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Dossier : 2003-2745(IT)G

ENTRE :

BRIAN ELLIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus les 29 et 30 mai 2006,

à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L’honorable juge E.A. Bowie

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me Roger Taylor et Me Al-Nawaz Nanji

Avocats de l’intimée :

Me Roger Leclaire et Me Jade Boucher

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations d’impôt établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2000 et 2001 sont rejetés, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mai 2007.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour d’octobre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

 

 

 

Référence : 2007CCI289

Date : 20070514

Dossier : 2003-2745(IT)G

ENTRE :

BRIAN ELLIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie

 

[1]     L’appelant était président, chef de la direction et administrateur d’eDispatch.com (« la société » ou « eDispatch »), une société de développement de logiciels, pendant la période du 21 août 1998 à la fin de décembre 2000, date à laquelle il a quitté la société pour des raisons de santé. Dans les présents appels, la principale question est celle de savoir si certaines pertes qu’il a subies à l’occasion de la disposition d’actions de la société au cours des années d’imposition 2000 et 2001 étaient au titre de revenu ou au titre de capital. Il y a également la question de savoir si, comme l’appelant l’allègue, il a le droit de déduire de son revenu pour l’année d’imposition 2000 la somme de 51 180 $ qu’il a versée à titre d’honoraires à Ernst & Young, un cabinet de comptables agréés, pour obtenir des conseils professionnels.

 

[2]     L’appelant et la société ont conclu par écrit un contrat d’emploi en août 1998. Le contrat prévoyait que M. Ellis recevrait 125 000 $ par année, ce qui représentait, selon son témoignage, environ la moitié du montant qui pouvait être considéré comme une rémunération appropriée pour le poste. À la signature du contrat, il s’est vu accorder 75 000 options d’achat d’actions à un prix d’exercice de 0,75 $, soit la juste valeur marchande des actions à ce moment-là. Ces options étaient entièrement acquises. De plus, il a reçu 300 000 options supplémentaires, dont chaque tranche de 25 % lui serait acquise le 31 mars 1999, le 30 septembre 1999, le 31 mars 2000 et le 30 septembre 2000. Le contrat prévoyait également qu’il recevrait 150 000 options de plus le 31 mars 1999, sous réserve de l’existence de la relation d’emploi à ce moment-là. Ces options lui ont en effet été accordées le 28 mai 1999, à un prix d’exercice de 0,90 $, qui représentait alors la juste valeur marchande des actions. L’appelant et la société ont modifié le contrat d’emploi le 1er avril 2000. Le salaire annuel de l’appelant augmentait à 250 000 $, et l’appelant n’a pas reçu d’options d’achat d’actions supplémentaires à ce moment-là.

 

[3]     Le 28 avril 1999, la société a émis des actions et des bons de souscription au moyen d’un placement privé par l’intermédiaire d’un courtier. Une condition de cet arrangement de financement aurait empêché M. Ellis de disposer de ses actions pendant les 90 jours suivants. Au cours des derniers mois de 1999 et des premiers mois de 2000, la société a conclu deux arrangements supplémentaires de placement privé qui ont permis d’amasser 12 000 000 $ et 31 500 000 $, respectivement. Dans le cadre du premier placement, les administrateurs et dirigeants ont convenu de ne pas disposer des actions de la société pendant la période se terminant le 10 mai 2000. Cette entente était assujettie à une seule exception selon laquelle les administrateurs et les dirigeants de la société étaient autorisés à vendre, au total, 500 000 actions ordinaires de la société, par l’intermédiaire du placeur, car l’offre avait été sursouscrite (l’« option de surattribution »). Les actions de l’option de surattribution ont été réparties parmi les cadres supérieurs, et M. Ellis s’est prévalu de sa part proportionnelle le 3 novembre 1999 en levant 109 000 options et en vendant toutes ces actions aux placeurs le même jour. Cette opération lui a permis de retirer un profit de 301 150 $, soit la différence entre le prix d’option qu’il avait payé et la juste valeur marchande des actions à ce moment-là, qui s’élevait à 3,55 $. Le 8 novembre 1999, il s’est vu accorder 120 000 options supplémentaires à un prix d’exercice de 3,25 $.

