 1996, l’arrangement en cause est équitable du point de vue financier pour les actionnaires autres qu’Inco et l’avis verbal de First Boston selon lequel, à cette même date, la contrepartie que les actionnaires recevront en application de l’arrangement en cause est équitable pour les actionnaires en question autres qu’Inco, du point de vue financier, lesquels avis ont subséquemment été confirmés par la remise d’avis écrits signés le 17 avril 1996 et joints à la présente circulaire comme pièces E et F;

 

g)                 le fait que l’arrangement en cause n’empêche pas le conseil d’administration d’appuyer ou de faciliter une offre concurrentielle ou une opération avec une autre société dans l’exercice de ses devoirs fiduciaires;

 

h)                 la décision du conseil d’administration selon laquelle, malgré le fait que les parties intéressées ne seraient pas empêchées de proposer une opération plus avantageuse, l’arrangement en cause représentait la meilleure solution de rechange parmi les possibilités qui s’offraient alors à Diamond Fields et aux actionnaires de celle-ci.

 

Compte tenu de la variété des facteurs qu’il a examinés dans le cadre de son évaluation de l’arrangement en cause, le conseil d’administration, pour en arriver à sa décision, n’a pas quantifié les facteurs en question et n’a pas tenté par ailleurs de les pondérer.

 


Cet autre jugement modifié et les motifs du jugement modifiés sont rendus en remplacement du jugement modifié et des motifs du jugement modifiés rendus le 5e jour de septembre 2006.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de septembre 2006.

 

 

« R. D. Bell »

Juge Bell

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de juillet 2008.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI460

 

N° DU DOSSIER DE LA COUR :     2004-3354(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              MIL (INVESTMENTS) S.A. et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Du 17 au 20 juillet 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

MODIFIÉS :                                      L’honorable juge R. D. Bell

 

DATE DU JUGEMENT

MODIFIÉ :                                        Le 27 septembre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

MWarren J.A. Mitchell, c.r.

MMatthew Williams

 

Avocats de l’intimée :

MRobert Carvalho

MDavid Jacyk

MMichael Taylor

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

       Pour l’appelante :                       

 

                   Noms :                            MWarren J.A. Mitchell, c.r.

                                                          MMatthew Williams

 

                   Étude :                            Thorsteinssons

 

       Pour l’intimée :                            Me John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Canada)



[1] M. Mercaldo, qui s’est joint à DFR le 13 février 1995, était un placeur expérimenté lorsqu’il est devenu le premier vice‑président ainsi que le chef des finances et un administrateur de DFR.

[2]  Le 25 septembre 1995, les actions ordinaires de DFR avaient été fractionnées à raison de 4 pour 1.

44 Loi n° 2 d’exécution du budget de 2004, L.C. 2005, ch. 19, aux articles 52 et 60.

[3]  En ce qui a trait à la légalité des textes de loi rétroactifs, voir Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161, et Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, 2005 CSC 49.

[4] L’appelante détenait la majorité de ces actions.

[5] Selon l’article 85.1, en application duquel ce « roulement » a été effectué, Inco correspond à l’« acheteur » et MIL, au « vendeur ».

[6] L’avocat de l’intimée a appelé à la barre Stuart Feiner, premier vice-président des affaires générales d’Inco Limited à New York, afin de mettre en doute la crédibilité de M. Boulle en ce qui a trait à la raison pour laquelle celui-ci a choisi de vendre ses actions de DFR en échange d’actions d’Inco plutôt que d’espèces. À mon avis, il se peut fort bien que M. Feiner n’ait pas été mis au courant des détails de toutes les négociations qui ont eu lieu entre M. Boulle et Inco. Dans ces circonstances, comme je n’ai aucune raison de douter de la crédibilité de M. Feiner, je suis d’avis que ni celui-ci ni M. Boulle ne peuvent être discrédités.

[7] Voir, par exemple, l’article 87 de la British Columbia Securities Act [RSBC 1996], ch. 418, au sujet des opérations d’initiés.

