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Dossier : 2003-2956(IT)G

ENTRE :

AVOTUS CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu les 17 et 18 octobre 2005, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Roger Taylor

Me Al-Nawaz Nanji

 

 

Avocats de l’intimée :

Me Richard Gobeil

Me April Tate

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1995, 1997, 1998 et 1999 est admis, avec dépens, pour le motif que l’appelante avait le droit de tenir compte des pertes et du revenu de MDR of the Americas, Inc. dans le calcul de son revenu pour les années visées par l’appel.

 

      


Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de novembre 2006.

 

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de mars 2008.

 

Maurice Audet, réviseur


 

 

Référence : 2006CCI505

Date : 20061121

Dossier : 2003-2956(IT)G

 

ENTRE :

 

AVOTUS CORPORATION,

appelante,

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Paris

 

[1]     L’appelante, Avotus Corporation, interjette appel des nouvelles cotisations dont son prédécesseur, MDR Technologies Inc. (« MDR »), a fait l’objet pour les années d’imposition qui ont pris fin les 30 avril 1995, 1997, 1998 et 1999.

 

[2]     Il y a deux questions principales à trancher dans cet appel : premièrement, celle de savoir si, au cours des années en question, la filiale portoricaine de l’appelante, MDR of the Americas, Inc. (« Americas »), exploitait une entreprise à titre de mandataire de l’appelante ou pour son propre compte.

 

[3]     L’appelante a déclaré son revenu en se fondant sur le fait que, pendant toutes les années en question, Americas était son mandataire. Elle a donc inclus les pertes et revenus suivants d’Americas dans le calcul de son propre revenu aux fins de l’impôt canadien :

 

                      1995                            (   291 562 $)

                      1997                                  (1 428 073 $)

                      1998                            (   842 002 $)

                      1999                            (   571 621 $)

 

[4]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi de nouvelles cotisations en se fondant sur le fait qu’Americas exploitait une entreprise pour son propre compte, et il a donc retranché les revenus et pertes d’Americas du calcul du revenu de l’appelante.

 

[5]     Les avocats des parties ont convenu que, s’il était conclu qu’Americas n’exploitait pas une entreprise à Porto Rico à titre de mandataire de l’appelante, le revenu de l’appelante pour l’année 1999 devrait être réduit d’un montant de 571 621 $, soit le montant que l’appelante a inclus dans le revenu qu’elle avait tiré des activités exercées à Porto Rico.

 

[6]     La seconde question à trancher en l’espèce est celle de savoir si, au cours des années visées par l’appel, l’appelante était contrôlée par un non‑résident du Canada. Dans l’affirmative, l’appelante ne serait pas admissible à titre de « société privée sous contrôle canadien » (la « SPCC ») selon la définition figurant au paragraphe 125(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi[1] ») et elle n’aurait pas droit aux montants suivants demandés à l’égard de la déduction pour petite entreprise et de certains crédits d’impôt à l’investissement :

 

Déduction pour petite entreprise :        1995 -   29 244 $

                                                                   1997 -   31 631 $

                                                                    1998 -   26 602 $

 

Crédits d’impôt à l’investissement :     1995 -   60 691 $

                                                                    1998 - 125 561 $

 

Carl Santoni, Steve Massel et Peter Kaju ont été appelés à témoigner à l’audience. M. Santoni a été administrateur et actionnaire de l’appelante jusqu’en 2002. M. Massel est directeur financier de l’appelante depuis le mois de juin 2004; à l’heure actuelle, M. Kaju est directeur des services financiers. Certaines parties de l’interrogatoire préalable de Stan Tyo, président de l’appelante de 1991 à 1999 et de 2000 à 2002, ont également été versées au dossier.

 

Les faits

 

[7]     Comme il en est ci‑dessus fait mention dans les présents motifs, l’appelante est la société remplaçante de MDR Technologies Inc., autrefois appelée MDR Telemanagement Ltd. Cette dernière société a été créée le 1er mai 1994 par suite de la fusion de MDR Telemanagement Ltd., de T.C. Networking Ltd. et d’Intelligent Computing Devices Ltd.

 

[8]     L’appelante exploitait une entreprise d’ingénierie, de fabrication, de distribution et d’entretien d’une ligne de produits, composée de logiciels et de matériel, que certaines organisations utilisaient pour assurer l’allocation et établir le coût de leurs services de communication vocale et de transmission de données. Son siège social et son bureau principal étaient situés à Oakville (Ontario). L’appelante avait également des bureaux à Calgary et à Montréal.

 

[9]     Au cours des années en question, 50 p. 100 des actions de l’appelante étaient détenues par Richard Malone; Carl et Agnes Santoni détenaient chacun des actions de l’appelante dans une proportion de 25 p. 100. Les administrateurs de l’appelante étaient Richard Malone et Carl Santoni. Richard Malone était président du conseil d’administration. Jusqu’au 15 septembre 1994, tous les actionnaires et tous les administrateurs de l’appelante résidaient au Canada. Ce jour‑là, M. Malone a quitté le Canada pour s’établir à Porto Rico et il a cessé d’être un résident du Canada.

 

La question du mandat

 

Constitution d’Americas en société

 

[10]    En 1994 ou vers 1994, l’appelante a décidé de se livrer à des activités commerciales à Porto Rico afin de vendre ses produits à Porto Rico et dans les Caraïbes. Elle a constitué Americas en société le 20 juillet 1994 à titre de filiale à 100 p. 100 et désigné Richard Malone pour diriger la société. Richard Malone et Carl Santoni sont devenus administrateurs de la nouvelle société. Selon le certificat de constitution, l’entreprise d’Americas devait être [traduction] « exploitée dans un but lucratif ».

 

[11]    Plusieurs raisons ont amené l’appelante à constituer Americas en société. L’appelante voulait notamment créer une société locale avec laquelle les entreprises et clients portoricains pourraient traiter. Elle voulait en outre permettre à M. Malone d’obtenir un visa l’autorisant à travailler à Porto Rico. Or, ce visa ne pouvait être obtenu que si M. Malone travaillait pour une société résidant à cet endroit. Il fallait également établir la société portoricaine en vue d’ouvrir un compte bancaire commercial portoricain.

