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Dossier : 2004-3662(IT)I

ENTRE :

JATINDER KHAIRA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appels entendus le 19 juillet 2005 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge G. Sheridan

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Scott I. Simser

Avocate de l'intimée :

Me Jenny Mboutsiadis

JUGEMENT

Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2000 et 2001 sont accueillis, avec dépens, et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant et son épouse vivaient séparément selon un accord écrit conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d'août 2005.

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de janvier 2006.

Sara Tasset


Référence : 2005CCI487

Date : 20050805

Dossier : 2004-3662(IT)I

ENTRE :

JATINDER KHAIRA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Sheridan

[1]      L'appelant, Jatinder Khaira, a porté en appel l'avis de nouvelle cotisation du ministre du Revenu national (le « ministre » ) pour les années d'imposition 2000 et 2001, pour lesquelles le ministre avait refusé la déduction de pensions alimentaires pour conjoint et pour enfants. En prenant cette décision, le ministre a tenu pour acquis que les paiements versés à Raminder Khaira, l'épouse de l'appelant, n'étaient pas payés par M. Khaira en application d'un accord écrit, et que M. et Mme Khaira ne vivaient pas séparément en 2000 et en 2001. Par conséquent, ces paiements n'étaient pas des « pensions alimentaires » au sens de l'alinéa 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu et n'étaient pas déductibles.

[2]      M. et Mme Khaira ont tous deux témoigné. Aucun témoin n'a été appelé à témoigner pour la Couronne. La question de savoir si l'accord entre M. et Mme Khaira est valide est une question mixte de droit et de fait, tandis que la question de savoir s'ils vivaient séparément est une question de fait.

[3]      Selon leurs témoignages, avant qu'il épouse Mme Khaira en août 1990, M. Khaira vivait avec ses parents dans leur résidence à Scarborough. Même si elle était enregistrée au nom de ses parents, M. Khaira avait contribué à l'achat de la propriété. Immédiatement après le mariage, Mme Khaira est allée vivre avec son époux dans la demeure parentale. Deux enfants sont nés de cette union : un en octobre 1991, et un autre le 28 décembre 1993. Vers cette époque, le couple s'est séparé. La séparation a été déclenchée parce que M. Khaira persistait dans son refus de rendre son épouse copropriétaire de la résidence, chose qu'elle désirait afin d'assurer une certaine sécurité pour ses enfants et elle-même. La réticence de M. Khaira provenait de souvenirs de pertes subies à la suite de deux mariages brisés. Tirant une leçon de ces expériences malheureuses, M. Khaira a rédigé un document intitulé [TRADUCTION] « Accord de séparation » qui a été signé par les parties et attesté par la mère de Mme Khaira le 30 décembre 1993. M. Khaira a quitté le rez-de-chaussée de la résidence pour aller vivre dans un logement inoccupé comptant une seule chambre à coucher aménagé au sous-sol, logement où il a résidé pendant près de dix ans avant la réconciliation des époux en 2003. Vers cette époque, Mme Khaira avait finalement réussi à faire ajouter son nom au titre de propriété de la résidence où elle vivait depuis son mariage. Au moyen d'un acte de transfert[1] daté du 28 avril 2003, les parents de son époux ont transféré au couple une part de propriété de 75 pour 100 devant être détenue en copropriété par M. et Mme Khaira.

1. L'accord de séparation est-il un « accord écrit » ?

[4]      L'avocat de l'intimée a soutenu que l'accord de séparation n'était pas un accord écrit au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). M. Khaira a témoigné que, même s'il n'a aucune formation juridique, ce genre de texte ne lui était pas inconnu à cause de ses mariages précédents. Le document n'est pas exempt de faiblesses; par exemple, il ne précise pas quel jour les paiements mensuels de pension alimentaire pour la conjointe devaient être versés (quoique des dispositions avaient été prises pour que la pension alimentaire pour enfants soit payée le 10e jour de chaque mois). Cependant, je n'accepte pas l'observation de l'intimée selon laquelle cette omission porte un coup fatal à la légitimité du document en tant qu'accord écrit. Comme Mme Khaira l'a expliqué, tant qu'elle savait qu'elle allait être payée, elle ne s'inquiétait pas de la journée du paiement. Lors de l'audience, personne n'a insinué que M. Khaira n'avait pas payé la pension alimentaire pour conjoint et pour enfants. Il a déduit les paiements de son revenu et, sauf pour un montant de 1 000 $ qui semble avoir été omis par inadvertance, Mme Khaira les a déclarés dans son revenu pour 2000 et 2001.

