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Dossier : 2005-4404(IT)I

ENTRE :

GREG IRMEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________

Appel entendu le 10 août 2006, à Kelowna (Colombie-Britannique).

Devant : L'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions :

Représentant de l'appelant :

Murray G. Rossworn

Avocate de l'intimée :

Me Sara Fairbridge

________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2003 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'août 2006.

« Campbell J. Miller »

Le juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de janvier 2007.

Yves Bellefeuille, réviseur


Référence : 2006CCI475

Date : 20060829

Dossier : 2005-4404(IT)I

ENTRE :

GREG IRMEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

[1]      Monsieur Irmen interjette appel, sous le régime de la procédure informelle, à l'encontre de la cotisation fiscale établie à son égard pour l'année d'imposition 2003. Le ministre du Revenu national a ajouté un montant de 16 937,60 $ au revenu d'emploi de M. Irmen pour 2003 en raison de chèques qui ont été émis à celui-ci par Greg-Rick Enterprises Ltd. (ci-après appelée la « société » ) tout au long de l'année d'imposition en cause. Monsieur Irmen soutient que ces paiements constituaient des retraits débités de son compte de prêt d'actionnaire et ne représentent donc pas un revenu d'emploi.

[2]      Monsieur Irmen était un actionnaire et un employé de la société. En 2000, il a grevé sa maison d'une hypothèque et a prêté environ 40 000 $ à la société. Celle-ci avait des problèmes financiers et, pendant quelques mois à la fin de l'année 2002 et au début de l'année 2003, ne pouvait se permettre d'engager aucun employé à part M. Irmen. Les paiements que M. Irmen a reçus de la société pour le reste de l'année 2003 sont énumérés à l'annexe A. Monsieur Irmen a témoigné que les montants qui lui ont été payés étaient légèrement supérieurs au total des fonds dont il avait besoin pour payer son hypothèque.

[3]      À la fin de chaque exercice de la société, M. Irmen et ses comptables déterminaient le montant que la société devait verser à M. Irmen à titre de rémunération. Pour éviter d'avoir une importante obligation fiscale personnelle à la fin de l'année, M. Irmen voulait que la société retienne à la source des montants pour l'impôt et pour les cotisations au Régime de pensions du Canada, et ce, tout au long de l'année. La société utilisait le logiciel de comptabilité « Simple comptable » pour la tenue de ses livres. Le commis comptable inscrivait les paiements indiqués à l'annexe A dans le compte de paie, et les montants d'impôt et de cotisations au RPC devant être retenus sur les montants versés à M. Irmen étaient calculés automatiquement. Selon Mme Tomlinson, la technicienne en comptabilité chargée d'examiner les documents comptables de la société à la fin de l'exercice et de faire les redressements nécessaires, il s'agissait de la seule façon permettant de consigner les retenues à la source au moyen du logiciel « Simple comptable » . Madame Tomlinson avait avisé la société qu'il serait plus approprié que les versements que la société faisait à M. Irmen tout au long de l'année soient inscrits à titre de retraits. Monsieur Irmen était au courant du fait que les versements étaient inscrits dans le compte de paie pour les besoins des retenues à la source.

[4]      À la clôture de l'année d'imposition 2003 de la société, les comptables ont avisé M. Irmen que son salaire pour l'année devait être de 600 $ seulement (soit le montant maximal qu'il pouvait toucher sans que cela n'empêche Mme Irmen de demander un montant pour personne à charge à son égard). Une résolution des administrateurs a été prise en ce sens, et Mme Tomlinson a fait des écritures de correction au journal pour contre-passer les écritures relatives aux salaires se rapportant à l'année et pour débiter de son compte de prêt d'actionnaire les montants payés à M. Irmen. Un feuillet T4 indiquant un montant de 600 $ a été dûment préparé et envoyé avec la déclaration de revenus de M. Irmen; le T4 indiquait également des retenues d'impôt et de cotisations au RPC de 2 960,75 $ et de 746,85 $ respectivement. Deux comptes de prêts des actionnaires avaient été établis par le commis comptable, mais Mme Tomlinson avait passé des écritures de régularisation pour regrouper tous les prêts des actionnaires en un seul compte.

[5]      Il s'agit de savoir si les montants reçus par M. Irmen exposés à l'annexe A constituent un revenu d'emploi ou, mis à part les 600 $, des retraits de son compte de prêt d'actionnaire.

[6]      Si je comprends bien, l'argument de l'appelant comporte deux volets. D'abord, bien qu'ils aient été inscrits comme salaire, les versements faits à M. Irmen tout au long de l'année étaient réellement des retraits de son compte de prêt d'actionnaire; le commis comptable qui enregistrait les entrées avait fait une erreur. Ensuite, si les paiements n'étaient pas des retraits au moment où ils ont eu lieu, mais plutôt des versements de salaire, les écritures de correction faites à la fin de l'exercice pour contre-passer les écritures relatives au salaire modifiaient effectivement la nature des versements de salaire et en faisaient des retraits du compte de prêt d'actionnaire aux fins de l'impôt.