 

[12]    Après avoir été constituée, Americas a entrepris de louer des locaux pour y installer ses bureaux et son entrepôt, d’embaucher des employés, d’ouvrir un compte bancaire, d’obtenir les licences, permis et autorisations nécessaires, d’acheter de l’équipement et, d’une façon générale, de commencer à vendre les produits de l’appelante.

 

[13]    Selon une convention écrite [traduction] « conclue ce 20e jour de juillet 1994 », l’appelante et Americas ont convenu qu’Americas agirait à titre de mandataire de l’appelante afin d’établir l’entreprise de l’appelante à Porto Rico et dans les Caraïbes. La convention a été signée par Carl Santoni pour le compte de l’appelante et par Richard Malone pour le compte d’Americas. Elle n’était pas datée, mais je reconnais qu’elle a été signée au début de 1996[2]. Les passages pertinents de la convention sont rédigés comme suit :

 

[traduction]

ATTENDU que MDR désire se livrer à des activités commerciales (l’« entreprise ») à Porto Rico (le « territoire »), l’entreprise devant être exploitée directement par MDR et non par l’entremise d’une filiale de MDR;

 

ET ATTENDU que MDR désire désigner le mandataire à titre de mandataire afin de faciliter l’établissement et l’organisation de l’entreprise et d’agir à titre de mandataire à l’égard de toutes les questions y afférentes;

 

[…]

 

1.         NOMINATION

 

MDR désigne par les présentes le mandataire à titre de mandataire non exclusif à l’égard de l’établissement, par MDR, de l’entreprise dans le territoire, et le mandataire accepte par les présentes cette nomination.

 

2.         SERVICES QUE LE MANDATAIRE DOIT FOURNIR

 

Les parties aux présentes conviennent que le mandataire agira pour le compte de MDR aux fins de l’ouverture des comptes bancaires, de la location ou de l’achat des locaux destinés à servir de bureaux, d’entrepôt ou à d’autres fins, aux fins de l’embauchage des employés, de l’obtention des licences, permis et autorisations nécessaires auprès des autorités gouvernementales ou des organismes de réglementation compétents, aux fins de l’achat de l’équipement, des fournitures et des marchandises nécessaires pour la revente et aux fins de la conclusion d’actes, de contrats, d’instruments et d’ententes avec des tiers à l’égard de l’établissement et de l’organisation initiale de l’entreprise. Les parties aux présentes reconnaissent et conviennent que tous les droits et obligations existant en vertu d’un contrat, d’un instrument ou d’une entente qui seront dévolus ou qui incomberont au mandataire seront les droits et obligations de MDR et le mandataire s’engage à prendre, à la demande de MDR, les mesures nécessaires et à signer les actes, documents, cessions ou ententes requis afin d’assurer sans délai la cession de pareils droits en faveur de MDR. Advenant le cas où les droits et obligations […] dévolus ou incombant au mandataire en vertu d’un contrat, d’un instrument ou d’une entente ne pourraient pas être cédés parce que certaines dispositions législatives ou conditions du contrat, de l’instrument ou de l’acte de cession interdisent une telle cession ou exigent, aux fins de la cession, le consentement de l’autre personne ou des autres personnes qui y sont parties et dans le cas où ce consentement n’est pas donné, les parties aux présentes conviennent que tous les droits prévus par le contrat, l’instrument ou l’entente seront détenus en fiducie par le mandataire exclusivement au profit de MDR.

 

3.         ENGAGEMENTS PRIS PAR LE MANDATAIRE

 

Le mandataire s’engage envers MDR à se conformer aux ordres et instructions donnés par MDR au sujet de l’entreprise, à s’occuper de l’établissement et de l’organisation initiale de l’entreprise d’une façon ordonnée et efficace et à respecter les lois, règles, règlements et conditions applicables à l’entreprise. […]

 

[...]

 

5.         DURÉE DE LA CONVENTION

 

La durée initiale de la présente convention sera de douze (12) mois à compter de la date des présentes, et la convention sera automatiquement renouvelée pour une période additionnelle de douze (12) mois consécutifs à compter de la date du premier anniversaire et de chaque anniversaire subséquent de la présente convention, et ce, tant que l’entreprise n’aura pas été complètement établie et organisée dans le territoire; MDR avisera alors le mandataire de la résiliation de la présente convention, chaque partie aux présentes pouvant toutefois mettre fin à la convention sur préavis donné par écrit à l’autre partie.

 

[14]    La contrepartie stipulée dans la convention était d’un dollar, montant que l’appelante devait payer à Americas. Aucun autre montant, aucune autre commission ni aucuns autres frais n’étaient payables.

 

[15]    Aucun avis de résiliation de la convention n’a été donné par l’une ou l’autre des parties à quelque moment que ce soit. Selon Stan Tyo, l’organisation initiale de l’entreprise aurait probablement pris fin à un moment donné en 1994. Toutefois, M. Tyo n’était pas d’accord pour dire que l’entreprise aurait été complètement établie au moment où la convention a été signée en 1996. Selon M. Massel, l’entreprise n’était pas encore complètement établie à Porto Rico lors de l’audition de l’appel; en effet, Americas avait encore besoin d’obtenir de l’appelante des fonds de roulement et de l’aide financière afin d’assurer le soutien de l’entreprise. M. Massel a déclaré que, jusqu’à la fin du mois de septembre 2005, le déficit cumulatif accusé par suite des activités d’Americas était de 227 000 $.

 

[16]    Carl Santoni a témoigné que l’appelante avait l’intention d’exploiter le bureau, à Porto Rico, en tant que succursale, comme c’était le cas pour ses bureaux à Calgary et à Montréal; à son avis, la convention de mandataire documentait cette relation commerciale.

