Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 90-3235(IT)

91-509(IT)G

91-1816(IT)G

91-1946(IT)G

ENTRE :

TED J. HOCHBERG,

LINDA LECKIE MOREL,

et GEOFFREY D. BELCHETZ

Appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

Intimée

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Requêtes entendues le 28 avril 2004, à Kitchener (Ontario)

 

Devant : L’honorable E.A. Bowie

 

Comparutions :

 

Avocats des appelants :

David M. Goodman et

Howard Winkler

 

Avocats de l’intimée :

Peter M. Kremer et

Rosemary Finchman

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

          À la suite des requêtes présentées par les appelants en vue d’obtenir une ordonnance établissant que leur avocat, Howard Winkler, et son cabinet, Aird & Berlis, ne sont pas, en raison d’un conflit d’intérêts, inaptes  à les représenter dans le cadre des présents appels;

 

          Après avoir lu les affidavits de Michael Spivak, Howard Winkler et Einar Bellfield, qui ont été déposés;

 

          Et après avoir entendu les avocats des parties;

 

          Je déclare que les appelants ont le droit de continuer d’être représentés devant le tribunal par M. Howard Winkler et le cabinet Aird & Berlis.

 

          Les appelants ont droit aux dépens relatifs à la présente requête et je fixe les honoraires de l’avocat à 1 000 $.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de juillet 2004.

 

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d’août 2005.

 

 

 

Marie-Claude Bergeron, traductrice


 

 

 

Référence : 2004CCI487

Date : 20040707

Dossier : 90-3235(IT)

91-509(IT)G

91-1816(IT)G

91-1946(IT)G

ENTRE :

TED J. HOCHBERG,

LINDA LECKIE MOREL

et GEOFFREY D. BELCHETZ,

Appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

Intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Bowie

 

[1]     Les requêtes que j’ai devant moi sont plutôt inhabituelles. Les appelants demandent une ordonnance déclarant que leur avocat, M. Howard Winkler, et son cabinet, Aird & Berlis, ne sont pas inaptes à les représenter dans le cadre des présents appels en matière d’impôt sur le revenu au motif qu’il existerait un conflit d’intérêts.   C’est une question qui, plus souvent, prendra la forme d’une demande que l’une des parties présente visant à faire déclarer que l’avocat représentant une autre partie est  jugé inapte à défendre celle-ci.

 

[2]     Il y a quelques années, les appelants ont investi dans une ou plusieurs sociétés en commandite dont la promotion était à ce moment-là effectuée par un certain M. Bellfield et un de ses associés. Les sociétés ont connu des pertes importantes, que les appelants, ainsi que d’autres partenaires, ont tenté de déduire de leurs revenus en vertu de l’article 3 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le ministre du Revenu national a déterminé que les sociétés en question n’étaient pas du tout des sociétés en commandite puisqu’elles n’exerçaient aucune activité commerciale, et il a donc refusé les déductions réclamées. Les appelants en l’espèce seraient  représentatifs d’un grand nombre d’autres investisseurs. Au fil des ans, ils ont été représentés par divers avocats. En juin 2003, ils ont de nouveau changé d’avocat et retenu les services de M. Winkler. L’intimée est représentée par le procureur général du Canada.

 

[3]     Il y a quelques années, le pocureur général du Canada a décidé d’intenter une poursuite contre M. Bellfield et son associé pour fraude et présentation de faux documents relativement à la promotion des sociétés en commandite. En décembre 1999, ils ont été déclarés coupables de deux chefs d’accusation de fraude et de deux chefs d’accusation d’emploi de documents contrefaits. Depuis, ils ont en vain interjeté appel à l’encontre des déclarations de culpabilité auprès de la Cour d’appel de l’Ontario et ils ont déposé une demande en autorisation d’appel auprès de la Cour suprême du Canada, sans plus de succès. M. Winkler a représenté M. Bellfield dans sa requête en autorisation d’appel devant la Cour suprême, déposée le 25 février 2004. Le procureur général du Canada a répondu en s’opposant à la demande en autorisation d’appel, et en demandant que le cabinet Aird & Berlis, ainsi que M. Winkler, soient jugés inaptes à représenter le requérant en raison d’un conflit d’intérêts. Brièvement, la position du procureur général était que M. Bellfield avait fraudé les investisseurs dans les sociétés en commandite en question, et que M. Winkler ne pouvait donc pas défendre à la fois le promoteur et les investisseurs, puisque leurs intérêts étaient conflictuels. Les motifs du jugement de la Cour d’appel contenaient l’énoncé suivant :

 

          [TRADUCTION]

 

La Couronne allègue que les investisseurs ont été victimes d’une fraude d’environ 22 000 000 $ et qu’une somme approximative de 118 000 000 $ a été réclamée en pertes fiscales frauduleuses.