[7]      Le premier argument est mal fondé. Lorsque les paiements ont été faits à M. Irmen, l'intention de celui-ci était de faire en sorte que la société remette des retenues à la source pour éviter d'avoir une obligation fiscale inattendue à la fin de l'année. Il a témoigné que même s'il croyait que d'importantes sommes figuraient toujours au crédit de son compte de prêt d'actionnaire (c.-à-d. que la société lui devait de l'argent), il n'était mis au courant qu'à la fin de l'exercice du montant qu'il devait recevoir à titre de salaire. Néanmoins, pour remettre les retenues à la source, le commis comptable devait enregistrer les paiements dans le compte de paie au moyen de « Simple comptable » , ce qui revenait à lui verser un salaire.

[8]      Le commis comptable a-t-il fait une erreur? Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. Madame Tomlinson a témoigné qu'elle avait averti la société et le commis comptable que si les versements faits à M. Irmen étaient réellement des retraits, ils devaient être enregistrés comme tels. Même après cet avertissement, la façon de faire de la société n'a pas été changée. La méthode comptable que la société continuait d'utiliser pour que M. Irmen n'ait aucune obligation fiscale personnelle à la fin de l'année consistait à enregistrer les paiements dans le compte de paie. À mon avis, le fait que la société ait continué de procéder de cette façon ne constituait pas une erreur; il s'agissait plutôt de la façon la plus simple de procéder pour la société, en ce sens que celle-ci n'avait pas à faire des écritures ailleurs que dans « Simple comptable » . La société et M. Irmen avaient d'autres possibilités. Ils auraient pu enregistrer les paiements comme des retraits et donner le montant brut à M. Irmen, qui aurait pu mettre 200 $ de côté chaque mois pour avoir les moyens de payer tout impôt sur le revenu personnel éventuel. Le comptable de la société, M. Rossworn, a aussi avancé que la société aurait pu enregistrer les paiements comme des retraits et verser volontairement des acomptes provisionnels d'impôt pour le compte de M. Irmen. Monsieur Irmen aurait pu lui-même verser des acomptes provisionnels d'impôt. Monsieur Irmen et la société ont délibérément choisi de ne pas suivre les conseils de leur comptable et ont continué à procéder par versement de salaire et à passer des écritures de correction à la fin de l'exercice pour tenter de modifier la situation. Dans de telles circonstances, le salaire n'a pas été enregistré par erreur. L'erreur était de croire que les montants enregistrés comme des salaires pouvaient faire l'objet d'une écriture de contre-passation; cette erreur ne change toutefois pas le fait qu'un salaire avait bel et bien été versé. Si la société avait eu un bon rendement, aucune démarche n'aurait été prise pour tenter de changer la qualification du salaire au moyen des écritures de contre-passation. Les salaires seraient demeurés des salaires. Ce qui est troublant, c'est que M. Rossworn a affirmé qu'il s'agit d'une pratique courante parmi les petites entreprises. Ce n'est certainement pas une pratique que j'accepterais. Monsieur Rossworn a qualifié d'injuste le fait que l'Agence du revenu du Canada peut accepter une augmentation de salaire à la fin de l'année, mais ne peut accepter de réduction de salaire. Je ne vois pas en quoi cela constitue une injustice intrinsèque : dans un cas, une décision est reportée à plus tard de façon légitime et dans l'autre cas, une décision est prise, après quoi on tente de la renverser.

[9]      Le deuxième argument est que le fait de contre-passer les écritures relatives au salaire au moyen d'écritures de correction à la fin de l'exercice est une méthode comptable parfaitement acceptable qu'adoptent les petites entreprises. En fait, comme l'a soutenu M. Rossworn, c'est précisément ce genre de travail que les comptables font pour leurs clients, c'est-à-dire rétablir la situation à la fin de l'exercice. Cela est fort possible si le comptable corrige bien des erreurs. Toutefois, en l'espèce, j'ai conclu qu'aucune erreur n'avait été commise. Le salaire a effectivement été payé et, à la fin de l'exercice, la société voulait apporter une modification au salaire qui avait été payé en fonction des résultats de fin d'exercice. Il est trop tard pour apporter ce genre de modification. Il ne s'agit pas de la correction d'une erreur, mais plutôt d'une planification fiscale rétroactive. Le juge Rip est arrivé à une conclusion semblable dans l'affaire Adam c. M.R.N.[1] :

