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Dossier : 2001-1331(IT)G

ENTRE :

NICOLAS MATOSSIAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de René Amyot (2001‑1332(IT)G) et de Michel Marengère (2001-1333(IT)G)

les 20 et 21 avril 2004 à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Aaron Rodgers

 

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lavigne

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont l’avis est daté du 6 janvier 2000 et porte le numéro 13280, est rejeté, sans frais, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de février 2005.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

Référence : 2005CCI21

Date : 20050223

Dossier : 2001-1331(IT)G

ENTRE :

NICOLAS MATOSSIAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET

2001-1332(IT)G

RENÉ AMYOT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET

2001-1333(IT)G

MICHEL MARENGÈRE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Bédard

 

[1]     Les appelants étaient les seuls administrateurs de la société Dominion Bridge Inc. (DBI) lorsqu’elle a fait défaut de verser les cotisations patronales et ouvrières prévues aux articles 67 et 68 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE »). DBI avait fait cession de ses biens en septembre 1998. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a tenu les appelants solidairement responsables des cotisations non versées par DBI et avait ainsi établi à l’égard des appelants des cotisations en date du 6 janvier 2000. Les appelants interjettent appel des cotisations ainsi établies à leur égard pour les motifs suivants :

 

          i)        premièrement, ils ont soutenu que l’existence de la créance du ministre n’avait pas été établie dans les six mois de la cession des biens faite par DBI, comme l'exige l’alinéa 227.1(2)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »);

 

          ii)       deuxièmement, ils ont prétendu que les cotisations patronales n’étaient pas visées par la responsabilité solidaire prévue à l’article 227.1 de la Loi et à l’article 83 de la LAE;

 

          iii)      finalement, ils ont soutenu qu’ils avaient agi en l’espèce avec une diligence raisonnable et ainsi qu'ils ne pouvaient être tenus solidairement responsables des dettes fiscales de DBI.

 

A-      Établissement de l’existence de la créance du ministre dans les six mois de la cession des biens de DBI

 

Position des appelants

 

[2]     Selon les appelants, le ministre devait se conformer au paragraphe 124(4) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») pour établir sa créance en vertu de l’alinéa 227.1(2)c) de la Loi. En effet, ils ont soutenu que, bien que le ministre ait produit une preuve de réclamation selon la formule 33 (accompagnée, à l’annexe A, d’une répartition des montants dus selon l’année, la date de la cotisation et la nature du montant en litige), il avait omis de produire les pièces justificatives à l'appui des créances en cause. Selon les appelants, il n’était pas pertinent que le syndic ait accepté la réclamation du ministre. Ils ont prétendu que le ministre se devait, tout au moins, de joindre les avis de cotisation établissant les dettes en question. À l’appui de leurs prétentions, les appelants ont notamment invoqué les affaires Re Norris, [1989] 2 C.T.C. 185 (C.A. Ont.); Re Riddler (1991), 3 C.B.R. (3d) 273, [1991] B.C.J. No. 36 (C.S.C.-B.); et Re Port Chevrolet Oldsmobile Ltd., 2004 BCCA 37 (C.A.C.-B.).

 

 

 

 

Position de l’intimée

 

[3]     Selon l’intimée, le témoignage de madame Danielle Dazé, agente de recouvrement de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC) avait établi clairement que l’avis de cotisation en question (pièce I-33) avait effectivement été reproduit dans la preuve de réclamation datée du 20 octobre 1998 remise au syndic[1]. L’intimée a soutenu que cet avis de cotisation en plus des preuves de réclamation et des annexes avaient clairement permis au ministre d’établir sa créance auprès du syndic, puisque ce dernier l’avait entièrement payée quant à la partie garantie de sa créance. Elle a ajouté que le rôle de la Cour consistait tout simplement à déterminer si le ministre avait établi sa créance à l'égard du syndic; selon l’intimée, la Cour ne peut se substituer au syndic et ne peut que constater le fait que le syndic avait conclu que la réclamation du ministre avait été prouvée. Enfin, selon l’intimée, non seulement la décision dans l’affaire Re Port Chevrolet Oldsmobile Ltd., précitée, n’appuyait pas la position des appelants, mais elle confirmait même le pouvoir discrétionnaire conféré au syndic dans sa détermination de la preuve requise pour le convaincre de l’existence d’une créance quelconque.

 

Analyse

 

[4]     Pour que les administrateurs soient tenus solidairement responsables, le ministre doit satisfaire aux exigences imposées par le paragraphe 227.1(2) de la Loi. En l’espèce, puisqu’il est question de cession de biens, je suis d’accord avec les parties pour dire que ce sont les exigences de l’alinéa 227.1(2)c) de la Loi auxquelles le ministre devait satisfaire, et non celles prévues aux alinéas 227.1(2)a) ou b) de la Loi. Le juge Christie s’exprimait ainsi relativement à ces deux alinéas dans l’affaire Kennedy c. La Reine, no 91-152(IT), 17 juin 1991, 91 DTC 1037 (C.C.I.), conf. par 92 DTC 6380 (C.A.F.) :

 

L'appelant fait valoir que la satisfaction à l'exigence prévue à l'alinéa 227.1(2)a) n'équivaut pas à l'observation des conditions préalables dans tous les cas. L'observation de l'alinéa 227.1(2)a), b) ou c), à cette fin, dépend des faits de l'espèce. Si la corporation a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution ou a été dissoute, ce sont les dispositions de l'alinéa 227.1(2)b) qu'il faut suivre. Si la corporation a fait une cession ou qu'une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite, c'est l'alinéa 227.1(2)c) qui prévaut. Dans les autres cas, l'alinéa 227.1(2)a) s'applique. Je crois que c'est la façon appropriée de procéder.

 

Les affaires Roy c. Canada, no 93-107(IT)G, 13 avril 1995, [1996] 1 C.T.C. 2269, au paragraphe 20 (C.C.I.), conf. par no A-242-95, 16 avril 1996, [1996] 2 C.T.C. 198 (C.A.F.), et Pozzebon c. Canada, no 95-4143(IT)G, 15 mai 1998, 98 DTC 1940, aux paragraphes 42-43 (C.C.I.), ont repris ce passage.

 

[5]     Ainsi, je suis d’avis qu’en vertu de l’alinéa 227.1(2)c) de la Loi, le ministre ne pouvait tenir les appelants solidairement responsables en l’espèce que si l’existence de sa créance avait été établie dans les six mois de la cession des biens de DBI. Toutefois, deux questions se posent :

 

          i)        Est-ce que l’existence de cette créance devait être établie objectivement, indépendamment du fait que le syndic avait été convaincu de son existence? Je rappelle que le syndic avait en l’espèce payé la partie garantie de la créance du ministre.

 

          ii)       Existait-il un moyen particulier selon lequel le ministre devait établir l'existence de sa créance?

 

[6]     Je répondrai par l’affirmative à la première question tout simplement à cause des mots utilisés par le législateur et en me référant à l'affaire Re Port Chevrolet Oldsmobile Ltd., précitée, aux paragraphes 24-32 (avec en tête Re Galaxy Sports Inc., [2004] B.C.J. No. 1008 au paragraphe 36 (C.A.C.-B.). Ce dernier a choisi d’utiliser des termes objectifs (« l’existence de la créance [...] a été établie »), sans toutefois préciser qui doit être convaincu (« satisfied »). Pour cette raison, je conclus que la question doit être examinée « de novo » par la Cour, indépendamment du fait que le syndic avait pu être convaincu de l’existence d’une partie de la créance du ministre. Si le législateur avait choisi d’inclure des termes comme « si le syndic est convaincu », la Cour aurait seulement pu se poser la question de savoir si le syndic avait exercé sa discrétion de manière judiciaire (voir, entre autres, l'affaire Cook v. Carter, [1952] O.W.N. 155, à la p. 158 (C.S. Ont.), où le juge LeBel avait conclu que l’usage de l’expression « satisfies the judge » réfère à une discrétion qui doit être exercée judiciairement).

