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Référence : 2007CCI257

Date : 20070509

Dossier : 2006-917(IT)I

ENTRE :

STEVEN DEAN,

appelant,

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 2 mars 2007.)

 

 

Le juge Paris

 

[1]     L’appelant interjette appel du refus d’admettre certaines pertes locatives qu’il avait déduites pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003. Ces pertes se rapportaient à une luxueuse unité condominiale acquise par l’appelant à Whistler (Colombie‑Britannique) au mois d’août 2001. Les pertes s’élevaient à 16 247,75 $ en 2001, à 37 156 $ en 2002 et à 27 177 $ en 2003.

 

[2]     Il s’agit en l’espèce de savoir si la location de l’unité condominiale, à Whistler, constituait une source de revenu pour l’appelant au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu et, dans l’affirmative, si les dépenses associées à cette unité ont été engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, ou s’il s’agissait de frais personnels ou de subsistance engagés par l’appelant.

 

[3]     La question de savoir si le contribuable a une source de revenu est tranchée en tenant compte du fait de savoir si l’activité vise avant tout à permettre la réalisation d’un profit ou s’il s’agit plutôt d’une entreprise personnelle. Je me reporte sur ce point à l’arrêt Stewart c. La Reine, 2002 CSC 46, de la Cour suprême du Canada, qui a été cité par le représentant. En l’espèce, le représentant de l’appelant reconnaît que le droit de propriété de l’appelant sur l’unité condominiale, à Whistler, comporte un élément personnel, et ce, parce que l’appelant et sa famille ont utilisé cette unité pendant les années en question. Il est manifeste que l’unité condominiale était fortement utilisée chaque année à des fins personnelles et il est donc approprié pour le représentant de reconnaître la chose. Compte tenu de l’existence de cet élément personnel, je dois analyser l’activité de location en vue de décider si elle avait un caractère suffisamment commercial pour être considérée comme une source de revenu.

 

[4]     Les facteurs objectifs que les tribunaux ont mentionnés en évaluant le caractère commercial de l’entreprise d’un contribuable comprennent les bénéfices et pertes de l’entreprise au cours des années passées, la formation ou l’expérience du contribuable et les mesures envisagées par le contribuable, ainsi que la possibilité pour l’entreprise d’être rentable. Cette liste n’est pas exhaustive.

 

[5]     La preuve montre que l’activité de location en question a occasionné des pertes élevées au cours des années visées par l’appel et qu’elle a jusqu’à maintenant continué à entraîner des pertes. Aucun chiffre n’a été fourni à l’égard des pertes des dernières années, mais l’appelant a témoigné que les résultats financiers de l’activité au cours de ces dernières années étaient semblables au rendement obtenu de 2001 à 2003. L’appelant a déclaré que l’unité était utilisée comme bien locatif par la personne de qui il l’avait achetée, mais aucun élément de preuve ne montre quels étaient les résultats financiers de l’activité de location du vendeur au cours des années qui ont précédé l’année 2001.

 

[6]     L’appelant a témoigné avoir déjà été propriétaire de deux autres biens locatifs en Australie, avant de venir au Canada en 2001. Il n’a pas décrit ces biens, si ce n’est pour dire qu’ils n’étaient pas semblables à l’unité condominiale, à Whistler, parce qu’il ne s’agissait pas d’habitations louées pour les vacances. L’appelant n’a pas précisé pendant combien de temps il avait été propriétaire de ces autres propriétés ou à quel moment il en avait été propriétaire. La formation et l’expérience de l’appelant en affaires et en matière financière ont été notées, mais on n’a pas expliqué quel pouvait être le rapport avec l’exploitation d’une maison de vacances à usage locatif.

