Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2003CCI50

Date : 20030307

Dossiers : 2002-3086(EI)

2002-3087(CPP)

 

ENTRE :

ABCO PROPERTY MANAGEMENT INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l’audience à

Kitchener (Ontario) le 6 février 2003.

 

Le juge Miller  

 

[1]     L’appelante, ABCO Property Management Inc., ci-après appelée l’entreprise « ABCO », interjette appel à l’encontre des décisions qu’a rendues l’intimé pour la période du 1er janvier au 29 novembre 2001 selon lesquelles Roland St-Louis occupait un emploi assurable en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et ouvrant droit à pension en vertu du Régime de pensions du Canada. L’entreprise ABCO soutient que, pendant la période en cause, M. St-Louis était un entrepreneur autonome.

 

[2]     Il s’agit en fait de cas limites où la forêt est difficilement discernable, après que nous ayons examiné minutieusement chaque arbre qui la compose. Les circonstances relatives à l’affaire en l’espèce sont les suivantes : M. Paul Hargreaves, le représentant de l’entreprise ABCO, a expliqué que cette dernière consistait en une entreprise de gestion immobilière qui faisait rarement l’acquisition d’immeubles, mais qui en assurait simplement la gestion, soit jusqu’à 13 immeubles d’habitation pendant la période en cause. Les immeubles étaient la propriété d’une société affiliée. M. Hargreaves a publié une annonce en vue de combler un poste de concierge à laquelle M. St-Louis a répondu. M. Hargreaves lui a offert le poste de concierge d’un immeuble situé au 49, promenade Vanier, à Kitchener, en Ontario, et non pas de celui dont il était fait mention dans l’annonce.

 

[3]     M. St-Louis et sa conjointe de fait, Virginia Nowak, ont signé un contrat en décembre 1998 avec l’entreprise Emvan Holdings Inc., propriétaire de l’immeuble, bien que le document en question ait été en fait signé par M. Hargreaves au nom de l’entreprise ABCO, gestionnaire de l’immeuble. Le paragraphe 2 de l’entente, intitulée « convention d’entrepreneurs », énumère les responsabilités considérables que doit assumer le surveillant général, notamment qu’il doit porter sur lui un téléavertisseur d’urgence, faire visiter les lieux, nettoyer, étendre du sel et enlever la neige pendant l’hiver, entretenir de bonnes relations avec les locataires, de même qu’elle dresse une liste passablement longue d’autres obligations qu’il doit satisfaire. Cette disposition conclut ainsi : [traduction] « L’entrepreneur accepte de suivre les directives que le gestionnaire immobilier lui transmet en toute légalité. »

 

[4]     Le contrat prévoit également la disposition suivante qui figure au paragraphe 20 du document. Elle est ainsi rédigée :

         

[traduction]

 

Aucune disposition que prévoit la présente convention ne doit être interprétée de manière à créer entre les parties une relation d’employeur-employé ou de commenttant-préposé. Les entrepreneurs ont consenti à conclure la présente convention sous réserve qu’ils exploitent respectivement une entreprise indépendante et qu’ils ont clairement mentionné ce fait à la société. L’entrepreneur doit fournir tous les outils nécessaires en vue de respecter toutes les dispositions prévues à la présente convention. 

 

De même, en ce qui concerne le logement gratuit, M. St-Louis et Mme Nowak percevaient une somme de 400 $ par mois qui, à la fin de l’année 2001, avait été augmentée à 633 $ par mois. M. St-Louis et Mme Nowak exécutaient le travail qu’il fallait accomplir. Mme Nowak se chargeait de l’entretien et du nettoyage, mais non pas des tâches plus difficiles à accomplir au sous-sol. Elle était surtout présente sur les lieux pendant la journée, laissant M. St-Louis assumer les autres responsabilités que j’aborderai sous peu.

 

[5]     Il semble que M. St-Louis était surtout en disponibilité en soirée pour assumer les responsabilités liées au poste de concierge. M. Hargreaves a indiqué qu’il ne se souciait aucunement de la façon dont ils se partageaient les tâches. Il arrivait à l’occasion qu’il leur mentionnait certaines tâches qui devaient être accomplies, bien qu’ils aient, semble-t-il, établi une routine quant à la façon d’exécuter leurs tâches de conciergerie.

