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Dossier : 2003-648(IT)G

ENTRE :

CARLO VENNERI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 13 avril 2005, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Pierre R. Dussault

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Serge Fournier

 

Avocate de l'intimée :

Me Anne Poirier

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1998, 1999 et 2000 sont rejetés, avec dépens à l'intimée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de mai 2005.

 

 

« P. R. Dussault »

Juge Dussault

 


 

 

 

 

Référence : 2005CCI329

Date : 20050520

Dossier : 2003-648(IT)G

ENTRE :

CARLO VENNERI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Dussault

 

[1]     Il s'agit d'appels de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d'imposition 1998, 1999 et 2000.

 

[2]     Trois questions sont en litige :

 

·        D'abord, il s'agit de déterminer si une perte subie en 1998, lors qu'une créance que détenait l'appelant sur la société 2959‑5451 Québec inc. est devenue irrécouvrable, est une perte au titre d'un placement d'entreprise ou une simple perte en capital. Cette qualification a également une incidence sur l'année 2000, puisque l'appelant a reporté à cette année une perte autre qu'une perte en capital résultant d'une perte au titre d'un placement d'entreprise subie en 1998.

 

·        La deuxième question concerne le produit de la disposition, en 1999, d'un immeuble locatif situé au 100, Île de Mai, et la détermination de la perte finale ainsi que de la perte en capital qui en découlent.

 

·        La troisième question se rapporte à la déduction de frais d'intérêts de 5 707 $ pour l'année 1999.

 

[3]     Pour établir les cotisations, le ministre du Revenu national (le « ministre ») s'est fondé sur les hypothèses de faits que l'on retrouve aux alinéas a) à ss) du paragraphe 12 de la Réponse modifiée à l'avis d'appel (la « Réponse »). Ces alinéas se lisent :

 

a)         L'appelant est chirurgien dentiste, pendant les années en litige, il exerçait ses activités dans sa clinique située sur le boulevard Jean-Talon est, à Montréal;

 

b)         Son épouse, ses deux soeurs et une autre employée travaillent avec lui;

 

c)         Outre ses revenus de profession, il déclare des revenus de locations et effectue des transactions immobilières;

 

d)         Lors de la vérification par un agent du ministre du Revenu national, ce dernier a constaté que le contrôle interne de l'entreprise était insuffisant et qu'il y avait absence de contrôle informatique;

 

e)         L'Appelant détient des comptes bancaires personnels et d'affaires, lesquels sont utilisés indépendamment des transactions effectuées;

 

f)          Par exemple, un compte de marge de crédit personnelle peut être utilisé comme passif personnel une année et comme passif de profession l'année suivante;

 

g)         Le suivi des transactions effectuées par l'Appelant est complexe puisque ce dernier peut utiliser plusieurs comptes pour une seule transaction;

 

h)         L'Appelant se sert souvent des membres de sa famille à titre de prête-nom pour effectuer ses transactions immobilières et financières;

 

i)          Par les avis de nouvelle cotisation émis en date du 7 mai 2002, le ministre du Revenu national a notamment refusé la perte au titre d'un placement d'entreprise pour l'année 1998, la perte finale et la perte en capital suite à la disposition du 100 Île de Mai ainsi que des frais financiers et ce, pour les raisons ci-après expliquées :

 

Perte au titre d'un placement d'entreprise en 1998

 

j)          Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1998, l'appelant réclame un perte au titre d'un placement d'entreprise de 247 929 $ représentant le solde des avances consenties à la société 2959-5451 Québec inc. augmenté de certains ajustements;

 

k)         La société 2959-5451 Québec inc. a été constituée le 15 juillet 1992 et la seule actionnaire de la société à cette époque était l'épouse de l'appelant;

 

l)          L'activité économique de la société était la détention de terrain;

 

m)        Le 3 septembre 1992, cette société a acheté la créance hypothécaire de 650 995 $ qui grevait un terrain vacant situé à Ste-Marthe-sur-le-Lac;

 

n)         Cet achat a été financé par une hypothèque avec la Banque Nationale garantie par l'Appelant;

 

o)         Ce même terrain vacant avait initialement été acquis en 1988 par la société 160441 Canada inc. dont l'appelant était actionnaire à 25%;

 

p)         Ce terrain était le seul actif de la société 160441 Canada inc. et était grevé d'une créance hypothécaire;

 

q)         Le 4 février 1993, la société 2959-5451 Québec inc. a exercé son droit de créancier hypothécaire et a saisi le terrain vacant;

 

r)          La société 160441 Canada inc. a fait faillite après la saisie du terrain, il n'y avait plus d'activités dans cette société depuis le 30 novembre 1991;

 

s)         Le terrain vacant a été transféré de la société 160441 Canada inc. à la société 2959-5451 Québec inc.;

 

t)          Le 3 juin 1993, l'Appelant a racheté les actions de la société 2959-5451 Québec inc. appartenant à son épouse pour la somme de 1 $, devenant par la suite le seul actionnaire de cette société;

 

u)         L'appelant a remboursé la première hypothèque et l'a remplacé par une deuxième financée à même une marge de crédit personnelle de 435 000 $ avec la Banque Laurentienne;

 

v)         Ces transactions ont permis à l'Appelant de protéger son investissement et non pas d'exploiter une entreprise;

 

w)        Aucune autre transaction n'a été effectuée par la société 2959-5451 Québec inc.;

 

x)         Aucun employé n'a été engagé par la compagnie;

 

y)         Aucune activité d'entreprise autre que la détention du terrain n'a été exercée par la société;

 

z)         La société 2959-5451 Québec n'était pas une société exploitant une petite entreprise au sens de la Loi;

 

aa)       Le 31 juillet 1998, la société 2959-5451 Québec inc. a vendu le terrain vacant;

 

bb)       La transaction est de nature capitale et une perte en capital de 230 952 $ a été allouée lors de la disposition du terrain;

 

cc)       Pour l'année d'imposition 2000, une perte autre qu'en capital reportée de l'année 1998 au montant de 67 147 $ a été refusée compte tenu du refus de la perte au titre d'un placement d'entreprise;

 

Perte en capital et perte finale (100 Île de Mai)

 

dd)       Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1999, l'appelant réclame une perte finale de 113 000 $ et une perte en capital de 63 600 $ suite à la disposition d'une propriété située au 100 Île de Mai, à Boisbriand;

 

ee)       La propriété du 100 Île de Mai a été acquise par l'Appelant et son épouse le 31 juillet 1998 pour la somme de 473 600 $ soit 303 100 $ pour la bâtisse et 170 500 $ pour le terrain;

 

ff)         En 1999, l'appelant déclarait avoir vendu cette propriété pour la somme de 300 000 $ soit 190 100 $ pour la bâtisse et 106 900 $ pour le terrain;

 

gg)       Le contrat de vente intervenu le 14 juillet 1999, devant Me Pierre Girard, notaire, indique que le prix de vente de l'immeuble était de 456 000 $ et que la base d'imposition du droit de mutation était égal à l'évaluation municipale de 473 000 $;

 

hh)       Le 3 mai 1999, une promesse d'achat au montant de 456 000 $ avait été acceptée par le vendeur;

 

ii)         L'Appelant a présenté une promesse d'achat en date du 3 juin 1999 prévoyant un prix d'achat de 300 000 $;

 

jj)         L'Appelant a également présenté une contre-lettre signée en date du 14 juillet 1999, laquelle indique que le prix réel de la transaction est de 300 000 $;

 

kk)       Un autre document, en date du 19 mai 1999, fait mention d'un prix de vente de 272 000 $;

 

ll)         Compte tenu des disparités importantes entre les documents présentés et suite aux explications obtenus par l'Appelant, le prix de disposition de la propriété de l'Île de Mai a été fixé conformément au contrat de vente intervenu devant Me Pierre Girard, notaire;

 

mm)     La perte finale sur la disposition de la bâtisse a été corrigée à la somme de 16 458 $;

 

nn)       La perte en capital sur la disposition du terrain a été corrigée à la somme de 9 258 $;

 

 

Frais financiers

 

oo)       Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1998, l'appelant a réclamé des frais financiers, lesquels ont été refusés en partie, tel qu'il appert du tableau suivant :

 

Frais financiers

Réclamés :

accordés

Refusés

 

Revenu de profession

 

15 899 $

15 899 $

0 $

Personnel

 

13 675 $

130 $

13 545 $

Revenu de location

 

4 133 $

2 096 $

2 037 $

Total :

33 707 $

18 125 $

15 582 $

 

pp)       Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1999, l'Appelant a réclamé des frais financiers, lesquels ont été refusés en partie, tel qu'il appert du tableau suivant :

 

Frais financiers

Réclamés :

accordés

Refusés

 

Revenu de profession

 

17 406 $

14 699 $

2 707 $

Personnel

 

12 662 $

2 355 $

10 307 $

Revenu de location

 

3 737 $

1 898 $

1 839 $

Total :