 

[7]     Les mesures envisagées par l’appelant consistaient à louer la propriété par l’entremise d’un site Web sur lequel étaient annoncées les propriétés de vacances à louer, à Whistler, ainsi que de bouche à oreille. L’appelant et son épouse consultaient sur Internet d’autres listes de propriétés à louer à Whistler ou ils se renseignaient auprès d’agents ou d’autres personnes afin de fixer les taux de location, qui s’élevaient à 1 500 $ par nuitée pendant la haute saison, à 1 200 $ par nuitée pendant la mi‑saison et à 800 $ par nuitée pendant la basse saison. Ils ont décidé de ne pas avoir recours aux services d’un agent à cause des commissions élevées qui étaient exigées. L’appelant exigeait un séjour minimum de sept nuits pendant la haute saison et de cinq nuits le reste du temps en vue d’assurer un revenu de location maximal et de réduire les frais de nettoyage.

 

[8]     L’appelant a également témoigné qu’il réclamait un loyer à son épouse ou à lui‑même au plein taux du marché pour toute utilisation que sa famille et lui faisaient de l’unité. Toutefois, la preuve ne réussit pas à me convaincre que le loyer était de fait payé par l’appelant ou payé à l’appelant par l’épouse de celui‑ci. Aucun document n’a été produit à l’appui de cette allégation, et l’appelant a admis que son épouse ne lui versait pas les montants particuliers ou les montants précis qui étaient attribués à celle‑ci au titre de la location dans certains tableaux et documents que l’épouse ou l’appelant avaient préparés. L’appelant a affirmé qu’un compte de banque distinct était tenu pour la propriété, à Whistler, et que son épouse et lui déposaient l’argent dans le compte au fur et à mesure qu’il fallait payer les dépenses se rattachant à la propriété. L’appelant croyait que les dépôts effectués dans le compte par lui ou son épouse étaient au moins égaux aux montants qui étaient en théorie attribués à l’épouse pour le loyer, et qu’ils étaient probablement supérieurs aux montants théoriques du loyer. Toutefois, aucune preuve des dépôts n’a été soumise à la Cour, et aucune comptabilité ne semble avoir été tenue au sujet des montants versés dans le compte par l’épouse de l’appelant. Je note également que l’appelant a affirmé que, pour l’année 2001, c’était lui qui avait effectué les dépôts dans le compte, à Whistler, ou qui avait fourni les fonds nécessaires pour les dépôts. L’épouse de l’appelant n’a pas été citée pour corroborer qu’elle avait versé le présumé loyer à l’appelant.

 

[9]     En ce qui concerne l’utilisation personnelle que l’appelant faisait de la propriété, j’aimerais également faire remarquer que l’utilisation semble avoir été plus importante que ce qui a été déclaré. L’appelant a affirmé qu’il s’était fié à son épouse pour tenir compte de l’utilisation, mais je dirai encore une fois que l’épouse n’a pas été citée pour témoigner. Les factures de téléphone concernant l’unité condominiale étaient incluses dans le cahier de documents de l’appelant; elles montraient que l’unité était probablement occupée à d’autres moments que ceux qui étaient indiqués dans la pièce A‑1, onglet 37, où sont énumérées les périodes pendant lesquelles l’unité était occupée par l’appelant et par sa famille ou encore par des tiers sans lien de dépendance. Je me reporte aux factures de téléphone du 7 avril 2002, du 7 février 2002, du 7 janvier 2002, du 7 août 2003, du 7 septembre 2003 et du 7 janvier 2004, qui montrent que de nombreux appels interurbains ont été effectués depuis l’unité condominiale à des moments où cette unité était censément inoccupée. L’explication donnée par l’appelant, à savoir que son épouse s’était peut‑être rendue au chalet ces jours‑là pour surveiller des réparations ou pour la livraison de meubles, me semblait au mieux une conjecture de la part de l’appelant.

 

[10]    Je me reporte également à la pièce A‑1, onglet 9, qui est une lettre de la personne qui effectuait des travaux de nettoyage, adressée à l’épouse de l’appelant, dans laquelle figure notamment la déclaration suivante : [traduction] « Nous avons uniquement épousseté votre chambre à coucher, étant donné qu’il y aura ici un grand nombre d’enfants au cours de la fin de semaine. » Je note que cette lettre est datée du 6 novembre 2001; or, la pièce A‑1, onglet 37, qui est la liste des dates d’occupation, ne montre pas que l’unité condominiale était occupée par l’appelant ou par sa famille au cours du mois de novembre 2001.

