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Référence : 2005CCI260

Date :20050919  

Dossier : 2004-2032(EI)

ENTRE :

HÔPITAL JUIF DE RÉADAPTATION,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

FRANCE BOUCHER,

intervenante.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Prononcés oralement à l'audience le 23 mars 2005

à Montréal (Québec) et modifiés pour plus de clarté et de précision.)

 

 

Le juge Archambault

 

[1]     L'Hôpital juif de réadaptation (Hôpital) interjette appel d'une décision du ministre du Revenu national (ministre) selon laquelle l'emploi occupé par l’intervenante, madame France Boucher, au cours de la période du 1er juillet 1999 au 21 avril 2003 (période pertinente) était assurable aux fins de la Loi sur l'assurance‑emploi (Loi).

 

[2]     La question en litige porte essentiellement sur la nature de la relation contractuelle qui liait madame Boucher à l'Hôpital durant la période pertinente. Il faut décider si elle était liée par un contrat de travail ou bien par un contrat de service.

 

Contexte factuel

 

[3]     Parmi les services que l'Hôpital offrait à sa clientèle durant la période pertinente, il y avait des services d'orthophonie. Il est utile de citer ici une description du travail d'un orthophoniste fournie par l'Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (Ordre) :

 

L'orthophoniste et l'audiologiste sont des professionnels autonomes qui ont une formation universitaire de 2e cycle et qui sont inscrits au tableau des membres de l'Ordre des Orthophonistes et Audiologistes du Québec. Ils ont une expertise dans le domaine de la communication humaine et des troubles qui s'y rattachent.

 

[...]

 

L'orthophoniste est le professionnel à qui sont conférés les actes suivants :

 

• le dépistage, l'identification, l'évaluation, l'interprétation, le diagnostic, l'adaptation‑réadaptation et la prévention des troubles du langage oral et écrit, de la parole, de la voix, de la fonction oro‑pharyngée ainsi que des troubles cognitivo‑linguistiques de la communication;

 

• l'évaluation, la recommandation et l'élaboration de systèmes de communication alternatifs et la formation relative à leur utilisation;

 

• le counselling aux clients, à leur famille, aux intervenants en santé, en éducation, et autres personnes en ce qui concerne tous les aspects des troubles de la communication;

 

• l'élaboration, la mise en application de programmes de promotion, de prévention des troubles du langage et la supervision de programmes de dépistage;[1]

 

[...]

 

[4]     Avant le début de la période pertinente, l'Hôpital comptait parmi ses employés plusieurs orthophonistes, dont deux qui travaillaient dans le service des traumatismes crâniens et trois en neurologie. Les services d'orthophonie n'étaient pas offerts uniquement aux patients de l'Hôpital (service interne). Il y avait également une demande pour de tels services pour les patients de centres hospitaliers de soins de longue durée de Laval (Centres ou service externe). À cette époque, l'Hôpital avait affecté un autre de ses orthophonistes salariés au service externe.

 

[5]     Pour financer ce service, l'Hôpital a reçu de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Laval (Régie) une allocation budgétaire. Comme, je l'imagine, elle n'avait pas les ressources financières nécessaires pour établir des services d'orthophonie dans chacun des Centres (au nombre d'environ onze sur le territoire de Laval), la Régie a jugé opportun d'utiliser le personnel déjà existant de l'Hôpital pour fournir ce service. À cette fin, elle a donné à l'Hôpital une liste des Centres et des personnes responsables à chacun de ces Centres.

 

[6]     Au début, la Régie n'a exercé que peu de contrôle sur le programme de soins orthophoniques offert aux Centres. Par la suite, peut‑être en raison d'un changement de personnel à la Régie, elle a exigé de l'Hôpital plus de données sur ce programme et l'Hôpital a dû lui fournir des rapports de plus en plus détaillés au cours des mois et des années qui ont suivi.

 

[7]     Selon une structure organisationnelle que je qualifierais de bicéphale, les orthophonistes de l'Hôpital relevaient, d'une part, d'un chef de groupe des orthophonistes de l'Hôpital et, d'autre part, du chef du service auquel ils étaient affectés, par exemple, le chef du service des traumatismes crâniens ou du service de neurologie

 

[8]     Pour l'encadrement des orthophonistes salariés du service interne, les chefs de services convoquaient des réunions où on discutait d'administration interne (affectations) et des problèmes relatifs aux patients. L'Hôpital effectuait également une évaluation du travail des orthophonistes. Le processus d'évaluation donnait aux salariés l'occasion de manifester leurs attentes aux chefs de groupe et permettait à ces derniers d'évaluer le travail des salariés. Aucune preuve n'a été fournie relativement au mode d'évaluation des orthophonistes salariés du service externe.

 

[9]     Au moment de son engagement par l'Hôpital, madame Boucher ne détenait qu'un baccalauréat en orthophonie. Toutefois, elle avait déjà commencé son programme de maîtrise et avait effectué à l'Hôpital un stage (internat) à la fin de sa scolarité, mais avant la rédaction de son mémoire de maîtrise. C'est d'ailleurs en raison du travail qu'elle avait effectué au cours de ce stage que l'Hôpital lui a offert un travail au service externe vers la fin de l'hiver 1999[2].

 

[10]    L'Hôpital et madame Boucher ont signé le 16 mars 1999 une entente (Entente) constatant leur accord et que je reproduis ici[3] :

 

ENTENTE

 

ENTRE

 

L'Hôpital juif de réadaptation, corporation légalement constituée ayant son siège social au 3205 Place Alton Goldbloom, Chomedey, Laval (Québec) H7V 1R2, ci‑après appelé L'Hôpital

ici représenté par M. André Ibghy, sont président dûment autorisé

 

ET

 

France Boucher, Agent ré‑éducateur de la parole et du langage

 

Considérant le mandat de centre régional en déficience physique dévolue [sic] par la Régie Régionale de Laval à l'Hôpital.

 

Considérant le protocole d'entente intervenu entre l'Hôpital et France Boucher

 

Considérant la mission, le besoin de services d'orthophonie pour les clientèles hébergées en CHSLD de Laval.

 

OBJET DE L'ENTENTE

 

Les parties conviennent de confier à France Boucher la responsabilité de la provision des services en orthophonie pour les clientèles hébergées en CHSLD.

 

DURÉE DU CONTRAT

 

Entre le 1er avril 1999 et le 30 septembre 1999, renouvelable.

 

ENGAGEMENT DES PARTIES

 

France Boucher s'engage à desservir les clientèles hébergées en CHSLD de Laval selon ses disponibilités et les besoins de la clientèle.

 

La clientèle sera constituée de patients, de leur famille et du personnel‑traitant.

 

Les services seront offerts aux patients présentant soit une aphasie, une dysarthrie, des troubles de la communication associés à une démence, une dysphagie ou autres troubles de la communication d'origine neurologique (maladie de Parkinson, sclérose en plaques, etc.)

 

DÉTAILS DU SERVICE

 

Les services offerts incluront le traitement individuel ou en groupe et la formation pour les familles et le personnel‑traitant. France Boucher sera responsable pour la documentation du suivi selon les pré‑requis de l'Ordre des Orthophonistes et Audiologistes du Québec.

 

France Boucher sera responsable pour un rapport des services.

France Boucher sera responsable pour l'adhésion à l'Ordre des Orthophonistes et Audiologistes du Québec ainsi qu'une assurance responsabilité professionnelle.

 

Les rapports seront remis à l'hôpital juif de réadaptation.

 

M. André Ibghy désigne Mme Donna Bleier comme individu de liaison pour ce contrat.

 

L'Hôpital juif de réadaptation s'engage à défrayer les services pour un montant n'excédant pas $ 14,500.

 

En foi de quoi, les parties ont signé à Laval le 16 jour de mars 1999.

 

[Je souligne.]

 

[11]    Comme on peut le constater, l'Entente ne qualifie pas sa nature ni ne précise de quelle manière devait être calculée la rémunération de madame Boucher pour ses services. Toutefois, madame Boucher croyait qu’elle était engagée comme salariée et qu'elle recevrait la rémunération normalement versée aux orthophonistes de l'Hôpital. Elle n'a appris son taux horaire que lorsqu'elle a reçu son premier chèque. Pour obtenir celui‑ci, elle a dû remplir un document établi par l'Hôpital. Le modèle de ce document que madame Boucher a produit en preuve porte le logo de l'Hôpital et celui des hôpitaux d'enseignement affiliés à l'Université McGill; il est ainsi rédigé[4] :

 

HÔPITAL JUIF DE RÉADAPTATION

JEWISH REHABILITATION HOSPITAL

3205 Place Alton Goldbloom • LAVAL, QUÉBEC, H7V 1R2 • (514) 688-9550 • FAX : (514) 688-3673

 

Honoraires Professionnels

Service d'orthophonie en CHSLD à Laval

Pour l'Hôpital Juif de réadaptation

18 janvier 2002

 

 

 

De France Boucher

2044 Boul. Des Seigneurs

Terrebonne, Québec, J6X 3N9

 

 

 

 

Période du 7 au 11 janvier 2002

 

 

 

Nombre d'heures :

24 heures

 

 

Période du 14 au 18 janvier 2002

 

 

 

Nombre d'heures :

24 heures

 

 

Total :

48 heures

            1158.72

 

 

 

S.V.P. METTRE LA COPIE DU CALCUL DANS UNE ENVELOPPE POUR

PRÉSERVER LA CONFIDENTIALITÉ, MERCI[5]

Remettre le chèque de paie à Donna Bleier ou Fanny Singer

Département d'orthophonie

 

Merci

 

   (signature, Donna Bleier)           

Donna Bleier ou Fanny Singer

   21 janvier 2002    

Date

 

 

  (signature)                           

France Boucher

     18 janvier 2002      

Date

 

Le nombre d'heures pour les deux semaines visées avait été fourni par madame Boucher. Le montant des honoraires a été inscrit à la main par une représentante de l'Hôpital.

 

[12]    Tel que l'ont confirmé les deux représentantes de l'Hôpital qui ont témoigné à l'audience, soit mesdames Singer et Bleier, la rémunération de madame Boucher correspondait essentiellement au taux horaire versé aux orthophonistes salariés de l'Hôpital, majoré de 35 % pour tenir compte des vacances, des congés de maladie et des autres avantages sociaux dont jouissaient les salariés de l'Hôpital.

 

[13]    Contrairement à ce qui est indiqué dans l'Entente, madame Boucher n'a pas été tenue de souscrire elle‑même une assurance responsabilité professionnelle. N'étant pas membre de l'Ordre, elle ne pouvait bénéficier de l'assurance que l'Ordre offrait à ses membres. Ce problème de couverture a d'ailleurs retardé le début de son contrat. En effet, ce n'est que le 8 juillet 1999 qu'elle a commencé son travail, après que l'Hôpital lui eut confirmé par lettre qu'elle était couverte par « le programme d'assurance des établissements du réseau de la santé et des services sociaux »[6]. Dans la même lettre, la directrice des services et programmes de réadaptation a écrit : « Ce sera un plaisir de vous compter parmi notre équipe [...] »

 

[14]    Les services offerts par madame Boucher aux patients des Centres visaient deux types de problèmes : ceux de communication et ceux de dysphagie (difficulté à avaler). Son travail ne se limitait pas à traiter les patients. Comme elle offrait également de la formation au personnel des Centres où résidaient les patients et aux proches de ces patients, elle avait besoin de matériel de présentation que lui a fourni l'Hôpital ou dont le coût lui a été remboursé par l'Hôpital.