 

[7]     Il s’ensuit que la Cour se doit de déterminer si l’existence de la créance avait été établie et ne doit pas se limiter à se demander si le syndic avait exercé sa discrétion de manière judiciaire. C’est de cette façon que la Cour a procédé dans les affaires Roy c. Canada, précitée, aux paragraphes 19 et 29 (C.C.I.); et Vanderpol c. Canada, no 2001-393(GST)I, 18 février 2002, [2002] A.C.I. no 18 (C.C.I.), sans pour autant en traiter explicitement.

 

[8]     La réponse à la deuxième question, à savoir comment le ministre devait établir l’existence de sa créance, peut aussi être obtenue, en partie du moins, à partir des affaires Roy et Vanderpol, précitées. Dans ces affaires, la Cour avait suivi les exigences de la LFI pour en arriver à ses conclusions, sans toutefois dire pourquoi. L’explication est pourtant simple : la Couronne est liée par la LFI en vertu de l’article 4.1 de cette loi. Ainsi, sauf si le législateur exclut explicitement l’application de la LFI comme il le fait au paragraphe 227(4.1) de la Loi, par exemple (voir l'affaire First Vancouver Finance c. M.R.N., [2002] 2 R.C.S. 720 (C.S.C.)), la Couronne ne peut pas se prévaloir de sa prérogative royale pour s’assurer de sa priorité comme elle le pourrait ordinairement : voir Re Cardston U.F.A. Co-op. Assn. (1925), 7 C.B.R. 413 (C.S. Alb.); R. v. Leach (1929), 11 C.B.R. 214 (B.R.N.-B.); et Comm. des valeurs mobilières c. Gagnon, [1964] B.R. 349 (C.S. Qué.). Ces décisions sont à la page 20 de l'ouvrage intitulé The 2004 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act de L.W. Holden et G.B. Morawetz, publié par Thomson Carswell (la « LFI annotée 2004 »).

 

[9]     Ainsi, dans l'affaire Roy, précitée, le juge Garon (titre qu'il avait à l’époque) se référa notamment à l’article 124 de la LFI pour en arriver à la conclusion qu’en produisant la bonne formule, le ministre avait respecté l’alinéa 227.1(2)c) de la Loi. Toutefois, à la lecture de cette décision, il n’est pas clair comment le ministre a rempli toutes les conditions à l’alinéa 227.1(2)c) de la Loi.

 

[10]    Le juge Sarchuk, pour sa part, devait faire face à cette question et à l’article 124 de la LFI, dans l'affaire Vanderpol, précitée. Il était d'avis que la preuve de réclamation déposée par le ministre contenait en réalité un état de compte comprenant certains détails de la créance en cause. Le juge Sarchuk ajouta que l’avis de cotisation n’avait pas à être joint à la preuve de réclamation étant donné que la LFI ne l’exigeait pas (voir Vanderpol, précitée, aux paragraphes 8-10). Enfin, le juge Beaubier, dans l’affaire MacGillivray c. Canada, no 96-2047(GST)I, 19 février 1997, [1997] A.C.I. no 112 (C.C.I.), énonçait brièvement qu’étant donné qu’une preuve de réclamation avait été déposée par le ministre, l’alinéa 227.1(2)c) de la Loi avait été respecté (voir les paragraphes 9 et 10).

 

[11]    Si, dans l’affaire Vanderpol, précitée, le ministre avait omis de joindre à sa preuve de réclamation un état de compte, il est possible que le juge Sarchuk n'en serait pas venu à la même conclusion. Ceci me semble conforme à la jurisprudence provinciale sur l’importance que l'état de compte contienne un minimum de détails acceptables : voir Re McCoubrey, (1924) 5 C.B.R. 248 (C.S. Alb.); Re Vanderweghe Ltd. (1937), 18 C.B.R. 403 (C.S. Qué.); Re Corduroys Unlimited Inc. (1962), 4 C.B.R. (N.S.) 250 (C.S. Qué.); et Re Riddler, précitée. Voir également la LFI annotée 2004 à la page 516. Un état de compte est important : a) pour permettre à la personne présidant la réunion des créanciers d’examiner les détails des créances (voir Re London Bridge Works Ltd. (1926), 8 C.B.R. 73 (C.S. Ont.)) avant de permettre à chacun des créanciers de voter lors de cette réunion (voir Re Norris (1988), 67 C.B.R. (N.S.) 246, inf. pour d’autres motifs (1989), 69 O.R. (2d) 285, 75 C.B.R. (N.S.) 97 (C.A. Ont.); et Re Riddler, précitée); et b) pour permettre aux autres créanciers d’évaluer la question de savoir s’ils devraient contester la réclamation en question (voir Re Saykaly (1926), 7 C.B.R. 570 (C.S. Ont.). Pour ces décisions, voir également la LFI  annotée 2004 à la page 516. On se souviendra que les appelants se fondent sur les affaires Re Riddler et Re Norris, précitées.

 

[12]    Quoiqu’une preuve de réclamation (et j’ajouterais un état de compte) ne devrait pas être annulée à cause de simples erreurs techniques vu la nature commerciale de la LFI (voir Atlas Acceptance Corp. v. Fratkin (1978), 27 C.B.R. (N.S.) 220 (C.A. Man.))[2], il demeure que toute preuve de réclamation ou état de compte doit contenir un minimum raisonnable d’information.

 

[13]    En l’espèce, les appelants ne semblaient pas, à première vue, contester les preuves de réclamation ou les annexes, mais s’en prenaient plutôt à l'absence de documents à l’appui de ces créances. Tout d’abord, bien qu’il semble que le dépôt des avis de cotisation n’était pas forcément requis aux fins de la LFI (voir Vanderpol, précitée)[3], il paraît, à la lumière de la preuve présentée, que le ministre les avait déposés[4]. De plus, bien que les appelants aient prétendu que l’« Annexe A » n’était pas des états de compte, je suis d’avis qu’ils constituaient en fait des états de compte.

 

[14]    Est-ce que d’autres documents auraient dû être déposés? Je répondrai par la négative à cette question, puisque le paragraphe 124(4) de la LFI semble moins équivoque pour les pièces justificatives qu’il ne l’est pour l’état de compte. La jurisprudence appuie également un tel raisonnement.

 

[15]    Pour ces motifs, je conclus que l’existence de la créance du ministre avait été établie conformément à l’alinéa 227.1(2)c) de la Loi.

 

B-      Cotisations patronales

 

[16]    Est-ce que les cotisations patronales sont visées par la responsabilité solidaire des administrateurs prévue à l’article 227.1 de la Loi et à l’article 83 de la LAE?

 

[17]    Les appelants ont soutenu qu’en vertu de ces deux articles, ils ne pouvaient être tenus solidairement responsables que pour les cotisations ouvrières, retenues ou non, qui n’avaient pas été versées au Receveur général du Canada. Pour en arriver à cette interprétation, les appelants ont offert une interprétation assez originale des articles 82 et 83 de la LAE, une comparaison avec les autres lois fiscales ainsi qu’une interprétation de l’objet et de l’esprit de ces dispositions.

 

[18]    L’interprétation que l’avocat des appelants a donnée aux articles 82 et 83 de la LAE dans ses observations écrites mérite d’être citée :

 

L’article 83 L.A.E. détermine que les administrateurs sont solidairement responsables avec la personne morale pour laquelle ils agissent. Pour ce qui est des paramètres de cette responsabilité, l’article fait un renvoi à l’article 82(1) L.A.E. De plus, à son deuxième alinéa, utilisant la technique de renvoi, l’article 83 L.A.E. spécifie que les règles que l’on retrouve à l’article 227.1(2) à (7) L.I.R. trouvent application en la matière.