 

[17]    Malgré la convention de mandataire, les états financiers d’Americas étaient préparés compte tenu du fait que cette dernière exerçait ses activités pour son propre compte, et Americas a produit ses déclarations de revenus à Porto Rico en son propre nom sur la même base. Les états financiers indiquaient les recettes et dépenses associées à la vente des produits de l’appelante, une dette élevée d’un actionnaire contractée par Americas envers l’appelante ainsi que les actifs appartenant à Americas.

 

[18]    Le revenu net ou la perte nette indiqués dans les états financiers d’Americas ont été déclarés chaque année dans les déclarations de revenus produites à Porto Rico. Americas a déduit des pertes aux fins de l’impôt portoricain en 1995, en 1996, en 1997 et en 1998, et elle a déclaré un revenu pour les années 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003.

 

[19]    Dans les états financiers ou dans les déclarations de revenus, aucune déclaration n’indiquait qu’Americas agissait à titre de mandataire de l’appelante.

 

[20]    Les états financiers et déclarations de revenus portoricains étaient préparés par des comptables de profession travaillant pour Americas. Lorsqu’il a été contre‑interrogé, Carl Santoni a déclaré que la direction de l’appelante et la direction d’Americas avaient fourni aux comptables d’Americas les renseignements nécessaires à la préparation des états financiers et des déclarations de revenus. Les déclarations de revenus étaient signées par Richard Malone.

 

[21]    D’autre part, dans ses états financiers et dans ses déclarations de revenus canadiennes, l’appelante a toujours traité comme siennes les dépenses et recettes d’Americas, et ce, à compter du moment où Americas a été constituée en société. Aucun montant ne figurait dans les états financiers de l’appelante comme étant dû par Americas, et les montants inscrits par Americas au titre de l’actif, du passif, des recettes et des dépenses étaient comptabilisés compte tenu du fait que les activités, à Porto Rico, étaient exercées par une succursale de l’appelante plutôt que du fait que l’entreprise était exploitée par une filiale pour son propre compte.

 

[22]    Afin de financer les activités à Porto Rico, l’appelante virait des sommes du Canada au compte bancaire d’Americas, à Porto Rico. Apparemment, ces sommes étaient virées au fur et à mesure des besoins. Carl Santoni a parlé de [traduction] « virements » de fonds, alors que M. Tyo a déclaré, lors de son interrogatoire préalable, que l’appelante prêtait de l’argent à Americas. M. Tyo a également affirmé que ces prêts étaient remboursés au fur et à mesure qu’Americas commençait à être rentable. On n’a jamais préparé de documents de prêt à l’égard des virements, et il n’y a rien dans les comptes de l’appelante qui indique que les virements étaient des prêts.

 

[23]    Les ententes de location conclues par Americas étaient conclues au nom de celle‑ci plutôt qu’au nom de l’appelante. De même, Americas a ouvert un compte bancaire à son propre nom.

 

[24]    Un échantillon de factures envoyées par Americas à des clients a été produit à l’audience. La plupart de ces factures désignaient Americas comme une [traduction] « division » de l’appelante, et une facture faisait simplement mention de « MDR » et indiquait trois adresses d’entreprise : une au siège social, à Oakville, une autre au bureau de Montréal et l’adresse d’Americas, à San Juan, Porto Rico.

 

[25]    Selon un autre groupe de factures portant des dates échelonnées de 1994 à 1997, l’appelante facturait les clients à Porto Rico et dans les Caraïbes pour des prolongations de garanties et pour des ententes d’entretien concernant des produits vendus par Americas. L’appelante assurait directement les prolongations de garantie et l’entretien. Toutefois, trois ententes de distribution conclues par Americas en 1998, en 1999 et en 2000 avec des compagnies de téléphone locales des Caraïbes indiquent qu’Americas devait assurer l’entretien et le soutien technique pour les produits vendus à ces compagnies.

 

La question de la SPCC

 

[26]    Les statuts de MDR qui ont été adoptés lorsque l’appelante a été créée au moyen de la fusion, au mois de mai 1994, renfermaient des dispositions accordant au président du conseil d’administration une voix prépondérante en cas d’égalité des voix dans une réunion du conseil d’administration ou dans une assemblée des actionnaires. Ces dispositions sont rédigées comme suit :

 

[traduction]

14.       Exercice du droit de vote. Les questions qui se posent dans le cadre d’une réunion du conseil d’administration sont tranchées à la majorité des voix. En cas d’égalité des voix, la personne présidant la réunion a, en plus de son vote initial, le droit de voter une seconde fois ou a une voix prépondérante.

 

25.       Président du conseil d’administration. Le président du conseil d’administration, le cas échéant, préside, s’il est présent, toutes les réunions du conseil d’administration, du comité d’administrateurs, le cas échéant, et des actionnaires.

 

40.       Votes. Toute question mise aux voix dans le cadre d’une assemblée d’actionnaires est tranchée en premier lieu à main levée, à moins qu’une personne ayant le droit de voter à l’assemblée ne demande la tenue d’un scrutin; en cas d’égalité des voix, que le vote ait lieu à main levée ou par scrutin, la personne présidant l’assemblée a le droit de voter une seconde fois ou a une voix prépondérante en plus du vote ou des votes auxquels elle peut par ailleurs avoir droit.

 

[27]    Les statuts ont été préparés par les avocats de l’appelante et signés par Carl Santoni et Stan Tyo en leur qualité de secrétaire et de président de l’appelante, respectivement. Les statuts ont été ratifiés par une résolution du conseil d’administration signée par Richard Malone et par Carl Santoni et par une résolution des actionnaires signée par Richard Malone, par Carl Santoni et par Agnes Santoni.