33 805 $

18 952 $

14 853 $

 

qq)       L'analyse des frais financiers réclamés pour les années 1998 et 1999 démontre que les frais refusés sont ceux pour lesquels l'Appelant n'a pu démontrer qu'ils ont été encourus dans le but de réaliser un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

 

rr)        La déduction à titre de frais financiers d'une somme de 15 582 $ pour l'année 1998 et de 14 853 $ pour l'année 1999 n'est pas autorisée par la Loi de l'impôt sur le revenu;

 

ss)        Pour l'année d'imposition 1998, une somme de 10 428 $ d'intérêts a été capitalisée dans le coût du terrain vacant de Sainte-Marthe-sur-le-Lac;

 

 

[4]     Certaines rectifications et précisions sont nécessaires concernant le premier point en litige. Selon l'avocate de l'intimée, le ministre a considéré que la vente du terrain situé à Sainte-Marthe-sur-le-Lac par la société 2959-5451 Québec inc. a donné lieu à une perte en capital. Par ailleurs, et ce point n'est pas reflété dans la Réponse, une perte en capital a été accordée à l'appelant, par application du paragraphe 50(1) de la Loi, au montant de sa créance sur la société 2959‑5451 Québec inc., puisque les avances qu'il avait consenties à cette société étaient devenues irrécouvrables. Toutefois, l'appelant estime que cette perte en capital devrait être considérée comme une perte au titre d'un placement d'entreprise, puisqu'il soutient que la société 2959‑5451 Québec inc. était une société exploitant une petite entreprise.

 

[5]     Au sujet des frais d'intérêts dont la déduction a été refusée en 1998 et en 1999, l'appelant ne conteste maintenant que le refus de la déduction de 5 707 $ du montant de 10 307 $ dont la déduction a été refusée en 1999 au motif qu'il s'agissait de frais d'intérêts pour des emprunts contractés à des fins personnelles.

 

1)       La perte liée aux avances consenties à la société 2959-5451 Québec inc.

 

          a) Résumé de la preuve

 

[6]     Dans son témoignage, l'appelant a expliqué les circonstances ayant entouré l'acquisition du terrain à Sainte-Marthe-sur-le-Lac (Québec) par la société 160441 Canada inc. Le terrain, d'une superficie de près de 500 000 pi2, longeait alors le boulevard des Promenades sur une distance de près de 1 000 pieds. Il était à environ un kilomètre des limites territoriales de la municipalité de Deux‑Montagnes et à trois kilomètres du site d'une gare envisagée dans cette municipalité pour le train de banlieue. Le terrain, dont 30 % de la superficie était situé en zone commerciale et 70 % était situé en zone résidentielle et non loin d'un centre commercial, occupait, aux dires de l'appelant, une position stratégique très favorable à son aménagement. Selon lui, la partie située dans la zone résidentielle, que l'on voulait aménager en premier lieu, aurait en effet permis la construction d'environ soixante maisons sur des terrains de 5 000 pi2 chacun.

 

[7]     C'est donc dans le but de s'associer à un constructeur pour bâtir et pour vendre les résidences que l'appelant et trois autres personnes, dont l'une était agent d'immeubles, ont acquis en 1988 le terrain par l'entremise de la société 160441 Canada inc., dont ils sont devenus actionnaires à 25 % chacun. Le marché immobilier était alors à la hausse et un financement de 500 000 $ fut obtenu de la société Ace Mortgage. Chaque actionnaire, sauf l'appelant, a dû hypothéquer sa résidence en garantie. L'appelant a fourni une caution personnelle.

 

[8]     Selon l'appelant, le projet était de construire des résidences unifamiliales d'une valeur de 70 000 $ à 100 000 $. Le coût des installations municipales était évalué à 1 000 000 $ et le profit total prévu était de l'ordre de 450 000 $. L'appelant a affirmé qu'il connaissait un constructeur qui bâtissait déjà un autre projet d'aménagement dans les environs et qui aurait pu s'associer au leur par la suite.

 

[9]     Au début de 1989, on aurait communiqué avec des arpenteurs‑géomètres au sujet de l'aménagement. Ils auraient présenté un projet et soumis un plan. Au même moment, les actionnaires ont appris que la municipalité envisageait de modifier le tracé du boulevard des Promenades et qu'elle suspendait l'émission de permis de construction. Selon l'appelant, le déplacement du boulevard des Promenades était susceptible de rendre le terrain acquis moins attrayant, en plus d'augmenter le coût des installations municipales. Des rencontres eurent donc lieu avec le directeur général, les urbanistes et les élus de la municipalité, de même qu'avec les propriétaires d'autres terrains longeant le boulevard des Promenades, dans le but d'empêcher le changement envisagé. Comme l'a dit l'appelant, il fallait attendre et espérer que le tracé du boulevard des Promenades ne soit pas modifié.

 

[10]    Comme il l'a expliqué, par la suite, en 1990, le marché de l'immobilier était à la baisse de sorte qu'il fallait mettre le projet en attente. Selon lui, il était alors illogique d'aller de l'avant avec un projet qui ne se vendrait pas. Il fallait alors attendre que le marché revienne à la hausse. Entre‑temps, le financement de la société se faisait par des mises de fonds des actionnaires, mais il devenait de plus en plus difficile, à un tel point que deux actionnaires ont dû déclarer faillite. L'appelant a affirmé qu'il était en réalité le seul à pouvoir continuer. Le créancier hypothécaire, Ace Mortgage, exigeait d'être payé. Selon l'appelant, sa créance s'élevait à 690 000 $ en 1992 et le solde du prix de vente du terrain, soit 170 000 $, qui était garanti par une deuxième hypothèque, était également exigible.

 

[11]    En 1992, selon les conseils de son avocat, l'appelant a constitué la société 2959‑5451 Québec inc., dont sa conjointe, madame Caroline Walton, était la seule actionnaire, dans le but de négocier avec Ace Mortgage par l'entremise d'une personne que Ace Mortgage ne connaissait pas. Effectivement, des négociations s'engagèrent et en septembre 1992, la société 2959-5451 Québec inc. racheta la créance hypothécaire de Ace Mortgage pour la somme de 560 000 $, laquelle fut avancée par l'appelant. Le terrain dont la société 160441 Canada inc. était propriétaire fut saisi par la société 2959-5451 Québec inc. et fit par la suite l'objet d'une vente en justice. La société 2959-5451 Québec inc. se porta adjudicataire. La vente en justice eut pour effet de purger la deuxième hypothèque. Le terrain fut acquis par la société 2959‑5451 Québec inc. sans effectuer de débours, puisqu'elle était alors devenue la seule créancière hypothécaire. En 1993, l'appelant devint l'unique actionnaire de cette société en acquérant les actions détenues par son épouse.

 

[12]    Quant à la somme de 560 000 $ prêtée à la société 2959‑5451 Québec inc. pour l'acquisition de la créance hypothécaire de Ace Mortgage, l'appelant a affirmé l'avoir obtenue grâce à un prêt garanti par des hypothèques sur un condominium, sur un terrain et sur une maison à deux logements qu'il possédait alors. Il aurait également donné en garantie un dépôt à terme de 50 000 $ acquis avec les fonds d'une marge de crédit bancaire.

 

[13]    L'appelant a dit qu'il avait demandé aux co-actionnaires de la société 160441 Canada inc. de se joindre à lui dans la nouvelle société, 2959‑5451 Québec inc., et de faire de nouvelles mises de fonds dans le but de poursuivre le projet initial, mais, selon lui, ceux-ci n'avaient plus les moyens ou la volonté de le faire.

 

[14]    En 1993, la suspension de l'émission de permis de construction existait toujours et le projet de modification du tracé du boulevard des Promenades était encore à l'étude. L'appelant a fait état de nouvelles rencontres avec le directeur général de la municipalité afin de faire échec à la modification proposée. Il a affirmé qu'il croyait toujours à son projet et qu'il a, à cette époque, rencontré plusieurs constructeurs qui pouvaient éventuellement être intéressés à s'associer à lui dans le but de l'aménager.

 

[15]    En 1996, l'appelant aurait contesté l'évaluation municipale du terrain, laquelle aurait alors été réduite de 500 000 $ à 341 700 $.

 

[16]    La décision de déplacer le boulevard des Promenades a finalement été prise en 1997. Le nouveau tracé faisait en sorte que le terrain perdait tout accès au boulevard des Promenades. L'appelant a alors tenté d'obtenir de la municipalité qu'elle construise à tout le moins une rue donnant au terrain un accès au nouveau tracé du boulevard. Les pièces A-2, A-3 et A-4 déposées en preuve sont des lettres qui font état de cette demande à la fin 1997 et au début 1998. Toutefois, selon l'appelant, la municipalité n'y a jamais répondu favorablement.

 

[17]    L'appelant a aussi indiqué que les travaux de modification du tracé du boulevard des Promenades avaient débuté en mai 1998. Par ailleurs, c'est en juillet 1998 que la société 2959-5451 Québec inc. a disposé à perte du terrain à la suite d'une offre spontanée. L'appelant a également dit ne pas se souvenir que le terrain ait été mis en vente à un moment quelconque au cours des années précédentes.