 

[6]     Le 30 novembre 1998, M. St-Louis a conclu un contrat distinct avec l’entreprise ABCO également intitulé « convention d’entrepreneurs ». Conformément aux dispositions prévues à ce contrat, M. St-Louis s’engageait à exécuter les fonctions de [TRADUCTION] « rénovateur et d’entrepreneur en travaux d’entretien » dans [TRADUCTION] « tous les immeubles que gérait l’entreprise ABCO ». La rémunération qu’il devait percevoir avait été établie en fonction d’un taux horaire de 10 $. Cette convention prévoyait trois dispositions particulières que je lirai au bénéfice de la présente Cour. Ainsi, le paragraphe 2 est formulé de la façon suivante :

 

[traduction]

 

L’entrepreneur accepte d’exécuter les tâches que lui assignera le gestionnaire immobilier. De plus, ce dernier peut modifier ces tâches à sa discrétion. L’entrepreneur accepte également de suivre toutes les directives que lui transmettra, en toute légalité, le gestionnaire immobilier.

 

Au paragraphe 11, il est stipulé que :

 

[traduction]

 

Aucune disposition que prévoit la présente convention ne doit être interprétée de manière à créer entre les parties une relation d’employeur-employé ou de commenttant-préposé. L’entrepreneur a librement accepté de conclure la présente convention sous réserve qu’il exploite une entreprise à son propre compte et qu’il a clairement indiqué à la société qu’il est un entrepreneur autonome. L’entrepreneur doit fournir tous les outils nécessaires en vue de respecter toutes les dispositions prévues à la présente convention. 

 

Enfin, au paragraphe 12, il est stipulé que :

 

[traduction]

 

L’entrepreneur doit indemniser la société et la prémunir contre toute obligation, de quelque nature ou quelque genre que ce soit, pouvant découler d’un acte ou d’une omission quelconque de la part de l’entrepreneur dans l’exécution de ses fonctions.

 

[7]     M. Hargreaves a indiqué que l’entreprise ABCO avait besoin d’un travailleur pour exécuter des travaux de rénovation lorsque les propriétaires d’actions ont acheté les immeubles. M. Hargreaves a demandé conseil à M. St-Louis, lors de l’acquisition des immeubles, quant à savoir quels pourraient être les travaux nécessaires à effectuer. M. Hargreaves indiquait à M. St-Louis la nature des travaux de rénovation à entreprendre, mais la façon de les exécuter était laissée à sa discrétion. Par exemple, si les armoires n’étaient pas installées au bon endroit, M. Hargreaves exigeait alors qu’elles soient déplacées. M. St-Louis achetait les matériaux et fournitures nécessaires à ces projets de rénovations et ces achats étaient portés au compte de l’entreprise ABCO que cette dernière possédait dans une quincaillerie, notamment Beaver Lumber, ou chez un marchand local appelé Frank.

 

[8]     M. St-Louis utilisait ses propres instruments de travail, sauf si de plus gros outils étaient nécessaires. Dans un tel cas, il les louait et les coûts de location étaient aussi portés au compte de l’entreprise ABCO. S’il était nécessaire d’installer de nouvelles fenêtres et que des outils spéciaux étaient requis, l’entreprise ABCO prêtait la somme nécessaire à M. St-Louis afin qu’il puisse acheter les outils en question. De la même façon, en ce qui concerne les véhicules, à deux reprises M. St-Louis a dû les remplacer. La première fois, il a emprunté à l’entreprise ABCO la somme de 4 900 $ pour acheter un camion. Il a remboursé ces deux prêts qu’il avait sollicités auprès de l’entreprise en vue d’acheter des outils et ce camion en versant à l’entreprise des paiements mensuels de 150 $. Plus tard, il a emprunté 20 000 $ à l’entreprise ABCO pour acheter un nouveau véhicule, somme qu’il devait rembourser en versant des paiements mensuels de 650 $. En ce qui concerne le camion, il a versé des paiements totalisant environ 7 000 $ et il a investi une autre somme de 3 800 $ en vue d’y apporter des améliorations. Ce camion était enregistré sous le nom de l’entreprise ABCO, mais aucune explication satisfaisante n’a été fournie à la Cour quant à savoir pourquoi. 