 

Le lendemain de l’audition de la présente requête, la Cour suprême du Canada a rejeté la requête en autorisation d’appel déposée par M. Bellfield. La Cour n’a pas tranché ni même mentionné la requête dont elle était saisie visant à faire déclarer M. Winkler et son cabinet Aird & Berlis inaptes à représenter M. Bellfield.

 

[4]     Bien que M. Bellfield ne soit plus un client, mais constitue un ancien client de M. Winkler, il n’est pas impossible qu’il y ait un conflit d’intérêts qui l’empêcherait de représenter les appelants dans le cadre de ces appels. Les intérêts qui sont protégés par les règles sur les conflits d’intérêts comprennent le droit d’un ancien client à la loyauté continue de son ancien avocat, ainsi que le droit du client au maintien de la confidentialité de l’information échangée entre lui et son avocat et pour laquelle le secret professionnel de l’avocat s’applique. La préoccupation globale est que la confiance du public dans le système de justice ne soit pas minée ou affaiblie par des conflits d’intérêts réels ou perçus.[1]

 

[5]     Sur la foi des documents qui m’ont été présentés, je ne vois aucune cause d’inquiétude en l’espèce. Michael Spivak est au courant des nombreux appels en instance devant le présent tribunal relativement aux entreprises de M. Bellfield,  tout particulièrement des trois appels dans le cadre desquels s’inscrivent les présentes requêtes. Il est autorisé par tous les appelants à parler en leur nom. Son affidavit n’est pas contesté, ni ceux de Howard Winkler et de Einar Bellfield.[2] Ces affidavits établissent que ce sont les appelants qui ont proposé à M. Bellfield de se faire représenter par M. Winkler devant la Cour d’appel, et par la suite devant la Cour suprême, dans le cadre de l’appel de la déclaration de culpabilité prononcée contre lui. C’est ce qu’ils ont fait; M. Bellfield a accepté la proposition parce qu’ils étaient tous d’avis que leurs intérêts coïncidaient complètement, et que la plus forte probabilité de succès, à la fois dans le cadre de l’appel de la déclaration de culpabilité prononcée contre M. Bellfield et dans des appels à l’encontre des cotisations fiscales devant le présent tribunal, reposait sur les arguments que M. Winkler avait exposés. Les appelants étaient suffisamment convaincus de ce fait qu’ils étaient disposés à payer les honoraires de M. Winkler pour qu’il représente M. Bellfield. La déposition par affidavit établit également que les appelants et M. Bellfield avaient obtenu des avis juridiques indépendants avant de conclure qu’aucun conflit d’intérêts ne découlerait du fait que M. Winkler les représente tous. Enfin, les affidavits établissent également que M. Winkler n’a pas reçu d’information confidentielle de la part des appelants, ni de M. Bellfield.

 

[6]     En ce qui concerne la requête dont je suis saisi, le substitut du procureur général du Canada n’a pas soutenu qu’il est interdit à M. Winkler de représenter les appelants en raison d’un conflit existant. À son avis, il n’existe pas nécessairement de conflit à l’heure actuelle, mais un conflit possible parce que M. Bellfield sera inévitablement un témoin lorsque ces appels seront entendus et que M. Winkler, en tant qu’avocat des appelants, devra le contre-interroger,il pourrait alors se trouver dans une situation où il contre-interroge un témoin de qui il a obtenu de l’information confidentielle en tant que client. Cet argument tient, de toute évidence, pour acquis que tôt ou tard les appelants soutiendront devant le présent tribunal que les intérêts de M. Bellfield et leurs intérêts ne coïncident plus. Cela qui va aussi à l’encontre de la preuve non contredite voulant que M. Winkler n’ait pas reçu d’information confidentielle de la part de M. Bellfield. C’est d’ailleurs une probabilité que les appelants, M. Winkler et M. Bellfield, peuvent déjà envisager. Le procureur général aurait pu contre-interroger M. Bellfield relativement à cette possibilité, mais il a décidé de ne pas le faire.

 

 [7]    Sur le fondement des documents à l’appui de la présente requête, je suis convaincu que la représentation par M. Winkler de ces appelants et celle de M. Bellefield devant la Cour suprême ne donnent pas lieu à un conflit d’intérêts susceptible de le rendre inapte. M. Goodman a clairement affirmé qu’il ne demande pas un jugement déclaratoire qui s’appliquerait dans le futur, mais simplement une déclaration portant qu’il n’existe actuellement aucun conflit d’intérêts.

