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Dossier : 2004-4207(EI)

ENTRE :

CHRISTINE BLAQUIÈRE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 6 juin 2005, à Baie-Comeau (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Avocate de l'appelante :

Me Guylaine Trudeau

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

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JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi et portant sur l'emploi de l'appelante pour la société 9119-8507 Québec inc. du 1er janvier 2003 au 13 mars 2004, est rejeté et la décision du ministre du Revenu national datée du 16 septembre 2004 est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de juin 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2005CCI399

Date : 20050628

Dossier : 2004-4207(EI)

ENTRE :

CHRISTINE BLAQUIÈRE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit d'un appel où la question en litige est de déterminer si l'appelante contrôlait plus de 40 % des actions avec droit de vote de la compagnie pour laquelle elle avait travaillé lors de la période en litige.

[2]      Pour expliquer et soutenir la décision dont il est fait appel, l'intimé a pris pour acquis les faits suivants :

a)          le payeur a été constitué en société le 20 août 2002;

b)          durant la période en litige, les actions avec droit de vote du payeur étaient détenues par :

            - l'appelante avec 50 % des actions

            - Gisèle Beaulieu avec 50 % des actions;

c)          le payeur exploitait un bar de 130 à 150 places à Forestville;

d)          M. Clarence Blaquière était le propriétaire de l'Hôtel Blaquière de Forestville;

e)          il est le père de l'appelante;

f)           il louait l'immeuble au payeur;

g)          le payeur exploitait son entreprise à l'année longue;

h)          durant la période en litige, l'appelante y travaillait à plein temps comme serveuse et barmaid;

i)           durant la période en litige, l'appelante détenait et contrôlait 50 % des actions avec droit de vote du payeur.

[3]      L'appelante a admis les faits mentionnés aux alinéas c), d), e), g) et h); elle a ignoré l'alinéa a) et nié les alinéas b), f) et i).

[4]      Seule l'appelante a témoigné à l'appui de son appel. Elle a expliqué que son père, propriétaire de l'établissement où était exploité le bar où elle travaillait comme serveuse au salaire 6,55 $ l'heure plus les pourboires, était le véritable propriétaire des actions qu'elle détenait.

[5]      Il semble que son père était débiteur d'une importante dette fiscale au moment de la constitution de la société 9119-8507 Québec inc.,

[6]      Croyant se placer à l'abri de toute poursuite, il aurait pris l'initiative de créer une société dont l'appelante serait devenue actionnaire à 50 %, l'autre 50 % étant détenu par madame Gisèle Beaulieu, sa conjointe.

[7]      L'appelante a indiqué avoir été associée aux procédures constitutives et y avoir participé au moyen de sa signature, après quoi elle est devenue présidente de la nouvelle société.

[8]      La société par actions exploitait le bar pour lequel l'appelante travaillait comme serveuse. D'autres employés y travaillaient également. La conjointe du père de l'appelante assumait, quant à elle, la direction des activités commerciales: elle signait les chèques, voyait à l'embauche et à la mise à pied des employés, etc.

[9]      À un moment donné, les relations avec la conjointe de son père se sont détériorées et bousillées au point qu'elle fut mise à pied. À la suite de son congédiement, elle a fait les démarches pour obtenir des prestations d'assurance-emploi, qui lui furent refusées au motif qu'elle détenait plus de 40 % des actions de la société, soit, selon les registres, 50 % du capital-actions émis.

[10]     La question en litige consiste donc à déterminer si l'appelante détenait plus de 40 % des actions avec droit de vote lors de la période en litige. L'alinéa 5(2)b) de la Loi sur l'assurance-emploi se lit comme suit :

5.(2)      N'est pas un emploi assurable :

[11]

      b)    l'emploi d'une personne au service d'une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale;

      [...]

[14]     Ayant essuyé une fin de non-recevoir, elle a, dès lors, soutenu avoir été un simple prête-nom et n'avoir jamais participé à la gestion de la société. Elle a également affirmé n'avoir jamais signé de chèques, n'avoir jamais participé à l'embauche et au congédiement des employés et, finalement, avoir toujours été mise à l'écart de l'administration.

