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Référence : 2007CCI295

Date : 20070528

Dossier : 2006-1383(IT)I

ENTRE :

SUSAN McGRATH,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Pour l’appelante : L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée : Me Gatien Fournier

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(rendus oralement à l’audience

le 7 novembre 2006, à Belleville (Ontario).)

 

Le juge McArthur

 

[1]     La question en litige est de savoir si l’appelante a le droit de déduire des frais de scolarité s’élevant à 3 933 $ dans le calcul de ses crédits d’impôt non remboursables pour l’année d’imposition 2004. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») affirme que l’appelante ne fréquentait pas comme étudiante à plein temps une université située à l’étranger au sens de l’alinéa 118.5(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») au moment où elle poursuivait ses études dans le cadre d’un programme d’enseignement à distance par Internet ou en ligne.

 

[2]     L’appelante, âgée de 54 ans, est institutrice depuis plus de 30 ans et gagne environ 75 000 $ par année. Elle est parent unique de trois garçons, tous âgés de plus de 20 ans. Elle a obtenu sa maîtrise de l’Université Walden, un établissement reconnu situé à Chicago (Illinois) et membre de la North Central Association of Colleges. Tous ses cours étaient donnés en ligne. Elle n’a jamais mis le pied dans un campus universitaire avec salles de cours, bibliothèques et autres éléments typiques d’un campus traditionnel. Elle a décrit sa participation aux cours comme des rencontres en personne avec deux ou trois autres étudiants, y compris deux instituteurs travaillant pour la même commission scolaire qu’elle. Ses tâches d’institutrice débutaient à 8 h et se terminaient à 16 h 30 chaque jour, cinq jours par semaine. Elle consacrait 25 heures par semaine à ses études, y compris entre deux et deux heures et demi chaque soir, chaque samedi, tout l’après‑midi, et chaque dimanche, toute la journée. Une bonne partie de ses travaux d’université était faite en collaboration avec les deux autres instituteurs de son équipe. Elle a complété le programme avec succès, et sa maîtrise a été reconnue par sa commission scolaire et est également reconnue par la Loi. L’appelante affirme que ses études représentaient une énorme entreprise, mais que ses compétences d’institutrice s’en sont trouvées améliorées.

 

[3]     Elle a décidé d’interjeter appel après avoir pris connaissance de la décision Krause v. The Queen[1] rendue par le juge en chef Bowman. Elle a cité le paragraphe suivant :

 

            Il est donc évident que la question ne peut vraiment pas être tranchée avec netteté. Même s'il ne m'est pas nécessaire de m'exprimer sur ce point, l'appel devant être rejeté de toute manière parce que l'avis de cotisation n'exige pas le paiement d'impôts, je crois qu'il existe de solides raisons de conclure que la fréquentation à temps plein d'une université située à l'étranger peut inclure la fréquentation à temps plein par le truchement d'Internet ou en ligne, comme c'est le cas ici. Ce point de vue est conforme à la logique et à la réalité de la technologie moderne. S'il subsiste un doute sur ce point, le Parlement devrait prendre des mesures pour l'éliminer.

 

Je dois préciser qu’une copie de la décision Krause avait été remise, en toute équité, à l’appelante par un fonctionnaire de l’ARC et par Me Fournier, l’avocat de l’intimée dans le présent appel.  

 

[4]     Ceci soulève une question importante dont la réponse se trouve à l’alinéa 118.5(1)b) de la Loi, qui est rédigé en ces termes :

 

Les montants suivants sont déductibles dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition,

 

[…]

 

b)         si, au cours de l'année, le particulier fréquente comme étudiant à plein temps une université située à l'étranger, où il suit des cours conduisant à un diplôme, le produit de la multiplication du taux de base pour l'année par le total des frais de scolarité payés à l'université pour l'année […]

 

[5]     Il importe de souligner que le ministre a admis que l’appelante avait droit au crédit d’impôt pour études s’élevant à 750 $ qu’elle avait demandé en vertu de l’article 118.6. Afin de trancher la question de savoir si l’appelante fréquentait comme étudiante à plein temps l’Université Walden – université qui s’affiche comme étant la première en importance parmi les universités américaines offrant des cours en ligne –, l’article 118.5 fournit deux critères : a) l’appelante devait être inscrite à Walden; b) si c’était le cas, elle devait fréquenter Walden comme étudiante à plein temps.