 

[4]     Le troisième placement privé était également sursouscrit. Dans ce cas, la convention de placement prévoyait également une option de surattribution, et l’appelant s’est à nouveau prévalu de la totalité de sa part proportionnelle. Bien que la convention de placement de janvier 2000 ait exigé que les dirigeants et administrateurs de la société s’engagent à ne pas transférer d’actions pendant la période de 180 jours suivants la date de clôture, c’est-à-dire jusqu’au milieu du mois d’août, M. Ellis a pu lever 155 000 options et vendre les actions qui en étaient issues en vertu de cette option de surattribution. Il a levé les options et vendu les actions aux placeurs le 17 février 2000, au prix de 12,30 $ l’action, ce qui lui a permis d’obtenir un profit de 1 788 975 $. Les profits découlant des opérations du 3 novembre 1999 et du 17 février 2000 étaient imposables en vertu des dispositions particulières des articles 7 et 110 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») portant sur les options d’achat d’actions. Les parties ne contestent pas ce point.

 

[5]     Lorsque la période d’immobilisation après le dernier placement a pris fin le 13 août 2000, l’appelant avait reçu un total de 472 500 options acquises; il avait levé 264 000 de ces options et vendu les actions qui en étaient issues en vertu des deux options de surattribution. Il lui restait 208 500 options non levées. Parmi celles-ci, 71 500 options avaient un prix d’exercice de 0,75 $, 77 000 options avaient un prix d’exercice de 0,90 $ et 60 000 options avaient un prix d’exercice de 3,25 $. Le 28 août 2000, l’appelant a levé 148 500 options supplémentaires, ce qui lui a donné un profit de vente d’actions de 1 310 100 $, qui encore ici était imposable entre ses mains en vertu des articles 7 et 110 de la Loi. Selon son témoignage, il a levé ces options avec l’intention de conclure ce qui a été appelé en preuve un contrat de monétisation.

 

[6]     Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails des diverses formes de contrats de monétisation qui peuvent exister. Il me suffit de dire que ce sont en règle générale des stratégies élaborées à l’intention des personnes qui souhaitent obtenir la valeur monétaire de certaines participations, tout en ne paraissant pas au même moment disposer de ces actions sur le marché. À cette fin, M. Ellis a demandé les conseils d’Ernst & Young, cabinet de comptables agréés, qu’il a chargé d’explorer pour son compte une manière efficace de monétiser les actions qu’il était en mesure d’acquérir en vertu de son solde d’options non levées. Ernst & Young lui a en effet recommandé une stratégie et a estimé que parmi les diverses institutions financières qui pourraient collaborer à un tel contrat, la CIBC offrait les modalités les plus favorables. Dans son témoignage, M. Ellis a indiqué qu’il n’était toutefois pas allé de l’avant avec la proposition de contrat de monétisation, principalement parce que le coût de sa mise en œuvre était trop élevé et qu’il aurait encouru un risque de perte en cas de baisse de la valeur des actions.

 

[7]     La preuve n’établit pas clairement quand l’appelant a demandé à Ernst & Young d’explorer la monétisation à titre de stratégie possible pour lui, ni quand ce cabinet lui a présenté ses recommandations. Il est cependant clair que le prix du marché des actions d’eDispatch a subi une baisse rapide entre août et décembre 2000. Il n’a pas conclu de contrat de monétisation. Il a plutôt détenu ces 148 500 actions pendant presque 16 mois, jusqu’au 21 décembre 2001, lorsqu’il les a vendues au prix du marché d’alors, soit 0,40 $ l’action. Je reviendrai sur ces conseils et plus particulièrement sur la question de savoir si l’appelant peut déduire leur coût dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2000.

 

[8]     L’appelant a connu de graves problèmes de santé au cours de l’année 2000, dont l’une des conséquences a été que le conseil d’administration lui a demandé d’abandonner son poste de président, de chef de la direction et d’administrateur de la société, ce qu’il a fait au milieu de décembre 2000. Après cela, il n’a occupé aucune fonction au sein de la société, bien qu’en théorie il ait été retenu à titre de consultant pendant un an. Au cours de cette année, il a reçu des honoraires de consultation, mais la direction n’a pratiquement jamais demandé ses conseils. Il est cependant demeuré en communication avec certains cadres supérieurs et il a continué à s’intéresser au sort de la société tout au long de 2001. À la fin de 2000, l’appelant croyait que la baisse de la valeur des actions était attribuable à une réaction démesurée de la part du marché, et que la véritable valeur de la société ramènerait le prix des actions à environ 5 $ ou 6 $ au cours des mois suivants, si la société suivait son plan stratégique. En septembre 2001, la société a été acquise par une société appelée Air IQ, une opération à laquelle l’appelant s’était opposé sans succès. À ce moment-là, il a conclu qu’il était peu probable que le prix des actions remonte. Ainsi, suivant l’avis de ses comptables, il a vendu les actions acquises dans le cadre de la levée des 148 500 options en août 2000, afin de réaliser à leur égard la perte inévitable avant la fin de l’année 2001.