[15]     Lors des démarches visant à obtenir des prestations d'assurance-emploi, elle a tenté par le biais de son avocate d'obtenir la confirmation qu'elle avait essentiellement agi comme prête-nom. La mise en demeure étant demeurée sans suite, elle a, toujours avec la collaboration de son avocate, tenté de récupérer cette fois la valeur de ses actions.

[16]     Le contenu des deux lettres se lit comme suit :

(pièce A-1)

Forestville, 28 octobre 2004

Envoi recommandé [...]

Monsieur Clarence Blaquière

Madame Gisèle Beaulieu

23, route 138

Forestville (Qc) G0T 1E0

Objet : Christine Blaquière c. vous-mêmes

Madame, Monsieur,

La présente est relative à votre compagnie 9119-8507 Québec Inc. (Hôtel Blaquière) qui a été constituée le 20 août 2002 en vertu de la partie IA de la Loi sur les compagnies. Selon les documents constitutifs de cette compagnie Madame Christine Blaquière est présidente et actionnaire de cette compagnie. Toutefois, Madame Blaquière a toujours été dans les faits une employée de cette compagnie que vous avez d'ailleurs congédié pour manque de travail le ou vers le 13 mars 2004.

Nous avons reçu instructions de notre cliente, Madame Christine Blaquière de s'assurer que cette situation de prête-nom cesse immédiatement. Ainsi, il vous ait demandé d'entreprendre toutes les démarches afin que les documents constitutifs de la compagnie soit le reflet de la réalité et que Madame Blaquière ne soit plus mentionnées d'aucune façon dans ces documents. Nous désirons également recevoir une lettre attestant que notre cliente n'a jamais été ni administrateur ni actionnaire de cette compagnie.

À défaut de recevoir dans les dix (10) jours de la réception de la présente les documents et lettre attestant que Madame Blaquière n'est ni administrateur ni actionnaire de la compagnie 9119-8507 Québec Inc., à nos bureaux d'Aide Juridique de Forestville, nous n'aurons d'autres choix que d'entreprendre des procédures contre vous, le tout sans autre avis ni délai.

[...]

Me Guylaine Trudeau, Avocate

            c.c. Madame Christine Blaquière

(Je souligne.)

(pièce A-2)

Forestville, 21 février 2005

ENVOI RECOMMANDÉ [...]

Monsieur Clarence Blaquière

Madame Gisèle Beaulieu

23, route 138

Forestville (Qc) G0T 1E0

Objet : Christine Blaquière c. vous-mêmes

Madame, Monsieur,

La présente est relative à notre lettre de mise en demeure datée du 28 octobre 2004, qui est demeurée sans réponse de votre part. Ainsi, ayant constaté que notre cliente est toujours mentionnée à titre de deuxième actionnaire de votre compagnie, Hôtel Blaquière, nous vous proposons la solution suivante, que vous achetiez les actions de notre cliente à juste prix soit selon une évaluation effectuée par un comptable agréé. En cas de refus ou d'omission de votre part nous procéderons nous même à l'évaluation de ces actions et nous conseillerons à notre cliente de vendre ses actions à des tiers.

À défaut de connaître vos intentions à ce sujet et ce dans les dix (10) jours de la réception de la présente, nous procéderons à la vente des actions.

[...]

Me Guylaine Trudeau, Avocate

(Je souligne.)

[17]L'appelante a expliqué au tribunal que sa mise à pied avait découlé essentiellement du conflit avec la conjointe de son père. Jusqu'à ce moment, tout allait bien; il s'agissait d'un emploi à temps plein. Le fait de détenir 50 % des actions de la société faisait en sorte que ni la société, ni l'appelante n'avait à payer de cotisation d'assurance-emploi.

[18]À la suite du conflit, l'appelante réclame des prestations au motif qu'elle n'a jamais été véritablement propriétaire des actions et qu'elle a été essentiellement utilisée comme prête-nom, et que la raison indiquée pour la mise à pied est le manque de travail.