 

[15]    L'Entente a été renouvelée le 21 septembre 1999 pour une période allant du 1er octobre 1999 au 31 mars 2000 (Contrat de renouvellement). Voici ce que ce contrat stipule[7] :


 


HÔPITAL JUIF DE RÉADAPTATION

JEWISH REHABILITATION HOSPITAL

3205 Place Alton Goldbloom • Laval, Qué., H7V 1R2 • (450) 688-9550 • FAX (450) 688-3673

 

CONTRAT DE RENOUVELLEMENT

 

Le 21 septembre 1999

 

Le contrat pour service en Orthophonie pour les clientèles hébergées en CHSLD est renouvelé pour une période de 6 mois entre le 1er octobre 1999 — 31 mars 2000. L'hôpital s'engage à continuer d'assurer France Boucher pour cette période ou jusqu'à ce qu'elle soit assurer [sic] par l'Ordre des Orthophonistes et Audiologistes du Québec. Elle sera payée à l'échelon 2 de salaire des orthophonistes. Elle sera payée à chaque semaine. Un rapport final des services sera requis.

 

  (signature)                           

France Boucher

 

  (signature)                           

Donna Bleier, M.Sc.S‑LP (c)

 

  (signature)                           

Nicole Payen, Directrice des Services

            & Programmes de Réadaptation

[Je souligne.]

 

[16]    Dans les faits, le travail de madame Boucher a été interrompu du mois de novembre 1999 au mois d'avril 2001 en raison d'un accident qu'elle a eu.

 

[17]    Les parties n'ont signé aucune autre entente écrite traitant des conditions du renouvellement du contrat de madame Boucher. Quelques tentatives pour conclure une entente ont quand même été faites, mais sans succès. D'après le témoignage de madame Singer, orthophoniste qui était la supérieure de madame Boucher, un des cadres de l'Hôpital aurait suggéré de régulariser la situation de madame Boucher pour que le contrat reflète le fait qu'elle était employée de l'Hôpital. Ce qui suit est un des projets de contrat (Projet no 1)[8] :

 

CONTRAT

 

ENTRE : HÔPITAL JUIF DE RÉADAPTATION, un établissement dûment constitué en vertu de la Loi sur les services de santé et services sociaux L.R.Q. c. S-S [sic], ayant son siège social au 3205 Place Alton Goldbloom, Chomedey, district de Laval, représenté par Hélène Brunette dûment autorisée.

(ci‑après appelé [l'Hôpital])

 

ET :

 

(ci‑après appelé [sic] [l'employée])

 

1.         L'Hôpital retient les services de l'employée pour remplir un poste sous la direction des services d'orthophonie pour desservir les clientèles en CHSLD.

 

2.         L'emploi débutera le 5 juin et se terminera le 5 décembre. Cette entente se renouvellera automatiquement à l'expiration du premier terme, pour des périodes successives de 6 mois chacune, selon les mêmes termes et conditions, à moins d'avis contraire d'une des parties signifié trente (30) jours avant l'expiration du terme en cours.

 

3.         Pendant la durée de l'emploi définie au paragraphe 2 ci‑haut, les conditions de travail de l'employée seront régies par les normes et pratiques de gestion des employés syndicables mais non syndiqués.

 

4.         L'Hôpital pourra mettre fin à cette entente et à l'emploi de l'employée moyennant un préavis de trente (30) jours ou le paiement d'une indemnité équivalent à un mois de salaire. Toutefois pour un motif sérieux, l'Hôpital pourra mettre fin à cette entente et à l'emploi de l'employée en tout temps sans être obligé de donner quelque préavis ou indemnité que ce soit à l'employée. (entendu par l'employé [sic] et l'employeur pour s'appliquer)

 

5.         L'employée reconnaît qu'elle n'aura droit à quelques recours [sic] que ce soit contre L'Hôpital en raison de la terminaison de son emploi à la fin de son terme tel que défini au paragraphe 2 ci‑haut.

 

6.         L'employée sera payée à toutes les deux semaines.

 

SIGNÉ À LAVAL CE                                                       

 

Pour l'Hôpital

                                              

pour France Boucher

[Je souligne.]

 

[18]    Selon madame Boucher, elle n'a jamais signé ce projet de contrat parce qu'on ne lui avait jamais indiqué le montant précis de sa rémunération. Madame Singer, qui devait obtenir cette information, est partie en congé de maladie. Par la suite, on a convenu d'une rémunération horaire de 35 $ mais il n'y a eu aucune entente écrite stipulant ce taux. Selon madame Boucher, cette rémunération correspondait à celle d'un orthophoniste salarié de l'Hôpital de l'échelon 7 ou 8[9].

 

[19]    Un autre projet de contrat (Projet no 2) aurait été rédigé au début de l'année 2003. Voici ce qu'il stipule[10] :

 

                                                            Hôpital juif de réadaptation

                                                                        Jewish Rehabilitation Hospital

 

CONTRAT À DURÉE DÉTERMINÉE

 

NON RENOUVELABLE

 

ENTRE :        HÔPITAL JUIF DE RÉADAPTATION, un établissement dûment Constitué en vertu de la Loi sur les services de santé et services sociaux L.R.Q. c. S-S [sic], ayant son siège social au 3205 Place Alton Goldbloom, Chomedey, district de Laval, représenté par Madame Félicia Guarna, directrice [sic] des programmes et services, dûment autorisée.

 

                        (ci‑après appelé [l'Hôpital])

 

ET :                 Madame France Boucher

 

                        (ci‑après appelé [sic] [l'orthophoniste])

 

1.         L'Hôpital retient les services contractuels de l'orthophoniste Madame France Boucher pour effectuer des heures d'appoint dans différents programmes du service d'orthophonie de la direction des programmes et services de réadaptation.


 

2.         L'emploi débutera le 5 mai 2003 et se terminera le 4 août 2003.

 

3.         Au cours de cette période, Madame Boucher sera payée au même taux horaire que lors du précédant [sic] contrat soit un taux de trente‑cinq dollars (35.00$) de l'heure pour un maximum de trente‑cinq heures par semaine.

 

4.         L'Hôpital pourra mettre fin à cette entente et conséquemment à l'emploi de l'orthophoniste moyennant un préavis de quinze (15) jours ou le paiement d'une indemnité équivalent à quinze (15) jours de salaire. Toutefois pour un motif sérieux, l'Hôpital pourra mettre fin à cette entente et à l'emploi de l'orthophoniste en tout temps sans être obligé de donner quelque préavis ou indemnité que ce soit à l'orthophoniste.

 

5.         L'employée reconnaît qu'elle n'aura droit à quelques [sic] recours que ce soit contre L'Hôpital lors de la fin de son contrat de travail tel que défini au paragraphe 2 ci‑haut.

 

SIGNÉ À LAVAL CE                                                       

 

 

                                              

 

Orthophoniste

 

                                              

 

Hôpital par :

(dûment autorisée)

[Je souligne.]

 

[20]    Ce contrat n'a jamais été signé en raison du refus de l'Hôpital. Peut‑être cela a‑t‑il un rapport avec cette lettre de reproche[11] :

 

                                                                        Hôpital juif de réadaptation

                                                                        Jewish Rehabilitation Hospital

Le 1er may [sic], 2003

 

Madame Boucher,

 

La présente fait suite à notre rencontre du 29 avril 2003, date à laquelle nous vous avons remis une lettre dans laquelle nous avons cité les raisons pour lesquelles nous avons dû vous retirer du programme régional des services spécialisés en orthophonie dans les CHSLD. De plus, nous vous avons offert la possibilité d'avoir un contrat de services[12] pour une durée de 3 mois, soit du 5 mai au 4 août 2003, pour effectuer des heures d'appoint dans différents programmes du service d'orthophonie de la direction des programmes et services de réadaptation.

 

A cette même rencontre, nous étions surpris d'apprendre que le mardi 22 avril 2003, vous vous êtes présentée dans le CHSLD l'Orchidée Blanche pour continuer à faire des interventions en orthophonie. A plusieurs reprises Mme Ménard, votre supérieure immédiate vous a demandé de cesser les interventions le 17 avril, donc nous jugeons cette situation inacceptable. De plus, lors de notre rencontre, il a fallu vous interdire de retourner au CHSLD l'Orchidée Blanche puisque vous aviez toujours l'intention de finaliser vos interventions à une date ultérieure.

 

Pendant la rencontre, nous avons constaté un manque d'écoute de votre part qui engendrait parfois un manque de compréhension de certaines consignes que nous vous formulions. En conséquence, nous croyons que si ce comportement perdure, il pourrait causer des difficultés lors de la supervision de vos activités cliniques durant la durée du contrat.

 

Veuillez agréer, Madame Boucher, mes salutations distinguées.

 

(signature)

Félicia Guarna

Directrice des services et programmes de réadaptation

 

FG/aa

c.c. :     Hélène Brunette, chef de services des ressources humaines

            Suzanne Ménard, Chef intérimaire du service d'orthophonie

 

[Je souligne.]

Analyse

 

[21]    La question en litige est de savoir si madame Boucher occupait un emploi assurable aux fins de la Loi. La disposition pertinente est l’alinéa 5(1)a) de la Loi, qui édicte ce qui suit :

 

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

5(1) Subject to subsection (2), insurable employment is

 

 

(a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise;

 

[Je souligne.]

 

[22]    Cet article définit un emploi assurable comme comprenant l'emploi exercé en vertu d’un contrat de louage de services (ou, pour employer le terme synonyme, un contrat de travail[13]). Or, la Loi ne définit pas ce qui constitue un tel contrat. Comme l'Entente est intervenue au Québec et que le contrat de louage de services est une notion de droit civil que l’on trouve dans le Code civil, c'est en vertu des dispositions pertinentes de ce code qu'il faudra déterminer la nature de ce contrat[14].

 

[23]    Les dispositions les plus pertinentes pour déterminer l'existence d'un contrat de travail au Québec et le distinguer du contrat de service sont les articles 2085, 2086, 2098 et 2099 du Code civil :

 

Contrat de travail

 

2085    Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

2086    Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

 

Contrat d'entreprise ou de service

2098    Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

2099    L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[Je souligne.]

 

[24]    Lorsqu'on analyse ces dispositions du Code civil, il en ressort clairement qu'il y a trois conditions essentielles quant à l'existence d'un contrat de travail : i) une prestation de travail fournie par le salarié; ii) une rémunération pour ce travail payée par l'employeur; et iii) un lien de subordination. Ce qui distingue nettement le contrat de service du contrat de travail, c'est l'existence du lien de subordination, c'est‑à‑dire le fait pour l'employeur d'avoir un pouvoir de direction ou de contrôle sur le travailleur.

 

[25]    Dans la doctrine, les auteurs se sont interrogés sur la notion de « pouvoir de direction ou de contrôle » et son revers, le « lien de subordination ». Voici ce qu'écrit Robert P. Gagnon[15] :

 

c)     La subordination

 

90 — Facteur distinctif — L'élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille. C'est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d'autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d'une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d'entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C.c.Q. Ainsi, alors que l'entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l'article 2099 C.c.Q., « le libre choix des moyens d'exécution du contrat » et qu'il n'existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution », il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l'employeur et dans le cadre établi par ce dernier.

 

[...]

 

92 — Notion — Historiquement, le droit civil a d'abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d'application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l'exécution de ses fonctions (art. 1504 C.c.B.‑C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l'employeur sur l'exécution du travail de l'employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s'est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail, ont en effet, rendu souvent irréaliste que l'employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l'exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu'on reconnaîtra alors comme l'employeur, de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise.

 

[26]    Ajoutons que ce qui est la marque d'un contrat de travail, ce n'est pas le fait que la direction ou le contrôle a été exercé effectivement par l'employeur, mais le fait qu'il avait le pouvoir de l'exercer. Dans Gallant c. M.R.N., [1986] A.C.F. no 330 (Q.L.), le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale affirme :

 

[...] Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions. [...]

[Je souligne.]

