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Dossier : 2005-438(IT)G

ENTRE :

JENNIFER WAUGH,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 11 janvier 2007 et les 1er et 27 février 2007,

à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L’honorable juge L.M. Little

 

Comparutions :

 

 

Avocat de l’appelante :

Me J. Herbert Rosner

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Karen A. Truscott

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2002 et 2003 sont accueillis, sans dépens, et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 24e jour d’août 2007.

 

 

« L.M. Little »

Juge Little

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de septembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

 

 

Référence : 2007CCI494

Date : 20070824

Dossier : 2005-438(IT)G    

ENTRE :

JENNIFER WAUGH,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Little

 

I.       LES FAITS

 

[1]     Pendant toute la période en cause, l’appelante était soit la conjointe de fait, soit l’épouse de Douglas Waugh.

 

[2]     L’appelante a épousé Douglas Waugh le 17 août 2002.

 

[3]     Du 28 février 2002 au 1er mai 2003 (la « période »), Douglas Waugh devait 305 794 $ à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), en application de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)[1]. Pendant cette période, Douglas Waugh a transféré des fonds totalisant 132 992,82 $ dans le compte bancaire personnel de l’appelante, dont l’appelante était l’unique signataire autorisée. Quatorze transactions de transfert de fonds ont eu lieu. Le 17 novembre 2004, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante (la « nouvelle cotisation ») et a inclus la somme de 132 992,82 $ dans le revenu de celle-ci, conformément à l’article 160 de la Loi.

 

[4]     Au début du procès, le ministre a admis une transaction de 350 $, relative à un chèque émis par Harry Trueman. Les quatorze transactions visées par la nouvelle cotisation sont les suivantes :

 

Montant

Date

Chèque émis par

Chèque à l’ordre de

Objet

 

 

 

 

 

20 000 $

25 septembre 2002

Rodney Schroeder

Douglas Waugh

Prêt de 75 000 $

10 000 $

4 novembre 2002

Rodney Schroeder

Douglas Waugh

Prêt de 75 000 $

10 000 $

6 décembre 2002

Rodney Schroeder

Douglas Waugh

Prêt de 75 000 $

10 000 $

22 janvier 2003

Rodney Schroeder

Douglas Waugh

Prêt de 75 000 $

10 000 $

4 février 2003

Rodney Schroeder

Douglas Waugh

Prêt de 75 000 $

5 561,72 $

10 février 2003

Rodney Schroeder

Douglas Waugh

Prêt de 75 000 $

10 000 $

3 mars 2003

Rodney Schroeder

Douglas Waugh

Prêt de 75 000 $

75 561,72 $

 

 

 

 

 

 

 

 

 

25 000 $

3 juin 2002

Bruce McDonald

Jennifer McDonald

Prêt de 30 000 $

2 000 $

28 février 2002

Air Canada

Douglas Waugh

Mme Hooper

561,10 $

28 février 2002

Air Canada

Douglas Waugh

Mme Hooper

1 540 $

2 mai 2002

Cycle City

Douglas Waugh

Remboursement de l’acompte donné pour un vélo

14 000 $

8 octobre 2002

Traite CIBC

Douglas Waugh

Vente de bateau

13 980 $

1er mai 2003

Traite NWACU

Jennifer Waugh

Vente d’équipement de jeu

132 642,82 $

 

 

 

 

350 $

2 juillet 2002

Harry Trueman

Douglas Waugh

Somme admise

132 992,82 $

 

 

 

 

 

[5]     Pendant l’audience, l’avocat de l’appelante a appelé cinq témoins : l’appelante, M. Waugh, Mme Lynne Hooper (mère de l’appelante), M. Bruce McDonald (ami de la famille et associé de l’appelante et de son mari) et M. Rodney Schroeder (associé).

 

[6]     L’appelante a donné sa version des transactions en litige. En voici un résumé :

 

1.       La somme de 75 000 $ représente différents prêts que M. Schroeder a consentis à l’époux de l’appelante afin de permettre à ce dernier de payer les dépenses liées à la promotion du projet de l’avion Beaver.

 

2.       Dans le cadre du projet de l’avion Beaver, M. Waugh et M. Schroeder tentaient de réaliser l’objectif suivant : [traduction] « rectifier, fabriquer et vendre des versions modernes de l’avion de renommée mondiale Beaver et d’autres avions utilitaires sur les marchés militaires et commerciaux en général partout dans le monde ». (Pièce A-1.)

 

3.       La somme de 30 000 $ représente un prêt que M. McDonald a consenti à l’appelante et à son époux afin de permettre à ceux-ci de payer leurs frais de subsistance après que l’époux de l’appelante eut perdu des sommes d’argent considérables dans le projet du casino de Mexico. (Remarque : L’appelante et son époux ont tous deux signé le billet qui a été remis à M. McDonald au moment du prêt.) (Pièce A-2.)