 

[9]     M. St-Louis se rendait à n’importe quel immeuble, selon les directives que lui transmettait M. Hargreaves. C’est l’entreprise ABCO qui établissait les priorités. Habituellement, M. St-Louis menait un projet à terme avant d’entreprendre le projet suivant. M. St-Louis a également demandé des augmentations de son taux horaire. En général, un certain temps était requis avant que l’entreprise n’acquiesce à sa demande. Son taux horaire a toutefois été augmenté de 10 $ à 12 $ puis à 16 $ et, enfin, à 16,58 $. M. St-Louis a attesté que le 0,58 $ représentait une indemnité qui lui était versée au titre de frais d’essence, tandis que M. Hargreaves a indiqué qu’il s’agissait d’une augmentation qui lui avait été accordée pour couvrir ses frais généraux. Au début, M. St-Louis était rémunéré chaque semaine. Par la suite, toutes les deux semaines et, finalement, tous les mois. De plus, il devait soumettre des factures pour les heures qu’il avait travaillées, accompagnées de ses feuilles de temps. M. St-Louis ne croyait pas qu’il aurait été payé sans ces feuilles de temps, bien que M. Hargreaves ait soutenu qu’elles n’étaient requises que pour les besoins de vérification, de manière à démontrer aux propriétaires que le travail avait été bel et bien accompli. Les remboursements des prêts étaient déduits des chèques de paie délivrés à M. St-Louis. Ces chèques étaient libellés soit par l’entreprise ABCO, soit par le propriétaire de l’immeuble.

 

[10]    Une fois, alors que M. St-Louis avait terminé un projet avant échéance, l’entreprise lui a donné un compresseur à titre de prime. À l’occasion, M. St-Louis soumettaient des factures pour ce qu’il considérait comme des heures supplémentaires en plus des 40 heures et plus par semaine qu’il devait travailler, selon ce qu’il a indiqué. Ces factures qu’il soumettait pour ses heures supplémentaires ne correspondaient pas toujours à la période de paye d’une semaine, de deux semaines ou d’un mois.

 

[11]    M. St-Louis était un homme à tout faire. Il a notamment réparé ou refait la toiture de certains immeubles, installé des cloisons sèches et exécuté des menus travaux d’électricité et de plomberie. Un seul exemple a été fourni à la Cour en ce qui concerne un problème qui serait survenu lié au travail qu’il avait accompli sur un toit qui nécessitait des réparations et pour lequel il avait été rémunéré en fonction d’un taux horaire. M. Hargreaves a indiqué que ce n’est que plus tard qu’il avait supposé que ces réparations s’étaient avérées nécessaires en raison d’une erreur qu’avait commise M. St-Louis. Ce dernier a également effectué d’autres travaux de ce genre pour d’autres pendant l’année en cause, mais il a affirmé que ces travaux qu’il avait accomplis pour le compte de quatre ou cinq autres entreprises ou particuliers ne valaient pas plus que 2 000 $. À l’occasion, M. St‑Louis a eu besoin d’aide et, étant donné que M. Hargreaves ne connaissait personne qu’il aurait pu engager, c’est M. St-Louis qui s’est trouvé lui-même des aides. Il demandait à ses fils ou à d'autres de l'aider. Cependant, ils facturaient eux-mêmes directement l’entreprise ABCO.

 

[12]    M. St-Louis a également effectué quelques travaux de réparation, bien que, manifestement, ces travaux de rénovations aient fait partie de la plupart des tâches qu’il devait assumer. M. Hargreaves a affirmé qu’il ne supervisait pas le travail de M. St-Louis quotidiennement ni qu’il établissait un horaire de travail fixe ou requis. Toutefois, M. St-Louis croyait qu’on s’attendait à ce qu’il soit au travail au moins de 9 h à 17 h tous les jours.

 

[13]    ABCO a souscrit à une assurance de responsabilité civile en vue de se protéger et de protéger ses travailleurs. Le nom de M. St-Louis figurait notamment sur cette police d’assurance, et il a soumis une facture à l’entreprise ABCO relativement à cette responsabilité civile, bien que les primes aient été en fait payées par l’entreprise ABCO. M. St-Louis a admis que, si une erreur quelconque était commise, il n’en était jamais tenu responsable financièrement. M. St-Louis a indiqué qu’il n’avait pris qu’une semaine et demie de vacances pendant la période durant laquelle il a travaillé pour le compte de l’entreprise ABCO. Il a donné un coup de main au préposé à l’entretien pendant qu’il était en vacances, mais personne n’était en mesure de faire de même si M. St-Louis voulait prendre un temps d’arrêt. Il a admis qu’il aurait pu refuser un projet, mais selon lui, s’il avait refusé, il aurait risqué de perdre son emploi. 