 

[28]    Carl Santoni a témoigné qu’il n’avait pas examiné les statuts avant de les signer. Il a déclaré que la disposition accordant une voix prépondérante au président résultait d’une erreur d’écriture, qu’il n’était pas au courant de l’existence de la disposition et qu’il ne voulait pas non plus que le président ait une voix prépondérante lorsqu’il avait signé les statuts et les résolutions y afférentes. Carl Santoni a déclaré que ce n’est qu’au printemps 1999, lorsqu’il a examiné les documents d’entreprise se rapportant à un changement de nom envisagé, qu’il a découvert que le président avait une voix prépondérante. À ce moment‑là, il a immédiatement communiqué avec M. Malone, qui lui a demandé de veiller à ce que la disposition soit supprimée. Étant donné la réaction qu’a eue Richard Malone en apprenant la chose, Carl Santoni était d’avis que lui non plus n’était pas au courant de l’existence de la disposition. M. Santoni a affirmé que jamais auparavant ils n’avaient discuté de la disposition relative à la voix prépondérante.

 

[29]    De l’avis de Carl Santoni, cette disposition des statuts figurait probablement déjà dans les statuts des prédécesseurs de l’appelante et l’on ne s’était jamais arrêté à la question.

 

[30]    Carl Santoni a déclaré avoir donné des instructions pour qu’on modifie les statuts de l’appelante en éliminant la voix prépondérante accordée au président du conseil d’administration et que la modification a été mise à exécution au moyen d’une résolution spéciale, le 24 juin 1999. Il a affirmé que la modification n’était aucunement liée à la vérification, alors menée par l’ARC, au sujet de l’appelante. M. Santoni a également affirmé ne pas savoir que la disposition relative à la voix prépondérante pouvait donner lieu à une question fiscale.

 

[31]    Richard Malone n’a pas été cité comme témoin.

 

 

Position des parties

 

Prétentions de l’appelante

 

[32]    L’avocat de l’appelante s’est reporté à la remarque que la Cour suprême du Canada a faite dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada[3], à savoir qu’« en l’absence d’une disposition expresse contraire de la Loi ou d’une conclusion selon laquelle l’opération en cause est un trompe-l’œil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale », et il a dit [traduction] « que la convention écrite que l’appelante avait conclue avec Americas s’appliquait en vue de désigner Americas à titre de mandataire de l’appelante ». Selon la convention, Americas devait agir pour le compte de l’appelante dans l’exécution des tâches : ouvrir des comptes bancaires, louer des locaux à bureaux, embaucher des employés, obtenir des permis du gouvernement, acheter de l’équipement et conclure des contrats avec des tiers. La convention stipulait également que tous les contrats d’Americas étaient des contrats de l’appelante et qu’Americas céderait le cas échéant à l’appelante les droits prévus dans ces contrats.

 

[33]    La relation qui a été créée entre l’appelante et Americas était conforme à ce qu’a décrit G.H.L. Fridman dans l’ouvrage intitulé « The Law of Agency » :

 

[traduction]

Le mandat est la relation qui existe entre deux personnes, l’une étant appelée le mandataire et étant considérée en droit comme représentant l’autre, le mandant, de façon à pouvoir modifier la position juridique de ce dernier envers des tiers à la relation en concluant des contrats ou en disposant de biens[4].

 

[34]    L’avocat de l’appelante a fait valoir que la société mère peut déduire les pertes d’une filiale dans les cas où la filiale agit à titre de mandataire de cette dernière[5].

 

[35]    L’avocat de l’appelante a cité le préambule de la convention de mandataire comme preuve du fait que l’appelante et Americas voulaient toutes deux qu’Americas exploite l’entreprise de l’appelante à Porto Rico à titre de mandataire plutôt que de filiale. Cette intention est corroborée par le fait que l’appelante a toujours déclaré comme siennes les recettes et dépenses d’Americas, et ce, à compter du moment où Americas a été constituée en société.

 

[36]    L’avocat a soutenu que la relation de mandataire n’a jamais pris fin au cours des années ici en cause étant donné qu’aucune des conditions de résiliation stipulées dans la convention n’avait été remplie. La convention devait s’appliquer pour une période initiale de 12 mois et être automatiquement renouvelée pour des périodes de 12 mois tant que l’entreprise ne serait pas complètement établie et organisée à Porto Rico. À ce moment‑là, l’appelante devait donner à Americas un avis de résiliation de la convention. La convention prévoyait également que l’une ou l’autre partie pouvait résilier la convention sur préavis écrit.

 

[37]    La convention n’indiquait pas sur quelle base il serait déterminé que l’entreprise était considérée comme complètement établie et organisée, mais l’avocat a déclaré que, vu qu’Americas avait généré des pertes jusqu’en 1998, et puisqu’elle avait encore besoin d’obtenir des fonds de roulement de l’appelante, on ne pouvait pas dire que l’entreprise, à Porto Rico, était complètement établie et organisée avant l’année 2000. En outre, selon Carl Santoni et Steve Massel, ni l’une ni l’autre des deux parties n’avait donné d’avis de résiliation à quelque moment que ce soit.

 

[38]    De plus, étant donné que la convention de mandataire a en fait été signée à un moment donné en 1996, il ne serait pas logique de conclure que l’expression [traduction] « complètement établie et organisée » se rapportait uniquement aux mesures initiales de location des locaux et d’embauchage des employés, étant donné que ces mesures avaient déjà été prises avant 1996. La convention aurait été dénuée de sens au moment de sa conclusion si les mots [traduction] « complètement établie et organisée » avaient été interprétés à la lettre.

 

[39]    L’avocat de l’appelante a subsidiairement fait valoir que, s’il est conclu que la convention de mandataire a pris fin avant 1999, une relation implicite mandant‑mandataire existait entre l’appelante et Americas après cette date, selon les indications données par la Section de première instance de la Cour fédérale dans la décision Denison Mines Limited v. M.N.R.[6].

 

[40]    L’avocat a également soumis des observations au sujet de la façon dont l’appelante aurait été imposée aux États‑Unis si elle y avait produit des déclarations de revenus à l’égard de l’entreprise exploitée à Porto Rico. Je n’ai pas l’intention de traiter de ces observations étant donné que, comme l’a signalé l’avocat de l’intimée, aucune preuve d’expert n’a été produite afin d’établir les dispositions fiscales américaines invoquées par l’appelante.