 

[18]    L'appelant a déposé en preuve deux autres documents faisant état de ses démarches. La pièce A-5 est un compte d'honoraires de 113,96 $ en date du 20 septembre 1995 qui lui est adressé pour une copie des plans qui auraient été préparés en 1988 ou 1989 par les arpenteurs‑géomètres. Ces plans n'ont pas été déposés en preuve.

 

[19]    La pièce A-1 est un rapport de la firme Qualilab Inspection inc. adressé à l'appelant intitulé « Caractérisation environnementale des sols » portant sur le terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Le rapport, en date du 24 février 1998, avait été demandé par l'appelant afin de s'assurer que le terrain n'était pas contaminé. Un compte d'honoraires de 2 070,45 $ est joint au rapport.

 

[20]    Lors du contre-interrogatoire de l'appelant, l'avocate de l'intimée a signalé une résolution de la société 2959‑5451 Québec inc. en date du 22 janvier 1993 autorisant celle-ci, à la suite de la saisie du terrain, à se porter adjudicataire lors de la vente en justice « pour protéger sa créance » (pièce I-1, onglet 15, avant‑dernière page). Le commentaire de l'appelant à cet égard a été qu'il s'agissait essentiellement de reprendre possession du terrain pour en faire l'aménagement.

 

[21]    Par ailleurs, dans les états financiers soumis par la société 2959‑5451 Québec inc. avec ses déclarations de revenu pour ses années d'imposition 1996 à 1998, on remarque que la société n'a aucun chiffre d'affaires et que la seule opération qui est survenue est la vente du terrain en 1998 (pièce I‑1, onglets 16 à 19). L'appelant a confirmé qu'aucune autre opération n'avait été faite par rapport au terrain et que celui-ci n'avait pas d'installations municipales. Toutefois, il a affirmé que celles-ci avaient été prévues.

 

[22]    L'appelant a réitéré que l'aménagement prévu n'avait pu être réalisé à cause de circonstances hors de son contrôle, soit la baisse du marché immobilier, ainsi que les problèmes causés par la modification du tracé du boulevard des Promenades et par la suspension de l'émission de permis de construction. Il est également à noter que la société n'a jamais acquis d'autres terrains ou d'autres éléments d'actif.

 

[23]    Monsieur Pierre Gagnon, le comptable de l'appelant, a pour sa part affirmé que celui-ci l'avait consulté concernant le terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, notamment au sujet de la contribution des actionnaires à la société 160441 Canada inc. et des problèmes de solvabilité que ceux-ci ont connus entre 1989 et 1992. Selon lui, l'appelant n'avait pour sa part aucune dette et il était le seul à pouvoir continuer de financer l'achat du terrain. Selon lui, il était donc logique que l'appelant prenne le contrôle de l'investissement et s'associe avec un constructeur pour développer son projet, le terrain représentant alors sa contribution.

 

[24]    La vente du terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac par la société 2959‑5451 Québec inc. fait partie d'une série d'opérations effectuées le 31 juillet 1998. D'abord, le terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac a été vendu par la société 2959‑5154 Québec inc. à monsieur Georges Labonté pour la somme de 341 700 $ (pièce I‑1, onglet 24). Madame Lucille Lafond, la conjointe de monsieur Georges Labonté, a ensuite vendu à madame Ida Venneri, la soeur de l'appelant, un immeuble situé au 194, rue Félix Leclerc, à Boisbriand (Québec), pour la somme de 149 500 $ (pièce I-1, onglet 26). Puis, monsieur Georges Labonté a vendu à l'appelant et à madame Caroline Walton, sa conjointe, un immeuble situé au 100, Île de Mai, à Boisbriand (Québec), pour la somme de 473 600 $ (pièce I-1, onglet 27). Monsieur Labonté a payé à l'appelant 20 376 $, compte tenu des rajustements des taxes. Par ailleurs, l'appelant a affirmé avoir obtenu la somme de 332 121 $ des prêts hypothécaires contractés à l'occasion de ces opérations. Il a expliqué avoir remis 265 696 $ à la société 2959‑5451 Québec inc. et avoir versé la différence, soit la somme de 66 425 $, pour l'achat des deux immeubles situés au 194, rue Félix Leclerc, et au 100, Île de Mai (pièce I-1, onglet 25). Par la suite, la société 2959-5451 Québec inc. aurait payé le solde d'une marge de crédit de l'appelant garantie par une hypothèque d'un montant de 262 094,18 $.

 

          b) Position des parties

 

[25]    Pour ce qui est de la nature de la perte liée aux avances consenties par l'appelant à la société 2959-5451 Québec inc., l'avocat de celui-ci soutient qu'il s'agit d'une perte au titre d'un placement d'entreprise puisque cette société exploitait une petite entreprise. Selon lui, cette société n'a pas été créée pour tirer un revenu de biens ou pour réaliser des gains en capital. Elle a été créée essentiellement dans le but d'acquérir un terrain et de développer un projet en association avec un constructeur et ainsi de réaliser un profit lors de la vente des terrains lotis. L'avocat de l'appelant écarte toute intention secondaire de revendre le terrain à profit.

 

[26]    Il souligne que si l'entreprise n'a pas produit de profits cela est dû à des circonstances hors du contrôle de l'appelant, soit des conditions économiques défavorables et le projet de modification du tracé du boulevard des Promenades avec la suspension qui l'accompagnait. Ce projet de modification affectait grandement la valeur du terrain. Il rappelle également les démarches de l'appelant auprès de la municipalité pour s'opposer à la modification proposée.

 

[27]    L'avocat de l'appelant mentionne également les plans qui auraient été préparés et les négociations qui auraient eu lieu avec des constructeurs.

 

[28]    Il a aussi signalé les négociations avec le créancier hypothécaire Ace Mortgage dans le but de réduire la créance et la reprise du terrain par la société 2959-5451 Québec inc. pour poursuivre le projet afin de démontrer la détermination et la ténacité de l'appelant à poursuivre son projet d'aménagement malgré les difficultés rencontrées.

 

[29]    Selon l'avocat de l'appelant, ces divers éléments indiquent la mise en place d'une entreprise visant la construction de résidences par la société 2959-5451 Québec inc., de sorte que la perte subie par l'appelant devrait être considérée comme une perte au titre d'un placement d'entreprise.

 

[30]    Au soutien de sa position, l'avocat de l'appelant se réfère aux décisions dans les affaires Belzile c. La Reine, 2004 DTC 2418, Barrette et al. c. La Reine, 2004 DTC 2951, Gill et al. v. M.N.R., 98 DTC 2048, et Lake Superior Investments Limited v. M.N.R., 93 DTC 898.

 

[31]    Pour sa part, l'avocate de l'intimée prétend que la société 2959-5451 Québec inc. n'était pas une société exploitant une petite entreprise puisqu'aucune entreprise n'a, de fait, été exploitée.

 

[32]    À cet égard, elle souligne l'absence totale de chiffre d'affaires et d'opérations de la société, dont les seules dépenses inscrites aux états financiers sont les taxes, les intérêts et les honoraires professionnels.

 

[33]    Selon l'avocate de l'intimée, rien ne démontre une activité quelconque en vue de l'aménagement du terrain. Il n'y a non plus aucun document faisant état d'une association réelle avec un constructeur en vue d'aménager le terrain. Elle rappelle également que le terrain était un terrain vague ne bénéficiant d'aucun service d'aqueduc et d'égout.

 

[34]    Selon elle, ni la société 160441 Canada inc. ni, par la suite, la société 2959-5451 Québec inc. n'avaient de plan d'affaires et personne n'a fait d'étude de marché. Elle souligne aussi que l'appelant était sans expérience dans le domaine de l'aménagement immobilier.

 

[35]    Somme toute, selon l'avocate de l'intimée, il n'y a pas eu exploitation d'une entreprise par la société 2959-5451 Québec inc. Elle met même en doute l'intention de l'appelant de vouloir faire de l'aménagement immobilier, en rappelant la résolution du 22 janvier 1993 de la société 2959-5451 Québec inc. dans laquelle il est indiqué que la société se portera adjudicataire lors de la vente en justice du terrain « pour protéger sa créance ». Elle affirme également que les difficultés rencontrées jusqu'en 1992 n'avaient pas disparu par la suite et que l'appelant a lui-même déclaré que l'aménagement était encore moins faisable en 1993, de sorte que le projet pouvait dès lors paraître irréalisable. Elle se réfère également aux états financiers de la société 2959‑5451 Québec inc. pour l'exercice terminé le 31 août 1996, où il est indiqué, comme nature des activités, que la société « détient un terrain à des fins de spéculation et de développement » (pièce I-1, onglet 16, page 5 des états financiers).