 

[6]     J’examine d’abord le critère b). Si suivre des cours en ligne équivaut à fréquenter une université, je peux conclure que l’appelante satisfait au critère de la fréquentation à plein temps. L’avocat du ministre soutient que les faits en l’espèce se distinguent de la décision Krause car M. Krause, de son côté, consacrait de 22 à 36 heures par semaine à ses études tout en travaillant tout au plus 30 heures par semaine dans un restaurant McDonald’s. L’appelante en l’espèce consacrait de 20 à 25 heures par semaine à ses études et travaillait 40 heures par semaine comme institutrice dans une école primaire. À mon avis, l’écart d’heures n’a pas d’incidence importante sur la détermination du statut d’étudiante à plein temps de l’appelante.

 

[7]     J’admets le témoignage de l’appelante selon lequel Walden estimait qu’elle était une étudiante à plein temps. De plus, elle a reçu une lettre de la part de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario. Cette lettre, datée du 30 juin 2005, est reproduite en partie ci‑dessous :

 

[TRADUCTION]

 

Au nom de la direction de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, je tiens personnellement à vous féliciter pour l’obtention d’une bourse d’études dans le cadre du programme de bourses d’études pour femmes poursuivant des études supérieures. Voici donc, en pièce jointe, un chèque d’un montant de 1 500 $.

 

De toute évidence, la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario reconnaissait l’Université Walden et le diplôme que l’appelante visait à obtenir.

 

[8]     À mon avis, l’appelante mérite bien le petit allègement fiscal qu’elle a demandé. Après d’importants efforts et autant de sacrifices, elle a obtenu un diplôme et a amélioré ses compétences d’institutrice. Elle n’aurait pas pu quitter sa famille et laisser tomber son revenu d’emploi d’institutrice pour s’installer dans un campus de l’Université Queen’s, par exemple, ou même dans tout autre campus universitaire au Canada ou à l’étranger. Comme je l’ai déjà indiqué, je conclus qu’elle satisfait au critère de la fréquentation à plein temps.    

 

[9]     La question la plus difficile à trancher est celle de savoir si l’appelante fréquentait bel et bien l’Université Walden. Me  Fournier a présenté deux décisions comportant des faits semblables à l’affaire en l’espèce qui ont été favorables au ministre. En ce qui concerne ces deux décisions, je traiterai de l’interprétation du mot « fréquente » dans l’expression « fréquente comme étudiant à plein temps » figurant au paragraphe 118.5(1).

 

[10]    Dans la décision Hlopina v. The Queen[2], le juge Bowie a examiné le sens du libellé « fréquente comme étudiant à plein temps ». Il a conclu qu’un cours par correspondance n’équivalait pas à la fréquentation d’une université comme étudiant à plein temps. Le paragraphe 12 de sa décision est rédigé en ces termes : 

 

[TRADUCTION]

           

L'ambiguïté que contient le texte anglais peut être dissipée en se référant à la version française de la Loi. Ainsi, l'expression « [...] le particulier fréquente comme étudiant à plein temps une université [...] » que l'on emploie à l'alinéa 118.5(1)b) fait contraste à l'expression « [...] université située à l'étranger, où le particulier [...] est inscrit [...] » qui figure à l'alinéa 118.6(1)b). De toute évidence, la première expression, contrairement à la deuxième expression, exige la présence physique à l'université.

 

La suite du paragraphe 12 de la décision du juge Bowie est rédigée en ces termes :

 

[TRADUCTION]

 

[…] Lorsqu'une version de la loi est claire et sans ambiguïté, comme c'est le cas en l'espèce, et que l'autre version peut avoir une signification semblable ou différente, je suis tenu d'appliquer celle qui est commune aux deux versions. Bien que le verbe « to attend » en anglais puisse évoquer autre chose qu'une présence physique, on ne peut dire la même chose du verbe français « fréquenter » . Par conséquent, je dois conclure à contrecœur que le crédit d'impôt pour frais de scolarité prévu à l'article 118.5 de la Loi ne peut être accordé à un contribuable qui suit des cours par correspondance dans une université située à l'étranger. À cet égard, je partage l'opinion du juge Heald dans l'affaire Ritchie qui a déclaré ceci :

 

            J'ai mentionné au cours du procès que j'étais favorable à la position de l'intimé. Ce dernier et d'autres comme lui doivent être loués pour leur zèle, leur persévérance et leur dévouement à réaliser des progrès personnels. Il se pourrait bien que l'intimé et d'autres contribuables qui sont dans une situation semblable puissent être en mesure de déduire des frais de scolarité dans ces circonstances. Cependant, il ne revient pas à la Cour de légiférer et je peux donc seulement interpréter la loi telle qu'elle est présentement.