 

Donc, l’article 83 L.A.E. semble être clair mais l’étendue de la notion de « versement » n’est pas définie. On retrouve dans cet article les mots « omet de verser ou déduire  ». Le mot déduire dont la définition du petit Larousse se lit comme suit :

 

« Soustraire d’une somme »

 

Ce qui nous indique qu’il doit exister à la base une somme à verser, dont la provenance est une déduction à même un salaire. L’interprétation logique serait de présenter la responsabilité des administrateurs, en vertu de l’article 83 L.A.E., comme se rapportant au montant soustrait des salaires versés, mais que l’employeur a omis de verser, ainsi que l’omission de les avoir soustraits. L’effet de cet article est que les administrateurs sont responsables des montants déduits des salaires et qu’ils sont responsables envers l’État, d’un montant équivalent si celui-ci n’a pas été déduit de la même manière que s’il avait effectivement été déduit. L’esprit de cet article concorde parfaitement avec l’article 227.1 L.I.R., créant une responsabilité pour l’administrateur à l’égard de la cotisation ouvrière uniquement ou des sommes de même nature.

 

L’article 82 L.A.E. établit le montant que l’employeur doit retenir et verser au Receveur général, avec la cotisation patronale correspondante payable en vertu de l’article 68 L.A.E. L’usage du verbe « verser » afin de décrire le paiement d’une cotisation patronale ainsi que la remise des sommes déduites porte à confusion.

 

L’article 83 L.A.E. semble limiter la responsabilité des administrateurs au montant déduit ou non qui n’a pas été versé au Receveur général. L’article 82 L.A.E., en relation avec la définition du mot « déduire », vient compléter l’article 83 L.A.E. en spécifiant sur quelle somme un montant doit être soustrait. En d’autres mots, ce sont les retenues sur des salaires à des tiers (employés) qu’il est question, montants qui sont l’objet d’une fiducie présumée à l’égard du gouvernement. Cette interprétation concorde avec l’objet des articles 83 et 82(1) L.A.E., qui sera discuté plus loin, puisque la première étape constitue à établir une ambiguïté à la lecture de ces articles, selon le sens ordinaire des mots qui les composent.

 

 

 

L’article 83 L.A.E., à son deuxième alinéa, rend l’article 227.1(2) à (7) L.I.R. applicable. Les dispositions visées ne traitent aucunement du paiement de la cotisation patronale. Le fait que l'article 83 L.A.E. renvoie aux dispositions administratives de l’article 227.1(1) L.I.R. permet de déduire qu’il existe une certaine similarité entre les montants que l’État tente de récupérer entre les mains des administrateurs par l’entremise de ces deux (2) articles.

 

[19]    Selon les appelants, cette interprétation selon le sens grammatical courant des mots en cause est appuyée par l’esprit de la LAE, dont l’objet est de s’assurer que les sommes qui doivent être retenues et versées seront versées malgré les difficultés financières de la société débitrice. Ainsi, en rendant les administrateurs solidairement responsables des cotisations ouvrières retenues ou non qui ne sont pas versées par la société employeur, le législateur voulait, selon les appelants, réduire le nombre grandissant de manquements causés par la récession qui faisait rage lors de l’adoption de ces dispositions au début des années 1980. De plus, à l'appui de leur position, les appelants ont référé brièvement à des dispositions d’autres lois fiscales.

 

Analyse

 

[20]    Les dispositions légales pertinentes se lisaient ainsi :

 

Loi sur l'assurance-emploi

67.  Sous réserve de l'article 70, toute personne exerçant un emploi assurable verse, par voie de retenue effectuée au titre du paragraphe 82(1), une cotisation correspondant au produit obtenu par multiplication de sa rémunération assurable par le taux fixé par la Commission.

68.  Sous réserve des articles 69 et 70, la cotisation patronale qu'un employeur est tenu de verser correspond à 1,4 fois la cotisation ouvrière de ses employés qu'il est tenu de retenir au titre du paragraphe 82(1).

      [...]

82. (1) L'employeur qui paie une rétribution à une personne exerçant à son service un emploi assurable est tenu de retenir sur cette rétribution, au titre de la cotisation ouvrière payable par cet assuré en vertu de l'article 67 pour toute période à l'égard de laquelle cette rétribution est payée, un montant déterminé conformément à une mesure d'ordre réglementaire et de le verser au receveur général avec la cotisation patronale correspondante payable en vertu de l'article 68, au moment et de la manière prévus par règlement.

 

[...]

 

 

 

83. (1) Dans les cas où un employeur qui est une personne morale omet de verser ou de déduire un montant de la manière et au moment prévus au paragraphe 82(1), les administrateurs de la personne morale au moment de l'omission et la personne morale sont solidairement responsables envers Sa Majesté de ce montant ainsi que des intérêts et pénalités qui s'y rapportent.

(2) Les paragraphes 227.1(2) à (7) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à l'administrateur de la personne morale.

(3) Les dispositions de la présente partie concernant la cotisation d'un employeur pour un montant qu'il doit payer en vertu de la présente loi et concernant les droits et les obligations d'un employeur cotisé ainsi s'appliquent à l'administrateur d'une personne morale pour un montant que celui-ci doit payer en vertu du paragraphe (1) de la manière et dans la mesure applicables à l'employeur visé par ces dispositions.

 

Loi de l'impôt sur le revenu

227.1. (1) Lorsqu'une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme ou a omis de payer un montant d'impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d'imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s'y rapportant.

(2) Un administrateur n'encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l'un ou l'autre des cas suivants:

[...]

c) la société a fait une cession ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et l'existence de la créance à l'égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant la date de la cession ou de l'ordonnance de séquestre.

(3) Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

 

Employment Insurance Act

67.  Subject to section 70, a person employed in insurable employment shall pay, by deduction as provided in subsection 82(1), a premium equal to their insurable earnings multiplied by the premium rate set by the Commission.

68.  Subject to sections 69 and 70, an employer shall pay a premium equal to 1.4 times the employees' premiums that the employer is required to deduct under subsection 82(1).

 

[...]

82. (1) Every employer paying remuneration to a person they employ in insurable employment shall

(a) deduct the prescribed amount from the remuneration as or on account of the employee's premium payable by that insured person under section 67 for any period for which the remuneration is paid; and

(b) remit the amount, together with the employer's premium payable by the employer under section 68 for that period, to the Receiver General at the prescribed time and in the prescribed manner.

 

[...]

 

83. (1) If an employer who fails to deduct or remit an amount as and when required under subsection 82(1) is a corporation, the persons who were the directors of the corporation at the time when the failure occurred are jointly and severally liable, together with the corporation, to pay Her Majesty that amount and any related interest or penalties.

(2) Subsections 227.1(2) to (7) of the Income Tax Act apply, with such modifications as the circumstances require, to a director of the corporation.

 

(3) The provisions of this Part respecting the assessment of an employer for an amount payable under this Act and respecting the rights and obligations of an employer so assessed apply to a director of the corporation in respect of an amount payable by the director under subsection (1) in the same manner and to the same extent as if the director were the employer mentioned in those provisions.

 

 

Income Tax Act

227.1. (1) Where a corporation has failed to deduct or withhold an amount as required by subsection 135(3) or section 153 or 215, has failed to remit such an amount or has failed to pay an amount of tax for a taxation year as required under Part VII or VIII, the directors of the corporation at the time the corporation was required to deduct, withhold, remit or pay the amount are jointly and severally liable, together with the corporation, to pay that amount and any interest or penalties relating thereto.

(2) A director is not liable under subsection (1), unless

 

[...]

(c) the corporation has made an assignment or a receiving order has been made against it under the Bankruptcy and Insolvency Act and a claim for the amount of the corporation's liability referred to in that subsection has been proved within six months after the date of the assignment or receiving order.