 

[36]    Au soutien de l'argument selon lequel aucune entreprise n'était exploitée par la société 2959-5451 Québec inc., l'avocate de l'intimée s'appuie sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Boulanger c. Canada, 2003 DTC 5630,  [2003] A.C.F. no 1336 (Q.L.), et sur la décision de la même Cour dans l'affaire Hudon c. Canada, 2001 DTC 5630, [2001] A.C.F. no 1616 (Q.L.), à laquelle on fait référence dans la première décision. Elle s'appuie également sur le Bulletin d'interprétation IT‑218R du 16 septembre 1986[1], qui énonce notamment les facteurs devant être considérés pour déterminer la nature des gains provenant de la vente de biens immeubles, pour conclure qu'aucune entreprise n'a été exploitée par rapport au terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac.

 

          c) Analyse

 

[37]    Selon l'alinéa 39(1)c) de la Loi, pour que la perte de l'appelant puisse être considérée comme une perte au titre d'un placement d'entreprise, elle doit être à l'égard d'une créance sur une société privée sous contrôle canadien qui est une « société exploitant une petite entreprise ». Cette expression est définie au paragraphe 248(1) de la Loi de la façon suivante :

 

« société exploitant une petite entreprise » Sous réserve du paragraphe 110.6(15), société privée sous contrôle canadien et dont la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d'actif est attribuable, à un moment donné, à des éléments qui sont :

 

a) soit utilisés principalement dans une entreprise que la société ou une société qui lui est liée exploite activement principalement au Canada;

 

b) soit constitués d'actions du capital-actions ou de dettes d'une ou de plusieurs sociétés exploitant une petite entreprise rattachées à la société au moment donné, au sens du paragraphe 186(4) selon l'hypothèse que les sociétés exploitant une petite entreprise sont, à ce moment, des sociétés payantes au sens de ce paragraphe;

 

c) soit visés aux alinéas a) et b).

 

Pour l'application de l'alinéa 39(1)c), est une société exploitant une petite entreprise la société qui était une telle société à un moment de la période de douze mois précédant le moment donné; par ailleurs, pour l'application de la présente définition, la juste valeur marchande d'un compte de stabilisation du revenu net est réputée nulle.

 

[38]    Le seul élément d'actif de la société 2959-5451 Québec inc. était le terrain vague situé à Sainte-Marthe-sur-le-Lac dont elle a disposé en 1998. Il s'agit donc de déterminer si ce terrain était utilisé dans une entreprise que la société exploitait activement.

 

[39]    Le paragraphe 248(1) définit l'expression « entreprise exploitée activement » comme suit :

 

« entreprise exploitée activement » Relativement à toute entreprise exploitée par un contribuable résidant au Canada, toute entreprise exploitée par le contribuable autre qu'une entreprise de placement déterminée ou une entreprise de prestation de services personnels.

 

[40]    Dans l'affaire Boulanger c. Canada, 2003 DTC 5630, [2003] A.C.F. no 1336 (Q.L.), 2003 CAF 332, le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale faisait les commentaires suivants sur le concept d'entreprise exploitée activement aux paragraphes 4 et 5 de la décision :

 

4          La Loi ne définit pas le concept d'« entreprise exploitée activement ». La détermination du critère applicable à la définition de ce concept implique une question de droit. Mais l'application de la définition elle-même aux faits de l'espèce débouche sur une question mixte de faits et de droit : Hudon c. Canada, 2001 CAF 320, paragraphe 43.

 

5          La teneur du concept d'exploitation active d'une entreprise est en soi quelque peu élusive. Comme le disait notre collègue, Madame le juge Desjardins dans l'affaire Hudon, précitée, au paragraphe 62, entre l'extrême d'une société qui n'a pas débuté son exploitation et celui d'une société qui l'a mise en veilleuse, il existe plusieurs activités qui sont « les signes d'une société en exploitation et qui devraient être placées dans le spectre du concept de l'exploitation d'une entreprise même si, par exemple, ces activités ont pour but de conclure un accord qui au bout du compte ne l'est pas, ou même si elles n'entraînent pas la production d'un revenu ». Il ressort de cette assertion que chaque cas doit être étudié à son mérite en fonction des faits qui le caractérise [...]

 

[41]    Par ailleurs, dans le Bulletin d'interprétation IT-364 du 14 mars 1977, Début de l'exploitation d'une entreprise, on trouve les commentaires suivants au paragraphe 2 :

 

2.         Il n'est pas possible de déterminer le moment précis auquel une entreprise envisagée devient une entreprise de fait. En général, le Ministère estime qu'une entreprise débute lorsque s'engage une opération importante qui constitue une activité régulière du processus de gain de ce genre d'entreprise ou un prélude essentiel à l'exploitation normale. Pour conclure qu'une entreprise a commencé, il faut nécessairement qu'on puisse déterminer assez clairement le genre de l'activé devant être exercée et qu'une structure organisationnelle suffisante ait été établie pour permettre d'entreprendre au moins les activités préliminaires essentielles. Cela est nécessaire à la fois lorsque l'entreprise envisagée doit se poursuivre sur une base continue et lorsqu'il ne doit s'agir que d'une transaction unique, comme dans le cas d'un risque de nature commerciale. Si une activité ne consiste qu'en une étude de diverses possibilités commerciales dans la perspective ou l'espoir d'obtenir des renseignements qui justifieront l'établissement d'une entreprise quelconque, une telle activité ne constitue pas le début d'une entreprise. On estimerait qu'une entreprise n'était qu'envisagée si aucun effort sérieux ou raisonnablement continu n'était tenté afin d'amorcer son exploitation normale. [...]

[Je souligne.]

 

[42]    La preuve présentée par l'appelant et son comptable, monsieur Pierre Gagnon, permet d'établir sans l'ombre d'un doute que le terrain de Sainte‑Marthe-sur-le-Lac a été acquis par la société 160441 Canada inc., puis par la société 2959-5451 Québec inc., dans le seul but d'en faire l'aménagement, principalement résidentiel, en association avec un constructeur. Le revenu envisagé était le profit à partager avec le constructeur lors de la vente des résidences. Il n'était pas question de revendre le terrain lui-même à profit. D'ailleurs, l'appelant a déclaré que le terrain n'avait pas été mis en vente auparavant.

 

[43]    La preuve ne révèle aucune activité concrète qui puisse établir que la société 2959‑5451 Québec inc. a exploité activement une entreprise. L'appelant a bien fait état qu'initialement la société 160441 Canada inc. avait demandé des plans à des arpenteurs‑géomètres. Toutefois, aucun plan n'a été soumis en preuve. Seule une facture de 113,96 $ en date du 20 septembre 1995 pour une copie des plans a été déposée en preuve (pièce A-5). L'appelant a aussi affirmé avoir rencontré des constructeurs qui auraient pu être intéressés à son projet et à s'associer avec la société 160441 Canada inc. et, plus tard, avec la société 2959‑5451 Québec inc. dans le but de faire l'aménagement envisagé. Ici encore, force est de constater qu'il s'agissait de démarches préliminaires n'ayant abouti à aucune association réelle ou à un quelconque contrat. En réalité, tout porte à croire qu'à cause de la modification proposée par la municipalité au tracé du boulevard des Promenades, et à cause de la suspension de l'émission de permis de construction, la décision de procéder à l'aménagement et de lancer l'entreprise n'a jamais été prise. Comme l'a dit l'appelant, il fallait attendre. Les démarches auprès de la municipalité pour s'opposer à la modification proposée dans le but de protéger la valeur du terrain et son potentiel d'aménagement ne sont pas non plus des activités que l'on peut considérer comme des activités relevant de l'exploitation même d'une entreprise. Il s'agit de gestes posés en vue de protéger la valeur d'un élément d'actif.