Il a été admis qu'au cours de l'année M. Adam avait reçu un salaire. Adamin a traité les sommes comme si elles avaient été versées en règlement du prix des services réguliers rendus par M. Adam. Lorsqu'un contribuable reçoit un salaire de son employeur, il est imposable sur le montant du salaire dans l'année où il le reçoit, étant donné que celui-ci constitue un revenu tiré d'un emploi (article 5 de la Loi). Une fois reçu, le salaire ne peut, sur le plan fiscal, devenir autre chose. M. Adam ne peut « ex post facto » modifier la destination des sommes qui lui ont été versées ou qu'il a reçues, ni modifier le but dans lequel elles lui ont été versées. [...] Le redressement des livres comptables d'un contribuable ne peut rendre nuls les événements qu'ils reflètent. On ne peut faire abstraction des événements antérieurs. Cela ne veut pas dire qu'un contribuable ne peut faire des inscriptions dans ses registres pour refléter les rajustements apportés à ses comptes au fur et à mesure qu'ils se produisent. Ainsi, dans le cas des corporations de la taille d'Adamin, il n'est pas rare qu'un actionnaire-employé retire de l'argent de la corporation sous forme d'emprunts tout au cours de l'année et qu'à la fin de l'année, cet actionnaire-employé décide, de concert avec la corporation, de la proportion de dividendes et de salaire qu'il doit toucher; le compte d'emprunt sera alors rajusté en conséquence.

Néanmoins, aucun contribuable n'a le droit de modifier de façon rétroactive les événements suivant ce qui convient le mieux à ses fins, quoiqu'il ne fasse pas de doute qu'il puisse planifier l'avenir en fonction de ses intérêts, c'est ce qu'on appelle parfois faire de la planification fiscale. Même si je comprends le désir de M. Rabinovitch de réduire au minimum les impôts de son client et reconnais le manque de précision du droit fiscal en 1982, j'estime que le rajustement rétroactif des registres ne constitue pas un procédé de planification fiscale valable et je dois par conséquent rejeter l'appel.

[10]     Exprimé simplement, un salaire ne peut pas être converti en autre chose après coup.

[11]     En résumé, M. Irmen a décidé de comptabiliser les versements qu'il a reçus de sa société d'une certaine façon malgré la recommandation contraire qu'on lui a faite. Il ne fait aucun doute qu'il regrette cette décision étant donné qu'elle a créé une obligation fiscale personnelle qui aurait pu être évitée au moyen d'une planification fiscale soigneuse. C'est malheureux. Je conclus que les versements faits à M. Irmen étaient un salaire et qu'aucun redressement de fin d'exercice ne peut changer leur nature. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'août 2006.

« Campbell J. Miller »

Le Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de janvier 2007.

Yves Bellefeuille, réviseur


ANNEXE A

Greg Irmen - Appel devant la Cour canadienne de l'impôt no 2005-4404(IT)I

Montants payés à Greg Irmen en 2003

Date

No du chèque

Salaire brut

Cotisations au RPC

Impôt sur le revenu

retenu

Salaire net

3 avr. 2003

3752

200 $

-

-

200 $

19 avr. 2003

3773

500

-

-

500

2 mai 2003

3784

1 295,20

57,45

227,75

1 010

16 mai 2003

3803

1 295,20

57,45

227,75

1 010

30 mai 2003

3833

1 295,20

57,45

227,75

1 010

13 juin 2003

3851

1 295,20

57,45

227,75

1 010

27 juin 2003

-

1 295,20

57,45

227,75

1 010

11 juil. 2003

3897

1 295,20

57,45

227,75

1 010

8 août 2003

3934

1 295,20

57,45

227,75

1 010

3 oct. 2003

3986

1 295,20

57,45

227,75

1 010

17 oct. 2003

4002

1 295,20

57,45

227,75

1 010

3 nov. 2003

4015

1 295,20

57,45

227,75

1 010

18 nov. 2003

4034

1 295,20

57,45

227,75

1 010

16 déc. 2003

4061

1 295,20

57,45

227,75

1 010

29 déc. 2003

4069

1 295,20

57,45

227,75

1 010

17 537,60 $

746,85 $

2 960,75 $


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI475

NO DU DOSSIER :                             2005-4404(IT)I

INTITULÉ :                                        GREG IRMEN ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Kelowna (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 10 août 2006

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Campbell J. Miller

DATE DU JUGEMENT :                    Le 29 août 2006

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelant :

Murray G. Rossworn

Avocate de l'intimée :

Me Sara Fairbridge

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

          Pour l'appelant :

                   Nom :                              s.o.

                   Cabinet :                          s.o.

          Pour l'intimée :                           John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           no 84-1468(IT), 18 octobre 1985, 85 D.T.C. 667 (C.C.I.).

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