 

4.       Les sommes de 2 000 $ et de 561,10 $ sont des sommes que l’appelante a reçues de sa mère, Mme Hooper.

 

5.       La somme de 1 540 $ représente le remboursement de l’acompte qui avait été donné pour un vélo.

 

6.       La somme de 14 000 $ représente le produit que M. Waugh a reçu pour la vente d’un bateau.

 

7.       La somme de 13 980 $ représente le produit que M. Waugh a reçu pour la vente d’équipement de jeu au nom d’un tiers.

 

[7]     L’avocate de l’intimée a appelé un témoin, M. Les Kromar, agent de perception à l’ARC.

 

II.      QUESTION EN LITIGE

 

[8]     Il s’agit de décider si le paragraphe 160(1) de la Loi s’applique aux transactions en cause.

 

III.     ANALYSE

 

[9]     L’article 160 a pour objet d’empêcher le contribuable de se soustraire à l’impôt en transférant des biens à certaines personnes ou à certaines entités avec lesquelles le contribuable a un lien de dépendance.

 

[10]    En termes généraux, le paragraphe 160(1) s’applique au « transfert » direct ou indirect de « biens », y compris au moyen d’une fiducie, à un époux ou à un conjoint de fait, à une personne mineure ou à une personne avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance.

 

[11]    Le paragraphe 160(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

160(1) Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance – Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s’appliquent :

[…]

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi. [Non souligné dans l’original.]

 

[12]    L’essence du paragraphe 160(1) se trouve à l’alinéa e) : le bénéficiaire du transfert est responsable de la valeur des biens qui ont été transférés, moins la valeur de la contrepartie donnée, jusqu’à concurrence de la dette fiscale de l’auteur du transfert au cours de l’année où a eu lieu le transfert.

 

Défense de diligence raisonnable

 

[13]    L’avocat de l’appelante a également indiqué que l’appelante n’avait pas connaissance de la dette fiscale de M. Waugh. Dans la décision Caron v. The Queen, 2002 DTC 1736, le juge Dussault, de la Cour canadienne de l’impôt, a soutenu qu’il n’était pas pertinent de savoir si le bénéficiaire du transfert avait connaissance de la dette fiscale de l’auteur du transfert. L’avocat de l’appelante s’est fondé sur l’article 2 d’une loi de la Colombie‑Britannique, la Fraudulent Conveyance Act, R.S.B.C., ch. 163, lequel est rédigé comme suit :

 

[traduction]

 

La présente Loi ne s’applique pas à la disposition, pour une contrepartie valable, de biens transférés légalement de bonne foi à une personne qui, au moment du transfert, n’était pas informée ou n’avait pas connaissance de la collusion ou de la fraude.

 

[14]    Il est important de noter que l’article 160 de la Loi impose une responsabilité absolue. L’article 160 ne prévoit aucune défense de diligence raisonnable comme celle que les administrateurs peuvent invoquer en vertu du paragraphe 227.1(3) de la Loi. En fait, le paragraphe 160(1) s’applique même si le bénéficiaire du transfert n’avait pas connaissance de la dette fiscale de l’auteur du transfert. Dans l’arrêt Wannan c. R.[2], la juge Sharlow de la Cour d’appel a énoncé ce qui suit, aux paragraphes 2 et 3 :

 

L’article 160 est l’une de plusieurs dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui prévoient une responsabilité du fait d’autrui ou responsabilité secondaire à l’égard de créances fiscales. Ces dispositions permettent au ministre de recouvrer une créance fiscale auprès d’une personne autre que le débiteur fiscal, à condition que certaines conditions prévues par la loi soient remplies […]

 

L’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est un instrument important de recouvrement des impôts, parce qu’il contrarie les tentatives d’un contribuable de mettre de l’argent ou d’autres biens hors de la portée du fisc en les transférant censément à des amis. C’est cependant une disposition draconienne. Les recours à l’article 160 ne sont pas tous injustifiés ou injustes, mais un résultat inique est toujours possible. Il n’existe pas de défense de diligence raisonnable à l’encontre de l’application de l’article 160. Cet article peut s’appliquer au cessionnaire de biens qui n’a pas l’intention d’aider le débiteur fiscal primaire à se soustraire à l’impôt. Il peut même s’appliquer au cessionnaire qui n’a pas connaissance de la situation fiscale du débiteur fiscal primaire. Cependant, l’article 160 a été validement promulgué comme partie des lois du Canada. Si la Couronne entend se fonder sur l’article 160 dans un cas donné, elle doit être autorisée à le faire pour autant que les conditions prévues soient remplies. [Non souligné dans l’original.]