 

[44]    En 1992, à la suite d'une période économique difficile et des problèmes liés au financement de la société 160441 Canada inc. par ses actionnaires, la société 2959‑5451 Québec inc. a été créée; elle a acquis la créance hypothécaire de Ace Mortgage et elle s'est portée adjudicataire du terrain lors de la vente en justice. L'appelant est devenu par la suite le seul actionnaire de cette nouvelle société. Bien qu'il ait affirmé avoir alors voulu poursuivre son projet initial d'aménager le terrain en association avec un constructeur, on ne peut constater, ici encore, que des démarches préliminaires en ce sens. Comme la question de la modification du tracé du boulevard des Promenades n'était pas encore réglée, aucune décision concernant l'aménagement du terrain n'a été prise et la société 2959‑5451 Québec inc. est demeurée totalement inactive jusqu'à ce que le terrain soit vendu en 1998. En fait, du début à la fin, aucune activité susceptible de générer un revenu n'a été exercée précisément parce que la décision de procéder à l'aménagement et de lancer l'entreprise n'a jamais été prise. Il est vrai que les circonstances en raison desquelles cette décision n'a jamais été prise étaient hors du contrôle de l'appelant. Toutefois, cela ne change pas la réalité. La seule intention d'aménager éventuellement, lorsque les conditions seraient favorables, un projet résidentiel sur le terrain acquis n'est pas suffisante pour qu'on puisse affirmer qu'une entreprise a débuté. Si des plans préliminaires ont effectivement été préparés pour la société 160441 Canada inc. peu après l'acquisition du terrain, rien de nouveau n'a été fait par la société 2959‑5451 Québec inc. lorsqu'elle a elle-même acquis le terrain. Il n'y a rien d'étonnant à cela puisque l'appelant était toujours et est demeuré jusqu'à la fin dans l'attente d'une décision favorable de la municipalité de ne pas modifier le tracé du boulevard des Promenades ou, à tout le moins, de construire une rue permettant d'accéder au terrain du nouveau tracé du boulevard. Dans les circonstances, on ne s'étonne pas non plus que l'appelant n'ait pu faire état d'un plan d'affaires précis ou d'une étude de marché en vue de procéder à l'aménagement du terrain. La seule étude qui ait été faite est celle intitulée « Caractérisation environnementale des sols » pour déterminer s'il y avait ou non contamination et dont le rapport a été remis à l'appelant en février 1998, soit quelques mois avant la vente du terrain par la société 2959‑5451 Québec inc. (pièce A-1). Comme la décision de modifier le tracé du boulevard des Promenades avait alors été prise et qu'elle était défavorable à la société (voir les pièces A-2, A-3 et A-4), on peut raisonnablement penser que cette étude a été commandée par l'appelant en vue de la vente du terrain plutôt qu'en vue d'en entreprendre éventuellement l'aménagement.

 

[45]    Ma conclusion est donc que la société 2959‑5451 Québec inc. n'a pas exploité activement une entreprise. En conséquence, la perte subie par l'appelant à l'égard de sa créance sur cette société ne peut être considérée comme une perte au titre d'un placement d'entreprise selon la définition de l'alinéa 39(1)c) de la Loi.

 

2)       La vente de l'immeuble situé au 100, Île de Mai, à Boisbriand

 

          a) Résumé de la preuve

 

[46]    Tel qu'il a été mentionné, cet immeuble a été acquis par l'appelant et son épouse le 31 juillet 1998 au prix de 473 600 $, montant correspondant alors à l'évaluation municipale. Toutefois, l'appelant a affirmé « qu'on avait fait une évaluation à 300 000 $ ou 350 000 $ », puisque des rénovations s'avéraient nécessaires. Aucune évaluation n'a toutefois été soumise en preuve. L'immeuble a été acquis par l'appelant et son épouse comme bien locatif. Le vendeur ayant manifesté son intention de le louer pour quelques mois, l'appelant accepta de le faire pour un loyer de 1 000 $ par mois. Cette location s'avéra cependant plus longue que prévue initialement. Selon l'appelant, après les rénovations, l'immeuble aurait pu se louer 2 500 $ par mois.

 

[47]    Le 14 juillet 1999, l'immeuble a été revendu à madame Lidia Zanon et monsieur Jean-Pierre Beauchamp. Le prix de vente indiqué au contrat notarié est de 456 000 $ (pièce I-1, onglet 28). La répartition faite par le notaire est en fonction de ce montant, qui aurait notamment servi à rembourser un prêt hypothécaire dont on indique que le solde était de 405 485,18 $. L'appelant a affirmé n'avoir jamais vu le document de répartition destiné à l'acheteur et que, selon lui, le solde du prêt hypothécaire était de 105 000 $. L'état de répartition du notaire mentionne qu'un montant de 105 485,18 $ est « comblé par le financement des vendeurs sur la propriété sise au 2940 Hill Park Circle, Montréal ». Le même document indique aussi un montant de 300 000 $ entre parenthèses (300 000 $) et indique que le vendeur a remis une somme de 11 250 $ à l'acheteur « pour travaux à effectuer à la propriété ». Toutefois, à la même date, les parties ont signé une contre-lettre établissant le montant réel de l'opération à 300 000 $. Selon cette contre-lettre, le prix de 456 000 $ indiqué au contrat notarié « n'a été déterminé que pour les fins d'obtention de financement hypothécaire ». L'appelant a affirmé que c'est le notaire lui-même qui a préparé cette contre-lettre. La dernière phrase de la contre-lettre se lit : « Les parties conviennent entre elles que le prix réel de la transaction est de 300 000 $ et que ce montant sera utilisé pour toute déclaration fiscale » (pièce I-1, onglet 32).

 

[48]    Lors de son témoignage, l'appelant a affirmé que le montant réel de l'opération était bien de 300 000 $, ce qui était le montant maximal que l'acheteur était prêt à payer. De plus, selon lui, l'une des conditions était qu'il prête lui-même la somme de 28 000 $ à l'acheteur. Ainsi, l'offre d'achat du 3 mai 1999 pour le montant de 456 000 $ n'était faite par monsieur Jean‑Pierre Beauchamp que dans le but d'obtenir un financement hypothécaire plus élevé (pièce I-1, onglet 29). Une première contre-lettre du 19 mai 1999 signée par l'appelant et monsieur Beauchamp fait état que l'offre « de 456 000 $, avec un versement comptant de 114 000 $ » a été faite afin que monsieur Beauchamp puisse obtenir une hypothèque de 342 000 $. Cette première contre-lettre indique que le prix devant apparaître au contrat notarié serait de 272 000 $ (pièce I-1, onglet 30).

 

[49]    Dans son témoignage, monsieur Jean-Pierre Beauchamp a affirmé que l'offre d'achat de 456 000 $ avait effectivement été faite dans le but d'obtenir de la banque un prêt hypothécaire d'un montant plus élevé dans le but de financer l'achat à 300 000 $ ainsi que des rénovations dont il estimait le coût entre 40 000 $ et 50 000 $. Par ailleurs, il n'a pu faire état des discussions ou des négociations survenues entre le 3 mai et le 14 juillet 1999, affirmant ne pas se souvenir des détails et que son épouse pourrait le faire mieux que lui. Il n'a pas expliqué non plus la contre‑lettre du 19 mai 1999 indiquant que le prix au contrat serait fixé à 272 000 $ (pièce I‑1, onglet 30). Toutefois, il a reconnu le prêt de 28 000 $ consenti par les vendeurs et a mentionné que ce prêt n'était pas encore entièrement remboursé (pièce I‑1, onglet 33).

 

[50]    En fait, si on ajoute le prêt de 28 000 $ à la somme de 272 000 $ à laquelle il est fait référence dans la contre-lettre du 19 mai 1999, on obtient le montant de 300 000 $ indiqué dans la contre-lettre du 14 juillet 1999, ce qui serait le prix réellement payé tant selon l'appelant que selon monsieur Beauchamp. Un autre document signé par les parties le 3 juin 1999 indique que le vendeur recevra 272 000 $ chez le notaire et que le solde du prix de vente sera de 28 000 $, avec intérêt au taux de 3 % par année et remboursement du capital au terme d'une période de deux ans (pièce I-1, onglet 31).

 

[51]    Dans un affidavit signé le 26 septembre 2002, monsieur Beauchamp explique un peu mieux les disparités constatées. Ainsi, il affirme n'avoir obtenu qu'un prêt de 311 000 $ garanti par une première hypothèque. Comme l'appelant consentait une hypothèque pour le solde du prix de vente, soit 28 000 $, c'est donc 272 000 $ du montant de 311 000 $ obtenu que monsieur Beauchamp affirme avoir remis à l'appelant. Le solde de 39 000 $ aurait servi à effectuer des travaux de rénovation sur l'immeuble (pièce I-1, onglet 38).

 

[52]    Enfin, monsieur Beauchamp a affirmé ne pas se rappeler avoir déclaré lors de la vérification que le prix de vente avait été de 339 000 $. Toutefois, dans son témoignage, la vérificatrice de l'Agence des douanes et du revenu du Canada a affirmé que lors d'une entrevue avec monsieur Beauchamp le 17 juillet 2001, celui-ci avait déclaré avoir acheté l'immeuble au 100, Île de Mai, pour la somme de 339 000 $, soit le montant d'un prêt hypothécaire de 311 000 $ obtenu de la Banque de Montréal et d'un prêt de 28 000 $ portant intérêt au taux de 3 % obtenu du vendeur.

 

b) Position des parties

 

[53]    L'avocat de l'appelant mentionne d'abord que si monsieur Beauchamp a pu donner un prix de 339 000 $ à la vérificatrice, cela peut s'expliquer par le fait qu'il a obtenu un prêt hypothécaire de 311 000 $ et que l'appelant et sa conjointe lui ont consenti un prêt de 28 000 $. Il aurait ainsi pu exprimer que son coût total était de 339 000 $.

 

[54]    L'avocat de l'appelant soutient que le prix payé est bien de 300 000 $, tel qu'indiqué dans la contre-lettre, et non de 456 000 $, montant indiqué dans une offre d'achat et dans le contrat notarié. Tant monsieur Beauchamp que l'appelant ont affirmé que le prix de 456 000 $ indiqué dans ces documents avait pour but de permettre à monsieur Beauchamp d'obtenir un prêt hypothécaire d'un montant supérieur, compte tenu des rénovations envisagées.