 

[14]    En 2001, le fils de M. St-Louis a démarré une entreprise faisant affaire sous les initiales de son nom SDS. M. St-Louis a couvert les coûts liés à la production de cartes d’affaires et de prospectus sur lesquelles apparaissaient son nom, celui de son fils et leurs numéros de téléphone respectifs. M. St-Louis a indiqué que c’était seulement pour aider son fils. Ces cartes d’affaires ont été déposées dans des commerces, notamment la quincaillerie Beaver Lumber.

 

[15]    M. St-Louis a fait appel aux services d’un comptable pour produire ses déclarations de revenus. L’entreprise ABCO ne lui a délivré aucun feuillet T4. M. St-Louis a produit ses déclarations de revenus en déclarant des revenus tirés d’une entreprise. Il a indiqué qu’il avait produit ses déclarations de revenus de cette façon, selon ce que son comptable lui avait conseillé. 

 

[16]    M. St-Louis a décidé de quitter son emploi comme rénovateur et homme à tout faire vers la fin de l’année 2001. M. Hargreaves l’aurait alors informé qu’il ne pouvait conserver son poste de surveillant général. Il a également dû remettre les clés du camion. M. St-Louis et l’entreprise ABCO se sont engagés dans un litige concernant des petites créances à l’égard du camion. Ce sont là les faits relatifs à l’affaire en l’espèce.

 

[17]    Me George Voisin, l’avocat de l’appelant, a cité les propos du juge Major dans l’affaire 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[1] en vue d’établir le critère à quatre volets qui s’applique à des affaires de ce genre. Ainsi :

 

[...]  La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte.  Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

[...]

 

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer.  Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

 

Voici les faits sur lesquels s’est appuyée l’appelante en vue de soutenir sa conclusion selon laquelle M. St-Louis était un entrepreneur autonome. Premièrement, en ce qui concerne le poste de surveillant général, l’entreprise ABCO se souciait peu du fait que ce soit M. St-Louis ou Mme Nowak qui accomplisse le travail. Deuxièmement, l’entreprise ABCO n’exerçait aucun contrôle sur le travail qui était accompli. Troisièmement, à l’égard des deux postes qu’ils occupaient, l’entreprise ABCO a clairement stipulé au contrat qu’ils étaient des entrepreneurs autonomes, et M. St-Louis a accepté de signer ce contrat. Quatrièmement, M. St‑Louis était autodidacte. Cinquièmement, ABCO ne lui transmettait aucune directive quant à la façon d’exécuter le travail, bien qu’on lui ait expliqué quels étaient les travaux à exécuter et que l’appelante ait établi les priorités. Sixièmement, M. St-Louis fournissait ses propres outils de travail. Septièmement, M. St-Louis a travaillé pour d’autres. Huitièmement, M. St‑Louis s’est trouvé lui-même des aides, bien que l’entreprise ABCO les ait rémunérés. Neuvièmement, M. St-Louis a tenté de démarrer une nouvelle entreprise en distribuant des cartes d’affaires. Dixièmement, M. St-Louis a, dans une moindre mesure, négocié des augmentations. Onzièmement, M. St-Louis pouvait obtenir un supplément s’il terminait les projets avant échéance. Enfin, il a produit ses déclarations de revenus à titre d’entrepreneur autonome.

 

[18]    En ce qui concerne la question des profits et des pertes, l’avocat de l’appelante a fait valoir que ce facteur a été précisé dans l’affaire Precision Gutters Ltd. c. M.R.N.[2], et je cite :

 

Selon moi, la capacité de négocier les modalités d’un contrat suppose une chance de bénéfice et un risque de perte de la même manière que permettre à une personne d’accepter ou de refuser du travail suppose une chance de bénéfice et un risque de perte.