 

[15]    D’après l’analyse judiciaire susmentionnée, il s’ensuit que la preuve présentée par l’appelante, selon laquelle cette dernière n’était pas au courant de la dette fiscale de M. Waugh envers l’ARC lorsqu’elle a démissionné de son emploi à Toronto et déménagé à Vancouver pour épouser celui-ci, n’aidera en rien l’appelante à contester une cotisation établie en vertu de l’article 160.

 

Transfert de biens

 

[16]    La principale question en l’espèce consiste à décider si l’article 160 s’applique aux « biens » qui ont été « transférés ». Même si le terme « transfert » n’est pas défini dans la Loi, le terme « biens » y est défini comme suit, au paragraphe 248(1) :

 

« biens » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

a) les droits de quelque nature qu’ils soient, les actions ou parts;

b) à moins d’une intention contraire évidente, l’argent;

[…]

 

[17]    La question que je dois trancher est celle de savoir si, en déposant différentes sommes dans le compte bancaire de l’appelante afin que cette dernière puisse payer les dépenses de la famille, l’époux de l’appelante a en réalité « transféré » des « biens » à l’appelante au sens du paragraphe 160(1) de la Loi.

 

[18]    Je crois que l’article 160 de la Loi s’applique en ce qui concerne les 75 561,72 $ prêtés par M. Schroeder à M. Waugh et transférés à l’appelante.

 

[19]    Pour ce qui est du prêt de 25 000 $ consenti à l’appelante et à M. Waugh par M. Bruce McDonald, je conclus que l’article 160 ne s’applique pas parce que l’appelante avait la responsabilité personnelle de rembourser les 30 000 $ à M. McDonald.

 

[20]    Le témoignage de Mme Hooper (la mère de l’appelante) établit que les sommes de 2 000 $ et de 561,10 $ étaient, en fait, de l’argent qui appartenait à Mme Hooper et que M. Waugh avait été chargé de donner à l’appelante. Je ne crois pas que l’article 160 de la Loi s’applique au transfert d’argent entre Mme Hooper et l’appelante puisque rien ne prouve que Mme Hooper avait une créance fiscale pendant la période en cause.

 

[21]    La preuve démontre clairement aussi que les services de M. Waugh avaient été retenus en vue de la vente, au nom d’un tiers, d’équipement de jeu d’occasion. Par conséquent, le produit de cette vente appartient légitimement à M. Waugh. Je conclus que le paragraphe 160(1) de la Loi s’applique aux 13 980 $ transférés par M. Waugh.

 

[22]    Selon la preuve, la somme reçue à titre de remboursement d’un acompte (1 540 $) avait été payée à l’origine par M. Waugh pour l’achat d’un vélo destiné à son fils issu d’un premier mariage. Le remboursement a été reçu par M. Waugh. Je conclus que le paragraphe 160(1) s’applique à cette transaction.

 

[23]    Selon la preuve, M. Waugh a reçu la somme de 14 000 $ pour la vente d’un bateau et il a par la suite transféré cette somme à l’appelante. Je conclus que le paragraphe 160(1) s’applique à cette transaction.

 

IV.     CONCLUSION

 

[24]    Je conclus que l’article 160 s’applique aux prêts totalisant 75 561,72 $ consentis par M. Schroeder.

 

[25]    Je conclus que l’article 160 ne s’applique pas au prêt de 25 000 $ consenti par M. McDonald.

 

[26]    Je conclus que l’article 160 ne s’applique pas aux sommes de 2 000 $ et de 561,10 $ transférées à l’appelante par sa mère.

 

[27]    Je conclus que l’article 160 s’applique à l’argent reçu pour la vente de l’équipement de jeu.

 

[28]    Je conclus que le paragraphe 160(1) s’applique au remboursement de l’acompte de 1 540 $ (acompte versé pour le vélo) et aux 14 000 $ que M. Waugh a reçus pour la vente du bateau.

 

[29]    Les appels sont accueillis, et le ministre devra établir une nouvelle cotisation en fonction de ce qui est indiqué ci-dessus.

 

[30]    Puisque le succès est partagé entre les parties, je ne suis pas disposé à adjuger des dépens.

 

 

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 24e jour d’août 2007.

 

 

 

« L.M. Little »

Juge Little

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de septembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

RÉFÉRENCE :

2007CCI494

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-438(IT)G

 

INTITULÉ :

Jennifer Waugh c.
Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 11 janvier 2007,

Les 1er et 27 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge L.M. Little

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 24 août 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me J. Herbert Rosner

 

Avocate de l’intimée :

Me Karen A. Tuscott

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

Me J. Herbert Rosner

 

Cabinet :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée. Sauf indication contraire, les dispositions législatives mentionnées dans les présents motifs sont tirées de la Loi.

[2]           2003 CarswellNat 3515, 2003 CAF 423, 2003 DTC 5715, [2004] 1 C.T.C. 326, C.B.R. (5th) 117, 312 N.R. 247.

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