 

[11]    L’autre décision à laquelle m’a renvoyé l’avocat de l’intimée était une décision que j’avais moi‑même rendue, Cleveland v. The Queen[3], dans laquelle je partage l’opinion qu’a exprimé le juge Bowie dans la décision précitée. Dans la décision Cleveland, j’indique ce qui suit :

 

[…] L'appelant a suivi des cours pendant toute une année. Au cours de 2001, alors qu'il vivait en Saskatchewan, il occupait un emploi à temps plein auprès de […] et gagnait un revenu annuel de 101 355 $.

 

[…]     

            Les cours qu'il a suivis étaient offerts en direct au moyen de courriels, du téléphone, de salles de cours et de bibliothèques virtuelles. Ils se distinguaient clairement des cours par correspondance. En effet, l'appelant a déclaré qu'il fréquentait la Capella University au Minnesota grâce à une technologie moderne sans quitter sa résidence en Saskatchewan.

 

La position de l’intimée était rédigée en ces termes :

 

            En ce qui concerne le crédit d'impôt pour frais de scolarité demandé, le ministre du Revenu national, bien qu'il admette que la Capella est une université en direct, soutient que l'appelant ne « fréquentait » pas la Capella à temps plein, ce qui est obligatoire […]. Le mot clé est « fréquenter ».

 

Aux paragraphes 7 et 8, j’ai énoncé :

 

            L'alinéa 118.5(1)a) prévoit un crédit pour frais de scolarité si un étudiant est « inscrit » à un établissement d'enseignement au Canada. Par contre, un étudiant qui étudie dans une université située à l'étranger doit « fréquenter » l'établissement d'enseignement « à temps plein » en vertu de l'alinéa 118.5(1)b) et non pas y être simplement « inscrit » […]

 

            La question en litige se résume donc à savoir si l'appelant « fréquentait à temps plein » la Capella située à l'étranger (à Minneapolis, au Minnesota). […]

 

Le paragraphe 12 est rédigé en ces termes :

 

            À mon avis, c'est pousser un peu trop loin le sens ordinaire du terme « fréquenter ». Cette conclusion est fortement appuyée par la version française [...]

 

Le paragraphe 13 est rédigé en ces termes :

 

            Je conclus que l'appelant doit avoir été physiquement présent à la Capella pour se prévaloir des dispositions énoncées à l'article 118.5. Si le législateur avait voulu inclure les universités « en direct » […], il l'aurait stipulé explicitement de manière à ce que le contribuable ne puisse déformer le sens des dispositions et faire des spéculations en vue de trouver un sens plus large du terme « fréquenter ». Je ne peux pas réécrire la loi.

 

[12]    De toute évidence, le juge en chef Bowman ne partage pas du tout le point de vue du juge Bowie voulant que, pour « fréquenter » une université, on doit y être présent physiquement et que ceci ne comprend pas les cours suivis en ligne. Le juge en chef Bowman ne renvoie pas à la décision Cleveland rendue sept mois avant la décision qu’il a rendue dans l’affaire Krause, mais il est manifeste qu’il ne partage pas non plus ce point de vue. Voilà mon dilemme. Le juge Bowie et le juge en chef Bowman sont tous deux très respectés. La décision Hlopina a été rendue en 1998, et la décision Krause, en 2004. Il est beaucoup plus fréquent aujourd’hui de voir des étudiants suivre des cours en ligne.

 

[13]    Susan McGrath ne pouvait pas suivre les cours spécialisés menant à l’obtention de cette maîtrise au Canada. Sa seule option était de suivre les cours en ligne. Mon point de vue sur la question a évolué depuis la cause Cleveland. J’accepte le raisonnement de notre juge en chef. Je conclus que son point de vue est conforme à la logique et à la réalité de la technologie moderne. S’il subsiste un doute sur ce point, le Parlement devrait prendre des mesures pour l’éliminer, mais pour les motifs énoncés ci‑dessus, l’appel est accueilli avec dépens, s’il en est.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mai 2007.

 

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de juillet 2007.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI295

 

N° DU DOSSIER :                             2006-1383(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Susan McGrath et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Belleville (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 7 novembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 9 novembre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me Gatien Fournier

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      s.o.

 

                                             Cabinet :         s.o.

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           2004 DTC 3265.

[2]           [1998] 2 C.T.C. 2669.

[3]           2004 DTC 2199.

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