 

[9]     Entre mai 1999 et la fin de 2000, M. Ellis a effectué un certain nombre d’achats et de ventes d’actions de la société qui ne comportaient pas de levée d’options. Il a fait un premier achat de 51 000 actions en mai 1999. Cette opération était le résultat direct de la décision du conseil d’administration de l’embaucher à titre de président et de chef de la direction. Il a remplacé le fondateur de la société dans ce rôle et une de ses premières tâches consistait à orchestrer le départ de son prédécesseur. Il fallait prendre des mesures pour la disposition de l’importante participation en actions de celui-ci. Pour ce faire, la société a acquis cette participation et l’a vendue aux employés d’une manière proportionnelle à environ 0,50 $ l’action. À titre de cadre supérieur, l’appelant avait le droit d’acquérir 51 000 actions à ce prix, ce qu’il a fait en mai 1999. Selon son témoignage, il était important pour lui de démontrer sa confiance en la société et son engagement envers celle-ci, ce qu’il a fait au moyen de cet achat. Il a transféré 7 105 actions dans son REER en décembre 1999 et 927 autres actions le 5 avril 2000. Il a aussi acheté 5 000 actions d’eDispatch sur le marché le 5 avril 2000, de même que 5 000 actions le 31 mai et une autre tranche de 5 000 actions le 2 juin de la même année. Selon le témoignage de l’appelant à l’égard de ces achats, ceux-ci avaient pour but de montrer au marché des valeurs mobilières qu’il avait, à titre de président et de chef de la direction de la société, confiance en la société et qu’il estimait que le prix des actions était juste à environ 10 $. Les 15 000 actions qu’il a achetées sur le marché en mai et juin ont été achetées à un prix se situant entre 8 $ et 10 $, le prix ayant diminué de quelque 70 % depuis son sommet d’environ 32 $ en mars.

 

[10]    Six ou sept mois plus tard, dans la deuxième moitié de décembre 2000, M. Ellis a vendu 57 229 actions qu’il avait acquises par l’intermédiaire d’achats sur le marché pour un produit total de 71 997 $, soit une moyenne de 1,26 $ l’action. Dans son témoignage, il a indiqué qu’il était extrêmement en colère en raison de la manière dont la société l’avait traité en le forçant à partir et il voulait que le monde entier le sache. Les ventes de décembre étaient destinées à faire connaître cette situation, même s’il n’était plus un initié à ce moment‑là et qu’ainsi, il n’était plus tenu de déclarer ses opérations à la commission des valeurs mobilières de la Colombie‑Britannique.

 

[11]    Pour des raisons de commodité, Me Taylor a résumé les acquisitions et les dispositions d’actions de l’appelant non visées par les options dans le tableau suivant.

 

[traduction]

 

Date

Achat ou transfert

 

Nbre d’actions

Produit

Coût

Gain/(Perte)

 

Mai 1999

Achat

51 000

-

26 236 $

-

Déc. 1999

Transfert au REER

 

7 105

13 500 $

(3 655 $)

9 845 $

 

Solde

43 895

 

22 581 $

 

 

5 avril 2000

Transfert au REER

 

927

13 488 $

(477 $)

13 011 $

 

 

Solde

42 968

 

22 104 $

 

5 avril 2000

Achat

5 000

-

80 285 $

-

31 mai 2000

Achat

5 000

-

53 500 $

-

2 juin 2000

Achat

2 100

-

18 745 $

-

2 juin 2000

Achat

 

2 900

-

24 715 $

-

 

Solde

 

57 968

-

199 349 $

-

19 déc. 2000

Vente

(20 000)

31 075 $

(68 779 $)

(37 704 $)

28 déc. 2000

Vente

(14 529)

15 975 $

(49 965 $)

(33 990 $)

28 déc. 2000

Vente

 

(22 700)

24 947 $

(78 064 $)

(53 117 $)

 

Solde

739

-

2 541 $

-

 

L’appelant a déclaré les gains à l’égard des deux transferts à son REER au titre de capital.