 

[8]     Dans les plaidoiries, on n’a pas mentionné de précédent qui permet d’affirmer que le présent tribunal peut rendre ce qui équivaut à un jugement déclaratoire interlocutoire sur le droit d’une partie à un appel devant un tribunal d’être représentée par un avocat précis; d’ailleurs, je n’en connais aucun. M. Goodman a cité la décision du juge Barry dans l’affaire R. c. Desjardins et al[3] dans laquelle un tel jugement déclaratoire a été rendu dans le contexte d’une poursuite pénale. Cependant, à mon avis, il est évident que le tribunal pourrait examiner la question de la révocation d’un avocat au motif de l’existence d’un conflit d’intérêts en application des Règles de procédure générale. Dans l’affaire Groupe Trenca Inc. c. Techno Bloc Inc., la Section de première instance de la Cour fédérale a rendu une telle ordonnance.[4] Même si le juge Blais et le protonotaire, dont la décision[5] a été infirmée, ne mentionnent pas  précisément la Règle en vertu de laquelle la requête a été déposée, il est évident qu’il s’agissait d’une requête interlocutoire. Les Règles de la Cour fédérale, tout comme celles du présent tribunal, ne contiennent aucune disposition précise relative à une telle requête. Les deux séries de règles ont des dispositions portant sur la désignation et le changement d’avocats; même si le libellé des dispositions n’est pas identique, il n’existe pas de différence importante entre elles. Je suis persuadé que l’objet même de l’inaptitude d’un avocat en raison d’un conflit d’intérêts constitue une question qui peut être examinée dans le cadre d’une requête interlocutoire. S’il est possible de le faire lorsqu’il y a lieu de faire établir l’existence d’un conflit d’intérêts, il n’est que logique que l’on puisse le faire pour établir le contraire. Cela dit, dit, il ne faut certainement pas encourager le dépôt de  requêtes visant à faire déclarer l’absence d’un conflit d’intérêts. Une autre partie, ou un ancien client, peut évidemment obtenir une ordonnance de destitution d’un avocat pour des motifs appropriés, mais un client est tout de même libre de choisir son avocat et il incombe à ce dernier d’être convaincu qu’il n’existe pas de conflit.

 

 [9]    Cependant, les faits particuliers de la présente affaire d’intérêts justifient la demande visant à faire déclarer l’absence de conflit d’intérêts. Le procureur général du Canada a, selon le dossier, fait valoir devant la Cour suprême du Canada qu’il  existait un conflit qui rendrait M. Winkler et la société Aird et Berlis inaptes à représenter M. Bellfield et les appelants; pourtant, il ne nous a pas présenté le même argument devant notre cour. Après de longs délais, les parties s’apprêtent à procéder à des communications préalables qui seront à la fois longues et coûteuses. Les appelants ont le droit de savoir qu’ils n’auront pas plus tard à faire face à une tentative de faire déclarer M. Winkler inapte, essentiellement pour les mêmes motifs qui ont été avancés devant la Cour suprême. Je vais donc rendre l’ordonnance demandée, limitée aux faits établis par les affidavits déposés à l’appui de la présente requête. Les appelants ont droit aux dépens de la requête; les honoraires de l’avocat sont fixés à 1 000 $.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de juillet 2004.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d’août 2005.

 

 

 

Marie-Claude Bergeron, traductrice

 


RÉFÉRENCE :

2004TCC487

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

90-3235(IT), 91-509(IT)G,

91-1816(IT)G, 91-1946(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Ted J. Hochberg, Linda Leckie Morel et Geoffrey D. Belchetz

et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Kitchener (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

28 avril 2004

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :

L’honorable E.A. Bowie

 

DATE DE L’ORDONNANCE :

7 juillet 2004

 

COMPARUTION :

 

 

Avocats des appelants :

David M. Goodman et

Howard Winkler

 

Avocats de l’intimée :

Peter M. Kremer et

Rosemary Fincham

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour les appelants :

 

 

Nom :

David M. Goodman et

Howard Winkler

 

Cabinet :

Goodman, Solomon & Gold et

Aird & Berlis

 

Pour l’intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           MacDonald Estate c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235; R.c. Neil, [2002] 3 R.C.S. 631.

[2]           L’affidavit de M. Bellfield a été assermenté le 9 mars 2004 pour dépôt devant la Cour suprême du Canada en opposition à la requête du procureur général.

[3]           (1990) 86 Nfld & P.E.I.R. 206 (T.N. Div. de 1ère inst.).

[4]           (1998) 159 F.T.R. 1; conf. (1999) 253 N.R. 320 (CAF).

[5]           (1998) 158 F.T.R. 68.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.