 

[55]    Selon lui, bien que le Code civil du Québec (« C.c.Q. »), article 1452, prévoit qu'une contre-lettre n'est pas opposable aux tiers, on a distingué dans certaines décisions le rôle du ministre (ou du sous-ministre au Québec) comme cotiseur des impôts et de son rôle comme percepteur des impôts. Ainsi, on a décidé que dans son rôle de cotiseur, le ministre (ou le sous-ministre au Québec) ne doit pas être considéré comme un tiers pouvant subir un préjudice en raison d'une contre-lettre, puisque son obligation est d'établir les impôts en fonction des opérations réelles des contribuables et non en fonction des opérations apparentes ou fictives. Par ailleurs, lorsqu'il agit plutôt comme percepteur des impôts, en vertu de l'article 160 par exemple, il a, dans cette fonction, la qualité de tiers à qui la contre-lettre ne peut être opposée si elle lui est préjudiciable. Les décisions dans les affaires Richelieu c. Québec (Sous‑ministre du Revenu), [2002] R.D.F.Q. 303 (rés.) (C.Q.), Québec (Sous‑ministre du Revenu) c. Dussault‑Zaidi, [1996] R.D.F.Q. 73 (C.A. Québec) (la juge Deschamps, dissidente), et Bolduc c. La Reine, 2003 DTC 221, sont citées au soutien de cet argument.

 

[56]    L'avocate de l'intimée soutient pour sa part que c'est le prix indiqué au contrat notarié, soit 456 000 $, qui doit prévaloir. Elle se fonde d'abord sur les articles 2819 et 2821 du C.c.Q. et soutient que l'appelant ne peut contredire les termes d'un acte authentique que par l'inscription de faux, ce qu'il n'a pas fait. Elle s'appuie, à cet égard, sur les décisions dans les affaires Leclerc c. Canada, [2002] GSTC 97, [2002] A.C.I. no 422 (Q.L.), Vigneault c. Canada, 2003 DTC 1516, [2001] A.C.I. no 880 (Q.L.), et Corriveau c. Canada, 2004 DTC 3100, [2004] A.C.I. no 415 (Q.L.).

 

[57]    L'avocate de l'intimée prétend également que le prix de 300 000 $ indiqué dans la contre-lettre est irréaliste compte tenu du fait que l'immeuble a été acquis un an auparavant pour la somme de 473 600 $, ce qui correspondait à l'évaluation municipale. Elle souligne qu'aucune évaluation n'a été faite, et que même si monsieur Beauchamp a indiqué que les travaux de rénovation coûteraient de l'ordre de 40 000 $ à 50 000 $, le coût total serait encore bien en deçà de l'évaluation municipale. Elle affirme qu'elle ne comprend pas la position de l'appelant et l'urgence qu'il y avait de vendre à perte alors que le marché immobilier était rétabli en 1999. Elle note de plus qu'il avait un solde de prêt hypothécaire à rembourser. Elle estime également que le témoignage de monsieur Beauchamp est peu crédible, qu'il n'a présenté aucun document et que sa mémoire était défaillante.

 

          c) Analyse

 

[58]    Contrairement à la prétention de l'avocate de l'intimée, le litige concernant le prix de vente de l'immeuble au 100, Île de Mai, ne donne aucunement ouverture à la procédure d'inscription de faux. Dans son ouvrage Précis de la preuve, 5éd., 1996, Wilson et Lafleur ltée, Montréal, l'auteur Léo Ducharme écrit notamment à la page 100, au paragraphe 307 :

 

307.     Le notaire, en tant qu'officier public, ne garantit pas la vérité des déclarations que les parties lui ont faites, il garantit seulement qu'il les a fidèlement rapportées. C'est dire qu'il n'y a jamais lieu de recourir à l'inscription de faux lorsqu'il s'agit uniquement de démontrer qu'une déclaration que le notaire a fidèlement rapportée dans son acte est fausse.

 

[J'omets les notes en bas de page.]

 

[59]    Il poursuit, au paragraphe 308, en indiquant des situations dans lesquelles il n'y a pas lieu de recourir à l'inscription de faux. L'une de celles-ci est lorsque l'on veut démontrer « qu'un acte notarié ne mentionne pas le véritable prix, ou la véritable considération ».

 

[60]    Dans son traité La preuve civile, 3e éd., 2003, Les Éditions Yvon Blais inc., Cowansville (Québec), l'auteur Jean-Claude Royer écrit ce qui suit à la page 183, au paragraphe 288 :

 

[...] L'article 2821 C.c.Q. codifie une règle jurisprudentielle bien établie, en édictant que l'inscription de faux n'est nécessaire que pour contredire les énonciations des faits que l'officier public avait mission de constater. Un plaideur peut toujours prouver, sans action ou inscription de faux, la fausseté d'une déclaration émanant d'une partie ou d'un tiers, lorsque l'officier public a fidèlement rapporté les termes de cette déclaration dans un acte authentique. L'action ou l'inscription de faux n'est requise que lorsque la véracité du témoignage de l'officier public est en cause.

 

[J'omets les notes en bas de page.]

 

[61]    Il est assez évident que les faits de la présente affaire ne sont aucunement semblables à ceux de l'affaire Leclerc c. Canada, précitée, dans laquelle j'ai décidé que l'on devait procéder par voie d'inscription de faux puisque l'on prétendait qu'une donation constatée par un acte notarié ne représentait pas fidèlement l'intention des parties.

 

[62]    Ceci m'apparaît suffisant pour démontrer qu'il n'y a pas lieu de recourir à l'inscription de faux par rapport au présent litige, puisque le notaire aurait indiqué au contrat de vente le montant de 456 000 $ que les deux parties désiraient y voir apparaître afin, selon celles-ci, que l'acheteur, monsieur Beauchamp, puisse obtenir un prêt hypothécaire lui permettant de financer l'achat de l'immeuble et les rénovations prévues. Je n'ai pas à me prononcer sur le caractère licite ou non d'une telle pratique. Par ailleurs, il m'apparaît important de souligner qu'en matière de preuve, une contre-lettre peut être admise pour contredire même le contenu d'un acte notarié. L'auteur Jean-Claude Royer dans son traité La preuve civile, précité, affirme ce qui suit à la page 1158, au paragraphe 1530 :

 

            Sur le plan de la preuve, l'écrit constatant l'accord réel est recevable pour contredire le contenu explicite de l'acte apparent, même si celui-ci est un écrit authentique. La seule production d'un écrit sous seing privé relatant la convention secrète sera suffisante pour contredire l'acte apparent, si la contre-lettre est identifiée comme telle ou s'il résulte de ses termes qu'elle constate l'accord réel intervenu entre les contractants. De plus, la production d'un écrit relatant la convention secrète peut être complétée par une preuve testimoniale. Celle-ci est admise pour dissiper l'ambiguïté résultant des deux écrits, d'autant plus que la contre-lettre peut servir de commencement de preuve.

 

[J'omets les notes en bas de page.]

 

 

[63]    Reste à préciser les droits du fisc au regard du contrat notarié et de la contre‑lettre. Sous le titre « De La Simulation », les articles 1451 et 1452 du C.c.Q. se lisent :

 

1451.   Il y a simulation lorsque les parties conviennent d'exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé contre-lettre.

 

            Entre les parties, la contre-lettre l'emporte sur le contrat apparent.

 

1452.   Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s'il survient entre eux un conflit d'intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.

 

 

[64]    L'affaire Haeck c. Québec (Sous-ministre du Revenu du Québec), [2002] R.D.F.Q. 73 (C.Q.), présentait des circonstances similaires à celles de la présente affaire. Il s'agissait de déterminer le montant d'une perte en capital résultant de la disposition de deux immeubles. Les parties avaient convenu d'un prix de vente de 175 000 $ dans les contrats notariés en vue de permettre à l'acheteur d'obtenir un financement plus élevé. Toutefois, dans une contre-lettre, les parties convenaient d'un prix de vente réel de 148 750 $. Le vendeur avait réclamé une perte en fonction de ce montant. Le sous-ministre du Revenu du Québec (le « sous‑ministre ») s'était appuyé sur les contrats notariés, donc sur le prix de 175 000 $, pour refuser la perte réclamée et calculer la perte en fonction de ce montant. Le sous-ministre s'opposait à la preuve de la contre-lettre notamment en soutenant qu'il aurait fallu procéder par voie d'inscription de faux, que la contre-lettre ne pouvait être utilisée pour contredire un acte authentique et qu'elle ne lui était pas opposable vu les termes de l'article 1452 C.c.Q. J'ai déjà traité des deux premiers motifs, que l'avocate de l'intimée a également soulevés dans le présent dossier.