 

[12]    M. Ellis a également acheté et vendu des actions de certaines sociétés autres qu’eDispatch en 2000 et en 2001. Il a déclaré un total de 16 ventes en 2000 et de 20 ventes en 2001. Le détail de ces opérations a été présenté en preuve et aucune de celles-ci n’est exceptionnelle. Au total, les gains tirés de ces opérations en 2000 se sont élevés à 67 211,11 $, et les pertes en 2001 ont été de 100 596,50 $. Il a effectué ses opérations sur les conseils d’un courtier en valeurs mobilières, et il a déclaré les gains et les pertes au titre de capital sur les conseils de ses comptables. Rien dans la preuve n’indique que ces opérations devraient être considérées comme des opérations boursières plutôt que comme des investissements.

 

Points en litige

 

[13]    L’imposition des gains que l’appelant a faits à l’occasion de la levée de ses options d’achat d’actions n’est pas en litige en l’espèce. Ces gains ont été déclarés et imposés en vertu des dispositions spéciales des articles 7 et 110 de la Loi qui s’appliquent à la levée d’options d’achat d’actions. La jurisprudence reconnaît que même si la levée d’options d’achat d’actions donne lieu à un gain qui sera imposé en vertu de ces articles dans l’avenir lors de la vente des actions, c’est également le début d’un deuxième événement pour fins fiscales, un événement qui peut être au titre de capital ou au titre de revenu, selon les circonstances entourant l’acquisition, la détention et la vente des actions acquises au moyen de la levée d’options. En l’espèce, l’appelant a vendu les actions acquises au moyen de la levée d’options d’achat d’actions en novembre 1999 et encore en février 2000, le même jour où ces options ont été levées et au même prix, de sorte qu’il n’y a pas eu de deuxième événement dans aucun de ces cas. Ses ventes ont été effectuées en vertu de l’option de surattribution.

 

[14]    Le premier point en litige vise la levée de 148 500 options effectuée par l’appelant le 28 août 2000 et la vente subséquente des actions en décembre 2001, laquelle a entraîné une perte considérable. Bien l’appelant ait témoigné qu’à l’achat de ces actions il avait l’intention d’en réaliser la valeur au moyen d’un contrat de monétisation, il ne l’a pas fait. Il a plutôt conservé les actions pendant presque un an et demi; pendant ce temps, leur valeur est passée de 9,65 $, soit le prix à la date de levée de ces options, à 0,40 $ le 21 décembre 2001, lorsqu’il les a vendues suivant les conseils de ses comptables. Il a déclaré la perte, quelque 1 373 625 $, à titre de perte en capital, également suivant les conseils de ses comptables. Ce n’est que plus tard, dans son avis d’opposition à la cotisation établie pour l’année d’imposition 2001, que l’appelant a pour la première fois adopté la position selon laquelle la levée de ces options était un projet comportant un risque de nature commerciale et qu’elle devrait donc être traitée au titre de revenu. Les raisons que ses avocats ont présentées pour justifier l’adoption de cette position comportent trois éléments. Premièrement, ils disent que l’appelant avait l’intention de réaliser la valeur des actions au moyen d’un contrat de monétisation le plus rapidement possible après la levée des options. Deuxièmement, ils disent qu’à titre d’initié, l’appelant avait des connaissances concernant la société et ses affaires dont ne disposaient pas d’autres investisseurs. Troisièmement, ils soutiennent qu’en vertu du contrat d’emploi, une grande partie de la rémunération de l’appelant était versée sous forme d’options d’achat d’actions et que ses opérations portant sur les actions devraient être considérées au titre de revenu.

 

[15]    Le deuxième point en litige porte sur l’acquisition et la vente ultérieure sur le marché de 57 229 actions d’eDispatch. Parmi ces actions, 51 000 étaient des actions que l’appelant avait acquises de la participation de l’ancien président et chef de la direction qu’il remplaçait. Les 6 229 autres actions faisaient partie des 15 000 actions qu’il avait achetées sur le marché entre avril et juin 2000. La perte sur leur vente en décembre 2000 s’élevait à 106 776 $. L’appelant a déclaré cette perte au titre de capital lorsqu’il a produit sa déclaration pour l’année 2000. Dans son avis d’opposition à l’égard de cette année-là, il a adopté la position selon laquelle l’achat et la vente ultérieure de ces actions était un projet comportant un risque de nature commerciale, donnant lieu à une perte autre qu’une perte en capital.