 

[27]    De plus, dans Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc. c. Canada (M.R.N.), 2002 CAF 144, (2002), 291 N.R. 389, le juge Noël écrit :

 

5.         La question que devait se poser le premier juge était de savoir si la société avait le pouvoir de contrôler l'exécution du travail des travailleurs et non pas si la société exerçait effectivement ce contrôle. Le fait que la société n'ait pas exercé ce contrôle ou le fait que les travailleurs ne s'y soit pas senti assujettis lors de l'exécution de leur travail n'a pas pour effet de faire disparaître, réduire ou limiter ce pouvoir d'intervention que la société possède, par le biais de son conseil d'administration.

 

[28]    À mon avis, les règles régissant le contrat de travail en droit québécois ne sont pas identiques à celles de la common law et, par conséquent, il n'est pas approprié d'appliquer des décisions de common law comme les arrêts Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, 2001 CSC 59. Au Québec, un tribunal n'a pas d'autre choix que de conclure à l'existence ou à l'absence du lien de subordination pour pouvoir conclure qu'un contrat constitue un contrat de travail ou bien un contrat de service. C'est ce que le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale a fait dans l'affaire D & J Driveway[16], où il a conclu à l'absence d'un contrat de travail en se fondant sur les dispositions du Code civil et, en particulier, en constatant l'absence d'un lien de subordination, lequel il a décrit comme « la caractéristique essentielle du contrat de travail »[17].

 

[29]    Voici certaines des raisons que j'ai exposées dans l'article sur Wiebe Door pour justifier ma conclusion[18] :

 

[64]      Lorsque l'on compare les règles du Code civil et celles de la common law, il ressort clairement qu’elles sont différentes quant aux conditions nécessaires à l’existence d’un contrat de travail. Celles du Code civil sont de droit écrit et « aucune cour de justice ne peut changer la règle écrite ». Le Code civil requiert l'existence d'un lien de subordination : il s'agit là d'un des trois éléments essentiels à l’existence d’un contrat de travail, les deux autres étant le travail et la rémunération. Les règles de la common law, de droit prétorien, sont flexibles et ainsi peuvent être modifiées par les tribunaux au besoin. C'est ainsi que le critère de contrôle, jadis le seul utilisé par les tribunaux, a été délaissé parce qu'on le jugeait « d'une simplicité trompeuse ». Il « s'est révélé tout à fait inapplicable pour ce qui est des [...] travailleurs hautement qualifiés, qui possèdent des aptitudes bien supérieures à la capacité de leur employeur à les diriger ». En ce qui concerne le contrôle, « analysis of the extent and degree of such control is not in itself decisive. » La « notion de contrôle n'est pas toujours en soi concluante malgré l'importance qu'il faut lui prêter » et « aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant ». « La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte ». Les tribunaux de common law ayant abandonné le critère de contrôle pour adopter l'approche de la relation globale, il leur est donc possible de conclure à l'existence d'un contrat de travail sans tirer de conclusion de fait (finding of fact) quant à l'existence d'un droit de contrôle.

 

[65]      Or, au Québec, en raison de la primauté de l'article 2085 C.c.Q., les juges sont tenus d'en arriver à une conclusion sur l'existence d'un lien de subordination pour décider si toutes les conditions nécessaires à l'existence d'un contrat de travail sont réunies. Il en est de même quant à l'existence d'un contrat de service : il doit y avoir absence de lien de subordination (art. 2099 C.c.Q.). En vertu du Code civil, une fois que l’existence du lien de subordination est établie, il n’est pas nécessaire de considérer les autres critères, comme celui de l’entreprise, comportant notamment les trois éléments suivants : la propriété des outils, la possibilité de profit et le risque de perte. Avec beaucoup d'égards pour les tenants de l'opinion contraire, il n’est pas possible non plus de conclure que le critère de contrôle est neutre, que trop de poids peut être accordé au lien de subordination et que, pour décider sur l'existence d'un contrat de travail régi par le Code civil, ce critère n'est pas un bon indice de la nature du contrat entre les parties. De telles conclusions seraient possibles, cependant, dans l’application des principes de la common law. À part le travail et la rémunération, le lien de subordination (le droit de direction ou de contrôle) est le seul critère décisif. C'est, je crois, ce que laisse entendre le juge Décary au paragraphe 114 de l'arrêt Wolf, lorsqu'il écrit :

 

[...] Je peux ajouter que je trouve quelque peu curieux que le contrôle soit énuméré parmi les facteurs à prendre en considération dans une analyse dont l'objectif est précisément de déterminer, au regard du Code civil du Québec, s'il y a un contrôle ou non.


[66]      Par conséquent, l'approche adoptée dans Sagaz et Wiebe Door est incompatible avec les dispositions pertinentes du Code civil. Le professeur Duff adopte une conclusion substantiellement semblable :

 

[...] Dans la plupart des causes fiscales, les tribunaux se sont fondés sur le critère général adopté dans l'arrêt Wiebe Door qui correspond au droit privé des provinces de common law, mais diffère du critère de contrôle ou de subordination contenu dans le CcQ. Ni la LIR, ni aucune autre loi fédérale, ne dissocie explicitement la signification de ce terme du droit civil du Québec, pas plus que le texte de la LIR n'indique de façon nécessairement implicite que le sens du mot à des fins fiscales devrait être interprété selon sa définition en common law. Encore une fois, la présomption selon laquelle le législateur avait peut‑être l'intention d'appliquer la distinction entre employés et entrepreneurs indépendants uniformément à l'ensemble du Canada ne devrait pas l'emporter sur la confirmation explicite du bijuridisme canadien dans le nouvel article 8.1 de la Loi d'interprétation fédérale et le préambule de la Loi d'harmonisation. Ainsi, dans la mesure où les décisions fiscales rendues au Québec se fondent sur l'arrêt Wiebe Door plutôt que sur le CcQ ou comme critère distinct s'ajoutant au CcQ, elles ne sont pas compatibles avec le nouvel article 8.1 de la Loi d'interprétation fédérale. D'autre part, lorsqu'un tribunal renvoie au critère général de l'arrêt Wiebe Door afin d'appliquer le critère de contrôle ou de subordination, la complémentarité est maintenue et il n'est pas nécessaire d'appliquer l'article 8.1[19]. En pratique toutefois, le critère général de Wiebe Door risque de ne pas être compatible avec l'importance que le CcQ accorde au seul critère de la subordination.

[Je souligne.]

 

[67]      Tant le juge MacGuigan dans Wiebe Door que la juge Desjardins dans Wolf ont cru que les règles de droit civil et de common law en matière de contrats de travail étaient identiques. Cette dernière s'exprime en effet ainsi :

 

48        Dans l'affaire Hôpital Notre-Dame de l'Espérance et Théoret c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605, un cas de responsabilité civile délictuelle, la Cour suprême du Canada a été appelée à déterminer si un médecin était un employé de l'hôpital où la partie plaignante avait été traitée. Le juge Pigeon, au nom de la Cour, a cité et approuvé André Nadeau, Traité pratique de la responsabilité civile délictuelle, (Montréal: Wilson & Lafleur, 1971), page 387, qui avait fait remarquer que « le critère essentiel destiné à caractériser les rapports de commettant à préposé est le droit de donner des ordres et instructions au préposé sur la manière de remplir son travail » (page 613). Le juge Pigeon avait alors cité la célèbre affaire Curley v. Latreille (1920), 60 R.C.S. 131, où il avait été noté que la règle était identique à la common law sur ce point (ibid., aux pages 613 et 614).

 

49        En conséquence, la distinction entre un contrat de travail et un contrat de service aux termes du Code civil du Québec peut être examinée à la lumière des critères élaborés au cours des années, tant en droit civil qu'en common law.

[Je souligne.]

 

[68]      L'affirmation attribuée au juge Pigeon, qui se référait à l'arrêt Curley, quant à l'identité, dans les deux systèmes juridiques, de la règle pour déterminer l'existence d'un contrat de travail, est erronée pour deux raisons. D'abord, ce n'est pas ce qu'il a dit. De plus, comme on l'a vu plus haut, les règles de la common law et du droit civil ne sont pas identiques en ce qui concerne les éléments constitutifs essentiels du contrat de travail.

 

[69]      Le débat dans Curley — tout comme dans Hôpital Notre‑Dame de façon principale — portait sur la responsabilité du maître pour le fait d'autrui (le serviteur) et non sur le statut juridique du serviteur. C'est donc en traitant de la responsabilité du fait d'autrui et non pas des éléments constitutifs essentiels d'un contrat de travail que le juge Pigeon a affirmé dans Hôpital Notre‑Dame l'identité de règles du droit civil et de la common law, comme le révèlent les deux extraits suivants :

 

Pour ce qui est maintenant de la faute initiale, la responsabilité de l'hôpital me paraît également dépourvue de base juridique. Pour le tenir responsable, il faudrait se fonder sur le dernier alinéa de l'art. 1054 C.c.

 

 Les maîtres et commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et ouvriers dans l'exécution des fonctions auxquelles ces derniers sont employés.

 

L'arrêt Curley c. Latreille [...] a fixé la jurisprudence québécoise dans le sens de l'interprétation littérale des mots « dans l'exécution des fonctions », sens littéral qui correspond à celui de la version anglaise : « in the performance of the work ». L'on a expressément noté que ce sens est également celui de la règle suivie sous la common law. On n'a donc pas admis le sens large que la jurisprudence française a donné aux mots « dans les fonctions » de l'art. 1384 C.N. et qui a pour conséquence que l'on retient la responsabilité à l'égard d'actes qui ne sont accomplis qu'« à l'occasion des fonctions » et ne s'y rattachent que par des circonstances de temps, de lieu ou de service.

[p. 611]

 

[...] Dans le cas présent, les soins médicaux n'ont pas été donnés à madame Laurent en vertu d'un contrat avec l'hôpital mais avec le docteur Théoret. Puisque dans Curley c. Latreille on a reconnu que la règle québécoise est sur ce point identique à celle de la common law, je me permettrai de reproduire la phrase suivante du juge Aylesworth de la Cour d'appel de l'Ontario citée par le juge Hall dans The Trustees of the Toronto General Hospital c. Matthews [[1972] R.C.S. 435] (à la p. 439) :

 

[TRADUCTION] Les causes en question, tant ici qu'en Angleterre, montrent clairement, je crois, que la responsabilité de l'hôpital pour les omissions ou actes négligents d'un employé envers un patient dépend surtout des faits particuliers de l'espèce, c'est-à-dire des services que l'hôpital s'engage à fournir et du rapport qui lie le médecin ou chirurgien à l'hôpital.

[pp. 613 et 614]

[Je souligne.]

 

[70]      En outre, c’est dans Curley que le juge Mignault, après avoir constaté que plusieurs juges de la Cour d'appel avaient « assimilé notre droit [civil] quant à la responsabilité des maîtres et des commettants, au droit anglais », a fait sa mise en garde contre la tentation « de sortir d'un système juridique pour chercher des précédents dans un autre système ». Ainsi, tant dans Hôpital Notre‑Dame que dans Curley, l'identité des règles n'a été reconnue que pour la responsabilité civile et non pas pour les éléments constitutifs essentiels à l'existence d'un contrat de travail. [...]

 

[...]

[72]      Dans Wiebe Door, le juge MacGuigan a adopté l'approche qu'avait suivie le Conseil privé de Londres — le premier tribunal à énoncer le critère de l'entreprise — dans l'arrêt Montreal Locomotive. Comme le litige dans Montreal Locomotive a pris naissance au Québec, certains ont pu croire que le critère de l’entreprise pouvait être appliqué dans la province de Québec. Deux remarques s’imposent. D’abord, il ne s'agissait nullement dans cette affaire‑là de déterminer la nature d’un contrat de travail régi par le droit du Québec; on avait plutôt à déterminer dans quelle mesure la société Montreal Locomotive était assujettie à des taxes municipales comme « occupant » d'un immeuble. Cette société avait vendu son terrain à la Couronne et s'était engagée à construire une usine et à l'exploiter comme mandataire de la Couronne. Il fallait donc décider dans cette affaire qui était l'occupant et, pour ce faire, on devait établir si Montreal Locomotive exploitait une entreprise pour son propre compte ou pour le compte de la Couronne. D'autre part, pour régler cette question dans Montreal Locomotive, Lord Wright se serait inspiré, selon le juge MacGuigan dans Wiebe Door, d'un article d'un avocat américain. Le Conseil privé n'a donc pas établi de règles régissant le contrat de travail au Québec et n'a même pas utilisé non plus les règles de droit civil en matière contractuelle pour résoudre la question dont il se trouvait saisi.