 

 

(3) A director is not liable for a failure under subsection (1) where the director exercised the degree of care, diligence and skill to prevent the failure that a reasonably prudent person would have exercised in comparable circumstances.

 

 

 

 

[21]    En résumé, ce sont les articles 67 et 68 de la LAE qui obligent le paiement des cotisations et fixent leurs montants, alors que le paragraphe 82(1) de cette loi oblige l’employeur à retenir de la rémunération de ses employés les cotisations payables par les employés et à les verser au Receveur général du Canada avec les cotisations patronales payables en vertu des articles 66 et 67 de la LAE, qui prévoient que ces cotisations sont égales à un certain pourcentage de la « rémunération assurable » d’un employé. Il m’apparaît très clair à la lecture des articles 67 et 68 et du paragraphe 82(1) de la LAE que les cotisations patronales doivent être « versées » par l’employeur au Receveur général du Canada. Le paragraphe 83(1) de la LAE n’a pour but que de rendre les administrateurs solidairement responsables du défaut de la société employeur de respecter les obligations qui lui sont imposées par le paragraphe 82(1) de cette même loi. De plus, à son deuxième alinéa, en utilisant la technique du renvoi, l’article 83 de la LAE spécifie que les règles que l’on retrouve aux paragraphes 227.1(2) à (7) de la Loi sont applicables.

 

[22]    Pour accepter l’interprétation de ces dispositions légales donnée par les appelants, il faudrait conclure que le sens grammatical et courant des mots « payer » ou « verser » est que pour verser une somme, on doit d’abord la déduire d’une source quelconque.

 

[23]    À mon avis, il faut en l’espèce appliquer la méthode moderne d’interprétation légale, soit la règle établie par E.A. Driedger que l’on retrouve à la page 87 de son ouvrage Construction of Statutes (2e éd., 1983) qui se lit comme suit :

 

 

[TRADUCTION]

 

Il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur […]

 

[24]    Cette règle a été retenue par la Cour suprême du Canada à plusieurs reprises dans tous les domaines, y compris en droit fiscal[5].

 

[25]    Il s’ensuit que la première étape de mon analyse consistera à déterminer le sens ordinaire et grammatical des mots « verser » et « payer » et du mot anglais « remit ». Étant donné que ces mots ne sont pas définis dans la LAE et qu’ils n’ont pas un sens juridique bien établi et reconnu, je devrai déterminer le sens ordinaire et grammatical de ces mots. Autrement dit, je devrai déterminer si un de ces mots appuie la thèse des appelants.

 

[26]    Puisqu’il est permis d’utiliser des dictionnaires dans le but de découvrir le sens des mots (P.-A. Côté, Interprétation des lois, 3e éd., Les Éditions Thémis, 1999, aux pages 330-331), j’examinerai, dans un premier temps, la définition des mots « verser », « payer » et « remit », telle que donnée par le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, 1991, le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, version électronique, 2003, le Dictionnaire de droit québécois et canadien, 2e éd., Wilson & Lafleur, 2001, le Oxford English Dictionary Online, Oxford University Press, 2004, et le Black’s Law Dictionary, 7th ed., 1999 :

 

Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, 1991

 

« verser » [...] Apporter (de l’argent) à une caisse, à une personne, à titre de paiement, de dépôt, de mise de fonds. V. Payer. Les sommes à verser au fisc.

 

Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, version électronique, 2003

 

« verser » Verser (de l’argent).

 

Dictionnaire de droit québécois et canadien, 2e éd., Wilson & Lafleur, 2001

 

« versement » Action de remettre à quelqu’un une somme d’argent en paiement d’une dette ou à tout autre titre.

 

Oxford English Dictionary Online, Oxford University Press, 2004

 

2. To give up, resign, surrender (a right or possession). [...] 14. To send or transmit (money or articles of value) to a person or place.

 

Black’s Law Dictionary, 7th ed., 1999

 

“remit” To transmit (as money).

 

[27]    L’examen de ces définitions m’amène à conclure que les appelants ne peuvent utiliser le sens grammatical de ces mots pour conclure que pour verser une somme, on doit d’abord la déduire d’une source quelconque. Le sens courant de ces mots est au même effet. En effet, rares sont les justiciables qui en arriveraient à la conclusion que pour verser une somme, on doit d’abord la déduire d’une source quelconque. Mon analyse globale de toutes les dispositions légales concernées et du sens grammatical et ordinaire de ces mots m’amène à conclure que les sommes à verser et à payer ne sont pas limitées aux sommes qui doivent être retenues de la rémunération assurable des employés, mais comprennent toutes les sommes auxquelles le législateur réfère dans les dispositions légales concernées.

 

[28]    À mon avis, cette interprétation respecte l’esprit et l’objet de la LAE et l’intention du législateur telle que présentée par les appelants. Toutefois, si, comme l’ont soutenu les appelants, le législateur avait voulu réduire le nombre grandissant de manquements causés par la récession, pourquoi ce même législateur se serait-il alors limité à rendre les administrateurs solidairement responsables des cotisations ouvrières et non des cotisations patronales? En théorie, ces sommes sont tout aussi importantes au bon fonctionnement de la LAE que le sont les cotisations ouvrières. L’affaire Ferreira c. Canada (M.R.N.)[6] est assez éloquente à cet égard :

 

La législation en question est désignée comme se rapportant à l'« assurance-chômage ».  La notion d'assurance veut qu'une personne verse un certain montant (appelé « prime ») afin d'être protégée en totalité ou en partie contre un risque prévisible.  Si la prime n'est pas payée, cette personne n'a droit à aucune indemnité.  Dans le contexte de la législation ici en cause, le chômage est le risque visé.  Compte tenu de la notion fondamentale d'assurance, je serais porté à croire que si aucune cotisation patronale ou ouvrière n'a été versée pendant la période de 28 mois, l'appelant n'était donc pas assuré pendant cette période.  Cette idée élémentaire est renforcée par le libellé de certains règlements d'application.

 

[29]    Si telle est la conséquence du non-paiement des cotisations ouvrières et patronales, il est encore plus évident que le législateur voulait garantir sa source de financement pour le programme d’assurance-emploi et qu’un des moyens choisis a été de rendre les administrateurs responsables des cotisations ouvrières et patronales non versées par l’employeur.

 

[30]    Enfin, les appelants ont tenté dans leurs observations écrites de se référer à d’autres lois fiscales ainsi qu’au paragraphe 71(2) de l'ancienne Loi de 1971 sur l’assurance-chômage. Je ne vois pas en quoi leurs observations à cet égard pourraient me convaincre d’un résultat contraire. En effet, leur analyse de ces autres lois fiscales m’apparaît tout simplement non pertinente en l’espèce. Quant au paragraphe 71(2), bien qu’il ne vise que des cotisations ouvrières, les appelants ont omis de citer l’article 68 de cette loi (maintenant le paragraphe 82(1)), qui oblige le paiement des cotisations ouvrières et patronales.

 

C-      Est-ce que les appelants ont agi en l’espèce avec une diligence raisonnable?

 

Les témoignages

 

[31]    Monsieur Nicolas Matossian est le seul des trois appelants à avoir témoigné lors de l’audition. Monsieur Vitold Jordan, le vice-président, finances de Dominion Bridge Corporation (DBC) a aussi témoigné pour les appelants. Madame Danielle Dazé, agente de recouvrement de l’ADRC, a témoigné pour l’intimée. Je tiens à souligner que le témoignage de ces personnes m’est apparu crédible et vraisemblable.

 

[32]    En 1997, les appelants étaient les seuls administrateurs de DBI[7] lorsque cette dernière avait fait défaut de verser[8] les cotisations patronales et ouvrières pour trois périodes en 1997, soit du 15 au 21 juillet, du 22 au 31 août et du 22 au 31 octobre. Les cotisations non versées représentaient des sommes de 57 000 $, de 47 000 $ et de 97 000 $ pour les trois périodes respectivement.