 

[16]    Le troisième point en litige concerne la déduction que l’appelant a demandée à l’égard des honoraires de 51 180 $ versés à Ernst & Young dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2000, soit en vertu de l’article 9 de la Loi, à titre de montant dépensé aux fins de gagner ou de produire un revenu, soit en vertu de l’alinéa 20(1)bb), qui prévoit une déduction comme suit :

20(1)    Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

            a)         […]

bb)       une somme, autre qu’une commission, versée par le contribuable au cours de l’année à une personne :

(i)         soit pour obtenir son avis sur l’opportunité d’acheter ou de vendre certaines actions ou valeurs mobilières,

(ii)        soit pour la prestation de services relativement à l’administration ou à la gestion d’actions ou de valeurs mobilières du contribuable,

si l’activité d’entreprise principale de cette personne consiste :

(iii)       soit à donner des avis sur l’opportunité d’acheter ou de vendre certaines actions ou valeurs mobilières,

(iv)       soit, entre autres choses, à assurer des services relatifs à l’administration ou à la gestion d’actions ou de valeurs mobilières;

 

[17]    Dans l’arrêt Rajchgot v. The Queen[1], la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit à l’égard d’un contribuable qui avait tout d’abord déclaré ses gains et ses pertes à l’égard de certaines actions comme gains et pertes en capital, et qui avait commencé, dans une année ultérieure, à déclarer ses pertes au titre de revenu lorsqu’il avait subi des pertes importantes en raison de la baisse du prix des actions :

 

Le fardeau qui incombe au contribuable qui veut changer la nature de ses déclarations dans des circonstances où il devient plus avantageux sur le plan fiscal de le faire est très lourd[2].

 

[18]    Selon la position de l’appelant, les pertes qu’il a subies lors de la disposition de ses actions d’eDispatch découlent d’un projet comportant un risque de nature commerciale, et elles sont par conséquent au titre de revenu. Voici donc les questions de principe qui entrent en jeu :

 

          [traduction]

 

1)         la question de savoir si [l’appelant] a traité les [actions] qu’il a achetées de la même manière qu’un courtier le ferait habituellement,

 

2)         la question de savoir si la nature et la quantité de l’objet des opérations peuvent exclure la possibilité que sa vente constituait la réalisation d’un placement, ou avait autrement un caractère de capital ou qu’il aurait pu être disposé d’une autre manière qu’à titre d’opération commerciale[3].

 

[19]    À mon avis, on ne peut pas dire que l’appelant a traité ces actions comme l’aurait fait un courtier. Selon son propre témoignage, son obligation envers la société et les actionnaires ne lui permettait pas d’être perçu comme n’ayant pas confiance en la valeur future des actions de la société. Il a exploré la possibilité de conclure un contrat de monétisation afin d’obtenir immédiatement le profit de la valeur du bloc de 148 500 actions sans être tenu de déclarer une vente à la commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique, et être ainsi perçu par le marché comme faisant preuve de pessimisme à l’égard de l’avenir de la société. Comme je l’ai mentionné, la preuve ne révèle pas de façon précise le moment où il a donné ses directives à Ernst & Young à cet égard. Il est cependant clair qu’il a levé les options sans avoir mis au point de plan précis pour effectuer la monétisation qui était, selon lui, son objectif immédiat. Cela est en contraste flagrant avec les deux occasions où il a levé des options afin de se prévaloir des options de surattribution. Le 3 novembre 1999 et à nouveau le 17 février 2000, il a levé les options et effectué les ventes le même jour. De toute évidence, il n’a pas levé les options jusqu’à ce que les mesures soient prises pour la vente. Le 28 août 2000, ses plans étaient beaucoup moins certains et, en fait, il a finalement choisi de ne pas conclure quelque contrat de monétisation que ce soit. Toute vente effectuée à ce moment-là aurait été incompatible avec son poste de président, chef de la direction et administrateur de la société et il aurait évidemment fallu la déclarer. Une telle vente, tandis que le prix des actions baissait rapidement entre septembre et décembre 2000, aurait sans aucun doute envoyé un message très négatif au marché. Voici le témoignage de l’appelant sur cet aspect précis[4] :

 

          [traduction]

 

[…] Lorsque le chef de la direction ou le chef des finances d’une société publique commence à vendre des actions, il envoie un message négatif au marché; non seulement c’est mal vu, mais également cela ferait baisser le cours des actions.