[73]      En conclusion, depuis l'entrée en vigueur du Code civil en 1994 et de l'article 8.1 LI en 2001, il ne convient plus d'appliquer les décisions de common law, comme Sagaz et Wiebe Door, pour déterminer quels sont les éléments constitutifs essentiels d'un contrat de travail québécois. Il faut plutôt appliquer les dispositions pertinentes du Code civil, qui définissent de façon claire et précise le contrat de travail. [...]

 

[30]    Ayant conclu qu'il était inapproprié d'utiliser des précédents de common law, j'ai par la suite proposé dans le même article la démarche qui devrait être suivie lorsque cette Cour doit appliquer les dispositions du Code civil. Voici le résumé que j'en ai fait :

 

2.4.       RESUME DE L'APPROCHE

 

[124]    En résumé, l'approche suggérée dans la deuxième partie de l'article permet au tribunal de résoudre le litige qu'on lui a présenté, c'est‑à‑dire de conclure à l'existence ou à l'inexistence d'un contrat de travail. C'est au justiciable que revient la tâche de faire la preuve des faits litigieux pour établir son droit à l'annulation ou à la modification de la décision du ministre. Il sera donc opportun de prouver le contrat que les parties ont conclu et d'établir leur intention commune quant à la nature de ce contrat. Si la preuve directe de cette intention n'est pas disponible, le justiciable pourra avoir recours à des indices d'intention.

 

[125]    Il devra ensuite démontrer que les parties ont exécuté le contrat conformément aux stipulations convenues et aux prescriptions du Code civil qui régissent ce contrat. Il devra démontrer que le travail a été fourni, que la rémunération a été versée et que le travail s'est effectué sous la direction ou le contrôle du payeur, s'il veut établir qu'un contrat de travail liait les parties. Si nécessaire, le justiciable pourra avoir recours à un faisceau d'indices comme les indices de subordination (indices de direction ou indices de contrôle). Si, au contraire, il veut établir l'inexistence du contrat de travail, il devra prouver l'absence de lien de subordination en utilisant, au besoin, des indices d'autonomie. Quant au ministre, il aura intérêt à mettre en preuve tous les éléments factuels qui pourraient démontrer la non‑conformité de l'exécution du contrat avec les stipulations de celui‑ci et avec le Code civil.

 

[126]    En dernier ressort, c'est principalement sur la base des faits révélés par la preuve de l'exécution du contrat qu'une décision devra être rendue par la Cour de l'impôt, et cela même si l'intention manifestée par les parties indique le contraire de ce qui se dégage des faits. Si la preuve de l'exécution du contrat en conformité avec les stipulations de celui‑ci et avec le Code civil n'est pas concluante, une décision peut quand même être rendue en fonction de la qualification du contrat par les parties et en fonction de l'intention par elles manifestée lors de l'entente, pour peu que  la preuve soit probante sur ces questions. Si elle ne l'est pas là non plus, alors la sanction sera le rejet de l'appel du justiciable pour preuve insuffisante.

[Je souligne]

 

[31]    J'aimerais reprendre ici certains passages de l'article pour préciser cette approche[20] :

 

2.1.1.    Fardeau de la preuve

 

[76]      La règle de la charge ou du fardeau de la preuve sert à déterminer qui doit prouver devant la Cour de l'impôt les faits pertinents permettant d'établir, dans le cas qui nous intéresse ici, l'existence ou l'absence d'un contrat de travail. Cette règle ne se trouve pas dans la LAE. Toutefois, le paragraphe 104(1) LAE édicte que la Cour a « le pouvoir de décider toute question de fait ou de droit qu'il est nécessaire de décider pour rendre une décision au titre de l'article [...] 103 [...] ». De plus, selon les paragraphes 18.29(1) et 18.15(4) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt (ci-après LCCI), dans les appels interjetés sous le régime de la LAE, la Cour n’est pas liée par les règles de preuve, ce qui signifie que « le législateur a en quelque sorte adopté le principe de l'autonomie de la preuve […] comme il est appliqué par les tribunaux administratifs ». Toutefois, même si la Cour n'est liée par aucune règle de preuve, cela ne signifie pas qu'elle n'en applique aucune. De façon générale, les règles de preuve qu'elle applique s'inspirent d'une philosophie judiciaire marquée de pragmatisme et de souplesse et inspirée des règles de la justice naturelle. En vertu du principe de l'autonomie de la preuve, cependant, la Cour peut certainement recourir par analogie à des règles de preuve qui sont applicables dans les appels entendus devant elle sous d’autres régimes de procédure, notamment la procédure générale.

 

[77]      Ayant constaté l'absence de règle quant au fardeau de la preuve dans la LAE, il convient de regarder les Règles de procédure de la Cour canadienne de l'impôt à l'égard de la Loi sur l'assurance‑emploi (DORS/90‑690, modifiées (ci‑après RPLAE)). Toutefois, les règles de preuve édictées à l’article 25 RPLAE ne traitent pas non plus du fardeau de la preuve. Par contre, la partie I de la Loi sur la preuve au Canada s'applique à toutes les procédures pénales et civiles ainsi qu'à toutes les autres matières de compétence fédérale. L'article 40 de cette loi adopte le principe de complémentarité avec les lois sur la preuve de la province où les procédures sont exercées. Cet article s'énonce ainsi :

 

40. Dans toutes les procédures qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui sont en vigueur dans la province où ces procédures sont exercées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification d'un mandat, d'une sommation, d'une assignation ou d'une autre pièce s'appliquent à ces procédures, sauf la présente loi et les autres lois fédérales.

40. In all proceedings over which Parliament has legislative authority, the laws of evidence in force in the province in which those proceedings are taken, including the laws of proof of service of any warrant, summons, subpoena or other document, subject to this Act and other Acts of Parliament, apply to those proceedings.

[Je souligne.]

 

[78]      Si l'appel du justiciable est exercé au Québec, c'est le régime général de la preuve se trouvant aux articles 2803 et suivants du Code civil qui est applicable. Les articles 2803 et 2804 sont ainsi rédigées :

 

2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

 

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

 

2804.  La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

[Je souligne.]

 

[79]      Le Code civil établit des règles de droit privé qui régissent les rapports des personnes entre elles. Or, ici, il s’agit de relations entre des administrés et l’Administration qui relèvent du domaine du droit administratif, donc du droit public. J’ai conclu dans l’affaire Victoriaville (précitée) que les règles de preuve du Code civil sont applicables dans les appels entendus par la Cour de l'impôt au Québec sous le régime de la procédure générale, que ces appels portent sur une question de droit privé ou de droit public. Il y a lieu d'appliquer l'article 2803 C.c.Q. en l’adaptant au contexte d’un recours introduit en vertu de la LAE. Qu'il s'agisse d'un travailleur, ou bien d'un payeur, qui interjette appel, le droit qu'il exerce devant la Cour est celui d'obtenir l'annulation ou la modification de la décision rendue par le ministre. Selon le premier alinéa de l'article 2803, c'est celui qui veut faire valoir un droit qui doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. En droit administratif, cette règle se justifie d'autant plus que c'est le justiciable qui est généralement le mieux placé pour faire la preuve des faits litigieux. Il s'agit ici de l'application du principe d'équité procédurale.

 

[80]      Il convient de souligner, aux fins de comparaison, que la règle du fardeau de la preuve énoncée à l'article 2803 C.c.Q. correspond à celle appliquée dans les provinces de common law. Ainsi, dans l'arrêt Tignish Auto Parts Inc. c. Canada (M.R.N.), la juge Desjardins de la Cour d'appel fédérale a déclaré que c'est la « requérante, qui en appelle du règlement du ministre [sur l'assurabilité d'un emploi, qui] a le fardeau de prouver sa cause ».

 

[81]      En conclusion, même si la Cour de l'impôt n’est liée par aucune règle de preuve, il est certainement raisonnable de s’attendre à ce que la partie qui exerce un recours devant la Cour ait la charge d’établir les faits justifiant ce recours et à ce qu’elle voie son appel rejeté si elle ne réussit pas à convaincre le juge que ses prétentions sont fondées. Il revient ainsi au justiciable qui désire établir l'existence d'un contrat de travail de mettre en preuve les faits démontrant que les trois éléments constitutifs essentiels à l'existence d'un tel contrat sont réunis. Si, au contraire, le justiciable veut faire la preuve de l’absence d’un contrat de travail, il devra établir qu'au moins un des trois éléments constitutifs du contrat de travail est absent. Le plus souvent, il s'agira de démontrer l'absence du lien de subordination. Bien évidemment, cette preuve pourrait être faite également en présentant une preuve démontrant que tous les éléments essentiels à l'existence d'un contrat de service sont réunis. Rappelons, toutefois, que l'un de ces éléments est l'exécution du contrat sans lien de subordination (art. 2099 C.c.Q.). Ici également, si le justiciable ne présente pas une preuve suffisante, il verra son appel rejeté.

 

2.1.2.    Preuve par présomption de fait

 

[82]      L'article 2811 C.c.Q. édicte que la « preuve d'un acte juridique ou d'un fait peut être établie par écrit, par témoignage, par présomption, par aveu ou par la présentation d'un élément matériel ». Il n'est pas nécessaire d'étudier ici chacun de ces cinq moyens de preuve. Par contre, il conviendrait d'analyser la preuve par présomption de fait, puisque cette méthode de preuve est d'une grande utilité pour établir l'existence d'un contrat de travail. Comme on le verra plus loin, la preuve du contrat lui‑même, de l'acte juridique, pourra être faite par preuve directe, à savoir par la production du document qui le constate, ou sinon, par la preuve testimoniale de ce que les parties ont convenu au moment de conclure leur entente. La preuve directe de la prestation de travail fournie par le salarié et du salaire versé par l'employeur pourra être faite de la même manière, c'est‑à‑dire par écrit ou par témoignage. Quant au lien de subordination, soit le revers du pouvoir de direction ou de contrôle, une preuve directe pourra être faite si ce pouvoir a été exercé ou s’il est stipulé au contrat. Dans les cas où il n'a été ni exercé ni stipulé, ou n’a été exercé que dans une faible mesure, on doit faire la preuve de l'existence de ce « pouvoir » de direction ou de contrôle, c'est‑à‑dire établir un fait non apparent ou inconnu, ce qui nécessite une preuve indirecte ou indiciaire. C'est ce que le Code civil appelle preuve par présomption de fait. La même approche pourrait d'ailleurs s'avérer nécessaire si les parties n'ont pas manifesté dans leur entente leur intention quant à la nature du contrat.

 

[83]      Paraphrasant le texte de l'art. 2846 C.c.Q., le professeur Ducharme décrit ce moyen de preuve comme « un processus intellectuel par lequel, de l'existence de faits connus, on induit l'existence d'un fait inconnu ». Voici d'ailleurs l'analyse qu'il fait dans son ouvrage :

 

Par. I — L'analyse de la présomption de fait

 

599.     Si nous décomposons le processus par lequel le juge passe de faits connus à un fait inconnu, on s'aperçoit que cette induction comprend trois étapes différentes. Premièrement, l'établissement des faits connus ou la recherche des indices; deuxièmement, l'intervention d'un principe qui sert de lien entre les faits connus et celui qu'on recherche; et enfin, le terme de l'induction qui est la certitude plus ou moins grande du fait induit. Nous allons analyser chacune de ces étapes brièvement.