 

[41]    Quant à la seconde question, l’avocat de l’appelante a soutenu que l’appelante n’était pas contrôlée par un non‑résident du Canada – Richard Malone – pendant les années visées par l’appel, et qu’elle était donc admissible à titre de SPCC et avait droit à la déduction pour petite entreprise et aux crédits d’impôt à l’investissement demandés. L’avocat a déclaré que Richard Malone n’avait pas le contrôle de droit de l’appelante parce qu’il ne détenait pas plus de 50 p. 100 des actions de l’appelante, et que M. Malone n’avait pas le contrôle de fait de l’appelante parce qu’il n’avait aucune influence directe ou indirecte dont l’exercice entraînerait le contrôle de fait de l’appelante, comme l’exige le paragraphe 256(5.1) de la Loi. Les dispositions des statuts de l’appelante relatives à la voix prépondérante ne conféraient pas d’influence à Richard Malone parce que ni lui ni Carl Santoni n’étaient au courant de l’existence de ces dispositions. L’avocat a affirmé ce qui suit :

 

[traduction]

Pour avoir une influence (directe ou indirecte), Richard Malone devait savoir que le président avait une voix prépondérante et Carl Santoni devait savoir que Richard Malone savait qu’une voix prépondérante était accordée au président. En l’absence d’une connaissance mutuelle de l’octroi d’une voix prépondérante, Richard Malone ne pouvait pas avoir une influence dont l’exercice entraînerait le contrôle de fait de la société au sens du paragraphe 256(5.1) de la Loi.

 

Prétentions de l’intimée

 

[42]    L’intimée prend la position selon laquelle il n’y a jamais eu, entre l’appelante et Americas, de convention valide faisant d’Americas le mandataire de l’appelante aux fins de l’exploitation d’une entreprise à Porto Rico. L’avocat a fait valoir que la conduite de l’appelante et d’Americas ne permet pas de conclure que les parties voulaient avoir une relation de mandataire au cours de la période pertinente.

 

[43]    L’avocat de l’intimée s’est fondé sur la décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale dans l’affaire Denison Mines (précitée), où le contribuable n’avait pas eu gain de cause lorsqu’il avait tenté de déduire les pertes subies par sa filiale dans le calcul de son propre revenu en se fondant sur le fait que la filiale était son mandataire. L’avocat a cité les remarques suivantes faites par le juge Cattanach, à la page 5389 :

 

[…] il est important de se souvenir que les compagnies à responsabilité limitée qui exploitent des entreprises sont des personnes imposables distinctement et que les bénéfices de leurs entreprises respectives sont des bénéfices imposables séparément, peu importe que l’une soit la filiale de l’autre. Toute tentative pour contourner ce principe doit s’appuyer sur des faits clairs et non équivoques conduisant à la conclusion irréfutable qu’une entité juridique agit comme mandataire d’une autre et que l’entité juridique dirige réellement l’entreprise de l’autre et non la sienne.

 

[44]    L’avocat a soutenu que les faits de l’espèce sont loin d’être clairs et non équivoques et qu’ils ne permettent pas de conclure à l’existence d’une convention de mandataire entre l’appelante et Americas.

 

[45]    L’avocat de l’intimée a dit que la conduite des parties n’était pas conforme à l’intention selon laquelle Americas devait agir à titre de mandataire de l’appelante. Les états financiers et déclarations de revenus d’Americas ne révélaient pas que cette dernière agissait à titre de mandataire de l’appelante et ils ont été préparés compte tenu du fait qu’Americas exploitait l’entreprise pour son propre compte. De l’avis de l’avocat, le traitement des avances et des recettes n’était pas, non plus, conforme à l’existence d’une entente créant un mandat. Americas inscrivait les avances au titre de prêts dans ses états financiers et utilisait les recettes tirées de l’entreprise afin de payer ses propres dépenses. En outre, Americas n’a pas révélé qu’elle agissait à titre de mandataire de l’appelante dans la demande de visa de Richard Malone et dans ses statuts et elle n’a pas, non plus, révélé la chose à des tiers. Enfin, l’appelante ne rémunérait pas Americas pour qu’elle agisse à titre de mandataire.

 

[46]    L’avocat de l’intimée a soutenu que, s’il est conclu que la convention écrite créait une relation valide mandant‑mandataire entre l’appelante et Americas, cette relation existait uniquement à des fins restreintes, à savoir pour qu’Americas facilite l’établissement et l’organisation initiale de l’entreprise et non pour gérer l’entreprise. L’avocat a dit que la convention de mandataire devait prendre fin une fois que l’entreprise serait établie et organisée à Porto Rico, et que la convention a de fait pris fin à la fin de 1994 parce qu’à ce moment‑là l’entreprise de l’appelante à Porto Rico était complètement établie et organisée.

 

[47]    L’avocat de l’intimée a également fait valoir que la nomination d’Americas à titre de mandataire de l’appelante n’était pas valide parce que [traduction] « un mandataire ne peut pas accomplir pour le compte d’un mandant ce que le mandant ne pourrait pas légalement accomplir » (voir Denison Mines, précité et Alberta Gas Ethylene Co. v. The Queen[7]). L’avocat a soutenu qu’Americas avait notamment été créée afin de permettre à Richard Malone d’obtenir un visa de travail que l’appelante n’aurait pas pu obtenir elle‑même pour Richard Malone, et que l’appelante n’aurait pas pu, non plus, ouvrir un compte bancaire commercial à Porto Rico ou traiter avec les services publics portoricains directement, comme le faisait Americas. L’avocat a soutenu que, vu qu’Americas accomplissait des choses que l’appelante ne pouvait pas accomplir, Americas n’aurait pas pu être le mandataire de l’appelante lorsqu’elle traitait avec les banques et services publics portoricains.