[5]      La Loi ne spécifie pas qu'un accord écrit doit prendre une forme particulière ou qu'un tel accord n'est valide que si les parties ont reçu des conseils juridiques indépendants. L'accord de séparation de M. et Mme Khaira est un accord écrit et il expose les éléments essentiels de l'accord entre les parties : la date de la séparation, les noms et dates de naissance des enfants nés de l'union, les montants payables chaque mois à titre de pension alimentaire pour conjoint et pour enfants, les arrangements quant à la garde des enfants et certaines conditions de résiliation. Il n'y a aucun élément de preuve pour contester les témoignages de M. et Mme Khaira à savoir qu'ils ont signé l'accord le 30 décembre 1993, et ces témoignages n'ont pas été ébranlés durant le contre-interrogatoire non plus. Pour tous ces motifs, je suis convaincue que l'accord de séparation est un « accord écrit » au sens de la Loi.

2. M. et Mme Khaira vivaient-ils séparément?

[6]      Les deux avocats ont cité le jugement Kelner v. R.[2] dans lequel le juge Bowman de la Cour canadienne de l'impôt, tel était alors son titre, s'est inspiré des critères énoncés dans la décision Cooper v. Cooper (1972), 10 R.F.L. 184 (H.C. Ontario) :

[TRADUCTION]
[...] en général, il a été conclu que les parties vivaient séparément dans les circonstances suivantes :

(i)

Les conjoints occupent des chambres à coucher distinctes.

(ii)

Les conjoints n'ont pas de relations sexuelles.

(iii)

Il y a peu de communication entre les conjoints, pour ne pas dire aucune.

(iv)

La femme n'effectue pas de travaux ménagers pour le mari.

(v)

Les conjoints prennent leurs repas séparément.

(vi)

Les conjoints n'ont pas d'activités sociales communes.

[7]      Je suis convaincue, principalement en raison de la force du témoignage discret et crédible de Mme Khaira, que les éléments de preuve justifient la conclusion selon laquelle M. et Mme Khaira vivaient séparément en 2000 et 2001 selon les critères énoncés dans la décision Cooper. Mme Khaira vivait au rez-de-chaussée avec ses enfants, et partageait cet espace avec les parents de M. Khaira pendant la moitié de chaque année lorsque ceux-ci revenaient de l'Inde. M. Khaira vivait dans un appartement séparé situé au sous-sol de l'ancien foyer conjugal. Il avait son propre lit dans la chambre à coucher de l'appartement. Les témoignages de l'appelant et de sa femme n'ont pas été contredits en ce qui concerne l'absence de relations sexuelles pendant leur séparation. Une des rares occasions où ils communiquaient ensemble était lorsque M. Khaira s'entendait avec sa femme pour passer du temps avec les enfants après sa journée de travail, surtout lorsque les enfants étaient plus jeunes. J'accueille le témoignage de Mme Khaira selon lequel elle n'effectuait pas de travaux ménagers pour son mari; par exemple, vu que la buanderie était située entre le rez-de-chaussée et le sous-sol, elle était facilement accessible à partir des deux endroits. Je n'ai aucune raison de conclure que M. Khaira faisait son propre lavage, mais je suis convaincue que cette tâche ne faisait pas partie des responsabilités de Mme Khaira. Elle ne savait pas si M. Khaira cuisinait ses repas dans son appartement, mais elle ne pas cuisinait pas pour lui et elle a aussi témoigné qu'un four à micro-ondes était à la disposition de son mari au sous-sol. Elle mangeait en compagnie de ses enfants, soit au rez-de-chaussée (avec ou sans les grands-parents) soit, lorsqu'elle voulait leur faire plaisir, à un restaurant à prix populaire. Les Khaira ont un cercle d'amis plutôt restreint et peu de parents au Canada, à l'exception des parents de M. Khaira. J'ai été surprise de voir à quel point Mme Khaira semblait ignorer la façon dont M. Khaira passait son temps lorsqu'il n'était pas en la présence de sa femme. M. et Mme Khaira avaient des vies sociales distinctes. En effet, Mme Khaira ignorait la manière dont M. Khaira occupait son temps tandis qu'elle passait la plus grande partie de son temps libre à s'occuper de ses enfants et de leurs activités.