 

[65]    Par ailleurs, dans cette affaire, la juge Côté de la Cour du Québec (Chambre civile) a analysé la position du sous-ministre et son intérêt comme tiers au regard de l'article 1452 C.c.Q., selon qu'il agit comme cotiseur ou qu'il agit plutôt comme percepteur des impôts. Se référant plus particulièrement à la dissidence de la juge Deschamps de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Dussault-Zaidi, précitée, et à la décision de la juge Lamarre Proulx dans l'affaire Transport Desgagnés inc., 91 DTC 264 (C.C.I.), la juge Côté a conclu que dans son rôle de cotiseur, le sous-ministre devait s'assurer de la relation juridique véritable entre les parties et établir la cotisation en conséquence, particulièrement dans le cas où les actes du contribuable n'avaient pas pour but de tromper le fisc. Ainsi, selon elle, son seul intérêt est que l'impôt soit établi en fonction des opérations réelles et non des opérations fictives des contribuables. Par ailleurs, elle affirmait que dans son rôle de percepteur, il ne pouvait se voir opposer une contre-lettre pour l'empêcher de percevoir l'impôt déjà établi. Voici comment elle s'exprimait à cet égard à la page 76, aux paragraphes 29, 30 et 32 à 34 de sa décision :

 

[29]      Appliquer sans distinction les termes de l'article 1452 C.c.Q. en laissant le choix au sous-ministre entre l'acte apparent et la contre-lettre pourrait mener à une situation absurde : dans le dossier du vendeur, le sous‑ministre pourrait invoquer l'acte apparent et refuser une perte en capital plus élevée fondée sur la contre‑lettre et, par ailleurs, dans le dossier de l'acheteur, lors d'une vente subséquente, utiliser la contre‑lettre afin de cotiser sur un gain en capital supérieur.

 

[30]      De l'avis du Tribunal, le rôle du sous-ministre n'est pas d'invoquer les contrats susceptibles de lui permettre de percevoir le plus d'impôt possible mais bien d'établir l'impôt réellement dû en fonction des transactions faites de bonne foi et prouvées selon les exigences légales.

 

[...]

 

[32]      Voilà donc où réside l'intérêt du sous-ministre lorsqu'il agit dans le rôle de cotiseur : cerner la relation juridique réelle entre les parties et cotiser celles-ci en conséquence.

 

[33]      Par ailleurs, une fois l'impôt dû établi, il est normal que le contribuable ne puisse opposer au sous-ministre une contre-lettre ayant pour effet de l'empêcher de percevoir cet impôt. Le sous-ministre est alors un tiers ayant intérêt à invoquer l'acte apparent pour sauvegarder les droits qu'il détient contre le contribuable, à savoir : le droit d'obtenir, à même le patrimoine de ce dernier, le paiement de l'impôt réellement dû.

 

[34]      Par opposition, dans son rôle de cotiseur, il ne détient d'autre droit que celui d'établir l'impôt dû en fonction de la situation réelle des parties.

 

 

[66]    Cette analyse m'apparaît bien fondée et j'estime que la question qui se pose dans le présent dossier concernant le prix de vente de l'immeuble situé au 100, Île de Mai, se résume à déterminer le véritable prix de vente.

 

[67]    Tant l'appelant que monsieur Jean-Pierre Beauchamp prétendent que le montant réel de l'opération du 14 juillet 1999 est de 300 000 $, le montant indiqué dans la contre-lettre, et non de 456 000 $, le montant indiqué dans le contrat notarié. Or, l'appelant avait acquis cet immeuble le 31 juillet 1998 au prix de 473 600 $, ce qui correspondait au montant de l'évaluation municipale. On sait toutefois que cet achat faisait partie d'une série d'opérations ayant pour objet l'échange du terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac pour deux immeubles, dont celui au 100, Île de Mai. Comme l'échange a été effectué en utilisant comme base le montant des évaluations municipales, on peut s'interroger sur le prix réellement payé, d'autant plus que l'appelant lui-même a indiqué que l'immeuble du 100, Île de Mai, ne valait pas plus de 300 000 $ à 350 000 $, puisqu'il nécessitait des rénovations. Pour sa part, monsieur Beauchamp a indiqué qu'il devait y avoir des rénovations de l'ordre de 40 000 $ à 50 000 $. Cependant, personne n'a décrit les rénovations nécessaires. L'appelant n'a également pas tenté d'expliquer, de quelque façon que ce soit, la disparité importante entre le montant de 300 000 $ indiqué dans la contre‑lettre et l'évaluation municipale de 473 600 $ ayant servi de base lors de l'achat de l'immeuble un an plus tôt. Dans la mesure où un prix de vente de 300 000 $ représente une perte de plus de 35 % en un an, j'estime que des explications adéquates auraient dû être fournies pour démontrer que ce prix était le prix réel et le seul pouvant être justifié dans les circonstances. Une évaluation indépendante ou des explications détaillées sur l'état de l'immeuble au regard du marché immobilier et de l'évaluation municipale à l'époque pertinente auraient aussi pu dissiper le doute sérieux auquel je suis confronté. Il est vrai que plusieurs des documents mentionnés appuient la version de l'appelant et de monsieur Beauchamp (pièce I-1, onglets 30, 31, 32, 34 et 38). Par ailleurs, le contrat notarié indiquant le prix de 456 000 $ s'appuie aussi sur une offre signée par les parties (pièce I-1, onglets 28 et 29). L'explication fournie par l'appelant et monsieur Beauchamp est toutefois insuffisante à mon avis pour démontrer que la vente à 300 000 $ plutôt qu'à 456 000 $ était la seule plausible et justifiée dans les circonstances. Lorsque des personnes s'adonnent à la simulation, elles doivent s'attendre à devoir fournir une preuve solide à l'appui de leur prétention que l'acte secret devrait primer l'acte apparent. L'intérêt de l'appelant de voir primer la contre-lettre du 14 juillet 1999 est évident. Il est d'ailleurs exprimé dans la dernière phrase de celle-ci qui se lit : « Les parties conviennent entre elles que le prix réel de la transaction est de 300 000 $ et que ce montant sera utilisé pour toute déclaration fiscale » (pièce I‑1, onglet 32). Toutefois, la vente à 300 000 $ apparaît suspecte et peu plausible dans les circonstances. Je dois donc conclure que la preuve présentée est insuffisante pour me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que le montant de 456 000 $ indiqué dans le contrat notarié et retenu par le ministre n'est pas le montant réel de l'opération. La perte finale et la perte en capital établies par le ministre par rapport à la vente de cet immeuble sont donc maintenues.

 

3)       Les frais d'intérêts

 

          a) Résumé de la preuve

 

[68]    En 1999, l'appelant a réclamé une déduction de 10 306 $ à titre d'intérêts payés pour des emprunts. Cette déduction a été refusée au motif qu'il s'agissait d'intérêts payés sur des sommes empruntées à des fins personnelles. La contestation de l'appelant ne porte que sur un montant de 5 707 $.

 

[69]    Le 14 juillet 1999, le jour même de la vente de l'immeuble situé au 100, Île de Mai, à Boisbriand, l'appelant empruntait la somme de 365 000 $ de la Société hypothécaire Scotia; le prêt était garanti par une hypothèque de premier rang sur sa résidence située au 2940, Hill Park Circle, à Montréal.

 

[70]    Monsieur Pierre Gagnon, le comptable de l'appelant, a expliqué que la vente de l'immeuble au 100, Île de Mai, aurait été faite pour un prix de 300 000 $, mais que l'appelant n'avait reçu que 272 000 $ de l'acheteur puisque l'appelant lui consentait le solde du prix de vente de 28 000 $ garanti par une deuxième hypothèque. Il manquait donc la somme de 133 000 $ pour rembourser l'hypothèque existante de 405 000 $. Les frais d'intérêts sur cette somme se sont élevés à 2 886 $ en 1999. Selon la vérificatrice, madame Aïcha Hkim, la déduction des intérêts a été refusée au motif que l'argent a servi à financer une perte lors de la vente du 100, Île de Mai, et à financer un prêt à l'acheteur de 28 000 $ portant intérêt au taux de 3 %.

 

[71]    Selon monsieur Gagnon, des 365 000 $ empruntés, la somme de 80 000 $ aurait servi à rembourser un prêt de 80 000 $ garanti par un immeuble situé rue Des Érables, prêt contracté initialement pour l'achat du terrain de Sainte‑Marthe-sur-le-Lac. Les intérêts dont la déduction a été refusée à l'égard de cette somme de 80 000 $ étaient de 1 736 $ en 1999.

 

[72]    Selon madame Aïcha Hkim, les intérêts dont l'appelant réclamait la déduction s'élevaient à 3 737 $. Selon elle, les intérêts dont la déduction a été refusée s'élevaient à 1 823 $. La déduction a été refusée au motif qu'une partie de l'emprunt avait servi à rembourser la marge de crédit utilisée lors de l'achat du terrain de Sainte‑Marthe-sur-le-Lac. Ce montant a été capitalisé, c'est-à-dire ajouté au coût du terrain en vertu du paragraphe 18(2) de la Loi.