 

Selon lui, les ventes effectuées en vertu de l’option de surattribution constituaient une exception à cette règle générale. Le marché acceptait de telles ventes et les trouvait appropriées car elles se produisaient, par définition, dans le contexte d’une offre publique d’actions sursouscrite et par conséquent très réussie.

 

[20]    Même en considérant la preuve de son intention de la manière la plus favorable, elle n’établit pas que l’appelant cherchait à vendre ces actions en vue d’un profit rapide. Ce qu’il souhaitait réellement était de réaliser la différence entre le prix d’option et le prix du marché et de monétiser immédiatement la valeur au moment de la levée des options, sans gain ni perte. Cela aurait en effet produit le même résultat que celui que l’appelant avait obtenu lors des deux occasions précédentes lorsqu’il avait vendu les actions le jour de leur achat. Il n’y aurait pas eu de possibilité de profit ou de perte à l’égard des actions après l’achat, parce qu’en vertu du contrat de monétisation qu’il avait envisagé, la banque ou un tiers aurait été celui qui aurait réalisé le profit ou la perte, lors de la montée ou de la baisse du prix des actions. En bref, la conclusion du contrat de monétisation qu’il a envisagé immédiatement après la levée des options aurait écarté toute possibilité de traiter les actions comme le ferait un courtier.

 

[21]    Même après décembre 2000, alors qu’il n’était plus un initié ni ainsi assujetti aux contraintes liées à la négociation des actions, la manière dont M. Ellis a traité les 148 500 actions acquises au moyen des options correspondait plus à un investissement qu’à un projet comportant un risque de nature commerciale. Il a conservé les actions, vraisemblablement sans penser qu’il pourrait en obtenir un profit, mais apparemment dans l’espoir qu’elles reprendraient une certaine valeur, même lorsqu’il disposait de 57 229 autres actions d’eDispatch à un prix de vente de liquidation pour des motifs qui étaient, selon lui, plus émotionnels que rationnels.

 

[22]    M. Ellis a témoigné que ses achats d’actions, à la fois le bloc de 51 000 actions qu’il avait achetées en 1999 et les 15 000 actions qu’il avait achetées entre avril et juin, étaient destinés à montrer au marché qu’il avait confiance en la société, en ses actions et en son avenir. À titre de nouveau chef de la direction, il voulait transmettre ce message au marché, et c’était là la motivation de son premier achat. Ses achats sur le marché de 15 000 actions entre avril et juin 2000 ont été faits au moment où le prix du marché descendait de son sommet de 32 $ en mars à 16 $ en avril et à 8,35 $ lorsqu’il a acheté les dernières actions de ce bloc le 2 juin 2000. Son intention déclarée de manifester sa confiance en la valeur sous‑jacente des actions est plutôt incompatible avec son affirmation actuelle selon laquelle il avait acheté ces actions à l’occasion du début d’un projet comportant un risque de nature commerciale. Il est également remarquable que l’appelant a placé les fonds de ses propres REER dans des actions de la société en décembre 1999 et à nouveau en avril 2000. Une telle situation est beaucoup plus compatible avec une intention d’investissement qu’avec une participation dans un projet comportant un risque de nature commerciale.

 

[23]    Les avocats de l’appelant se sont appuyés sur plusieurs jugements de première instance pour soutenir leur prétention selon laquelle ces opérations étaient des projets, mais ces décisions sont évidemment des cas d’espèce. Dans la décision Lager v. The Queen[5], madame la juge Lamarre était saisie d’une situation dans laquelle le contribuable avait acheté un grand nombre d’actions avec de l’argent emprunté et n’avait aucunement l’intention de conserver les actions après l’échéance du prêt trois ans plus tard. La juge a conclu que l’achat était de nature spéculative. En l’espèce, l’appelant n’a présenté aucun élément de preuve à cette fin. Dans la décision Pollock v. The Queen[6], le juge McNair a conclu qu’il y avait de nombreuses opérations à l’égard des actions de quatre sociétés différentes dont le contribuable était un initié et que seules les options d’achat d’actions constituaient sa véritable forme de rémunération. Par contraste, M. Ellis ne compte en fait que trois opérations qu’il aimerait qualifier de projets; des achats en mai 1999, à la fin d’août 2000 et le 31 mai ainsi que le 2 juin 2000. Ses autres achats étaient des ventes effectuées le même jour au même prix. En avril 2000, son salaire avait doublé pour s’élever à 250 000 $ par année, ce qu’il estimait être une rémunération appropriée pour le poste qu’il occupait. Dans la décision Street v. The Queen[7], le juge en chef Christie a tiré une importante conclusion de fait selon laquelle l’appelant avait acheté des actions avec l’intention de disposer rapidement d’une importante partie d’entre elles pour liquider des dettes. Il avait vendu 5 000 actions sur 8 000 dans un délai de 12 semaines. 