[8]      Les Khaira avaient des comptes bancaires distincts, à l'exception d'un petit compte de placement commun. Mme Khaira déposait dans son propre compte de chèques les paiements de pension alimentaire de M. Khaira. Mme Khaira confiait ses déclarations de revenus à son conseiller fiscal, tandis que M. Khaira préparait sa propre déclaration. Le revenu moyen de M. Khaira pour les deux années en litige était d'approximativement 95 000 $. L'avocate de l'intimée a accordé beaucoup d'importance à ce fait en essayant de faire valoir que s'il avait réellement voulu vivre séparément, M. Khaira avait facilement les moyens de louer un appartement dans un autre secteur de Scarborough. J'estime que cet argument n'est pas convaincant. L'appelant pouvait arriver au même résultat sans avoir à payer un loyer et sans se faire déranger par sa femme tout en ayant ses parents et ses enfants près de lui, le tout dans une partie distincte d'une maison à l'égard de laquelle il avait un intérêt financier.

[9]      Les mariages ne se présentent pas tous de la même façon et la plupart ont peu de choses en commun avec ceux des contes de fées. Les séparations ne sont pas moins variées, et leur structure dépend dela situation particulière de chaque couple. La jurisprudence établit clairement que chaque affaire doit être jugée selon les faits qu'elle met en cause. Il est aussi clair que lorsque l'appelant a présenté une preuve prima facie qui démolit[3] les hypothèses du ministre, le fardeau de la preuve passe alors au ministre[4]. En l'espèce, l'appelant a présenté des éléments de preuve plus que suffisants pour contester les hypothèses du ministre; aucun témoin n'a été appelé par la Couronne pour réfuter la version des faits des Khaira. Compte tenu des preuves que j'ai devant moi, je suis convaincue que, selon la prépondérance des probabilités, M. et Mme Khaira vivaient séparément au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[10]     Pour les raisons mentionnées précédemment, les appels sont accueillis, avec dépens, et l'affaire est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant et son épouse vivaient séparément en vertu d'un accord écrit.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d'août 2005.

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de janvier 2006.

Sara Tasset


RÉFÉRENCE :

2005CCI487

N º DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-3662(IT)I

INTITULÉ :

JATINDER KHAIRA c. SMR

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 19 juillet 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge G. Sheridan

DATE DU JUGEMENT :

Le 5 août 2005

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Scott I. Simser

Avocate de l'intimée :

Me Jenny Mboutsiadis

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Scott I. Simser

Cabinet :

Scott I. Simser

Toronto (Ontario)

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Déposé sour la cote A-4

[2] [1996] 1 C.T.C. 2687 (C.C.I.)

[3] Bayridge Estates v. M.N.R., 59 D.T.C. 1098 (C. de l'É.); Johnston c. M.R.N. [1948] R.C.S. 496; Kennedy v. M.N.R., 73 DTC 5359 (C.A.F.), à la p. 5361)

[4] First Fund Genesis v. The Queen, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.); Kamin v. M.N.R., 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); MacIsaac v. M.N.R., 74 D.T.C. 6380 (C.A.F.); Zink v. M.N.R., 87 D.T.C. 652 (C.C.I.); Magilb Development Corp. Ltd. v. The Queen, 87 D.T.C. 5012 (C.F. 1re inst.); Waxstein v. M.N.R., 80 D.T.C. 1348 (C.R.I.)

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