 

[33]    L’implication des appelants dans DBC et Cedar Group Canada (Cedar) avait débuté en 1994[9]. DBI était une filiale de Cedar qui à son tour était une filiale de DBC. Cedar avait six autres filiales[10]. Il semblerait que les appelants aient été administrateurs de DBC et de Cedar de 1994 jusqu’au 28 avril 1998. En plus d’être administrateurs de ces sociétés, messieurs Matossian et Marengère avaient été dirigeants de certaines de ces sociétés[11].

 

[34]    Monsieur Matossian était chef de l’exploitation (« Chief Operating Officer ») de DBC[12]. À ce titre, il était surtout responsable des acquisitions et des activités des filiales de Cedar au cours de la période en question[13]. Il était également le directeur le plus impliqué dans les affaires liées aux paies et aux retenues à la source. Il était très compétent. En effet, il était détenteur d’un B.A. de McGill, d’un M.B.A. de Harvard et d’un Ph.D. en économie de McGill. Il avait enseigné et avait œuvré tant dans le secteur privé que dans le secteur gouvernemental. Enfin, il était en affaires depuis plus de 30 ans.

 

[35]    Monsieur Marengère était président et chef de la direction (« chairman and CEO ») de DBC[14]. Bien qu’il eût le poste le plus élevé, il était surtout responsable du financement des activités et des acquisitions[15]. Messieurs Marengère et Matossian communiquaient quotidiennement à propos de tout ce qui concernait les acquisitions et les activités, y compris les retenues à la source[16].

 

[36]    Pour ce qui est de l'appelant Amyot, il était un avocat à la retraite dans la fin soixantaine durant l'année en litige et ne devrait être considéré que comme un directeur externe[17] selon l'appelant Matossian. Il n'était pas impliqué dans les activités quotidiennes des sociétés, mais était plutôt un simple représentant des actionnaires de ces sociétés. Il a déjà été président de Air Canada ainsi qu'un des administrateurs de Rothmans International[18].

 

[37]    Au cours des années en question, Cedar avait acquis environ sept sociétés, toutes liées, directement ou indirectement, aux industries de la fabrication, de la construction et du pétrole au Canada et ailleurs[19]. DBI avait été la première de ces acquisitions en 1994. En 1997, ces sociétés employaient environ 7 500 personnes[20], et il était de plus en plus évident que ces sociétés étaient difficiles à gérer[21] et opéraient [traduction] « sous la contrainte »[22].

 

[38]    Parmi les autres acquisitions, celle qui nous concerne davantage est celle de Steen Pipeline Contractors (Steen). En effet, avant que DBI n’ait fait défaut de verser les retenues à la source en cause, Steen avait déjà fait défaut de verser des retenues à la source et ce, à deux reprises, soit en 1996 et en 1997, pour des montants considérables, excédant même huit millions de dollars canadiens. Monsieur Matossian avait immédiatement été informé de ces deux manquements de Steen par monsieur Jordan[23].

 

[39]    Le rôle de monsieur Jordan dans l’organisation consistait essentiellement à aller de société en société à l’intérieur du groupe afin de trouver des occasions d’affaires et de régler les problèmes. Il était en quelque sorte un résolveur de problèmes (« problem solver »)[24]. Toutefois, personne, y compris monsieur Jordan, ne devait « déranger » monsieur Matossian pour des problèmes impliquant des sommes inférieures à 20 000 $, et même inférieures à 100 000 $. Voici comment monsieur Matossian concevait ses relations avec ses employés à ce sujet :

 

[traduction]

 

R.         […] Vous savez, habituellement dans ce genre de cas, s’il y avait un manquement de 20 000 $, ils ne seraient pas venus me voir pour m’en parler, ils l’auraient corrigé eux-mêmes. Ce que je veux dire c’est que nous avions nos propres gestionnaires chargés de faire ce genre de choses.

 

Q.        D’accord. Donc un manquement de 20 000 $ n’aurait pas été suffisamment important pour qu’ils viennent vous déranger.

 

R.         Non. Non.

 

Q.        Ou pour que M. Jordan le porte à votre attention.

 

R.         Non, non. Et, franchement, s’ils étaient venus me voir concernant un manquement de 100 000 $, j’aurais dit, vous savez, qu’est‑ce que vous venez faire là? C’est le genre de chose que vous devez régler vous-mêmes.

 

Q.        D’accord. Et M. Jordan était au courant de ça?

 

R.         Oui.[25]

 

Monsieur Jordan a en quelque sorte corroboré le témoignage de monsieur Matossian à cet égard[26].

 

[40]    Monsieur Matossian avait été informé des manquements de Steen puisque les montants en cause dépassaient largement la somme de 100 000 $. Il avait même été en mesure d’identifier les causes de ces manquements. Le témoignage de monsieur Matossian à cet égard mérite d’être cité :

 

[traduction]

 

[…] Je ne sais pas comment ils effectuaient leurs paiements, mais au lieu de payer le plein montant des retenues à la source, ils avaient payé aux fournisseurs plus que… Oh oui, c’est vrai. Je me souviens maintenant, oui. C’est toujours comme ça que ça fonctionne, vous savez. Ils avaient versé aux fournisseurs, je crois, un montant excessif – au fournisseur du pipeline – un montant excessif parce que s’ils le faisaient, ils obtenaient, vous savez, un rabais et un bien meilleur prix pour le pipeline.

 

Alors on a passé outre aux retenues à la source à cause de cette chose qui ne correspondait pas à notre façon de faire, et donc nous nous sommes immédiatement assis, nous avons calculé le montant du manquement et apporté la correction[27].

 

Et puis aux pages 163-165 :

 

[traduction]

 

Sans entrer dans les détails, si j’ai bien compris, pour autant que je me souvienne, les montants étaient correctement calculés mais les versements n’étaient pas faits à cent pour cent (100 %). Pourquoi? Parce que nous avions une entente spéciale, je dirais, avec le fournisseur du pipeline, et c’est là que les choses se sont gâtées. Je crois qu’ils se sont servi d’une partie de cet argent pour économiser de l’argent sur les approvisionnements au lieu de payer cent pour cent (100 %) des retenues […]

 

[…] mais si le fournisseur vous propose de retrancher 1 million de dollars de votre facture si vous le payez dans dix jours, tout d’un coup, ça devient intéressant pour le gestionnaire de projet qui essaie… qui en fait lui aussi travaille à la prime, ça devient intéressant de peut-être lésiner sur le paiement des retenues à la source. Évidemment, c’était inacceptable.

 

[…] Donc, lorsque nous avons eu vent de ça, nous avons congédié les gestionnaires et mis les choses au clair et parce que nous voulions faire les choses comme il se doit […]

 

[41]    En réaction à ces deux manquements de Steen, monsieur Matossian avait également conclu, suite à une recommandation de monsieur Jordan, qu’une divulgation volontaire était appropriée[28] pour tenter d’éliminer les pénalités[29]. Toutefois, puisqu’un vérificateur de l’ADRC était déjà sur place à l’automne 1997[30] pour effectuer une vérification de DBI, l’ADRC n’avait pas permis la divulgation volontaire de Steen[31]. En réaction à cet empêchement, monsieur Matossian avait alors demandé à monsieur Jordan de vérifier si DBI était véritablement en défaut, et si oui, quelle en était l’étendue. Voici comment monsieur Matossian avait expliqué le résultat de cette vérification aux pages 113‑114 de son témoignage :

 

[traduction]

 

[…] Et il [monsieur Jordan] n’a trouvé rien d’inquiétant, ce qui ne m’étonne pas parce que parmi toutes les entités que nous avions, DBI était certainement la plus ancienne et la mieux rodée sur le plan de la paie et de la comptabilité et des choses de ce genre.