 

Analyse

 

[48]    La jurisprudence établit que rien n’empêche une société d’agir à titre de mandataire de son actionnaire. Dans la décision Denison Mines, précitée, le juge Cattanach a fait remarquer ce qui suit, à la page 5388 :

 

[…] Cependant il est concevable qu’il puisse exister une entente entre l’actionnaire et la compagnie qui fasse de celle-ci le mandataire de l’actionnaire dans le but de diriger l’entreprise et faire ainsi de cette entreprise celle de l’actionnaire. Il importe peu que l’actionnaire soit lui-même une compagnie à responsabilité limitée.

 

Le juge Cattanach a ajouté ce qui suit :

 

[…] Le fondement du mandat est une relation contractuelle soit expresse soit implicite.

 

[49]    Dans l’affaire Denison Mines, précitée, il n’existait aucun contrat exprès établissant un mandat entre le contribuable et sa filiale, et la cour a refusé de conclure à l’existence d’un contrat implicite créant entre ceux‑ci un mandat. Par contre, en l’espèce, l’appelante et Americas ont conclu une convention écrite de mandataire.

 

[50]    La position prise par l’intimée est en fait que la convention écrite n’était pas valide parce que la conduite d’Americas n’était pas conforme aux conditions de la convention.

 

[51]    Toutefois, lorsqu’il existe une convention écrite de mandataire et qu’il n’est pas allégué que la convention constitue un trompe‑l’œil, il n’est pas nécessaire d’examiner la conduite des parties afin de confirmer l’existence de l’entente qu’elles ont conclue entre elles. Ce n’est qu’en l’absence d’une convention écrite qu’il faut examiner la conduite des parties afin de déterminer s’il est possible de conclure à l’existence d’une convention implicite de mandataire.

 

[52]    L’intimée n’a ni plaidé ni soutenu qu’il y avait un trompe‑l’œil en l’espèce et, de fait, dans la réponse à l’avis d’appel, elle a plaidé qu’en établissant de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante, le ministre a supposé ce qui suit :

 

[traduction] [Americas et l’appelante] ont conclu une convention de mandataire qui a pris effet le 20 juillet 1994 et qui autorisait MDR of the Americas à exercer les activités commerciales de MDR Telemanagement à Porto Rico[8].

 

[53]    Cela indique que le ministre a reconnu que la convention écrite conclue entre l’appelante et Americas était une convention véritable et que les parties visaient à créer une relation de mandataire. Cette relation juridique doit être respectée aux fins de l’impôt.

 

[54]    Selon la réponse à l’avis d’appel, le ministre a également supposé ce qui suit :

 

[traduction] La convention de mandataire autorise […] Americas à implanter une entreprise à Porto Rico pour le compte de [l’appelante];

 

La convention de mandataire n’autorise pas […] Americas à exploiter une entreprise pour le compte de [l’appelante].

 

[55]    À mon avis, la question à trancher en l’espèce se rapporte donc à l’effet de la convention écrite conclue entre Americas et l’appelante. Elle consiste à savoir si, en concluant la convention écrite, les parties voulaient qu’Americas agisse à titre de mandataire de l’appelante uniquement afin d’implanter l’entreprise à Porto Rico ou afin d’implanter et d’exploiter l’entreprise au cours de la période de démarrage.

 

[56]    Il s’agit d’une question concernant l’interprétation qu’il convient de donner à la convention écrite et qui est régie par l’intention des parties au moment où elles ont conclu la convention. Dans l’arrêt Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd.[9], la Cour suprême du Canada a conclu que l’intention des parties contractantes doit être déterminée en fonction des mots qu’elles ont employés en rédigeant le document, peut-être interprétés à la lumière des circonstances du moment. Il n’est pas du tout nécessaire de tenir compte d’éléments de preuve extrinsèques lorsque le document est à première vue clair et non ambigu.

 

[57]    J’ai examiné la convention de mandataire au complet et je suis d’avis qu’il n’existe aucune ambiguïté découlant de l’emploi des mots [traduction] « établir », « complètement établie et organisée » et « établissement », par les parties, à l’égard des activités commerciales de l’appelante et du rôle qu’Americas devait jouer dans ces activités. À vrai dire, ces mots ne sont pas définis dans la convention, mais le mot [traduction] « établir » veut généralement dire, notamment [traduction] « implanter sur une base permanente; installer; assurer l’acceptation permanente[10] » et « fonder, instituer, constituer, ou créer sur une base ferme ou permanente[11] ».

 

[58]    L’emploi du mot [traduction] « établir » comporte l’idée de permanence, ce qui, quant à l’entreprise à exploiter à Porto Rico, déborderait le simple fait de prendre des dispositions afin de se livrer aux activités commerciales, comme le soutient l’avocat de l’intimée. Il me semble évident que, pour être établie, l’entreprise doit être exploitée pendant un certain temps afin d’être acceptée sur le marché ou même de devenir rentable.

 

[59]    En outre, dans la convention, les parties emploient également l’expression [traduction] « établissement et organisation initiale de l’entreprise », ce qui montre leur intention de faire une distinction entre les phases organisation et établissement de l’entreprise. Lorsqu’elle est employée avec le mot [traduction] « établissement », en parlant d’une entreprise, l’expression « organisation initiale » correspondrait davantage aux mesures à prendre avant que les activités commerciales commencent, alors que l’établissement s’entendrait de la période qui s’écoule entre le début des activités commerciales et le moment où l’entreprise peut couvrir ses propres frais ou commence à générer un volume de ventes suffisant pour arriver à réaliser un profit.

 

[60]    La disposition prévoyant le renouvellement automatique de la convention tous les 12 mois, tant que l’entreprise n’a pas été [traduction] « complètement établie et organisée », tend à démontrer que les parties prévoyaient qu’Americas aurait un rôle à jouer pendant plusieurs années dans l’entreprise de l’appelante à Porto Rico. Cela n’est pas conforme à l’idée selon laquelle Americas devait uniquement être chargée de prendre des dispositions afin de permettre à l’appelante de commencer à vendre ses produits à Porto Rico et dans les Caraïbes.