 

Me Voisin s’est également appuyé sur les propos du juge Noël dans l’affaire Wolf c. Canada (C.A.)[3] pour faire valoir ce critère. Ses propos sont les suivants :

 

[...] En ce qui concerne le risque financier, je conviens avec mes collègues que l’appelant, en contrepartie d’un salaire plus élevé, avait renoncé à bon nombre des prestations qui étaient habituellement dévolues à l’employé, y compris la sécurité d’emploi.

 

[19]    Enfin, Me Voisin s’est appuyé sur les propos du juge Décary et du juge Noël dans la décision Wolf à l’effet qu’en dépit de l’affaire M.R.N. c. Standing[4], l’intention des parties, telle qu’elle est stipulée dans leur contrat, représente un facteur dont il faut tenir compte pour déterminer quelle est la relation qui existe entre elles. Comme l’a indiqué le juge Noël :

 

[...] Mais, dans une issue serrée comme en l’espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l’intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

 

Pour sa part, l’intimé soutient que les commentaires formulés dans l’affaire Wolf[5] n’ont pas eu pour effet d’affaiblir l’assertion dans l’affaire Standing qui est la suivante :

 

[...] Rien dans la jurisprudence ne permet d’avancer l’existence d’une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l’arrêt Wiebe Door.[6]  [...]

 

Ce passage a été cité avec approbation dans la décision Wolf accompagné d’une introduction qui stipule que la Cour n’accordera de poids aux modalités du contrat écrit que si elles reflètent clairement la relation qui existe entre les parties.

 

[20]    L’intimé a examiné la liste des critères afin de déterminer quelle était la véritable relation qui existait entre les parties et s’est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes. D’abord en ce qui concerne le degré de contrôle exercé, l’entreprise ABCO avait établi le minimum d’heures de travail requises. M. St‑Louis devait porter sur lui un émetteur-récepteur. De plus, il devait soumettre ses feuilles de temps. En ce qui concerne les outils de travail, M. St‑Louis en possédait déjà quelques-uns, mais l’entreprise ABCO fournissait tous les outils et équipement supplémentaires nécessaires par l’entremise de location. En ce qui concerne les aides, ils étaient rémunérés par l’entreprise ABCO. En ce qui concerne les chances de profit et les risques de perte, M. St-Louis percevait un revenu fixe établi en fonction du salaire accordé pour un emploi de surveillant général, de même qu’un taux horaire pour les travaux de rénovations qu’il accomplissait. La seule façon de générer davantage de revenus consistait à travailler des heures supplémentaires. M. St-Louis était même rémunéré pour réparer des erreurs qu’il avait commises. M. St-Louis a demandé en vain des augmentations de salaire. Les coûts liés à l’assurance de la responsabilité civile des particuliers étaient assumés par l’entreprise ABCO.

 

[21]    Voici maintenant mon analyse de la présente affaire. Assurément, ce n’est pas la jurisprudence qui manque en ce qui concerne la question qui consiste à savoir si un particulier est un employé ou un entrepreneur autonome ou, en d’autres termes, s’il a été engagé en vertu d’un contrat de louages de service ou d’un contrat d’entreprise. Le critère dont il faut tenir compte pour trancher cette question a été énoncé dans l’arrêt Wiebe Door[7] souvent cité. Il s’agit de quatre facteurs, notamment le degré de contrôle exercé, la propriété des instruments de travail, de même que les chances de profit et les risques de perte. Cependant, dans la décision qu’a tout récemment rendue la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sagaz[8], le gouvernement a modifié le critère en posant la question plus succinctement, soit celle que j’ai lu au bénéfice de la présente Cour précédemment, citant les propos du juge Major.

 

[22]    Ainsi, M. St-Louis exploitait-il une entreprise à son propre compte? Comme c’est le cas dans toutes les affaires semblables à celle en l’espèce, il existe invariablement des faits qui appuient les allégations des deux parties. Il est nécessaire d’évaluer les faits et les circonstances et de raisonner avec bon sens afin de pouvoir trancher cette question. Avant de passer les faits en revue, je souhaiterais émettre un commentaire concernant l’importance du contrat écrit. L’affaire Standing a toujours mis l’accent sur le fait que la substance avait préséance sur la forme lorsqu’il s’agit de rendre de telles décisions. Mme Neill affirme que cela demeure vrai et que l’arrêt Wolf appuie cette décision. Cependant, le juge Noël a donné une dimension intéressante à ses commentaires qu’il a émis dans l’affaire Wolf. À mon avis, il vaut la peine que je lise quelques paragraphes tirés du jugement qu’a prononcé le juge Noël [9] :