 

Donc ensuite, le vérificateur [de l’ADRC] qui avait été chargé de tout vérifier, j’imagine, est parti, et nous avions pu demander à Steen de faire la divulgation volontaire, ce que nous avons réglé par la suite. Mais je voudrais juste vous dire qu’en faisant cela nous avons dû vérifier ce qui se passait à DBI parce que nous n’avions eu aucun avertissement, et notre enquête, comme le vérificateur à l’époque […] Et nous étions satisfaits de constater qu’en examinant, qu’en examinant nous-mêmes nos propres livres, nous n’avions trouvé aucune erreur, aucune omission et nous étions également satisfaits du fait que le vérificateur qui était là à l’époque, au moment de son départ, il n’avait rien trouvé, je crois, sinon il nous l’aurait dit.

 

La version de monsieur Jordan sur ce point était toutefois quelque peu différente de celle de monsieur Matossian. Son témoignage[32] à cet égard mérite d’être cité :

 

[traduction]

 

[…] Donc, lors de cette réunion [fin octobre, début novembre 1997], nous avons été informés que Dominion Bridge Inc. faisait l’objet d’une vérification des retenues sur la paie à Montréal alors, comme il s’agissait d’une société sœur, nous ne pouvions pas avoir recours à la divulgation volontaire. Je suis donc revenu au bureau assez déçu et j’ai laissé le temps passer. Ensuite, le vérificateur, je ne sais pas pourquoi, ne revenait pas, alors je suis descendu et j’ai demandé au personnel de l’usine quelle était la situation. La dame chargée de la paie m’a informé que nous avions peut-être un problème mais que ça ne dépasserait pas 20 000 $. J’ai parlé au contrôleur d’usine, il m’a dit la même chose et ensuite je l’ai dit au vice-président aux finances de Dominion Bridge Inc. et il était du même avis.

 

Alors à ce moment-là, nous avons décidé d’appeler le vérificateur de l’impôt et de lui demander de revenir et de terminer la vérification de façon que nous puissions régler le cas de Dominion Bridge Inc. et passer à Steen Becker. La réponse que j’ai reçue était que le vérificateur avait été affecté à un autre dossier, qu’il ne se sentait pas bien et qu’il reviendrait lorsqu’il aurait le temps. Alors nous avons laissé le temps passer…[nous avons ensuite] suggéré [à Revenu Canada] que nous souhaitions recourir à la divulgation volontaire malgré tout.

 

Alors les choses ont commencé à mal tourner, si vous me permettez l’expression, nous avons été convoqués à une réunion à North York et il y avait six représentants de Revenu Canada et un avocat du ministère de la Justice, alors nous avons un peu… Oui, nous croyions que nous avions des problèmes, ce qui était compréhensible compte tenu des circonstances. Donc, c’est ça qui a enclenché le processus.

 

Nous nous sommes rencontrés encore une fois trois semaines plus tard, et nous avons conclu une entente avec Revenu Canada pour régler la dette de Steen Becker […]

 

[42]    De ces deux témoignages, il ressort clairement que l’enquête de monsieur Jordan sur les manquements de DBI n’était pas très approfondie. En effet, il avait tout simplement parlé à trois ou quatre personnes du service de comptabilité. La personne responsable de la paie lui avait même dit, contrairement à ce que croyait monsieur Matossian, que la responsabilité pour le manquement de DBI était inférieure à 20 000 $. Le fait que le manquement soit inférieur au seuil de 100 000 $ déterminé par monsieur Matossian expliquerait en partie la raison pour laquelle ce dernier avait témoigné que monsieur Jordan ne lui avait pas fait part du manquement de DBI.

 

[43]    Les appelants Marengère et Amyot avaient finalement été informés des faits entourant la divulgation volontaire de Steen à peu près en même temps que monsieur Matossian, soit à l’automne 1997[33]. Ainsi, DBI avait déjà fait manquement à trois reprises au moment où les appelants avaient été informés de l’impossibilité de recourir à la divulgation volontaire. Telle n’est pas la question, par contre. Comme nous l'avons vu plutôt, monsieur Matossian était au courant des manquements de Steen bien avant que DBI ait fait manquement (les témoignages ne permettent pas de conclure autrement). Quant à monsieur Marengère, étant donné sa relation quotidienne avec monsieur Matossian et le fait qu’ils discutaient de tous les problèmes, y compris ceux liés aux retenues et aux remises, on doit en conclure qu’il était au courant des manquements de Steen bien avant ceux de DBI (les témoignages ne permettent pas de conclure le contraire). Pour monsieur Amyot, bien qu’il soit un peu plus difficile d’inférer une conclusion quant à sa connaissance à ce sujet, il est évident qu’il aurait dû le savoir, qu’il aurait dû au moins poser des questions. Étant donné que messieurs Marengère et Amyot ne sont pas venus témoigner au procès, il est difficile maintenant d’en arriver à une conclusion contraire.

 

Position des appelants

 

[44]    Les appelants ont soutenu qu’ils étaient en droit de se fier aux personnes qui étaient responsables de la gestion quotidienne de Cedar et de ses filiales (le « groupe »). Selon eux, les services de comptabilité et de paie du groupe étaient bien structurés et le personnel de ce service était compétent. De plus, ces services étaient supervisés par monsieur Jordan, qui faisait part des problèmes qu’il jugeait importants à monsieur Matossian. C’était à ce titre que monsieur Jordan avait été mandaté par monsieur Matossian pour faire une vérification interne des livres comptables de DBI lorsqu’il avait appris que Steen, alors en manquement, ne pouvait pas faire de divulgation volontaire puisque DBI faisait l’objet d’une vérification. Cette vérification interne de DBI n’aurait, selon les appelants, révélé aucun défaut de déduction ou de versement de sommes dues à l’intimée, ce qui les aurait rassurés. Selon les appelants, ces actions étaient amplement suffisantes pour satisfaire à leur devoir de diligence à la suite des deux premiers manquements de Steen. Finalement, ils ont prétendu que les administrateurs de sociétés aussi complexes ne devraient pas être contraints à micro‑gérer leurs sociétés.

 

 

 

 

Position de l’intimée

 

[45]    Pour sa part, l’intimée a soutenu que les appelants n’avaient que réagi aux problèmes lorsqu’ils survenaient et qu’ils n’avaient jamais réellement essayé de prévenir les problèmes subséquents. De plus, selon l’intimée, les appelants ne voulaient pas être informés des problèmes jugés moins importants, créant ainsi un problème systématique pour la communication des problèmes.

 

Analyse

 

[46]    Quelle est la portée de l’exigence de diligence raisonnable? Le juge Robertson s’exprimait ainsi à cet égard dans l’affaire Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124 (C.A.F.) :

 

[50]      Pour satisfaire à l’exigence de diligence raisonnable prévue au paragraphe 227.1(3), un administrateur peut […] prendre des « mesures » en établissant des contrôles pour vérifier les versements, en demandant aux agents financiers de la société de présenter régulièrement des rapports sur la mise en œuvre de ces contrôles et en obtenant régulièrement la confirmation que les retenues et les versements ont été faits comme l’exige la Loi : voir le paragraphe 7 de la Circulaire d’information, no 89-2, […]

 

[51]      De même, certains commentateurs ont avisé les administrateurs que, s’ils veulent être en mesure d’invoquer la défense de diligence raisonnable, il serait sage d’envisager de prendre certaines « mesures », y compris, dans certaines circonstances, l’ouverture et la surveillance d’un compte en fiducie qui servirait à payer la rémunération des employés et les sommes dues à Sa Majesté : voir, p. ex., Moskowitz, précité, aux pages 566 à 568.