[8] L’appelante a présenté en preuve plusieurs mémoires de planification de son conseiller fiscal au Canada. Les mémoires de planification sont décrits de façon plus détaillée à l’annexe A.

[9] L’avantage fiscal de cette série étant la vente à Inco à un montant d’environ 65 000 000 $, laquelle vente était exonérée d’impôt selon la Convention fiscale.

[10] J’accepte sans réserve l’ensemble du témoignage de M. Mercaldo.

[11] Les appels examinés dans Crown Forest découlent de cotisations relatives à des années d’imposition antérieures à l’adoption de l’article 245.

[12] Le critère proposé quant à l’existence d’une règle anti-abus inhérente et le scénario inverse sont décrits comme suit dans le rapport de M. Steichen :

 

[TRADUCTION] Étant donné que la Convention fiscale est un contrat entre deux pays, le refus d’avantages fiscaux découlant de la Convention pour cause d’utilisation abusive de celle-ci devrait se limiter aux cas où les deux États contractants estiment que leurs propres dispositions anti-évitement nationales s’appliquent [...].

 

Afin que je donne cette opinion, vous m’avez demandé d’examiner la question de savoir si les avantages de la Convention fiscale pourraient être refusés au Luxembourg dans le scénario inverse [...]. J’ai examiné comme scénario inverse la situation hypothétique où la même société des Îles Caymans aurait déménagé son siège au Canada afin d’éviter l’imposition des gains en capital au Luxembourg [...] conformément aux dispositions de l’article 13 de la Convention fiscale.

 

[13] Beame c. Canada, [2004] A.C.F. n° 237, au paragraphe 13.

[14]             La version anglaise du préambule de la Convention fiscale applicable à l’année d’imposition en question est ainsi libellée : “The Government of Canada and the Government of the Grand Duchy of Luxembourg desiring to conclude a Convention for the avoidance of double taxation and prevention of fiscal evasion with respect to taxes on income and on capital, have agreed as follows:”

 

Dans la version française, l’expression « fiscal evasion » était rendue par « évasion fiscale », soit la traduction française du mot « avoidance », plutôt que par « fraude fiscale », comme elle aurait dû l’être. Il se pourrait que l’emploi de l’expression « évasion fiscale » dans la version française ait pour effet d’inclure dans le préambule l’objet de prévenir non seulement la fraude fiscale, mais également l’évasion fiscale.

 

Il convient de souligner que cette incohérence a été corrigée dans la nouvelle version de la Convention entre le Canada et le Luxembourg qui est entrée en vigueur le 17 octobre 2000, où l’expression « fiscal evasion » utilisée dans la version anglaise est correctement rendue par « fraude fiscale » dans la version française.

 

[15] L’intimée a cité la décision Cudd Pressure Control Inc. v. The Queen, 98 DTC 6630 (CAF), pour soutenir qu’il est possible d’invoquer les commentaires subséquents. Cependant, les remarques suivantes figurent sur la page mentionnée de la décision citée :

 

[23] Les commentaires pertinents sur la Convention de l’OCDE ont été rédigés après la Convention de 1942 et leur pertinence est donc quelque peu suspecte. En particulier, ils ne peuvent pas servir à déterminer l’intention des rédacteurs de la Convention de 1942.

 

[16] De plus, M. Steichen a écrit ce qui suit dans son rapport :

 

[TRADUCTION] Un autre corollaire est le principe de la contemporanéité : le texte de la convention doit être interprété à la lumière des règles du droit international général en vigueur lors de sa ratification ainsi qu’à la lumière du sens donné à l’époque aux termes qui s’y trouvent.

 

1               Voir le paragraphe 8.

2               Le PBR déclaré des actions s’élevait à 456 158 $ et un montant de 28 024 $ a été déduit au titre des frais connexes et des dépenses liées à la vente.

3               Le PBR déclaré des actions s’élevait à 1 621 712 $.

4               Teck contrôlait Cominco.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.