 

[11]    Peu d’éléments de preuve ont été produits au sujet de la rentabilité possible de l’activité de location. La propriété a coûté 1,3 million de dollars et l’appelant a financé l’achat au moyen d’un prêt hypothécaire de 900 000 $. L’appelant a affirmé qu’il devait réduire les frais d’intérêt afférents à son prêt hypothécaire afin de générer un profit, mais il a déclaré ne pas avoir été en mesure de le faire. Il n’a pas indiqué les efforts qu’il avait déployés à cet égard. Cependant, je note que, pour ses années d’imposition 2001 à 2003, l’appelant a déclaré un revenu annuel allant d’environ 300 000 $ à 1,8 million de dollars.

 

[12]    La seule analyse effectuée par l’appelant au sujet du potentiel qu’offrait la propriété de générer un bénéfice tiré des locations était, comme il l’a lui‑même dit, une [traduction] « analyse rudimentaire »; à l’audience, aucune précision n’a été donnée au sujet de cette analyse. Aucune prévision du revenu et des dépenses n’a été présentée. L’appelant a dit qu’il s’attendait à ce que les taux de location augmentent avec le temps et à ce que ses principaux coûts restent fixes. Cependant, il a également dit que les impôts fonciers et les frais de services publics avaient augmenté depuis 2001. Il semble également raisonnable de s’attendre à ce que, au fur et à mesure que l’unité condominiale prend de l’âge, les frais de réparation et les charges communes augmentent. L’appelant a également dit qu’il comptait sur les Jeux olympiques qui doivent avoir lieu à Whistler en 2010 pour que l’activité de location devienne rentable.

 

[13]    L’intimée soutient que l’appelant imposait un trop grand nombre de restrictions ou de conditions à la location de l’unité condominiale, comme le fait qu’il exigeait un long séjour minimum, qu’il n’acceptait pas les cartes de crédit et qu’il ne confirmait pas les réservations dans un délai raisonnable. L’appelant a témoigné que ces conditions étaient semblables à celles qui s’appliquaient à d’autres propriétés de la région et qu’elles visaient à maximiser les recettes, à réduire les coûts et à permettre de vérifier les références des locateurs éventuels plutôt qu’à décourager les locations.

 

[14]    Ces conditions me semblent raisonnables eu égard aux circonstances, mais je ferai remarquer que l’appelant aurait pu envisager de modifier ces conditions et d’autres exigences afin de stimuler les locations. Il est compréhensible que l’appelant se soit montré [traduction] « difficile », comme il l’a dit, lorsqu’il s’agissait de choisir les personnes à qui l’unité condominiale serait offerte, mais il était également passablement apparent que la façon dont l’activité était exercée ne produisait pas de résultats commerciaux acceptables. Je mentionnerai le fait que l’unité condominiale a été louée à des personnes sans lien de dépendance pendant cinq jours au cours d’une période de cinq mois en 2001, pendant 19 jours en 2002 et pendant huit jours seulement en 2003.

 

[15]    L’omission de l’appelant d’apporter des modifications à l’activité en vue de tenter d’augmenter le nombre de locations n’indique pas l’exercice d’une activité commerciale. Les modifications possibles auraient pu comprendre une meilleure publicité, des taux de location plus compétitifs ou le recours à des agents pour trouver des clients. L’assertion de l’appelant selon laquelle les agents exigeaient des commissions trop élevées semblait omettre de tenir compte de l’augmentation du taux d’occupation qui aurait pu être obtenue et des recettes additionnelles qui auraient pu être réalisées si l’on avait fait appel à un agent. De même, la commission de 5 ou 6 p. 100 payable sur les locations payées au moyen de cartes de crédit aurait peut‑être été compensée par un plus grand nombre de locations.