 

[52]      Bien que de telles précautions puissent être considérées comme une preuve convaincante de la diligence raisonnable manifestée par un administrateur, il ne s’agit pas, selon moi, de conditions préalables nécessaires pour donner ouverture à ce moyen de défense. C’est particulièrement vrai dans le cas de l’ouverture d’un compte en fiducie séparé pour les retenues à la source qui doivent être versées au receveur général. Il est difficile de statuer autrement puisque le législateur a supprimé cette exigence expresse dans le but d’atteindre d’autres objectifs législatifs. Par-dessus tout, il faut maintenir une ligne de démarcation claire entre la norme de prudence exigée d’un administrateur et celle à laquelle doit satisfaire un fiduciaire. On ne peut donc pas obliger un administrateur externe à aller jusqu’à prendre les mesures susmentionnées. À titre d’exemple, je ne m’attendrais pas à ce qu’un administrateur externe, au moment de sa nomination au sein du conseil d’administration de l’une des sociétés canadiennes qui dominent le marché, se rende directement au bureau du contrôleur pour se renseigner sur les retenues et les versements. De toute évidence, si je ne m’attendais pas à ce que les gens d’affaires les plus avertis prennent de telles mesures, alors je ne m’attendrais certainement pas à ce que les personnes qui ont une moins grande expérience des affaires en fassent autant. Je ne veux pas donner à entendre qu’un administrateur peut adopter une attitude entièrement passive, mais seulement que, à moins qu’il n’existe des motifs d’avoir des soupçons, il est permis de compter sur les personnes qui s’occupent de la gestion quotidienne de la société pour payer des dettes comme les créances de Sa Majesté […]

 

[53]      À mon avis, l’obligation expresse d’agir prend naissance lorsqu’un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l’amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel. En d’autres termes, il incombe vraiment à l’administrateur externe de prendre des mesures s’il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements. La situation typique dans laquelle un administrateur est, ou aurait dû être, au courant de cette éventualité est celle de la société qui a des difficultés financières […] (C'est moi qui souligne.)

 

[...]

 

[56]      Il est important de noter que la question de savoir si une société a de graves difficultés financières, de nature à révéler un problème avec les versements, ne peut pas être tranchée simplement en fonction du fait que le résultat indiqué sur le bilan mensuel est négatif. À titre d’exemple, de nombreuses entreprises ont une ligne de crédit pour faire face aux fluctuations fiscales. C’est au juge de la Cour de l’impôt qu’il appartiendra dans chaque cas de déterminer si, d’après les renseignements ou les documents financiers que possédait l’administrateur, celui-ci aurait dû savoir qu’il y avait un problème réel ou éventuel avec les versements. La question de savoir si l’administrateur visé a satisfait à la norme de prudence, telle qu’elle est maintenant définie, est donc avant tout une question de fait qu’il faut trancher à la lumière des connaissances personnelles et de l’expérience de ce dernier. (C'est moi qui souligne.)

 

[47]    À la lecture de ces passages, quelques commentaires s’imposent :

 

          i)        Premièrement, nul ne saurait nier que pour satisfaire à l’exigence de diligence raisonnable, les appelants pouvaient prendre des « mesures » en établissant des contrôles pour vérifier les versements (voir l'affaire Soper, précitée, au paragraphe 50). Toutefois, ces contrôles ne doivent pas contenir des failles inhérentes qui empêchent qu’un administrateur soit informé des problèmes liés aux retenues et aux versements. C’est clairement ce qui s’est produit en l’espèce lorsque tous les acteurs du groupe agissaient selon la règle qu’aucun problème ne devait être porté à l’attention des administrateurs à moins qu’il n’atteigne un seuil significatif et non défini. J’inclus les trois appelants dans ce groupe d’acteurs, car ils savaient ou auraient dû savoir que ce seuil existait. Afin de remédier à ce problème, les administrateurs n’auraient pas dû imposer un tel seuil. Ensuite, les administrateurs auraient dû s’assurer que tous les acteurs étaient informés de l’absence de tout seuil. Les appelants auraient également pu suivre les conseils du juge Robertson dans l’affaire Soper, au paragraphe 50, « en demandant aux agents financiers de la société de présenter régulièrement des rapports sur la mise en œuvre de ces contrôles et en obtenant régulièrement la confirmation que les retenues et les versements ont été faits comme l’exige la Loi… ».

 

          ii)       Deuxièmement, à la lecture des paragraphes 51 à 53 de l’affaire Soper, il ressort clairement que, bien que les administrateurs ne soient pas tenus de prendre des mesures préventives trop rigoureuses, il demeure qu’aussitôt qu’un administrateur (même externe) prend connaissance d’un problème possible avec les retenues et versements, qu'il soupçonne ou qu'il aurait dû savoir que les contrôles sont défaillants, il doit agir pour prévenir tout manquement futur. En d’autres mots, lorsqu’un administrateur prend connaissance d’un manquement, bien qu’il ne puisse plus corriger ce défaut et ainsi écarter sa responsabilité prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi, il pourra se prévaloir du moyen de défense de la diligence raisonnable pour tout défaut subséquent s’il « [a] agi promptement pour corriger cette omission [le premier défaut] et empêcher qu’elle ne se produise de nouveau » (voir McDougall c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 455, au paragraphe 2 (C.A.F.)). Voir également Hanson c. Canada, no A-792-96, 2 octobre 2000, au paragraphe 7 (C.A.F.); Cadrin c. Canada, no A-112-97, 17 décembre 1998, aux paragraphes 5 à 8; et Cameron c. Canada, 2001 CAF 208, aux paragraphes 7 et 8 (C.A.F.), où la Cour d’appel fédérale se prononce sur l’obligation pour un administrateur externe de ne pas agir passivement[34]. En l’espèce, ni les appelants, ni monsieur Jordan n’avaient tenté d’apporter des correctifs aux contrôles du groupe suite aux manquements de Steen afin d'éviter tout manquement futur. Il ne faut pas oublier que ces contrôles n’avaient pas seulement été mis en place pour Steen, mais pour toutes les sociétés du groupe. Les appelants n’avaient même pas délégué la tâche d’apporter des correctifs à ces contrôles. En effet, il ressort du témoignage de monsieur Matossian[35] et du témoignage de monsieur Jordan[36] que le rôle de ce dernier était plutôt de trouver les problèmes et de les régler, et non de proposer des correctifs aux contrôles et aux mesures une fois un problème identifié. La vérification interne (que je qualifierais de superficielle en l’espèce) effectuée par monsieur Jordan auprès de DBI illustre très bien, à mon avis, le « modus operandi » de l’organisation, qui était de réagir plutôt que de prévenir. Certes, les appelants ont prétendu qu’ils ne faisaient pas que réagir aux problèmes, mais bien qu’ils avaient apporté des correctifs dans le but de prévenir les problèmes. En effet, monsieur Matossian n’avait-il pas témoigné que, dès qu’il avait pris connaissance que les dirigeants de Steen avait préféré payer les fournisseurs en premier lieu dans le but de réaliser des économies et ainsi d'augmenter leur prime, il avait [traduction] « congédié les gestionnaires et mis les choses au clair ». Son témoignage était toutefois muet quant aux correctifs qui avaient été réellement pris par les appelants pour prévenir de tels problèmes. De toute manière, pour s’assurer que les contrôles en place soient plus efficaces et ce, pour toutes les sociétés du groupe, il aurait fallu que les appelants réagissent de manière plus significative que de simplement congédier les gestionnaires de Steen.