[24]    Bien sûr, il existe autant de situations factuelles différentes qu’il y a de décisions, mais comme le juge Rip (maintenant juge en chef adjoint) l’a déclaré dans la décision Rajchgot v. The Queen[8] :

Le facteur décisif pour déterminer si le contribuable a acquis un bien à des fins d’investissement ou commerciales est son intention au moment de l’acquisition du bien. Il faut déterminer cette intention en se fondant sur l’ensemble de la conduite de l’appelant.

[…] Ce n’est ni l’absence ni l’existence de l’un au moins de ces critères qui permet de déterminer si une opération est imputable au capital ou au revenu; c’est l’effet combiné de tous ces facteurs qui est important. […]

À mon avis, les facteurs que j’ai mentionnés, pris ensemble, signalent une intention d’investissement de la part du contribuable plutôt qu’une entreprise.

[25]    En résumé, ni l’intention exprimée de l’appelant de monétiser les actions immédiatement, ni l’objet, soit les actions d’une société dont il était un cadre supérieur, ne tendent à appuyer l’opinion selon laquelle il participait à un projet comportant un risque de nature commerciale lorsqu’il a levé les 148 500 options en août 2000. Quant aux actions non acquises en vertu des options, le motif qu’il a exprimé à l’égard de leur achat et la nature de l’objet sont tous deux incompatibles avec la théorie selon laquelle elles avaient été achetées aux fins d’un projet comportant un risque de nature commerciale. Je conclus que le ministre a correctement qualifié les pertes de l’appelant comme étant au titre de capital.

[26]    L’appelant soutient que ce qui est décrit dans l’avis d’appel modifié comme étant des [traduction] « honoraires liés à des conseils financiers » de 51 180 $ devraient être déductibles dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2000 à titre de dépenses prises en compte en vertu de l’article 9 de la Loi. De telles déductions sont limitées par les dispositions précises de l’alinéa 18(1)a) :

18(1)    Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a)         les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien;

L’appelant n’a pas présenté en preuve les directives qu’il avait données à Ernst & Young ou les conseils qui lui avaient été prodigués par écrit. Il a simplement indiqué dans son témoignage qu’il avait demandé au cabinet des conseils concernant une stratégie de monétisation. Les sommes facturées par Ernst & Young à l’appelant décrivent les services comme suit dans la facture provisoire du 9 septembre 2000 :

          [traduction]

Services fournis à l’égard de la négociation et de l’analyse du contrat de monétisation des actions avec la CIBC et à l’égard de notre analyse fiscale de cette question, y compris les réunions et l’examen des options d’achat d’actions;

Le compte final daté du 18 décembre 2000 décrit les services comme suit :

          [traduction]

Conseils et assistance à l’égard de la restructuration de la fortune personnelle en vue de l’investissement dans un portefeuille diversifié, y compris l’emprunt sur un contrat de devises à terme avec une option de vente;

Parmi les conseils réellement donnés par Ernst & Young, une seule page a été présentée en preuve, et ce, par l’intimée. Elle n’ajoute pas plus de lumière sur la nature des services que les extraits précédents tirés des factures. L’appelant n’a pas établi que la facturation d’Ernst & Young avait été dressée pour l’aider à tirer ou à produire un revenu du bien en question. Il semble qu’elle avait été dressée pour l’aider à liquider l’investissement sans qu’il paraisse le faire. Je conclus que ces montants n’auraient pas pu être déductibles en vertu de l’article 9 de la Loi, même si j’avais conclu que l’appelant avait participé à un projet comportant un risque de nature commerciale. Ces montants n’ont pas non plus été engagés aux fins de tirer ou de produire un revenu provenant des actions elles-mêmes.