 

J’accueillerais aussi l’appel.  À mon avis, il s’agit d’un cas où la qualification que les parties ont donnée à leur relation devrait se voir accorder un grand poids.  Je reconnais que la façon dont les parties décident de décrire leur relation n’est pas habituellement déterminante, en particulier lorsque les critères juridiques applicables pointent dans l’autre direction. Mais, dans une issue serrée comme en l’espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l’intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

 

[...]

 

Ce n’est pas un cas où les parties qualifiaient leur relation d’une façon telle que cela leur procure un avantage fiscal. Aucune manœuvre frauduleuse ou aucun maquillage de quelque sorte n’est allégué. Il s’ensuit que la manière dont les parties ont pu voir leur entente doit l’emporter à moins qu’elles ne se soient trompées sur la véritable nature de leur relation.  À cet égard, la preuve, lorsqu’elle est évaluée à la lumière des critères juridiques pertinents, est pour le moins neutre. Comme les parties ont estimé qu’elles se trouvaient dans une relation d’entrepreneur indépendant et qu’elles ont agi d'une façon conforme à cette relation, je n’estime pas que le juge de la Cour de l’impôt avait le loisir de ne pas tenir compte de cette entente.

 

[23]    Comme le démontrera clairement mon analyse suivante des facteurs, à mon avis, il s’agit d’une affaire dont le résultat est incertain. Cependant, je n’entamerai pas l’analyse en tentant de déterminer si la forme a préséance sur la substance, mais si, après avoir analysé la présente affaire en fonction des critères qu’a énoncés le juge Mayor, je suis incapable d’établir clairement quelle était la relation qui existait entre les parties, je suis toutefois maintenant prêt, à cette étape, à examiner le contrat écrit et à tenter de déterminer quelle était la véritable entente qu’elles ont conclue. Il m’apparaît que l’on s’appuie étroitement sur le contrat écrit. En fait, il ne faut pas présumer au départ que la forme imposera la substance, mais essentiellement, il faudra en tenir compte si l’on veut établir un lien.

 

[24]    J’examinerai maintenant les facteurs. D’abord, en ce qui concerne le degré de contrôle exercé et le poste de surveillant général, bien que M. Hargreaves ait pu à l’occasion indiquer quels étaient les divers travaux à effectuer, les responsabilités étaient clairement énoncées dans l’entente, et M. St-Louis a confirmé que lui-même et Mme Nowak assumaient ces responsabilités quand et comme bon leur semblait. Ils étaient tout simplement responsables de l’immeuble. Il ne s’agissait pas d’un lieu de travail distinct. Ils habitaient sur leur lieu de travail et étaient en disponibilité en tout temps. En ce qui concerne les travaux de rénovations, l’entreprise ABCO établissait les priorités et indiquait quels étaient les travaux à effectuer, comme, à titre d’exemple, l’emplacement des murs. Cependant, il est évident que M. Hargreaves n’était pas un entrepreneur général. Il comptait sur M. St-Louis pour obtenir des conseils, de même qu’il lui laissait le libre choix quant à la façon d’effectuer les travaux.

 

[25]    J’admets l’allégation de M. St-Louis selon laquelle il était tenu de travailler au moins 40 heures par semaine et que cela signifiait en général qu’il devait travailler de 9 h à 17 h tous les jours, mais manifestement, M. St-Louis pouvait aussi faire des heures supplémentaires s’il le souhaitait. Le port d’un émetteur‑récepteur et l’exigence de soumettre ses feuilles de temps tendent à démontrer l’existence d’un degré de contrôle exercé et donc, qu’il s’agissait d’une relation d’employeur-employé. M. Hargreaves n’avait peut-être pas tort lorsqu’il a expliqué que les feuilles de temps étaient beaucoup plus un outil de gestion qu’un prérequis afin que M. St-Louis puisse percevoir le paiement de ses salaires, bien que je puisse comprendre comment M. St-Louis a pu interpréter cette exigence différemment. En ce qui concerne les travaux de rénovation qu’accomplissait M. St‑Louis, j’ai l’impression qu’il était libre d’aller et de venir comme bon lui semblait soit pour acheter des matériaux, soit pour louer de l’équipement, soit pour aller chercher de l’aide, soit pour faire ce qu’il avait à faire en vu de terminer le projet en cours. Par conséquent, tout bien pesé, je conclus que les faits tendent à démontrer qu’aucun degré de contrôle absolu n’était exercé pour appuyer l’existence d’une relation employeur-employé.