[19]La Loi sur l'assurance-emploi génère des droits, mais ces droits sont aussi assujettis à des obligations. Pour avoir le droit de recevoir des prestations d'assurance-emploi, il est impératif que le travail soit exécuté dans le cadre d'un véritable contrat de louage de services, lequel ne peut exister sans la présence d'un lien de subordination.

[20]Or, le législateur a prévu qu'un tel lien de subordination ne pouvait exister lorsqu'une personne travaille pour une société dont elle détient plus de 40 % des actions avec droit de vote. Il est facile de comprendre la pertinence d'une telle mesure, puisque le contrôle de plus de 40 % des actions d'une société fait en sorte qu'une personne détient une autorité difficilement conciliable avec le lien de subordination, élément essentiel à la formation d'un véritable contrat de louage de services.

[21]Lors de l'analyse d'une affaire où la question en litige est de savoir si la personne contrôlait ou non plus de 40 % des actions avec droit de vote, la question du lien de subordination n'est aucunement en cause et l'analyse ne doit porter que sur le pourcentage des actions détenu par la personne concernée par le litige.

[22]Pour ce faire, il est tout à fait régulier et légitime que les autorités se fient aux écrits disponibles et tiennent pour acquis que les documents consultés reflètent la réalité, faute de quoi il deviendrait très difficile, sinon impossible, de tirer des conclusions fiables.

[23]Il est impératif de pouvoir se fier sur les écrits constitutifs d'une société, faute de quoi il deviendrait difficile, sinon impossible, pour l'État de s'assurer et de vérifier que ses lois et règlements sont respectés.

[24]À cet égard, l'agent des appels a expliqué avoir notamment conclu les faits suivants à partir des informations obtenues (pièce I-6) :

47.        Elle confirme que Christine Blaquière était présidente du conseil d'administration (C.A.). Celle-ci n'aimait pas s'occuper des affaires, mais elle assistait aux réunions du C.A.

48.        Gisèle Beaulieu confirme qu'une seule signature était nécessaire pour les comptes bancaires et c'est elle-même et Christine Blaquière qui pouvaient signer.

[...]

50.        Gisèle Beaulieu dit que c'est Christine Blaquière qui a quitté son travail. Le bar était alors sur le bord de la faillite et Christine Blaquière ne voulait pas investir dans la compagnie.

[...]

52.        Gisèle Beaulieu confirme que Mélanie Tremblay a remplacé Christine Blaquière après son départ. Dans les jours qui ont suivi le départ de Christine Blaquière, c'est Gisèle Beaulieu qui a dû faire les quarts de travail de Christine Blaquière en plus des siens.

53.        Gisèle Beaulieu ajoute qu'il n'y a pas eu souvent de réunion du C.A. Il y en a eu « une couple » au début et Christine Blaquière y a assisté. Ensuite, il y en a eu une en juin 2004, à la demande de Christine Blaquière, mais celle-ci ne s'est pas présentée à la réunion.

[...]

56.        Imprimés provenant du Registraire des entreprises :

9119-8507 Québec inc.

Compagnie constituée le 20 août 2002 et immatriculée le 21 août 2002

Activités économiques :             Hôtellerie

Administrateurs : Gisèle Beaulieu, présidente-secrétaire, actionnaire majoritaire

                                Clarence Blaquière

                                Christine Blaquière, deuxième actionnaire

Autre nom :               Hôtel Blaquière 2002

Clarence Blaquière

Entreprise immatriculée le 21 octobre 1994

Activités économiques :             Exploitation d'un bar avec danse

                                                Location de 2 studios ou bachelors

Établissement :                           Hôtel Clarence enr.

                                                Exploitation d'une entreprise hôtelière

                                                exploitation d'un permis de bar et danse

Autres noms :                            Bar Clarence Blaquière enr.

                                                Disco Bar Le Camerin

                                                Hôtel Clarence enr.

                                                Hôtel Blaquière

                                                Taverne Clarence enr.

Note : tous les noms sont en vigueur

57.        Imprimés du système CORTAX de l'A.D.R.C. :

            Le Bilan du 31 décembre 2003 de 9119-8507 Québec inc. indique des actifs totalisant 37 559 $.