 

[73]    Enfin, un montant de 50 000 $ aurait servi à rembourser une marge de crédit du même montant à la Banque Nationale du Canada. Le montant de 50 000 $ porté au débit de la marge de crédit avait servi à acquérir un dépôt à terme remis en garantie à la banque. Des intérêts s'élevant à 1 085 $ ont été réclamés à l'égard de ce montant en 1999. Selon monsieur Pierre Gagnon, cette marge de crédit était également liée à l'emprunt contracté initialement pour l'acquisition du terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Selon madame Aïcha Hkim, la déduction de ce montant a également été refusée.

 

          b) Position des parties

 

[74]    Au sujet de la réclamation de 2 886 $ à l'égard de la somme de 133 000 $ nécessaire pour rembourser le prêt hypothécaire lors de la vente de l'immeuble situé au 100, Île de Mai, l'avocat de l'appelant soutient que cette somme est pleinement déductible en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi, puisqu'il s'agit d'intérêts payés en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

 

[75]    L'avocate de l'intimée prétend qu'aucune preuve n'a été apportée du montant versé au notaire ou à la banque pour le règlement du solde de 133 000 $. Elle souligne que le solde du prêt était de 105 485,18 $ selon la répartition soumise par l'appelant. Enfin, elle souligne que la vente de l'immeuble a été faite à perte et que l'appelant n'a pu démontrer que l'argent avait été emprunté en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

 

[76]    Au sujet du montant de 1 736 $ refusé par rapport au remboursement d'un prêt hypothécaire de 80 000 $ sur un immeuble situé rue Des Érables, l'avocat de l'appelant souligne qu'il devrait être déductible en vertu de l'alinéa 20(1)c) et que les limitations du paragraphe 18(2) de la Loi ne visent aucunement l'actionnaire d'une société détentrice d'un terrain.

 

[77]    L'avocate de l'intimée remarque simplement qu'aucune explication ou preuve documentaire n'a été soumise relativement à l'utilisation du prêt. Par ailleurs, elle souligne que la déduction d'une partie des intérêts a été accordée, soit un montant de 1 898 $ pour un prêt de 90 000 $ garanti par une hypothèque sur l'immeuble situé rue Des Érables, et qu'un montant de 1 823 $ a été capitalisé relativement au terrain situé à Sainte-Marthe-sur-le-Lac en vertu du paragraphe 18(2) de la Loi.

 

[78]    Au sujet du montant de 1 085 $ payé à l'égard d'une somme de 50 000 $ empruntée et utilisée pour rembourser une marge de crédit à la Banque Nationale, l'avocat de l'appelant souligne que la marge de crédit avait été initialement utilisée pour l'acquisition d'un dépôt à terme donné en garantie par rapport à l'acquisition du terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac par la société 2959‑5451 Québec inc.

 

[79]    L'avocate de l'intimée soutient que le montant de 50 000 $ ne provient pas du prêt de 365 000 $ contracté le 14 juillet 1999 et garanti par une hypothèque sur l'immeuble situé au 2940, Hill Park Circle, mais d'une somme de 147 000 $ obtenue lors de la vente de l'immeuble situé au 100, Île de Mai, le même jour, selon l'annotation faite par l'appelant lui-même dans son relevé des opérations bancaires (pièce I-1, onglet 47, page 27).

          c)       Analyse

 

[80]    Les observations de l'avocat de l'appelant concernant la déductibilité des intérêts de 5 707 $ en 1999 sont loin d'être claires. D'abord, la somme de 133 000 $ qui aurait été utilisée pour rembourser entièrement le prêt hypothécaire sur l'immeuble situé au 100, Île de Mai, peut difficilement être considérée comme ayant été empruntée en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Cet immeuble a été vendu à perte en 1999 et je ne vois pas comment il aurait pu continuer à représenter une source de revenu pour l'appelant. J'estime donc que les intérêts de 2 886 $ payés à l'égard de cette somme ne satisfont pas aux conditions énoncées à l'alinéa 20(1)c) de la Loi.

 

[81]    Quant aux intérêts payés sur la somme de 80 000 $ utilisée pour rembourser un prêt hypothécaire sur l'immeuble situé rue Des Érables, le comptable de l'appelant, monsieur Pierre Gagnon, a lié l'emprunt initial à l'acquisition du terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Or, selon le témoignage de l'appelant lui-même, l'emprunt qu'il a fait en 1992 pour avancer des sommes à la société 2959-5451 Québec inc. a été utilisé par celle-ci pour le rachat de la créance détenue par la société hypothécaire Ace Mortgage. Selon l'appelant, la société 2959-5451 Québec inc. s'est par la suite portée adjudicataire du terrain lors de sa vente en justice sans avoir à débourser un montant supplémentaire, puisqu'elle devenait à la fois créancière et débitrice de la même somme et que la vente en justice avait pour effet de purger la deuxième hypothèque. Or, il n'y a aucune preuve que les avances de l'appelant à la société 2959-5451 Québec inc. portaient intérêt ou qu'elles ont été consenties en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Par ailleurs, si on pouvait prétendre que les avances de l'appelant à la société 2959-5451 Québec inc. étaient en définitive faites en vue de récupérer le terrain afin que celle-ci puisse éventuellement l'aménager et possiblement procurer à l'appelant un revenu tiré de biens, sous forme de dividendes par exemple, il faudrait admettre qu'il s'agit là d'une utilisation indirecte des sommes avancées à la société dans le but d'en tirer un revenu. À supposer même qu'un tel argument puisse être retenu, ce dont je doute, il ne peut, en tout état de cause, s'appliquer à l'égard des intérêts payés en 1999 par l'appelant puisque la société 2959-5451 Québec inc. a disposé du terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac à perte en 1998 et qu'il s'agissait là de son seul élément d'actif. Ainsi, il n'est aucunement possible, à mon avis, de rattacher l'utilisation de la somme de 80 000 $ à une quelconque source de revenu pour l'appelant. J'estime donc que les intérêts de 1 736 $ payés en 1999 à l'égard de cette somme de 80 000 $ ne satisfont pas aux conditions énoncées à l'alinéa 20(1)c) de la Loi.

 

[82]    Finalement, quant aux intérêts de 1 085 $ liés à l'utilisation d'une somme de 50 000 $ pour rembourser une marge de crédit à la Banque Nationale du Canada, j'estime qu'ils ne satisfont pas aux conditions énoncées à l'alinéa 20(1)c) de la Loi pour les mêmes raisons, puisque l'argument de l'avocat de l'appelant est que l'utilisation de cette marge de crédit était initialement liée à l'achat du terrain de Sainte-Marthe-sur-le-Lac par la société 2959-5451 Québec inc.

 

Conclusions

 

[83]    En résumé, mes conclusions sur les trois questions en litige sont les suivantes :

 

·        La perte subie par l'appelant en 1998 relativement aux avances consenties à la société 2959-5451 Québec inc. n'est pas une perte au titre d'un placement d'entreprise, mais une simple perte en capital.

 

·         La perte finale et la perte en capital subies lors de la disposition de l'immeuble situé au 100, Île de Mai, ont donc été correctement établies par le ministre en fonction d'un produit de disposition de 456 000 $ et non de 300 000 $.

 

·         Les intérêts de 2 886 $, de 1 736 $ et de 1 085 $, soit 5 707 $ au total, payés en 1999 sur les sommes de 133 000 $, de 80 000 $ et de 50 000 $ respectivement ne sont pas déductibles en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi.

 

Décision

 

[84]    En conséquence de ce qui précède, les appels des cotisations établies en vertu de la Loi pour les années d'imposition 1998, 1999 et 2000 sont rejetés, avec dépens à l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de mai 2005.

 

 

 

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


 

 

RÉFÉRENCE :                                            2005CCI329

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :                2003-648(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        Carlo Venneri et Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATES

 Audience :                                                             le 13 avril 2005

 Observations écrites de l'avocat de l'appelant

 au sujet de la déductibilité des intérêts          le 22 avril 2005

 Observations écrites de l'avocat de l'intimée

 au sujet de la déductibilité des intérêts           le 3 mai 2005

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                 L'honorable juge Pierre R. Dussault

 

DATE DU JUGEMENT :                             le 20 mai 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Serge Fournier

 

Avocate de l'intimée :

Me Anne Poirier

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant :

 

                   Nom :                                       Me Serge Fournier

                   Étude :                                      Brouillette Charpentier Fortin

                   Ville :                                        Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                                      John H. Sims, c.r.

                                                                    Sous-procureur général du Canada

                                                                    Ottawa (Ontario)



[1]  Bénéfices, gains en capital et pertes provenant de la vente de biens immeubles, y compris les terres agricoles et les terres transmises par décès et la conversion de biens immeubles qui sont des biens en immobilisation en biens figurant dans un inventaire et vice versa.

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