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Dossier : 2003-2825(IT)I

ENTRE :

GÉRARD BELLAVANCE

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appels entendus le 25 novembre 2003 à Rivière-du-Loup (Québec)

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Représentant de l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Julie David

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JUGEMENT

Les appels des déterminations faites en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 2000 et 2001 sont accueillis et les déterminations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Edmundston, Nouveau Brunswick, ce 5e jour de janvier 2004.

« François Angers »

Juge Angers


Référence : 2004CCI5

Date : 20040105

Dossier : 2003-2825(IT)I

ENTRE :

GÉRARD BELLAVANCE

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge François Angers

[1]      Il s'agit d'appels de déterminations faites par le ministre du Revenu national (ministre). Le ministre a déterminé que l'appelant avait reçu au titre du crédit pour la taxe sur les produits et services (CTPS) un paiement en trop de 262,30 $ pour l'année d'imposition 2000 et de 162,50 $ pour l'année d'imposition 2001, puisqu'il a cessé d'être conjoint à partir du mois de décembre 2002. Le ministre a donc calculé les versements pour refléter cette situation.

[2]      Il s'agit donc de déterminer si, pendant la période du 31 décembre 2000 au 30 novembre 2002, l'appelant et madame Lucille Gendron étaient effectivement des conjoints au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3]      L'appelant s'est vu accorder pour les années de base 2000 et 2001 des montants au titre du CTPS. Une vérification du dossier a toutefois abouti, le 24 janvier 2003, à un nouvel avis de détermination pour les deux années de base. Ce rajustement a fait en sorte que l'appelant devait rembourser les crédits accordés pour les deux années en cause. Un nouvel avis de détermination en date du 25 juillet 2003 lui accordait les paiements de CTPS de janvier et avril 2003 attribuables à l'année de base 2001, réduisant ainsi le remboursement qu'il avait à faire pour 2001.

[4]      C'est l'état civil de l'appelant qui est à l'origine du litige, puisque le CTPS est calculé, pour un mois déterminé de l'année, sur la somme de son revenu pour l'année et du revenu de son proche admissible pour l'année. Un proche admissible, par rapport à un mois déterminé d'une année d'imposition, est la personne qui, au début de ce mois, est l'époux ou le conjoint de fait visé du particulier (voir définitions à l'article 122.5 de la Loi).

[5]      Selon l'information contenue dans le système informatique de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC), l'appelant et madame Gendron habitaient à la même adresse, à Matane (Québec), depuis février 1995. L'appelant a par la suite déménagé à son adresse actuelle en décembre 1996 et madame Gendron serait allée le rejoindre en mai 1999. Toujours selon le système informatique, ils se seraient déclarés conjoints de fait au 31 décembre 1998 et puis célibataires au 31 décembre 1999.

[6]      Un questionnaire a été envoyé à l'appelant le 21 octobre 2002 et le 6 décembre 2002. Ces envois s'accompagnaient d'une demande à l'appelant de fournir des preuves documentaires pouvant confirmer qu'il vivait maintenant séparé de madame Gendron. L'appelant n'a pas fourni de telle preuve et s'est contenté de communiquer avec l'ADRC par téléphone. Il a toutefois fait parvenir aux autorités fiscales, le 8 novembre 2002, un affidavit dans lequel il déclarait sous serment qu'il ne vivait plus maritalement avec son ancienne conjointe, madame Gendron, depuis décembre 1999 et qu'il n'avait plus aucun lien avec elle.

[7]      Au cours d'une conversation subséquente, soit en mai 2003, l'ADRC a tenté d'obtenir de l'appelant des preuves que madame Gendron et lui vivaient séparés. L'appelant a alors expliqué que madame Gendron s'occupait de la maison lorsqu'il était au travail mais elle y louait une chambre et lui versait 100 $ par mois à titre de loyer et pour l'électricité.

[8]      L'appelant a témoigné avoir demeuré avec madame Gendron en union de fait de février à décembre 1999. À ce moment, madame Gendron serait tombée malade et ils auraient mis fin à leur union de fait. L'appelant a confirmé qu'il louait une chambre à madame Gendron depuis janvier 2000 à raison de 100 $ par mois pour environ six mois par année. L'appelant a expliqué que, lorsqu'il s'absentait, madame Gendron se rendait chez sa fille, car elle ne pouvait être seule. Il a avoué ne pas avoir déclaré le revenu de loyer, mais a précisé que c'était parce que les dépenses excédaient ce revenu.