 

[61]    Je conclus donc que la convention de mandataire visait à faire d’Americas le mandataire de l’appelante aux fins de l’exploitation ainsi que de l’organisation de l’entreprise de l’appelante à Porto Rico.

 

[62]    Étant donné que j’ai conclu que la convention de mandataire n’était pas ambiguë, il n’est pas nécessaire de tenir compte des éléments de preuve extrinsèques concernant l’intention des parties. Toutefois, s’il avait été nécessaire de le faire, le fait que la convention a été rédigée et signée environ 18 mois après la constitution d’Americas en société étayerait également la position de l’appelante. La preuve montre qu’à la fin de 1994, l’organisation initiale de l’entreprise était achevée et qu’Americas avait déjà commencé à exploiter l’entreprise. Il est raisonnable de s’attendre à ce que, si les parties avaient voulu que la convention s’applique uniquement à ce qu’Americas avait fait jusqu’à la fin de 1994, cela soit indiqué dans la convention. Il est également raisonnable de s’attendre à ce que l’appelante ait avisé Americas de la résiliation de la convention si elle avait cru que l’entreprise était complètement établie et organisée à Porto Rico. La preuve montrait encore une fois qu’aucune des deux parties n’avait donné d’avis de résiliation, et ce, à quelque moment que ce soit.

 

[63]    Bien sûr, il incombe de noter que les états financiers d’Americas et les déclarations de revenus portoricaines ont été préparés compte tenu du fait qu’Americas exploitait une entreprise pour son propre compte. Sans aucun doute, si Americas n’avait pas préparé ses états financiers et produit ses déclarations de revenus de cette façon, la Cour ne serait pas maintenant saisie de la question. Toutefois, rien ne donne à entendre qu’Americas a obtenu un avantage en faisant ces déclarations dans ses états financiers ou dans ses déclarations de revenus, et puisque les personnes qui se sont occupées de préparer les états financiers ou les déclarations de revenus n’ont pas été appelées à témoigner, il est difficile d’arriver à une conclusion quant à la raison pour laquelle les états et les déclarations ont été préparés de cette façon.

 

[64]    Quoi qu’il en soit, l’effet juridique du contrat conclu entre l’appelante et Americas était de faire d’Americas le mandataire de l’appelante aux fins de l’exploitation d’une entreprise à Porto Rico, et les déclarations contraires faites par Americas à des tiers, tels que le fisc portoricain, n’auraient pas pour effet d’annuler la convention.

 

[65]    L’argument subsidiaire de l’intimée, à savoir qu’Americas n’aurait pas pu être le mandataire de l’appelante parce que l’appelante n’aurait pas elle‑même pu faire certaines choses qu’Americas a faites, ne peut pas non plus être retenu.

 

[66]    Les décisions Denison Mines et Alberta Gas peuvent toutes deux être distinguées de l’affaire dont je suis ici saisi, compte tenu des faits qui y étaient en cause. En effet, dans ces deux affaires, l’activité principale du présumé mandataire était une activité qu’il était interdit aux contribuables d’exercer eux‑mêmes[12]. Les tribunaux ont conclu que les filiales ne pouvaient pas agir à titre de mandataires parce que les contribuables ne pouvaient pas autoriser un mandataire à faire ce qu’ils n’avaient pas le pouvoir de faire eux‑mêmes. Toutefois, rien ne montre, en l’espèce, qu’il était interdit à l’appelante de s’occuper de la vente de ses produits à Porto Rico et dans les Caraïbes. Il n’y aurait donc pas eu de restriction ou d’empêchement interdisant à l’appelante d’embaucher un mandataire afin d’exploiter l’entreprise pour son compte.

 

[67]    Il s’agit en second lieu de déterminer si, pendant l’année en question, l’appelante était une SPCC. Selon le paragraphe 125(7) de la Loi, une société qui est contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par une ou plusieurs personnes non résidentes n’est pas admissible à titre de SPCC. Le paragraphe 256(5.1) de la Loi prévoit notamment ce qui suit :

 

256(5.1) Pour l’application de la présente loi, lorsque l’expression "contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit," est utilisée, une société est considérée comme ainsi contrôlée par une autre société, une personne ou un groupe de personnes – appelé "entité dominante" au présent paragraphe – à un moment donné si, à ce moment, l’entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l’exercice entraînerait le contrôle de fait de la société. […]

 

Par conséquent, il faut déterminer si Richard Malone, aux termes des statuts de l’appelante lui accordant une voix prépondérante aux assemblées d’actionnaires et aux réunions du conseil d’administration, avait une influence dont l’exercice aurait entraîné le contrôle de l’appelante.

 

[68]    L’appelante admet que, si MM. Malone et Santoni avaient été au courant de la disposition relative à la voix prépondérante, figurant dans les statuts, M. Malone aurait exercé un contrôle de fait sur la société. Toutefois, l’appelante fait valoir que M. Malone n’aurait pas pu avoir [traduction] d’« influence » au sens du paragraphe 256(5.1), par suite de cette disposition, puisqu’il n’était pas au courant de son existence. L’appelante affirme que la connaissance du fait qui confère une influence à une personne est une condition nécessaire aux fins de l’exercice de cette influence. À défaut de connaissance, la présumée entité dominante ne sera jamais en mesure d’avoir une influence sur les affaires de la société.

 

[69]    La question de l’existence d’une telle influence donnerait lieu à une conclusion de fait, et les facteurs à prendre en considération en appréciant s’il existe une influence peuvent varier d’un cas à l’autre. Dans la décision Société foncière d’investissement Inc. c. Canada[13], le juge Bowman (tel était alors son titre) a exprimé l’avis que l’ajout des mots « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » à la Loi visait à élargir la notion de contrôle et que l’idée de l’exercice d’une influence dominante comprend le contrôle économique, contractuel ou moral sur les affaires d’une société. Le juge a ajouté ce qui suit : « Il est difficile de s’imaginer des mots ayant un sens plus large ».