 

[16]    L’appelant a témoigné que les conditions de ski à Whistler n’étaient pas bonnes entre les années 2001 et 2006, ce qui a peut‑être eu pour effet de diminuer le nombre de locations. Ici encore, aucun détail n’a été donné au sujet des variations de chutes de neige, et on n’a soumis aucun élément de preuve en vue de démontrer un ralentissement général de l’industrie touristique à Whistler au cours de ces années.

 

[17]    Il a été fait mention de l’effet possible de l’épidémie de SRAS ou du repli des marchés boursiers au cours de la période. Toutefois, l’appelant n’a donné, pour l’épidémie de SRAS, aucune date qui semble avoir coïncidé avec le printemps 2003. Quant au ralentissement de l’économie ou à la chute des marchés boursiers, cette chute aurait commencé en l’an 2000, et l’appelant aurait donc été au courant de la situation à cet égard avant d’acheter la propriété.

 

[18]    Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que les pertes locatives aient été attribuables à des circonstances imprévues ou à des conditions défavorables inattendues.

 

[19]    Un facteur additionnel à prendre en considération en évaluant la nature commerciale de l’activité de l’appelant est le fait que l’appelant s’attendait à réaliser un gain sur la disposition éventuelle de la propriété. Dans l’arrêt Stewart, la Cour suprême du Canada dit que cette motivation n’enlèverait rien à la nature commerciale d’une entreprise de location et qu’elle pourrait entrer en ligne de compte dans l’appréciation de la conduite globale du contribuable. Selon moi, cela veut dire que l’intention de l’appelant de réaliser un gain en capital lorsqu’il vendrait la propriété doit être soupesée par rapport à tous les autres facteurs lorsqu’il s’agit de savoir si l’intention prédominante de l’appelant, en acquérant une propriété et en la louant, était de faire un profit. À mon avis, l’appelant n’a pas réussi à établir que telle était son intention prédominante. L’appelant n’a pas démontré qu’il avait procédé à une évaluation sérieuse de la rentabilité possible de la propriété en tant qu’unité locative lorsqu’il l’avait acquise, ou que quelqu’un d’autre avait procédé à une telle évaluation pour son compte, et ce, malgré son manque d’expérience sur le marché particulier de la location de maisons de vacances, ce qui est, comme il l’a reconnu, un marché spécialisé. En outre, l’appelant n’a rien changé à la façon dont il exerçait l’activité de location, et ce, malgré les pertes continues, mais il a plutôt simplement décidé d’accepter ces pertes comme étant inhérentes à l’activité.

 

[20]    Enfin, j’ai l’impression que la propriété, de la façon selon laquelle elle a été exploitée au cours des années visées par l’appel et selon laquelle elle continue à être exploitée, ne peut pas générer un profit et qu’elle ne pourra pas générer de profit pendant bien des années.

 

[21]    Tous ces facteurs, auxquels vient s’ajouter l’importante utilisation personnelle de la propriété qui a été faite chaque année, me convainquent que l’intention prédominante de l’appelant, en ce qui concerne la propriété, n’était pas de réaliser un profit. Je conclus que l’intention de l’appelant d’utiliser la propriété pour les loisirs de la famille était au moins égale, sinon supérieure, à toute intention d’en tirer un profit. La pièce A‑35, à la dernière page des renseignements concernant la propriété qui étaient donnés aux locataires, reflète peut‑être cet état de choses :

 

[traduction] Cette liste peut sembler longue et fastidieuse, mais elle vous aidera à tirer le plus possible plaisir de notre maison au cours de votre séjour à Whistler. Nous espérons sincèrement que vous profiterez de vos vacances à Whistler de la même façon que nous aimons y passer du temps en famille pendant l’année.

 

[22]    Compte tenu des conclusions que j’ai ci‑dessus tirées, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments subsidiaires de l’intimée.

 

[23]    Pour les motifs énoncés, l’appel est rejeté.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2007.

 

 

« Brent Paris »

Juge Paris

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’août 2007

 

D. Laberge, LL.L.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI257

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-917(IT)I

 

INTITULÉ :                                       STEVEN DEAN

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 2 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 9 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

M. A.N. Nanji

 

Avocat de l’intimée :

Me J. Gibb-Carsley

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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