[9]      Les déclarations de revenus de l'appelant et de madame Gendron ont été préparées par le même bureau, soit Servitaxe Rimouski enr. La déclaration de l'appelant pour l'année d'imposition 2000 a été signée le 11 avril 2001 et celle de madame Gendron, le 28 mars 2001. La déclaration de l'appelant pour l'année d'imposition 2001 a été signée le 4 avril 2002, alors que madame Gendron a signé la sienne le 5 avril 2002. Le ministre alléguait que le même professionnel avait préparé les déclarations de revenus et qu'elles avaient été postées à la même date. Le ministre, à mon avis, n'a pas fait la preuve de cette allégation. Quoiqu'il s'agisse du même bureau dans chaque cas, le professionnel n'est pas nommé et la date de mise à la poste n'a pas été établie. Chose certaine, l'appelant et madame Gendron n'ont pas signé leur déclaration de revenu la même journée.

[10]     En contre interrogatoire, l'appelant a témoigné qu'il est propriétaire de la maison où il habite avec madame Gendron. Depuis janvier 2000, elle occupe une chambre qu'il lui loue. Aux questions posées, il a répondu qu'il n'avait pas eu de relations sexuelles avec elle depuis janvier 2000. Leur relation a « coupé carré » , selon son expression, après décembre 1999. Ils communiquent l'un avec l'autre mais ne prennent aucun repas ensemble et il ne lui procure aucune aide pour sa maladie. Il fait ses courses, prépare ses propres repas, fait son ménage et s'occupe du nettoyage de ses propres vêtements. Madame Gendron, de son côté, fait la même chose et possède sa propre voiture pour se déplacer. Elle fait le ménage dans sa chambre quand elle est là et les deux ne font aucune activité ensemble.

[11]     Il a expliqué, que depuis décembre 1999, il n'avait presque plus de contact avec les membres de la famille de madame Gendron. Il a expliqué aussi qu'en 1999 il y avait partagé égal des dépenses pour le téléphone, l'électricité et la nourriture, mais a dit que tout cela a cessé après la séparation. Questionné sur ce qu'il pensait être l'idée que se faisait la communauté de leur union, il a déclaré que jusqu'en décembre 1999 les gens proches d'eux savaient qu'ils étaient des conjoints de fait. En 2002, il a acheté une laveuse et une sécheuse et les a payées sans l'aide de madame Gendron. Selon leurs déclarations de revenu, madame Gendron avait un revenu plus élevé que l'appelant.

[12]     En ce qui concerne les années en litige, pour l'année 2000 le terme « conjoint » était défini au paragraphe 252(4) de la Loi et pour l'année 2001 le terme « conjoint de fait » était défini au paragraphe 248(1) de la Loi, comme suit :

252(4) Dans la présente loi :

a) les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne de sexe opposé qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois se terminant avant ce moment ou qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu de l'alinéa (1)e) et du sous-alinéa (2)a)(iii); pour l'application du présent alinéa, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble en union conjugale sont réputées vivre ainsi à un moment donné après ce moment, sauf si elles ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur union, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend le moment donné;

248(1) « conjoint de fait » Quant à un contribuable à un moment donné, personne qui, à ce moment, vit dans une relation conjugale avec le contribuable et qui, selon le cas :

a) a vécu ainsi tout au long d'une période d'un an se terminant avant ce moment;

b) est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu des alinéas 252(1)c) et e) ni du sous-alinéa 252(2)a)(iii).

Pour l'application de la présente définition, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble dans une relation conjugale sont réputées, à un moment donné après ce moment, vivre ainsi sauf si elles ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur relation, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend le moment donné.

[13]     Que veut donc dire cette notion d'union conjugale ou de relation conjugale, selon la définition qu'on choisit? La juge Lamarre Proulx dans l'affaire Milot c. Canada, [1995] A.C.I. no 412 (Q.L.) a énoncé les facteurs retenus par la Cour de district de l'Ontario dans l'affaire Molodowich v. Penttinen (1980), 17 R.F.L. (2d) 376, pour tenter d'établir ce que constitue des relations conjugales. Le partage du logement, le comportement sexuel et personnel, les services (tels la préparation des repas, l'entretien du foyer), les activités sociales, l'attitude de la société envers le couple, le soutien financier et le comportement de chacun vis-à-vis des enfants sont des éléments à considérer à des degrés divers.

[14]     La Cour suprême du Canada dans l'arrêt M c. H. [1999] 2 R.C.S. 3, a donné son aval aux facteurs énoncés dans l'affaire Molodowich, se prononçant comme suit (au paragraphe 59) :

Molodowich c. Penttinen (1980), 17 R.F.L. (2d) 376 (C. dist. Ont.), énonce les caractéristiques généralement acceptées de l'union conjugale, soit le partage d'un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l'image sociétale du couple.    Toutefois, il a été reconnu que ces éléments peuvent être présents à des degrés divers et que tous ne sont pas nécessaires pour que l'union soit tenue pour conjugale.    S'il est vrai que l'image sociétale des couples de même sexe ne fait pas nécessairement l'objet d'un consensus, l'on s'entend pour dire qu'ils ont en commun bon nombre des autres caractéristiques "conjugales".    Pour être visés par la définition, ni les couples de sexe différent ni les couples de même sexe n'ont besoin de se conformer parfaitement au modèle matrimonial traditionnel afin de prouver que leur union est "conjugale".