 

[26]    En ce qui concerne les instruments de travail, M. St-Louis a fourni certains de ses propres outils de travail lorsqu’il a accepté d’occuper ce poste et, grâce à une aide financière que lui a accordée l’entreprise ABCO, il en a acheté d’autres. Quant à l’entreprise ABCO, elle fournissait l’équipement le plus important qu’elle louait et qui était nécessaire à l’accomplissement des travaux. M. St-Louis prenait les dispositions nécessaires pour la location de cet équipement.

 

[27]    M. St-Louis fournissait également ses propres véhicules. Toutefois, en ce qui concerne l’acquisition de son dernier véhicule, les faits sont flous. Manifestement, l’entente en vertu de laquelle M. St-Louis a emprunté à l’entreprise ABCO la somme de 20 000 $ afin de pouvoir acheter le camion était souple puisque que le camion était enregistré au nom de l’entreprise ABCO et que celle-ci a conservé le véhicule à la cessation du contrat. Pourtant, M. St-Louis représentait l’unique utilisateur du véhicule, a investi près de 4 000 $ pour l’amélioration dudit véhicule et versait des paiements de 650 $ par mois à l’entreprise ABCO, ce qui est plutôt inhabituel lorsqu’un employeur conclut un contrat de travail avec un employé. Je suis convaincu que ce bien important appartenait effectivement à M. St-Louis. Par conséquent, le critère relatif aux instruments de travail démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu’il s’agissait d’un contrat conclu avec un entrepreneur autonome.

 

[28]    En ce qui concerne les aides, c’est M. St-Louis qui les engageait, mais c’est l’entreprise ABCO qui les rémunérait. Si M. St-Louis les avait rémunérés et qu’il avait facturé l’entreprise ABCO alors, franchement, ce fait n’aurait eu d’autre effet que de démontrer qu’il s’agissait bien d’un contrat conclu avec un entrepreneur autonome. Le fait que M. Hargreaves se soit fié sur M. St-Louis pour qu’il engage les aides nécessaires tend tout de même, mais dans une moindre mesure, à démontrer qu’il s’agissait d’un contrat conclu avec un entrepreneur autonome.

 

[29]    En ce qui concerne les risques de perte, M. St-Louis a indiqué que, si des erreurs étaient commises, il n’en était pas tenu responsable financièrement, ce qui est assez révélateur. L’entreprise ABCO a souscrit à une assurance et rémunérait M. St-Louis pour qu’il reprenne les travaux qu’il avait mal effectués. Il semble donc que M. St-Louis risquait très peu de subir des pertes.

 

[30]    Me Voisin a cité l’affaire Wolf[10] qui fournit en quelque sorte une interprétation plus globale des risques de perte en suggérant ce qui suit : 

 

 En contrepartie d’une hausse de salaire, l’appelant en l’espèce prenait tous les risques de l’activité à laquelle il se livrait. Il ne pouvait pas souscrire à un régime d’assurance-maladie ni à un régime de retraite de Canadair. Il n’avait pas de sécurité d’emploi, aucune protection syndicale, ne pouvait pas suivre de cours et n’avait pas de chance d’avancement. C’était à lui d’assumer les profits et les facteurs de risque.

 

Il est évident que M. St-Louis n’avait pas droit à certains de ces avantages. Il a admis que l’entreprise ABCO ne lui avait fourni aucune formation. Cependant, tout compte fait, dans le cas de M. St-Louis, ces risques de pertes ne sont pas aussi considérables que dans des questions davantage liées au travail. Par conséquent, je conclus que ce critère tend à démontrer qu’il s’agissait d’une relation d’employeur‑employé.