 

[48]    Je terminerai en répondant à la question que se pose régulièrement le juge en chef adjoint Bowman lorsqu'il fait face aux questions de diligence raisonnable : qu’est-ce que les appelants auraient pu faire de plus? Voir, entre autres, McKinnon c. La Reine, no 2001-2757(IT)G, 3 décembre 2003, 2004  DTC  2049, au paragraphe 16 (C.C.I.); Fremlin c. La Reine, no 2001‑3060(GST)I, 24 mai 2002, [2002] T.C.J. no. 268, au paragraphe 32 (QL) (C.C.I.); et Mosier c. Canada, no 96-3504(GST)G, 10 octobre 2001, [2001] A.C.I. no 692, aux paragraphes 33‑35 (QL) (C.C.I.). Premièrement, éliminer le seuil. Deuxièmement, informer tous les acteurs de l’importance de respecter les exigences des lois fiscales à cet égard. Troisièmement, obliger les employés en cause à informer les administrateurs des failles dans les contrôles adoptés pour que ces derniers puissent s’assurer que les correctifs appropriés soient apportés. Quatrièmement, s’informer régulièrement du statut des retenues et des versements, soit en exigeant des rapports à cet égard ou en obtenant régulièrement des agents financiers du groupe une confirmation que les retenues et les versements ont été faits comme l’exige la Loi et la LAE, ou encore en prenant d’autres mesures tout aussi acceptables. Je suis d’avis que les appelants auraient dû poser ces gestes. Ce n’est pas demander l’impossible ou la perfection.

À la lumière des affaires Smith c. La Reine, C.A.F. no A-154-00, 26 mars 2001, 2001 DTC 5226, aux paragraphes 31 et 32, et Cameron, précitée, ces mesures me semblent tout à fait raisonnables en l’espèce.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de février 2005.

 

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

RÉFÉRENCE :

2005CCI21

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-1331(IT)G, 2001-1332(IT)G et 2001-1333(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Nicolas Matossian et S.M.R.

René Amyot et S.M.R.

Michel Marengère et S.M.R.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Les 20 et 21 avril 2004

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 23 février 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour les appelants :

Me Aaron Rodgers

 

Pour l'intimée :

Me Jean Lavigne

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour les appelants :

 

Nom :

Me Aaron Rodgers

 

Étude :

Spiegel Sohmer

Montréal(Québec)

 

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           Voir la pièce I-7, les observations écrites de l’intimée aux paragraphes 22 et 26 et le témoignage de madame Dazé aux pages 71 et 72 de la transcription des notes sténographiques.

[2]           La LFI annotée 2004 réfère également à d’autres décisions de première instance à la page 515.

[3]           Or, voir l'affaire Re Port Chevrolet Oldsmobile Ltd., précitée, aux paragraphes 24-32.

[4]           Voir le paragraphe 3 des présents motifs.

[5]           Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, paragraphe 12; Entreprises Ludco Ltée c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082, paragraphes 36 et 37; Canada (sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100, paragraphe 41.

[6]           no 95-456(UI), 21 novembre 1995, [1995] A.C.I. no 1548, au paragraphe 8 (C.C.I.).

[7]           Voir le témoignage de monsieur Matossian à la page 83 des notes sténographiques.

[8]           Les montants auraient été retenus, selon la Réponse à l’avis d’appel, mais non remis. Les témoignages ne traitent pas de ce fait.

[9]           Voir le témoignage de monsieur Matossian aux pages 90-91.

[10]          La relation entre ces sociétés est résumée à la page 83 du témoignage de monsieur Matossian.

[11]          Voir le témoignage de monsieur Matossian aux pages 83, 84, 86 et 87. À la lecture de la transcription des notes sténographiques, deux incertitudes demeurent : premièrement, il n’est pas clair si monsieur Marengère était aussi administrateur de Cedar. Deuxièmement, je ne peux pas conclure que les appelants avaient été administrateurs pendant toutes les années qui nous concernent. Monsieur Matossian n’a toutefois pas précisé le contraire.

[12]          Témoignage de monsieur Matossian à la page 88.

[13]          Témoignage de monsieur Matossian à la page 90.

[14]          Témoignage de monsieur Matossian à la page 88.

[15]          Témoignage de monsieur Matossian à la page 90.

[16]          Pour ce qui est de leur relation, voir les pages 160-161 du témoignage de monsieur Matossian.

[17]          L'affaire Soper, citée ci-après, définit les administrateurs internes comme suit au paragraphe 44 : « ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires ». Comme nous le verrons plus loin, même si nous acceptions que l'appelant Amyot est un administrateur externe, il n'a quand même pas fait preuve de diligence raisonnable. Ainsi, pour les fins de la présente analyse, je présume qu'il est un administrateur externe de la société en litige.

[18]          Pour ces commentaires à propos de l'appelant Amyot, voir les pp. 86, 88, 96, 177 et 181 du témoignage de l'appelant Matossian.

[19]          La description de ces acquisitions se retrouve aux pages 91 à 101 du témoignage de monsieur Matossian.

[20]          Témoignage de monsieur Matossian à la page 102.

[21]          Témoignage de monsieur Matossian aux pages 150 et 152.

[22]          Témoignage de monsieur Jordan à la page 213.

[23]          Voir les pages 111, 112 et 116 du témoignage de monsieur Matossian.

[24]          Voir le témoignage de monsieur Matossian aux pages 106-110 pour plus de détails sur les fonctions de monsieur Jordan.

[25]          Voir le témoignage de monsieur Matossian aux pages 117 et 118 des notes sténographiques.

[26]          Voir le témoignage de monsieur Jordan à la page 237.

[27]          Témoignage de monsieur Matossian à la page 115.

[28]          Témoignage de monsieur Matossian aux pages 112-113.

[29]          Pour monsieur Matossian, le but de la divulgation volontaire par Steen était en grande partie pour ne pas avoir à payer les pénalités liées à ces manquements. Voir, entre autres, la page 119 du témoignage de monsieur Matossian. Il fut par contre plus difficile d’obtenir un aveu à ce sujet de la part de monsieur Jordan si l’on se fie à son témoignage aux pages 218 à 231.

[30]          Monsieur Matossian n’est pas certain de la période exacte de la présence du vérificateur de Revenu Canada, mais il croit qu’il s’agit d’environ novembre ou décembre 1997. Voir la page 159 de son témoignage. Monsieur Jordan, pour sa part, précise que la réunion avec les autorités fiscales au sujet de l’impossibilité de la divulgation volontaire était environ à la fin octobre ou au début novembre 1997. Voir la page 195 de son témoignage.

[31]          Voir également les pages 112-113 du témoignage de monsieur Matossian.

[32]          Voir le témoignage de monsieur Jordan aux pages 195-197.

[33]          Témoignage de monsieur Matossian aux pages 160, 161, 176 et 179.

[34]          Hanson, paragraphe 7 :

[7]        Dans la présente affaire, contrairement à l’affaire Cadrin, il n’y a aucune preuve selon laquelle l’appelante, sans connaître les exigences de la loi, a fait ce qu’elle se devait de faire. Elle ne s’est pas tenue informée, d’une manière générale, de ce qui se passait à l’égard de l’entreprise et elle ne s’est pas non plus renseignée lorsqu’on lui a dit que l’entreprise traversait [TRADUCTION] « une période difficile » (à la page 41 de la transcription) ou que les choses n’allaient pas bien (aux pages 29 et 30 de la transcription).

            Cameron, paragraphes 7 et 8 :

[7]        Examinons de plus près sa conduite. Au début de son mandat, et à de nombreuses reprises par la suite, l’appelant s’est, parce qu’il était au courant de certains problèmes, fréquemment informé auprès de la direction pour savoir où en étaient les remises de retenues d’impôt. On lui a toujours assuré que tout était en règle. Il a commis l’imprudence de se fier à ses fausses assurances. En fait, les remises n’étaient pas en règle contrairement à ce que la direction affirmait.

[8]          En septembre 1994, des preuves documentaires ont été produites pour démontrer que la direction n’avait pas dit la vérité […]

[35]          Voir son témoignage aux pages 106 à 109, 112, 113, 115 à 117 et 164.

[36]          Voir son témoignage aux pages 194 à 200.

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