 

A — La recherche des indices

 

600.     Tout fait ou acte, pourvu qu'il soit valablement établi devant le tribunal, peut servir d'indice. Aucune règle précise ne peut donc être formulée quant à la nature des faits susceptibles de servir de base à une induction, si ce n'est que les faits doivent être graves, précis et concordants comme l'affirment l'article 2849 C.c.Q. ainsi qu'une jurisprudence constante.

 

601.     Que faut-il entendre par cette expression? À notre avis, elle veut simplement dire que les faits connus doivent être tels qu'ils rendent au moins probable l'existence du fait qu'on veut en induire. Si les faits connus sont aussi compatibles avec l'existence que la non‑existence de ce fait, ils ne peuvent servir de fondement à une présomption et l'on dira alors qu'ils ne sont pas suffisamment graves, précis et concordants. Il faut bien remarquer qu'une simple probabilité est suffisante et qu'il n'est pas nécessaire que la présomption soit tellement forte qu'elle exclue toute autre possibilité. Nous étudierons plus loin le problème de la recevabilité des procédés de preuve pour prouver les indices.

 

B — L'intervention d'un principe

 

602.     Les indices en eux‑mêmes ne prouvent rien; leur valeur repose sur l'interprétation qu'on en donnera, et c'est au moyen d'un principe tiré de la science, de la psychologie, de la physiologie, etc., qu'on pourra les interpréter.

 

603.     Le principe de causalité joue un très grand rôle en ce qui concerne les présomptions. Suivant ce principe, on sait qu'il n'y a pas d'effet sans cause; en partant d'un effet, il est donc possible de remonter à la cause qui l'a produit. Ainsi, dans une affaire particulière, le tribunal a présumé que des moutons avaient été tués par des chiens errants, à partir de la nature des blessures qui leur avaient été infligées. Le principe de causalité permet dans d'autres cas de voir dans un certain fait la cause d'un autre événement, de désigner, par exemple, comme cause d'un incendie, les vapeurs de pesticide qui avaient été répandues dans un immeuble quelques heures auparavant.

[Je souligne.]

 

[84]      C'est donc par l'analyse et la pondération d'une série d'indices factuels qu’il sera possible de conclure à l'existence ou à l'absence de faits non apparents ou non manifestés, comme le pouvoir de direction ou de contrôle ou encore l'intention des parties quant à la nature du contrat.

 

2.2.       PREUVE DU CONTRAT DE TRAVAIL ET DE L'INTENTION DES PARTIES

 

[85]      Pour les raisons exposées plus loin, la preuve qu'un justiciable doit présenter dans le cadre de son appel devant la Cour se rapportera à deux questions bien distinctes : i) l'existence de l'acte juridique lui‑même, à savoir le contrat de travail, et l'intention des parties quant à la nature de ce contrat, et ii) l'exécution du contrat. En ce qui concerne la première question, le moment à retenir est celui où les parties en sont venues à une entente ou celui où ils l’ont modifiée par la suite. À l'égard de la deuxième question, on tient compte de toute la période durant laquelle a été exécuté le contrat, tout en accordant une plus grande importance à la période visée par la décision du ministre dont il est fait appel.

 

[86]      Être salarié ne constitue pas une simple relation existant entre un payeur et un travailleur. Il s'agit plutôt d'une relation contractuelle, laquelle nécessite un « accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation » (art. 1378 C.c.Q.). Il est donc important de faire la preuve de cet accord et de ses modalités quant au travail et à la rémunération, et de préciser quelle était l'intention des parties en ce qui concerne la nature de cet accord.

 

[87]      Il convient de rappeler que le contrat de travail est assujetti aux dispositions générales du Code civil ayant trait au contrat (article 1377 et s.). Ainsi, un contrat de travail est soumis aux conditions de formation d'un contrat, dont celles de l'échange de consentement, de la cause et de l'objet (article 1385 C.c.Q. et s.).

 

[88]      Parmi les dispositions d'application générale, celles portant sur l'interprétation du contrat sont d'un intérêt certain. Paraissent les plus pertinentes les suivantes :

 

1425.  Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.

 

1426.  On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

 

1427.  Les clauses s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble du contrat.

 

[...]

 

1431.  Les clauses d'un contrat, même si elles sont énoncées en termes généraux, comprennent seulement ce sur quoi il paraît que les parties se sont proposé de contracter.

 

1432.  Dans le doute, le contrat s'interprète en faveur de celui qui a contracté l'obligation et contre celui qui l'a stipulée. Dans tous les cas, il s'interprète en faveur de l'adhérent ou du consommateur.

 

[Je souligne.]

 

[89]      La preuve de l'intention que les parties avaient lorsqu'elles ont conclu l'entente pourrait se révéler d'une grande importance dans un appel si les faits se rapportant aux éléments constitutifs essentiels ne sont pas clairs. Dans Wolf, précité (note 30), le juge Décary a écrit :

 

[117]    Le critère consiste donc à se demander, en examinant l'ensemble de la relation entre les parties, s'il y a contrôle d'un côté et subordination de l'autre. Je dirai, avec le plus grand respect, que les tribunaux, dans leur propension à créer des catégories juridiques artificielles, ont parfois tendance à ne pas tenir compte du facteur même qui est l'essence d'une relation contractuelle, à savoir l'intention des parties. L'article 1425 du Code civil du Québec établit le principe selon lequel « on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés ». L'article 1426 du Code civil du Québec poursuit en disant : « [o]n tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages ».

 

[...]

 

[119]    Les contribuables peuvent organiser leurs affaires de la façon légale qu'ils désirent. Personne n'a laissé entendre que M. Wolf, Canadair ou Kirk-Mayer ne sont pas ce qu'ils disent être ou qu'ils ont arrangé leurs affaires de façon à tromper les autorités fiscales ou qui que ce soit. Lorsqu'un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu'il est exécuté comme tel, l'intention commune des parties est claire et l'examen devrait s'arrêter là. [...]

[Je souligne.]

 

[90]      Dans le même arrêt, le juge Noël dit :

 

[122]    [...] À mon avis, il s'agit d'un cas où la qualification que les parties ont donnée à leur relation devrait se voir accorder un grand poids.  Je reconnais que la façon dont les parties décident de décrire leur relation n'est pas habituellement déterminante, en particulier lorsque les critères juridiques applicables pointent dans l'autre direction. Mais, dans une issue serrée comme en l'espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l'intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la  relation ne peuvent pas être laissées de côté.

[Je souligne.]

 

2.2.1.    Intention exprimée lors de l'entente

 

[91]      Le Code civil n'édicte aucune règle de forme pour le contrat de travail. Il peut être écrit ou verbal. Bien évidemment, si une entente écrite existe, cela facilitera la tâche au justiciable. Un contrat bien rédigé révélera clairement l'intention des parties quant à la nature de l'entente qu'elles ont conclue. Il s'agit là d'une preuve directe d'un des faits litigieux. Cette intention pourra découler de la description du contrat, notamment comme un « contrat de travail » ou un « contrat d'emploi », et des stipulations du contrat. En particulier, le contrat pourrait stipuler que le travailleur fournira un travail sous la direction ou le contrôle de l'employeur. Dans un tel cas, il sera aisé de conclure que les parties contractantes avaient l'intention de former un contrat de travail. Si, au contraire, les parties ont qualifié leur contrat de « contrat de service » et qu'elles ont stipulé que le travailleur rend ses services à titre de « travailleur autonome » ou à titre d'« entrepreneur indépendant » ou de « sous‑entrepreneur indépendant », ou encore qu'il n'existe aucun lien d'emploi entre le payeur et le travailleur, alors on pourra conclure qu'elles avaient l'intention de former un contrat de service. Même si on ne trouve pas dans l'entente écrite des expressions aussi claires que celles‑là, l'intention des parties pourrait quand même ressortir de l'ensemble des termes utilisés dans l'entente.

 

[92]      S'il n'y a pas d'entente écrite ou si le document est incomplet, on peut offrir, à l'audience, une preuve testimoniale quant à l'intention que les parties ont manifestée lors de leur entente verbale, même s'il ne s'agit pas là de la meilleure preuve. Le problème qui se pose dans le cas de la preuve testimoniale, c'est la mémoire défaillante des parties contractantes et le risque qu'elles n'aient pas le même souvenir de ce qui a été convenu. S'il y a preuve contradictoire, le juge devra évaluer la crédibilité des témoignages.

 

2.2.2.    Intention implicite découlant de la conduite des parties (indices d'intention)

 

[93]      Si les parties n'ont pas manifesté dans un contrat écrit ou verbal leur intention, cette intention pourrait être faite de façon indirecte ou indiciaire par une preuve détaillée de leur conduite. Par exemple, si le payeur inscrit le nom du travailleur dans son registre de paie, s'il lui remet un bulletin de paie, s'il effectue sur la rémunération du travailleur des retenues d'impôt à la source et remplit un feuillet de renseignements T4, si le payeur verse des cotisations à certains régimes d'avantages sociaux qu'il a mis en place (tel un régime de pension ou un régime d'assurance‑maladie) ou à des régimes publics (comme le régime d'assurance‑emploi et le régime de rentes du Québec), ou si le payeur rémunère le travailleur durant ses périodes de vacances et ses congés de maladie, on pourrait en déduire que le payeur avait l’intention de conclure un contrat de travail.

 

[94]      Les indices d'intention pour le contrat de service sont le revers de ceux mentionnés pour le contrat de travail. L'absence des éléments énumérés au paragraphe précédent pourrait donc révéler une intention de conclure un contrat de service.

 

[95]      Si un travailleur inscrit la rémunération de son travail comme un revenu d'emploi dans ses déclarations de revenus, s'il remplit une demande d'adhésion à un régime privé de pension établi pour les employés du payeur, on pourra également en déduire que le travailleur avait l’intention de conclure un contrat de travail. S'il déclare plutôt ses revenus comme des revenus d'entreprise, s'il se décrit comme un consultant indépendant sur sa carte professionnelle ou se présente aux autres marchands comme le propriétaire du commerce, s'il immatricule son entreprise chez l'inspecteur général des institutions financières, s'il s'inscrit auprès des autorités fiscales aux fins de la TPS et de la TVQ, s'il facture pour ses services des honoraires auxquels il a ajouté la TPS/TVQ, s'il paie la taxe d'affaires, s'il accepte d'être tenu responsable des dommages causés dans l'exécution de son contrat, s'il cotise à sa propre caisse de retraite ou au régime de rentes du Québec comme travailleur autonome, on pourrait croire qu'il se considère comme un prestataire de services (travailleur autonome).

 

[96]      En quelque sorte, tout comportement correspondant généralement à celui d'un employeur ou d'un employé pourrait constituer un indice quant à l'intention des parties concernant la nature du contrat qu'ils ont conclu. C'est pourquoi on pourrait désigner ces indices comme des indices d'intention. Toutefois, il importe de souligner qu'ils ne révèlent pas nécessairement que le payeur avait le pouvoir d'exercer une direction ou un contrôle sur le travail du travailleur, encore moins qu’un tel pouvoir a effectivement été exercé.