 

[31]    L’autre critère concerne les chances de profit. Si M. St-Louis faisait des heures supplémentaires, il était rémunéré en conséquence. Il a été fait mention d’une certaine possibilité d’obtenir une rémunération supplémentaire si un projet était mené à terme avant échéance. Cependant, un seul exemple a été fourni à la Cour à cet égard. Son taux de traitement horaire a été augmenté. J’ignore si les demandes d’augmentation de salaire qu’a formulées M. St-Louis ont porté fruit, mais il ne fait aucun doute qu’il a fait une telle demande en vue d’obtenir davantage de revenus. Ce fait comporte donc un élément de négociation. Le taux de traitement horaire ne démontre rien en soi. Tout compte fait, je n’accorde que très peu de poids à ce critère.  

 

[32]    En ce qui concerne le critère relatif à la responsabilité en matière d’investissement et de gestion, le seul élément que je dois réellement prendre en considération à cet égard est lié à l’investissement de M. St-Louis pour l’acquisition de son équipement qui, compte tenu de la rémunération qu’il percevait, était considérable. Il a sollicité un prêt d’environ 30 000 $ pour s’équiper sur une période relativement brève, ce qui indique qu’il exploitait sa propre entreprise.

 

[33]    L’autre facteur concerne la possibilité de travailler pour le compte de quelqu’un d’autre. M. St-Louis a travaillé pour le compte d’autres. M. Hargreaves n’avait émis aucune restriction à cet égard, outre le fait qu’il le tenait occupé avec les travaux à accomplir pour le compte de l’entreprise ABCO. Le fait que M. St‑Louis ait participé au démarrage de l’entreprise SDS démontre qu’il se livrait à des activités paraprofessionnelles, mais dans une moindre mesure. L’aspect important consiste en ce que M. St-Louis était libre d’accepter d’autres contrats de travail tout comme il était libre de refuser des projets que lui soumettait M. Hargreaves, bien qu’il soit vrai, selon M. St-Louis, qu’un tel refus aurait été risqué. Tout bien pesé, ce critère tend à indiquer qu’il s’agissait d’un contrat conclu avec un entrepreneur autonome.

 

[34]    Le dernier facteur que je m’apprête à examiner concerne le poste de surveillant général. M. St-Louis et Mme Nowak ont été engagés par l’entreprise ABCO. Étaient-ils des compagnons de travail ou étaient-ils des associés? Ni l’un ni l’autre n’avaient leur propre description de travail. Ils pouvaient déterminer entre eux qui ferait quoi et à quel moment. Manifestement, il ne s’agit pas d’une relation d’employeur-employé.

 

[35]    Ainsi, après avoir procédé à cette analyse, je conclus qu’aucun fait dominant n’indique qu’il s’agissait d’une relation plutôt qu’une autre, bien que l’ensemble « de la forêt » tend quelque peu à démontrer qu’il s’agissait d’un contrat conclu avec un entrepreneur autonome. Par conséquent, j’adopterai l’approche que propose le juge Noël et j’examinerai le contrat, de même que la conduite de M. St‑Louis. Les ententes conclues sont intitulées « conventions d’entrepreneurs » et stipulent clairement qu’il ne s’agit pas d’un contrat de louage de services. M. St‑Louis a admis qu’il avait lu cette disposition et qu’il en avait compris la signification. De même, il a produit ses déclarations de revenus comme un entrepreneur qui exploitait sa propre entreprise. Je conclus que ce fait suffit à faire pencher la balance en faveur de l’existence d’une relation d’entrepreneur autonome. Si je m’appuie sur l’analyse des faits et du contrat, M. St-Louis exploitait une entreprise à son propre compte.

 

[36]    Par conséquent, l’appel est accueilli et l’affaire est déférée au ministre pour nouvel examen en tenant compte du fait que M. St-Louis n’occupait pas un emploi assurable ni un emploi ouvrant droit à pension pendant la période en question.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mars, 2003.

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.



[1]           [2001] 2 R.C.S. 983 aux paragraphes 47 et 48.

[2]           C.A.F., n° A-79-01, 21 mai 2002.

[3]           [2002] 4 C.F. 396 (2002 DTC 6853).

[4]           C.A.F., n° A-857-90, 29 septembre 1992 ([1992] F.C.J. No. 890).

[5]           supra, au paragraphe 71.

[6]           [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025).

[7]           supra.

[8]           supra.

[9]           supra, aux paragraphes 122 et 124.

[10]          supra, au paragraphe 87.

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