Un couple de sexe différent peut certainement, après de nombreuses années de vie commune, être considéré comme formant une union conjugale, même sans enfants ni relations sexuelles.    Évidemment, le poids à accorder aux divers éléments ou facteurs qui doivent être pris en considération pour déterminer si un couple de sexe différent forme une union conjugale variera grandement, presque à l'infini [. . .] Les tribunaux ont eu la sagesse d'adopter une méthode souple pour déterminer si une union est conjugale.    Il doit en être ainsi parce que les rapports dans les couples varient beaucoup. [. . .]

[15]     Le juge Hall, dans la décision Montgomery v. Jansen, [1982] N.S.J. No. 18 (Cour de comté de la Nouvelle-Écosse) (Q.L.) souligne que l'union conjugale est un concept qui évoque une vie commune, laquelle suppose que les conjoints s'impliquent ensemble et de façon durable dans la relation (au paragraphe 13) :

From the foregoing it will be seen that to "live together as husband and wife" connotes an element of permanence and commitment to each other by the parties to the relationship to a substantial degree. Certainly it should not be thought that every arrangement where a man and woman share the same living accommodations and engage in sexual activity to some extent should be regarded as living together as husband and wife.

[16]     Le juge Bowman (maintenant juge en chef adjoint), dans l'affaire Kelner c. Canada [1995] A.C.I. no 1130 (Q.L.), a conclu qu'il était possible que des époux vivent séparés tout en demeurant sous le même toit. Il a ajouté que cette proposition est inattaquable sur le plan du droit, mais, dans les faits, il est toujours nécessaire de produire une preuve convaincante.

[17]     L'appelant a témoigné d'une façon franche. Il ne s'attendait pas, à mon avis, aux questions qui lui ont été posées en contre-interrogatoire sur son mode de vie et ses relations avec madame Gendron. Il a répondu aux questions de façon spontanée et ses réponses m'ont convaincu qu'en décembre 1999, en raison de la maladie de madame Gendron, il a mis fin à leur relation. À mon avis, toutes ses réponses démontrent que, même s'ils habitaient à la même adresse et qu'ils avaient recours aux services du même bureau pour la préparation de leurs déclarations de revenus, il n'y avait pas entre eux le genre d'affinités que l'on trouve normalement dans une union conjugale, selon les facteurs à considérer pour déterminer s'il existe une telle union.

[18]     Il est vrai que le ministre n'avait, pour défendre sa position, que le fait que l'appelant et madame Gendron vivaient à la même adresse et le fait que le même bureau préparait leurs déclarations de revenus. L'appelant a préféré établir sa preuve devant la Cour et a réussi à me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a effectivement cessé d'être le conjoint de fait de madame Lucille Gendron à la fin de décembre 1999. C'est à partir de cette date qu'il a rompu tous les liens avec cette dernière d'après tous les facteurs établis par la jurisprudence, à ceci près qu'ils occupaient la même maison. Le fait d'avoir signé leurs déclarations de revenus à des jours différents est une indication pouvant confirmer le témoignage de l'appelant, tout comme la lettre de madame Gendron à propos de son loyer. Même si l'appelant et madame Gendron ont indiqué dans leur déclaration de revenus qu'ils étaient conjoints de fait en 1999, ils ont commencé à vivre ensemble seulement en mai 1999, selon le système informatique de l'ADRC et selon l'appelant, de sorte qu'il y a lieu de se demander s'ils étaient véritablement des conjoints de fait ayant vécu en tant que tels tout au long d'une période d'un an.

[19]     Pour ces motifs, je conclus que l'appelant, pendant la période du 31 décembre 2000 au 30 novembre 2002, n'était pas le conjoint de fait de madame Lucille Gendron et qu'il n'est pas, par conséquent, redevable des montants de CTPS pour les années d'imposition 2000 et 2001 que le ministre prétend lui avoir versés en trop.

[20]     Les appels sont accueillis et les déterminations sont déférées au ministre pour nouvel examen selon les présents motifs.

Signé à Edmunston, Nouveau Brunswick, ce 5e jour de janvier 2004.

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :

2004CCI5

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-2825(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Gérard Bellavance et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Rivière-du-Loup (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 25 novembre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :

le 5 janvier 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Pour l'intimée :

Me Julie David

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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