 

2.3.       PREUVE DE L'EXÉCUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL

 

[97]      Même si les parties contractantes ont manifesté leur intention dans leur contrat écrit ou verbal ou qu'une telle intention peut être induite de leur comportement, cela ne signifie pas que les tribunaux vont nécessairement considérer ce fait comme décisif. Comme l'indique le juge Décary dans l'arrêt Wolf précité, il faut que le contrat soit exécuté conformément à cette intention. Ainsi, ce n'est pas parce que les parties ont appelé leur contrat un « contrat de service » et qu'elles ont stipulé que le travail sera exécuté par un « travailleur autonome » et qu'il n'existe pas de relation employeur‑employé, qu'il s'agit nécessairement d'un contrat de service. Le contrat pourrait correspondre à un contrat de travail. Tel que l'édicte l'article 1425 C.c.Q., on doit rechercher quelle est la véritable commune intention des parties et non pas s'arrêter au sens littéral des termes utilisés dans le contrat. Les tribunaux doivent également vérifier la conformité de la conduite des parties avec les prescriptions législatives relatives aux contrats. Voici ce qu'écrit Robert P. Gagnon :

 

91 — Appréciation factuelle — La subordination se vérifie dans les faits. À cet égard, la jurisprudence s'est toujours refusée à retenir la qualification donnée au contrat par les parties :

 

Dans le contrat, le distributeur reconnaît lui‑même qu'il agit à son compte à titre d'entrepreneur indépendant. Il n'y aura pas lieu de revenir sur ce point, puisque cela ne changerait rien à la réalité; d'ailleurs ce que l'on prétend être est souvent ce que l'on n'est pas.

 

[Je souligne.]

 

[98]      Dans l'affaire D & J Driveway, le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale écrit :

2          Nous reconnaissons d'emblée que la stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n'est pas nécessairement déterminante et que la cour chargée d'examiner cette question peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : Dynamex Canada inc. c. Canada, (2003), 305 N.R. 295 (C.A.F.). Mais cette stipulation ou l'interrogatoire des parties sur la question peuvent s'avérer un instrument utile d'interprétation de la nature du contrat intervenu entre les participants.

[Je souligne.]

 

[99]      Les juges peuvent donc requalifier le contrat pour que sa dénomination corresponde à la réalité. En France, la requalification du contrat résulte de l'application du principe de la réalité. La Cour de cassation adopte une approche semblable à celle suivie au Canada :

 

Attendu que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs; [...]

 

[100]    À mon avis, cette vérification de la conformité est nécessaire en matière d'interprétation de contrats de travail, puisqu'il peut y avoir intérêt à maquiller la nature véritable d'une relation contractuelle entre un payeur et un travailleur. L'expérience révèle en effet qu'il arrive que des employeurs, désirant diminuer leurs charges fiscales à l'égard de leurs salariés, décident de les traiter comme des travailleurs autonomes. Cette décision peut intervenir tant au début de la relation contractuelle que par la suite. Pareillement, certains salariés pourraient avoir intérêt à maquiller leur contrat de travail en contrat de service parce que les circonstances sont telles qu'ils ne prévoient pas avoir besoin de prestations d'assurance‑emploi et qu'ils désirent éliminer leurs cotisations d'employé au régime d'assurance‑emploi, ou encore parce qu'ils veulent avoir plus de latitude pour déduire certaines dépenses aux fins du calcul de leur revenu en vertu de la Loi de l’impôt.

 

[101]    Comme la LAE, de façon générale, n'autorise le versement de prestations d'assurance‑emploi qu'aux salariés qui perdent leur emploi, la vigilance des tribunaux est requise pour démasquer les faux travailleurs autonomes. Les tribunaux doivent également s’assurer que la caisse de l'assurance‑emploi, d'où sont tirées ces prestations, reçoit les cotisations de tous ceux qui y sont tenus, y compris les faux autonomes et leurs employeurs.

 

[102]    La nécessité de prouver l'exécution du contrat existe non seulement dans les cas où les parties ont manifesté expressément ou implicitement leur intention d'adopter l'un ou l'autre du contrat de travail et du contrat de service, mais aussi dans tous les cas où la preuve de cette intention est insuffisante ou absente. Cette preuve de l'exécution du contrat porte sur les trois éléments constitutifs essentiels à l'existence du contrat de travail. Généralement, la preuve des deux premiers éléments (le travail et la rémunération) ne fera pas trop problème, puisqu'il s'agit de faits matériels relativement faciles à établir. Faire la preuve du lien de subordination juridique, à savoir le pouvoir de direction ou de contrôle qu'a exercé ou aurait pu exercer un employeur, constitue, par contre, une tâche très délicate. Elle sera d'autant plus délicate que l'employeur aura exercé peu ou point de direction ou de contrôle.

 

2.3.1.    Preuve directe du pouvoir de direction ou de contrôle

 

[103]    La meilleure preuve sera la preuve directe de faits établissant que le travail s'est réellement effectué sous la direction et le contrôle du payeur. Cette preuve pourra être faite par des documents ou témoignages révélant des directives précises données au travailleur non seulement sur le travail à accomplir (le « quoi »), mais aussi sur la manière de le faire (le « comment »), l'endroit où il doit être exécuté (le « où »), et le moment où il doit être effectué et dans quel délai (le « quand »). À ces faits, pourront s'ajouter ceux démontrant que le payeur a supervisé le travail, notamment en exigeant que le travailleur rende des comptes régulièrement, en remplissant régulièrement des fiches d'évaluation du travail accompli par le travailleur, en rencontrant celui‑ci pour lui communiquer les résultats de l'évaluation et, peut‑être, en le sanctionnant. Avec l'ensemble de tels éléments de preuve, il pourrait être relativement facile de conclure à l'existence d'un lien de subordination.

 

[104]    Comme exemple d'un travail où un travailleur reçoit en grand nombre des directives sur le « quoi », le « comment », le « où » et le « quand » et où l'exécution personnelle du travail (le « qui ») a son importance, on peut penser au cas des acteurs et comédiens engagés par une troupe de théâtre ou une maison de production cinématographique. De façon générale, leur travail est effectué sous la direction et le contrôle d'un réalisateur ou metteur en scène. Comme le contrat de travail peut être pour une durée déterminée et qu'il est « essentiellement temporaire », rien ne s'oppose à ce que l'emploi ne dure que quelques semaines (2086 C.c.Q.).

 

[105]    Une autre preuve directe de l'exercice du pouvoir de direction d'un employeur pourrait être celle établissant que le payeur forme le travailleur, à moins que la formation ne porte que sur la connaissance des produits à vendre. L'imposition de règles de conduite ou de comportement constitue aussi une preuve directe, sauf si les règles correspondent à des normes applicables peu importe le statut du travailleur, notamment des normes légales.

 

2.3.2.    Preuve indiciaire du pouvoir de direction ou de contrôle (indices de subordination)

 

[106]    Il faut rappeler que ce qui est la marque du contrat de travail, ce n'est pas le fait que la direction ou le contrôle a été exercé effectivement par l'employeur, mais le fait que l'employeur avait le pouvoir de les exercer. Dans des circonstances où l'employeur n'a pas exercé de façon régulière son pouvoir de direction ou de contrôle, il n'est pas aisé de faire la preuve de ce « pouvoir ». Ce n'est donc pas étonnant que, pour résoudre ce problème, les tribunaux de common law ont opté pour des critères autres que celui du contrôle. Par contre, au Québec, les tribunaux n'ont pas cette latitude. Ils doivent conclure à l'existence ou à l'absence du lien de subordination pour qualifier une entente soit de contrat de travail ou de contrat de service. Il faut donc avoir recours au moyen de la preuve par présomption de fait, soit celui de la preuve indirecte ou indiciaire.

 

[107]    Dans le choix et la pondération des indices, on doit avoir présentes à l'esprit les dispositions du Code civil elles‑mêmes qui distinguent le contrat de travail du contrat de service. La question qu'il faut se poser est la suivante : est‑ce qu'un fait indiciaire rend probable l'existence d'un pouvoir de direction ou de contrôle ou, au contraire, rend‑il probable l’autonomie du travailleur dans l’exécution du contrat? Ce qui suit ne constitue qu'une liste bien partielle d'indices, qui pourra être modifiée et complétée. L'utilité, la pertinence et la valeur probante (faits « graves, précis et concordants » ) de ces indices et de ceux qu'on pourra y ajouter devront être appréciées selon les circonstances particulières de chaque cas.

 

[108]    Avant de proposer ou commenter des indices qui pourraient se révéler utiles, il convient de rappeler ceux décrits dans la doctrine, tout d'abord, ceux suggérés par Robert P. Gagnon, au paragraphe 92 de son ouvrage précité :

 

[...] En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise.

[Je souligne.]

 

[32]    Dans l'article sur Wiebe Door, je décris les indices utilisés par la doctrine française (par. 109) et par la jurisprudence canadienne et québécoise (par. 110 et s.). Il y en a qui sont indicatifs du pouvoir de direction ou de contrôle sur le quoi, le comment, le où et le quand, que je ne reproduirai pas ici. Par contre, je crois utile de reproduire les observations sur l'indice d'intégration[21] :

 

•           Le degré d'intégration dans les activités du payeur

 

[111]    Tous les indices que nous venons d'analyser séparément pourraient révéler, examinés ensemble, un degré élevé d'intégration du travailleur dans les activités du payeur. Il s'agit là d'une approche légèrement différente de celle décrite plus haut. On cherche non pas des indices de l'exercice d'un pouvoir de direction ou de contrôle mais plutôt des indices qui révèlent que le travail du travailleur s'intègre dans une large mesure dans les activités du payeur. Cette intégration pourrait toutefois constituer en elle‑même un indice de subordination. C'est la raison pour laquelle elle est abordée séparément ici.

 

[112]    Toutefois, une remarque préliminaire s’impose. Pour déterminer s’il y a intégration, la question n’est pas de savoir si le travail du travailleur est nécessaire pour l’entreprise du payeur. Si le payeur a retenu les services du travailleur, c’est généralement parce qu’il en avait besoin. La réponse à cette question n’est donc pas utile. Il faut plutôt se demander dans quelle mesure le travail s’intègre réellement dans les activités du payeur. Prenons l’exemple d’un dentiste (un peu comme dans l’affaire Dr Denis Paquette) qui travaillerait 35 heures par semaine à longueur d’année dans une clinique dentaire, en fonction des heures d’ouverture normales de la clinique, qui utiliserait les services d’une assistante et tout l’équipement fournis par la clinique et qui facturerait ses honoraires aux patients à des taux correspondant à ceux fixés au barème de la clinique. Et comparons cette situation à celle du plombier appelé à venir réparer un robinet à cette clinique. Manifestement, même si le travail de chacun de ces travailleurs est nécessaire à la clinique, le dentiste est intégré dans la clinique alors que le plombier ne l’est pas.

 

[113]    Dans leurs textes précités, les auteurs québécois Bich et Gagnon parlent de l’intégration du travail du salarié ou du travailleur dans l’entreprise de l’employeur, la première, lorsqu’elle écrit que « l'activité du salarié s'intègre au cadre tracé par l'employeur et s'effectue au bénéfice de celui‑ci », et le deuxième, en affirmant que « le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail ».

 

i)          La nature du travail

 

[114]    Le fait que le travailleur occupe un poste hiérarchique dans l’entreprise du payeur, par exemple, le fait d’être le directeur général ou le directeur des ventes, constitue un indice d’intégration dans l’entreprise et un indice de subordination.

 

ii)         Le nombre d'heures et de payeurs

 

[115]    Si un travailleur consacre à un seul payeur 35 ou 40 heures de travail par semaine à longueur d’année — comme dans l’exemple précédent du dentiste —, on pourra croire que ce travailleur est intégré à l’entreprise du payeur et est soumis au droit de direction et de contrôle du payeur. Cette conclusion s'imposera davantage si le payeur a droit à l'exclusivité des services du travailleur. Par contre, si le travailleur effectue son travail auprès de plusieurs payeurs, comme c'est le cas notamment d'une aide‑ménagère qui fait l'entretien de résidences privées, il sera plus facile de conclure à son autonomie et à l'absence du lien de subordination essentiel à l'existence d'un contrat de travail. Mais le fait de pouvoir travailler pour d'autres payeurs ne signifie pas nécessairement qu'il y a absence de lien de subordination; il est possible d'avoir plus d'un emploi.