 

[70]    De toute évidence, il peut y avoir des éléments objectifs et subjectifs sous‑tendant l’existence d’une influence dominante sur une société. Dans le cas du contrôle contractuel, la source du contrôle serait objective, alors que le contrôle moral serait probablement en bonne partie fondé sur des facteurs subjectifs. En l’espèce, le fait que Richard Malone exerçait une influence a été objectivement établi au moyen de la production des statuts de la société. L’effet juridique de la disposition relative à la voix prépondérante figurant dans les statuts ne serait pas annulé du simple fait que M. Malone n’était censément pas au courant de l’existence de la disposition en question. M. Malone détenait un pouvoir de contrôle sur l’appelante, et ce, peu importe s’il était au courant de la chose. Cela est également compatible avec le fait que le paragraphe 256(5.1) met l’accent sur la possibilité d’exercer une influence et non sur l’exercice même du pouvoir. À mon avis, le pouvoir associé à la voix prépondérante est donc un pouvoir « dont l’exercice » entraînerait un contrôle de fait de la société, tel que prévu au paragraphe 256(5.1).

 

[71]    Je n’ai pas à me prononcer sur ce point, mais il me semble également que Richard Malone avait le contrôle de droit de l’appelante pendant l’année visée par l’appel.

 

[72]    Le critère du contrôle de droit d’une société a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada :

 

[…] le critère général du contrôle de jure reste le contrôle conféré par la majorité des voix dans la société, que traduit la capacité d’élire les administrateurs de cette dernière. Quoique notre Cour ait parfois été disposée à examiner d’autres facteurs que le registre des actionnaires de la société, son examen a porté seulement sur les actes constitutifs et non sur des conventions externes[14].

 

La Cour suprême a également dit ce qui suit :

 

[…] De façon générale, l’expression de jure renvoie aux sources juridiques qui déterminent le contrôle; à savoir la loi qui régit la société et les actes constitutifs de cette dernière, y compris ses statuts et ses règlements administratifs[15].

 

[73]    En l’espèce, Richard Malone s’est vu attribuer le pouvoir d’élire la majorité des administrateurs en vertu des dispositions figurant dans la convention de fusion et dans les statuts de l’appelante, qui sont des actes constitutifs dans les deux cas[16]. Aux termes du premier document, M. Malone a été nommé président du conseil d’administration, et aux termes du second document, le président s’est vu accorder la voix prépondérante aux assemblées d’actionnaires et aux réunions du conseil d’administration. Compte tenu des dispositions relatives à la voix prépondérante ainsi que du fait que M. Malone détenait 50 p. 100 des actions de l’appelante, M. Malone détenait le pouvoir de contrôler l’élection des administrateurs.

 

Conclusion

 

[74]    Pour tous ces motifs, l’appel est admis, avec dépens, pour le motif que l’appelante avait le droit de tenir compte des pertes et du revenu d’Americas dans le calcul de son revenu pour les années visées par l’appel. L’appelante n’était toutefois pas une SPCC au cours des années en question.

 


       Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de novembre 2006.

 

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de mars 2008.

 

Maurice Audet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI505

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2003-2956(IT)G

 

INTITULÉ :                                       AVOTUS CORPORATION

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 17 et 18 octobre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 21 novembre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Roger Taylor

Me Al-Nawaz Nanji

Avocats de l’intimée :

Me Richard Gobeil

Me April Tate

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Roger Taylor

                                                          Al-Nawaz Nanji

 

                   Cabinet :                         Couzin Taylor

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] L.R.C. (1985) ch. 1 (5e suppl.).

[2] L’avocat de l’intimée a soutenu qu’il n’existait aucun élément de preuve établissant à quel moment la convention avait été signée, mais l’appelante a plaidé, au paragraphe 9 de l’avis d’appel, que la convention avait été signée au début de 1996. Dans la réponse à l’avis d’appel, l’intimée n’a pas nié ce fait et n’a pas, non plus, déclaré ne pas avoir connaissance de ce fait; par conséquent, en vertu du paragraphe 49(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), le fait est réputé admis. La disposition en question est rédigée comme suit :

 

49(2) Les faits allégués que l’intimée ne nie pas dans sa réponse à l’avis d’appel sont réputés admis, sauf le cas où elle affirme ne pas en avoir connaissance.

[3] [1999] A.C.S. no 30 (QL), paragraphe 39.

[4] 7e éd. (Toronto: Butterworths, 1996), page 11. (Cité par le juge Rip (tel était alors son titre) dans General Motors Acceptance Corporation du Canada c. La Reine, [2000] A.C.I. no 59 (QL), paragraghe 63).

[5] Livingston Wood Manufacturing Ltd. v. M.N.R., 63 DTC 535; L. Berman & Co. Ltd. v. M.N.R., 61 DTC 1150 (C. de l’É.).

 

[6] 71 DTC 5375.

 

[7] 90 DTC 6419.

[8] Alinéa 19u) de la réponse à l’avis d’appel.

[9] [1998] 2 R.C.S. 129, page 166.

[10] The Oxford Illustrated Dictionary, 1975.

[11] The Random House Dictionary of the English Language, édition non abrégée.

[12] Dans Denison Mines, le présumé mandataire avait été constitué en société en vue de fournir des logements aux employés travaillant à la mine de Denison, soit une chose que les statuts de Denison interdisaient à Denison de faire elle‑même. Dans Alberta Gas, le présumé mandataire avait été constitué en société afin d’emprunter de l’argent aux États‑Unis, ce qu’il était interdit de faire à la société mère.

[13] [1995] A.C.I. no 1568 (QL), paragraphe 8.

[14] [1998] A.C.S. no 41 (QL), paragraphe 50.

[15] Précité, paragraphe 58.

[16] La convention de fusion (pièce A‑1, onglet 27, pages 11 à 20) figure à l’annexe B des statuts de fusion de l’appelante qui ont été déposés conformément au paragraphe 178(1) de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. B‑16, dans sa forme modifiée.

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