            Le total des revenus bruts de l'état des résultats pour la même période est de 468 098 $ pour une perte nette de 6 586 $.

`            Gisèle Beaulieu et Christine Blaquière possèdent chacune 50 % des actions ordinaires de la compagnie.

[...]

59.        Livre de la compagnie 9119-8507 Québec inc. :

            (Document fourni par le payeur)

            Les actions de catégorie « A » , « B » et « C » donnent droit de vote.

            Résolutions du conseil d'administration (C.A.) :

            La résolution du 2 septembre 2002 est signée par Christine Blaquière, présidente et Gisèle Beaulieu, secrétaire.

            « Discussion des affaires de la compagnie. Les affaires seront toujours signées par Christine Blaquière. Accepté à l'unanimité.

            Discussion sur la signature des effets et affaires bancaires de la compagnie. Les effets et affaires bancaires seront toujours signés par Christine Blaquière et Gisèle Beaulieu. Accepté à l'unanimité. »

[25]Ce sont là des éléments révélateurs dont la portée contredit les prétentions de l'appelante, qui affirme qu'elle a toujours agi essentiellement comme prête-nom, et surtout qu'elle n'avait jamais participé, collaboré et contribué à la gestion des activités de la société.

[26]Le contre-interrogatoire de l'agent des appels, madame Maryse Savard, a porté principalement sur le fait qu'elle n'avait pas contacté le père de l'appelante dans le but d'obtenir sa version des faits quant à la prétention voulant que l'appelante n'ait été essentiellement qu'un prête-nom. Chose étonnante, voire très surprenante, l'appelante n'a assigné ni son père ni sa conjointe afin qu'ils viennent témoigner.

[27]À ce stade, il m'apparaît important de rappeler que le fardeau de la preuve reposait sur l'appelante; elle a choisi, pour le relever, de se limiter à son seul témoignage, lequel, au départ, était très intéressé. De plus, j'ai constaté plusieurs équivoques dans ce témoignage.

[28]Dans un premier temps, elle a affirmé formellement ne pas avoir participé aux activités de la société; par la suite, elle a reconnu avoir accepté de participer lors du processus de constitution de la société. Elle a dû également reconnaître avoir signé certains procès-verbaux où il était indiqué qu'elle était présente après avoir affirmé n'avoir participé à strictement rien.

[29]Les motifs de sa mise à pied sont demeurés fort nébuleux. Dans un premier temps, elle a soutenu que la raison était le manque de travail, alors qu'elle a ensuite expliqué sa mise à pied par un conflit de personnalité avec la conjointe de son père.

[30]Elle a tenté d'obtenir de son père et de sa conjointe une confirmation écrite qu'elle n'avait été qu'un prête-nom; un peu plus tard, elle a tenté de vendre ses actions.

[31]Elle a vigoureusement critiqué la personne responsable de l'analyse du dossier et lui a énergiquement reproché de ne pas avoir communiqué avec son père pour obtenir sa version; il est donc tout à fait surprenant qu'elle ne l'ait pas assigné à comparaître afin qu'il vienne éclaircir le tribunal par sa version. Il aurait été très important de faire témoigner la conjointe de son père, détentrice de l'autre 50 % des actions et son père afin de faire la lumière.

[32]L'appelante avait le fardeau de la preuve. L'appelante a soumis une preuve fort confuse sur des aspects fondamentaux. Inversement, la décision du ministre du Revenu national a découlé de constats dont la pertinence ne peut pas être écartée. Je fais notamment référence aux faits indiqués dans le Rapport sur un appel (pièce I-6).

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de juin 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI399

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2004-4207(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Christine Blaquière et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Baie-Comeau (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 6 juin 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                    le 28 juin 2005

COMPARUTIONS :

Avocate de l'appelante :

Me Guylaine Trudeau

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

       Pour l'appelante:                           Me Guylaine Trudeau

                                                          Forestville (Québec)

       Pour l'intimé :                              John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                                        Ottawa, Ontario

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