 

iii)         Le lieu du travail

 

[116]    Le pouvoir de déterminer et de contrôler le lieu d'exécution du travail (le « où ») a déjà été traité plus haut. S'il n'y a pas de preuve établissant que ce pouvoir a été exercé, le fait que le travail s'effectuait à l’établissement du payeur pourrait être indicateur de l'intégration du travail du travailleur dans l'entreprise du payeur et, par conséquent, constituer un indice du pouvoir de direction ou de contrôle. Par exemple, le travail de couturières effectué à l'établissement du payeur serait certainement indicateur de l'existence d'un lien de subordination alors que celui effectué au domicile des couturières pourrait être indicateur de l'autonomie de ces travailleuses.

 

[117]    Bien évidemment, certaines tâches nécessitent que le travail soit effectué à l'extérieur de l'établissement du payeur. On peut penser, à titre d'exemples, aux conducteurs de camion ainsi qu'aux représentants commerciaux. La pertinence du lieu du travail est donc sensiblement plus importante dans le cas du travail qui peut normalement être effectué à l'établissement du payeur mais qui ne l'est pas.

 

iv)        Fourniture du matériel, de l'équipement et du personnel et remboursement des dépenses

 

[118]    Le fait que le payeur fournisse au travailleur tout le matériel, tout l'équipement et toutes les autres choses nécessaires à l'accomplissement du travail (comme le personnel) ou lui rembourse des dépenses de travail peut constituer un élément de plus révélant l'intégration du travailleur dans l'entreprise du payeur.

 

v)         Étendue du pouvoir décisionnel du travailleur

 

[119]    De cet élément aussi, il a déjà été traité plus haut, au paragraphe 110. Il faut toutefois souligner que l'étendue limitée de son pouvoir décisionnel pourrait révéler également un certain degré d'intégration du travailleur dans l'entreprise du payeur.

 

vi)        Propriété du résultat du travail accompli par le travailleur

 

[120]    D'autres indices de l'intégration du travailleur dans l'entreprise du payeur et, par conséquent, de l'existence d'un pouvoir de direction ou de contrôle sont les faits suivants :

 

Ø                  la clientèle servie par le travailleur est celle du payeur;

Ø                  le payeur s'occupe de la perception des comptes;

Ø                  le payeur détient la propriété intellectuelle du résultat des recherches du travailleur.

 

[33]    Voilà l'approche que j'entends suivre dans cet appel. Donc, il faut d'abord déterminer quel a été l'accord entre madame Boucher et l'Hôpital et quelle était leur intention quant à la nature de cet accord.

 

Preuve du contrat et de l'intention des parties contractantes

 

[34]    L'Entente décrit le travail que devait fournir madame Boucher et le montant de la rémunération pour ce travail, qui ne devait pas excéder 14 500 $ pour la période visée. Le mode de calcul du taux horaire n'apparaît pas dans cette entente, mais il a été établi par preuve testimoniale : il n'y a pas de désaccord là‑dessus entre les parties à cet appel. L'Entente est également déficiente en ce qu'elle ne précise pas l'intention des parties quant à la nature du contrat, à savoir s'il s'agissait d'un contrat de travail ou d'un contrat de service. Les parties n'ont pas qualifié leur entente écrite de contrat de service ou de contrat de travail, mais l'ont simplement appelée une entente. Elles n'ont pas spécifiée non plus si madame Boucher rendait ses services comme travailleuse indépendante ou autonome ou si le travail devait plutôt s'effectuer sous la direction ou le contrôle de l'Hôpital, comme cela est précisé à la clause 1 du Projet no 1.

 

[35]    Tel que l'a reconnu la procureure de l'intimé, le libellé de l'Entente elle‑même n'est pas incompatible avec l'existence d'un contrat de service. Compte tenu de l'absence de certains mots clés, un juriste qui s'y connaît pourrait même conclure à l’existence d’un tel contrat. Par exemple, les mots « employé » ou « salarié » ne se trouvent pas dans l'Entente, contrairement à ce qui est le cas du Projet no 1 où les mots « employé » et « emploi » sont utilisés une quinzaine de fois sur une seule page. De plus, on a, selon toute vraisemblance, utilisé à dessein l'expression « individu de liaison » plutôt que d'employer les termes « superviseur » « supérieur » ou « chef de service », comme l'Hôpital l'a fait dans sa lettre de reproche. Par contre, l'utilisation du mot « clientèles » est plutôt neutre puisqu'on la retrouve également dans le Projet no 1 (un contrat de travail). L'élément le plus probant (sans être nécessairement concluant) quant à la qualification de l'Entente comme un contrat de service est probablement la stipulation que madame Boucher « s'engage à desservir les clientèles [...] selon ses disponibilités et les besoins de la clientèle ». On pourrait voir là un indice d'autonomie. On peut, cependant, l'interpréter d'une autre manière. Une orthophoniste ne pouvait combler à elle seule tous les besoins des onze Centres. Cette stipulation pouvait donc vouloir dire qu'elle devait faire de son mieux dans les circonstances.

 

[36]    Bref, il s'agit d'une entente qui n'exprime pas clairement l'intention des parties contractantes quant à sa nature. Tout au plus peut‑on affirmer que ses stipulations ne sont pas incompatibles avec l'existence d'un contrat de service. Il faut alors vérifier, en se référant à leur témoignage, quelle était l'intention commune des parties. Or, la preuve que j'ai entendue révèle un manque d'intention commune chez les deux parties contractantes. En effet, la preuve sur l'intention des parties est contradictoire.

 

L'intention de l'Hôpital

 

[37]    D'une part, selon le témoignage des deux représentantes de l'Hôpital, l'Entente constitue un contrat de service. L'Hôpital a engagé une professionnelle pour l'aider à exécuter le mandat que la Régie lui avait confié. Le travail de madame Boucher devait être exécuté sans supervision. Étant une professionnelle, elle savait ce qu'elle avait à faire. C'est elle qui devait décider de son horaire, des Centres qu'elle devait visiter et des patients qu'elle devait traiter, en utilisant la liste fournie par la Régie. D'ailleurs, les représentantes n'ont fait aucune visite des Centres et aucune vérification n'a été faite par téléphone non plus. En outre, l'Hôpital n'avait pas accès aux dossiers de ces Centres.

 

[38]    La supervision exercée par l'Hôpital s'est résumée à un contrôle financier, de façon à ce que la rémunération de madame Boucher ne dépasse pas l'allocation budgétaire que la Régie accordait à l'Hôpital pour le service externe. Il n'était pas nécessaire que les rapports fournis par madame Boucher à l'Hôpital contiennent une description détaillée des services rendus. Ce qui intéressait l'Hôpital, c'était surtout le nombre de patients dont elle s'occupait et le nombre d'heures qu'elle consacrait à la prestation de ses services et non pas le détail du traitement clinique.

 

[39]    Le fait que l'Hôpital n'a retenu à la source aucun impôt à payer par madame Boucher est conforme au comportement d'une personne qui verse des honoraires à un prestataire de services et non pas un salaire à un salarié, tout comme l'est aussi le fait de verser la rétribution sur présentation d’une note d’honoraires[22]. À cela s'ajoute le fait que l'Hôpital n'a pas rempli de feuillets de renseignements T4 pour madame Boucher.

 

[40]    Toutefois, il existe d'autres faits qui soulèvent un doute quant à l'intention véritable de l'Hôpital. Contrairement à ce qui est stipulé au contrat, madame Boucher n'a pas obtenu elle‑même la couverture d'assurance responsabilité professionnelle; c'est plutôt l'Hôpital qui lui fait bénéficier de l'assurance du réseau d'établissements hospitaliers. Normalement, un prestataire de services est responsable de ses actes et c'est lui qui doit s'assurer lui‑même contre le risque financier que peuvent comporter ceux‑ci. Par contre, un employeur est responsable, vis‑à‑vis de ses clients, des actes de ses salariés, et un tel employeur a intérêt à s'assurer contre ce risque. Or, c'est ce qu'a fait l'Hôpital.

 

[41]    Un autre fait qui soulève un doute est la lettre dans laquelle l'Hôpital informe madame Boucher du plaisir qu'on aurait de la compter « parmi notre équipe », ce qui laisse entendre que madame Boucher s'intégrait au personnel de l'Hôpital.

 

[42]    Quoique cela ne soit pas décisif, on a calculé la rémunération de madame Boucher par rapport aux salaires versés à des salariés. Le fait qu'on y a ajouté 35 % pour tenir compte des avantages sociaux est un autre indice. Comme le mentionnait la procureure de l'intimé, il n'est pas courant qu'un client offre des avantages sociaux à ses fournisseurs.

 

[43]    Un autre aspect de la conduite de l'Hôpital qui m'apparaît inconciliable avec l'intention d'avoir un contrat de service, c'est non seulement d'avoir payé des cours de formation pour madame Boucher (comme d'ailleurs pour les autres orthophonistes, salariés de l'Hôpital), mais également de lui avoir versé une rémunération pour le temps durant lequel elle participait à ces cours. Je ne connais pas beaucoup de clients qui paient pour la formation de leurs prestataires de services. Normalement, on engage des gens qui ont la compétence nécessaire pour fournir les services voulus.

 

[44]    Un dernier élément qui permet de douter de l'intention de l'Hôpital est le fait que certains cadres de l'Hôpital ont même jugé bon de régulariser la situation de madame Boucher en décidant de lui proposer un contrat de travail (Projet no 1). On peut facilement imaginer qu'ils ont pu être préoccupés par le risque que l'Hôpital puisse être pénalisé pour son omission de retenir à la source l'impôt de madame Boucher et de verser les cotisations sociales (dont les cotisations à l'assurance‑emploi).

 

L'intention de madame Boucher

 

[45]    D'autre part, selon son témoignage, madame Boucher s'est toujours considérée comme une salariée engagée en vertu d'un contrat de travail. C'est ce qu'elle croyait avoir signé. D'ailleurs, elle se trouvait à remplacer un orthophoniste salarié qui travaillait dans le service externe. C'est lui qui l'a aidée à prendre sa relève auprès des patients des Centres. C'est pour cette raison, en fait, qu'elle a demandé qu'on lui fournisse un feuillet de renseignements T4. On pourrait être tenté de lui reprocher d'avoir permis qu'on lui verse sa rémunération sans retenues à la source, ce qui pourrait laisser croire qu'elle agissait comme prestataire de services. Il faut par contre constater qu'il s'agissait de son premier travail après ses études universitaires.

 

Preuve de l'exécution du contrat

 

Preuve directe du lien de subordination

 

[46]    Compte tenu de la preuve contradictoire quant à l'intention des parties, il faut vérifier de quelle façon le contrat de madame Boucher a été exécuté. L'Hôpital a‑t‑il exercé un pouvoir de direction ou de contrôle sur madame Boucher ou, à tout le moins, avait‑il ce pouvoir?

 

[47]    Avant de répondre à ces questions, il est utile de décrire ici trois hypothèses différentes pour ce qui est des types de contrats que les parties auraient pu conclure, lesquelles pourraient, selon moi, expliquer les contradictions dans la preuve. Comme je l'ai mentionné au cours des plaidoiries, il me semble que l'on peut qualifier l'Entente de trois façons différentes. Il pourrait s'agir d'un contrat de travail que je qualifierais de « contrat de travail pour permanents », soit celui qui accorde aux salariés la permanence ainsi que toute une gamme d'avantages sociaux. Dans ce cas, on verse un salaire horaire selon le barème, qui comporte plusieurs échelons, mais sans majoration de 35 %.