[27]    Ces honoraires ne sont pas non plus déductibles en vertu de l’alinéa 20(1)bb). Je ne crois pas que les services d’Ernst & Young avaient quelque lien que ce soit avec des conseils concernant l’achat ou la vente de certaines actions. M. Ellis avait consulté Ernst & Young, a-t-il dit, pour que le cabinet cherche pour lui un arrangement de monétisation qui lui aurait permis, dans les faits, de vendre ses options sans paraître le faire. Il n’avait que les actions d’eDispatch à l’esprit, et il ne s’est pas adressé à Ernst & Young pour avoir des avis sur l’opportunité de les acheter ou de les vendre, ni pour obtenir de l’aide dans leur administration ou gestion. La fonction de ce cabinet consistait simplement à obtenir un arrangement de monétisation à l’égard des actions. Si les modalités du contrat de la CIBC lui avaient été plus acceptables, l’appelant aurait alors conclu ce contrat directement avec la banque. Celle-ci aurait pu être en mesure d’administrer les actions, mais ce n’était pas le cas d’Ernst & Young. De plus, la déduction est permise uniquement si la disposition à la fin de l’alinéa 20(1)bb) est respectée, à savoir :

si l’activité d’entreprise principale de cette personne consiste :

(iii)       soit à donner des avis sur l’opportunité d’acheter ou de vendre certaines actions ou valeurs mobilières,

(iv)       soit, entre autres choses, à assurer des services relatifs à l’administration ou à la gestion d’actions ou de valeurs mobilières;.

Le seul élément de preuve que pouvait faire valoir l’appelant concernant l’activité d’entreprise principale d’Ernst & Young est cet extrait d’une lettre datée du 17 mars 2003 d’Ernst & Young Corporate Finance Inc. à l’Agence des douanes et du revenu du Canada :

          [traduction]

Un examen plus approfondi des factures d’Ernst & Young datées du 29 septembre 2000 et du 18 décembre 2000 indique qu’une partie importante des travaux a été exécutée par la section Investment Advisory Services et, par conséquent, les honoraires devraient être déductibles au titre d’honoraires de conseillers en placements conformément à l’alinéa 20(1)bb) de la Loi. Veuillez prendre note qu’Ernst & Young Investment Advisory Services est une société distincte qui fournit des conseils financiers concernant la prestation de services à l’égard de l’administration ou de la gestion d’actions ou de titres. Parmi les services offerts, mentionnons l’analyse comparative des produits et des offres contractuelles des institutions financières afin de trouver les produits qui offrent le meilleur rendement sur l’investissement et les meilleurs coûts.

(Pièce A-1, onglet 24, pages 1-2)

L’exactitude de cet extrait n’a pas été tenue pour acquise lorsque les documents ont été admis comme preuve, par consentement[9], ni n’a été établie par un témoin. Quoi qu’il en soit, une lecture attentive des factures en question n’indique aucunement ce que mentionne la lettre. Les deux factures sont dressées sur du papier à en-tête qui se lit comme suit :

[traduction]

ERNST & YOUNG                       Ernst & Young s.r.l.

                                                Comptables agréés

                                                                                Vancouver (Colombie-Britannique)

Elles contiennent toutes deux la mention suivante :

[traduction]

            Verser à :

            Ernst & Young s.r.l.

            Comptables agréés

Pour payer les factures, l’appelant a fait des chèques simplement à l’ordre de :

Ernst & Young

La preuve est tout simplement insuffisante pour que le libellé de l’alinéa 20(1)bb) s’applique aux conseils ou à leur auteur. Ainsi, l’appel doit également être rejeté sur ce point.

[28]    Les appels sont rejetés avec dépens en faveur de l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mai 2007.

 

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour d’octobre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI289

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2003-2745(IT)G

 

INTITULÉ :                                       BRIAN ELLIS c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 29 et 30 mai 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge E.A. Bowie

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 14 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

Me Roger Taylor et Me Al-Nawaz Nanji

Avocats de l’intimée :

Me Roger Leclaire et Me Jade Boucher

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Me Roger Taylor et Me Al-Nawaz Nanji

 

                            Cabinet :                Couzin, Taylor LLP

 

Pour l’intimée :                                   John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           2005 DTC 5607; 2005 CAF 289.

 

[2]           Au par. 5.

 

[3]           Irrigation Industries Ltd. v. M.N.R., [1962] R.C.S. 346, le juge Martland, à la p. 352.

 

[4]           Transcription, p. 45, l.l. 10-13.

 

[5]           97 DTC 431 (C.C.I.).

 

[6]           90 DTC 6142 (C.F. 1re inst.); conf. par 94 DTC 6050 (C.A.F.).

 

[7]           91 DTC 369 (C.C.I.).

 

[8]           2004 DTC 3090, aux par. 17-18.

 

[9]           Transcription, p. 2 l. 15 à p. 3 l. 15.

 

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