 

[48]    Le deuxième type de contrat qui aurait pu avoir été négocié ici est également un contrat de travail, mais c'en est un que je qualifierais de « contrat de travail pour contractuels ». Il est de connaissance judiciaire que c'est le type de contrat que privilégient les gouvernements et les organismes paragouvernementaux lorsqu'ils ne désirent pas offrir la permanence à leurs travailleurs (souvent ceux qui commencent un nouvel emploi avec ces organismes). On leur offre des contrats à durée limitée, généralement pour des périodes de six mois, lesquels pourront être renouvelés pendant de nombreuses années. La rémunération qui est offerte à ces « contractuels » correspond à peu près à celle des salariés permanents (généralement syndiqués), mais il n'y a pas l'obligation de la permanence. Je rappelle que les articles 2085 et 2086 du Code civil consacrent le principe du caractère temporaire du contrat de travail. Il n'y a donc aucune incohérence dans l'existence de contrats d'une durée de six mois. Dans le cas des deux types de contrats dont je viens de traiter, le permanent et le contractuel effectuent leur travail sous la direction ou le contrôle du ministère ou de l'organisme paragouvernemental.

 

[49]    Tel n'est pas le cas du troisième type de contrat possible ici : celui qui accorde au travailleur la liberté de choix quant aux moyens d'exécution et dont l'exécution est effectuée sans lien de subordination. Il s'agit du contrat de service.

 

[50]    Revenons maintenant à la question de départ. Madame Boucher a‑t‑elle exécuté son travail sous la direction et le contrôle de l'Hôpital? Selon la prépondérance des probabilités, la preuve révèle que tel était le cas. L'Entente est en effet un contrat de travail pour contractuels.

 

[51]    Tout d'abord, des observations préliminaires s'imposent relativement aux témoignages contradictoires. Celui de madame Boucher m'apparaît plus probant que celui offert par les deux représentantes de l'Hôpital parce qu'il était précis, méticuleux et beaucoup plus détaillé. Je ne dis pas que les deux autres personnes ont manqué de sincérité dans leur témoignage. J'ai observé, toutefois, que leur mémoire était souvent très défaillante. Il leur était souvent difficile de se rappeler toutes les circonstances des événements qui sont survenus durant toute la période pertinente. Cela est dû en partie, j'en suis convaincu, au fait qu'elles n'ont pas été régulièrement en contact avec madame Boucher durant cette période, soit parce qu'elles étaient en congé de maladie, soit parce qu'elles n'avaient la responsabilité d'encadrer et de superviser le travail de madame Boucher que pendant de courtes périodes.

 

[52]    Le principal argument invoqué par l'Hôpital est que madame Boucher était une professionnelle qui avait beaucoup de latitude professionnelle, qui savait ce qu'elle avait à faire et qui pouvait décider de ses tâches et de son horaire. Tout d'abord, comme le reconnaît Me Robert P. Gagnon dans son ouvrage précité, le haut degré de spécialisation n'est pas incompatible avec une notion large de subordination. Il y aura subordination dès lors que le payeur a la faculté « de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler » (Gagnon, précité, au par. 92). Pour un exemple d'une dentiste salariée qui travaillait dans une clinique dentaire, voir Commission des normes du travail c. Dr Denis Paquette, REJB 1999-15508 (C.Q.) et pour un exemple d'un médecin anesthésiste salarié, voir la décision de la Cour de cassation publiée à Cass. soc., 29 mars 1994, Bull. civ. 1994.V.74, n108.

 

[53]    Je crois que les faits suivants constituent des éléments de preuve directe qui révèlent que l'Hôpital a exercé effectivement une direction et un contrôle sur le travail exécuté par madame Boucher :

 

Ø     L'Hôpital, par l'intermédiaire de ses deux représentantes qui étaient les supérieures de madame Boucher, a défini les tâches à exécuter par elle et, à plusieurs reprises, lui a donné des consignes, notamment celles :

Ø      

i)        de se présenter aux Centres, de contacter les personnes responsables s'y trouvant et de répondre aux besoins des patients de ces Centres;

ii)       de ne pas tenter de tout faire et de se limiter à un ou deux Centres par jour;

iii)      de cesser de fournir des services pour la dysphagie au Centre qui s'était plaint à la supérieure de madame Boucher et qui voulait que la prestation de ces services soit assurée par ses propres diététiciennes;

iv)      à la suite de la suggestion faite par madame Boucher à sa supérieure, de terminer la prestation de ses services en matière de communication commencée auprès des autres patients de ce Centre, avant d'aller dans les autres Centres;

v)       de suspendre son travail auprès des Centres pour rédiger un rapport pour la Régie, de préparer une présentation aux directeurs des Centres pour décrire les services offerts ou d'élaborer une nouvelle formule qui tiendrait compte de l'importance relative du nombre de patients de chacun des Centres, de façon à ce que l'on puisse répartir plus équitablement les services des orthophonistes;

vi)      de cesser d'aller visiter les Centres après que l'Hôpital eut décidé de la remplacer par d'autres orthophonistes (voir la lettre de reproche reproduite au paragraphe 20 ci‑dessus, où on parle d'un manquement à cette consigne et de son impact sur « la supervision de vos activités cliniques »;

vii)     d'assister à des réunions convoquées par ses supérieures;

viii)    de préparer des rapports de plus en plus détaillés relatifs à ses activités professionnelles.

Ø     Lorsque madame Boucher se heurtait à une difficulté ou qu'une décision importante devait être prise, elle s'en remettait à la décision de sa superviseure. Tel était le cas notamment en ce qui concerne :

 

i)        l'achat de matériel;

ii)       l'arrêt du service de dysphagie au Centre de madame Boissonneault;

iii)      la façon de faire ses présentations.

 

[54]    En plus de ces faits qui m'apparaissent démontrer directement l'existence de la direction et du contrôle, il y a également des indices qui, sans être déterminants, sont des éléments de preuve qui laissent croire à l'existence du pouvoir de direction et de contrôle de l’Hôpital, le principal parmi ces indices était celui de l'intégration. Les faits qui établissent que madame Boucher était bien intégrée dans les activités de l'Hôpital sont :

 

i)        tout d’abord, la lettre de bienvenue, dans laquelle se manifeste le plaisir de l'Hôpital d'avoir madame Boucher comme membre de « notre équipe »;

ii)       sa participation (plus régulière au début et à la fin) aux réunions d'équipe;

iii)      sa présence régulière dans les locaux de l'Hôpital pour les réunions officielles ou informelles, pour la préparation de ses présentations ou pour diverses autres activités;

iv)      son travail à temps plein pour l'Hôpital, qui était sa seule source de revenus tirés de l'exercice de ses activités professionnelles;

v)       le fait que l'Hôpital lui fournissait tout le matériel nécessaire pour ses présentations (y compris l'outil pour les créer, soit l'ordinateur), lui remboursait les achats qu'elle effectuait et lui payait ses cours de formation (et même son salaire pour le temps qu'elle consacrait à ces cours et ses frais de stationnement).

 

[55]    Pour tous ces motifs, l'appel de l'Hôpital juif de réadaptation doit être rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de septembre 2005.

 

 

 « Pierre Archambault » 

Juge Archambault


RÉFÉRENCE :

2005CCI260

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-2032(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Hôpital juif de réadaptation et M.R.N.

et France Boucher

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

les 21, 22 et 23 mars 2005

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :

le 31 mars 2005

 

DÉCISION RENDUE

ORALEMENT :

 

le 23 mars 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

le 19 septembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

Me Tom Davis

Pour l'intimé :

Me Natalie Goulard

Pour l'intervenante :

l'intervenante elle-même

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

Me Tom Davis

Étude :

Borden Ladner Gervais LLP

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           Pièce I‑1, onglet 2, Normes relatives à la compétence clinique de l'orthophoniste et de l'audiologiste, février 1995.

[2]           Madame Boucher a en fait déposé son mémoire de maîtrise au cours de l'été 2002, ce qui lui a permis d'obtenir son diplôme de maîtrise à la fin de l'automne 2002 et de devenir membre de l'Ordre au début de 2003.

[3]           Pièce I‑1, onglet 3.

[4]           Pièce INT‑1, deuxième feuille.

[5]           Cette note a été ajoutée à la demande de madame Boucher.

[6]           Pièce I‑1, onglet 8. Malheureusement, la copie du contrat d'assurance ou du certificat d'assurance n'a pas été produite en preuve.

[7]           Pièce I‑1, onglet 4.

[8]           Pièce I‑1, onglet 5. Une partie du texte est imprimée; le reste est manuscrit.

[9]           Selon les calculs du procureur de l'Hôpital communiqués lors de sa plaidoirie, la rémunération correspondant aux niveaux 7, 8 et 9 allait de 27 $ à 33 $. (Je tiens pour acquis qu'il s'agit du taux horaire après la majoration de 35%.)

[10]          Pièce I‑1, onglet 6.

[11]          Pièce I‑3.

[12]          Pourtant, les projets de contrat appellent madame Boucher une « employée ». Il s’agit donc ici d’une incohérence dans la qualification de l’entente. Cette situation illustre bien le principe de l’art. 1425 du Code civil du Québec (Code civil), qui édicte qu’il ne faut pas « s'arrêter au sens littéral des termes utilisés ».

[13]          Voir Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 361.

[14]          Il s'agit là du principe de complémentarité régulièrement appliqué par les tribunaux, que l'on peut définir ainsi : la règle selon laquelle des concepts de droit privé mentionnés dans une loi fédérale sans y être définis doivent être interprétés selon le droit privé de la province dans laquelle la loi fédérale se trouve être appliquée. C'est ce principe que l’article 8.1 de la Loi d'interprétation consacre et codifie depuis le 1er juin 2001. Pour une analyse approfondie de ce principe tel qu'il était appliqué avant l'adoption de l'article 8.1, voir l'arrêt St‑Hilaire c. Canada, [2001] 4 C.F. 289; 2001 CAF 63.

Voir également mon article, « Contrat de travail — Pourquoi Wiebe Door Services Ltd. ne s'applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer » (article sur Wiebe Door), qui sera publié au cours du quatrième trimestre de 2005 par l'Association de planification fiscale et financière et le ministère de la Justice dans le second recueil d'études en fiscalité dans la série de publications portant sur le bijuridisme canadien.

[15]          Robert P. GAGNON, Le droit du travail du Québec, 5e éd., Cowansville, (Qc.), Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003.

[16]          D & J Driveway Inc. c. Canada (M.R.N.), 2003 CAF 453. Voir également Charbonneau c. Canada, [1996] A.C.F. no 1337 (Q.L.) (C.A.F.); Sauvé c. Canada, [1995] A.C.F. no 1378 (Q.L.) (C.A.F.); Lagacé c. Canada (M.R.N.), [1994] A.C.F. no 885 (Q.L.) (C.A.F.), confirmant [1991] T.C.J. no 945 (Q.L.). Il faut toutefois mentionner que, dans ces deux premiers arrêts, la Cour d'appel n'a pas écarté explicitement l'application de Wiebe Door, mais a conclu à l'existence d'un contrat de service en se fondant sur l'absence du lien de subordination, suivant ainsi les règles du Code civil.

[17]          Par. 16 de la décision.

[18]          Sauf indication contraire, les notes infrapaginales sont omises.

[19]          Voici la note infrapaginale figurant dans l'article :

Cette phrase est le seul point dans ce passage sur lequel je ne partage pas l'opinion du professeur Duff, puisqu'elle exprime un point de vue incompatible avec ma conclusion quant à l'inopportunité d'utiliser des décisions de common law pour interpréter des dispositions du Code civil. Cela étant dit, il va de soi qu'il faut analyser l'ensemble de la preuve pour pouvoir conclure à l'existence ou à l'absence du lien de subordination. Voir Charbonneau, précité (note 4), par. 3 et 9.

[20]          Les nombreuses notes infrapaginales sont omises.

[21]          Les notes infrapaginales sont omises.

[22]          Toutefois, le fait que la note d'honoraires était imprimée sur une feuille dont l’entête et le logo sont ceux de l’Hôpital et était remplie en partie par l’Hôpital est plutôt curieux.

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